TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

Date :

10 juillet 2012

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DEVANT L’ARBITRE :

M e Jean-Pierre Lussier

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GROUPE TVA INC.,

 

 « l’Employeur »

 

 

Et

 

 

SYNDICAT DES EMPLOYÉS DE TVA - SCFP, SECTION LOCALE 687.

 

« le Syndicat »

 

 

 

Grief numéro 11-213 de Catherine Jean-Bédard

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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SENTENCE ARBITRALE

(Code du travail)

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[1]    Le 20 septembre 2011, Catherine Jean-Bédard requérait de l’Employeur l’autorisation d’un congé sans traitement d’une durée d’un mois, lequel prendrait effet au terme de son congé de maternité et de son congé parental, à savoir le dimanche 14 octobre 2012.

[2]    L’Employeur a refusé de lui accorder cette autorisation, parce qu’il estimait non valable la raison de cette demande. Un grief fut subséquemment déposé le 14 octobre 2011, afin que l’on ordonne à l’Employeur d’accorder à la plaignante ce congé sans traitement pour la période du 15 octobre au 11 novembre 2012.

1.     LA PREUVE

[3]    Celle-ci est uniquement composée d’admissions ainsi que d’une preuve documentaire. Les admissions se lisent ainsi :

1.     La procédure de grief et d’arbitrage prévue à la convention collective a été correctement suivie.

2.     L’arbitre a été correctement saisi et a le mandat pour trancher le litige.

3.     L’arbitre conserve juridiction pour tout litige concernant l’application de sa sentence.

4.     Le 20 septembre 2011, la plaignante, Madame Catherine Jean-Bédard, a complété et remis le document S-4 (demande de congé sans traitement).

5.     Le syndicat est d’accord qu’en application de la clause 28.23 de la convention collective, il appartient au Service des ressources humaines d’accorder le congé sans traitement.

6.     Tel qu’en fait foi le document S-4, le Service des ressources humaines a refusé le congé sans traitement, et ce, sans aucune explication écrite à la ligne prévue à cette fin.

7.     Le syndicat a déposé le 14 octobre 2011 le grief S-2, contestant le refus de l’Employeur d’accorder le congé sans traitement demandé par Madame Jean-Bédard.

8.     Le 17 octobre 2011, le Service des ressources humaines transmettait au syndicat le document S-3 (réponse au grief).

9.     Le document S-3 indique que, parce que Madame Jean-Bédard aura bénéficié d’un congé de 52 semaines, le Service des ressources humaines ne considère pas comme étant une raison valable de demander une prolongation de ce congé, en congé sans traitement.

10. Le litige :    -     la prolongation d’un congé de maternité est-elle une raison                          valable?

-        le Service des ressources humaines pouvait-il refuser la demande de congé sans traitement, basé sur sa motivation de refus? »

2.     L’ARGUMENTATION

[4]    Le Syndicat soumet qu’en l’espèce, la preuve révèle que les deux conditions de la clause 28.23 ont été respectées. En effet, on ne contrevenait pas aux exigences des opérations, puisque la gestionnaire de la plaignante n’y voyait aucune objection et la durée du congé est inférieure à un an. Le motif de refus à l’effet que la raison invoquée ne serait pas valable n’est pas fondé parce que, dans le sens courant, une raison valable signifie une raison acceptable ou une raison admissible. Ce serait d’ajouter à la convention collective d’ajouter un autre critère aux deux conditions de la clause 28.23.

[5]    L’Employeur souligne qu’on se trouve dans une situation où, avant même la date prévue de son accouchement, une salariée requiert, sans autre explication que son désir de prolonger son congé de maternité et son congé parental, une prolongation de congé. En somme, elle souhaite que sa période d’absence, au lieu des 52 semaines maximum prévues à la convention collective, soit prolongée de quatre autres semaines. L’Employeur a jugé que le simple désir de s’absenter plus longtemps du travail ne constituait pas, dans les circonstances, une raison valable justifiant la demande de congé. L’arbitre ne devrait intervenir que s’il estime que l’Employeur a agi de façon abusive ou discriminatoire, ce qui n’est aucunement supporté par la preuve.

