Boutin c. Commission des lésions professionnelles

2012 QCCS 3117

JS1368

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

N° :

200-17-015895-121

 

 

DATE :

LE 14 JUIN 2012

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE 

L’HONORABLE

CLÉMENT SAMSON, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

RICHARD BOUTIN , domicilié et résidant au […], Saint-Malo, Québec, […]

Requérant

c.

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES , Tribunal administratif ayant sa place d'affaires au 900 Place d'Youville, 7 e étage, Québec, Québec G1R 3P7

Intimée

et

COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL, corporation publique ayant sa place d'affaires au 524 Bourdages, Québec, Québec, G1M 1A1

Mise en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

SUR REQUÊTE EN RÉVISION JUDICIAIRE

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[1]          La décision rendue par la Commission des lésions professionnelles (CLP) le 21 décembre 2011 est contestée par le requérant Richard Boutin (travailleur) qui la croit déraisonnable en ce que, à ses yeux, elle nie l'existence d'une hernie discale et en ce qu'elle l'oblige à poursuivre sa carrière dans un emploi non convenable.

LES FAITS

[2]          Le 19 février 2008, le travailleur se considère victime d'un accident du travail alors qu'il exerce son emploi de chauffeur.

[3]          Le 22 septembre 2010, à la suite d'une révision administrative, la mise en cause rend une décision à l'égard du travailleur. Il convient de reproduire certains passages de cette décision:

«Le 5 juillet 2010, le travailleur demande la révision de la décision de la Commission du 23 octobre 2009. Par cette décision, la Commission refuse la relation entre le nouveau diagnostic de hernie discale L4-L5 postéro-centrale et l'événement du 19 février 2008 et l'informe qu'il n'a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (ci-après la Loi) en regard de ce diagnostic.

(…) Les éléments suivants sont retenus. (…)

À compter du 26 mars 2008, le Dr Landry assure le suivi médical. Elle pose le diagnostic d'entorse lombaire et plus ou moins de hernie avec radiculopathie douloureuse et atteinte motrice gauche droite.

Le 10 mars 2009, le médecin traitant pose le nouveau diagnostic de hernie discale importante L4-L5 postéro-centrale à la résonance magnétique et le 8 avril 2009, elle retient le diagnostic de hernie discale postéro-centrale L4-L5 avec neuropathie sensitivo-motrice bilatérale.

Le 21 juillet 2009, Le Dr Landry complète un rapport final sur lequel elle maintient le diagnostic de hernie discale L4-L5 centrale importante avec irradiation mi sensitivo-motrice bilatérale avec spasmes musculaires (…)»

[4]          Ces constatations étant faites, la mise en cause conclut que, étant donné que le travailleur n'avait pas produit sa demande de révision à l'intérieur du délai de trente (30) jours prévu à la Loi, celle-ci est déclarée irrecevable.

[5]          Le 15 novembre 2010, le travailleur dépose une requête devamt la CLP demandant d'être relevé du défaut vu le motif raisonnable qu'il avait à cet égard et de faire déclarer que la hernie discale était en lien avec l'événement du 19 février 2008. Son procureur écrit:

«L'OBJET DE LA CONTESTATION

[6]         Le travailleur demande d'abord de déclarer qu'il fait valoir un motif raisonnable lui permettant d'être relevé du défaut d'avoir demandé, le 5 juillet 2010, la révision de la décision rendue par la CSST en date du 23 octobre 2009, laquelle refusait de reconnaître la relation entre le diagnostic de hernie discale L4-L5 postéro-centrale et l'événement du 19 février 2008.

[7]         Le cas échéant, le travailleur demande ensuite de déclarer que cette hernie discale est en lien avec l'événement du 19 février 2008.»

[6]          Le 20 décembre 2011, conformément aux articles 369 et ss. de la Loi [1] , la CLP rend une décision défavorable au travailleur, dont les deux principales conclusions contestées se lisent ainsi:

« DÉCLARE qu'en l'absence de diagnostic de hernie discale L4-L5 postéro-centrale, celui-ci ne peut être relié à la lésion professionnelle du 19 février 2008;

DÉCLARE que l'emploi de livreur de petits colis, dont le revenu annuel estimé à 18 778,40 $ constitue un emploi convenable;»

[7]          Le travailleur allègue que la décision est illégale et déraisonnable, notamment en ce qu'elle ne se fonde pas sur la preuve pour conclure que le travailleur souffre d'une hernie discale et que ce diagnostic a un impact sur sa capacité de travail qui l'amène à ne pas pouvoir exercer à terme l'emploi qui lui est reconnu comme "emploi convenable" dans la décision contestée.

