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TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N o de dépôt : |
2012-7902 |
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Date : |
30 JUIN 2012 |
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DEVANT L’ARBITRE : |
Me CAROL JOBIN |
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SYNDICAT DES TRAVAILLEUSES(EURS) EN GARDERIE DE MONTRÉAL ET LAVAL (CSN) |
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- Partie syndicale |
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Et |
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CENTRE DE LA PETITE ENFANCE LES MARMOUSETS |
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- Partie patronale |
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Plaignante: |
Mme Agathe Cayo |
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Grief : |
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No 151210-01 |
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Sujet : |
Suspension disciplinaire |
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SENTENCE ARBITRALE |
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(Code du travail, L.R.Q., c. C-27, a.100) |
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I. LE LITIGE
[1] La présente sentence arbitrale se prononce sur le grief No 151210-01 du 15 décembre 2010 soumis pour Mme Agathe Cayo par le Syndicat à l’encontre d’une suspension disciplinaire d’une (1) journée.
[2] Le grief se lit comme suit (S-2) :
Description du grief et réclamation :
En vertu de la convention collective et des lois du travail, je conteste la suspension qui m’a été imposée par mon employeur le 10 décembre 2010. Je réclame le retrait de cette mesure disciplinaire de mon dossier personnel ainsi que toutes notes s’y rattachant. Je réclame le remboursement de mon salaire et des avantages sociaux que j’ai perdu ou que je perdrai. Je réclame également tous les droits prévus à la convention collective ainsi qu’un dédommagement pour les préjudices subis, incluant les dommages moraux et exemplaires, ainsi que le préjudice fiscal, le tout rétroactivement avec intérêts au taux prévu au Code du travail, et sans préjudice aux autres droits dévolus.
[3] L’avis de suspension du 10 décembre 2010 se lit ainsi (S-3) :
Madame Agathe Cayo,
Le 7 décembre dernier, vous avez demandé une journée de maladie pour un rendez-vous personnel, la direction vous a accordé cette journée en vous précisant, tout comme à l’habitude, de prendre soin de préparer un repas pour cette journée, c’est-à-dire seulement le plat principal.
Le 8 décembre dernier, à 10h50 alors que vous étiez en train de couper les portions de la collation de l’après-midi, votre directrice vous fait remarquer que cela était fantastique et que vous alliez pouvoir faire votre préparation du repas du lendemain sans bousculade. Puisque vous ne lui [l’] aviez d’aucune façon informé[e] de ce que vous aviez préparé pour le repas du lendemain et c’est-à-ce moment que vous avez fait le commentaire que vous n’étiez pas payé pour préparer deux repas, que vous êtes payer[ée] pour préparer un repas par jour et de plus la direction l’avait su assez à l’avance pour faire venir une remplaçante.
La direction tient à vous souligner qu’en ce qui concerne la distribution du travail que ce n’est pas de votre responsabilité de voir [à] cela, nous tenons aussi à vous dire qu’il faut gérer le temps de travail de façon efficace.
Ce refus de votre part constitue un geste d’insubordination inacceptable, car ce refus fait suite à un ordre clair de la direction. Il y a même eu de la part de la direction des propositions de repas facile à faire.
Comme il s’agit à nos yeux d’une infraction grave, nous nous voyons dans l’obligation de vous imposer une mesure sévère, soit une suspension d’un (1) jour sans solde, le 13 décembre prochain. Vous reprendrez votre travail le 14 décembre.
Nous tenons à vous rappeler que votre description des tâches dans le cadre de votre travail sont les suivantes : préparer des repas et des collations, s’occuper de l’entretien de la cuisine et des appareils ménagers et de l’équipement. Aussi de préparer des menus selon l’orientation du centre. Et à la demande du centre, administre[r] le budget de la cuisine, tenir à jour la liste des réserves de denrées alimentaires et effectuer les achats nécessaires à son fonctionnement. Travailler en contact avec les enfants si la situation l’exige. Participer aux réunions d’équipe en autant d’être rémunérée. Entretenir et développer des relations harmonieuses avec les membres de l’équipe. Collaborer à l’initiation des nouvelles travailleuses et à évaluer les stagiaires s’il y a lieu.
Soyez enfin avisé[e] que tout autre refus injustifié de votre part pourrait entraîner une mesure disciplinaire plus importante.
