Guay c. Lebel |
2012 QCCQ 5623 |
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COUR DU QUÉBEC «Division des petites créances» |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
KAMOURASKA |
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LOCALITÉ DE |
RIVIÈRE-DU-LOUP |
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« Chambre civile » |
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N° : |
250-32-004481-101 |
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DATE : |
Le 9 juillet 2012 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE FRANÇOIS BOISJOLI, J.C.Q. |
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JEAN GUAY
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Demandeur |
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c. |
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ROBERT LEBEL
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Défendeur |
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JUGEMENT |
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CONTEXTE |
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[1] Le 21 avril 2008, le demandeur est mis en cause dans une requête introductive d'instance en acquisition judiciaire du droit de propriété par prescription intentée par le défendeur. Le défendeur s'est finalement désisté de cette requête le 9 septembre 2008. Jean Guay prétend que celui-ci a abusé de ses droits d'ester en justice et lui réclame, à titre de dommages, les honoraires extrajudiciaires de son avocat et le salaire qu'il a perdu en raison du temps passé à préparer sa défense.
LES FAITS
[2] Le 21 avril 2008, Robert Lebel dépose une requête introductive d'instance en acquisition judiciaire du droit de propriété par prescription d'une partie du lot 196 du cadastre officiel du Village de Cacouna, circonscription foncière de Témiscouata. Ce lot est situé à l'arrière du lot 196-1, propriété de Jean Guay.
[3] Dans sa requête, Robert Lebel allègue, entre autres, qu'il paie depuis plusieurs années les taxes municipales sur cette partie du lot 196 et que ce lot aurait dû faire partie d'une transaction d'achat dont il était partie le 3 juillet 1983.
[4] Il est également allégué que Robert Lebel a toujours eu possession continue, paisible, publique et non équivoque à titre de propriétaire de cet immeuble.
[5] Deux (2) propriétaires de lots contigus à l'immeuble convoité ont confirmé par affidavit qu'ils ne s'opposeraient pas à cette requête.
[6] Cependant, en raison des relations difficiles entre les parties, Robert Lebel n'a pas obtenu le consentement de Jean Guay et lui a plutôt fait signifier la procédure.
[7] Cette partie du lot 196 était la propriété d'Alexis Michaud décédé en 2000. Elle est toujours la propriété d'Alexis Michaud, malgré son décès, puisque ce lot n'était pas inclus dans l'acte de donation d'Alexis Michaud à son fils, Jean-Paul Michaud, publié le 22 janvier 1991. C'est ce que le certificat de localisation de l'arpenteur-géomètre Laval Ouellet démontre.
[8] Cependant, c'est Jean-Paul Michaud qui a occupé et utilisé ce lot dans les dernières années.
[9] Robert Lebel a admis, lors de l'audience, qu'il n'a jamais occupé ce lot, mais Jean-Paul Michaud devait lui céder ses droits d'occupation sur ce lot.
[10] Devant la contestation par Jean Guay de sa requête et le refus ultérieur de Jean-Paul Michaud de lui céder ses droits d'occupation, Robert Lebel s'est désisté de sa requête le 9 septembre 2008 et a payé au procureur de monsieur Guay les honoraires et déboursés judiciaires.
[11] Entre-temps, Jean Guay avait effectué les démarches auprès d'un procureur pour contester la requête, malgré qu'il soit uniquement mis en cause, Il a fait les démarches pour que plusieurs affidavits soient signés afin de démontrer que Robert Lebel n'avait jamais occupé ou entretenu la partie du lot 196 convoitée.
[12] Par ailleurs, Jean Guay contestait la demande de Robert Lebel, puisqu'il avait convenu avec Alexis Michaud et Jean-Paul Michaud le 30 octobre 1986, qu'il modifie le cours normal des eaux pour qu'elles s'écoulent sur la partie du lot 196 en litige. Cependant, cette servitude d'écoulement des eaux n'a pas été publiée au registre foncier.
[13] Craignant que cette servitude soit contestée par Robert Lebel s'il devenait le propriétaire de ce lot, Jean Guay a fait les démarches nécessaires pour contester la requête.
[14] Jean Guay prétend que le recours de Robert Lebel n'avait aucune chance de succès, que les informations alléguées dans sa requête introductive d'instance étaient fausses et que le seul but des procédures était de lui nuire et de lui faire dépenser de l'argent.
[15] Robert Lebel, quant à lui, affirme que les procédures ont été préparées par sa notaire, qu'il devait obtenir une cessation des droits d'occupation de la part de Jean-Paul Michaud et qu'il n'avait aucune intention de contester la servitude d'écoulement des eaux s'il devenait propriétaire de ce lot.