[8]          Le travailleur se plaint particulièrement de l'inadéquation entre la preuve administrée et les conclusions qu'en tire la CLP.

[9]          Pour rendre cette décision, la CLP bénéficiait du dossier complet de la mise en cause et des copies des procédures d'appel. Le travailleur a de plus produit une expertise et un complément d'expertise de l'orthopédiste Jean-François Roy, lequel a été le seul témoin entendu lors de l'audience. Ce dernier a déposé des extraits de littérature médicale pertinents à la cause. C'était là la preuve dont disposait la CLP.

ANALYSE ET DISCUSSION

[10]         Ce Tribunal ne siège pas en appel de la décision du 20 décembre 2011 de la CLP. Il exerce son pouvoir de contrôle et de surveillance.

[11]         Pour ce faire, les parties ont reconnu que, au sens de la décision Dunsmuir [2] de la Cour Suprême, la norme de contrôle était celle du caractère raisonnable de la décision rendue:

«47. (…) Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.»

[12]         La CLP pouvait-elle remettre en cause la condition médicale du travailleur? Dans le respect de la norme du caractère raisonnable de la décision, cette question doit être tranchée avant même de discuter de sa possibilité d'un retour sur le marché du travail et des conditions l'encadrant.

hernie discale ou entorse lombaire

[13]         Le travailleur prétend que la question qu'avait à traiter la CLP était d'abord de connaître le lien entre une hernie discale et l'accident du travail. Or, la CLP nie l'existence même de hernie discale, et ce, en onze paragraphes dont il convient de reproduire le contenu:

[149] Le travailleur prétend que la hernie discale L4-L5 postéro-centrale démontrée à l'imagerie par résonance magnétique du 3 mars 2009 est reliée à l'événement du 19 février 2008.

[150] Encore faudrait-il qu'il soit démontré de façon prépondérante que le diagnostic de hernie discale fût posé et retenu avant de décider si celui-ci peut être relié à la lésion professionnelle du travailleur.

[151] Or la preuve médicale est unanime, un tel diagnostic n'a jamais été ni posé ni retenu en l'espèce.

[152] Tout d'abord, le 21 octobre 2008, le docteur Lambert, physiatre, détermine qu'il n'existe pas de signe clinique neurologique franc et pose le diagnostic de lombalgie d'étiologie mixte. Ensuite, le 20 février 2009, le docteur De Médicis, anesthésiologiste, constate quant à lui l'absence de signe neurologique à l'examen clinique et pose lui aussi le diagnostic de lombalgie qu'il qualifie de chronique.

[153] Enfin, tant le docteur Turcotte que le docteur Roy, respectivement les 28 août 2009 et 3 février 2011, concluent qu'il n'y a aucune atteinte neurologique ou d'éléments de compression radiculaire chez le travailleur à l'examen clinique.

[154] Le tribunal retient donc que ces quatre médecins, en l'absence de tout signe clinique, posent soit le diagnostic de lombalgie ou d'entorse lombaire et écarte celui de hernie discale.

[155] Dans son rapport du 10 mars 2009, la docteure Landry ne fait que rapporter l'image de hernie discale L4-L5 postéro-centrale décrite par le radiologiste à l'imagerie par résonance magnétique du 3 mars précédent puisqu'elle écrit «hernie discale L4-L5 à l'IRM».

[156] Le procureur du travailleur soutient pour sa part, malgré l'absence de déficit anatomophysiologique correspondant au barème, qu'il existe tout de même une hernie discale et que celle-ci peut être reconnue.

[157] Du point de vue médico-légal, le législateur a fait le choix d'octroyer une indemnité pour préjudice corporel dans le cadre de l'application du barème pour une hernie discale non opérée pourvu qu'elle soit prouvée cliniquement et par tests spécifiques. Ce choix du législateur d'exiger ces deux conditions se conçoit aisément dans le cadre de l'administration d'un régime d'indemnisation tel que celui prévu à la loi.

