TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N o de dépôt :

2012-6931

 

Date :

28 mai 2012

______________________________________________________________________

 

DEVANT L’ARBITRE :

Me Louise Viau

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Teamsters Québec, Local 1999

 

Ci-après appelé « le syndicat »

Et

 

Les Breuvages Cott

 

Ci-après appelé « l’employeur »

 

 

Plaignants :

Gilles Léonard
Daniel Richard

 

Griefs :

 

60129 et 60130

 

 

 

 

Convention collective :

Convention collective de travail entre Les Breuvages COTT Canada et Teamsters Québec Local 1999, 2010-2015

 

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SENTENCE ARBITRALE

(En vertu du Code du travail du Québec, art.100)

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PRÉLIMINAIRE

 

[1]    Les parties ont nommé la soussignée pour entendre les griefs logés par le syndicat au nom des salariés Gilles Léonard (grief n° 60129, pièce S-2) et Daniel Richard (grief n° 60130, pièce S-3).

[2]    Par ces deux griefs, les salariés contestent la manière dont l’employeur interprète et applique la convention collective lorsqu’ils effectuent des heures supplémentaires dans certaines circonstances particulières.

[3]    Le premier de ces deux griefs, celui de monsieur Léonard, se lit comme suit :

Résumé du Grief

Violation de la convention collective

L’employeur ne paye pas le salarié au bon taux horaire lors d’heure supplémentaire effectué la septième journée. Dans la nuit du 7 e jour à sa première journée (24 au 25 avril) 2011 et aussi du 8 au 9 mai 2011.

4 heures à chaque évènement

Le salarié travaille de jour de 6 :00 am à 14 :00 heures

Réparation demandée

Que l’employeur respecte la convention collective. Que l’employeur paie le salarié au bon taux horaire (taux double) pour le travail effectué la septième journée plus les intérêts.

4 au taux double pour 24 au 25 avril 2011, 4 au taux double pour 8 au 9 mai 2011

(SIC)

[4]    Quant au second grief, celui de monsieur Richard, il conteste également la méthode de paiement des heures supplémentaires pour le travail effectué par le salarié durant la nuit du 23 au 24 mai 2011. Le plaignant réclame également que l’employeur le paie à taux double plutôt qu’à taux et demi pour le travail qu’il a effectué en sus de son horaire habituel de travail.

1.         QUESTION EN LITIGE

[5]      Il s’agit dans un premier temps d’interpréter la convention collective afin de décider si l’employeur a commis une erreur dans son application des dispositions concernant le paiement des heures supplémentaires.

[6]    Si l’employeur a effectivement erré, il faudra alors décider si la théorie de la préclusion trouve application dans la présente affaire.

 

2.         LA PREUVE

[7]    La preuve syndicale a consisté dans le témoignage de monsieur Yvon Leblanc. Celui-ci a signé les deux griefs en tant que délégué syndical.

[8]    Il a expliqué qu’il occupe des fonctions syndicales depuis de nombreuses années et qu’il a participé à la négociation de la convention collective applicable aux griefs (convention 2010-2015) de même qu’à celle de 1996-2000, qui est la convention collective qui a introduit des changements substantiels aux règles gouvernant l’horaire de travail et le paiement des heures supplémentaires.

[9]    Avant la signature de la convention collective de 1996-2000, Breuvage Cott n’était habituellement en opération que du lundi au vendredi. La convention prévoyait alors que le travail effectué sur semaine en sus de l’horaire habituel ou encore le samedi était rémunéré à temps et demi tandis que le travail effectué le dimanche et les jours fériés l’était à taux double.

[10]          L’organisation du travail est maintenant plus complexe puisque l’usine est en opération beaucoup plus longtemps et l’horaire de travail des salariés varie selon les départements où ils travaillent. Même si la production ne se fait pas sur sept jours, compte tenu du fait qu’il faut également s’assurer de la salubrité des lieux, vu qu’il s’agit d’une usine de production et d’embouteillage de boissons gazeuses, il y a en pratique toujours des employés dans l’usine sauf durant une courte période le dimanche.

[11]         La convention collective prévoit, à l’article 19, les divers horaires de travail applicables aux salariés selon la nature de leur emploi. On y constate que certains salariés travaillant de nuit débutent leur semaine régulière de travail le dimanche soir à 22 h.

[12]         Monsieur Leblanc a expliqué les circonstances qui ont amené le dépôt des deux griefs. C’est le plaignant Léonard qui est venu le voir, car il avait un questionnement sur le paiement des heures supplémentaires qu’il avait effectuées avant le début de son premier quart de travail de la semaine. Ce dernier travaille normalement sur un quart de jour et sa semaine de travail débute le lundi à 6 h. Il lui arrive d’entrer au travail plus tôt durant la nuit pour effectuer des heures supplémentaires avant le début de son quart de travail du lundi matin. Doit-il alors être payé au taux du temps et demi ou à celui du temps double ? Telle était son interrogation. Selon monsieur Leblanc, il doit être payé au taux du temps double, car il s’agit de sa septième journée de travail.

[13]         Constatant que monsieur Léonard avait été payé au taux du temps et demi, monsieur Leblanc est allé rencontrer le superviseur de production pour lui exposer le problème. N’ayant pas eu de réponse de l’employeur à la suite de cette démarche, un grief a été déposé pour contester la méthode de paiement des heures supplémentaires pour les deux dates mentionnées au grief logé au nom de monsieur Léonard.

[14]         Le témoin explique que la même problématique s’est présentée à plusieurs autres reprises et qu’une multitude de griefs auraient pu être déposés par la suite pour d’autres salariés. Mais le directeur de la production, monsieur Nicolas Dussault, lui a dit qu’il n’était pas nécessaire de déposer un grief à chaque fois, puisque si le syndicat avait gain de cause avec le grief de monsieur Léonard, l’employeur corrigerait la paie des autres salariés se trouvant dans la même situation.

[15]         Monsieur Leblanc explique que le second grief (pièce S-3) pose la même question mais, cette fois, dans le contexte des jours fériés.

[16]         Monsieur Daniel Richard, qui est le plaignant dans ce grief, travaille à la production selon un horaire de 4 jours de 10 heures. Il débute sa semaine de travail le lundi matin à 6 h. Or, l’employeur l’a fait rentrer au travail à 2 h du matin dans la nuit du lundi 23 mai 2011 au mardi 24 mai 2011. Le syndicat est d’avis que l’employeur devait le payer au taux du temps double puisque son congé férié se terminait le mardi matin à 6 h, soit au moment du début de son quart de travail régulier. Monsieur Richard n’ayant pas eu gain de cause dans ses démarches visant à faire corriger sa paie, un grief a été déposé afin que la question soit également tranchée par un arbitre.

[17]         Monsieur Leblanc explique que la prétention syndicale est à l’effet que la convention collective doit être interprétée de telle manière que la semaine de travail pour un salarié donné ne débute pas à minuit et une minute durant la nuit du dimanche au lundi mais bien au début de son premier quart de travail de la semaine. C’est là son jour 1 et c’est le point de départ du calcul des jours aux fins du paiement des heures supplémentaires.

[18]         Au soutien de cette interprétation, il dépose le grief 42533 qui avait été logé par le syndicat en 2002 au nom du salarié Claude Ste-Marie et dont il était également le signataire; il dépose également l’entente intervenue avec l’employeur pour régler ce grief (pièce S-4 en liasse).

[19]         Monsieur Leblanc reconnaît que l’entente intervenue avec monsieur Pichet, le directeur de l’usine de l’époque, n’a pas été déposée au ministère du Travail et n’a donc pas pour effet de modifier la convention collective. Cependant, il attire l’attention sur le fait que monsieur Pichet avait écrit que les griefs seraient réglés « comme le stipule la convention collective ». Selon lui, cette entente prouve le bien-fondé de l’interprétation de la convention collective que fait le syndicat.

[20]         Le salarié Ste-Marie travaillait habituellement de 22 h à 6 h. Dans les faits, il avait travaillé jusqu’à midi le 11 avril 2002. Puis, il était rentré au travail le même jour à 20 h 30. À la suite du règlement intervenu, l’employeur l’a rémunéré comme suit : 8 heures à temps simple selon son horaire habituel, puis 4 heures à taux et demi et 2 heures à taux double puisqu’il avait fait un quart de travail de plus de 12 heures. L’employeur l’avait aussi payé à taux double pour les heures effectuées avant le début de son quart normal de travail, car il avait fait plus de 12 heures dans un bloc de 24 heures. Pour ce même salarié, dont la 6 e journée commençait à 22 h le vendredi, sa rémunération a été à taux et demi jusqu’à 3  h dans la nuit du vendredi au samedi. Ce même salarié a ensuite travaillé le samedi de 13 h à 21 h. Il a été payé à taux double pour 5.25 heures, car la convention prévoit que le travail effectué le samedi est rémunéré à ce taux après 8 heures de travail.

[21]         Monsieur Leblanc a expliqué que c’est l’employeur qui avait suggéré cette approche selon laquelle on délimiterait des blocs de 24 heures à partir de l’heure du début du quart de travail selon l’horaire habituel. Il affirme que les parties n’ont pas renégocié cette question du paiement des heures supplémentaires depuis le règlement du grief S-4.

[22]         Monsieur Leblanc travaille pour sa part sur un quart de jour de 6 h à 16 h. Il ne se souvenait pas avoir déjà été dans la même situation que monsieur Léonard avant que l’employeur ne lui rappelle qu’il avait effectivement fait des heures supplémentaires à une occasion dans la nuit du dimanche au lundi et qu’il avait été rémunéré à taux et demi et non pas à taux double. Il affirme en avoir été surpris, car il croyait que l’employeur rémunérait les salariés selon le bon taux horaire applicable depuis le règlement intervenu en 2002. Il affirme n’avoir pas vérifié son bulletin de paie et n’avoir donc pas constaté l’erreur qui aurait été commise à son endroit.

[23]         Monsieur Leblanc reconnaît par ailleurs qu’avant mai 2011, aucun employé n’était venu le voir pour se plaindre de n’avoir pas été rémunéré correctement dans des situations comme celles soulevées par les griefs S-2 et S-3. Ceci dit, comme c’est lui qui signe les griefs pour le syndicat, il n’est pas surpris qu’il n’y en ait pas eu avant ceux du printemps 2011 pour contester la pratique de l’employeur, car il était convaincu que les salariés étaient payés à taux double pour le travail effectué dans les circonstances visées par les griefs S-2 et S-3 lorsque messieurs Léonard et Richard sont venus le voir pour lui poser la question.

