COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

263229

Cas :

CM-2012-0491

 

Référence :

2012 QCCRT 0342

 

Montréal, le

16 juillet 2012

______________________________________________________________________

 

DEVANT LES COMMISSAIRES :

Irène Zaïkoff, vice-présidente

 

Mario Chaumont, juge administratif

 

Alain Turcotte, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

Danny Noivo

 

Requérant

c.

 

9196-3702 Québec inc.

Subaru Rive-Nord

 

Intimée

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION CORRIGÉE

______________________________________________________________________

 

 

Le texte original a été corrigé le 7 septembre 2012 et la description des correctifs est annexée à la présente version.

[1]            Le 31 janvier 2012, Danny Noivo (le requérant ) dépose une demande de révision selon l’article 127 (3) du Code du travail , L.R.Q., c. C-27 (le Code ) de la décision de la Commission rendue le 4 janvier 2012 ( 2012 QCCRT 0002 ). La Commission rejette sa plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante, fondée sur l’article 124 de la Loi sur les normes du travail , L.R.Q., c. N-1.1, déposée le 13 décembre 2010.

La décision contestée

les faits retenus dans la décision contestée

[2]            Le requérant est vendeur chez un concessionnaire automobile, Subaru Rive-Nord (l’ intimée ), depuis septembre 2008. En mai 2010, l’entreprise déménage, ce qui entraîne plusieurs changements, dont un nombre accru de vendeurs et de nouveaux objectifs de ventes. Le requérant doit vendre 110 véhicules en 2010 alors que sa cible était de 75 véhicules en 2009. Le quota est établi selon le nombre de véhicules que le fabricant alloue à chaque concessionnaire.

[3]            La direction rencontre les vendeurs une à deux fois par mois et leur rappelle que leur poste est en danger s’ils n’atteignent pas leurs objectifs, soit de vendre 10 véhicules par mois. En septembre 2010, à une date qui n’est pas précisée dans la décision, l’intimée rencontre le requérant. Elle prétend l’avoir avisé qu’il devait améliorer sa performance dans les 60 prochains jours. En cas contraire, il pourrait être congédié.

[4]            Le 29 octobre 2010, l’intimée met fin à l’emploi du requérant parce que celui-ci n’atteint pas ses objectifs de vente depuis mai 2010.

[5]            La décision contestée fait état du rendement du requérant aux paragraphes 6 à 8, qui se lisent comme suit :

[6] Le plaignant a été congédié le 29 octobre 2010 parce que, depuis le mois de mai 2010, il n’atteint pas ses objectifs de vente. Alors qu’entre les mois de mai à octobre 2010, il aurait dû vendre 60 véhicules (10 automobiles par mois), il n’en a vendu que 42, répartis comme suit :

Mai                  4 véhicules

Juin                 12 véhicules

Juillet              7 véhicules

Août                8 véhicules

Septembre     6 véhicules

Octobre          5 véhicules

[7] L’employeur rencontre le plaignant en septembre 2010. Il prétend l’avoir averti que si sa performance ne s’améliorait pas au cours des 60 prochains jours, il pourrait faire face à un congédiement.

[8] Selon l’employeur, au cours de la même période soit du 1 er  juin 2010 au 31 octobre 2010, les statistiques des autres représentants à l’emploi du concessionnaire qui avaient aussi travaillé à Sainte-Rose se déclinent comme suit :

Dominic Déry             29 ventes        (embauché au printemps 2010)

Steve Desbiens         50 ventes

Jacques Gauthier       60 ventes

Patrick Guilbault         40 ventes

Le plaignant                38 ventes       

les motifs dans la décision contestée

[6]            La Commission rejette la plainte en considérant que l’intimée a bien respecté les critères jurisprudentiels en matière de congédiement administratif. Les motifs sont succincts et il y a lieu de les reproduire dans leur intégralité :

ANALYSE ET DISPOSITIF

[23] Dans le cas de congédiement non disciplinaire, le rôle de la Commission est de s’assurer que l’employeur a rempli son fardeau, soit l’établissement d’une cause juste et suffisante de congédiement, en l’occurrence un rendement insatisfaisant.

[24] La Commission doit alors vérifier si la décision de l’employeur est arbitraire, discriminatoire ou déraisonnable (voir Laplante c. Costco Wholesale Canada Ltd , 2003 QCCRT 0543 , confirmée par la Cour d’appel, 2005 QCCA 788 , [2005] R.J.D.T. 1465 ).