3.     DÉCISION ET MOTIFS

[6]    Le litige concerne essentiellement la clause 28.23 de la convention collective. Cette clause fait partie de l’article 28 qui traite des congés sociaux. Pour une meilleure intelligence de ma décision, je reproduis ci-après, non seulement la clause 28.23, mais également les clauses 28.05 et 28.10 qui concernent le congé de maternité et les clauses 28.13 et 28.14 qui visent le congé parental. Les voici :

            Congé de maternité

28.05   Toute employée éligible au congé de maternité prévu à la loi, a droit à un congé de maternité d’une durée entre quinze (15) et dix-huit (18) semaines qui, sous réserve des dispositions de la clause 28.09 doivent être consécutives.

...

28.10   L’employée qui ne se présente pas au travail à l’expiration du congé de maternité est réputée avoir quitté volontairement son emploi sous réserve d’avoir obtenu une extension de son congé ou d’avoir présenté un certificat médical attestant qu’elle ne peut reprendre le travail.

...

            Congé parental

28.13   Sur préavis écrit d’au moins quatre (4) semaines, tout employé a droit à un congé parental d’une durée maximale de trente-sept (37) semaines à être pris dans les douze (12) mois suivant l’accouchement.

            La durée totale du congé de maternité et parental ne peut excéder cinquante-deux (52) semaines.

28.14   L’employé qui ne se présente pas au travail, à l’expiration du congé parental, est réputé avoir quitté volontairement son emploi sous réserve de présentation d’un certificat médical attestant qu’il ne peut reprendre le travail.

...

            Congé sans traitement

28.23   a) L’employé qui, pour une raison valable, désire obtenir un congé sans traitement, doit faire une demande écrite au Service des ressources humaines. Ce congé sans traitement est autorisé sous réserve des exigences des opérations et ne doit pas excéder un (1) an. L’employé doit revenir au travail pour une période équivalente à la durée de son congé sans traitement, avant de pouvoir faire une demande et prendre un congé additionnel.

            b)   Cependant, lorsqu’il s’agit d’une demande reliée aux soins de la famille immédiate (père, mère, enfants et conjoint de l’employé), l’Employeur accorde le congé sur présentation des pièces justificatives pertinentes. De plus, sur demande écrite qui précise l’aménagement du congé, l’Employeur peut accorder un congé partiel sans traitement.

[7]    La plaignante, tel qu’en fait foi la pièce E-3, a obtenu son congé de maternité entre le 31 octobre 2011 et le 4 mars 2012, soit pour une période de 18 semaines consécutives. Cela respectait en tous points les prescriptions de la clause 28.05 de la convention collective.

[8]    Dans ce même document, elle a requis et obtenu un congé parental à compter du 5 mars 2012 jusqu’au 14 octobre 2012, pour une durée totale de 32 semaines. Encore là, l’obtention de ce congé respectait les paramètres de la clause 28.13 de la convention collective. Au total donc, les congés de maternité et parental allaient durer 50 semaines, c’est-à-dire être inférieurs à 52 semaines.

[9]    Il est intéressant de garder en tête ce que nous enseignent les clauses 28.10 et 28.14. La première stipule que la salariée perd son emploi à défaut d’être au travail à l’expiration du congé de maternité, sauf si elle a obtenu une extension de son congé (lue en conjonction avec la clause 28.13, l’extension réfère aussi bien au congé parental qu’à une autorisation spécifique de prolongation du congé de maternité) ou si elle est incapable pour raisons médicales de reprendre son travail.

[10]         À 28.14, la même conséquence (perte de l’emploi) se rattache au salarié qui ne reprend pas son travail. On ne traite pas ici d’une extension du congé, mais seulement d’une raison médicale pour justifier le salarié de ne pas reprendre le travail.