[24]         En contre-interrogatoire, monsieur Leblanc a précisé que l’horaire habituel de travail de monsieur Léonard est du lundi au vendredi tandis que celui de monsieur Richard est du lundi au jeudi, car il travaille 10 heures par jour plutôt que 8 comme c’est le cas pour monsieur Léonard. Mis devant le fait que monsieur Richard aurait travaillé une quarantaine de fois entre 2002 et 2011 avant son quart de travail du lundi et qu’il a toujours été payé à taux et demi et non à taux double, monsieur Leblanc se dit surpris qu’il ait été payé à ce taux.

[25]         En ce qui concerne les griefs ayant fait l’objet d’un règlement en 2002 (pièce S-4), il reconnaît que l’entente visait quatre griefs qui concernaient le taux applicable pour des heures supplémentaires effectuées vers la fin de la semaine, soit les jeudis, vendredis et samedis et non pas des heures supplémentaires effectuées avant le début du quart de travail du lundi.

[26]         Cependant, il affirme que l’entente ne visait pas exclusivement ces journées-là. Elle posait le principe général qu’après 12 heures de travail dans un bloc de 24 heures, l’employeur payait le salarié à taux double. Cela aurait pu se présenter à un autre moment de la semaine. Il en a compris que, pour les fins du paiement des heures supplémentaires,  la notion de jour débutait avec l’heure du début du quart de travail. 

[27]         À sa connaissance, il n’y a pas eu de négociation sur la notion de jour dans la convention 2005-2010, ni de changement dans le libellé de la convention au sujet de la définition du mot «  jour  » lors de cette négociation ou dans l’actuelle convention.

[28]         L’employeur a pour sa part fait entendre comme premier témoin madame Jennifer Pervin. Celle-ci est à l’emploi des Breuvages Cott depuis 1995. Elle a débuté sa carrière au service de la paie et occupe depuis l’an 2000 les fonctions de directrice des ressources humaines.

[29]         Elle affirme avoir été surprise du dépôt des deux griefs puisque, aussi loin qu’elle puisse se souvenir, la pratique de l’employeur a toujours été de payer les salariés au taux du temps et demi dans des situations semblables à celles à l’origine de ces griefs.

[30]         Elle a été en mesure de faire des recherches dans les systèmes de paie informatisés et de remonter jusqu’au début de l’année 2003. Elle confirme que la pratique de l’employeur est constante. Madame Pervin a également vérifié la  carte de poinçon de messieurs Léonard et Richard pour les périodes visées par le grief de chacun d’eux (pièce E-1 et E-2). Elle a expliqué comment ils ont été payés pour les heures supplémentaires qui font l’objet du présent litige.

[31]         Madame Pervin affirme que la détermination du taux applicable aux heures supplémentaires a été effectuée conformément aux règles édictées par l’article 20.01 de la convention collective.

[32]         Dans le cas de monsieur Léonard, selon la pièce E-1, madame Pervin explique à l’aide du document E-1 qu’il n’a pas travaillé le 25 avril 2011. L’employeur lui a payé son jour férié à taux régulier. Il a ensuite travaillé le 26 avril selon son horaire habituel, soit de 6 h à 14 h, et il a donc été payé selon son taux horaire de base pour ce jour-là également. Par ailleurs, le 9 mai, il est entré au travail à 2 h alors qu’il aurait normalement dû commencer à travailler à 6 h. Pour ces quatre heures de travail, il a été payé au taux du temps et demi. Par ailleurs, comme il a effectué 14 heures de travail ce jour-là, ayant terminé non pas à 14 h mais bien à 16 h, les deux dernières heures lui ont été rémunérées au taux du temps double selon la règle voulant que les heures supplémentaires soient payées à ce taux après douze heures de travail un même jour.

[33]         En ce qui concerne monsieur Richard, selon le même type de document informatique couvrant la période du 22 au 28 mai 2011 (pièce E-2), madame Pervin explique qu’il a été payé 10 heures pour le jour férié du 23 mai 2011 alors qu’il était en congé. Il est ensuite entré au travail quatre heures plus tôt que le début de son quart régulier de travail le 24 mai. Il a été rémunéré au taux du temps et demi pour deux des heures supplémentaires et à taux double pour les deux autres, vu que le total des heures de sa journée excédait 12 heures.

[34]         Madame Pervin a par ailleurs passé en revue ses dossiers afin de vérifier si ces deux salariés avaient été appelés par le passé à effectuer des heures supplémentaires avant le début de leur quart de travail du lundi ou après un jour férié, afin de voir comment ils avaient été payés.

[35]         Elle a retrouvé quatre occurrences de ce genre pour monsieur Léonard, soit les 29 décembre 2008, 26 janvier 2009, 6 avril 2009 et 11 avril 2011. On constate à l’examen des documents qu’elle a produits (pièce E-3, en liasse) que l’employeur a été constant dans sa manière de payer le temps supplémentaire effectué le lundi par le plaignant Léonard.

[36]         Dans le cas du plaignant Richard, madame Pervin a dénombré 45 situations de ce genre, la première le 17 février 2003 et la dernière le 11 octobre 2010 (pièce S-4, en liasse). Dans le cas de ce salarié, on constate que ce dont il se plaint, à savoir d’avoir été payé au taux du temps et demi plutôt qu’à celui du temps double pour les heures effectuées avant le début de son quart de travail suivant un jour férié, s’était déjà produit à plusieurs reprises par le passé, notamment les 20 mai 2008, 2 septembre 2008, 2 juillet 2009 et 12 octobre 2010.

[37]         Madame Pervin a fait le même exercice dans le cas du délégué syndical Dominic Leclerc (pièce E-5 en liasse) ainsi que de monsieur Leblanc (pièce E-6 en liasse). Il ressort de sa vérification que monsieur Leblanc n’a effectué des heures supplémentaires avant le début de son quart de travail du lundi qu’une seule fois, à savoir le 4 juin 2007. Par ailleurs, une telle situation s’est présentée à neuf reprises dans le cas de monsieur Leclerc entre le 22 septembre 2003 et le 1 er novembre 2010. On peut constater à l’examen des documents produits une constance dans la manière dont le temps supplémentaire lui a été payé par l’employeur.

[38]         Selon le souvenir de madame Pervin, hormis les griefs S-2 et S-3, aucun autre grief n’a jamais été déposé pour contester la manière dont le temps supplémentaire a été payé dans des circonstances comme celles que soulèvent ces griefs.

[39]         Madame Pervin a eu connaissance des griefs de 2002 et de leur règlement (pièce S-4 en liasse). Elle explique qu’à l’époque, il se faisait beaucoup d’heures supplémentaires et les salariés étaient insatisfaits de la manière dont ils étaient payés. Les heures supplémentaires de travail étaient effectuées après la fin de la semaine régulière de travail, soit le vendredi et le samedi. Par exemple, un salarié travaillant de nuit à compter de 22 h le dimanche soir terminait sa semaine régulière à 6 h le vendredi matin. Il pouvait terminer plus tard le vendredi matin, aller se reposer pendant 8 heures et rentrer à nouveau en soirée pour un autre quart de travail.

[40]         Madame Pervin a pu retracer les horaires de travail de trois des quatre salariés visés par le règlement intervenu en 2002 et elle a préparé un tableau afin de faire comprendre la problématique et le règlement intervenu (pièce E-7).

[41]         Ces salariés ont contesté le fait qu’ils étaient payés au taux de temps et demi pour tout le temps supplémentaire effectué en sus de leur quart régulier de travail sauf si le total des heures travaillées d’une manière consécutive excédait 12 heures. Cette règle était appliquée même s’ils rentraient au travail pour un nouveau quart de travail au cours de la même journée.

[42]         À la suite du règlement intervenu, toutes les heures effectuées durant une même journée ont été additionnées même s’il ne s’agissait pas d’heures consécutives, de telle sorte que l’employeur continue désormais de payer au taux de temps et demi les heures supplémentaires, jusqu’à concurrence de 12 heures, puis il paie au taux du temps double toutes les heures additionnelles effectuées jusqu’à l’heure où aurait normalement débuté le quart de travail régulier du salarié.

[43]         À partir du tableau préparé par madame Pervin, on peut résumer comme suit l’effet pratique de l’entente de 2002 (pièce S-4) pour le salarié Claude Ste-Marie. Voici comme se présentait sa semaine de travail du 7 au 13 avril 2002 à l’origine du grief S-4 :

Avant l’entente

Horaire de travail habituel

Heures travaillées

Total

Reg.

TS*

TD**

Jeudi 11 avril 2002

Vendredi 12 avril 2002

Samedi 13 avril 2002

22 h - 6 h

Congé

Congé

22 h - 12 h

20 h 30 - 3 h

13 h - 21 h

14

  6.5

  8

8

4

6.5

8

2

 

 

 

 

 

 

 

Après l’entente

Horaire de travail habituel

Heures travaillées

Total

Reg.

TS*

TD**

Jeudi 11 avril 2002

Vendredi 12 avril 2002

 

Samedi 13 avril 2002

22 h - 6 h

Congé

 

Congé

22 h - 12 h

20 h 30 - 22 h

22 h- 3 h

13 h - 21 h

14

  1.5

  5

  8

8

4

 

5

3

2

1.5

 

5

*  TS = nombre d’heures supplémentaires rémunérées à taux et demi

** TD = nombre d’heures supplémentaires rémunérées à taux double

[44]         Par son grief, le salarié Ste-Marie reprochait à l’employeur, non seulement de ne pas lui avoir payé correctement ses heures supplémentaires, mais également de ne pas lui avoir accordé ses pauses. Notons que le tableau préparé par madame Pervin (pièce E-7) s’écarte quelque peu de ce qu’on peut lire dans le tableau transmis au syndicat par monsieur Pichet et qui est l’entente proprement dite (produite en liasse sous S-4), en ce que l’entente indique que ce salarié sera payé 2,75 heures au taux de temps et demi et 5,25 heures au taux du temps double. Madame Pervin n’a pas été interrogée sur ces différences. Celles-ci sont sans importance pour les fins du présent litige.

[45]         En contre-interrogatoire, madame Pervin a réitéré que le problème soulevé par le grief S-4 concernait les heures effectuées par des salariés à la fin de leur semaine régulière de travail et tout particulièrement en raison de quarts de travail entrecoupés d’une période de repos de 8 heures. Elle affirme que cette entente n’a eu aucun impact sur la manière d’appliquer la convention collective dans le cas des heures de travail effectuées par les salariés en début de semaine avant leur premier quart de travail. Elle explique que la manière de payer les heures supplémentaires sera la même pour les heures rattachées à un quart de travail que celles-ci soient effectuées avant ou après le quart de travail. L’employeur les paiera à taux et demi jusqu’à concurrence de 12 heures et les heures additionnelles seront payées à taux double.

