Chantigny c. Tanguay

2012 QCCQ 5903

COUR DU QUÉBEC

«Division des petites créances»

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

HULL

LOCALITÉ DE

GATINEAU

« Chambre civile »

N° :

550-32-019078-101

 

 

 

DATE :

9 juillet 2012

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MARIE PRATTE, J.C.Q.

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ANDRÉ CHANTIGNY

[...]

Pontiac (Québec) [...]

 

Partie demanderesse

c.

 

DANIEL TANGUAY

et

SANDRA FORTIN

[...]

Gatineau (Québec) [...]

 

Partie défenderesse

 

 

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JUGEMENT

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[1]            André Chantigny réclame de Daniel Tanguay et de Sandra Fortin un montant de 7 000 $, invoquant l'existence de vices cachés. En effet, la journée même où il prend possession de la propriété acquise de la partie défenderesse, il n'y a plus d'alimentation en eau car le puits est asséché.

[2]            Cet assèchement du puits constitue-t-il un vice caché susceptible d'entraîner l'application de la garantie de qualité du vendeur? Telle est la question soulevée par le présent litige.

[3]            La preuve révèle les faits suivants. Le 15 mars 2010, André Chantigny (l'acheteur) achète de Sandra Fortin et de Daniel Tanguay (les vendeurs) un immeuble construit en 1960 et situé à Luskville. Il le paie 115 000 $ et la propriété est transférée avec la garantie légale.

[4]            Lorsqu'il signe la promesse d'achat, le 9 novembre 2009, il renonce à faire inspecter l'immeuble par un expert.

[5]            Or, l'approvisionnement en eau de cette résidence dépend d'un puits artésien qui date des années soixante. Lors d'une première visite en 2009, l'acheteur s'inquiète de la quantité et de la qualité de l'eau. Dans une déclaration datée du 10 novembre 2009, les vendeurs affirment n'avoir jamais eu de problèmes relatifs à la qualité de l'eau ou à sa quantité.

[6]            Au printemps 2010, après la signature de la promesse d'achat, mais avant la vente, l'acheteur visite de nouveau la propriété. Madame Fortin fait du lavage; elle a donc de l'eau. Celle-ci prévient toutefois l'acheteur de ne pas utiliser trop d'eau à la fois. Elle lui dit aussi que la pression peut parfois baisser. Il faut alors « fermer l'eau afin de donner une chance à la pompe ». Elle lui répète toutefois n'avoir jamais manqué d'eau.

[7]            Le 15 mars 2010, alors que le contrat de vente vient d'être signé, Jason Perry, le fils de la conjointe de l'acheteur, prend possession de la résidence. Son amie fait alors couler de l'eau dans le bain afin de laver les stores. Après à peine une minute, il n'y a plus d'eau.

[8]            Appelé à la rescousse, l'acheteur se rend immédiatement sur les lieux et constate l'absence d'eau.

[9]            Prévenu par téléphone, les vendeurs suggèrent de dévisser un bouchon sur le dessus de la pompe, mais l'acheteur ne comprend pas à quoi ils réfèrent.

[10]         Daniel Tanguay, l'un des vendeurs, se rend finalement sur les lieux le 17 mars. Il constate qu'il n'y a pas d'eau et essaie sans succès de faire fonctionner la pompe.

[11]         Le 18 mars, l'acheteur, qui n'a toujours pas d'eau, téléphone aux vendeurs. Sandra Fortin ne veut pas lui parler.

[12]         L'acheteur communique alors avec l'entrepreneur Pompe-Tiac, qui a déjà effectué des travaux d'entretien sur la pompe défaillante. Le 20 mars 2010, ce dernier tente sans succès de la « réamorcer ». L'acheteur lui verse un montant de 67,73 $. Il contacte alors l'entrepreneur Multi Service, qui d'après la facture déposée en preuve, procède le 24 mars à des travaux de réparation de la pompe, au coût de 282,18 $. La conjointe de l'acheteur affirme que cet entrepreneur a installé une nouvelle pompe et un nouveau réservoir, mais aucune facture ne le démontre. Le 22 mars 2010, l'acheteur achète aussi du matériel chez Rona et Réno-Dépôt au coût de 37,84 $. Le 24 mars, il achète un tuyau et un collier de métal chez Bonhomme au coût de 43,02 $ et la même journée, il achète une pompe au coût de 370,31 $ chez Réno-Dépôt, matériel qu'il retourne le 28 mars et pour lequel il se fait rembourser.

[13]          Malheureusement, les tentatives de remplacement de la pompe ne permettent pas de remédier à la pénurie d'eau. Le 31 mars 2010, un puisatier, les Puisatiers Protech, fore donc un nouveau puits au coût de 6 580,61 $.

[14]         L'acheteur a démontré avoir payé 6 580,61 $ pour faire creuser un nouveau puits. D'après la facture, ce montant global se divise ainsi : « total forage : 4 005 $ » et « total pompe : 1 825 $», plus les taxes.

[15]         Le 21 avril 2010, l'acheteur envoie aux vendeurs une mise en demeure dans laquelle il leur réclame un montant de 7 340,85 $, afin d'être remboursé du «coût des travaux pour la restauration du puits».

