Farmer c. Devenco Contracting Inc.

2012 QCCS 3795

 

JP2056

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

 

N°:

500-17-050705-097

 

 

 

 

 

 

DATE :

LE 8 AOÛT 2012

 

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE 

L’HONORABLE

MARIE-ANNE PAQUETTE, J.C.S.

 

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ANDRÉ FARMER

 

Demandeur principal

 

c.

 

DEVENCO CONTRACTING INC.

 

Défenderesse principale/demanderesse en garantie

 

c.

 

CONSTRUCTION GUY GIRARD INC.

 

et

 

DOMENICO & FILS (1997) INC.

 

Défenderesses en garantie

 

 

 

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JUGEMENT

 

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Introduction

[1]         M. André Farmer réclame 90 199,66 $ de Devenco Contracting inc. ( Devenco ), entrepreneur général, pour des vices de construction et malfaçons en lien avec des travaux de rénovation et d'agrandissement de sa résidence.

[2]         À son tour, Devenco appelle en garantie Construction Guy Girard inc. ( Girard ), le sous-entrepreneur qui a monté la charpente de l'agrandissement à la demande de Devenco, et Domenico & fils 1997 inc. ( Domenico ), le sous-entrepreneur à qui Devenco a confié les travaux de maçonnerie.

[3]         Le Tribunal condamne Devenco à payer pour l'ensemble des dommages réclamés en lien avec les problèmes de structure, de maçonnerie et d'infiltration d'eau que M. Farmer a démontrés.

[4]         Girard et Domenico, quant à eux, doivent rembourser à Devenco le montant des dommages qui découlent des travaux de structure et de maçonnerie qu'ils ont effectués.

[5]         Finalement, le Tribunal condamne Devenco à payer 3 000,00 $ à M. Farmer pour troubles et inconvénients.

I.         Les faits

[6]         Le 7 juillet 2003, M. Farmer signe avec Devenco un contrat d'entreprise pour des travaux de rénovation et d'agrandissement de sa maison. Le montant du contrat ( Contrat ) est établi à 113 828,74 $, incluant les taxes [1] .

[7]         Le Contrat, auquel sont annexés des plans [2] , prévoit essentiellement l'ouverture de la partie arrière de la maison pour y ajouter un agrandissement sur trois étages (sous-sol, rez-de-chaussée et 2 e étage). Il stipule que les travaux seront terminés le 30 septembre 2003.

[8]         La température empêche de finaliser le tout dans le délai prévu. Devenco et M. Farmer conviennent donc de compléter les éléments restants du Contrat au printemps 2004.

[9]         À la fin de juillet 2004, M. Farmer note que l'eau s'infiltre à l'intérieur et sort par les soffites à l'extérieur, le long de la maison. S'ensuivent une série de vérifications, auxquelles Devenco participe, pour identifier et colmater la source de l'infiltration.

[10]      Les temps froids arrivent avant que le problème ne soit réglé. Les parties conviennent d'installer une protection temporaire en plastique pour l'hiver et de poursuivre les investigations et travaux correctifs au printemps 2005.

[11]      Le 31 décembre 2004, des pluies intenses surviennent et une autre infiltration d'eau est notée.

[12]      M. Farmer communique à plusieurs reprises avec Devenco pour décrire les travaux qu'il reste à réaliser, selon lui, et pour les planifier.

[13]      Le 15 juin 2005 [3] , M. Farmer met formellement Devenco en demeure de compléter les travaux prévus au Contrat. L'essentiel des travaux requis porte sur le revêtement en acrylique, les bardeaux, les solins et autres recouvrements métalliques, et ce, tant au niveau de qualité des matériaux que de leur installation.

[14]      Le 13 juillet 2005, le représentant de Devenco, M. Sami Chahine, évoque la possibilité de recourir à un expert externe en ce qui concerne les infiltrations d'eau.

[15]      Devenco tente cependant d'identifier la source des infiltrations d'eau, mais sans succès.

[16]      Plus tard en juillet 2005, Devenco effectue des travaux sur le revêtement en acrylique au niveau des lucarnes.