[46]         Hormis cette situation, madame Pervin ne peut voir qu’une seule situation où un salarié débutant normalement son quart de travail à 22 h sera payé à taux double pour du travail effectué avant 22 h le dimanche soir. Il s’agit du chef d’équipe qui est appelé à rentrer une demi-heure plus tôt que les autres salariés afin de déverrouiller les portes de l’usine pour les salariés qui commencent leur quart de travail à 22 h. L’employeur lui paie cette demi-heure à temps double.

[47]         Madame Pervin a également été interrogée à partir des différents types d’horaires que l’on retrouve à l’article 19 de la convention collective afin qu’elle explique sa compréhension de ce qui constitue une sixième et une septième journée de travail pour les différents groupes de salariés.

[48]         La question est théorique pour les salariés travaillant sur un horaire continental puisque l’article 20.08 prévoit qu’ils sont toujours payés au taux du temps double pour toute journée de travail effectuée en sus de leur horaire habituel qui est de trois ou quatre jours selon les semaines.

[49]         Le cas d’un employé d’expédition travaillant habituellement à compter de 6 h le lundi matin permet de comprendre comment madame Pervin applique la notion de « jour ». Lorsqu’un tel salarié quitte le travail soit à la fin de sa journée normale de travail ou après avoir effectué des heures supplémentaires, sa première journée de travail est terminée. Lorsqu’il rentrera travailler le lendemain, même si cela devait être à 4 h plutôt qu’à 6 h, il s’agit du jour 2 pour ce salarié.

[50]         Selon madame Pervin, le 6 e jour est le samedi tandis que le 7 e jour est toujours le dimanche puisque le premier jour de la semaine est le lundi. Selon son souvenir, il en a toujours été ainsi depuis qu’elle travaille pour l’employeur. Si l’employeur affiche des heures supplémentaires devant être effectuées durant la journée du dimanche, elles seront payées au taux du temps double. De même, un salarié dont l’horaire habituel commence en après-midi le lundi et qui serait appelé à travailler le dimanche soir serait payé au taux du temps double pour toutes les heures travaillées pendant ce quart de travail additionnel ayant débuté le dimanche. Quant à savoir à quel taux serait payé un salarié qui serait appelé à rentrer plus tôt durant la nuit du samedi au dimanche, elle n’a pu répondre à cette question, car cela ne s’est jamais produit à sa connaissance.

[51]         À partir de l’exemple du salarié Ste-Marie, madame Pervin a expliqué que, dans le cas d’un salarié qui effectue un quart de travail se terminant le samedi, l’employeur a accepté que toutes les heures travaillées durant son quart de travail soient comptabilisées aux fins de l’application de l’article qui concerne le paiement des heures supplémentaires effectuées le sixième jour. Ainsi,  l’employeur a accepté que soit considérée comme le début du sixième jour, l’heure correspondant au début de son quart habituel de travail. Elle explique que l’objectif visé était de trouver un point de coupure pour le paiement des heures à taux double. C’est la solution qui a été trouvée pour les employés du quart de nuit qui, à cette époque, effectuaient beaucoup d’heures supplémentaires après leur semaine normale de travail en entrecoupant celles-ci d’une période de repos de huit heures. Elle affirme s’être toujours assurée du respect de ce qui avait alors été convenu pour des cas similaires. Par ailleurs, elle réitère que cette situation ne se compare pas du tout à celles soulevées par les deux griefs.

[52]         Interrogée sur la différence que l’on retrouve à la convention collective signée en 2010 par rapport à la précédente quant à définition du mot « jour  », madame Pervin affirme que, pour elle, « jour de calendrier » ou « jour civil », c’est la même chose. Cette modification n’a aucune conséquence quant aux règles applicables au paiement des heures supplémentaires.

[53]         Madame Pervin a enfin été questionnée quant à savoir si les salariés recevaient les documents E-1 et E-2 qu’elle a utilisés pour expliquer comment les heures supplémentaires effectuées par les plaignants leur avaient été payées. Elle confirme que ce n’est pas le cas. Ils reçoivent par ailleurs un bulletin de paie dont le contenu précis n’a pas été mis en preuve, ni par le syndicat, ni par l’employeur.

[54]         En ce qui concerne le délégué syndical Leclerc, madame Pervin reconnaît que, dans le passé, ce salarié n’a pas toujours eu un horaire stable et qu’il changeait souvent de quart de travail d’une semaine à l’autre. Il pouvait lui arriver de travailler selon un horaire de 8 heures par jour au cours d’une semaine et d’un horaire de 10 heures par jour la semaine suivante.

[55]         Le dernier témoin cité par l’employeur est monsieur Stéphane Bellemare. Celui-ci travaille pour l’employeur depuis 1995. Il y a débuté comme technicien en automatisation, un poste syndiqué. En 2002, il a été nommé directeur de l’usine. À ce titre, il est en charge de la fabrication, depuis la réception des matières premières jusqu’à la livraison. Il explique que la fabrication se fait habituellement quatre jours par semaine, tandis que l’expédition s’effectue sur cinq jours. Certaines tâches liées à la salubrité et à l’entretien se font en fin de semaine.

[56]         Il a été mis au courant des deux griefs dès leur dépôt. Il en a été surpris, car il croyait cette pratique bien établie. Aucun changement n’avait été apporté à la manière de payer les heures supplémentaires effectuées dans les situations à la base des griefs, à tout le moins depuis 2002. En outre, aucun grief n’avait été logé auparavant pour contester cette pratique. Selon sa compréhension, lorsqu’un salarié entre plus tôt ou finit plus tard que les heures prévues à son horaire habituel, il est payé au taux du temps et demi jusqu’à concurrence de 12 heures et s’il fait plus de 12 heures, il sera payé au taux du temps double pour les heures additionnelles.

[57]         Monsieur Bellemare affirme qu’en ce qui concerne le dimanche, toutes les heures travaillées avant 22 h sont payées à taux double peu importe quand commence le quart habituel du salarié. Ainsi, un salarié qui commence sa semaine de travail le lundi après-midi et qui rentrerait travailler le dimanche soir à 20 h verrait toutes ses heures de travail payées à temps double, même celles effectuées après minuit. En revanche, s’il rentre travailler avant le début de son quart de travail du lundi, il sera payé au taux du temps et demi pour les heures supplémentaires effectuées avant son quart de travail.

[58]         Il affirme avoir été présent au moment de la négociation des deux dernières conventions collectives et que les parties n’ont pas senti le besoin de discuter de la question de savoir à quelle heure commence la 6 e ou la 7 e journée de travail aux fins de la convention collective.

[59]         Monsieur Bellemare a aussi été impliqué dans le règlement des griefs de 2002 (pièce S-4). Il explique que, de par la nature des opérations, les besoins additionnels de main-d’œuvre se présentent surtout à la fin de la semaine. En 2002, les salariés se déclaraient disponibles pour effectuer énormément d’heures supplémentaires. Après 14 heures de travail, l’employeur les forçait à prendre 8 heures de repos. Ils revenaient ensuite travailler à nouveau. Les salariés revendiquaient d’être rémunérés au taux du temps double pour toutes les heures effectuées après leur semaine régulière de travail. L’employeur n’était pas d’accord. C’est dans ce contexte que l’employeur a cherché une solution satisfaisante pour les deux parties. Cette entente ne visait que la fin de la semaine de travail lorsqu’un salarié effectuait un nouveau quart de travail après 8 heures de repos. Il fut convenu que la rémunération au taux du temps double prendrait fin avec l’heure où débuterait normalement le quart de travail du salarié. S’il était encore au travail, les heures subséquentes lui seraient payées au taux du temps et demi. Monsieur Bellemare affirme que cette entente n’avait aucun impact sur les heures supplémentaires effectuées avant le premier quart de travail de la semaine.

[60]         Le témoin confirme que le document mis en preuve sous S-4 est le seul écrit qui consigne l’entente intervenue entre les parties pour régler les griefs déposés en 2002 et que cette question n’a pas été rediscutée lors de la négociation des conventions collectives subséquentes.

[61]         En contre-interrogatoire, monsieur Bellemare a dit que, selon lui, l’entente de 2002 ne modifiait pas l’article 20.02 de la convention collective. Elle ne faisait que venir préciser l’application de l’article 20.01b) en déterminant un bloc de 24 heures pour des salariés dont l’horaire habituel de travail chevauche deux journées. Il ne saurait dire à quoi référait monsieur Pichet dans cette entente lorsqu’il a écrit « comme le stipule la convention collective ». Mais il réitère que l’article 20.01b) était au cœur du problème.

[62]         Questionné quant à savoir si la 6 e et la 7 e journée commence au même moment pour tous les salariés, le témoin affirme qu’on peut voir une certaine logique dans le fait qu’un salarié dont la journée de travail commence à 6 h puisse considérer que sa journée se termine à 6 h le lendemain matin. Mais il réitère que cette question n’a pas été discutée par les parties à la table de négociation et que, en ce qui concerne le paiement des heures supplémentaires dans une situation comme celle à l’origine des deux griefs actuels, c’est l’article 20.01a) qui s’applique. Les heures de temps supplémentaires effectuées avant le début du quart de travail du lundi sont rémunérées au taux du temps et demi jusqu’à ce que la somme des heures régulières et des heures supplémentaires excède 12 heures. La règle n’est pas différente si le dimanche est un jour férié.

[63]         Quant aux heures travaillées le dimanche, sauf pour les salariés ayant un horaire continental ou dont le quart normal de travail commence à 22 h le dimanche soir, toutes les heures travaillées le dimanche sont payées à temps double, et ce, peu importe que, selon l’horaire habituel du salarié, celui-ci commence à travailler à 6 h le lundi matin ou en après-midi. L’employeur n’applique pas la notion de bloc d’heures pour le travail effectué le dimanche.

[64]         Une dernière question a été posée au témoin quant à la réaction de messieurs Leblanc et Leclerc lorsqu’il leur a dit qu’ils avaient eux-mêmes été rémunérés de la même manière que les salariés au nom de qui le syndicat avait déposé des griefs. Monsieur Bellemare ne se rappelait pas de la réaction de monsieur Leclerc, mais il confirme que monsieur Leblanc lui a dit ne pas s’en souvenir.  