[158] Cependant, du point de vue médical, malgré les images de «hernie discale importante à L4 L5 en postéro-central ainsi que des hernies discales sans effet à L5 S1 en postéro-central et à L2 L3 en postéro-central», décrites par le radiologiste à l'imagerie par résonance magnétique du 3 mars 2009, les docteurs Turcotte et Roy, à l'issue de leur examen respectif, n'ont jamais émis de diagnostic de hernie discale lombaire chez le travailleur, et ce, à quelque niveau que ce soit en raison l'absence de tout signe clinique.

[159] En fonction de la preuve médicale très fortement prépondérante, le tribunal juge qu'il n'existe pas de diagnostic de hernie discale L4-L5 postéro-centrale en l'espèce et qu'il est par le fait même impossible de relier un diagnostic inexistant à la lésion professionnelle du travailleur.»

[14]         Avant de discuter plus avant de cette décision, il convient de rappeler sommairement le processus contenu dans la Loi:

14.1.      L'article 200 prescrit que le médecin qui a charge du travailleur doit compléter un rapport sommaire comportant la date de l'accident, le diagnostic principal et la période prévisible de consolidation de la lésion, le fait que le travailleur soit en attente de traitements et la possibilité de séquelles permanentes;

14.2.      L'article 204 prévoit que la Commission peut exiger que le travailleur se soumette à une contre-expertise;

14.3.      En cas de divergence entre les professionnels de la santé, la Commission peut transmettre ses rapports au Bureau d'évaluation médicale (article 205.1);

14.4.      Le Bureau d'évaluation médicale infirme ou confirme le diagnostic du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la mise en cause (article 221);

14.5.      La Commission est liée par le diagnostic du médecin qui a charge du travailleur ou, le cas échéant, du Bureau d'évaluation médicale (articles 224 et 224.1);

14.6.      Personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée (article 358, deuxième alinéa).

[15]         Si la mise en cause est liée par le diagnostic de hernie discale, il serait inapproprié pour la CLP de contester en soi cette question. Et encore moins de conclure que la preuve contraire de la présence de hernie discale est unanime.

[16]         Voyons d'abord comment la mise en cause a qualifié ce dont souffrait le travailleur. Ensuite, le Tribunal révisera les rapports médicaux et le témoignage du docteur Roy.

[17]         Le 23 octobre 2009, le travailleur est informé par la mise en cause de l'absence de relation entre la hernie discale et l'accident du 19 février 2008:

«Nous avons reçu un rapport médical du Dr Landry mentionnant le nouveau diagnostic de hernie discale L4-L5 postéro-centrale. Après étude de votre dossier, nous concluons qu'il n'y a pas de relation entre le nouveau diagnostic de hernie discale L4-L5 postéro-centrale et l'événement du 19 février 2008. Vous n'avez donc pas droit à des indemnités pour la hernie discale L4-L5 postéro-centrale mais vous continuerez à recevoir les indemnités que la CSST vous verse en raison de l'entorse lombaire et étirement mus.c.d.»

[18]         Lorsque la mise en cause écrit dans la citation contenue au paragraphe précédent « nouveau diagnostic », elle fait référence au rapport final du 21 juillet 2009 du docteur Landry, médecin qui a charge du travailleur. À défaut d'avoir contesté devant le Bureau d'évaluation médicale, la mise en cause est liée par ce diagnostic.

[19]         Le Tribunal a reproduit au paragraphe [3] du présent jugement certains passages de la décision du 22 septembre 2010. Or, dans cette décision en révision administrative, la mise en cause fait de nouveau référence à ce rapport final.

[20]         Il est vrai que le docteur Landry a recommandé le travailleur au docteur Turcotte afin qu'il complète le rapport d'évaluation médicale en définissant les limitations fonctionnelles du travailleur. Or, suite à une rencontre avec le travailleur le 28 août 2009, ce dernier a contredit le médecin « qui a charge du travailleur » en ajoutant un diagnostic d'entorse lombaire.

[21]         Ce rapport est postérieur au rapport final du médecin qui a charge du travailleur. Il n'est pas le médecin avec lequel la mise en cause est liée au sens de la loi.

[22]         Dès lors que le diagnostic médical avec lequel la mise en cause est liée n'est pas reconnu par la CLP, le débat judiciaire dévie. Il n'était donc pas « raisonnable » pour la CLP d'en venir à cette conclusion. Ce tribunal administratif et le travailleur ne se sont pas entendus, dès le départ, sur les conclusions possibles de cette affaire. Le premier était à la recherche de l'identification de la maladie (entorse ou hernie) alors que le second voulait démontrer le lien entre "hernie" et "accident".

