Labonté c. Gestion Repida inc.

2012 QCCS 2940

JV0201

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

«En matière civile»

N° :

200-17-013592-100

 

DATE :

18 mai 2012

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

JACQUES VIENS, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

HUBERT LABONTÉ

et

ENTREPRISES & TRANSPORTS ORLÉANS (1992) LTÉE

Demandeurs et défendeurs reconventionnels

c.

 

GESTION REPIDA INC.

et

DANIELE BINETTE

et

PIERRE BINETTE

Défendeurs

et

 

SYLVIE GOBEIL

Défenderesse et demanderesse reconventionnelle

et

 

OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE QUÉBEC

Mis en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]            Les demandeurs Hubert Labonté (Labonté) et Entreprises & Transports Orléans (1992) Ltée (Orléans) demandent au Tribunal, par leur requête introductive d'instance réamendée, de déclarer résolu l'acte de vente intervenu le 20 septembre 2010 entre les défendeurs Gestion Repida Inc. (Repida) et Sylvie Gobeil (Gobeil) et d'ordonner à Repida de se conformer à la promesse d'achat (P-2) et de passer titre afin que la propriété d'un immeuble portant la désignation suivante (l'immeuble) soit cédée et transférée à Orléans :

"Un immeuble désigné sous le lot UN MILLION SEPT CENT TRENTE-HUIT MILLE DEUX CENT TRENTE-NEUF (1 738 239) du CADASTRE DU QUÉBEC, circonscription foncière de QUÉBEC.

Avec bâtisse dessus construite, circonstances et dépendances, portant l'adresse municipale […] , Québec (Québec), […] ."

[2]            Les demandeurs réclament également solidairement des défendeurs 50 000,00 $ à titre d'indemnité pour troubles et inconvénients, incluant le montant des honoraires payés à leurs procureurs.  Subsidiairement, si le Tribunal n'accueille pas leur demande en annulation d'une transaction et en passation de titre, ils réclament solidairement des défendeurs 160 000,00 $ à titre d'indemnité.

[3]            Les défendeurs Repida ainsi que Danièle et Pierre Binette demandent le rejet de l'action des demandeurs et réclament le remboursement des honoraires engagés pour leur défense, alléguant que le recours des demandeurs est abusif.

[4]            La défenderesse Gobeil demande le rejet de l'action des demandeurs, de même que la radiation de la préinscription publiée le 21 septembre 2010 sur les titres de l'immeuble et réclame 10 000,00 $ à titre d'indemnité pour le préjudice que lui a causé la publication de cette préinscription.

[5]            Une autre action entreprise par Repida contre Gobeil sous le numéro 200-17-014611-115 et ayant pour objet la résolution de la vente (P-8) en raison du non-paiement du prix de vente a été réunie au présent dossier à la suite d'un jugement prononcé le 21 novembre 2011.  Les deux dossiers ont fait l'objet d'une audition commune.

Le contexte

[6]            L'immeuble au centre du présent litige était autrefois la propriété de Monsieur Eugène Binette, père de René, Pierre et Danièle Binette, avant de devenir la propriété de Repida le 31 juillet 2005.

[7]            René était le seul administrateur de Repida jusqu'en octobre 2006, alors qu'il a été remplacé par son frère Pierre et sa sœur Danièle.

[8]            Toutefois, l'immeuble demeurait occupé par René et la compagnie 4192010 Canada inc. et, puisqu'ils refusaient de payer le loyer, Repida a obtenu, le 9 janvier 2009, un jugement (D-2) les condamnant à verser une indemnité de 31 663,14 $ et ordonnant leur expulsion.

[9]            À la suite de ce jugement, René a manifesté son intention de faire l'acquisition de l'immeuble et les parties ont convenu de lui accorder un délai de douze (12) mois pour trouver un financement et de l'autoriser, dans l'intervalle, à occuper l'immeuble moyennant le paiement d'un loyer.