 

 

3.         L’ARGUMENTATION

[65]         Le syndicat plaide que les griefs sont fondés sur l’article 20.01a) pour le premier et sur l’article 21.05 pour le second. Il s’agit de déterminer à quel taux doit être rémunéré le travail effectué en temps supplémentaire avant le début du premier quart de travail de la semaine ou qui suit un jour férié. Eu égard à l’article 20.02 qui indique que « le travail effectué la septième (7) journée est rémunéré à raison de temps double  », le syndicat plaide que les plaignants doivent être rémunérés au taux du temps double alors qu’ils l’ont été au taux de temps et demi.

[66]         Le syndicat soutient qu’il faut faire la distinction entre l’horaire de travail et la journée. Les parties savaient au moment de négocier la convention collective qu’une journée a 24 heures. Elles devaient savoir également que les journées ne se chevauchent pas. Pour qu’une journée commence, il faut que la précédente soit terminée.

[67]         La preuve n’a pas permis de dégager une réponse claire quant à savoir quand commencent la 6 e et la 7 e journée aux fins de l’application de l’article 20.02. Logiquement, la première journée commence au moment où commence le premier quart de travail de la semaine et se termine 24 heures plus tard. On pourrait aussi considérer qu’une journée commence à minuit pour se terminer 24 heures plus tard.

[68]         Vu les horaires de travail particuliers qui ont été convenus chez l’employeur ainsi que le règlement du grief S-4 de 2002, il faut retenir la théorie du bloc de 24 heures aux fins de l’application des règles relatives au paiement des heures supplémentaires. S’il fallait, aux fins de l’application de l’article 20.01b), déterminer quand se termine une période de 24 heures dans le cas de salariés dont le quart de travail débutait à 22 h, cela nous indique également quand elle commence. Ce n’est pas de minuit à minuit. Il faut donc comptabiliser des blocs de 24 heures à partir du début du premier quart de travail afin de déterminer quel est le 6 e et le 7 e jour. Ce n’est pas la notion de jour civil qu’il faut appliquer, mais bien cette notion particulière qui a été convenue entre les parties.

[69]         Le syndicat soutient que ce serait modifier la convention collective que d’avoir deux interprétations des règles applicables au paiement des heures supplémentaires, l’une pour le travail effectué après le dernier quart de travail de la semaine régulière et l’autre pour celui effectué avant le premier quart de travail. Si les parties ont convenu que monsieur Ste-Marie serait payé à temps double pour l’heure et demie de travail avant 22 h le vendredi soir, c’est parce qu’il était encore dans sa journée du jeudi. Puis il commence sa 6 e journée à 22 h et il est alors payé à temps et demi tel que le prévoit la convention collective.

[70]         Rien n’a été modifié lors de la négociation subséquente. Le syndicat était donc en droit de considérer le problème réglé. C’est ce qu’il croyait jusqu’à ce que messieurs Richard et Léonard viennent le voir en s’interrogeant sur la manière dont l’employeur payait les heures supplémentaires effectuées avant leur premier quart de travail de la semaine ou avant le début d’un quart de travail faisant suite à un jour férié.

[71]         La durée de la journée de travail semble extensible, jusqu’à 14 heures après quoi les salariés doivent se reposer au moins 8 heures avant de revenir travailler. Si l’employeur prétend que, dès que des heures sont accolées à un quart de travail, elles font partie de la même journée, cela voudrait dire qu’en pratique la 7 e journée pourrait n’avoir que 18 heures plutôt que 24. L’économie générale de la convention collective veut que le travail effectué durant la 6 e ou la 7 e journée donne droit à une rémunération majorée. Pour un salarié dont le quart de travail commence à 6 h le lundi matin, sa 7 e journée est de 6 h le dimanche matin à 6 h le lundi matin. Sinon, s’il doit rentrer travailler à minuit, il perd le bénéfice de son congé.

[72]         Les parties n’ont pas dit que le travail effectué le samedi et le dimanche était payé en temps supplémentaire. Elles ont parlé de 6 e et de 7 e journée. Ce serait modifier le texte de la convention collective que d’interpréter l’article 20.02 comme le suggère l’employeur. L’arbitre ne peut substituer aux termes employés les mots « samedi » et « dimanche » puisque les parties ont expressément convenu de remplacer ces mots qui se trouvaient dans la convention collective de 1993-1996 par les mots « 6 e journée » et « 7 e journée ».  La convention n’est pas ambiguë et l’arbitre doit l’appliquer.

[73]         Selon la règle de base, les heures travaillées avant ou après un quart de travail sont rémunérées au taux du temps et demi jusqu’à concurrence de 12 heures, puis au taux du temps double pour les heures additionnelles au cours d’une période de 24 heures. Il importe peu que ces heures soient effectuées avant ou après le quart de travail habituel du salarié. Les articles 20.02 et 20.03 constituent des exceptions par rapport à la règle générale. Il en va de même pour les jours fériés qui sont rémunérés à temps double.

[74]         Le syndicat invite l’arbitre à rejeter la preuve de pratique passée présentée par l’employeur puisque celle-ci invite à modifier les textes clairs de la convention collective.

[75]         Si l’employeur entend plaider plutôt la théorie de la préclusion (théorie de l’ estoppel ), le syndicat invite également l’arbitre à ne pas appliquer celle-ci, car aucune représentation du syndicat ne pouvait laisser croire à l’employeur qu’il était d’accord avec son interprétation. Le syndicat rappelle que si l’employeur veut invoquer cette théorie, c’est lui qui assume le fardeau de démontrer que les conditions d’application de celle-ci sont présentes. Le syndicat soutient que l’absence de griefs ne peut, à elle seule, suffire pour établir que le syndicat était au courant de la pratique de l’employeur et d’accord avec celle-ci.

[76]         Comme il s’agit d’une question portant sur la paie de chaque salarié pris individuellement, le syndicat ne peut savoir qu’il y a une erreur si le salarié ne vient pas le voir en contestant la manière dont ses heures supplémentaires ont été payées. L’absence de griefs ne devrait pas faire perdre de droits aux salariés.

[77]         Le syndicat reconnaît que l’employeur a mis en preuve que le directeur syndical et un délégué ont eux-mêmes été payés à temps et demi pour des heures supplémentaires effectuées dans les mêmes circonstances que celles soulevées par les griefs. Si une erreur de quelques heures est faites, au net cela ne paraît pas beaucoup sur la paie puisque cela représente 17 $ environ. En soi, c’est insuffisant pour établir que le syndicat connaissait la pratique incorrecte de l’employeur.

[78]         Il a été mis en preuve que monsieur Richard a fait beaucoup de temps supplémentaire. Il pouvait lui être difficile de décortiquer ses paies afin de voir s’il était payé correctement. Si la théorie de la préclusion devait être acceptée dans le présent dossier, ce serait permettre aux employeurs de faire des erreurs pendant des années et, si un salarié le constate, l’employeur pourrait dire qu’il est trop tard. Pour qu’il y ait préclusion, la jurisprudence indique qu’il faut une pratique consciente et que le syndicat y ait acquiescé par sa conduite ou son silence. La connaissance du syndicat ne se présume pas. Or, il a été mis en preuve que monsieur Leblanc n’avait pas connaissance de la pratique de l’employeur. Il croyait au contraire que l’employeur payait les salariés au bon taux horaire. Dans le cas de monsieur Leclerc, vu ses nombreux changements d’horaire, il n’était pas facile pour lui de déterminer quelle était sa 6 e ou sa 7 e  journée de travail.

[79]         Le syndicat demande donc à l’arbitre d’accueillir le grief et d’ordonner que les heures de travail effectuées durant la 7 e journée ou durant un congé férié soient rémunérées à temps double tel que le prévoit la convention collective. Interpréter autrement la convention collective serait donner à celle-ci ne signification incompatible avec le sens commun puisque les journées auraient une durée variable.

[80]         L’employeur plaide pour sa part que chaque partie a son prisme. L’employeur est en désaccord avec la prétention syndicale à l’effet qu’il n’aurait pas démontré la connaissance de la part de monsieur Leblanc de la manière dont les heures supplémentaires sont rémunérées. Il rappelle qu’il a été établi que monsieur Leblanc était impliqué dans les négociations. Il incombait au syndicat de faire preuve de vigilance quant à l’application de la convention collective. Si personne n’était au courant du taux payé pour les heures supplémentaires effectuées avant le début du premier quart de travail de la semaine, cela tient presque de l’aveuglement volontaire. Dans le seul cas du plaignant Richard, l’employeur a relevé 45 occurrences où il aurait effectué des heures supplémentaires le lundi matin, heures pour lesquelles il a été payé au taux du temps et demi.

[81]         La preuve est non contredite que l’employeur a toujours payé les heures contiguës à un quart de travail à ce taux. Il n’y a jamais eu ni discussion, ni grief, pour contester cette pratique qui a cours depuis plus de 10 ans. Les salariés sont présumés vérifier leurs bulletins de paie. Comme la convention prévoit un délai de 12 jours pour déposer un grief et le Code du travail une prescription de 6 mois, l’employeur soutient qu’après dix ans d’une pratique constante, il y a présomption de connaissance de cette application de la convention collective

[82]         Si le syndicat soutient que la convention est claire, l’employeur n’a pour sa part pas cette prétention. Il ne considère pas que celle-ci est d’une grande limpidité. À vrai dire, selon l’employeur, le seul texte qui est clair est celui de l’article 20.01a) qui prévoit que toutes les heures travaillées avant ou après un quart de travail sont payées au taux de temps et demi. Or, pour faire droit aux griefs, l’arbitre devrait faire abstraction de cet article.

[83]         À titre d’exemple, il suggère de considérer la situation d’un salarié de l’expédition dont l’horaire de travail est de cinq jours à compter de 6 h le lundi matin. L’article 20.01a) prévoit que les heures travaillées « avant ou après sa cédule régulière de travail » sont payées au taux de temps et demi. On peut présumer que le mot «  cédule » est synonyme d’«  horaire de travail ». Si l’employeur le fait entrer à minuit, il travaillera 14 heures consécutives, ce qui est conforme à l’article 59 de la Loi sur les normes du travail et il sera rémunéré au taux du temps double pour deux heures, ce qui est la loi des parties selon l’article 20.01b).

[84]         Le syndicat a fait valoir que, dans la convention 93-96, les parties parlaient de « samedi » et de « dimanche » plutôt que de «   6 e journée » et de «  7 e journée ». Or, à l’époque, l’horaire de travail était uniforme pour toutes les fonctions dans l’usine. Le libellé a été modifié pour tenir compte du fait que, désormais, les horaires de travail sont plus complexes. Les samedis et dimanches n’ont pas de sens pour les salariés qui commencent leur semaine de travail le jeudi, d’où le remplacement de ces mots par « 6 e journée » et «  7 journée ».