[17]      Devenco termine donc les travaux à l'été 2005.

[18]      Le problème d'infiltrations persiste néanmoins. De nombreuses communications s'ensuivent.

[19]      Les 10 août et 23 août 2005 [4] entre autres, M. Farmer écrit à Devenco pour planifier et coordonner les travaux correctifs, principalement au niveau de la toiture.

[20]      Le 24 août 2005 [5] , devant l'absence de réponse et de suivi, M. Farmer adresse une mise en demeure formelle à Devenco. Il implore Devenco de résoudre le problème d'infiltration d'eau, de remplacer des bardeaux déchirés et salis à la suite des travaux effectués et de poser les joints requis pour assurer l'étanchéité au niveau des jonctions crépi/acrylique/bardeaux/solins et autres recouvrements métalliques. Cette mise en demeure accorde un délai de 10 jours pour effectuer les travaux, soit jusqu'au 4 septembre 2005.

[21]      Devenco ne pose aucun geste concret par la suite.

[22]      Le 13 septembre 2005 [6] , M. Farmer informe Devenco que devant cette inaction, il a entrepris des démarches auprès d'un autre entrepreneur pour apporter les correctifs. M. Farmer est soucieux de régler le problème d'étanchéité avant le 21 septembre 2005. À cette date, des travaux pour réparer les dégâts dus aux infiltrations doivent commencer.

[23]      Les 16 et 21 septembre 2005 [7] , à la demande de M. Farmer, Les toitures Alain Forget répare la toiture et isole le contour des fenêtres de la mansarde arrière.

[24]      Les problèmes persistent cependant.

[25]      Le 19 septembre 2005, M. Farmer, qui a pourtant informé Devenco que le télécopieur n'est pas un moyen efficace de communiquer avec lui, prend connaissance des réponses que Devenco lui a adressées par télécopieur les 13 septembre et 15 septembre 2005.

[26]      Devenco ne produit pas ces correspondances à l'audience. Il semble qu'elles renferment une demande de délai additionnel pour faire effectuer des vérifications supplémentaires par des experts et remettent en question l'étendue des travaux correctifs que M. Farmer envisage, sans plus.

[27]      À ce moment, les travaux sont cependant déjà effectués.

[28]      Le 27 septembre 2005 [8] , M. Farmer écrit à nouveau à M. Chahine. Il met Devenco en demeure d'effectuer des travaux correctifs au niveau de la membrane élastomère que Devenco a installée en 2003. Il souligne l'importance d'une intervention rapide et sérieuse de Devenco, faute de quoi il retiendra les services d'un autre entrepreneur.

[29]      Le 4 octobre 2005, M. Farmer confirme à Devenco que d'autres entrepreneurs (Toitures imperméables S.o.S. et Les toitures Alain Forget [9] ) ont eu le mandat de faire les travaux.

[30]      Ces derniers réparent le drain de la toiture, que Devenco aurait mal installé en 2003, et posent des solins métalliques en surface, que Devenco aurait omis d'installer en 2003. Cela règle le tout.

[31]      Au début d'octobre 2005, le problème d'infiltration d'eau au niveau du toit, des soffites et des lucarnes est donc réglé.

[32]      Cependant, au début de décembre 2006, une nouvelle infiltration d'eau est notée, cette fois au niveau du solage, dans la section agrandie de la maison.

[33]      À l'été 2007 Devenco reprend donc le crépit du solage.

[34]      En août ou septembre 2007, l'eau s'infiltre toujours le long d'une fenêtre du sous-sol.

[35]      M. Farmer consulte donc un expert, M. Fançois Goulet, ingénieur.

[36]      Le 17 septembre 2007, M. Goulet effectue sa première visite des lieux. Il y retourne pour effectuer des percements et procéder à d'autres vérifications les 12 novembre 2007, 18 juin 2008 et 23 septembre 2008.