(signé)
Louise Décarie
Directrice générale
[4] Il est admis que la procédure de grief a été régulièrement suivie et que l’arbitre est validement saisi du litige.
[5] La partie syndicale conteste qu’il y a eu faute et, subsidiairement, considère que la sanction est trop lourde.
II. LA PREUVE
[6] Madame Agathe Cayo est cuisinière. Elle est à l’emploi du CPE depuis octobre 2008. Sa supérieure hiérarchique est madame Louise Décarie, la directrice générale.
[7] L’Annexe B de la convention collective décrit ainsi les tâches du titre d’emploi de cuisinière (S-1, extrait) :
Cuisinière :
Personne qui prépare les repas et les collations, s’occupe de l’entretien de la cuisine et des appareils ménagers et de l’équipement. Elle prépare les menus selon l’orientation du centre à cet effet. À la demande du Centre, elle administre le budget de la cuisine, tient à jour la liste des réserves de denrées alimentaires et effectue les achats nécessaires à son fonctionnement. Elle travaille en contact avec les enfants si la situation l’exige.
Elle participe aux réunions d’équipe en autant qu’elle soit rémunérée. Elle entretient et développe des relations harmonieuses avec les membres de l’équipe. Elle collabore à l’initiation des nouvelles travailleuses et à l’évaluation des stagiaires s’il y a lieu.
[8] Mme Cayo travaille du lundi au vendredi, de 07h. à 14h. Elle a sommairement décrit une journée-type de travail. En avant-midi, elle fait la vaisselle de la collation de l’après-midi de la veille, elle prépare la collation de l’avant-midi et elle commence la préparation du repas du midi pour environ 80 enfants et 10 adultes. À 11h., elle fait le montage des plateaux. De 11h30 à 12h., elle prend sa pause de repas. Enfin, entre 12h. et 14h., elle fait la vaisselle et prépare la collation de l’après-midi.
[9] Il arrive à Mme Cayo de prendre des journées de congé. Lorsqu’elle s’absente de manière planifiée, elle prévient la directrice générale 3 jours à l’avance ainsi que le lui a demandé cette dernière. Dans de tels cas, Mme Décarie lui demande de préparer quelque chose, généralement une sauce tomate, et de mettre cette préparation au congélateur en vue du dîner de sa journée d’absence. C’est Mme Décarie qui fait le reste pour cette journée (i.e. collation du matin, entrée du dîner, préparation des pâtes alimentaires, préparation du dessert, montage des plateaux et préparation de la collation de l’après-midi).
[10] Les événements qui nous intéressent se déroulent les 7 et 8 décembre 2010. Ils mettent en présence Mme Cayo et Mme Décarie, sans autre témoin.
Le 7 décembre
[11] Le ou vers le 7 décembre, Mme Cayo a prévenu Mme Décarie qu’elle s’absenterait le 9 décembre pour un rendez-vous médical. La directrice lui a alors demandé de préparer quelque chose pour le dîner du 9 décembre.
[12] Selon Mme Cayo, elle lui a répondu qu’elle allait voir tout en lui faisant remarquer que Mme Nancy Cloutier, une préposée à l’entretien, serait absente le lendemain 8 décembre. Mme Décarie n’a rien ajouté. En témoignage, Mme Cayo explique que Mme Cloutier l’aide tous les jours en commençant à faire la vaisselle pendant qu’elle (Mme Cayo) prend sa pause de repas. Mme Cloutier, toutefois, ne travaille pas les mercredis (donc le 8 décembre).
[13] Mme Décarie déclare pour sa part que, le 7 décembre, elle a demandé à Mme Cayo de préparer une sauce tomate pour le repas du 9 décembre. Mme Cayo n’a rien dit. Elle a donc présumé que ce serait fait, comme d’habitude.
[14] Au sujet de l’aide qu’apporterait Mme Cloutier à Mme Cayo à la cuisine, elle précise qu’en juin 2010, elle a été informée du fait que Mme Cloutier effectuait plusieurs travaux à la cuisine (préparation de salade, montage de plateaux, lavage de vaisselle) au point où elle manquait de temps pour faire son travail d’entretien.
[15] Mme Décarie déclare qu’elle a fait une mise au point à l’intention de mesdames Cayo et Cloutier. Elle a clarifié la situation. Mme Cloutier devait s’occuper des commandes de marchandises arrivant à la cuisine mais, pour le reste, ses tâches de préposée à l’entretien étaient prioritaires. Elle a avisé ces deux personnes que si la cuisinière désirait l’assistance de Mme Cloutier pour toute autre tâche, elle devait en faire la demande à la directrice.
