Québec (Ville de) c. Commission des relations du travail |
2011 QCCS 7528 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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N os : |
200-17-013240-106 200-17-014059-109 |
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DATE : |
23 novembre 2011
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
MICHEL CARON, j.c.s. |
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ville de québec ,
Demanderesse c.
Commission des Relations du Travail,
Défenderesse
et
Me sylvain allard , ès qualités de juge administratif de la Commission des relations du travail,
Défendeur
et
L’association des pompiers professionnels de Québec inc. ,
et
SébaStien Allard ,
et
Luc Beaulé ,
et
Christian Bergeron ,
et
Normand Bérubé ,
et
Marco Blouin ,
et
Philippe Bolduc ,
et
Pierre Cayouette ,
et
Alain Chabot ,
et
Gilles Chevalier ,
et
Pierre Comeau ,
et
Sylvain-L. Coulombe ,
et
Mario Couture ,
et
Jean-François Daigle ,
et
François Deschamps ,
et
Jocelyn Desrochers ,
et
Martin Dinette ,
et
Alain Dion ,
et
Styve Doucet ,
et
André-M. Drolet,
et
Martin Dubord ,
et
Roger Duchesne , et
Harold Dumas ,
et
Marco Dumas ,
et
Sébastien Fiset ,
et
Stéphane Fontaine ,
et
Jean Fradet ,
et
Mario Trudel ,
et
Michel-G. Vézina ,
et
Stephen Watt ,
et
Steve Verret ,
et
Éric Gosselin ,
et
Christian Labbé ,
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC ,
Mis en cause |
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JUGEMENT SUR REQU ê TE INTRODUCTIVE D’INSTANCE EN RÉVISION JUDICIAIRE RÉAMENDÉE |
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[1] La demanderesse présente une requête en révision judiciaire demandant à ce que soit annulée une décision interlocutoire rendue le 21 juin 2010, par la Commission des relations du travail, l'obligeant à déposer une opinion juridique, ce qui, selon la demanderesse, contrevient aux règles régissant le secret professionnel.
CONTEXTE
[2] Le 14 avril 2010, le Comité exécutif de la Ville de Québec adopte une résolution en vertu de laquelle elle entend procéder à une restructuration majeure de son Service de protection contre les incendies (SPCI).
[3] Cette restructuration prévoit notamment l’abolition des postes syndiqués de capitaine et de lieutenant et la création de 76 postes cadres de chef de caserne.
[4] À la suite de cette résolution, les pompiers mis en cause sont affectés à des fonctions cadre de chef de caserne.
[5]
Le 22 avril 2010, l'Association des pompiers professionnels de Québec
inc. (APPQ) et les mis en cause déposent auprès de la CRT une plainte pour
ingérence dans les activités d'une association de salariés, d'intimidation,
menaces et demande d'ordonnance provisoire en vertu des articles
12
,
13
,
14
,
114
,
118
et
[6] Les 28 avril 2010 et 6 mai 2010, l'APPQ dépose également quatre (4) griefs contestant la restructuration par la Ville de Québec du SPCI, notamment au motif que cette restructuration serait contraire aux dispositions de la convention collective.
[7] À ce jour, les griefs sont toujours pendants.
[8] Le 30 avril 2010, la CRT émet une ordonnance provisoire, par laquelle elle conclut ainsi:
ACCUEILLE en partie la demande pour l'émission d'une ordonnance provisoire;
ORDONNE à la Ville de Québec, ses officiers, représentants ou mandataires, de suspendre provisoirement jusqu'au 17 mai 2010, l'abolition des soixante-seize (76) postes syndiqués, de lieutenant et capitaine;
ORDONNE à la Ville de Québec, ses officiers, représentants ou mandataires, de replacer provisoirement jusqu'au 17 mai 2010 les requérants dans leurs postes de lieutenant ou de capitaine syndiqués avec toutes les conditions de travail qui prévalent dans la convention collective entre la Ville de Québec et l'Association des pompiers professionnels de Québec inc. (sic);
[9] L'audition de la plainte R-3 a lieu au cours des mois de mai et juin 2010.
[10] Les 14 et 17 mai 2010, madame Chantale Giguère, directrice du Service des ressources humaines et directrice générale adjointe à la sécurité publique à la Ville de Québec témoigne.
[11] Il est utile de reprendre les extraits de son témoignage contenus aux paragraphes 17.1 et 17.2 de la requête de la demanderesse:
17.1 Témoignage du 14 mai 2010
Donc, avec les élus, bon, on a répété qu'on était conscients que c'est une réorganisation d'envergure, qu'on ne voyait pas d'autre solution.
Pour nous, il y avait nécessité d'agir, ne pas le faire serait totalement irresponsable, serait de pelleter par en avant et d'attendre qu'il se passe un événement qu'on soit obligés, via une commission, une enquête, de faire des changements.
Alors, pour nous, c'était pas… ça fait pas partie du sens de la responsabilité qu'on a.
J'ai aussi mentionné que, quoique c'est une restructuration d'envergure, que je suis convaincue que, avec le plan d'action que nous avons mis en place, le sérieux qu'on y met, les suivis qu'on s'est engagés à faire, que, avec cette restructuration, on va régler les problèmes, on va plus que les régler, je suis convaincue que, même au niveau du climat de travail - pas aujourd'hui, parce que je le sais que ça perturbe les gens, mais dans pas grand temps, les gens y verront un effet positif.
Q. Alors, avec les élus, c'est une rencontre qui a duré à peu près combien de temps?
R. Je dirais, de mémoire, une bonne heure et demie (1 h 30)… euh… même peut-être deux (2) heures, là.
Ah, au moins deux (2) heures parce qu'il y a quand même eu beaucoup de questions, là…
Euh…ça fait que si vous me parlez de la rencontre, c'est au moins deux (2) heures, deux heures et demie (2 h 30), la présentation peut-être une (1) heure, environ.
Q. Alors, quand vous dites…
R. Une heure et demie (1 h 30).
Q.… qu'il y a de ren… de questions, sans me donner le détail de toutes les questions qui ont pu être posées, là, pouvez-vous me donner un ex… des exemples de questions, qu'est-ce que… c'est quoi les préoccupations, là, soulevées par les élus?