[10]         De plus, René a vendu à Pierre et Danièle les actions qu'il détenait dans Repida et a fait l'acquisition des actions que Repida détenait dans 4192010 Canada inc.

[11]         Ainsi, à la suite de la conclusion de diverses ententes le 5 octobre 2009, René se voit accorder une année de répit pour trouver le financement nécessaire à l'acquisition de l'immeuble qu'il occupe depuis plusieurs années et dans lequel il exploite une entreprise.

[12]         En juillet 2010, alors que le délai prévu à la convention arrive à échéance, Repida confie à son conseiller financier, Gaétan Laflamme (Laflamme), le mandat de vendre l'immeuble soit à René, si ce dernier est en mesure d'en faire l'acquisition, soit à un tiers.

[13]         Laflamme retient les services d'un courtier.  René manifeste un intérêt et une offre, qui expire le 25 août 2010, lui est soumise.  Puisque René ne donne pas suite à cette offre dans le délai imparti, Repida accepte alors l'offre la plus élevée, soit celle de Labonté au montant de 385 000,00 $.

[14]         Dès le 26 août, René et 4192010 Canada inc. sont avisés par lettre (D-5) que Repida a accepté une offre d'achat pour l'immeuble et qu'ils devront donc avoir quitté l'immeuble le 30 septembre 2010, tel que prévu dans l'entente du mois d'octobre 2009.

[15]         Après avoir vainement tenté de faire fléchir Repida, René retrace un courriel du 5 octobre 2009 lui conférant, ou à une personne ou une compagnie qu'il désignera, un droit de premier refus relativement à la vente de l'immeuble.  Ses procureurs en informent ceux de Repida par lettre du 2 septembre 2010 (D-7).

[16]         Le même jour, Repida décide de respecter le droit de premier refus conféré à René et lui offre d'acheter l'immeuble aux mêmes conditions que l'offre d'achat de Labonté, soit 385 000,00 $ payable au moment de la vente devant intervenir le 1 er octobre 2010 et confirmation de la disponibilité des fonds devant être fournie dans un délai de dix (10) jours, ce droit de premier refus devant être exercé au plus tard le mardi 7 septembre 2010 à 17:00 heures.

[17]         Dans le délai imparti, René Binette, Sylvie Gobeil et 4192010 Canada inc. confirment leur désir d'exercer le droit de premier refus et offrent d'acheter l'immeuble.  De plus, Éric Prémont offre de financer cette acquisition en considération d'une hypothèque de premier rang à être consentie sur l'immeuble.

[18]         C'est dans ce contexte que les procureurs de Repida avisent Labonté, par lettre du 10 septembre 2010 (D-9), que l'acceptation de son offre aurait dû être conditionnelle au droit de premier refus accordé à l'occupant actuel et que c'est par erreur que cela n'a pas été fait.

[19]         Repida informe donc Labonté que, dans les circonstances, elle n'a pas d'autre choix que d'annuler, pour cause d'erreur, l'acceptation de sa promesse d'achat et offre de lui rembourser, sur présentation des pièces justificatives, les dépenses engagées après la soumission de son offre pour la mener à terme.  Par ailleurs, Labonté est aussi avisé que si l'occupant actuel ne fournit pas la preuve de la disponibilité des fonds nécessaires pour acquitter le prix de vente d'ici le 17 septembre 2010 ou fait volte-face, Repida offrira de lui vendre l'immeuble aux mêmes conditions.

[20]         Mais, le 16 septembre 2010, les demandeurs informent Repida qu'ils considèrent que le droit de premier refus consenti à une tierce partie ne leur est pas opposable et qu'il ne s'agit donc pas d'un motif d'annulation du contrat intervenu le 25 août 2010.  Ils mettent Repida en demeure (P-4) de se présenter chez le notaire Jean-François La Rue à Québec le 20 septembre 2010 à 15:00 heures afin de signer l'acte de vente.