Le 8 décembre
[16] En avant-midi, à 10h50, Mme Décarie et Mme Cayo ont eu une conversation au sujet de la préparation de repas demandée la veille pour le dîner du 9 décembre.
Version de Mme Cayo
[17] Mme Décarie lui a demandé ce qu’elle avait préparé pour le repas du lendemain, ce à quoi elle a répondu qu’elle n’avait rien préparé et qu’elle avait prévenu de son absence suffisamment à l’avance pour être remplacée le 9 décembre.
[18] Mme Décarie lui a alors suggéré de préparer, vite fait, un riz au poulet et légumes. Elle lui a répondu qu’elle n’avait pas le temps mais qu’elle pourrait le faire, après ses heures régulières de travail, et en étant payée en temps supplémentaire. Mme Décarie lui a alors répondu que, si elle voulait « jouer à ça, ça peut se jouer à deux ». Ce fut tout.
[19] Mme Cayo précise qu’à 10h50, elle était en train de monter les plateaux pour le dîner, elle avait un œil sur le mets principal qui était au four et elle devait voir à la collation de l’après-midi qui était aussi au four.
[20] Ce jour-là, il n’y avait pas au congélateur de sauce tomate déjà préparée. Mme Cayo déclare que préparer un riz tel que demandé est une activité qui prend de 2 à 3 heures. Elle reconnaît par ailleurs qu’il ne s’agit pas d’un travail continu qui dure de 2 à 3 heures. Elle peut faire autre chose durant cette période.
[21] À la question de savoir si elle pouvait tout de même débuter la préparation du riz, Mme Cayo répond en énumérant à nouveau ce qu’elle était en train de faire à 10h50 pour conclure qu’elle n’avait pas le temps.
[22] Elle ajoute que Mme Décarie lui a dit qu’elle (Mme Cayo) avait le temps et elle lui a offert, pour l’aider, de couper à sa place les « muffins ».
[23] Mme Cayo a aussi déclaré qu’avant cet événement, Mme Décarie ne lui avait jamais demandé de préparer deux repas lors d’une même journée de travail.
Version de Mme Décarie
[24] Selon Mme Décarie, elle a abordé Mme Cayo en lui disant qu’elle était heureuse de voir qu’elle était avancée dans son travail de sorte qu’elle pourrait, sans bousculade, faire la préparation pour le dîner du lendemain. Mme Cayo était en train de couper les gâteaux pour la collation de l’après-midi et ses plateaux pour le dîner étaient déjà montés.
[25] Mme Cayo lui a alors dit qu’elle ne préparerait pas le repas du lendemain. Mme Décarie lui a suggéré de préparer un riz au poulet et légumes en lui disant qu’il suffisait de faire bouillir le riz et de tout mettre dans une casserole au réfrigérateur. Mme Décarie précise que l’on n’a qu’à ajouter le poulet précuit et les légumes.
[26] Mme Cayo lui a répondu qu’elle était payée pour préparer un (1) repas (dîner) par jour et non pas deux. Mme Décarie lui a alors demandé si elle refusait. Mme Cayo lui a répondu affirmativement en ajoutant que, si elle voulait qu’elle prépare le repas, elle le ferait après sa journée de travail et en étant payée en conséquence. Elle lui a aussi rappelé qu’elle avait avisé de son absence assez à l’avance pour que la direction puisse la remplacer le 9 décembre.
[27] Mme Décarie déclare qu’elle a tenté de faire comprendre à Mme Cayo qu’elle ne lui demandait pas de préparer un repas au complet mais seulement une partie. Le ton montant et trouvant la situation très désagréable, elle est retournée à son bureau.
[28] Mme Décarie déclare également qu’elle ne comprenait pas pourquoi, tout à coup, Mme Cayo refusait de collaborer comme elle le faisait auparavant.
[29] Au sujet de la sanction, Mme Décarie déclare que beaucoup d’employées lui avaient déjà fait des commentaires au sujet de la cuisinière. Elle donne des exemples. Elle rappelle la mise au point qu’elle a dû faire au sujet du travail de Mme Cloutier à la cuisine. Elle mentionne qu’en mars 2010, « il y a eu un avis correctif avec proposition de soutien ». Elle déclare également que l’événement du 8 décembre fut « la goutte qui a fait déborder le vase ».