R. Bon.
Dans… euh… dans les exemples de questions que j'ai pu avoir… euh… on a voulu s'assurer du… du… du fait que la… la personne… les personnes qui ne retrouveraient pas… qui ne se qualifieraient pas sur des postes, là, je pense entre autres aux douze (12) personnes de l'État major qui se retrouvent sans… .
Me CLAUDE LEBLANC
Pour la partie syndicale:
C'est quoi la pertinence (inaudible).
Les préoccupations des élus qui ne sont pas…
Me SYLVAIN LEPAGE
pour la partie patronale:
Bien c'est parce…
Me CLAUDE LEBLANC
Pour la partie syndicale:
…ici, d'autre part.
Me SYLVAIN LEPAGE
Pour la partie patronale:
Bien, c'est parce que c'est eux qui décident, les élus.
Écoutez: madame vous explique c'est quoi l'origine de la restructuration, comment elle l'a faite.
Les élus qui sont les décideurs, dans une Ville, je pense que c'est tout à fait pertinent de savoir ils ont réagi comment, face à ça, t'sais, c'est… en quoi c'est non pertinent?
Je pense que c'est au cœur du débat, c'est eux qui décident.
LE COMMISSAIRE:
Je vais permettre la question (inaudible).
LE TÉMOIN:
R. Alors, bon, dans les questions, il y a eu, c'est ça.
Que…euh… est-ce qu'on va, avec ça, faire en sorte qu'on va remettre dans le système des personnes que je… c'est pas le mot qu'ils ont utilisé, là, mais je vais le prendre, c'est moi qui le prends, là, c'est pas le mot qu'ils ont dit, là, mais qu'on…qu'on va "tabletter" "pis" qu'elles seront inutiles jusqu'à la fin de leur carrière.
Alors, c'était l'une des questions, parce qu'on sait, quand même, qu'on est en période de réduction de l'effectif, à la Ville de Québec, ça fait que si j'amène vingt (20), vingt-cinq (25) personnes de plus dans le système, ben, c'est pas… au niveau financier, là, ça cause des coûts.
Alors, ce qu'on a assuré, là-dessus, c'est qu'on allait, autant pour la personne que pour la Ville, s'assurer de leur donner un emploi dans lequel ils seraient mis à contribution et que peut-être que, à court terme, O.K., dans la première année, ç'allait pouvoir gonfler l'effectif quelque peu, mais qu'on ferait en sorte de remplacer… de faire en sorte que ces personnes-là se trouvent à remplacer des postes qui deviendraient vacants, alors que, à très court terme, il y aurait pas de coûts supplémentaires pour la Ville, mais que, surtout, on allait remettre ces personnes-là dans des emplois qui leur allaient, selon leurs compétences, pour qu'ils puissent contribuer à la réalisation de la mission et de la vision de la Ville.
On m'a demandé, bien sûr … euh… au niveau de l'effet sur les lieutenants et capitaines: « Vous êtes sûrs que vous pouvez faire ça?
Parce que, bon, on comprend que vous ajoutez des responsabilités de gestion, alors… euh… ça veut dire que vous coupez soixante-seize (76) postes de lieutenant et capitaine.
Ça fait que, êtes-vous certains que vous pouvez faire ça?
Alors, j'ai mentionné que j'avais demandé une opinion juridique sur le sujet et que, selon l'opinion juridique, oui, on pouvait faire ça .»
Le tout tel qu'il appert des extraits des notes sténographiques de l'audience tenue le 14 mai 2010, p. 1227 à 1232, déposés en liasse au soutien des présentes comme pièce R-7 .
17.2 Témoignage du 17 mai 2010
Q. Parfait.
Alors, donc, si on va à la pièce suivante qui est I-16, alors qu'est-ce qui se passe, là, de… finalement, décembre, là, qui est la date du rapport de monsieur Malenfant, jusqu'à mars, là, où il y a une rencontre avec les gens de l'Association?
R. O.K.. Alors, donc, décembre, monsieur Poitras a travaillé, là, sur le modèle de structure, il est arrivé avec une solution possible. De mon côté, là, j'y ai fait quelques changements et ajouts, là, du cô… davantage sur la … le volet formation, comme je le mentionnais tout à l'heure. Par la suite, bon, il y a eu tout le travail qui s'est fait au niveau des rôles, responsabilités et tâches, l'élaboration des profils de compétences. J'ai aussi demandé une opinion juridique, en décembre, à savoir si c'était possible de procéder à la réorganisation proposée, là, jusqu'au niveau de lieutenants et capitaines, pour faire en sorte qu'on abolisse ces postes là et qu'on crée des postes de gestion, des postes cadres, comme chef de caserne. Ça fait que c'est… c'est ce qui a été fait.
Q. C'est du plus récent au plus ancien…
Me CLAUDE LEBLANC
pour la partie syndicale:
Juste un instant.
Me SYLVAIN LEPAGE
Pour la partie patronale:
Oui, Oui,
Non, Non, je veux juste…
LE COMMISSAIRE
Est-ce que c'est l'opinion (inaudible)?
Me SYLVAIN LEPAGE
pour la partie patronale:
Non!
Non, on va la demander.
Oui, oui.
Me CLAUDE LEBLANC
pour la partie syndicale:
J'essaie de lire vite, Monsieur le Commissaire.
Me SYLVAIN LEPAGE
pour la partie patronale:
Non, non (inaudible)
Ça va, Maître Leblanc.
LE COMMISSAIRE:
I-51?
Me GILLES GRENIER
pour la partie syndicale:
Hum.
Me SYLVAIN LEPAGE
pour la partie patronale:
Q. Alors, Madame Giguère, pouvez-vous nous expliquer de quoi il s'agit, là?
R. Oui.
Bon, alors… euh… bon, on avait quand même un modèle de structure proposé par… euh… révisé par le directeur, là, monsieur Poitras, on avait une opinion juridique qui nous disait qu'on pouvait faire les changements qu'on… qu'on croyait importants de faire, je suis allée voir monsieur Marcoux, dans un temps, monsieur Côté dans un autre temps.
(Le Tribunal a souligné)
Q. Quel… quel monsieur Côté?
R. Richard Côté, pardon, Richard Côté, qui est un élu, là qui est vice-président exécutif et qui est responsable des dossiers ressources humaines en tant qu'élu.