[37]      Le 6 décembre 2007 [10] , par l'entremise de son avocat, M. Farmer adresse une mise en demeure formelle à Devenco et à l'Association canadienne d'hypothèque et de logement ( APCHQ ), en vertu de son programme de garantie de rénovation. Cette mise en demeure énumère les déficiences à corriger en ce qui a trait à la cuisine, la toiture horizontale-membrane élastomère, la structure, le sous-sol, le mur de brique et le revêtement acrylique.

[38]      Pour la première fois, M. Farmer y dénonce un problème de structure et de maçonnerie (mur de briques), tel que son expert les a notés à la suite de sa visite du 12 novembre 2007. La mise en demeure, qui énumère de façon détaillée les déficiences, ne mentionne pas l'implication de M. Goulet.

[39]      Dans cette mise en demeure, M. Farmer intime Devenco et l'APCHQ d'inspecter l'immeuble dans les 10 jours et d'entreprendre les travaux correctifs au plus tard en mars 2008.

[40]      Le 31 mars 2008 [11] , M. Farmer met à nouveau Devenco et l'APCHQ en demeure d'inspecter l'immeuble et de corriger les déficiences.

[41]      Le 8 avril 2008, un inspecteur de l'APCHQ visite les lieux.

[42]      L'avocat de M. Farmer s'est objecté à ce que les observations et recommandations de cet inspecteur soient mises en preuve sans le témoignage de ce dernier. Le Tribunal a maintenu l'objection pour ce motif. La seule preuve sur ce point est donc que Devenco a retenu du rapport de l'expert de l'APCHQ qu'il n'y avait aucune malfaçon et qu'aucun correctif n'était requis.

[43]      Le 17 juin 2008 [12] à 8 h 16, M. Farmer avise Devenco que des travaux d'exploration seront effectués le lendemain. Il l'invite à y dépêcher un représentant pour y assister.

[44]      Le 18 juin 2008, M. Goulet procède à des ouvertures d'exploration et vérifications, en l'absence de représentants de Devenco et de l'APCHQ. L'ampleur et la nature des problèmes qu'il relève quant à la maçonnerie et à la structure au sous-sol se précisent.

[45]      Le 18 juillet 2008, M. Farmer dépose la requête introductive d'instance, en substance selon les termes de la mise en demeure du 6 décembre 2007.

[46]      Le 23 septembre 2008, M. Goulet visite à nouveau les lieux. L'ampleur et la nature des problèmes qu'il note quant à la structure de la charpente maîtresse sous le toit, à la jonction du corps principal de la maison et de l'agrandissement, se précisent aussi.

[47]      Les 22 septembre et 1 er octobre 2008 [13] , Montréal Restauration Construction effectue les travaux correctifs de maçonnerie.

[48]      En octobre 2008, Devenco mandate un expert. Le 24 octobre 2008, lorsqu'il visite les lieux, les travaux de maçonnerie sont déjà faits. Par contre, les travaux pour régler les problèmes de structure que M. Goulet a identifiés ne sont pas encore commencés.

[49]      Les conclusions de l'expert de Devenco ne sont pas en preuve. En l'absence du témoignage de cet expert, le Tribunal a accueilli l'objection au dépôt de son rapport, pour tenir lieu de témoignage.

[50]      En avril 2009 [14] , GSP rénovations inc., un autre entrepreneur général, corrige les problèmes de structure, le tout selon les plans et instructions de M. Goulet.

[51]      Le 6 juillet 2009, Devenco appelle Domenico et Girard en garantie.

II.    Les vices de construction, conception et réalisation allégués

[52]      Les vices dont M. Farmer se plaint sont détaillés au rapport [15] de M. Goulet, expert ingénieur pour la demande. Aucune autre opinion d'expert n'a été mise en preuve.