[21]         Or, Repida ne donnera pas suite à cette mise en demeure et signera plutôt un acte de vente (P-8) avec Sylvie Gobeil, conjointe de René Binette, acte prévoyant que le prix de 385 000,00 $ sera payable au plus tard le 30 septembre 2010, étant garanti, dans l'intervalle, par une hypothèque sur l'immeuble en faveur du vendeur.

[22]         L'acte est signé le 20 septembre 2010 devant notaire à Montréal et publié le même jour à 14:50 heures au registre foncier de la circonscription foncière de Québec.

[23]         Constatant que les représentants de Repida ne se présentent pas à 15:00 heures chez le notaire Jean-François La Rue à Québec pour y signer l'acte de vente, les demandeurs préparent un avis de préinscription d'une demande en passation de titre et reconnaissance du droit de propriété, avis qui ne sera publié que le lendemain au Bureau de la publicité des droits, soit après la publication de l'acte de vente (P-8).

[24]         Toujours le 20 septembre 2010, vers 15:10 heures, les procureurs de Repida informent (D-15) les procureurs des demandeurs que l'immeuble a été vendu selon les mêmes termes et conditions que l'offre d'achat soumise par Labonté.

[25]         Les demandeurs intentent immédiatement contre les défendeurs une requête en annulation de l'acte de vente consenti à Gobeil (P-8) et en passation de titre.

Les prétentions des parties

[26]         Les demandeurs reprochent aux défendeurs d'avoir conclu un acte de vente en fraude de leurs droits, faisant fi de la promesse d'achat acceptée le 25 août 2010 (P-2), tout en sachant que l'exercice du droit de premier refus octroyé à René Binette ne se faisait pas selon les mêmes termes et conditions que ladite promesse.  Ils invoquent aussi que la signature de l'acte de vente (P-8) s'est faite en toute hâte, dans l'unique but de les empêcher d'obtenir un titre sur l'immeuble.  Enfin, ils allèguent que les défendeurs ont eu un comportement qui avait pour effet de les rassurer afin d'éviter toute procédure de saisie avant jugement et/ou préinscription d'une demande en passation de titre.

[27]         De plus, en raison des termes de l'acte de vente (P-8) et des faits et gestes de l'ensemble des défendeurs, et plus particulièrement vu que la défenderesse Gobeil n'a pas acquitté le prix de vente, les demandeurs allèguent être en droit d'agir à la place de Repida et de demander la résolution de cet acte de vente par action oblique afin de pouvoir ultérieurement obtenir une passation de titre en leur faveur.

[28]         Pour leur part, les défendeurs Repida, Danièle et Pierre Binette invoquent que l'acceptation de l'offre d'achat de Labonté a été faite par erreur, erreur qui en vicie le consentement, et que, subsidiairement, cette vente est opposable à Labonté.

[29]         Par ailleurs, ils allèguent avoir agi de bonne foi et que les dommages réclamés par Labonté sont, soit inexistants, soit largement exagérés.

[30]         De son côté, Gobeil invoque que Repida n'a pas rempli son obligation de livraison de l'immeuble vendu en raison plus particulièrement de la préinscription en vertu de l'article 2966 C.c.Q . d'une action en passation de titre faite par Labonté, préinscription qui a empêché Gobeil de pouvoir transiger ultérieurement, qu'il s'agisse d'une vente de l'immeuble ou, encore, de l'obtention d'un financement hypothécaire.

[31]         Par ailleurs, Gobeil invoque que le contrat conclu entre elle et Repida est opposable à Labonté en sa qualité de bénéficiaire de la promesse de vente et qu'elle a droit à des dommages-intérêts à la suite de la publication sans droit d'un avis de préinscription.

Les questions en litige

A)    Est-ce que l'erreur commise par Repida et ses représentants vicie l'acceptation de l'offre d'achat de Labonté?

B)    Subsidiairement, si l'erreur commise ne vicie pas le consentement, est-ce que la vente de l'immeuble (P-8) à Gobeil est opposable à Labonté?

C)    Est-ce que Labonté a subi des dommages à la suite du non-respect de la promesse d'achat (P-2) qui avait dûment été acceptée par Repida et ses représentants et, le cas échéant, qui en est responsable?