[11]         Je souligne que la plaignante, je ne sais pour quelle raison, a délibérément choisi de demander un congé de maternité de 18 semaines (le maximum prévu) et un congé parental de 32 semaines, alors qu’elle aurait pu réclamer un congé parental d’une durée de deux semaines supplémentaires, ce qui aurait respecté la durée maximale des congés de maternité et parental, c’est-à-dire 52 semaines.

[12]         La preuve ne me permet pas de tirer quelque inférence à cet égard. Mais reste qu’elle établit la date de fin du congé parental au dimanche 14 octobre 2012. J’y reviendrai.

[13]         Ceci m’amène au cœur du débat, la clause 28.23 de la convention collective. L’alinéa b) n’est pas pertinent au débat, si ce n’est qu’il prévoit une circonstance que les parties ont convenu de reconnaître comme raison valable pour obtenir un congé sans traitement. Si le motif, en effet, est relié aux soins à accorder au père, à la mère, au conjoint ou aux enfants du salarié, le congé sans traitement doit être accordé. Les soins à accorder sont tacitement des soins d’ordre médical, puisqu’on subordonne l’octroi du congé à la présentation de pièces justificatives. De surcroît, je note qu’il n’est pas fait mention dans cet alinéa, de la durée de ce congé, ce qui laisse à penser que, le cas échéant, il peut se prolonger au-delà d’une année.

[14]         Revenons maintenant à l’alinéa a) de 28.23. Je suis du même avis que l’Employeur à l’effet qu’on décèle trois conditions d’octroi, et non deux seulement.

-        l’employé qui requiert ce congé doit avoir une raison valable;

-        l’autorisation est accordée sauf si les exigences des opérations s’y opposent;

-        le congé sollicité ne doit pas excéder un an.

[15]         En l’espèce, les deux dernières conditions ne s’opposaient pas à l’octroi du congé à la plaignante. Il est admis que les exigences des opérations n’étaient pas un motif de refus, non plus, évidemment, que la durée (un mois). Tout le problème tourne autour du concept de «  raison valable  ».

[16]         Après mûre réflexion, j’estime ne pas devoir intervenir dans la décision prise par l’Employeur. Je m’explique.

[17]         Une « raison valable », comme l’a plaidé le procureur syndical, est une raison acceptable, un motif raisonnable. Mais pour décider ce qui est raisonnable, il faut nécessairement porter un jugement. C’est évidemment celui à qui la demande de congé est adressée qui devra le porter. En l’espèce, nous enseigne 28.23 a), c’est le Service des ressources humaines.

[18]         La réponse au grief nous renseigne sur le motif du Service des ressources humaines. On y lit ce qui suit (pièce S-3) :

« À l’article 28.23 a) de la convention collective, il est clairement écrit et je cite « L’employé qui, pour une raison valable , désire ... ».

Dans le cas présent, nous ne voyons pas de raison valable à octroyer un congé sans traitement à madame Jean-Bédard.

Il est important de dire que madame Jean-Bédard bénéficiera du congé de maternité-paternité pendant 52 semaines.

C’est parce qu’elle aura bénéficié de ce congé que nous ne voyons pas de raison valable pour prolonger ce congé en congé sans traitement. »

[19]         Pour l’Employeur donc, comme le motif de la demande de Madame Jean-Bédard était uniquement de prolonger son congé parental, il estimait ce motif non valable.

[20]         La jurisprudence nous enseigne que lorsqu’une convention collective traite d’une «  raison valable  », c’est à l’Employeur, en vertu de ses droits de gérance, d’apprécier si la raison fournie est véritablement valable. Bien que, dans l’extrait qui suit, l’arbitre Jobin devait interpréter la portée des mots «  explication satisfaisante  », il s’agit d’un concept de même nature que celui de «  raison valable  ». Une raison valable, en effet, est une explication satisfaisante pour justifier une action ou une inaction. Or, l’arbitre Jobin écrit ceci [1]  :

« En troisième lieu, l’explication fournie doit être satisfaisante aux yeux de l’Employeur. C’est à celui-ci qu’il revient d’apprécier. Cette appréciation comporte une certaine discrétion, mais aussi une obligation de l’exercer de façon raisonnable, sans discrimination, arbitraire ou mauvaise foi. L’arbitre peut réviser une décision qui aurait été affectée de l’un ou l’autre de ces vices ».