LE COMMISSAIRE:
Q. Je pense que j'ai manqué un petit bout.
Dans un deuxième temps, vous êtes allée voir monsieur Côté?
R. Oui.
Q. Dans un premier temps, c'était?
R. Mon patron, monsieur Marcoux, je n'ai pas déposé de documentation mais j'ai fait part d'où on était, de façon assez macro, mais je voulais quand même que les deux (2), que j'ai vus de façon séparée, saisissent que c'était tout un chantier, et je voulais voir, là, si j'avais leur aval pour poursuivre. Alors, les deux (2) m'ont dit, comme je l'ai spécifié la semaine dernière, que c'était pour ça que j'étais là, c'était important de redresser la situation et si on était venus à la conclusion que c'est ce qu'il fallait faire, que… de continuer mon travail, que… quand on…, on serait prêts à… à proposer une structure, de façon définitive, là, qu'il nous accueillerait.
Le tout tel qu'il appert, des extraits des notes sténographiques de l'audience tenue le 17 mai 2010, p. 1519 à 1521, déposés en liasse au soutien des présentes comme pièce R-7 .
[12] Le 17 juin 2010, monsieur Alain Marcoux, directeur général de la Ville de Québec témoigne.
[13] On peut lire ce qui suit au paragraphe 18 de la requête:
Par ailleurs, dans la décision R-10 , la CRT invoque également le contenu du témoignage de monsieur Alain Marcoux tenu le 17 juin 2010. Ce témoignage de monsieur Marcoux est le suivant:
Il y a eu en début décembre aussi parce qu'on se rencontrait à chaque semaine, il y a eu un nouveau point qui a été fait, mais qui nous indiquait que ca (sic) allait dans le même sens, qu'elle avait demandé des avis juridiques, un ou des avis, en tout cas un avis juridique sur différents éléments qui pourraient être recommandés et qu'elle attendait, elle continuait sa réflexion sur l'ensemble du projet de rapport de M. Malenfant et des autres constatations qu'elle faisait par elle-même puisqu'elle s'occupait beaucoup du dossier.
(Le Tribunal a souligné)
Copie d'un extrait audio du témoignage de monsieur Alain Marcoux et la transcription de celui-ci sont déposés en liasse au soutien des présentes comme pièce R-8 .
[14] À la suite de ces témoignages, les procureurs de l'APPQ et des mis en causes demandent la production de l'opinion juridique remise à la Ville de Québec.
[15] Le 3 juin 2010, les procureurs de la demanderesse déposent des extraits d'opinion juridique, à savoir:
- le sujet sur lequel l'opinion a été émise ( «soit la possibilité pour la Ville de Québec de procéder à une restructuration majeure de son Service de protection contre l'incendie»);
- les faits et les documents sur lesquels cette opinion est fondée;
- les questions posées;
- la conclusion générale à l'effet que «sous réserve des aléas inhérents à toute demande en justice, (…) la Ville de Québec peut procéder à la réorganisation envisagée (…)».
[16] Il est important de préciser que l'ensemble du raisonnement juridique a été caviardé.
[17] Le 21 juin 2010, la CRT rend sa décision quant à la demande de production d'opinion juridique (R-10).
[18] On retrouve l'essentiel de cette décision au paragraphe 25 de la requête, qu'il y a lieu de reproduire:
La CRT motive sa décision de la façon suivante :
« J’ai à trancher l’objection, par la Ville, de la transmission aux plaignants d’une opinion juridique qu’elle a obtenue de ses procureurs dans le cadre de la réorganisation du Service de protection contre l’incendie.
À quelques reprises, dans son interrogatoire principal, en réponse aux questions du procureur de la Ville, madame Chantale Giguère mentionne qu'elle a demandé une opinion juridique sur la question de savoir si la Ville pouvait procéder à l'abolition des postes de lieutenant et de capitaine.
À titre d'exemple, lors de la journée d'audience du quatorze (14) mai, elle explique que, lorsqu'elle a présenté le projet de restructuration aux élus, on lui a po... on lui a posé certaines questions.
«On m'a demandé, bien sûr...»
Et là, je cite:
«... "Au niveau de l'effet sur les lieutenants et capitaines, vous êtes sûre que vous pouvez faire ça? Parce que, bon, on comprend que vous ajoutez des responsabilités de gestion, alors ça veut dire que vous coupez 76 postes de lieutenant et capitaine, ça fait que, êtes-vous certaine que vous pouvez faire ça?" Alors, j'ai mentionné que j'avais demandé une opinion juridique sur le sujet et que, selon l'opinion juridique, oui, on pouvait faire ça.»
Ensuite, le dix-sept (17) mai, alors qu'elle explique que le directeur Poitras et elle-même sont à travailler sur le modèle de structure organisationnelle, elle mentionne, je cite:
«J'ai aussi demandé une opinion juridique en décembre à savoir si c'était possible de procéder à la réorganisation proposée, là, jusqu'au niveau des lieutenants et capitaines, pour faire en sorte qu'on abolisse ces postes-là et qu'on crée des postes de gestion, des postes cadres, comme chef de caserne. Ça fait que c'est ce qui a été fait...»
Et ensuite, à la question suivante, elle ajoute qu'elle avait:
«... une opinion juridique qui nous disait qu'on pouvait faire les changements qu'on croyait faire.»
Plus loin, le procureur lui demande de résumer les échanges avec les membres du conseil exécutif et des élus, elle témoigne à l'effet que:
«Alors, là, bien, ils ont posé des questions, mais c'était essentiellement pour comprendre les effets... les effets au niveau, comme par exemple, comment ça fonctionne quand on affiche des postes interne, externe, si les gens ont plus d'emploi après, on les replace où; "La désyndicalisation, êtes-vous sûr que vous pouvez faire ça?"»
Le dix-sept (17) juin, dans son témoignage, monsieur Alain Marcoux, le directeur général, fait de nouveau référence à cette opinion juridique. Alors qu'il témoigne sur les rencontres qu'il a eues avec madame Giguère, il mentionne que:
«... en décembre, elle avait une opinion juridique sur les différents éléments qui pouvaient être recommandés...»
