TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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Code du travail, article 100 et ss |
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No de dépôt : 2012-7576 |
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Date : 8 juin 2012 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
MARC POULIN |
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Syndicat des professionnèles de la santé et des services sociaux de Québec et de Chaudière-Apalaches (CSN)
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« le syndicat » |
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Centre de santé et de services sociaux de Québec-Nord |
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le CSSS ou « l’employeur » |
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Plaignante : Mme Jennifer Lévesque |
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Nature des griefs : Suspension et congédiement |
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Numéros : QN-2010-10-004 et QN-2010-10-006 |
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Pour le syndicat : Me Hélène Dubreuil |
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Pour l'employeur : Me Normand Drolet |
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Dates d’audience : 27 avril, 8 et 25 mai 2012 |
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SENTENCE ARBITRALE |
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[1] Je suis saisi de deux (2) griefs déposés par le syndicat au nom de la plaignante, Mme Jennifer Lévesque. Le premier (S-4) conteste une suspension indéterminée imposée le 10 septembre 2010 (S-3) :
Objet : Suspension durée indéterminée
La présente fait suite à la réception d’une plainte vous concernant de la part d’une cliente ayant consulté à l’accueil psychosocial du CLSC de la Jacques-Cartier. L’événement dont il est question a eu lieu le 31 août 2010 et concerne la demande # 118116. Les éléments de la demande # 112077 effectués le 17 juin 2010 sont également en cause.
Nous vous avons rencontrée le 8 septembre 2010, en compagnie de Mme Anne-Sophie Blais, conseillère en ressources humaines ainsi que Mme Nicole Cliche, agente de grief, pour recueillir votre version des faits. Les contradictions entre votre version et celle de la cliente et les éléments recueillis depuis dans le processus d’analyse de cette plainte nous amènent à vous suspendre de vos fonctions d’intervenante sociale, pour une période indéterminée, le temps de faire enquête.
Nous communiquerons avec vous au terme de cette enquête, afin de vous faire part de nos conclusions.
Nous vous prions d’agréer, Madame Lévesque, nos salutations distinguées.
Marie-Claude Tremblay - Chef de programme des services généraux
[2] Un deuxième grief est déposé le 8 octobre 2010 (S-6). Cette fois, le syndicat et Mme Lévesque contestent la décision du CSSS de mettre fin à l’emploi de cette dernière à la suite de son enquête. L’avis, informant la plaignante de la rupture de son lien d’emploi, résume ainsi les motifs à l’appui de cette décision (S-5) :
· Bris de confidentialité
· Falsification de documents cliniques
· Manque de jugement professionnel
· Manque de compétence
· Malhonnêteté
· Non-respect du code d’éthique
· Rupture du lien de confiance entre vous et l’organisation
[3] Les griefs me sont déférés par les parties le 22 décembre 2011. Elles reconnaissent que le tribunal possède la compétence requise pour entendre les griefs et en décider. Également, elles reconnaissent que les procédures relatives au règlement des griefs et à l’arbitrage ainsi que celle concernant l’imposition des mesures prises à l’endroit de la plaignante ont été respectées.
[4] Par ailleurs, étant donné que certaines informations protégées par la Loi sur la protection des renseignements personnels seront dévoilées en preuve, le tribunal émet une ordonnance de non-diffusion et de non-divulgation par quelque moyen que ce soit de ces informations.
[5] Mme Lévesque détient un baccalauréat en service social de l’Université Laval depuis mai 1999. En novembre de la même année, elle obtient son premier emploi professionnel au CLSC des Sept-Rivières, à Sept-Îles. Elle y travaille jusqu’en septembre 2008 à titre d’agente de relations humaines. Elle revient alors à Québec où elle remplit des tâches d’intervenante dans des organismes communautaires.
[6] Elle est embauchée par le Centre de santé et de services sociaux de Québec-Nord (CSSS) en juillet 2009, à titre d’agente d’intervention en service social (AISS). Elle effectue un remplacement à temps complet. Elle possède le statut de TPO (temps partiel occasionnel).
[7] Après quelques remplacements dans différents points de service de la direction du soutien à domicile, elle est affectée au service de l’accueil psychosocial, rattaché au programme des services généraux, le 22 mars 2010. Ce service compte 4 autres personnes de niveau professionnel. Elle remplace une salariée partie en congé de maternité. Elle conserve le même titre et le même statut d’emploi.