D)    Est-ce que, par les procédures intentées, Labonté a abusé de ses droits à l'égard de Repida, Danièle et Pierre Binette et Gobeil?

*****************************************

A)    Le consentement donné par Repida lors de l'acceptation de l'offre d'achat de Labonté a-t-il été vicié par l'erreur?

[32]         Les défendeurs Repida, Danièle et Pierre Binette invoquent que l'erreur commise en acceptant l'offre d'achat de Labonté sans prendre en compte le droit de premier refus consenti en octobre 2009 en faveur de René est de nature à vicier leur consentement et que cette acceptation est donc entachée de nullité.

[33]         L'article 1400 C.c.Q. prévoit que :

" 1400.   L'erreur vicie le consentement des parties ou de l'une d'elles lorsqu'elle porte sur la nature du contrat, sur l'objet de la prestation ou, encore, sur tout élément essentiel qui a déterminé le consentement.

L'erreur inexcusable ne constitue pas un vice de consentement."

[34]         L'existence de ce droit de premier refus en faveur de René n'a jamais été mentionnée au courtier Bernard Leclerc qui a agi pour les défendeurs et, d'ailleurs, la promesse d'achat (P-2) souligne clairement à la clause 10.2(7) que l'immeuble ne fait pas l'objet d'un droit de préférence ou de premier refus.

[35]         Or, cette erreur ne rencontre aucunement les conditions de l'article 1400 C.c.Q.  Elle ne porte pas sur la nature du contrat, sur l'objet de la prestation ou, encore, sur tout élément essentiel qui a déterminé le consentement.  C'est ainsi qu'aucun motif ne justifie l'annulation pour cause d'erreur de la promesse d'achat (P-2) intervenue le 25 août 2010 entre Labonté et Repida.

[36]         Aussi, cette entente relative à l'existence d'un droit de premier refus n'est intervenue qu'entre Repida et René, de sorte que, selon les dispositions de l'article 1440 C.c.Q. , elle n'est pas opposable à des tiers tels que les demandeurs:

" 1440.   Le contrat n'a d'effet qu'entre les parties contractantes; il n'en a point quant aux tiers, excepté dans les cas prévus par la loi."

[37]         C'est donc avec raison que les demandeurs invoquent que cette erreur, si tel est le cas, ne peut leur être opposable, tant en ce qui concerne la validité de la promesse d'achat (P-2) qu'à leur droit de réclamer des dommages-intérêts, le cas échéant.

B)    La vente (P-8) intervenue entre Repida et Gobeil est-elle opposable à Labonté en sa qualité de bénéficiaire d'une promesse de contracter?

[38]         L'article 1397 C.c.Q. répond à cette question :

" 1397.   Le contrat conclu en violation d'une promesse de contracter est opposable au bénéficiaire de celle-ci, sans préjudice, toutefois, de ses recours en dommages-intérêts contre le promettant et la personne qui, de mauvaise foi, a conclu le contrat avec ce dernier.

Il en est de même du contrat conclu en violation d'un pacte de préférence."

[39]         En l'espèce, les demandeurs prétendent que, malgré les dispositions de l'article 1397 C.c.Q ., l'acte de vente intervenu entre Repida et Gobeil ne leur serait pas opposable pour plusieurs motifs.  Tout d'abord, ce droit de préférence en faveur de René n'a pas été exercé selon les mêmes termes et conditions que la promesse d'achat (P-2) intervenue avec les demandeurs.  De plus, René et/ou Gobeil sont en défaut de payer le prix de vente.  Enfin, de toute façon, la transaction (P-8) intervenue entre Repida et Gobeil n'était qu'un stratagème pour tenter de justifier que Repida ne vende pas aux demandeurs, de sorte qu'elle est intervenue en fraude de leurs droits.

[40]         Ainsi, les demandeurs invoquent que, si cet acte de vente a été conclu de façon frauduleuse à leur égard par le promettant Repida et la tierce partie Gobeil, ils sont en droit d'en demander la nullité, pour ensuite exiger qu'il soit fait droit à leur action en passation de titre.