[53]      M. Goulet a témoigné au procès. Ses constatations se résument ainsi :

          À l'extérieur du bâtiment (problèmes de maçonnerie) :

·      les chantepleures dans le nouveau parement de brique au bas du mur sont absentes sur le mur latéral sud et peu nombreuses ailleurs;

·      absence de joint de contrôle de la fissuration entre le parement en brique du corps principal du bâtiment (existant avant les travaux) et le parement en brique (nouveau) de l'agrandissement;

·      le solin installé à l'extrémité inférieure du mur ne déborde pas hors du mur des fondations (support de la brique). Au contraire, il est en retrait d'environ 12 mm vers l'intérieur;

·      en certains endroits, il n'y a pas de solin au bas du parement en briques. Aussi, le film de polyéthylène qui s'y trouve n'est pas installé comme le serait un solin, c'est-à-dire de façon à canaliser l'eau vers l'extérieur du mur. L'assise de la brique est même inclinée vers l'intérieur du bâtiment;

·      le solin est interrompu avant d'atteindre le linteau en fer-angle des fenêtres du sous-sol. Ainsi, il ne forme pas une barrière continue étanche;

·      en certains endroits au-dessus des fenêtres, aucun solin n'a été installé;

          À l'intérieur du bâtiment (problèmes de structure) :

·      absence de renfort du linteau pour supporter l'élargissement horizontal du soupirail dans l'ancien mur de fondations extérieur arrière;

·      la lisse en bois du mur-porteur du côté nord du sous-sol est encastrée dans le béton de la dalle du plancher. Ceci la rend susceptible à la détérioration par pourriture. Aussi, son appui sur la dalle de béton est inégal. Des vides entre la dalle de béton et la lisse en bois sont visibles;

·      dans la chambre à coucher de l'agrandissement, la poutre installée pour supporter le poids de la charpente du toit est trop faible. Le support est constitué de 2 madriers 2'' x 8'', alors que 4 poutres de 1 '' x 9 '' seraient requises. Aussi, ces deux madriers sont assemblés de façon non conforme, c'est-à-dire avec quelques clous et un étrier sur un seul de ses deux éléments. Cela compromet la solidité de ce point d'appui, déjà insuffisant.

[54]    Selon M. Goulet, les problèmes de maçonnerie expliquent les infiltrations d'eau au sous-sol. Les travaux correctifs effectués selon ses recommandations ont réglé le problème.

[55]    M. Goulet est aussi d'opinion que les problèmes structurels notés compromettaient la solidité de l'ouvrage. Les correctifs ont été apportés selon ses recommandations.

[56]    Par ailleurs, le problème d'infiltration d'eau à l'étage supérieur, au niveau du toit, des soffites et des lucarnes, est survenu et a été résolu avant l'implication de M. Goulet. Il ne formule donc aucune observation ou opinion à ce sujet.

III.      La position des parties

A.             M. Farmer

[57]      En raison de ces vices et malfaçons, M. Farmer réclame 90 199,66 $, soit :

·         80 199,66 $ pour le coût des travaux correctifs effectués et à faire;

·         10 000,00 $ pour troubles et inconvénients.

B.             Devenco

[58]      Devenco n'oppose pas la prescription du recours de M. Farmer. Mentionné en moins d'une phrase dans la défense de Devenco, ce moyen n'est plus soulevé dans ses procédures subséquentes et n'a été invoqué à aucun moment lors du procès ou des plaidoiries [16] .

[59]      Devenco plaide plutôt avoir été prise par surprise. M Farmer aurait agi de façon précipitée dans l'exécution des travaux correctifs. Ainsi, Devenco aurait été privée de l'opportunité de constater elle-même la situation et de se défendre adéquatement à l'action. De plus, l'empressement de M. Farmer à agir l'aurait empêchée de régler elle-même les problèmes à moindre coût.

[60]      Aussi, M. Farmer aurait procédé à des travaux plus étendus que nécessaire pour corriger le problème d'écoulement d'eau.

[61]      Quant au reste, Devenco nie l'existence d'un vice de construction pour lequel il fallait intervenir.

C.             Domenico

[62]      Selon Domenico, les travaux correctifs de maçonnerie auraient pu être effectués à moindre coût. Elle reproche aussi à Devenco de l'avoir avisée des problèmes 1 ½ an après leur dénonciation. Ce délai aurait privé Domenico, à son tour, de l'opportunité de constater le problème et d'effectuer elle-même les travaux.

D.             Girard

[63]      Girard a initialement contesté le recours en garantie. Cependant, moins de deux mois avant le début du procès, Girard a révoqué ses procureurs et choisi de ne pas participer au procès.