[23]         Pour plus de prudence, voyons maintenant comment le débat a évolué lors de l'audition.

[24]         Le docteur Jean-François Roy, chirurgien orthopédiste, spécialiste de la colonne vertébrale depuis plus de 20 ans, est l'expert qui a témoigné le 21 novembre 2011 devant la CLP. Il réalise environ 200 chirurgies de la colonne vertébrale par année [3] .

[25]         Lors de son témoignage, d'entrée de jeu, il situe le cœur du litige:

«En fait, il y a deux (2) choses là-dedans, il y a les barèmes de la CSST et il y a la clinique, le côté médical, les barèmes de la CSST, malheureusement, pour accepter un diagnostic de hernie discale il faut que tu aies des signes cliniques compatibles, donc une compression radiculaire, grosso modo, donc, ça peut être un engourdissement dans la jambe, une faiblesse dans la jambe sur un territoire précis, des réflexes qui sont abolis, le tripode ou le Lasègne, qui sont des signes de compression radiculaire due à une hernie discale. Si on n'a pas des signes cliniques, théoriquement le diagnostic de hernie discale du point de vue des barèmes de la CSST n'est pas acceptable, en fait on met le diagnostic d'entorse lombaire puis ce qu'on appelle entorse discogénique ou «due disk», mais le diagnostic de hernie discale n'est pas retenu.

Par contre, du point de vue clinique, il est bien connu qu'une hernie discale peut donner une lombalgie, une lombalgie ce qu'on appelle discogénique, «due disk», un mal de dos dû au disque, donc, une hernie discale qui ne comprime pas de nerf peut donner une douleur dans le bas du dos, puis habituellement c'est des douleurs autant assis que debout, autant, donc, la position assise que debout et par la flexion intérieure de la colonne.»

[26]         De fait, lorsque le docteur Roy a rencontré le travailleur, celui-ci souffrait d'un engourdissement dans la jambe du côté droit [4] .

[27]         L'existence de la hernie discale a été confirmée par un test objectif, celui de la résonance magnétique que le docteur Roy commente de la façon suivante:

«Ça c'est une hernie, ça c'est un… ça fait que, si on regarde L4-L5, on voit la ligne et derrière la ligne il y a un morceau de Jello qui va vers l'arrière puis qui remonte un petit peu vers le haut par rapport au centre, ça fait que ça c'est ce qu'on appelle une hernie discale.» [5]

[28]         Faisant le lien avec cette image de résonance magnétique, le docteur Roy fait le lien de cause à effet entre cette hernie discale et la douleur à la jambe dont il est question plus haut [6] .

[29]         Par contre, le docteur Roy reconnaît également que cette hernie discale ne crée pas de compression radiculaire, savoir un contact entre les nerfs et l'épine dorsale. Cet état fait en sorte que, d'après le procureur du travailleur, il n'y aurait pas pour le moment de compensation monétaire pour un déficit anatomophysiologique au sens des barèmes d'indemnisation de la CLP. Ce n'est d'ailleurs pas ce que recherchait le travailleur. À cet égard, le rapport écrit du docteur Roy est précis:

« Monsieur Boutin a eu une hernie discale centrale au niveau L4-L5. Cette hernie discale est symptomatique et est la cause des douleurs chez monsieur Boutin.

Étant donné qu'il ne présente aucune atteinte radiculaire, on ne peut accorder un DAP concordant à la hernie discale puisque ce DAP est en relation avec une atteinte radiculaire. Le patient doit avoir des signes objectifs d'une compression radiculaire associée, ce qui n'est pas le cas chez monsieur Boutin.

On conclut donc à une entorse discogénique ou si l'on veut qui provient du disque en relation avec cette hernie discale découverte à la radiologie. »

[30]         Cette nuance entre maladie et indemnisation est fort importante en ce qu’aux fins d'indemnisation, des signes cliniques doivent avoir été enregistrés. Ce que recherche le travailleur n'est pas une indemnisation à proprement parler, mais davantage l'ouverture d'un dossier où on constate que, pour le moment, une hernie discale est née de cet accident, laquelle n'a pas encore dégénéré et entraîné des séquelles permanentes au travailleur.