[41]         Ils réfèrent aux commentaires du professeur Vincent Karim qui considère que le contrat conclu entre le promettant et un tiers de mauvaise foi ne devrait pas être opposable au bénéficiaire d'une promesse de façon absolue lorsqu'il s'agit d'un contrat fait de façon frauduleuse par le promettant et le tiers dans le but de nuire aux droits du bénéficiaire ou encore d'un contrat simulé ou frauduleux conclu à la suite d'un dol ou d'un stratagème par le promettant afin de se soustraire aux obligations de sa promesse. [1]

[42]         Les demandeurs soulignent aussi l'arrêt Boyer c. Brisebois [2] où la Cour d'appel, en 1987, affirmait que les actes faits par un débiteur en fraude des droits d'un créancier qui peuvent être attaqués par ce créancier ne font l'objet d'aucune limitation et peuvent même être la vente d'un immeuble.  Il convient toutefois de préciser que cet arrêt de la Cour d'appel est antérieur à l'adoption des dispositions actuelles de l'article 1397 C.c.Q.

[43]         Néanmoins, nous sommes d'avis que la question ne se pose pas réellement en l'espèce, puisque, de toute façon, la preuve ne permet pas de conclure ni même d'imaginer que la transaction intervenue entre Repida et Gobeil soit l'expression d'un stratagème ou d'une fraude dans le but de permettre à Repida de se soustraire aux obligations de sa promesse de vente en faveur des demandeurs.

[44]         Au contraire, la preuve démontre plutôt qu'en leur qualité d'actionnaires et d'administrateurs de Repida, Danièle et Pierre Binette souhaitaient depuis plusieurs années mettre un terme à leur relation d'affaires avec leur frère René et avaient même obtenu, le 9 janvier 2009, un jugement qui le condamnait à payer 31 663,14 $ et ordonnait son expulsion de l'immeuble dans un délai de vingt (20) jours.

[45]         L'entente intervenue quelques mois plus tard prévoyait clairement que René devait acheter par lui-même ou une tierce personne l'immeuble ou quitter les lieux au plus tard le 30 septembre 2010.

[46]         D'ailleurs, même au moment où les défendeurs ont accepté la promesse d'achat présentée par Labonté, ils avaient encore des discussions avec René, qui prétendait avoir lui-même accepté antérieurement, dans le délai imparti, une offre qui lui avait été soumise par Repida.

[47]         Devant cette situation, les représentants de Repida étaient confrontés à un dilemme.  Bien que, de toute évidence, ils auraient préféré compléter la transaction avec Labonté, ils ont dû évaluer les conséquences susceptibles de résulter du non-respect du droit de premier refus conféré à René.

[48]         C'est ainsi qu'après avoir avisé René qu'il devrait quitter le 30 septembre à la suite de l'acceptation de la promesse d'achat de Labonté, ils ont dû lui offrir d'acheter l'immeuble aux mêmes conditions et lui ont accordé un délai jusqu'au 7 septembre 2010 pour en décider.

[49]         Comme René et/ou Gobeil ont confirmé leur acceptation d'acheter dans le délai imparti, Repida a ensuite informé Labonté de son erreur et a offert de rembourser, sur présentation des pièces justificatives, ses dépenses engagées après l'offre d'achat, ajoutant toutefois que, si René faisait volte-face, on lui vendrait l'immeuble aux mêmes termes et conditions.

[50]         En définitive, lorsque les représentants de Repida ont accepté la promesse d'achat transmise par Labonté le 25 août 2010, ils avaient définitivement l'intention de lui vendre l'immeuble.  Ce n'est que lorsqu'on leur a rappelé le droit de premier refus conféré l'année précédente à René qu'ils ont dû se résoudre à lui offrir d'acheter aux mêmes conditions que Labonté et, par la suite, en informer Labonté.