IV.    Les questions en litige

[64]      Les questions en litige se présentent ainsi :

A.            M. Farmer est-il justifié de réclamer 90 199,66 $ de Devenco pour vices de construction et malfaçons dans les travaux que cet entrepreneur général a effectués sur sa résidence?

B.            Devenco peut-elle réclamer de Domenico des dommages pour les vices de construction et malfaçons liées aux travaux de maçonnerie qu'elle a effectués comme sous-entrepreneur, à la demande de Devenco?

C.            Devenco peut-elle réclamer de Girard des dommages pour les vices de construction et malfaçons liées aux travaux de structure qu'elle a effectués comme sous-entrepreneur, à la demande de Devenco?

V.   L'analyse

[65]      Le Contrat entre Devenco et M. Farmer est un contrat d'entreprise [17] . Devenco s'est adjoint les services de sous-entrepreneurs, Domenico et de Girard, afin d'exécuter des portions spécifiques des travaux prévus au Contrat.

[66]      L'entrepreneur a un devoir de conseil, de prudence et de diligence.

2100 C.c.Q. L'entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d'agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence . Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l'ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d'agir conformément aux usages et règles de leur art , et de s'assurer, le cas échéant, que l'ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.

Lorsqu'ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure.

[soulignements du Tribunal]

[67]      Si un vice de construction, de conception ou de réalisation entraîne des dommages sérieux à l'immeuble dans les cinq ans de la fin des travaux, tant l'entrepreneur que les sous-entrepreneurs sont présumés responsables de la perte de l'ouvrage, et ce, sans que le propriétaire n'ait à prouver leur faute [18] . C'est ce que l'article 2118 C.c.Q. prévoit.

2118 C.c.Q. À moins qu'ils ne puissent se dégager de leur responsabilité, l'entrepreneur , l'architecte et l'ingénieur qui ont, selon le cas, dirigé ou surveillé les travaux, et le sous-entrepreneur pour les travaux qu'il a exécutés, sont solidairement tenus de la perte de l'ouvrage qui survient dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux , que la perte résulte d'un vice de conception, de construction ou de réalisation de l'ouvrage, ou, encore, d'un vice du sol.

[soulignements du Tribunal]

[68]      Cette présomption s'enclenche sur preuve de quatre éléments : (1) un ouvrage (2) une perte (3) un lien de causalité entre la perte et un vice de conception, de construction, de réalisation ou de sol (4) une perte survenue dans les cinq années de la fin des travaux.

[69]      Pour se dégager de leur responsabilité, l'entrepreneur ou le sous-entrepreneur doivent alors prouver que les vices résultent d'une erreur dans les plans ou expertises de l'architecte ou de l'ingénieur [19] ou de décisions imposées par le client. Le sous-entrepreneur, quant à lui, peut aussi s'exonérer en prouvant que les vices résultent des décisions de l'entrepreneur.

2119 C.c.Q.    […] L'entrepreneur [ne] sera dégagé [de sa responsabilité] qu'en prouvant que ces vices résultent d'une erreur ou d'un défaut dans les expertises ou les plans de l'architecte ou de l'ingénieur choisi par le client . Le sous-entrepreneur n'en sera dégagé qu'en prouvant que ces vices résultent des décisions de l'entrepreneur ou des expertises ou plans de l'architecte ou de l'ingénieur .

Chacun pourra encore se dégager de sa responsabilité en prouvant que ces vices résultent de décisions imposées par le client dans le choix du sol ou des matériaux, ou dans le choix des sous-entrepreneurs, des experts ou des méthodes de construction.

[soulignements du Tribunal]

A.             La responsabilité de Devenco

[70]      Pour les motifs exposés ci-après, le Tribunal conclut qu'il y a perte de l'ouvrage et que Devenco, qui n'a pas été privée de mises en demeure préalables suffisantes, en est responsable.

1)     La présomption de responsabilité (2118 C.c.Q.)