[25] De toute évidence, la décision prise par l’employeur n’est ni arbitraire, ni discriminatoire, ni déraisonnable. En effet, la preuve administrée ne révèle pas que seul le plaignant était astreint à un rendement donné. Tous les représentants aux ventes avaient les mêmes objectifs et ont subi les mêmes contraintes ou inconvénients, le cas échéant. Ils n’ont cependant pas tous eu les mêmes résultats que le plaignant, au contraire.

[26] Par ailleurs, l’employeur a clairement établi les règles du jeu : les attentes étaient claires et précises, le support et le suivi adéquats, le délai raisonnable. La sanction devient quasi inévitable.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE       la plainte.

la demande de révision

[7]            Le requérant allègue que la décision contestée est entachée d’erreurs de droit équivalant à un vice de fond. Il reprend chacun des critères établis par la jurisprudence afin de justifier un congédiement administratif, critères qui ont été avalisés par la Cour d’appel dans l’arrêt Laplante c. Costco Wholesale Canadian Ltd. , [2005] R.J.D.T. 1465 , cité dans la décision contestée. Il soutient que la preuve ne permet pas de démontrer qu’ils ont été respectés.   

[8]            De surcroît, le requérant soutient que l’insuffisance des motifs viole les règles de justice naturelle.

[9]            L’intimée répond que le requérant invite la formation de révision à réévaluer la preuve, ce qui n’est pas permis dans le cadre du présent recours.

Les Motifs

[10]         L’article 134 du Code prévoit qu’une décision de la Commission est sans appel. Elle peut être révisée «  lorsqu’un vice de fond ou de procédure est de nature à l’invalider   » selon le paragraphe 3° du premier alinéa de l’article 127 du Code ( Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 4479 c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des Centres jeunesse de Montréal (STTCJM-CSN) , 2003 QCCRT 0142 ).  

[11]         Par ailleurs, l’obligation de motiver une décision est une composante des règles de la justice naturelle parce qu’elle permet au justiciable d’exercer pleinement les recours mis à sa disposition. De plus, l’article 132 du Code prévoit l’obligation pour la Commission de motiver toute décision qui termine une affaire, en termes clairs et précis. Aussi, une décision insuffisamment motivée est susceptible de révision.

[12]         Le professeur Ouellette définit ainsi la suffisance de motifs : «  En pratique, pour être considérés comme suffisants, les motifs doivent être raisonnablement précis en faits et en droit, en plus d’être clairs et intelligibles  » (Yves OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et preuve , Montréal : Éd. Thémis, 1997, p. 443).

[13]         La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dunsmuir c . Nouveau-Brunswick , [2008] 1 R.C.S. 190 , définit le caractère raisonnable de la décision dans un contexte de révision judiciaire comme suit :

 

[47]      La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

(Soulignement ajouté)

[14]         Le critère de l’intelligibilité des motifs a été défini dans plusieurs jugements. En particulier, les propos de la juge Grenier dans Société des services Ozanam inc. c.  Commission municipale du Québec , 1994 CanLII 6507 (QC CS) ont été repris par plusieurs :

Une décision doit donc traiter des faits pertinents et déterminants ; elle doit les qualifier afin d’éviter l’arbitraire. La qualification des faits fait nécessairement intervenir les facultés cognitives, la compréhension, le raisonnement, le jugement. Le décideur applique donc le droit positif en s’inspirant de la logique. Sa décision doit être intelligible, c’est-à-dire qu’elle doit disposer des faits et du raisonnement de manière telle que le justiciable puise en comprendre le sens. Il ne s’agit certes pas de confondre l’absence de motivation avec la faiblesse du raisonnement. (p. 14)

(Soulignement ajouté)

[15]         Par ailleurs, pour évaluer l’intelligibilité de la décision, il faut considérer la décision dans son ensemble et non seulement ses motifs. Le décideur n’a pas à reprendre tous les faits mis en preuve ou n’a pas à trancher toutes les questions soumises. Comme l’écrit la juge Langlois dans Boilard c. Commission des lésions professionnelles , 2002 Can LII 16385 (C.S.) :

[24] Bref, l'appréciation de la décision intelligible exige une étude de l'ensemble de la décision. Une décision sera considérée intelligible si le décideur, tenant compte de l'ensemble de la preuve dans son appréciation des faits, développe un raisonnement logique à partir des faits pertinents de la cause.