[31]         De toute évidence, la décision rendue par la mise en cause ne tient aucunement compte de cette nuance.

[32]         Les notes sténographiques de l'audition démontrent davantage qu'il y avait deux conclusions possibles dans l'esprit de l'intimé, une hernie discale liée à un accident du travail (laquelle génèrerait indemnisation) ou l'absence de hernie discale, donc un accident du travail qui n'a pas généré de séquelle. Le travailleur pour sa part recherchait des conclusions davantage en lien avec une décision intermédiaire, la reconnaissance d'une hernie discale qui pourrait peut-être dégénérer et engendrer un déficit anatomophysiologique, indemnisable à terme.

[33]         Le Tribunal constate que, lors de l'audition, ces nuances étaient comprises par le président qui officiait l'audition puisqu'il a interagi avec le témoin à cet égard:

«Me Marc Bellemare:

procureur du requérant:

Q. Alors, vous ne pouvez pas la retenir pour fins de tarification barème, mais ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'hernie discale?

R. Exact, puis plus tard il a le droit d'avoir une sciatalgie qui peut être associée puis ça va être dû à la hernie discale L4-L5, dans le sens qu'elle pourrait devenir plus symptomatique.

M. Jacques Degré, président:

Éventuellement ?

R. Éventuellement. Comme elle peut régresser, exactement.

Mais de dire que ces symptômes ne sont pas dus à la hernie discale L4-L5, c'est une erreur.» [7] (notre soulignement)

[34]         La question en litige le 21 novembre 2011 était de savoir si la hernie discale était en relation avec l'accident et non de savoir s'il y avait hernie discale ou pas:

«Me Marc Bellemare

procureur du requérant:

Q. Hum hum.

R.… mais elle ne donne pas de compression radiculaire, donc je ne peux pas l'acheter pour un DAP de deux pour cent (2%) pour la hernie discale, si on…

M. Jacques Degré, président:

En fait, la décision dit que ce n'est pas en relation avec l'accident.

R. Exactement, moi, la hernie discale est symptomatique, c'est ça qui explique ses douleurs dans le dos, puis elle est due à l'accident.» [8] (notre soulignement)

[35]         Compte tenu que la mise en cause était liée par le diagnostic, l'audition devant la CLP ne pouvait le remettre en cause. La CLP devait décider du lien entre la maladie et l'accident, ce qu'elle n'a pas fait. Le Tribunal fait droit à la révision judiciaire sur cet aspect.

un emploi convenable

[36]         La loi prescrit qu'un employé peut occuper un autre emploi à défaut de pouvoir exercer celui qu'il faisait à la date de l'accident:

«Emploi convenable»: un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;

[37]         La mise en cause a estimé qu'un emploi de livreur de petits colis était approprié pour le travailleur. Cette décision fut contestée devant la CLP.

[38]         La procédure d'évaluation médicale est à l'effet que, conformément à l'article 224 de la loi, la CLP est liée par le diagnostic établi par le médecin qui a charge du travailleur ou, le cas échéant, par le Bureau d'évaluation médicale.

[39]         Sur cet aspect, le docteur Landry (celui qui a charge du travailleur) avait recommandé le travailleur au docteur Turcotte pour qu'il pose un diagnostic spécifique. Ni la mise en cause, ni le travailleur ne contestent le rapport du docteur Turcotte. Ils ne s'entendent toutefois pas sur la portée d'une mention contenue dans ce rapport.

[40]         L'expertise du docteur François Turcotte rendue le 28 août 2009 établit les limites fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion professionnelle et ajoute qu'il convient au travailleur d'éviter d'accomplir de façon répétitive ou fréquente des activités qui impliquent de « subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale. »

[41]         Lors de l'audition, un débat sur la portée de cette expression s'est engagé. Le travailleur a prétendu que cette limitation couvrait l'ensemble des vibrations, incluant spécifiquement la conduite des automobiles et camions, alors que la mise en cause plaidait que seuls les véhicules sans suspension provoquaient de telles vibrations.

[42]         Devant interpréter cette limitation identifiée par le docteur Turcotte, la CLP réfère à une politique communément adoptée en domaine, soit l' Échelle de restrictions pour la colonne lombosacrée (ou dorsale inférieure) de l'IRSST. Cette politique donne raison à la mise en cause.

[43]         Le docteur Roy a déposé des extraits de littérature médicale établissant les conséquences de personnes qui conduisent des véhicules pour permettre d'interpréter la portée du rapport du docteur Turcotte.