[16]         Il intente une action le 17 décembre 2010, réduisant sa réclamation à 7 000 $ afin de pouvoir porter sa demande devant la Division des petites créances.

[17]         Les vendeurs nient toute responsabilité. Ils affirment qu'il y avait de l'eau le 14 mars 2010 et prétendent que l'occupant des lieux, Jason Perry, a exagéré sa consommation d'eau et qu'il n'a pas fermé le robinet alors que le débit d'eau était faible.

[18]         Cela dit, le Code civil du Québec confère à l'acheteur une garantie de qualité qui le protège notamment en cas de découverte de vices cachés affectant l'immeuble au moment de la vente. Mais l'application de cette garantie de qualité exige le respect de plusieurs conditions, qu'énoncent les articles 1726 et 1739 du Code civil  :

1726 .   Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.

 

Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.

 

1739 .      L'acheteur qui constate que le bien est atteint d'un vice doit, par écrit, le dénoncer au vendeur dans un délai raisonnable depuis sa découverte. Ce délai commence à courir, lorsque le vice apparaît graduellement, du jour où l'acheteur a pu en soupçonner la gravité et l'étendue.

 

Le vendeur ne peut se prévaloir d'une dénonciation tardive de l'acheteur s'il connaissait ou ne pouvait ignorer le vice.

[19]         Il faut donc que le bien acheté soit affecté d'un défaut qui en réduise ou en empêche l'usage. Ce défaut doit être grave; il doit aussi exister lors de la vente, être alors inconnu de l'acheteur et être caché. De plus, l'acheteur doit dénoncer au vendeur l'existence du vice, par écrit, dans un délai raisonnable de sa découverte.

[20]         Le respect de ces conditions donne à l'acheteur le droit d'obtenir une diminution du prix de vente (article 1727 C.c.Q.). Ainsi que le précise l'article 1728 C.c.Q., si le vendeur connaissait l'existence du vice, il sera en outre tenu «de tous les dommages-intérêts soufferts par l'acheteur».

[21]         En l'espèce, la preuve ne démontre pas le motif pour lequel l'alimentation en eau a cessé. Aucun expert n'ayant témoigné, on ne sait pas si le passage du temps ou la qualité de la veine d'eau est à l'origine du problème. On ne sait pas non plus si la faiblesse ponctuelle du débit d'eau ou de la pression était ou non un signe annonciateur du problème. Par ailleurs, selon la prépondérance de la preuve, l'acheteur, avant de faire creuser un nouveau puits, a tenté sans succès de réparer la pompe. Cette vaine tentative démontre que le problème n'origine pas de la pompe, mais du puits lui-même.

[22]         La défenderesse Sandra Fortin reconnaît par ailleurs qu'elle aurait fait creuser un nouveau puits, si elle n'avait pas vendu la maison. Le puits était vieux; il y avait de temps en temps des problèmes de débit d'eau et elle désirait avoir une piscine.

[23]         Cela dit, il n'y a aucun doute que l'absence d'alimentation en eau est un vice grave. Il empêche l'utilisation normale et quotidienne de l'immeuble. L'acheteur n'aurait pas acheté l'immeuble, ou du moins, il ne l'aurait pas payé 115 000 $ s'il avait su qu'il n'y avait même pas assez d'eau pour laver des stores.

[24]         Selon la prépondérance de la preuve, l'acheteur ne savait pas, au moment où il a acquis l'immeuble, que ce vice allait survenir. D'ailleurs, comment aurait-il pu en avoir eu connaissance alors que les vendeurs eux-mêmes affirment l'ignorer? Ces derniers soutiennent en effet, lors de l'audience, n'avoir jamais manqué d'eau : ils en ont eu jusqu'au 14 mars 2010, la veille de la conclusion du contrat de vente.

[25]         Dès lors, le vice était-il caché? Selon l'article 1726 C.c.Q., est caché le vice qui ne peut être constaté par un acheteur prudent et diligent. En principe, ce dernier n'a pas le devoir de recourir à un expert pour vérifier si l'immeuble est, ou non, exempt de vices.

[26]         On sait qu'en l'espèce, l'acheteur n'a pas fait inspecter l'immeuble. Il y a renoncé le 9 novembre 2009. Étant menuisier, il pouvait en effet apprécier lui-même la qualité de la construction. En ce qui concerne le puits, dès la première visite faite en l'absence des vendeurs, il a demandé à l'agent immobilier s'il y avait des problèmes de quantité d'eau. On lui a répondu qu'il n'y en avait pas. L'acheteur a aussi fait faire un examen de la qualité de l'eau. Au printemps 2010, il apprend qu'il y a des problèmes de pression ou de débit, mais il constate que le vendeur peut néanmoins faire du lavage sans problème. On lui répète d'ailleurs qu'il y a de l'eau «en masse». Selon la preuve prépondérante, l'acheteur s'est donc comporté en personne prudente et diligente. Il a posé les questions pertinentes et rien ne lui permettait de douter de la justesse des réponses qu'on lui donnait. Au contraire, le fait de se faire dire que les vendeurs n'avaient jamais manqué d'eau était de nature à le rassurer.