[30] Mme Cayo n’a aucune mesure disciplinaire à son dossier. À ce sujet, l’article 14.05 de la convention collective prévoit la péremption des mesures datant de plus de 6 mois, sauf en cas de récidive et le retrait de toute mesure au dossier après 12 mois.
III. ARGUMENTATIONS
Partie patronale
[31] La salariée a refusé d’exécuter une tâche. Elle devait obéir et se plaindre ensuite. La question de savoir si elle avait le temps d’exécuter le travail n’est pas pertinente.
[32] La sanction est proportionnée. On doit tenir compte des facteurs suivants : (1) le ton employé fut très désagréable, (2) Mme Cayo ne fut pas prise par surprise, elle connaissait la demande de la directrice, (3) cette dernière lui a offert de l’aide.
Partie syndicale
[33] L’Employeur n’avait pas l’obligation de remplacer la salariée absente mais il ne pouvait lui imposer un supplément de travail en raison de son absence.
[34] Bien qu’elle l’ait fait, par esprit de collaboration, Mme Cayo n’avait aucune obligation de prévenir de son absence trois jours à l’avance. La convention collective ne prévoit pas cette condition.
[35] L’Employeur aurait pu offrir à la salariée d’effectuer le travail à la fin de sa journée si nécessaire. La directrice n’a pas répondu à la demande de Mme Cayo à ce sujet.
[36] L’Employeur a évoqué que l’incident était la goutte qui a fait déborder le vase. Il n’y a aucune autre mesure au dossier de la salariée.
[37] Il n’y a pas eu de faute. L’Employeur a agi de façon déraisonnable en n’envisageant pas une solution à la situation autre que le recours à une mesure disciplinaire.
[38] Si l’arbitre retient qu’il y a eu faute, on fait valoir les circonstances atténuantes suivantes : (1) la salariée avait 2,5 ans d’ancienneté; (2) elle n’a aucune mesure à son dossier; (3) il n’y a pas eu progression dans la sanction (voir art. 14.05 de la convention); (4) le 8 décembre, elle ne bénéficiait pas de l’aide de Mme Cloutier; (5) elle a proposé de faire le travail en temps supplémentaire, ce que l’Employeur aurait pu accepter si nécessaire; (6) on a stressé la salariée plutôt que de la rassurer.
[39] En terminant, le procureur déclare que le Syndicat et la salariée étaient prêts à faire un compromis pour régler ce grief étant donné les coûts de l’arbitrage. Il estime que, peu importe la décision, les deux parties en ressortiront perdantes.
Réplique
[40] Sur le dernier commentaire, la procureure déclare que les offres de règlement ne solutionnaient pas le problème et elle ajoute : « l’Employeur doit demeurer crédible face aux employées ».
IV. ANALYSE
[41] Comme il arrive parfois, malheureusement, c’est à l’occasion d’un cas d’espèce relativement simple qu’on se met à élargir le débat en lui trouvant toutes sortes de ramifications mettant en cause des aspects que, sur le coup, personne n’avait réellement envisagés.
[42] N’aurait-on pas dû remplacer Mme Cayo? Avait-elle à prévenir trois jours à l’avance de son absence? Pourquoi n’y a-t-il personne sur la liste de rappel pour le titre d’emploi de cuisinière? Pourquoi l’Employeur n’a-t-il pas offert du temps supplémentaire comme le suggérerait l’article 17.02 de la convention? Comment opère-t-on en semblable circonstance dans la seconde installation? Etc..
[43] Nous sommes en matière disciplinaire. On reproche à la salariée un comportement d’insubordination prenant la forme du refus d’exécuter une tâche demandée par sa supérieure hiérarchique. Il s’agit de déterminer si ce reproche est fondé, c’est-à-dire s’il y a eu faute qui soit matière à sanction. Puis, dans l’affirmative, il s’agit de déterminer si la sanction imposée, compte tenu de toutes les circonstances, était justifiée ou disproportionnée.
[44] Ce litige tient de façon immédiate à une conversation de quelques minutes entre deux personnes.
[45] En toile de fond, il y a un modus operandi ou une façon de faire dans le cas où la cuisinière, Mme Cayo, s’absente une journée de façon prévisible. Il est important de noter que, jusqu’à la conversation « désagréable » du 9 décembre, personne ne remettait en question cette façon de faire.