[85]         Si cela amène une interrogation sur ce qu’est une journée de travail, il faut définir ces termes en se référant à l’article 19. Par exemple, l’individu ayant un horaire de jour selon l’article 19.01a) et qui travaille donc du lundi au vendredi à compter de 6 h et qui serait appelé à rentrer travailler le samedi matin ou le dimanche matin serait ainsi amené à travailler le 6 e ou le 7 e jour. Il serait alors dans une situation bien différente de celle dans laquelle il se trouverait s’il était appelé à travailler des heures contiguës au début de son quart habituel de travail du lundi matin. L’inconvénient n’est pas le même. D’ailleurs, les parties l’ont reconnu en convenant de l’article 20.04 qui précise que toutes les heures de travail de salariés d’un quart habituel qui commence le dimanche seront payées selon les «  taux normaux » de salaire applicables à ces salariés.

[86]         Selon l’employeur, même le mémo qui constitue l’entente mettant fin aux griefs de 2002 ne pêche pas par sa grande clarté. Il propose une manière de régler des griefs en lien avec une situation particulière et ponctuelle qui se posait à l’époque. Des salariés accumulaient des quarts de travail d’une manière excessive vers la fin de la semaine, ce qu’ils auraient été incapables de faire en début de semaine vu leur horaire habituel de travail. L’employeur ne voulait pas payer à temps double des salariés qui effectuaient jusqu’à 8 quarts de travail dans une même semaine en se reposant uniquement 8 heures avant de revenir travailler.

[87]         Selon l’employeur, l’entente intervenue ne vient pas contredire l’application de l’article 20.01a), application qui est constante depuis 1995. D’ailleurs, lorsque ces griefs ont été déposés en 2002, il n’y a pas eu de discussions quant à l’application des règles touchant le paiement des heures supplémentaires effectuées en début de semaine. Si le syndicat avait la prétention que l’entente intervenue avait un impact sur la pratique antérieure de l’employeur, il se devait de faire preuve de vigilance et de s’assurer que l’employeur appliquerait correctement l’entente à l’égard des heures supplémentaires effectuées avant le premier quart de travail de la semaine.

[88]         Si le syndicat prétend que « jour de travail » signifie « début du quart de travail », il faudrait qu’il explique pourquoi les parties ont ajouté à la convention de 2005 une définition du mot « jour » en indiquant que le mot signifie « jour de calendrier  ». Les parties n’entendaient certainement pas que le mot ait la signification suggérée par le syndicat.

[89]         Selon l’employeur, l’article 20.01a) est clair et la pratique passée est un instrument privilégié pour comprendre quelle était l’intention des parties. L’arbitre n’a pas à chercher le sens du mot « jour » puisque celui-ci est défini à l’article 2.10. L’employeur reconnaît qu’une journée compte 24 heures. La technique des blocs de 24 heures a été suggérée afin de clarifier la méthode de paiement des heures supplémentaires dans le cas de quarts brisés travaillés à la fin de la semaine de travail.

[90]         Cependant, l’article 20.01a) est une disposition très spécifique qui vise à déterminer la manière dont le temps supplémentaire sera rémunéré. Cet article vient régler le problème que pose les griefs S-2 et S-3. Il doit être lu avec l’article 20.01b) qui met en application l’article 59 de la Loi sur les normes du travail . L’employeur fait remarquer que l’article 20.01a) n’a pas été modifié depuis 1993. Il soutient avoir fait une preuve convaincante de son application d’une manière constante et non contestée.

[91]         Il rappelle en outre que la preuve a établi que deux délégués syndicaux ont fait des heures supplémentaires avant leur premier quart de travail. On peut penser que ceux-ci portent une attention particulière à l’application de la convention collective quant à la façon dont ils sont payés. Or, aucun d’entre eux ne s’en est plaint en temps utile.

[92]         Il constate en outre que les deux plaignants ne sont pas venus témoigner, le syndicat choisissant plutôt de faire entendre uniquement monsieur Leblanc, le signataire des griefs pour le syndicat. Il invite par ailleurs l’arbitre à écarter de son esprit l’importance des sommes monétaires en jeu puisqu’aucune preuve n’a été présentée à cet égard. La somme de 17 $ évoquée dans la plaidoirie syndicale ne repose sur aucun fondement dans la preuve.

[93]         L’employeur soutient par ailleurs que, dans l’hypothèse où l’arbitre en arriverait à la conclusion que l’interprétation syndicale est la bonne, il lui faudrait alors considérer la théorie de la préclusion. En raison du silence du syndicat pendant toutes ces années, son grief doit être rejeté.

[94]         En réplique, le syndicat invite l’arbitre à écarter l’argument fondé sur la prescription en rappelant qu’il n’y a pas eu d’objection à la recevabilité des griefs pour ce motif.

[95]         Au sujet de l’entente S-4, le syndicat rappelle que les parties n’ont pas dit qu’il s’agissait d’une entente visant à régler uniquement certains griefs ou faite sans admission de responsabilité. Elle a une portée plus large, selon le syndicat, que celle que veut lui donner l’employeur. Monsieur Pichet a écrit que les salariés seraient payés « comme le prévoit la convention collective ».

[96]         Le syndicat rappelle qu’il y a deux notions en jeu, soit la journée de travail et la journée. Lorsqu’il est question de 6 e et 7 e journée à l’article 20.02, on ne parle pas d’horaire de travail ou de journée de travail. C’est l’article 20.02a) qui est au cœur du litige. C’est un préalable avant d’interpréter l’article 20.01a).

[97]         Quant au fait que les salariés en cause ne soient pas venus témoigner, le syndicat s’en explique par le fait que les sommes en jeu ne justifient pas de faire perdre une journée de travail aux deux salariés en cause.

[98]          Le syndicat rappelle que chaque affaire repose sur ses propres faits et que les décisions soumises par l’employeur permettent de constater que le syndicat avait une connaissance réelle de la situation, c’est pourquoi la théorie de la préclusion pouvait être retenue par les arbitres dans les affaires soumises, ce qui n’est pas le cas dans le présent litige.

[99]         En supplique, l’employeur reconnaît qu’il n’a pas soulevé la prescription. Celle-ci a été évoquée simplement pour faire valoir l’importance que le droit reconnaît à la stabilité des relations de travail.

[100]      Quant à la pièce S-4, l’employeur ne la considère pas comme une entente à proprement parler, car le document n’a pas été signé par les deux parties et déposé au ministère du Travail. Il indique simplement comment l’employeur entendait payer les salariés se trouvant dans la situation qui a été expliquée par les témoins.

[101]      Une autre raison justifiant de ne pas appliquer la notion de bloc de 24 heures, selon l’employeur, est le fait qu’il a été établi que les heures effectuées le dimanche avant 22 heures sont toujours payées au taux du temps double.

[102]      Enfin, l’employeur se dit tenté d’invoquer la maxime de minimis non curat praetor si ce qui est réclamé par les griefs est aussi peu important que le prétend le syndicat.

[103]      La liste des décisions soumises par les deux parties dans le cadre de leur argumentation est dressée en annexe.

 

4.         DÉCISION ET MOTIFS

[104]      Les dispositions pertinentes de la convention collective (pièce S-1) se lisent comme suit :

ARTICLE 2      Interprétation des termes

[…]

2.10     Jour

À moins de stipulation contraire le mot jour signifie jour civil.

[…]

 

ARTICLE 19    Semaine et horaires de travail

19.01   a)          Expédition / réception

                        […]

            b)         Production

                        4 jours de 10 heures

                        de jour  Du lundi 06:00 heures au jeudi à 16:00 heures.

                        de nuit  Du lundi 16:00 heures au jeudi 2:00 heures.   

                        5 jours de 8 heures

                        de jour  Du lundi 06:00 heures au vendredi à 14:00.

                        de soir  Du lundi 14:00 heures au vendredi à 22:00.

                        de nuit  Du dimanche 22:00 heures au vendredi 06:00 heures.

                        […]

            c)         Sidel

                        continental  alternance

                        4 jours de 12 heures par semaine

                        3 jours de 12 heures

                        de jour      06:00 heures à 18:00 heures

                        de nuit      18:00 heures à 06:00 heures

 

                        5 jours de 8 heures

                        de jour  Du lundi 06:00 heures au vendredi à 14:00

                        de soir  Du lundi 14:00 heures au vendredi à 22:00

                        de nuit  Du dimanche 22:00 heures au vendredi 06:00 heures

                         4 jours de 10 heures

                        de jour  Du lundi 06:00 heures au jeudi à 16:00 heures.

                        de nuit  Du lundi 16:00 heures au jeudi 2:00 heures.   

 

            d)         Horaire fin de semaine

                        […]

            e)         Horaire du département des métiers

                        […]

            f)          Horaire sanitation

                        […]

            […]

ARTICLE 20   Heures supplémentaires ­­- Rémunération spéciale

20.01   a)         Toutes les heures travaillées par un salarié régulier avant ou après sa cédule régulière de travail seront rémunérées au taux de temps et demi de son taux régulier.

            b)         Toutes les heures travaillées par un salarié régulier au-delà de douze [12] heures par jour seront rémunérées au taux de temps double, deux [2] fois son taux régulier.

20.02     a)       Lorsque les salariés travaillent sur un horaire de cinq [5] jours, le travail effectué la sixième [6] journée est rémunéré à raison de taux et demi; le travail effectué la septième [7] journée est rémunéré à raison de temps double.

              b)       Toutes les heures supplémentaires travaillées le samedi après huit [8] heures de travail seront rémunérées au taux de temps double.

20.03               Lorsque les salariés travaillent sur un horaire de quatre [4] jours, le travail effectué la cinquième [5] journée et sixième (6) journée est rémunéré à raison de taux et demi et le travail effectué la septième [7] journée est rémunéré à raison de taux double.

20.04               Il est entendu qu’une équipe qui débute un vendredi ou un dimanche sera considérée régulière et rémunérée selon les taux normaux des salariés avec la prime d’équipe, si applicable, pour toutes les heures travaillées pendant son quart de travail.