[8] Mme Marie-Claude Tremblay est la chef de ce programme et Mme Christianne Delamarre est la coordonnatrice clinique de l’équipe de l’accueil psychosocial. Le port d’attache de l’équipe est situé au CLSC de la Jacques-Cartier dont les locaux sont dans l’Hôpital Chauveau.
[9] Les tâches de Mme Lévesque consistent essentiellement à :
· Répondre aux appels téléphoniques, généralement pour fixer une rencontre ou, selon le cas, donner des renseignements.
[10] En résumé, elle procède à une cueillette d’informations qui lui permettra d’orienter la personne vers les services internes ou externes appropriés. Elle ne fait pas de traitement ou de suivi sauf en cas d’urgence, comme une crise suicidaire. C’est ce qui est appelé une évaluation psychosociale. Une rencontre dure environ une heure. Au terme de chaque rencontre, elle doit compléter un formulaire qui décrit, notamment, la demande de service et la cueillette d’informations.
[11] Lors de son arrivée au service de l’accueil psychosocial, Mme Lévesque bénéficie d’une période d’orientation de deux jours avec la coordonnatrice clinique, Mme Delamarre, elle-même salariée et membre du même syndicat. La coordonnatrice utilise le manuel d’intégration habituel pour lui expliquer les procédures relatives aux demandes de service, la façon de compléter la grille d’évaluation psychosociale, la dynamique de la violence conjugale, etc..
[12] De plus, Mme Delamarre supervise la plupart de ses évaluations, et ce, jusqu’à la fin de son emploi. Elle reprend alors le dossier avec elle en lui expliquant les lacunes à corriger. Mme Lévesque reçoit aussi une formation de quatre jours sur l’approche systémique intégrée, c’est-à-dire l’évaluation de la clientèle dans sa globalité afin de la diriger vers les soins appropriés. Finalement, comme elle travaille sur l’équipe de soir, l'employeur assigne une collègue de travail pendant une semaine pour lui apporter le soutien clinique dont elle pourrait avoir besoin.
[13] Selon Mme Tremblay, au début son travail était satisfaisant. Mais, dit-elle, elle a constaté par la suite qu’elle avait de la difficulté à cerner, soit la clientèle, soit la problématique. Elle affirme également qu’elle faisait montre de préjugés et de jugement de valeur sur certaines clientèles. Elle éprouvait aussi de la difficulté à organiser son travail. Quant à Mme Delamarre, elle dit avoir constaté les mêmes lacunes, en plus d’omettre de noter des choses importantes ou de consulter l’historique du dossier. La plaignante nie ce dernier reproche, affirmant avoir toujours porté attention à l’historique de la clientèle.
[14] Le 6 août 2010, Mme Tremblay lui remet une lettre dans laquelle elle a consigné les commentaires et améliorations que Mme Lévesque doit apporter afin de réussir son intégration dans le programme des services psychosociaux généraux de la Haute-St-Charles (E-3). Mme Lévesque déclare que c’est elle qui a demandé des consignes écrites parce que Mme Delamarre les changeait parfois.
[15] Dans la lettre du 6 août, Mme Tremblay revient sur certains points qui avaient été abordés lors de deux rencontres précédentes. Le 11 mai, elle lui avait recadré certains éléments :
1. La période d’orientation permet de faire un survol du travail effectué au programme, tant sur le plan clinique que des procédures administratives.
2. L’expérimentation fait partie de la période d’intégration et le soutien alors disponible de la part de la coordonnatrice clinique et des collègues permet de poursuivre la transmission des connaissances.
3. Comme chaque intervenant qui intègre le programme possède une expérience, des connaissances et des compétences qui lui sont propres et qu’il est seul à en connaître l’étendue et les limites, il lui appartient de nous faire part de ses besoins et demander des compléments d’informations s’il le juge nécessaire.
4. En tant que professionnel, il est de la responsabilité de chaque intervenant de s’assurer du développement de ses compétences. Ceci passe par la recherche documentaire, la consultation de professionnels plus expérimentés, la formation, etc..
[16] De plus, elle avait identifié les éléments sur lesquels elle devait porter une attention particulière :
· Rédaction des notes évolutives : compléter les notes pour chaque situation en respectant les normes et les délais de rédaction.
· Attention aux jugements de valeur et aux préjugés qui ne doivent en aucun cas transparaître ni influencer l’évaluation. Ne jamais poser ou induire un diagnostic; s’en tenir aux antécédents documentés.