Les plaignants requièrent la production de l'opinion juridique, ce à quoi s'objecte la Ville.
Cette opinion a été demandée par madame Giguère et lui est adressée à titre de directrice des ressources humaines.
Le quatre (4) juin, la Ville fait parvenir un extrait de l'opinion juridique aux plaignants, comprenant la première partie, soit le mandat, les éléments de la restructuration, la liste des documents consultés et les questions posées.
Ensuite, on retrouve la conclusion.
Tout le reste, une vingtaine de pages, a été retranché.
(…)
L'extrait de l'opinion juridique qu'accepte de produire la Ville indique, comme toute première question sous objection:
«La Ville peut procéder légalement à l'abolition des fonctions et des postes en cause - la Ville peut-elle procéder légalement à l'abolition des fonctions et des postes en cause, qu'ils soient cadres ou syndiqués?»
On pose ensuite la question de la procédure à suivre et la façon de mettre en place la réorganisation envisagée.
La question de la légalité et de la façon de faire de la Ville est au cœur du litige, plus particulièrement l'évaluation de la conduite de la ville, en regard des articles 12, 13 et 14 du Code.
La conclusion de l'opinion juridique est la suivante:
«La Ville peut procéder à la réorganisation envisagée dans la mesure où celle-ci est planifiée de façon à respecter les paramètres exposés précédemment...»
Ces paramètres font partie de l'analyse qui n'a pas été dévoilée.
À la suite de la conclusion, les procureurs mentionnent ensuite:
«Un examen préalable de la preuve qu'est en mesure d'administrer la Ville de Québec pour démontrer le bien-fondé et le caractère raisonnable des motifs de gestion qu'elle invoque...»
Madame Giguère affirme que l'opinion juridique lui confirme que la Ville peut agir de la manière qu'elle l'a fait et s'en... et se sert de l'existence de cette opinion, auprès du directeur général et des élus, pour justifier la manière de faire .
C'est ce qui a conduit à l'adoption, par le comité exécutif, du plan de réorganisation.
Madame Giguère s'appuie donc sur les recomman... recommandations de l'opinion ju... de l'opinion juridique pour justifier la légalité de la démarche de la Ville.
Elle cherche à influer une opinion favorable de la Commission quant à sa bonne foi, que la démarche est dénuée d'anti syndicalisme et que la Ville a agi en employeur raisonnable.
Et ce serait inéquitable de laisser la Ville sous-tendre que la légalité de ses actes a été préalablement confirmée par ses procureurs sans permettre aux plaignants d'en vérifier le contenu et la portée de l'opinion juridique .
(…)
Donc, en application des principes énoncés dans
l'arrêt de la Cour d'appel dans Municipalité de Saint-Alban contre Récupération
Portneuf inc., mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf
Par ailleurs, il n'est pas certain que l'opinion juridique transmise quelque quatre (4) mois avant le début des procédures ait été préparée principalement en vue de celles-ci et, par conséquent, couvert par le privilège relatif au litige .
Il n'est pas nécessaire d'en décider puisque le secret professionnel de l'avocat couvre déjà cette opinion juridique, qu'elle ait été préparée en vue ou non du litige.
Cependant, la renonciation vaudrait également pour le privilège relatif au litige, qui vise le même document.
(…)
La Commission considère que, à ce stade-ci, l'opinion juridique dont la conclusion a été introduite en preuve dans les... dans l'interrogatoire principal de madame Giguère s'avère pertinente, précisant que la valeur probante de cet élément sera évaluée par la Commission avec l'ensemble des éléments de fait prouvés dans le cadre de son délibéré .
(…)
En conséquence, la Commission ORDONNE à la Ville de transmettre aux procureurs des plaignants l'opinion juridique complète du vingt-neuf (29) décembre deux mille neuf (2009), dans les cinq (5) jours de la présente décision.»
(nos soulignements)
[19] La demanderesse soutient que la production de l'opinion juridique est visée par le secret professionnel et le privilège relatif au litige, et qu'elle n'est pas pertinente.
[20] Les défendeurs, quant à eux, affirment que madame Giguère, par son témoignage, a renoncé au privilège du secret professionnel.
LA NORME
[21] Appelée à analyser les éléments constitutifs de la norme de la décision correcte et de celle de la raisonnabilité, la Cour suprême s'exprime ainsi dans l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Bruns wick [1] :
À la page 5:
La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte relativement à certaines questions de droit, y compris une question de compétence, n'acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d'accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s'impose. La cour de révision qui applique la norme de la décision raisonnable se demande si la décision contestée possède les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Empreinte de déférence, la norme de la raisonnabilité commande le respect de la volonté du législateur de s'en remettre, pour certaines choses, à ces décideurs administratifs, de même que le respect des raisonnements et des décisions fondés sur une expertise et une expérience dans un domaine particulier, ainsi que de la différence entre les fonctions d'une cour de justice et celles d'un organisme administratif dans le système constitutionnel canadien.
( Notre soulignement )
Aux paragraphes 51 et 52:
[51] Après avoir examiné la nature des normes de contrôle, nous nous penchons maintenant sur le mode de détermination de la norme applicable dans un cas donné. Nous verrons qu’en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement. De nombreuses questions de droit commandent l’application de la norme de la décision correcte, mais certaines d’entre elles sont assujetties à la norme plus déférente de la raisonnabilité.
[52] L’existence d’une clause privative milite clairement en faveur d’un contrôle suivant la norme de la raisonnabilité. En effet, elle atteste la volonté du législateur que les décisions du décideur administratif fassent l’objet de plus de déférence et que le contrôle judiciaire soit minimal. Cependant, elle n’est pas déterminante. La primauté du droit exige des cours supérieures qu’elles s’acquittent de leur rôle constitutionnel et, nous le rappelons, ni le Parlement ni une législature ne peuvent écarter totalement leur pouvoir de contrôler les actes et les décisions des organismes administratifs. Il s’agit d’un pouvoir protégé par la Constitution. Le contrôle judiciaire est nécessaire afin que la clause privative soit interprétée dans le bon contexte législatif et que les organismes administratifs respectent les limites de leurs attributions.