[51]         Par ailleurs, même si, manifestement, Repida a agi rapidement pour compléter la vente de l'immeuble à Gobeil avant que Labonté ne puisse intenter des procédures, il ne fait aucun doute que cette vente a été conclue afin de respecter le droit de premier refus conféré à René et non pas dans le but de nuire à Labonté ou d'agir en fraude de ses droits.  Bref, il n'y a aucune preuve de mauvaise foi à l'égard de Labonté et d'Orléans, de la part de Repida et de ses représentants, ni de la part de René.

[52]         C'est pourquoi, nous sommes d'avis que les dispositions de l'article 1397 C.c.Q . s'appliquent dans les circonstances.  En effet, les demandeurs n'ont fait valoir aucune circonstance qui justifierait d'aller plus loin dans l'analyse de la possibilité pour les demandeurs d'exercer un recours paulien dans le but d'obtenir la résolution de l'acte de vente intervenu entre Repida et Gobeil.

[53]         D'autre part, le fait que les termes et conditions de la transaction intervenue entre Repida et Gobeil ne soient pas tout à fait les mêmes que ceux de la proposition de Labonté ne change rien à la situation.  En effet, la transaction est intervenue au même prix, soit 385 000,00 $, et le fait que l'acheteur ne soit pas en mesure de payer le prix de vente sans devoir obtenir un prêt hypothécaire ne constitue qu'une modalité de paiement différente qui ne concerne pas réellement Labonté et ne lui confère aucun droit additionnel.

[54]         Par ailleurs, si Gobeil n'a pas été en mesure d'effectuer le paiement du prix de vente de 385 000,00 $ le 30 septembre 2010 selon les termes de l'acte de vente (P-8), c'est que les demandeurs ont publié un avis de préinscripton d'une action en passation de titre, de sorte qu'elle a été empêchée d'obtenir un financement hypothécaire ou encore de revendre l'immeuble.

[55]         Dans les circonstances, les demandeurs ne peuvent obtenir la résolution de la vente intervenue entre Repida et Gobeil, mais, conformément aux dispositions de l'article 1397 C.c.Q. , ils peuvent avoir droit à des dommages-intérêts.

[56]         Il convient de souligner que l'action en résolution de vente intentée contre Gobeil par Repida dans le dossier # 200-17-014611-115 sera rejetée avec dépens pour les mêmes motifs.

C)    Les dommages-intérêts

[57]         Tout d'abord, il ressort clairement de la preuve que Gobeil, la personne qui a conclu l'acte de vente (P-8) avec Repida, n'était pas de mauvaise foi, de sorte que Labonté n'a aucun recours contre elle.

[58]         D'autre part, la responsabilité des défendeurs Danièle et Pierre Binette ne peut être retenue à la suite du non-respect de la promesse de vente intervenue entre Repida et Labonté puisqu'ils ne sont pas cautions de Repida, n'ont pas agi frauduleusement ni de manière abusive et n'étaient pas de mauvaise foi.

[59]         À titre de dommages-intérêts, les demandeurs réclament 160 000,00 $, dont 110 000,00 $ représentant la différence, selon eux, entre la valeur marchande de l'immeuble et le prix convenu à la promesse d'achat (P-2).  Ils réclament aussi 50 000,00 $, incluant le montant des honoraires payés à leurs procureurs, pour les troubles et inconvénients qu'ils allèguent avoir subis à la suite du non-respect de la promesse d'achat (P-2) et en raison des agissements des défendeurs.

La valeur de l'immeuble

[60]         Les demandeurs prétendent avoir droit à 110 000,00 $ représentant la différence entre 385 000,00 $, le prix convenu à la promesse d'achat, et 495 000,00 $, la valeur de l'immeuble au moment de la transaction selon le rapport d'évaluation préparé le 20 janvier 2011 par la firme Derico.

[61]         Nous sommes d'avis que cette réclamation n'est pas fondée puisqu'en fonction de l'ensemble de la preuve, rien ne permet de conclure que la valeur marchande de l'immeuble était supérieure à 385 000,00 $ au moment de l'acceptation par Repida de la promesse d'achat de Labonté.