· Importance de considérer et noter toutes les informations pertinentes dans la demande de service.
· Importance de respecter les procédures administratives pour l’ouverture de dossier, la rédaction ainsi que l’orientation (références).
[17] Mme Delamarre déclare que lors de cette rencontre, Mme Lévesque est arrivée en colère, niant avoir vu le manuel d’intégration et l’orientation reçue. De plus, elle aurait contesté les compétences de la coordonnatrice, sauf en ce qui concerne la violence conjugale. Selon Mme Delamarre, elle aurait dit aussi que la coordonnatrice n’avait aucune crédibilité au CLSC et que tous les membres de l’équipe lui en voulaient. Elle l’aurait avertie qu’elle irait voir le syndicat.
[18] Mme Delamarre déclare ne pas avoir réagi aux propos de la plaignante. « Par la suite, j’ai continué à être correcte avec elle ».
[19] De son côté, la plaignante affirme que dès son arrivée dans l’équipe, on lui avait conseillé de faire attention à Mme Delamarre. Elle affirme aussi qu’après la rencontre du 11 mai, sa façon d’intervenir n’a pas changé. Il lui arrivait, dit-elle, de « rire aux éclats lorsque je lui posais des questions ».
[20] Lors d’une deuxième rencontre le 16 juin suivant, Mme Tremblay lui souligne une amélioration au niveau des évaluations et de la rédaction des demandes de services. Néanmoins, elle lui signifie les attentes suivantes :
· Ne jamais induire de diagnostic. Nous vous rappelons les normes professionnelles au regard des actes d’évaluation en santé mentale qui sont réservées à certains professionnels. Nous vous demandons de ne pas compléter de formulaire de dépistage de maladie mentale ou trouble de personnalité avec la clientèle.
· Compléter les notes évolutives de façon systématique en respectant les normes et procédure du programme à cet égard.
· Prendre connaissance des règles et procédures s’appliquant aux services psychosociaux généraux.
· Consulter les historiques d’intervention, les demandes précédentes lorsque récentes ou notes inscrites par vos collègues. Des informations importantes y figurent et doivent être considérées dans l’évaluation, l’orientation ou l’intervention que vous aurez à effectuer.
[21] Le lendemain 17 juin, la plaignante rencontre la mère d’un enfant âgé de huit ans. Elle avait fait une demande de service le 17 mars précédent (demande # 112077 E-1). L’intervenante, Mme Danièle Mercier, qui avait reçu l’appel a noté : Demande de l’aide pour son fils suite à une chicane de couple dont Mme prévoit se séparer; le père ne parle plus à l’enfant et celui-ci réagit à cette attitude; présence de tensions importantes dans le milieu; Mme veut savoir comment intervenir auprès de son fils et Mme n’est plus éligible au plan d’assurances de son conjoint.
[22] Après la rencontre du 17 juin, Mme Lévesque consigne ses commentaires dans le formulaire « Demande de service normalisé » (E-1), selon la procédure habituelle :
Rencontre avec Madame et son fils Yves (nom fictif), âgé de 8 ans. Madame décrit son vécu de couple et depuis que la fille de M. est venue habiter à la maison cette semaine. Madame et son fils sont victimes de violence verbale et psychologique de la part de M. et de la fille de celui-ci. Il semblerait que l’adolescente ferait faire tout ce qu’elle veut à son père. Celui-ci serait constamment désagréable avec Madame et son fils s’ils ne font pas ce que l’adolescente et M. veulent. M. ne reconnaît pas le problème. Madame et Yves veulent partir mais Madame s’inquiète car elle ne veut pas que son fils soit seul avec son père si elle se sépare et qu’il « lui fasse vivre l’enfer ». Yves. dit que son père est méchant avec lui et qu’il « chiale » toujours contre lui et qu’il lui demande des services. Il dit ne pas aimer son père. Yves ne veut pas quitter son école car il est victime d’intimidation lorsqu’il entre dans une nouvelle école. Nous apprenons qu’il est victime d’intimidation sur son poids actuellement et se défend peu. Madame a un emploi de superviseure en entreprise. Madame est ambivalente et ne veut pas séparer son fils de son père. Nous l’avons interrogée à savoir quels sont les avantages à rester et Madame n’en trouve pas. Nous avons remis à Madame les coordonnées de la maison des femmes de Québec pour un suivi pour elle et un suivi pour son fils : écoute, support, déculpabilisation et valorisation. Nous lui avons également remis les coordonnées de l’école de droit de l’Université Laval pour les questions de nature juridique .