[22] Dans une décision rendue le 27 février 2003 [2] , madame la juge Carole Julien, j.c.s., écrit ce qui suit aux paragraphes 34 à 42:
[34] Par sa requête en cassation du subpeona adressée à Me Crépin, CVMQ demande à l’arbitre de lui reconnaître un droit de nature quasi-constitutionnelle protégé par la Charte québécoise.
[35] Sur le motif lié au secret professionnel, la décision de l’arbitre nécessite un exercice d’interprétation et d’harmonisation des lois en cause. Cependant, la décision de l’arbitre ne bénéficie pas de la retenue judiciaire. Une simple erreur de droit pourra justifier l’intervention de la Cour supérieure ( p. 604 ) :
« D’abord et avant tout, il va de soi que la Constitution doit être respectée. Le citoyen, qui comparaît devant des organismes décisionnels établis pour se prononcer sur ses droits et ses devoirs, devrait pouvoir faire valoir les droits et libertés garantis par la Constitution. »
[36] D’autre part, si, en vertu de l’article 83 du Code, l’arbitre a les pouvoirs d’un juge de la Cour supérieure dans la conduite des séances d’arbitrage, il est alors tenu, à son instar, de respecter l’obligation qui lui est faite par la Charte de faire respecter le droit au secret professionnel. Il ne peut, par une décision à cet égard, contrevenir à ce devoir ou devenir complice d’une atteinte semblable. Il n’a pas ce pouvoir dans la conduite de la séance d’arbitrage.
[37] La requête en cassation du subpeona ne vise pas une déclaration de l’arbitre prononçant l’incompatibilité d’une loi qu’il doit appliquer avec les Chartes. Cependant, cette requête oblige l’arbitre à interpréter des dispositions législatives qui ne sont pas incluses à la loi habilitante et ne relèvent pas directement de son expertise particulière.
[38] L’interprétation à laquelle il procède concerne la portée d’un droit protégé par la Charte québécoise. Il s’agit d’un cas où l’arbitre interprète des normes juridiques contenues à des lois qu’il devra appliquer pour trancher la question soumise. Il ne peut adopter une interprétation dont l’effet serait d’imposer à un justiciable une règle contraire à la Charte.
[39] À cet égard, il ne peut errer. Rappelons les propos de la Cour d’appel dans l’affaire précitée de Ville de Mascouche ( p. 1914 ) :
« Appliquant ces principes à
l’espèce, je suis d’avis que la première juge a eu raison de rejeter le moyen
fondé sur l’irrecevabilité. En effet, si la Commission était compétente
pour appliquer l’article
(nos soulignements)
[40] Rappelons aussi les propos de la juge Pierrette Rayle alors de notre Cour :
« La
décision rendue par l'arbitre lie les parties en vertu d'une convention
collective et cette décision est finale et sans appel (art.
17. Les tribunaux doivent donc, en vertu de principes longuement établis, s'abstenir d'intervenir dans des décisions protégées par une clause privative de large portée. Le pouvoir de contrôle de la Cour supérieure ne pourra donc autoriser celle-ci à intervenir que si les normes sévères établies par la jurisprudence l'autorisent. La barre est très élevée, et ce, particulièrement en matière de relations de travail.
18. Pour déterminer de manière spécifique la norme de contrôle applicable à la décision soumise au pouvoir de contrôle et de surveillance de la Cour supérieure, M. le juge Bastarache, pour la majorité, a énuméré, dans l'arrêt Pushpanathan , quatre facteurs à prendre en considération.
19. Cet arrêt a fait l'objet de commentaires et d'une analyse par la Cour d'appel dans Commission des écoles catholiques de Québec c. Gobeil où la Cour d'appel devait se demander quelle était la norme de contrôle que les tribunaux doivent appliquer lorsque l'arbitre est appelé comme ici, à interpréter une disposition de la Charte des droits et libertés de la personne .
20. M. le juge Robert, pour la Cour d'appel, passe en revue les quatre critères énumérés par M. le juge Bastarache, soit a) l'existence et la portée de la clause privative; b) l'expertise de l'organisme décisionnel; c) l'objet de la loi dans son ensemble et de la disposition en cause; d) la nature du problème : s'agit-il d'une question de droit ou de faits?
21. Les trois premiers critères ne nécessitent pas de commentaires particuliers dans le présent cas. Venons-en au quatrième. La question soumise à l'arbitre soulevait des questions mixtes de faits et de droit qui, comme les questions de faits, imposent « un niveau de retenue judiciaire plus élevé, puisque le Tribunal administratif est mieux placé pour les apprécier que les tribunaux de droit commun » .
22. M. le juge Robert conclut son « analyse pragmatique et fonctionnelle » comme suit :
«En l'espèce, il est vrai que l'arbitre est protégé par une clause privative intégrale et qu'il est reconnu comme un spécialiste de l'interprétation des conventions collectives et des relations de travail en général. Il n'est cependant pas mieux placé que les juges pour interpréter les dispositions quasi constitutionnelles portant sur les droits et libertés fondamentaux. En somme, je crois qu'on doit appliquer ici la norme de la justesse de la décision. » (Références omises) (p. 1891-1892 »
(Nos soulignemnts)
[41] Et ceux du juge Wery de notre Cour [10] :
« 20. Par contre, lorsque l'arbitre, pour solutionner le grief qui lui est présenté, doit analyser une question qui ne fait pas l'objet de sa compétence, comme, par exemple, lorsqu'il s'agit d'interpréter une disposition de la Charte, sa décision pourra être révisée si elle n'est pas correcte .
21. Comme l'indique la Cour d'appel, même s'il «est vrai que l'arbitre est protégé par une clause privative et qu'il est reconnu comme un spécialiste de l'interprétation des conventions collectives et des relations de travail en général, il n'est cependant pas mieux placé que les juges pour interpréter les dispositions quasi-constitutionnelles portant sur les droits et libertés fondamentaux». Cela est facile à comprendre puisque comme le souligne le juge Crête dans l'affaire Commission scolaire des Grandes-Seigneuries, s'il fallait conclure que la décision d'un arbitre sur des questions de Charte bénéficie de la protection d'une clause privative: «on ferait des arbitres de griefs […] des quasi-Cours suprêmes en matière d'interprétation de la Charte».