[62]         Tout d'abord, l'expertise de la firme Derico, quant à ses conclusions, présente une valeur probante plutôt faible puisque, d'une part, l'évaluateur croyait qu'il préparait une évaluation pour fins de financement hypothécaire et, d'autre part, il n'a même pas visité l'intérieur de l'immeuble.

[63]         Aussi, comme le souligne l'évaluateur à la page 10 de son rapport :

"La valeur marchande, telle que définie par l'Ordre des évaluateurs agréés du Québec, est la suivante :

Le prix de vente le plus probable auquel un bien immobilier devrait être vendu, dans un marché concurrentiel et ouvert à toutes les conditions requises pour une vente juste, l'acheteur et le vendeur agissant tous deux avec prudence et en connaissance de cause, et en présumant que le prix n'est pas modifié par une motivation indue."

[64]         En l'espèce, l'immeuble a été en vente ouvertement dans un marché concurrentiel et ouvert à toutes les conditions requises pour une vente juste et, bien qu'il ait été offert en vente à 350 000,00 $, les offres ont varié entre 300 000,00 $ et 385 000,00 $, la meilleure offre étant celle de Labonté à 385 000,00 $.

[65]         C'est pourquoi, rien ne permet de croire qu'au moment où Repida a accepté l'offre de Labonté le 25 août 2010, la valeur de l'immeuble était plus élevée que 385 000,00 $, soit le montant de la meilleure offre, de sorte qu'il faut conclure que cette offre représentait la juste valeur marchande de l'immeuble.

Troubles et inconvénients

[66]         Il convient de rappeler les dispositions de l'article 1613 C.c.Q. :

" 1613.   En matière contractuelle, le débiteur n'est tenu que des dommages-intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir au moment où l'obligation a été contractée, lorsque ce n'est point par sa faute intentionnelle ou par sa faute lourde qu'elle n'est point exécutée; même alors, les dommages-intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution."

[67]         Les demandeurs réclament une indemnité de 50 000,00 $, y incluant le montant des honoraires payés à leurs procureurs, à titre de troubles et inconvénients,.

[68]         Selon la preuve offerte, les troubles et inconvénients de même que les débours encourus par les demandeurs suite à l'acceptation par Repida de leur promesse d'achat se limitent aux démarches entreprises pour la préparation de la promesse d'achat et pour tenter de finaliser la transaction, et ce, jusqu'au moment de la publication de l'acte de vente intervenu entre Repida et Gobeil le 20 septembre 2010.

[69]         En effet, selon l'article 1397 C.c.Q. , l'acte de vente intervenu entre Repida et Gobeil est opposable aux demandeurs et rien, dans les circonstances, ne justifie de déroger à cette disposition du Code civil du Québec .  C'est pourquoi seulement les dommages, troubles et inconvénients et débours encourus en relation avec la promesse d'achat avant le 20 septembre 2010 seront octroyés aux demandeurs.

[70]         Le demandeur Labonté souhaitait relocaliser dans cet immeuble une partie des opérations de son entreprise.  L'objectif poursuivi était tout à fait légitime, mais la preuve offerte ne permet pas de retenir que les demandeurs ont subi un véritable préjudice en n'ayant pas l'opportunité d'acquérir cet immeuble.

[71]         Toutefois, entre le moment de l'offre d'achat soumise par les demandeurs et acceptée par la défenderesse Repida le 25 août 2010 et la publication de l'acte de vente (P-8) intervenue entre Repida et Gobeil, les demandeurs pouvaient espérer que Repida y donnerait suite malgré le droit de premier refus accordé à René dont ils ont été informés le 10 septembre 2010.

[72]         C'est pourquoi les demandeurs étaient bien fondés, même après avoir été avisés que Repida ne consentirait à leur vendre l'immeuble que si le droit de premier refus de René n'était pas exercé, de consulter leurs procureurs afin d'être informés de leurs droits, de communiquer avec un notaire pour préparer l'acte de vente et, enfin, de mettre en demeure Repida de passer titre.