[23] Au début de la rencontre, Mme Lévesque avait constaté que l’enfant était hésitant à se confier. Pour le rassurer, elle l’a informé que tout ce qu’il dirait demeurerait confidentiel.
[24] Le 26 août suivant, Madame communique à nouveau avec le CLSC. Cette fois, c’est Mme Lévesque qui reçoit la demande de service (demande # 118116). Madame et Monsieur envisagent un placement pour la fille de Monsieur. Elle fait des fugues, des crises de colère, écrit des messages de mort et « consomme ». Un rendez-vous est fixé avec Monsieur et Madame pour le 31 août.
[25] Monsieur se présente seul à 18h00. Mme Lévesque procède à une analyse psychosociale selon le canevas en usage (E-2). Elle complète le formulaire approprié le lendemain. Elle coche la case « complétée ». Elle inscrit ce qui suit en ce qui concerne certains éléments du canevas :
Client avisé de la demande : M. se présente seul au rendez-vous fixé et nous informe être au courant que sa conjointe est venue nous consulter avec son fils.
« Principales caractéristiques » : M. est âgé de 39 ans. Il est en couple depuis 11 ans avec Madame, âgée de 38 ans. Ils ont un garçon âgé de 8 ans, Yves. M. a une fille de 15 ans d’une union précédente, Ève (nom fictif). La mère de Ève vit à … (dans la région de Montréal). M. a également 2 autres garçons de cette dernière union : Marc (nom fictif), 18 ans, et Pierre (nom fictif), 22 ans. Ceux-ci n’habitent plus à la maison. M. est superviseur technicien chez … Sa conjointe est superviseure en entreprise. M. a actuellement la garde de sa fille mais celle-ci a habité un an chez sa mère l’an dernier car elle en avait décidé ainsi. M. dit que sa fille a toujours été laissée à elle-même chez sa mère.
Ève va à l’école … et est en secondaire 2. C’est la troisième fois qu’elle refait son année scolaire. M. se dit en bonne relation avec ses enfants mais parlerait peu avec sa fille car elle se refermerait sur elle-même. Ève aurait des conflits fréquents avec la conjointe de M. La conjointe de M. surveillerait constamment les faits et gestes d’Ève et serait constamment sur son dos selon M. et agressive envers elle. Selon M., Madame nie cela et aurait été agressive envers ses deux autres fils lorsqu’ils auraient atteint l’âge de l’adolescence. La relation était toujours très bonne lorsque les enfants étaient plus jeunes.
M. se décrit comme un gros « nounours » qui « se laisserait faire par les autres », mais se mettrait en colère parfois. M. dit que les enfants ne font aucune tâche dans la maison. M. nous mentionne que son fils Yves. serait très « bébé » (ex : crie après sa mère afin qu’elle ouvre la douche ». La relation entre M. et son fils serait bonne selon M. M. dit que son fils lui dit constamment qu’il ne l’aime pas et qu’il chiale et qu’il ferait cela lorsqu’il lui refuse quelque chose ou lorsqu’il lui demande de faire une tâche. Il reviendrait toujours s’excuser et se coller. M. dit qu’il croit que son fils l’aime. La conjointe de M. ne comprendrait pas cela et surprotégerait son fils en ne lui donnant pas de responsabilité.
Évaluation sommaire clinique : […] M. nous ayant mentionné les commentaires de sa conjointe et de son fils, nous avons évalué les perceptions de M. qui sont (sic) ne concorde (sic) pas avec les propos de Mme. Celle-ci interpréterait mal les réactions de M. face à la situation.
Vulnérabilité/danger : Notons que nous avions rencontré la conjointe de M. et son fils et que Mme mentionnait alors vivre de la violence verbale et psychologique. Nous avions alors référé Mme et son fils à la maison des femmes afin qu’ils obtiennent un suivi. […]
Priorisation : P4 puisqu’il y a présence de messages de mort de la part d’Ève. selon la conjointe et qu’il y a violence selon la conjointe. Depuis que la médication a été cessée (sic), Ève a des problèmes à l’école et est agressive en paroles.