[44]         La CLP a analysé chacun de ces extraits et en a disposé. Les paragraphes 202 à 209 de la décision discutent de ces articles. Il s'agit d'une décision qui ne semble pas déraisonnable dans les circonstances.

[45]         Écartant la preuve du travailleur, la CLP estime que l'emploi de livreur de petits colis est approprié. Il s'agit d'une décision que le Tribunal considère plausible et qui ne nécessite l'intervention de la Cour. C’est une décision acceptable pouvant se justifier au regard des faits et du droit applicable.

l'opportunité de retourner le dossier aux instances décisionnelles

[46]         En niant l'existence même de la hernie discale, la CLP a fait défaut de décider du lien entre celle-ci et l'accident.

[47]         La règle veut que la Cour supérieure puisse retourner un dossier à l'organisme compétent pour qu'il décide à nouveau impartialement de l'affaire qui lui est soumise.

[48]         Comme l'a reconnu cette Cour, elle peut toutefois procéder à rendre jugement lorsque le retour du dossier à l'organisme quasi judiciaire est susceptible d'entraîner un déni de justice ou de nuire à la saine administration de la justice [9] .

[49]         Dans la présente affaire, le Tribunal fait droit à la requête du travailleur afin qu'il ne perde pas autrement ses droits advenant une détérioration de sa santé. De plus, ni la mise en cause ni la CLP n'ayant pendant plus de 4 ans établi le lien entre la hernie discale et l'accident, il serait déplorable que l'on doive soumettre le travailleur à une nouvelle audition qui conclurait au lien qui doit exister entre la hernie discale et l'accident survenu le 19 février 2008. Rappelons que, pour le moment, le travailleur ne demande pas d'indemnisation à proprement parler pour la hernie discale.

[50]         Vu le témoignage non contredit du docteur Roy devant la CLP le 21 novembre 2011, le Tribunal est d'avis que le diagnostic de hernie discale L4-L5 postéro-latérale est en lien avec l'accident du 19 février 2008.

[51]         Ne s'étant pas prononcée sur la question, et afin de permettre au travailleur d'avoir droit à une décision quant à un accident qui remonte au 19 février 2008, le Tribunal considère qu'il est approprié, au nom d'une saine administration de la justice, de faire le lien entre l'accident survenu et la hernie discale qui, pour le moment, ne génère pas un déficit anatomophysiologique, du moins comme l'a prétendu même le procureur du travailleur. Le docteur Roy a rendu un témoignage convaincant sur le fait que cet accident a généré cette hernie discale ou l'a aggravée. Il est toutefois catégorique sur le lien à établir entre l'accident et la hernie discale [10] , ce qui convainc le Tribunal.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[52]         ACCUEILLE partiellement la requête en révision judiciaire;

[53]         CASSE partiellement la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 21 décembre 2011 dans le dossier portant le numéro 424555-05-1011;

[54]         DÉCLARE que le diagnostic de hernie discale L4-L5 postéro-latérale est en lien avec l'accident du 19 février 2008;

[55]         LE TOUT , avec dépens.

 

 

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CLÉMENT SAMSON, J.C.S.

 

 

Me Marc Bellemare

Bellemare, avocats

Casier 87

Procureurs du requérant

 

Me Marie-France Bernier

Verge Bernier, avocats

900, Place d'Youville 7 e étage

Québec (Qc) G1R 3P7

Procureurs de la C.L.P.

 

Me Sonia Grenier

Vigneault Thibodeau Bergeron

Casier 187

Procureurs de la C.S.S.T.

 

Date d’audience :

23 mai 2012

 



[1] Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LRQ c. A-3.001)

[2] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick , 2008 CSC 9 , [2008] 1 RCS 190

[3] Notes sténographiques de l'audition devant la CLP, no Q-424555-05-1011, pp 72 et 73

[4] Id., p.76

[5] Id., p.81

[6] Id., p.83

[7] Id., p.86

[8] Id., p.87

[9] Valcourt c. Tribunal administratif du Québec , 200-17-011426-095 (30 septembre 2005) QCCS; Commission des affaires sociales c. Sponner et SAAQ [2000] R.J.Q. 1349 (CA)

[10] Notes sténographiques de l'audition devant la CLP, no Q-424555-05-1011, p.89