[46] Ainsi, quand Mme Cayo savait à l’avance qu’elle s’absenterait durant une journée, elle en prévenait Mme Décarie, quelques jours à l’avance, et des dispositions étaient prises pour que soit préparé la base du mets principal du dîner de la journée de son absence. Ce pouvait être une sauce tomate ou autre chose. La journée de l’absence, c’était la directrice qui non seulement préparait le dîner à partir de cette base mais aussi qui exécutait tout le reste des tâches essentielles de la cuisinière.
[47] Je ne vois aucun motif, pour les fins de solutionner le présent litige, de remettre en cause cette réalité que mesdames Cayo et Décarie ont décrite. C’était là la façon habituelle et normale de procéder en pareille circonstance.
[48] Également en toile de fond, il y a ce que j’appellerais un « passif relationnel » entre mesdames Décarie et Cayo. Des employées ont critiqué le travail de cette dernière. Il y a eu une mise au point de Mme Décarie au sujet de l’utilisation des services de Mme Cloutier à la cuisine. Mme Décarie a « entrepris des avis de correction pour modifier les façons de faire et utiliser adéquatement le matériel de la cuisine ». En mars 2010, il y a eu « un avis correctif » dont on ignore s’il s’agit d’une mesure disciplinaire, auquel cas il n’aurait pas été admissible en preuve compte tenu de l’article 14.05 de la convention.
[49] Bref, on ne saurait présumer des rapports chaleureux ou simplement cordiaux entre ces deux personnes sinon comment comprendre la teneur de leur conversation du 8 décembre qui fut « la goutte qui a fait déborder le vase »?
[50] Le ou vers le 7 décembre, Mme Cayo prévient de son absence et on lui demande de préparer « quelque chose » (selon Mme Cayo) ou une « sauce tomate » (selon Mme Décarie). La réponse de Mme Cayo (selon sa version) n’augure rien de bon. Elle « verra » parce que, le 9 décembre, Nancy Trottier ne sera pas là. On sait que son travail à la cuisine a déjà été un sujet de mise au point. Selon Mme Décarie, Mme Cayo n’a rien dit. Elle en a présumé un accord. Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’était pas empressé.
[51] Le 8 décembre à 10h50 (au moins on s’entend sur l’heure), Mme Décarie vient s’assurer que quelque chose est préparé ou en voie de l’être. Voyant le travail de la journée déjà bien avancé, elle est enthousiaste. Elle va vite déchanter.
[52] Il importe de bien identifier la première réaction de Mme Cayo. Selon sa version, elle lui rappelle qu’elle l’a prévenue lundi (le 6 décembre) de son absence et que cela laissait à la directrice amplement le temps de trouver quelqu’un pour la remplacer.
[53] Cette réponse remet en cause la façon habituelle de procéder. Jamais il n’y a eu de remplacement pour une journée d’absence et Mme Cayo le sait. Et, toujours selon sa version, quand Mme Décarie lui a demandé de préparer quelque chose (6 ou 7 décembre), il n’a nullement été question de remplacement. Mme Cayo a dit (selon elle) qu’elle « verrait » en faisant référence à l’absence de Mme Trottier, ce qui n’a rien à voir avec l’hypothèse d’un remplacement. En toute logique, Mme Cayo devait être consciente qu’avec sa réponse du 8 décembre (disant qu’elle avait prévenu à l’avance de son absence, permettant ainsi de lui trouver une remplaçante), elle prenait Mme Décarie au dépourvu par rapport à leur conversation précédente.
[54] Toujours selon Mme Cayo, ce n’est qu’alors que Mme Décarie suggère de préparer un riz. Mme Cayo répond qu’elle n’a pas le temps, ce qui constitue un refus avec motif.
[55] Mme Décarie pose la question. Est-ce un refus? Oui mais, reprend Mme Cayo, « si tu veux, je vais le faire après mes heures de travail et tu vas me payer mes heures supplémentaires ».
[56] Nous touchons ici au fond de la question. Pour Mme Cayo, on lui demande un supplément de travail. Elle est payée pour son travail habituel qui comporte qu’elle prépare deux collations et un repas par jour. Selon elle, on lui demande alors de préparer un deuxième repas. Elle n’est pas payée pour cela. Cela n’entre pas dans sa journée normale de travail. Si on veut qu’elle le fasse, elle le fera après sa journée régulière de travail et on devra la payer en temps supplémentaire.