20.05     a)       Les heures supplémentaires se feront sur une base volontaire. Un salarié aura le droit de refuser les heures supplémentaires pourvu qu’il y ait des salariés reconnus, compétents et disponibles pour faire le travail requis. Dans la distribution des heures supplémentaires, l’employeur tiendra compte de l’ancienneté des salariés concernés.

              b) Les heures supplémentaires à effectuer durant l’horaire régulier journalier de travail en cours seront distribuées par ancienneté prioritairement parmi les salariés déjà assignés à ce poste durant les heures régulières de travail. Le salarié devra faire toute la période des heures supplémentaires ou jusqu’à concurrence de 14 heures ou jusqu’à ce qu’un salarié plus ancien le déplace. Cependant, le salarié qui exerce son droit d’ancienneté ne devra jamais générer une période restante des heures supplémentaires inférieure à 4 heures consécutives, à défaut de quoi les heures supplémentaires lui seront refusées.

                        Si un nombre insuffisant de salariés se porte volontaires, les salariés déjà assignés à ce poste seront désignés par ordre inverse d’ancienneté afin d’effectuer les heures supplémentaires. Advenant un manque de salariés classifiés, l’employeur pourra désigner un salarié reconnu par ordre inverse d’ancienneté. Cependant, le salarié compétent et reconnu sur les lieux du travail ayant le moins d’ancienneté devra, à la demande de l’employeur, effectuer les tâches jusqu’à ce que le remplacement arrive.

              c)       Les heures supplémentaires à effectuer à l’extérieur de l’horaire régulier de travail en cours seront distribuées par ancienneté départementale parmi les salariés reconnus. Le salarié devra faire toute la période des heures supplémentaires ou jusqu’à concurrence de 14 heures. Cependant, le salarié qui exerce son droit d’ancienneté pour les heures supplémentaires ne devra jamais générer une période restante des heures supplémentaires inférieure à 4 heures consécutives, à défaut de quoi, les heures supplémentaires lui seront refusées.

                        Si un nombre insuffisant de salariés se portent volontaires les salariés reconnus seront désignés par ordre inverse d’ancienneté départementale.

              d)       Lors d’affichage concernant les heures supplémentaires le samedi, dimanche ainsi que les fêtes légales, les salariés reconnus pourront poser leurs candidatures sur plusieurs quarts de travail, mais ces derniers ne seront éligible que sur un seul quart de travail.

              […]

 

ARTICLE 21    Fêtes légales

21.04               La paye que recevra un salarié pour un jour férié et chômé sera un montant égal à son taux horaire normal incluant la prime multipliée par le nombre d’heures de sa programmation normale et régulière quotidienne de travail.

21.05               Toutes les heures travaillées un jour férié seront payées au taux de temps double en plus du paiement de la fête légale.

[…]

[SIC]

[105]      Dans la convention collective précédente (convention 2005-2010) où le mot « jour » a été défini pour la première fois, les parties ont convenu ce qui suit :

2..10    Jour

À moins de stipulation contraire le mot jour signifie jour de calendrier.

[106]      Dans le Dictionnaire CARRA mis en ligne par la Commission administrative des régimes de retraite et d’assurance du Québec, on retrouve l’entrée suivante pour « jour civil » :

JOUR CIVIL ____________________________________________________________

Définition :        Période de vingt-quatre heures, considérée de minuit à minuit, qui correspond aux divisions d'un mois civil.

____________________________________________________________

Terme juridique :       jour civil

Équivalent anglais :   calendar day

Terme à éviter :         jour de calendrier

Source : Grand dictionnaire terminologique

http://dictionnaire.carra.gouv.qc.ca/index.asp?id=1150

[107]      Il faut voir dans le changement apporté dans la dernière convention collective un simple souci de correction linguistique plutôt qu’un désir de modifier la définition du mot « jour » convenue lors de la précédente négociation.

[108]      Les parties se sont entendues sur le fait qu’en principe un jour commence à minuit. Cela n’est cependant pas une règle absolue puisque les parties ont précisé que tel est le sens à donner au mot « jour », sauf stipulation contraire.

[109]      En soi, cette définition ne permet donc pas de solutionner le litige qui consiste à déterminer si les heures de travail supplémentaires effectuées avant le début du premier quart de travail de la semaine régulière ou avant le début du quart qui suit un jour férié doivent être payées à temps double. En effet, la règle applicable pourrait tout aussi bien procéder du principe général que de l’exception en cas de stipulation contraire. Il faut donc s’attarder aux règles édictées à l’article 20 dans le cas du grief S-2 et à l’article 21 dans le cas du grief S-3.

[110]      Il faut rappeler d’entrée de jeu que, dans le cas de griefs comme ceux qui ont été déposés par le syndicat au nom des deux plaignants, le fardeau d’en démontrer le bien-fondé incombe au syndicat. Il lui faut donc établir de façon prépondérante les faits à la base des griefs.

[111]      Il faut constater que les deux plaignants n’ont pas été entendus. De plus, le syndicat n’a pas jugé opportun de déposer leurs bulletins de paie en dépit du fait qu’il ait tenté de tirer un argument de la difficulté que présenterait pour les salariés, voire même pour les délégués syndicaux, la compréhension des règles appliquées par l’employeur pour le paiement des heures supplémentaires.

[112]      La preuve n’est donc pas sans lacunes en ce qui concerne les heures de travail effectuées par les deux plaignants et le taux de salaire qui leur a été versé pour les périodes indiquées dans leurs griefs. Cette faiblesse a cependant été comblée en partie par le témoignage de madame Pervin et par les documents (pièces E-1 et E-2) qu’elle a déposés dans le cadre de son témoignage.

[113]      La soussignée ne peut néanmoins pallier l’insuffisance de la preuve en ce qui concerne la capacité ou au contraire la difficulté que présenterait pour les salariés la compréhension de la manière dont l’employeur paie les heures supplémentaires, si ce n’est en présumant que l’employeur respecte son obligation de remettre un bulletin de paie comportant les mentions exigées par la Loi sur les normes du travail , L.R.Q., chapitre N-1.1. Rappelons pour mémoire ce que prévoit son article 46 :

46. L'employeur doit remettre au salarié, en même temps que son salaire, un bulletin de paie contenant des mentions suffisantes pour lui permettre de vérifier le calcul de son salaire. Ce bulletin de paie doit contenir en particulier, le cas échéant, les mentions suivantes:

1° le nom de l'employeur;

 

2° le nom du salarié;

 

3° l'identification de l'emploi du salarié;

 

4° la date du paiement et la période de travail qui correspond au paiement;

 

le nombre d'heures payées au taux normal ;

 

le nombre d'heures supplémentaires payées ou remplacées par un congé avec la majoration applicable ;

 

7° la nature et le montant des primes, indemnités, allocations ou commissions versées;

 

8° le taux du salaire;

 

9° le montant du salaire brut;

 

10° la nature et le montant des déductions opérées;

 

11° le montant du salaire net versé au salarié;

 

[…]

           

            [nos soulignements]

 

[114]      En outre, il faut constater qu’il n’a pas été établi si ces deux salariés se sont portés volontaires pour effectuer des heures supplémentaires ou s’ils ont été désignés par l’employeur, faute de volontaires. Il n’a pas non plus été établi si l’attribution des heures supplémentaires s’est effectuée selon les règles énoncées à l’article 20.05b), à l’article 20.05c) ou à l’article 20.05d). Cela aurait pourtant pu être éclairant quant à l’interprétation que font les parties elles-mêmes de ces dispositions et plus particulièrement quant à savoir si les heures supplémentaires d’avant le début d’un quart de travail sont réputées être «  des heures supplémentaires à effectuer durant l’horaire régulier journalier de travail en cours  » au sens de l’article 20.05 b) ou plutôt des « heures supplémentaires à effectuer à l’extérieur de l’horaire régulier de travail en cours » au sens de l’article 20.05c).

[115]      Ces mises au point étant faites quant aux limites de la preuve qui a été présentée, disposons maintenant des griefs logés par les plaignants.

[116]      En ce qui concerne le grief S-2 logé par le plaignant Léonard, vu la preuve présentée, il faut conclure qu’au plan factuel, si tant est que le plaignant ait effectivement travaillé « dans la nuit du 7e jour à sa première journée (24 au 25 avril) », tel qu’allégué dans son grief, la preuve ne l’établit pas de façon prépondérante.

[117]      En effet, la pièce E-1 tend plutôt à établir qu’il n’aurait pas travaillé le 25 avril 2011, qui est le lundi de Pâques, et que l’employeur lui aurait payé son congé férié au taux du temps simple, tel que le prévoit l’article 21.04. Le plaignant Léonard n’a pas non plus travaillé des heures supplémentaires avant son quart de travail du mardi, selon ce qui a été établi au moyen du document E-1. Cette partie de sa réclamation doit donc être écartée d’emblée. En tout état de cause, si les prétentions du syndicat s’avéraient fondées en droit, cette partie de la réclamation n’a donc pas été établie en faits.

[118]      Le grief S-2 allègue cependant que l’employeur aurait également mal rémunéré le temps supplémentaire effectué par le même salarié avant son quart de travail du 9 mai 2011.

[119]      La preuve a établi que, selon l’horaire établi par l’article 19.01c), le plaignant Léonard commence normalement à travailler à 6 h le lundi matin et son horaire habituel compte 8 heures de travail par jour, pour cinq jours, du lundi au vendredi. Le document E-1 confirme que le plaignant Léonard a effectivement poinçonné à 1 h 56 durant la nuit du lundi 9 mai et qu’il a travaillé jusqu’à 16 h ce jour-là, pour un total de 14 heures continues.

[120]      Selon la preuve, il a été payé au taux de temps et demi pour quatre de ses heures supplémentaires et au taux du temps double pour les deux dernières heures puisqu’il excédait 12 heures de travail continues selon l’explication fournie par madame Pervin.

[121]      Le sort de cette partie du grief S-2 dépend du mérite de la prétention syndicale voulant que l’employeur doive payer au taux du temps double les heures effectuées par le plaignant avant le début de son horaire habituel de travail puisqu’il serait encore dans sa 7 e journée au sens de l’article 20.02 de la convention collective jusqu’au moment du début de son quart habituel de travail.

[122]      Selon les parties, l’évolution des textes de la convention collective peut servir à l’interprétation des textes de l’actuelle convention collective. Le syndicat prétend en outre que le règlement intervenu en 2002 afin de mettre fin au grief de monsieur Ste-Marie (pièce S-4) doit également être pris en considération pour décider du bien-fondé de sa prétention. Voyons ce qu’il en est.

[123]      Retenons pour fins d’analyse les dispositions suivantes de la convention collective 1993-1996 :

            ARTICLE 19     Semaine de travail

19.01     a)       La semaine régulière et normale de travail sera de quarante [40] heures et les salariés travailleront cinq [5] jours de huit [8] heures consécutives par semaine ou quatre [4] jours de dix [10] heures consécutives par semaine du lundi au vendredi inclusivement.

              b)       L’horaire de la semaine normale et régulière de travail pourra être différent pour les salariés de chaque ligne de production, les salariés de l’entretien et mécanicien ou pour les salariés de la réception et de l’expédition.