[26] Mme Lévesque reconnaît avoir dit au père, lors de cette rencontre, que la mère était venue consulter avec son fils. Mais, elle soutient que c’est seulement après que le père ait dit qu’il était au courant de la consultation de Madame. Mais, c’est elle qui a précisé la présence du fils à cette occasion. Elle ajoute que : « malheureusement j’ai dit que vous devez être au courant que Madame a dit qu’Ève contrôlait tout à la maison ». Elle reconnaît aussi avoir informé le père que la mère avait dit qu’Yves. n’aimait pas son père, et ce, après que ce dernier ait dit que son fils ne faisait pas de tâches à la maison.
[27] Le lendemain 1 er septembre, la mère porte plainte auprès du CLSC en raison du bris de confidentialité concernant sa rencontre antérieure. Elle exige que l’on cesse de donner des informations sur sa visite avec son fils.
[28] Mme Tremblay communique alors avec elle pour obtenir plus de détails. Elle précise que son fils avait accepté de se confier lors de sa visite après qu’on lui ait garanti la confidentialité. Elle mentionne aussi que son conjoint est revenu en colère de sa rencontre; il a couché sur le divan et, le lendemain matin, il les a confrontés, elle et son fils.
[29] À cet égard, l'employeur et le syndicat ont déposé les admissions suivantes lors de l’audience du 8 mai (S-7) :
La partie syndicale admet que si la cliente, Mme X, venait témoigner, elle dirait que :
· Jusqu’au 31 août 2010, elle n’a pas mentionné à son conjoint qu’elle a consulté, en juin 2010, une intervenante au CLSC avec son fils Yves. Elle n’a donc pas parlé avec lui des propos échangés avec Mme Jennifer Lévesque;
· Le 31 août 2010, le conjoint de Mme X est revenu fâché de sa rencontre avec Mme Jennifer Lévesque au CLSC. Il a couché sur le divan ce soir-là. Le lendemain, son conjoint lui a dit : « Comment tu trouverais ça, toi, apprendre par une intervenante que ton fils ne t’aime pas? » .
[30] Après avoir parlé à la mère, Mme Tremblay téléphone à Mme Lévesque, vers 13h30, pour vérifier le bien-fondé des allégations de la cliente et obtenir sa version. Cette dernière affirme alors qu’il est possible qu’elle ait révélé des informations confidentielles au père. Mme Tremblay lui rappelle que le respect de la confidentialité est une notion de base pour tout intervenant. Elle déclare que Mme Lévesque lui a dit avoir compris qu’il n’y avait pas de problématique de violence conjugale, que le comportement de M. était adéquat et que celui de Mme était inadéquat; c’est pour cette raison qu’elle aurait parlé du fils.
[31] Lors de son témoignage, Mme Tremblay précise que toute demande de service est strictement confidentielle, même si le même intervenant est impliqué dans des demandes de deux personnes d’une même famille. Cette règle se serait appliquée même si Mme s’était présentée avec M. le 31 août. Cette règle est encore plus pointilleuse en présence d’une problématique familiale ou conjugale.
[32] Selon elle, la rédaction de la demande de service et l’évaluation du 31 août (E-2) contiennent des éléments de bris de confidentialité. Par exemple, il faut inscrire ailleurs les propos d’un tiers ou le préciser en raison de la Loi sur l’accès à l’information (rencontre avec la mère et le fils).
[33] Vers 19h30 le même jour, Mme Tremblay rappelle la plaignante à la demande de cette dernière qui lui avait laissé un message. Elle n’a pas encore lu les deux demandes de services en cause puisqu’elle est chez elle ce jour-là. Elle déclare que le discours de Mme Lévesque était devenu différent. Cette dernière lui aurait demandé d’aller voir les deux demandes de service. Mme Tremblay déclare que Mme Lévesque a nié avoir parlé de la rencontre avec la mère et le fils, mais que c’était le père qui aurait abordé leur visite au CLSC. Elle n’aurait alors que repris les propos du père.
[34] Mme Lévesque déclare que lors de cette deuxième conversation téléphonique, Mme Tremblay lui a « crié après ». De son côté, cette dernière le nie. Car, dit-elle, elle lui donnait le bénéfice du doute; elle ne savait pas ce qui s’était passé; elle se serait adressée à elle sur un ton de « questionnement ».