[16] D'ailleurs, il appert de la preuve que Jean-Paul Michaud a finalement cédé ses droits d'occupation sur la partie du lot 196 à Robert Lebel le 21 février 2011.
[17] À la demande du Tribunal, le défendeur Robert Lebel a déposé les avis d'évaluation de la municipalité de Cacouna pour les années 2006, 2007 et 2008 qui démontrent qu'effectivement il payait les taxes pour la partie du lot 196 qu'il revendiquait dans sa requête introductive d'instance en 2008.
ANALYSE
[18] Le demandeur prétend que le défendeur a abusé de son droit d'ester en justice, qu'il l'a obligé à payer inutilement des honoraires judiciaires de son procureur et qu'il est en droit de lui réclamer.
[19] Dans l'arrêt Viel c. Les Entreprises immobilières du Terroir Ltée [1] de la Cour d'appel du 22 octobre 2002, l'honorable juge Rochon s'exprime ainsi aux paragraphes 79 et suivants de la décision:
« [ 79 ] À l'inverse, peu importe qu'il y ait abus ou non sur le fond, une partie qui abuse de son droit d'ester en justice causera un dommage à la partie adverse qui, pour combattre cet abus paie inutilement des honoraires judiciaires à son avocat. Il y a, dans ce cas, un véritable lien de causalité entre la faute et le dommage.
[80] Cette nécessité d'une causalité adéquate a été énoncée, il y a plus de 10 ans, dans l'arrêt Alvetta - Comeau :
«À mon avis, la Cour supérieure a bien jugé, eu égard à la jurisprudence contemporaine qui estime que les frais d'avocats ou de justice peuvent, dans certains cas limités, lorsque la preuve du lien de causalité est effectivement rapportée, constituer un dommage direct.»
[20] Le juge Rochon ajoute au paragraphe 82 de la décision ce qui suit:
«
[82]
J'ajoute
que même en matière d'abus du droit d'ester en justice, il faut éviter de
conclure à l'abus dès que la thèse mise de l'avant est quelque peu fragile sans
être abusive. Même dans les provinces de
common law
qui reconnaissent
la notion de «dépens avocat - client», le peu de fondement d'une demande ne
suffit pas à lui seul pour justifier l'octroi de tels dommages. C'est, il me
semble, une règle que reconnaît implicitement le législateur. L'article
[21] À la lumière de cette jurisprudence, le Tribunal est d'avis que le défendeur n'a pas abusé de ses droits d'ester en justice lorsqu'il a intenté une requête pour être déclaré propriétaire de la partie du lot 196.
[22] En effet, Robert Lebel avait des fondements à sa demande d'être déclaré propriétaire du bien, puisqu'il payait les taxes municipales depuis au moins 2006 et qu'il devait, selon la preuve présentée au Tribunal, être cessionnaire des droits d'occupation de Jean-Paul Michaud.
[23] Par ailleurs, même si le Tribunal était arrivé à la conclusion que Robert Lebel avait abusé de ses droits d'ester la justice, le demandeur n'a pas fait la preuve que les dommages réclamés sont directement causés par la demande en justice de Robert Lebel.
[24] En effet, le demandeur n'était que partie mise en cause à cette requête, puisqu'il est propriétaire d'un lot contigu. Par ailleurs, il a témoigné qu'il s'est vivement opposé à ce que Robert Lebel devienne propriétaire de ce lot, car il voulait protéger sa servitude d'écoulement des eaux conclue avec Jean-Paul Michaud et Alexis Michaud en 1986. Il croyait, en raison des mauvaises relations qu'il entretient avec Robert Lebel, que ce dernier demanderait d'annuler cette servitude s'il devenait propriétaire du lot.
[25] Par ailleurs, il a indiqué s'être opposé à cette requête en raison des faussetés qui y étaient mentionnées à l'effet que personne ne s'opposait à ce qu'il devienne propriétaire de ce lot et qu'il l'avait utilisé de façon paisible et publique depuis plusieurs années.
[26] Le recours de Robert Lebel ne mettait en cause aucun des droits de Jean Guay, si ce n'est que la possibilité que sa servitude d'écoulement des eaux soit contestée. Mais même si c'est le cas, cette servitude pouvait être contestée, puisqu'elle n'a pas été publiée au registre foncier et donc l'opposabilité aux acquéreurs subséquents n'était donc pas acquise.
[27] Ce n'est donc pas le fait que Robert Lebel devienne propriétaire de l'immeuble en question qui a nécessité que Jean Guay débourse des frais d'avocats, mais bien le fait que sa servitude n'a pas été publiée au registre foncier comme elle aurait dû l'être.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
REJETTE la requête sans frais.
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__________________________________ FRANÇOIS BOISJOLI, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
19 mars 2012 |
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