[57] Ce raisonnement est fautif ou inexact. La cuisinière, selon sa description de tâches figurant à la convention collective, « prépare les repas et les collations ». La routine et la normalité veulent que ce soit deux collations et un repas par jour. Mais rien n’indique que cela se limite à ces nombres. Il arrive qu’il soit nécessaire ou simplement utile d’en faire davantage. On peut augmenter la recette ou ajouter des items pour se constituer des réserves et prendre de l’avance. De plus, le fait de préparer à l’avance la base d’un repas ne signifie pas qu’on prépare un repas complet. L’affirmation selon laquelle on demandait à Mme Cayo de faire un deuxième repas à l’intérieur de sa journée est inexacte. Il s’agissait d’une préparation partielle.
[58] L’Employeur avait le droit d’émettre une directive ou de demander à la cuisinière d’exécuter une tâche qui relevait de sa fonction. En principe, la personne salariée doit suivre ces directives à moins d’une raison grave et impérieuse. Je n’entre pas dans le détail des exceptions à la maxime « obéir maintenant et se plaindre plus tard » (ou faire grief). La présente situation ne correspond à aucune de ces exceptions.
[59] Il reste toutefois le motif qui a été invoqué, à savoir que Mme Cayo a déclaré qu’elle n’avait pas le temps. Là-dessus, son témoignage et celui de Mme Décarie se contredisent. Il est toutefois reconnu que Mme Décarie a offert son aide (couper les gâteaux) pour mieux permettre à Mme Cayo de préparer le riz. Cela, apparemment, n’a pas satisfait Mme Cayo. Ultimement (ce ne fut pas sa première réponse), elle s’est dite prête à faire le riz « après ma journée de travail » étant entendu que ce serait du temps supplémentaire.
[60] Il est possible que Mme Cayo aurait manqué de temps pour préparer complètement le riz avant 14h00. Mais cela n’était pas un motif valable pour ne pas débuter le travail demandé durant son horaire, au moment où cela lui fut demandé ou dès que possible. À l’impossible, nul n’est tenu. Si Mme Cayo, travaillant normalement et utilisant tout le temps alloué par son horaire régulier, n’avait pu parvenir au résultat escompté par la directrice, elle aurait été en droit et sa directrice aurait été dans l’obligation de donner une nouvelle directive. Alors, se serait éventuellement créée une situation donnant droit à du temps supplémentaire rémunéré comme prévu à l’article 17 de la convention.
[61] Mais l’attitude de Mme Cayo fut toute autre. Sans retenir l’offre de Mme Décarie d’effectuer une de ses tâches pour lui donner plus de temps pour faire un riz, elle a adopté comme position qu’elle ne ferait le riz qu’après sa journée normale. Cela excluait qu’elle commence à exécuter à l’intérieur de son horaire régulier le travail demandé.
[62] Ce fut sa position, clairement énoncée et il s’agit d’un manquement fautif à l’obligation d’exécuter un travail selon les directives de l’Employeur.
La sanction
[63] La convention collective prévoit (S-1) mes soulignements :
ARTICLE 14 MESURES DISCIPLINAIRES
14.01 Principe et définition
Les mesures disciplinaires doivent être appliquées avec justice et équité, ainsi que de manière progressive et uniforme.
Selon la gravité et la fréquence des offenses commises et tenant compte des circonstances, l’une et l’autre des mesures disciplinaires suivantes peuvent être prises :
- avertissement verbal (en présence d’une déléguée syndicale);
- avertissement écrit;
- suspension;
- congédiement.
(…)
14.04 Progression
a) Sauf dans le cas d’une offense grave, l’employeur convient de ne pas recourir à l’usage de la suspension ou du congédiement avant d’avoir, au préalable, déjà averti la travailleuse au moins une (1) fois par écrit pour une offense de même nature .
b) De même, sauf dans le cas d’une offense grave, il est convenu que l’employeur procédera à une suspension avant d’avoir recours à un congédiement.
14.05 Délai de péremption
Pour fins de mesure disciplinaire, l’employeur ne peut invoquer ou tenir compte des avertissements, avis ou mesures disciplinaires qui remontent à plus de six (6) mois, sauf si la faute reprochée constitue une récidive. Toutefois, tout avis disciplinaire est annulé et retiré du dossier après douze (12) mois.
[64] Mme Cayo n’a rien à son dossier disciplinaire compte tenu de l’article 14.05.