[73]         Nous sommes d'avis que les demandeurs ont droit, contre Repida, à une indemnité de 10 000,00 $, incluant les honoraires du notaire La Rue ainsi que les honoraires de leur avocat, afin de compenser les troubles et inconvénients occasionnés par l'ensemble de ces démarches et pour les dépenses encourues jusqu'au 20 septembre 2010.

D)    La demande reconventionnelle

[74]         Bien sûr, les demandeurs pouvaient, sans nécessairement être de mauvaise foi et abuser de leurs droits, avoir la conviction que l'ensemble des défendeurs avaient agi en fraude de leurs droits et intenter un recours contre eux pour tenter d'obtenir l'annulation de la vente consentie par Repida à Gobeil, pour ensuite avoir gain de cause en passation de titre.

[75]         Si, dans les circonstances, nous sommes d'avis que la preuve ne permet pas de conclure que les demandeurs ont exercé leurs droits d'une manière abusive, il nous faut bien constater que leur action était néanmoins mal fondée à l'égard des défendeurs Danièle et Pierre Binette ainsi que Sylvie Gobeil et ne pouvait être accueillie qu'en partie à l'égard de Repida.

[76]         C'est pourquoi l'action des demandeurs sera accueillie jusqu'à concurrence de 10 000,00 $ contre la défenderesse Repida et rejetée avec dépens en ce qui concerne les défendeurs Danièle et Pierre Binette.

[77]         Quant à la  défenderesse Sylvie Gobeil, l'action des demandeurs sera rejetée avec dépens et sa demande de radiation de la préinscription d'une action en passation de titre et en reconnaissance du droit de propriété publiée sur l'immeuble le 21 septembre 2010 sera accordée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL  :

En ce qui concerne les défendeurs Danièle et Pierre Binette :

[78]         REJETTE l'action des demandeurs avec dépens;

En ce qui concerne la défenderesse Gestion Repida inc. :

[79]         ACCUEILLE l'action des demandeurs pour partie;

[80]         CONDAMNE la défenderesse Gestion Repida inc. à payer aux demandeurs Hubert Labonté et Entreprises & Transports Orléans (1992) Ltée la somme de 10 000,00 $ avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. à compter de l'assignation et les dépens, n'incluant toutefois pas les frais d'expertise;

En ce qui concerne la défenderesse et demanderesse reconventionnelle Sylvie Gobeil :

[81]         REJETTE l'action des demandeurs avec dépens;

[82]         ORDONNE la radiation de la préinscription d'une action en passation de titre et en reconnaissance du droit de propriété publiée le 21 septembre 2010 sous le numéro 17 561 939 sur l'immeuble désigné comme étant le lot 1 738 239 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Québec, portant la désignation suivante :

"Un immeuble désigné sous le lot UN MILLION SEPT CENT TRENTE-HUIT MILLE DEUX CENT TRENTE-NEUF (1 738 239) du CADASTRE DU QUÉBEC, circonscription foncière de QUÉBEC.

Avec bâtisse dessus construite, circonstances et dépendances, portant l'adresse municipale […] , Québec (Québec), […] ."

 

 

__________________________________

JACQUES VIENS, j.c.s.

 

Mes Louis Carrière et Julien Tricart (casier # 130)

Heenan Blaikie Aubut

Procureurs des demandeurs

 

Me Jacqueline Bissonnette (casier # 122)

Poudrier Bradet

Procureurs des défendeurs

 

Me Éric Potvin

Lapointe Rosenstein Marchand

Procureurs de la défenderesse Sylvie Gobeil

 

Dates d’audience :

 

2012-111

31 janvier et 1 er février 2012

 



[1] Vincent Karim, Les obligations , volume 1, 3 e édition, Montréal, Wilson & Lafleur, 2009, p. 297.

[2] Boyer c. Brisebois, 1987 CanLII 405 (QC CA).