[71]      Premièrement, les travaux de construction et rénovation que Devenco a effectués constituent un « ouvrage » tel que prévu à l'article 2118 C.c.Q., cela n'est pas contesté.

[72]      Deuxièmement, les problèmes dont il est question ici sont résumés aux paragraphes [52] à [56] du présent jugement. Ces dommages sérieux à l'immeuble représentent une « perte » de l'ouvrage [20] , au sens de l'article 2118 C.c.Q.

[73]      Troisièmement, tel que M. Goulet l'explique dans son rapport et son témoignage, ces problèmes découlent d'une dérogation aux règles de l'art. Pour cette raison, la perte résulte ici d'un « vice de construction ou de réalisation », au sens de l'article 2118 C.c.Q.

Les vices de construction et de réalisation s'apprécient par rapport aux normes généralement suivies dans le secteur en question et se reconnaissent par une dérogation aux règles de l'art. [21]

[74]      Ici, aucune expertise ne contredit les conclusions de M. Goulet sur la nature des problèmes, leur étendue, la contravention aux règles de l'art et la justification des travaux correctifs effectués. Le témoignage que M. Chahine, représentant de Devenco, a rendu pour contredire certains points de l'opinion de M. Goulet ne présente pas le niveau d'objectivité requis pour que le Tribunal puisse le moindrement s'y fier.

[75]      Les problèmes d'infiltration notés au niveau du toit, dont M. Goulet ne traite pas, sont également attribuables à un manquement aux règles de l'art et résultent, en cela, d'un « vice de construction ou de réalisation ». En effet, les correctifs que d'autres entrepreneurs (Toitures imperméables S.o.S. et Les toitures Alain Forget) ont apportés ont suffi à régler le problème.

[76]      Quatrièmement, la perte est survenue dans les cinq ans de la fin des travaux, soit avant juillet 2010 . En effet, l a fin des travaux a eu lieu en juillet 2005, lorsque Devenco est intervenu pour la dernière fois, en effectuant des travaux au niveau des lucarnes. À ce moment, l'ouvrage était exécuté et en état de servir conformément à l'usage auquel il était destiné [22] .

[77]      Par conséquent, la présomption de responsabilité de l'article 2118 C.c.Q. pèse ici contre Devenco.

[78]      Devenco n'a pas réussi à repousser cette présomption en prouvant que les vices résultent d'une erreur dans les expertises ou plans de l'architecte ou ingénieur choisi par le client ou de « décisions imposées par le client », tel que le prévoit l'article 2118 C.c.Q. En effet, Devenco a choisi les architectes et ingénieurs et M. Farmer s'en est totalement remis à Devenco pour la planification et l'exécution du projet.

2)     La suffisance des mises en demeure préalables

[79]      Contrairement à ce qu'elle avance, Devenco n'a pas été mise devant le fait accompli. Au contraire, elle a laissé le problème entre les mains du client et pris ses dénonciations à la légère.

[80]      À la fois dans le déroulement des faits pertinents et dans la gestion de la preuve au procès, Devenco a agi comme si la présomption de responsabilité qui pèse sur elle en vertu du Code civil du Québec n'existait pas et comme si la responsabilité de régler le problème reposait sur les épaules de son client.

[81]      Entre autres, Devenco s'est retranchée derrière le processus de médiation devant l'APCHQ comme prétexte pour légitimer son laxisme.

[82]      Elle a mis 1½ an avant d'informer ses sous-traitants en maçonnerie (Domenico) et en structure (Girard) des doléances de M. Farmer quant à l'exécution de leurs travaux respectifs. À l'évidence, Devenco n'a pas pris les problèmes de structure, d'infiltrations et de maçonnerie au sérieux.

[83]      M. Farmer a envoyé une multitude d'avis à Devenco et l'a tenue informée de ses insatisfactions et démarches. Devant l'absence de réponse tangible et efficace, voire le silence de cette dernière, on ne saurait lui reprocher d'avoir pris les choses en main.

[84]      La preuve de ses nombreuses communications avec Devenco, qui se voulaient des appels à l'aide répétés, démontre qu'il n'a aucunement agi à l'insu de Devenco ou privé cette dernière de constater et de corriger elle-même les problèmes dont elle est responsable. C'est tout le contraire.