22. C'est pour cette raison que le Tribunal est d'avis que la norme de contrôle applicable dans les circonstances est celle de la justesse de la décision de l'arbitre Laberge . »
(nos soulignements)
[42] En l’espèce, le Tribunal applique la norme de contrôle de la décision correcte.
[23] Après analyse des circonstances particulières au présent litige, le Tribunal est d'avis que la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision correcte.
LE DROIT
[24] Sur la question de la divulgation d'informations reliées au secret professionnel, ou relevant de documents confidentiels, dans un arrêt rendu le 20 mai 2005, la Cour suprême dans l'arrêt Glegg c. Smith & Nephew Inc [3] s'exprime ainsi aux paragraphes 25 et suivants:
25. Le critère de la pertinence, en raison du sens que lui donne la jurisprudence, jour un rôle central dans ce domaine. Il doit ici prendre en compte l'importance du droit au respect de la vie privée, déjà protégé par la Charte québécoise, qu'implique la reconnaissance législative du secret professionnel médical. Il oblige celui qui réclame l'accès à l'information à établir la pertinence apparente de l'information recherchée, pour l'exploration des fondements de la demande et pour la conduite de la défense. L'appréciation de l'impact de la divulgation doit se faire en retenant qu'elle se situe dans le cadre des interrogatoires préalables, où une obligation implicite de confidentialité s'impose aux parties (Lac d'Amiante). De plus, le Règlement de procédure civile de la Cour supérieure, R.R.Q. 1981, ch. C-25, r. 8, se préoccupe de limiter la diffusion de ce type d'information. Selon la règle 3, l'information doit être conservée sous enveloppe scellée. Seules les parties et leurs avocats peuvent en prendre connaissance.
26. Le juge saisi par les parties devra se
soucier de ne pas permettre que la divulgation de documents ou les questions
posées lors des interrogatoires préalables dépassent les bornes de ce qui est
pertinent, c'est-à-dire pour l'affaire. Cette fonction de contrôle est
particulièrement importante et doit être remplie avec grand soin lorsque des
objections mettent en cause le droit au respect de la vie privée. Dans les cas
qui le demandent, le juge établit alors les modalités de la prise de
connaissance et de la diffusion de l'information, lorsqu'il lui faut se
prononcer sur la confidentialité de l'information et sur sa divulgation (Québec
(Procureur général) c. Dorion,
30. Dans ce contexte, le juge conserve le pouvoir de prendre toutes les mesures qui éviteraient une divulgation prématurée ou superflue de l'information confidentielle, mais permettraient aussi de s'informer adéquatement sur la nature du conflit et d'encadrer le débat judiciaire engagé à son sujet. Bien des possibilités s'offrent au juge dans ces situations (voir Foster Wheeler, par. 44-47, et Lac d'Amiante, par. 35-39). Il pourrait exiger de la partie qui présente une objection une déclaration assermentée précisant la base de celle-ci énumérant et décrivant les documents en litige. Il aurait ensuite la possibilité d'examiner en privé les éléments de preuve, hors de la présence des parties. Il lui serait loisible d'examiner en privé les éléments de preuve, hors de la présence des parties. Il lui serait loisible aussi d'ordonner la transmission des documents, sous réserve des obligations de confidentialité qui s'appliqueraient à cette phase du débat judiciaire, comme nous l'avons vu plus haut. Le juge pourrait aussi interdire aux avocats de communiquer les documents à des tiers ou aux parties elles-mêmes. Rien de ceci n'a été fait ici, en raison de la manière dont l'intimée a conduit le débat sur son objection.
[25] Sur la protection du secret professionnel, dans un arrêt rendu le 10 octobre 2008 [4] , la Cour d'appel s'exprime ainsi:
[2] Ce libéralisme interprétatif s'oppose ici,
du moins à première vue, au fait que les renseignements recherchés sont
couverts par le secret professionnel, qui est protégé par l'article
[3] Cela dit, ce n'est pas parce que le contexte est celui du secret professionnel que la notion de «pertinence» aux fins des interrogatoires préalables doit être réduite par rapport à ce qu'elle est normalement: la Cour suprême a clairement reconnu le contraire dans Glegg c. Smith & Nephew Inc., précité notamment aux paragr. 23-25, affaire où il était question du secret médical et dont les principes sont transposables au secret de l'avocat, avec les adaptations qui peuvent être nécessaires.
[4] En l'espèce, les intimés ont renoncé au secret professionnel (sous l'angle de l'obligation de confidentialité et celui de l'immunité de divulgation) en fondant leur défense de bonne foi sur le fait qu'ils auraient consulté leur avocat et agi sur les conseils de celui-ci (paragr. 150, 161 et 179 de la défense) et, de même, en produisant la lettre du 14 juillet 2005, par laquelle l'avocat se penche longuement sur la plainte à être portée contre l'appelant Pothier (pièce D-11). Les faits auxquels renvoient ces allégations et le contenu de la pièce D-11, ainsi que, accessoirement, de la pièce D-12 (lettre du 7 novembre 2005), sont, au sens de l'arrêt Glegg c. Smith & Nephew Inc., précité, des faits pertinents, qui peuvent donner lieu à un interrogatoire préalable.
[5] La Cour estime cependant que les paragr. 166 et 167 de la défense ne sont pas suffisamment précis pour qu'on en infère une renonciation au secret professionnel quant aux raisons ayant motivé la demande de retrait de la plainte portée contre l'appelant Pothier. Par ailleurs, les appelants n'ont pas montré ce en quoi les renseignements qu'ils recherchent à cet égard sont pertinents, au sens de l'arrêt Glegg c. Smith & Nephew Inc., compte tenu de la décision rendue par le Comité de discipline le 17 mars 2006 (pièce P-14).
[6] Il y a donc lieu de permettre l'interrogatoire de Me Venne, quoique de façon limitée.
[7] L'interrogatoire des appelants ne doit en
effet pas devenir une recherche à l'aveuglette et ne peut pas viser toutes les
relations et les communications entre les intimés et leur avocat (voir par
analogie Poulin c. Prat.