[…]

ARTICLE 20   Temps supplémentaire et rémunération spéciale

20.01               Toutes les heures travaillées au-delà de la cédule normale et régulière de travail quotidienne ou hebdomadaire seront payées au taux de temps et demi le taux de la calssification du salarié.

20.02               Toutes les heures travaillées le samedi, seront payées au taux de temps et demi le taux de la classification du salarié.

20.03               Toutes les heures travaillées le dimanche et/ou jour férié , seront payées au taux de temps double le taux de la classification du salarié.

20.04               Il est entendu qu’une équipe qui débute un vendredi ou un dimanche sera considérée régulière et payée selon les taux normaux des salariés avec la prime d’équipe, si applicable, pour toutes les heures travaillées pendant l’équipe.

[…]

            [SIC]

            [nos soulignements]

[124]      Au moment de la négociation pour le renouvellement de cette convention collective, les parties se sont entendues sur des horaires de travail pouvant varier selon la nature des fonctions des salariés, certains d’entre eux ayant un horaire de quatre jours. Les règles relatives au temps supplémentaire ont donc été modifiées pour tenir compte de cette nouvelle réalité. Elles se lisent comme suit dans la convention 1996-2000 :

ARTICLE 20                TEMPS SUPPLÉMENTAIRE ET RÉMUNÉRATION SPÉCIALE

20.01     a)       Toutes les heures travaillées par un salarié régulier au-delà de sa cédule régulière de travail seront rémunérées au taux de temps et demi de son taux régulier.

              b)       Toutes les heures travaillées par un salarié régulier au-delà de douze (12) heures par jour seront rémunérées au taux de temps double, deux (2) fois son taux régulier.

20.02     a)       Lorsque les salariés travaillent sur un horaire de cinq (5) jours, le travail effectué la sixième (6ème) journée est rémunéré à raison de taux et demi; le travail effectué la septième (7ème) journée est rémunéré à raison de temps double.

              b)       Toutes les heures supplémentaires travaillées le samedi après huit [8] heures de travail seront rémunérées au taux de temps double.

20.03               Lorsque les salariés travaillent sur un horaire de quatre (4) jours, le travail effectué les cinquième (5ème) et sixième (6ème) journées est rémunéré à raison de taux et demi et le travail effectué la septième (7ème) journée est rémunéré à raison de taux double.

20.04               Il est entendu qu’une équipe qui débute un vendredi ou un dimanche sera considérée régulière et rémunérée selon les taux normaux des salariés avec la prime d’équipe, si applicable, pour toutes les heures travaillées pendant son quart de travail.

[125]      C’est cette convention 1996-2000 qui s’appliquait au moment des griefs qui ont donné lieu à l’entente S-4.

[126]      Prenons le cas de monsieur Ste-Marie et essayons de comprendre si l’entente de 2002 signifie que les parties ont convenu, aux fins de l’application des règles concernant le paiement des heures supplémentaires, que la notion de «  jour » devrait s’entendre d’une période de 24 heures débutant non pas à minuit mais plutôt à l’heure du début du premier quart de travail de la semaine, et ce, pour chaque salarié selon son propre horaire de travail.

[127]      Cette comparaison permettra en effet de déterminer si l’entente intervenue est compatible avec la prétention syndicale à l’effet qu’il faut lire l’article 20.02 en considérant que, pour les fins d’application des règles de calcul du taux applicable aux heures supplémentaires, les jours commencent non pas à minuit mais bien à compter du début du premier quart de travail hebdomadaire de chaque salarié.

[128]      Reproduisons à nouveau ce qui a été convenu dans son cas afin de pouvoir comparer le résultat de l’entente intervenue avec ce que donnerait l’application des règles relatives aux heures supplémentaires par blocs stricts de 24 heures.

 

Paiement des heures supplémentaires du salarié Ste-Marie selon la théorie des blocs de 24 heures débutant à l’heure du début du quart régulier de travail :

Jour

Horaire normal de travail du

dimanche à 22 h au vendredi à 6 h

Bloc de 24 heures

 

8 heures

Heures travaillées

Total

Reg.

TS*

TD**

5

Du jeudi à 22 h au vendredi à 6 h

Du jeudi à

22 h au vendredi à

22 h

22 h - 12 h

 

20 h 30 - 22 h

 

14

 

1,5

8

4

2***

 

1,5***

6

Congé

Du vendredi à 22 h au samedi à 22 h

22 h - 3 h

 

13 h - 21 h

5

 

8

 

5

 

5

 

 

3****

 

7

Congé

Du samedi à 22 h au dimanche à 22 h

 

0

0

0

0

TOTAL

 

 

 

28,5

8

14

6,5

*  TS = nombre d’heures supplémentaires rémunérées au taux de temps et demi

** TD = nombre d’heures supplémentaires rémunérées au taux de temps double

*** Heures en sus de 12 heures par jour payées au taux de temps double selon l’article 20.01b)

**** Heures en sus de 8 heures travaillées le samedi selon l’article 20.02

 

[129]      Faisons le même exercice avec un autre salarié visé par l’entente S-4 mais dont les heures supplémentaires ne se sont pas effectuées de la même manière. Voici ce que cela donnerait pour le salarié Zavala :

Avant l’entente

Jour

Horaire de travail normal

Heures travaillées

Total

Reg.

TS*

TD**

A.     Zavala

Jeudi

Vendredi

Samedi

22 h - 6 h

19h - 6 h

15 h - 3 h

11

12

8

3

12

 

Total

 

 

 

23

8

15

 

Après l’entente

Jour

Horaire de travail normal

Heures travaillées

Total

Reg.

TS*

TD**

A.     Zavala

Jeudi

Vendredi

 

 

Samedi

22 h  - 6 h

19 h - 6 h

15 h -16 h

16 h - 22 h

 22 h - 3 h

11

 1

 6

 5

8

3

1

 

5

 

 

6

      Total

 

 

 

23

8

9

6

*  TS = nombre d’heures supplémentaires rémunérées à taux et demi

** TD = nombre d’heures supplémentaires rémunérées à taux double

 

 

Paiement des heures supplémentaires selon la théorie des blocs de 24 heures :

Jour

Horaire normal de travail du

dimanche à

22 h au vendredi

à 6 h

Bloc de 24 heures

 

8 heures

Heures travaillées

Total

Reg.

TS*

TD**

4

Du mercredi à

22 h au jeudi à

6 h

Du mercredi

à 22 h au

jeudi à 22 h

22:00 - 6:00

19:00 - 22:00

 

3

 

 

3

 

5

Du jeudi à 22 h au vendredi à 6 h

Du jeudi à

22 h au vendredi à

22 h

22:00 - 0:00

0:00 - 6 :00

 

15:00 - 22:00

2

6

 

7

2

6

 

 

 

6

 

 

 

1***

6

Congé

Du vendredi à 22 h au samedi à 22 h

22:00 - 0:00

 

0:00 - 3:00

2

 

3

 

2

 

3

 

 

7

Congé

Du samedi à 22 h au dimanche à 22 h

 

0

0

0

0

TOTAL

 

 

 

23

8

14

1

*  TS = nombre d’heures supplémentaires rémunérées au taux de temps et demi

** TD = nombre d’heures supplémentaires rémunérées au taux de temps double

*** Heures en sus de 12 heures par jour payées au taux de temps double selon l’article 20.01b)

**** Heures en sus de 8 heures travaillées le samedi selon l’article 20.02

 

[130]      Pour faciliter cette comparaison, reproduisons à nouveau, la partie du tableau qui indique comment le salarié Ste-Marie a été payé à la suite de l’entente intervenue en 2002 :

Après l’entente

Horaire de travail normal

Heures travaillées

Total

Reg.

TS*

TD**

Jeudi 11 avril 2002

Vendredi 12 avril 2002

 

Samedi 13 avril 2002

22 h - 6 h

Congé

 

Congé

22 h - 12 h

20 h30 - 22 h

22 h 00 - 3 h

13 h - 21 h

14

  1.5

  5

  8

8

4

 

5

3

2

1.5

 

5

*  TS = nombre d’heures supplémentaires rémunérées à taux et demi

** TD = nombre d’heures supplémentaires rémunérées à taux double

[131]      Cet exercice permet de constater que l’employeur a convenu d’une façon toute particulière de payer les heures supplémentaires effectuées après la semaine normale de travail en comptabilisant toutes les heures travaillées au cours du dernier quart de travail, y incluant celles effectués avant minuit, et ce, aussi bien pour l’application de l’article 20.01b) que de l’application de l’article 20.02b) pour le travail effectué le samedi. En effet, une application stricte de cet article aurait donné lieu au paiement de trois heures à temps double et non pas de cinq heures tel qu’il a été convenu dans le cas du salarié Ste-Marie.

[132]      En outre, si l’employeur avait appliqué strictement la théorie des blocs de 24 heures, dans le cas du salarié Zavala, moins d’heures lui auraient été payées à temps double que selon le règlement intervenu. En effet, dans son cas également, l’employeur a tenu compte de toutes les heures rattachées à un quart de travail, même celles faites avant le début de celui-ci pour l’application de l’article 20.01, une méthode qui n’est compatible ni avec la notion de jour civil, ni avec celle de blocs de 24 heures à partir de l’heure du début du premier quart de travail de la semaine.

[133]      Bref, l’entente intervenue en 2002 est effectivement, comme l’ont affirmé les témoins cités par l’employeur, une solution originale apportée à un problème particulier.

[134]      Cette entente ne permet pas de conclure d’emblée, comme le souhaiterait le syndicat, qu’il faut payer au taux du temps double les heures supplémentaires rattachées au début du premier quart de travail de la semaine, car ces heures appartiendraient à la 7 e journée de travail selon l’article 20.02. En effet, si les parties ont convenu de tenir compte de toutes les heures rattachées au dernier quart de travail régulier de la semaine pour la comptabilisation des heures supplémentaires effectuées par la suite, cela milite plutôt en faveur d’une interprétation des textes donnant préséance à l’article 20.01a) sur l’article 20.02a) en cas d’incompatibilité apparente.

[135]      Il faut également s’attarder aux modifications apportées aux dispositions concernant les heures supplémentaires au moment de la négociation suivante, celle qui a donné lieu à la convention 2005-2010.