[21]         D’autres décisions vont dans le même sens. À titre d’exemple, on peut lire l’arbitre Desnoyers, cette fois précisément à propos de la notion de «   raison valable  ». Il écrit ce qui suit [2]  :

« Le Syndicat a raison de prétendre qu’il faut donner à cette expression son sens ordinaire puisque les parties ne l’ont pas qualifiée de façon spécifique. Cependant, il faut conclure que les parties ont laissé à l’employeur l’appréciation de la raison valable. L’arbitre pourra cependant intervenir si l’appréciation de l’employeur est empreinte de discrimination ou d’arbitraire ».

[22]         Je suis tout à fait d’accord avec mes collègues Jobin et Desnoyers. L’intervention de l’arbitre ne se justifie que si la preuve révèle discrimination, arbitraire ou mauvaise foi.

[23]         L’Employeur a basé sa décision sur le fait que la sollicitation de la plaignante aurait pour effet de prolonger les congés de maternité et parental au-delà de 52 semaines consécutives. De plus, la plaignante n’a invoqué aucun motif particulier autre que son désir de prolonger ses congés de maternité et parental.

[24]         On sait que le contrat de travail présuppose que le salarié est d’accord pour accomplir sa prestation de travail. S’il veut être soustrait à son obligation principale, même sans traitement, il est normal d’exiger de lui une raison valable et il est tout aussi normal que l’employeur, son cocontractant, renonce à la prestation de travail du salarié que si ce dernier justifie d’une raison valable. Quand le motif du salarié n’est que de prolonger un long congé, sans autre explication, il est difficile pour l’arbitre de conclure que la décision de l’employeur est prise arbitrairement ou de mauvaise foi.

[25]         À mon avis, le grief est donc non fondé. Je me permets toutefois une remarque additionnelle. Je viens d’écrire que l’Employeur était fondé à refuser la demande de Madame Jean-Bédard. Soit. Mais il appert de la preuve (pièce S-3, réponse au grief) que l’Employeur estimait que les congés de la plaignante allaient, dans les faits, durer 52 semaines. J’ai écrit plus tôt qu’au contraire, les congés combinés de maternité et parental s’étendaient — non pas sur 52 semaines - mais sur 50 semaines. Si le refus de l’Employeur était motivé par le fait qu’il ne voyait pas pourquoi il allait accorder un congé excédant la période totale prévue à 28.13, soit 52 semaines, il aurait certes pu accorder à la plaignante un congé sans traitement de deux semaines supplémentaires. J’invite donc ce dernier, sans l’y obliger, puisque son refus n’était ni discriminatoire, ni arbitraire, ni empreint de mauvaise foi, à examiner l’hypothèse d’accueillir partiellement la demande de la plaignante pour lui accorder deux semaines supplémentaires.

[26]          POUR CES MOTIFS, L’ARBITRE :

[27]         REJETTE le grief numéro 11-213 de Catherine Jean-Bédard .

 

 

 

 

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Jean-Pierre Lussier, arbitre

 

Pour le syndicat :

M. Michel Latulippe

 

Pour l’employeur

M e Hubert Graton

 

Date d’audience :

18 juin 2012

 

 

Date de la décision :

10 juillet 2012

 



[1]     Syndicat international des travailleuses et travailleurs de la boulangerie, confiserie et du tabac, section locale 333 et Sucre Lantic ltée, raffinerie de Montréal , décision de M e Carol Jobin, DTE 2000T-815 , à la page 19.

[2]           Syndicat des salariés de plastique Micron (CSD) et Plastique Micron inc. , décision de M e Gilles Desnoyers du 31 juillet 2001, rapportée à AZ-01141277 , à la page 21.