[26] Sur la distinction devant être faite entre le secret professionnel et le privilège relatif au litige, dans l'arrêt Blank c. Canada (Ministre de la Justice) [5] , la Cour suprême s'exprime ainsi aux pages 19, 20 et 21:
31 Bien que distincts d'un point de vue conceptuel, le privilège relatif au litige et le privilège de la consultation juridique servent une cause commune: l'administration sûre et efficace de la justice conformément au droit. En outre, ils sont complémentaires et n'entrent pas en concurrence l'un avec l'autre. Cependant, le fait de considérer le privilège relatif au litige et le privilège de la consultation juridique comme deux composantes d'un même concept tend à en occulter la vraie nature.
32 Contrairement au secret professionnel de l'avocat, le privilège relatif au litige prend naissance et produit ses effets même en l'absence d'une relation avocat-client et il s'applique sans distinction à toutes les parties, qu'elles soient ou non représentées par un avocat: voir Albert (Treasury Branches) c. Ghermezian (1999), 242 A.R. 326, 1999 ABQB 407 . La partie qui se défend seule a autant besoin d'une «zone» de confidentialité; elle devrait donc y avoir droit. Une autre distinction importante mène à la même conclusion. La confidentialité, condition sine qua non du secret professionnel de l'avocat, ne constitue pas un élément essentiel du privilège relatif au litige. Lorsqu'ils se préparent en vue de l'instruction, les avocats obtiennent ordinairement des renseignements auprès du tiers qui n'ont nul besoin ni attente quant à leur confidentialité, et pourtant ces renseignements sont protégés par le privilège relatif au litige.
33 Bref, le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l'avocat reposent sur des considérations de principe différentes et entraînent des conséquences juridiques différentes.
34 L'objet du privilège relatif au litige est, je le répète, de créer une «zone de confidentialité» à l'occasion ou en prévision d'un litige. Aussitôt que le litige prend fin, le privilège auquel il a donné lieu perd son objet précis et concret - et, par conséquent, sa raison d'être. Mais, comme certains le diraient, le litige n'est pas terminé tant qu'il n'est pas terminé: On ne peut pas dire qu'il est «terminé», au vrai sens du terme, lorsque les parties au litige ou des parties liées demeurent engagées dans ce qui constitue essentiellement le même combat juridique.
35 Sauf lorsqu'un tel litige connexe persiste, il n'est ni nécessaire ni justifié de protéger contre la communication quelque élément que ce soit qui aurait pu faire l'objet d'une divulgation forcée, n'eût été la procédure en cours ou prévue en raison de laquelle il est protégé. Lorsque le litige est effectivement terminé, il n'y a pas vraiment lieu de craindre que l'avocat de la partie adverse ou ses clients plaident leur cause en [ traduction ] «se servant des capacités intellectuelles de l'adversaire», pour reprendre les termes utilisés par la Cour suprême des Etats-Unis dans Hickman , p. 516.
ANALYSE ET DÉCISION
[27] Il est admis par toutes les parties en cause que l'opinion juridique est protégée par le secret professionnel.
[28]
L'article
9. Chacun a droit au respect du secret professionnel.
Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu'ils n'y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi.
Le tribunal doit, d'office, assurer le respect du secret professionnel.
[29]
Dans le cadre de la plainte déposée par les défendeurs en vertu des
articles
[59] En prenant appuie sur les articles 12 à 14 du Code, le présent recours met en cause le pourquoi de la réorganisation administrative du SPCI que met en application la Ville. Il soulève plus particulièrement la question de savoir si cette réorganisation découle d’une stratégie antisyndicale.
[60] Il appartient au requérant d’établir par prépondérance des probabilités que la décision de la Ville de Québec de restructurer le SPCI est entachée de motifs antisyndicaux en contravention aux articles 12, 13 et 14 du Code.
[61] À ce stade-ci, la question à trancher est donc la suivante : Est-ce qu’à sa face même, la preuve présentée démontre de manière suffisamment convaincante que l’intimée en réorganisant son Service de protection contre l’incendie porte atteinte aux droits des requérants prévus au Code?
[62] Si la Commission devait conclure que nous sommes en présence d’une pratique déloyale de travail interdite par les articles 12 à 14, elle peut alors faire bénéficier à la fois l’association de salariés et les salariés de mesures réparatrices que lui permettent d’ordonner les articles 118 et 119 du Code.
[75] La Commission considère, dans ce contexte, que la mise en œuvre du plan de restructuration de la Ville, avec empressement, sans discussion et de façon unilatérale, lequel touche de façon majeure tant les activités syndicales qu’un très grand nombre de ses membres, est l’expression, à sa face même, d’une stratégie antisyndicale, le tout contrairement aux articles 12, 13 et 14 du Code.
[30] L'analyse du témoignage de madame Giguère démontre clairement que celle-ci s'est posée la question, à savoir s'il était légalement possible de procéder à l'abolition de 76 postes de lieutenant et capitaine en vertu de la convention collective. C'est ainsi qu'elle fait référence à l'opinion juridique émise par le conseiller confirmant cette position.
[31]
Dans le cas sous étude, la plainte déposée par les défendeurs porte
essentiellement sur le comportement anti-syndical de la Ville de Québec par le
biais de la restructuration annoncée, et ce, selon les articles
[32] Par son témoignage, madame Giguère ne soutient nullement que l'opinion juridique était à l'effet que la demanderesse n'avait pas enfreint les dispositions précitées.
[33] Les procureurs des défendeurs s'appuient sur l'arrêt St-Alban (Municipalité de) c. Récupération Portneuf Inc . [6] afin de soutenir leurs prétentions. Dans cet arrêt, la Cour d'appel écrit ce qui suit à la page 27:
Sans perdre de vue la protection accordée par la Charte, j'estime néanmoins que Saint-Alban a franchi la ligne de démarcation qui m'oblige à conclure à une renonciation implicite. Il faut rappeler que c'est la municipalité qui a pris l'initiative d'invoquer l'avis juridique à l'appui de sa bonne foi. Bien plus, Saint-Alban affirme avoir agi conformément à la recommandation de ses conseillers juridiques. À ce sujet, les appelantes, fort habilement, manient l'équivoque: tout en refusant de dévoiler le contenu de cet avis juridique, elles affirment néanmoins que l'opinion de leurs avocats est conforme aux motifs exposés à la contestation du mandamus. N'est-ce pas une façon indirecte de révéler le contenu de cet avis juridique? Les appelantes refusent toutefois à la partie adverse le droit de vérifier cette affirmation.