(Voir aussi Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (TCA -Canada), sections locales 187, 728, 1163 c . Brideau, 2007 QCCA 805 ).

[16]         En l’espèce, la décision contestée ne fait état d’aucun processus décisionnel intelligible qui permette de justifier les conclusions, et ce, même en considérant la décision dans son ensemble.

[17]         Les quelques motifs sont à ce point généraux qu’ils ne permettent pas de comprendre la démarche intellectuelle ayant mené au rejet de la plainte. Seule une référence générale à l’arrêt de la Cour d’appel, l’affaire Costco précitée, y est faite. On n’y trouve aucune analyse de la preuve en regard des 5 critères détaillés dans l’arrêt et repris constamment dans la jurisprudence, qui s’énoncent comme suit :

-         Le salarié doit connaître les politiques de l’entreprise et les attentes fixées par l’employeur à son égard;

-         Ses lacunes lui ont été signalées;

-         Il a obtenu le support nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs;

-         Il a bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster;

-         Il a été prévenu du risque de congédiement à défaut d'amélioration de sa part.

[18]         La Commission, dans la décision contestée, n’explique aucunement comment, en regard des faits mis en preuve, elle arrive à la conclusion que les critères du congédiement administratif sont remplis. Or, les faits sur lesquels se fonde la décision contestée ne permettent pas d’emblée de déduire qu’ils ont été respectés.

[19]         En effet, les attentes fixées par le requérant sont déterminées par le nombre de véhicules que le fabricant peut fournir, sans égard à la capacité de vente. La preuve rapportée est muette sur le soutien offert au requérant afin de corriger ses lacunes. Enfin, on peut se questionner sur le caractère raisonnable du délai de 60 jours donné au requérant afin qu’il améliore ses performances.

[20]         De plus, certaines conclusions semblent difficilement soutenables en regard de la preuve rapportée. Ainsi, les résultats de vente de juin à octobre reproduits au paragraphe 8 de la décision contestée démontrent que deux autres vendeurs, en sus du requérant, n’ont pas atteint les exigences de l’intimée en matière de vente. Cependant, la décision contestée ne fait pas état des mesures prises à leur égard.

[21]         Or, la Commission conclut au paragraphe 25 que « [t]ous les représentants aux ventes avaient les mêmes objectifs et ont subi les mêmes contraintes ou inconvénients, le cas échéant. Ils n’ont cependant pas tous eu les mêmes résultats que le plaignant, au contraire » . Quels sont les «  contraintes ou inconvénients  » subis par les autres vendeurs? La question demeure sans réponse.

[22]         Le défaut de motiver constitue une violation des règles de justice naturelle et il entraîne nécessairement la nécessité de réviser la décision.

[23]         Le requérant invite la présente formation à rendre la décision à la place de la première instance et à accueillir la plainte. Ce n’est pas le remède approprié lorsqu’une décision est cassée pour insuffisance de motivation et la formation de révision ne doit pas se substituer au décideur de première instance.

[24]         Le remède est alors de retourner le dossier à un autre commissaire afin qu’il procède de nouveau de la manière jugée appropriée, après consultation des parties.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

ACCUEILLE                  la demande de révision;

RÉVOQUE                     la décision rendue le 4 janvier 2012 ( 2012 QCCRT 0002 );

RETOURNE                  le dossier au greffe afin que les parties soient convoquées à une audience pour que la plainte de Danny Noivo soit entendue par un autre commissaire.

 

 

________________________________ __

Irène Zaïkoff, présidente de la formation

 

________________________________ __

Mario Chaumont

 

________________________________ __

Alain Turcotte

 

M e Pierre-Yves Gagné

Rivest, Tellier, Paradis

Représentant du requérant


 

 

M e Jean Prud’homme

Dunton Rainville, s.e.n.c.r.l.

Représentant de l’intimée

 

Date de l’audience :

27 avril 2012

 

Corrections apportées le 7 septembre 2012

 

Au paragraphe [12], « Le professeur Garant » a été remplacé par le « Le professeur Ouellette » et la référence par (Yves OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et preuve , Montréal : Éd. Thémis, 1997, p. 443).