B. La responsabilité de Domenico (maçonnerie)

[85]      Pour les raisons énoncées précédemment, la présomption de l'article 2118 C.c.Q. pèse aussi contre Domenico. Cette dernière n'a pas réussi à la repousser. Domenico est donc responsable des dommages causés par les travaux de maçonnerie qu'elle a effectués.

[86]      En effet, Domenico n'a déposé aucun rapport pour contredire les constatations ou opinions de M. Goulet.

[87]      Domenico n'a pas prouvé non plus que les problèmes de maçonnerie résultent de décisions imposées par M. Farmer, par Devenco ou par des expertises ou plans de l'architecte ou de l'ingénieur.

[88]      Certes, Domenico a été avisée des problèmes une fois les correctifs apportés. Il eût été préférable qu'il en soit autrement. Cependant, il n'y a pas lieu de l'exonérer pour autant.

[89]      Avant l'exécution des travaux correctifs, M. Farmer, par l'entremise de son expert, a ménagé une preuve détaillée de l'état des travaux de maçonnerie de Domenico. Entre autres, de nombreuses photos ont été prises et une description détaillée de la situation pré correction est contenue aux rapport et témoignage de M. Goulet.

[90]      Domenico n'a aucunement contredit cette description et n'a pas suggéré que les photos déposées ne reflétaient pas fidèlement l'état des travaux qu'elle avait effectués.

[91]      Dans son témoignage, M. Domenico s'est plutôt employé à expliquer que ses techniques étaient conformes aux règles de l'art et qu'il aurait pu régler les problèmes à moindre coût.

[92]      Or, le témoignage que M. Domenico a rendu pour contredire les conclusions de M. Goulet sur le respect des règles de l'art et les travaux correctifs requis ne suffit aucunement à écarter l'opinion étoffée, appuyée, indépendante et crédible de M. Goulet.

C.             La responsabilité de Girard (structure)

[93]      La même conclusion vaut contre Girard qui, par surcroît, a choisi de ne pas participer au procès. Girard est donc responsable des dommages causés par les travaux de structure qu'elle a faits.

D.             Les dommages

[94]      Le coût des travaux effectués pour régler le problème d'étanchéité du toit [23] est admis. La preuve démontre de façon prépondérante que ces travaux étaient nécessaires et ont finalement corrigé la situation. Outre l'affirmation non étoffée du représentant de Devenco, suivant laquelle des travaux aussi étendus n'étaient pas nécessaires, rien dans la preuve ne suggère que les correctifs apportés n'étaient pas tous nécessaires.

[95]      Le Tribunal retient aussi qu'une intervention sporadique ou partielle au niveau de la maçonnerie n'aurait ni permis de régler les problèmes que M. Goulet a relevés ni réduit le coût des travaux correctifs. Ici aussi, les représentants de Devenco et Domenico se bercent d'illusions en affirmant le contraire. Leurs propos ne sont pas crédibles. Ils ne sont ni étoffés ni corroborés par qui que ce soit.

[96]      Finalement, le coût et la nécessité des travaux correctifs effectués pour la structure de l'immeuble ont été démontrés de façon prépondérante.

[97]      En ce qui a trait aux dommages non pécuniaires que M. Farmer réclame, le Tribunal lui accorde une indemnité de 3 000,00 $ pour compenser les divers troubles, ennuis et inconvénients que le laxisme et le manque de professionnalisme de Devenco lui ont causés, depuis décembre 2004.

[98]      Le Tribunal condamnera donc Devenco à payer 81 880,51 $ à M. Farmer, ventilé comme suit :

·         Toiture Horizontale - Membrane Élastomère :                                  670,00 $ [24]

 

·         Structure :                                                                                              31 356,20 $ [25]

 

·         Sous-Sol :                                                                                                16 326,45 $ [26]

 

·         Mur De Brique :                                                                                       18 721,80 $ [27]

 

 

·         Travaux préparatoires (délacement haies, clôtures, balcon, etc) :

         1 525,00 $ [29]

 

 

SOUS TOTAL  78 880,51 $

 

 

 

TOTAL  :               81 880,51 $

[99]      Domenico devra, à son tour, rembourser à Devenco le montant qu'elle aura payé à M. Farmer pour les dommages découlant de ses travaux de maçonnerie, soit 18 721,80 $.