Il est d'ailleurs intéressant de noter que l'avocat de Saint-Alban, qui s'est objecté énergiquement à presque toutes les questions relatives à cet avis juridique, a incité la secrétaire-trésorière à «prendre le temps nécessaire» avant de répondre lorsque l'avocat de Récupération lui a demandé de comparer la «recommandation des procureurs (avec) les motifs qui sont inscrits dans la contestation».
[34] Dans le présent dossier, on ne trouve pas les éléments retenus par la Cour d'appel dans l'arrêt précité.
[35] En effet, le Tribunal a eu le loisir de prendre connaissance de l'opinion juridique émise à la Ville de Québec par ses procureurs.
[36]
Cette opinion ne fait aucunement référence aux éléments contenus dans la
plainte portée par les défendeurs en vertu des articles
[37] Le fait, eu égard aux circonstances ci-dessus mentionnées par madame Giguère et par monsieur Marcoux, de référer à une opinion juridique ne constitue nullement une renonciation au secret professionnel.
[38] Pour défendre sa crédibilité, Mme Giguère a démontré que l'opinion juridique à laquelle elle fait référence dans son témoignage existe véritablement.
[39] Non seulement l'ordonnance de production de cette opinion juridique enfreint les dispositions relatives au secret professionnel mais, au surplus, la teneur de cette opinion n'est nullement pertinente eu égard à la nature des plaintes portées devant la Commission des relations du travail.
[40] En conséquence, les renseignements et documents fournis par la demanderesse, en l'occurrence, l'ensemble des faits, les titres et la conclusion de l'opinion sont amplement suffisants pour établir l'existence véritable de l'opinion juridique, le raisonnement ayant conduit à ses conclusions n'étant nullement pertinent eu égard à la nature des plaintes portées.
[41] Eu égard aux circonstances révélées par la preuve et après analyse des témoignages rendus, le Tribunal est d'opinion que le juge administratif a excédé à sa compétence en obligeant la demanderesse à dévoiler une opinion juridique protégée par le secret professionnel, donc par la Charte .
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[42] ACCUEILLE la requête de la demanderesse;
[43] ANNULE la décision R-10 rendue par la Commission des relations du travail le 21 juin 2010;
[44] REJETTE la demande de l'ASSOCIATION DES POMPIERS PROFESSIONNELS DE QUÉBEC INC. et des mis en cause SÉBASTIEN ALLARD, LUC BEAULÉ, CHRISTIAN BERGERON, NORMAND BÉRUBÉ, MARCO BLOUIN, PHILIPPE BOLDUC, PIERRE CAYOUETTE, ALAIN CHABOT, GILLES CHEVALIER, PIERRE COMEAU, SYLVAIN-L. COULOMBE, MARIO COUTURE, JEAN-FRANÇOIS DAIGLE, FRANÇOIS DESCHAMPS, JOCELYN DESROCHERS, MARTIN DINETTE, ALAIN DION, SYLVIE DOUCET, ANDRÉ-M. DROLET, MARTIN DUBORD, ROGER DUCHESNE, HAROLD DUMAS, MARCO DUMAS, SÉBASTIEN FISET, STÉPHANE FONTAINE, JEAN FRADET, MARTIN GALLANT, SYLVAIN GARNEAU, DANY GAULIN, SÉBASTIEN GAUVIN, ALAIN-B. GINGRAS, GILLES GIRARD, MARIO GIRARD, FRANÇOIS GOSSELIN, ALAIN GRENIER, ANDRÉ JOBIN, ANDRÉ LAMOUREUX, CLAUDE LANGLOIS, ÉRIC LAPOINTE, PIERRE-A. LECLERC, PASCAL LEFRANÇOIS, YVON LEMAY, ÉRIC LÉVESQUE, MICHEL-B. LÉVESQUE, JEAN-FRANÇOIS L'HÉRAULT, ALAIN-A. LORTIE, ÉRIC MASSICOTTE, JEAN MASSE, PIERRE-J. MERCIER, YVES MICHAUD, MARTIN MOISAN, YVES MOREAULT, MARTIN-A. MORENCY, STÉPHANE MUNDVILLER, CHRISTIAN-C. PAQUET, GHISLAIN PAQUET, PIERRE PELOTEAU, MICHEL PICARD, ROBERT PILOTE, CLAUDE-D. POIRIER, MARTIN-B. POULIOT, STEEVE PRÉVOST, FRANÇOIS ROBERT, CHRISTIAN SAILLANT, ÉRIC SAVARD. MARTIN SIMARD, STEPHAN SIMARD, YVES THIBAULT, SIMON TREMBLAY, FERNAND TREMBLAY, MARIO TRUDEL, MICHEL-G. VÉZINA, STEPHEN WATT, STEVE VERRET, ÉRIC GOSSELIN, CHRISTIAN LABBÉ, d'obtenir la version intégrale de l'opinion juridique de Caïn, Lamarre, Casgrain, Wells, datée du 29 décembre 2009 concernant la restructuration du Service de protection contre l'incendie de la demanderesse, VILLE DE QUÉBEC;
[45] RÉFÈRE le dossier au commissaire, Me Sylvain Allard, pour la poursuite de l'audience;
[46] Avec dépens.
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MICHEL CARON, j.c.s. |
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Me Sylvain Lepage Me Linda Lavoie CAIN LAMARRE CASGRAIN WELLS (Casier 52) Procureurs de la demanderesse
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Me Gilles Grenier Me Claude Leblanc PHILION LEBLANC BEAUDRY (Casier 121) Procureurs de l'Association des pompiers professionnels de Québec inc.
Date d'audience: 4 octobre 2011 |
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[1]
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick
,
[2] Commission des valeurs mobilières du Québec c. Gilles Lavoie et l'Association des juristes de l'Etat.
[3]
Glegg
c.
Smith & Nephew Inc
.,
[4]
Pothier
c.
Raymond,
[5]
Blank c. Canada (Ministre de la Justice)
,
[6]
St-Alban (Municipalité de) c. Récupération Portneuf inc
., C.A.,
[1999],
J.E. 99-1777
,