[136]      Tel que mentionné plus haut, c’est dans cette convention (2005-2010) que les parties ont introduit une définition du mot « jour ». C’est également dans cette convention que les parties ont modifié l’article 20.01a) afin qu’il se lise désormais comme suit :

20.01     a)       Toutes les heures travaillées par un salarié régulier avant ou après sa cédule régulière de travail seront rémunérées au taux de temps et demi de son taux régulier.

[137]      On se rappellera que, dans les conventions précédentes, le texte de l’article 20.01a) employait plutôt les mots « heures travaillées au-delà de la cédule normale ». Or, ces mots sont définis au Petit Robert comme signifiant «  plus loin ». Dans le contexte, ce sont donc uniquement les heures effectuées après le quart de travail qui étaient visées par cet article. Cette interprétation est compatible avec l’emploi du même mot «  au-delà » à l’article 21.01b) qui vise clairement les heures effectuées après 12 heures.

[138]      Avec la modification apportée au libellé de l’article 20.01a), il ne fait aucun doute que les parties ont voulu que les heures effectuées avant le quart de travail obéissent aux mêmes règles que celles effectuées après celui-ci.

[139]      Les autres dispositions concernant les heures supplémentaires n’ont pas connu de changements significatifs à l’occasion de cette négociation. Elles n’ont pas été renégociées non plus dans la convention 2010-2015, qui s’applique au présent litige.

[140]      Il faut tenir compte de ces changements apportés après la conclusion de l’entente S-4 afin d’en évaluer la portée véritable.

[141]      Ce que les parties semblent avoir convenu, en édictant l’article 20.02a), c’est qu’un salarié qui serait appelé à rentrer au travail pour une sixième journée, travaillerait à temps et demi pour toutes les heures effectuées durant cette journée, jusqu’à concurrence de huit heures si cette sixième journée est un samedi, tandis que celui qui serait appelé à entrer au travail pour une septième journée, serait rémunéré à temps double. La limitation apportée par l’article 20.05d) introduite dans la convention 2005-2010, et qui vise à éviter la multiplication des quarts de travail de fin de semaine, milite également en faveur de cette interprétation.

[142]      Il faut interpréter les mots sixième et septième journée de l’article 20.02a) comme signifiant le sixième ou septième quart de travail hebdomadaire et non pas les quelques heures rattachées au début du premier quart de travail de la semaine régulière d’un salarié. Si l’horaire habituel de travail du salarié est, comme c’est le cas des deux plaignants, du lundi au vendredi, le samedi correspond ainsi à la sixième journée de travail et le dimanche à la septième journée. Les parties ont clairement remplacé les mots « samedi » et «  dimanche  », qui visaient la même réalité dans la convention 1993-1996, pour tenir compte de l’introduction de l’horaire de quatre jours. Cela est clair lorsqu’on lit l’article 20.03. Par ailleurs, le fait qu’on retrouve toujours à l’article 20.02b) le mot « samedi » indique bien que l’intention des parties a toujours été de considérer le samedi comme étant la sixième journée. 

[143]      La précision apportée par l’article 20.04, qui existait déjà à la convention 1993-1996, milite aussi en faveur de cette interprétation. En effet, les parties ont expressément prévu que le salarié dont l’horaire de travail commence un vendredi ou un dimanche sera rémunéré « selon les taux normaux des salariés (…) pour toutes les heures travaillées pendant son quart de travail .» C’est dire que les parties ont voulu éviter toute discussion quant à savoir si le salarié qui commence son horaire habituel un vendredi ou un dimanche a droit aux bénéfices particuliers prévus à l’article 20.02 pour le travail effectué durant les 6 e ou 7 e  journée de la semaine, étant entendu que le lundi marque le début de la semaine pour la majorité des horaires de travail prévus à l’article 19. Il faut aussi constater que tel était le cas dans la convention 1993-96 qui prévoyait que la «  semaine régulière et normale de travail  » débutait le lundi.

[144]      Cette analyse de l’évolution des textes de la convention collective nous amène à conclure qu’un salarié qui effectue des heures supplémentaires immédiatement avant le début de son premier quart de travail selon son horaire de travail régulier ne travaille pas une septième journée au sens de l’article 20.02. Il effectue simplement du travail « avant […] sa cédule régulière de travail  » selon l’article 20.01a). Il est donc assujetti à la règle édictée par l’article 20.01a) et non pas à celle édictée par l’article 20.02a).

[145]      Si cela n’était pas clair au moment de la conclusion de l’entente S-4, cela ne fait désormais plus de doute avec la modification apportée à l’article 20.01a) lors de la négociation suivante puisque la disposition prévoit désormais que les heures effectuées avant ou après un quart de travail sont rémunérées au taux du temps et demi alors qu’au moment de la conclusion de l’entente S-4, seules les heures postérieures au quart de travail étaient clairement assujetties à cette règle. Bien entendu, il faut aussi prendre en considération l’article 20.01b).

[146]      Il est vrai que cet article 20.01b) précise que ce sont les heures travaillées « au-delà de douze [12] heures par jour » qui sont rémunérées au taux de temps double de telle sorte que les heures travaillées avant minuit ne devraient pas être prises en considération vu la définition du mot « jour ». Il semble toutefois que la pratique de l’employeur soit d’additionner toutes les heures effectuées durant un même quart de travail. Si un salarié travaille plus de douze heures durant son quart de travail, et ce, peu importe que les heures supplémentaires aient été effectuées avant ou après minuit, il sera payé au taux du temps double pour les heures supplémentaires excédant douze heures de travail consécutives. Si cette pratique n’est pas parfaitement conforme au texte de l’article 20.01b) de la convention collective, dans le cas d’un salarié qui commencerait son quart de travail à 22 heures, cela n’est pas l’objet du présent litige. Il n’y a donc pas lieu de s’attarder à la question de l’application de la théorie de la préclusion pour décider du bien-fondé du grief S-2.

[147]      En effet, il appert de la pièce E-1 que le plaignant Léonard a débuté son travail à 2 heures du matin le 9 mai, faisant ainsi quatre heures supplémentaires avant le début de son quart de travail régulier. Il a terminé son quart deux heures plus tard que l’heure usuelle, pour un total de six heures en sus de son quart régulier de huit heures durant la seule et même journée du 9 mai 2011. Toutes ces heures ont été effectuées le même jour au sens de l’article 2.10. Dès lors, selon l’article 20.01b), deux de ces heures devaient être payées au taux du temps double. Selon la preuve qui a été administrée, c’est ainsi que le plaignant Léonard a effectivement été rémunéré. Il faut en conclure que les règles prévues à la convention collective ont été correctement interprétées et appliquées dans son cas. Le grief S-2 doit donc être rejeté.

[148]      Attardons-nous maintenant au grief S-3. Les heures supplémentaires effectuées par monsieur Richard avant le début de son quart régulier de travail, soit durant la nuit du lundi 23 mai 2011 au mardi 24 mai 2011, devaient-elles être rémunérées à temps double parce qu’il s’agirait pour lui de travail effectué durant une fête légale au sens de l’article 20.05d) ? Telle est la seule question à résoudre pour décider de son grief et non pas de savoir s’il a ainsi travaillé durant sa 7 e journée. En effet, ce n’est manifestement pas le cas puisqu’il n’est pas entré au travail le matin du 23 mai 2011 qui est le lundi. Selon la pièce E-2, il a plutôt débuté son quart de travail du mardi matin quatre heures plutôt que l’heure habituelle, donc à 2 h du matin le mardi 24 mai 2011.

[149]      Aux fins de l’application de l’article 20.05d), selon la prétention syndicale, le jour férié ne correspondrait pas, pour ce salarié, au jour civil mais commencerait au moment du début de son quart de travail habituel, c’est-à-dire à 6 h le matin du lundi 23 mai pour se terminer à 6 h le mardi matin. Dès lors, le plaignant Richard aurait ainsi travaillé pendant un jour férié et aurait dû être rémunéré au taux du temps double pour les heures de travail précédant son horaire habituel, un horaire de production de quatre jours à raison de 10 heures par jour de travail et débutant le lundi à 6 h, selon l’article 19.01b).

[150]      Cette prétention ne tient pas la route vu le libellé de l’article 21.05. Ce sont les heures travaillées durant le jour férié lui-même qui appellent une rémunération au taux du temps double. Sauf stipulation expresse au contraire, que l’on ne retrouve pas, il faut donner effet à la définition du mot « jour » et conclure que le jour férié commence à minuit pour tous les salariés, et ce, quel que soit leur horaire de travail. Cela suffit pour décider du sort du grief S-3. Celui-ci est manifestement mal fondé et doit donc être rejeté.

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

Rejette le grief 60129;

Rejette le grief 60130.

 

 

 

 

 

________________________________ __

LOUISE VIAU

Arbitre de grief [ C.a.q .]

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour le syndicat :

Me Marie-France Veilleux

Teamsters Québec Local 1999

 

Pour l’employeur :

Me Guy Lavoie cria

Lavery, De Billy s.e.n.c.r.l.

 

Date d’audience :

26 mars 2012


LISTE DES AUTORITÉS

 

 

I            AUTORITÉS DE LA PARTIE SYNDICALE

 

Héma-Québec - et -  Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (grief syndical) , sentence arbitrale du 21 août 2009, M e  Gilles Desnoyers, arbitre, AZ-50578623 , D.T.E. 2009T-800

Electrovert Ltd. - et - Syndicat des travailleurs d’électrovert Ltée (C.S.N.) , sentence arbitrale du 10 février 1985, M e  Claude D’Aoust, arbitre, AZ-85141077 , D.T.E. 85T-307

Radio-nord Inc. (CHOT-TV) - et - Association nationale des employés et techniciens en radiodiffusion (NABET), CT.C., local 612 , sentence arbitrale du 11 avril 1984, M e  Jacques Dupont, arbitre, AZ-84141201 , D.T.E. 84T-419

 

 

 

 

II           AUTORITÉS DE LA PARTIE PATRONALE

 

Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 200 - et - Papiers Stadacona ltée (Daishowa inc.) , sentence arbitrale du 4 octobre 2005, M e  Jean-Guy Ménard, arbitre, AZ-50340380 , D.T.E. 2005T-1016

Union des routiers, brasseries, liqueurs douces et ouvriers de diverses industries, section locale 1999 - et - Brasseries Molson , sentence arbitrale du 25 novembre 2003, M e  Jean Denis Gagnon, arbitre, AZ-50209053 , D.T.E. 2004T-32

Sndicat du personnel technique et professionnel de la Société des alcools du Québec - et - Société des alcools du Québec , sentence arbitrale du 1 er juin 2000, M e  Lyse Tousignant, arbitre, AZ-00142112 , D.T.E. 2000T-744