[27]         Les vendeurs soutiennent cependant que le vice n'est pas antérieur à la vente. Ils affirment avoir toujours eu assez d'eau : ils en avaient encore le 14 mars 2010, veille de la transaction. Ils attribuent la pénurie d'eau au fait que l'occupant n'a pas fait attention au débit, ni à la quantité d'eau qu'il utilisait. Il aurait dû fermer le robinet dès que la pression faiblissait.

[28]         Le Tribunal considère que l'acheteur et ses témoins sont crédibles et que leur témoignage est fiable. Ils ne se contredisent pas. Les vendeurs et l'agent d'immeuble corroborent le fait que l'acheteur était justifié de croire qu'il y avait assez d'eau. Le vendeur a constaté lui-même le problème le 17 mars 2010, soit deux jours après la prise de possession, et il n'a pas été capable de le régler.

[29]         Certes, l'acheteur doit prouver l'antériorité du défaut. Or, en l'espèce, le vice s'est manifesté l'après-midi même du 15 mars, date de la conclusion du contrat de vente et de la prise de possession. La proximité temporelle entre le moment où la pénurie d'eau s'est manifestée et celui de la conclusion du contrat permet de présumer que ce défaut existait, du moins potentiellement, lorsque la vente a été scellée [1] . Il y a dès lors un renversement du fardeau de la preuve. Or, les vendeurs n'ont pas réussi à convaincre le Tribunal, selon le standard de la balance des probabilités, que l'incurie de l'occupant était l'unique cause du problème.

[30]         Une mise en demeure écrite a été envoyée en avril 2010, après que les travaux de forage du nouveau puits eurent été effectués. Normalement, la dénonciation exigée par l'article 1739 C.c.Q. doit être envoyée avant que les travaux n'aient été entrepris afin que le vendeur puisse constater l'existence du vice. Or, ce dernier peut implicitement renoncer à cet avis écrit. Il en est notamment ainsi lorsqu'il est avisé verbalement et qu'il a l'occasion de se rendre sur les lieux pour constater l'ampleur du problème. C'est ce qui s'est passé en l'espèce. L'acheteur a prévenu les vendeurs dans les 24 heures de la manifestation du vice et l'un de ceux-ci, Daniel Tanguay, est allé constater le problème dès le 17 mars 2010; il a même tenté, sans succès, d'y remédier; puis il n'a plus donné signe de vie. Dans ces circonstances, le Tribunal conclut qu'il a renoncé à recevoir une dénonciation écrite.

[31]         Les conditions donnant ouverture à l'application de la garantie de qualité sont donc réunies, ce qui autorise une diminution du prix de vente. Par ailleurs, la preuve ne permet pas de conclure à la mauvaise foi des vendeurs : ils ne sont donc pas tenus de tous les dommages-intérêts soufferts par l'acheteur. L'acheteur n'a dès lors pas droit aux  montants versés à Multi Service et à Pompe-Tiac, couvrant les diverses tentatives de réparation de la pompe. Il n'a pas droit non plus aux montants versés à diverses quincailleries, preuve n'ayant pas été faite de la destination et de l'utilisation  de ces matériaux.

[32]         En revanche, selon les factures produites en preuve, l'acheteur a payé la somme de 6 580, 61 $ pour faire forer le nouveau puits, ce qui a réglé son problème d'alimentation en eau. Depuis, il bénéficie cependant d'un puits artésien neuf, alors qu'il avait acheté une maison datant de 1960, dotée d'un puits foré à la même époque et d'un système d'alimentation en eau que le vendeur, dans son témoignage, qualifie d'ancien.

[33]         Or, dans un tel cas, le Tribunal doit tenir compte de la plus-value dont bénéficie l'acheteur, puisqu'il se retrouve avec un système d'alimentation en eau neuf alors qu'il a payé pour un système en fin de vie utile. D'après la facture de Puits Protech, 4 005 $ est alloué au forage et 1 825 $ à la pompe. Le Tribunal accorde le montant total de 4 005 $ (plus taxes) parce que le forage est nécessaire pour avoir accès à une source d'approvisionnement en eau, mais réduit de 75 % le montant de 1 825 $ pour tenir compte de la dépréciation affectant la pompe remplacée. L'acheteur a donc droit à une réduction du prix de vente de 5 035,65 $.

[34]         POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

      -     ACCUEILLE PARTIELLEMENT la demande;

      -     CONDAMNE la partie défenderesse à payer à André Chantigny la somme de 5 035,65 $, avec les intérêts au taux légal de 5 % l'an plus l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. depuis le 3 mai 2010, date de la demeure, ainsi que les frais de 159 $.

 

 

 

 

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MARIE PRATTE, J.C.Q.

 

 

 

 

 

Date de l'audience :

28 février 2012

 



[1]     Drapeau c. Lavigne , 2010 QCCQ 14396 ; Harvey c. Miclette , 2005 CanLII 32270 (QCCQ); Dubé c. Bourassa , 2004, CanLII 223 (QCCQ).