[100]   Girard devra, quant à elle, rembourser à Devenco le montant qu'elle aura payé à M. Farmer pour les dommages découlant de ses travaux de structure, soit 31 356,20 $.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[101]   ACCUEILLE l'action principale;

[102]   CONDAMNE Devenco Contracting inc. à payer 81 880,51 $ à André Farmer, avec intérêt au taux légal plus l’indemnité additionnelle prévue aux articles 1619 et suivants du Code civil du Québec à compter de la signification de la mise en demeure, le 7 décembre 2007;

[103]   AVEC DÉPENS , incluant les frais d'expert;

[104]   ACCUEILLE l'action en garantie;

[105]   CONDAMNE Domenico & fils (1997) inc. à payer à Devenco Contracting inc. le montant que cette dernière aura versé à M. Farmer pour les dommages découlant de ses travaux de maçonnerie, soit 18 721,80 $;

[106]     CONDAMNE Construction Guy Girard inc. à payer à Devenco Contracting inc. le montant que cette dernière aura versé à M. Farmer pour les dommages découlant de ses travaux de structure, soit 31 356,20 $;

[107]   Avec DÉpens.


 

 

__________________________________

MARIE-ANNE PAQUETTE, J.C.S.

 

Me Paul Gouin

GOUIN & ASSOCIÉS

Pour la demande, André Farmer

 

Me Yanick Forget

CROCHETIÈRE, PÉTRIN

Pour la défense/demande en garantie, Devenco Constructing inc.

 

Me Franco Schiro

Pour la défense en garantie, Domenico & Fils (1997) inc.

 

 

Dates d’audience :

14, 15, 16 mai 2012

 



[1] Pièce P-1.

[2] Pièce D-3.

[3] Pièce D-2.

[4] Pièce P-10.

[5] Pièce P-2.1.

[6] Pièce P-10.

[7] Pièce P-2.

[8] Pièce P-10.

[9] Pièces P-2 et P-2.1.

[10] Pièce P-3.

[11] Pièce P-3.1.

[12] Pièce P-10.

[13] Pièces P-4.1, P-5.6.

[14] Pièces P-3.3, P-3.4, P-3.5, P-3.5.1.

[15] Pièce P-8.

[16] Sans se prononcer sur la prescription du recours, que Devenco n'invoque pas par ailleurs, le Tribunal ajoute que dans l'éventualité où le recours aurait pu être prescrit, Devenco a, par ses gestes, renoncé à invoquer ce moyen de défense (a rt. 2883 , 2885 C.c.Q. ).

[17] Art. 2098 C.c.Q.

[18] Olivier F. KOTT et Claudine ROY, La construction au Québec: perspectives juridiques , Montréal, Wilson&Lafleur, p. 431.

[19] Dans le cas de l'entrepreneur il faut, en plus, qu'il s'agisse de l'architecte choisi par le client .

[20] O. F. KOTT et C. ROY, préc., note 18, p. 434.

[21] Id. , p. 435-436. Voir: Paguet c. Construction Godin & Leclerc Inc. , J.E. 98-199 (C.A.).

[22] Art. 2110 C.c.Q.

[23] Pièce P-2.

[24] Pièce P-3.2.4.

[25] Pièces P-3.2.4, P-3.3, P-3.4, P-3.5, P-3.5.1, P-3.5.2, P-3.5.3, P-3.5.4, P-3.5.5 et P-3.5.6.

[26] Pièces P-3.4 et P-3.5.7.

[27] Pièces P-4.1, P-5 et P-6.

[28] Pièces P-3.2.4, P-7, P-7.1, P-7.2, P-7.3 et P-7.4.

[29] Pièces P-3.2.4 et P-7.4.

[30] Pièces P-2 et P-2.1.