[65] Elle a été suspendue. La suspension d’une (1) journée peut sembler relativement légère mais il s’agit néanmoins d’une suspension.
[66] Les parties ont convenu et l’Employeur s’est engagé à n’imposer une suspension qu’après un avertissement écrit pour une offense de même nature. Ce n’est pas le cas de Mme Cayo.
[67] La seule exception à cette règle convenue de progression dans les sanctions est « l’offense grave ».
[68] Dans le présent cas, je considère qu’il ne s’agit pas d’une offense grave. Le tout s’est déroulé en quelques minutes, la conversation prenant rapidement un ton désagréable avec le stress inhérent, sans que l’on prenne véritablement le temps de s’expliquer calmement. Il n’y a pas de preuve qu’on se soit reparlé avant l’imposition de la mesure qui est intervenue dès le lendemain de l’absence, le 10 décembre.
[69] Mme Décarie dit bien que « ce fut la goutte qui a fait déborder le vase ». J’y vois le motif déterminant du fait d’avoir imposé une suspension plutôt qu’un avertissement écrit. L’article 14 exige que l’on mette en preuve non seulement la goutte mais aussi le vase et ce, dans la mesure où la convention le permet, c’est-à-dire sans tenir compte des manquements périmés (art. 14.05).
[70] Il semble aussi, d’après le dernier commentaire de la procureure patronale (i.e. « l’Employeur doit demeurer crédible face aux employées ») que la sanction non progressive puisse être l’écho que l’on a voulu donner aux critiques de collègues à l’endroit de Mme Cayo.
[71] Toutes doivent être conscientes que l’Employeur est lié par la convention collective en matière de progressivité de sanction et qu’il ne faut pas mélanger les genres. On ne peut prendre prétexte d’un incident circonscrit pour régler d’autres comptes.
[72] Tous ces motifs m’amènent à conclure que la suspension imposée contrevient à l’article 14.04 a) et qu’en conséquence, il y a lieu de lui substituer un avertissement écrit au dossier.
V. DISPOSITIF
POUR CES MOTIFS, L’ARBITRE :
- ACCUEILLE PARTIELLEMENT LE GRIEF No 151210-01 DE MADAME AGATHE CAYO;
- DÉCLARE QUE L’EMPLOYEUR ÉTAIT JUSTIFIÉ DE CONSIDÉRER QU’IL Y AVAIT FAUTE D’INSUBORDINATION;
- DÉCLARE QUE, DANS LES CIRCONSTANCES, LA SANCTION IMPOSÉE CONTREVIENT À L’ARTICLE 14.04 a) DE LA CONVENTION COLLECTIVE;
- EN CONSÉQUENCE, ANNULE LA SUSPENSION IMPOSÉE ET LUI SUBSTITUE UN AVERTISSEMENT ÉCRIT;
-
ORDONNE À L’EMPLOYEUR DE REMBOURSER À LA SALARIÉE LE SALAIRE PERDU ET LES
AVANTAGES SOCIAUX AVEC INTÉRÊTS ET INDEMNITÉ PRÉVUS À L’ARTICLE
- REJETTE LES AUTRES RÉCLAMATIONS QUI, AU DEMEURANT, N’ONT PAS FAIT L’OBJET DE PREUVE.
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________________________________ __ Me Carol Jobin, arbitre |
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Pour la partie syndicale : |
M. Étienne Frégault (FSSS-CSN) |
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Pour la partie patronale : |
Me Émilie Grenon (Régnier Avocats) |
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Nomination : |
par la convention collective, 1 er juin 2011 |
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Audience : |
Montréal, 23 mai 2012 |
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ANNEXE : COMPOSITION DU DOSSIER
A) Pièces
S-1 Convention collective 2001-2003
S-2 Grief No 151210-01 (15-12-10)
S-3 Avis de suspension disciplinaire (10-12-10)
S-4 Grief syndical No 211011-01 (21-11-11)
P-1 en liasse, Avis d’absence, période du 27 avril 2009 au 9 décembre 2010 (nombre : 12)
B) Témoins
- Mme Agathe Cayo, cuisinière et plaignante
- Mme Louise Décarie, directrice générale
C) Autorités soumises
Partie syndicale
JS-1 Blouin, R. et Morin, F., Droit de l’arbitrage de grief, 5 e éd., Ed Yvon Blais, extrait, pp. 550-551 et 560-561
Partie patronale
- aucune