[35] Habituellement, les intervenants consignent sur le formulaire « Demande de service normalisée » leur analyse psychosociale après la rencontre avec la clientèle. Il arrive cependant qu’ils n’en aient pas le temps. C’est le cas pour la plaignante le 31 août. Elle déclare qu’elle avait commencé à compléter le formulaire lorsqu’elle a reçu l’appel téléphonique de Mme Tremblay vers 13h30. Immédiatement après, elle en a reçu un autre. Par erreur, elle aurait fermé le dossier avant qu’il ne soit complété.
[36] Selon la procédure, une fois inscrit à l’ordinateur, le contenu ne peut pas être modifié sans l’autorisation de la personne en charge du système (pilote du système), Mme Isabelle Paquin. Vers la fin de l’après-midi du 1 er septembre, Mme Lévesque demande à Mme Paquin de débloquer le système afin de modifier ou terminer son travail. Elle complète le formulaire de demande de service et referme le système à 19h11.
[37] Peu de temps après, Mme Tremblay convoque la plaignante à une rencontre prévue pour le 8 septembre suivant. Avant la rencontre, soit le 7 septembre, elle rappelle la mère pour recueillir à nouveau sa version. Elle répète les mêmes éléments que ceux du 1 er septembre.
[38] Mme Lévesque est accompagnée de Mme Nicole Cliche, agente de griefs, et Mme Tremblay, de Mme Blais, conseillère en ressources humaines. L'employeur veut obtenir la version de la plaignante. Cette dernière nie alors avoir enfreint la règle de la confidentialité. Elle nie avoir dit au père que son fils ne l’aimait pas. Elle n’aurait fait que reprendre les propos du père au sujet de la visite de sa conjointe et de son fils. Elle dit que ce dernier est manipulateur et, comme elle ne niait pas, il a pu en conclure que la rencontre avait eu lieu.
[39] Elle discrédite aussi la mère, disant qu’elle éprouve des problèmes cognitifs, a des sautes d’humeur, est une diabétique mal soignée. Elle aurait même suggéré que l’on consulte le journal intime de la mère pour vérifier si elle disait la vérité. Selon Mme Tremblay, elle était en colère parce qu’on semblait prendre partie pour la cliente.
[40] Lors de la rencontre du 8 septembre, Mme Tremblay déclare que Mme Lévesque a d’abord nié avoir demandé la réouverture du système informatique le 1 er septembre. Elle aurait finalement admis avoir demandé la réouverture pour « une petite affaire ».
[41] Le 10 septembre, la plaignante est convoquée à nouveau par Mme Tremblay. La veille, elle a reçu la confirmation de l’archiviste que la plaignante avait demandé de rouvrir le système le 1 er septembre. Les mêmes personnes sont présentes. On lui remet un avis de suspension de durée indéterminée, « le temps de faire enquête, en raison des contradictions entre votre version et celle de la cliente, ainsi que des éléments recueillis dans le processus d’analyse de la plainte » (S-3). Mme Lévesque maintient sa version du 8 septembre.
[42] Après la rencontre, Mme Cliche demande aux représentantes de l'employeur de les revoir. Sur ses conseils, la plaignante veut changer sa version. Elle reconnaît alors la violation de la règle de confidentialité en ayant informé le père du contenu de la rencontre avec la mère et le fils. Elle admet avoir dit au père que son fils ne l’aimait pas. Elle maintient cependant que c’est le père qui a abordé la question de la visite de la mère.
[43] Elle répète aussi qu’elle a demandé la réouverture du système. Mais, elle nie avoir modifié des éléments concernant la relation père-mère-fils. Mme Tremblay déclare avoir posé cette question parce qu’elle soupçonnait que la demande de service complétée par Mme Lévesque contienne des faussetés. L’exactitude des faits est importante parce qu’ils constituent le portrait d’une situation qui va demeurer tout au long du processus, de sorte que la crédibilité de la clientèle peut en être affectée.
[44] Lors de son témoignage du 27 avril, la plaignante reconnaît avoir violé la règle de la confidentialité lors de sa rencontre avec le père en lui révélant que son fils ne l’aimait pas et que la mère avait dit que sa fille contrôlait tout à la maison. La plaignante déclare avoir menti parce qu’elle avait peur de perdre son emploi.
[45] Le 13 septembre, Mme Tremblay communique à nouveau avec la mère. Elle veut revalider sa version afin de retirer du formulaire de la demande service les éléments susceptibles de causer des préjudices à l’avenir. La mère lui répète entre autres que le fils n’a jamais dit à la maison qu’il n’aimait pas son père. Elle demande aussi que l’on retire tous les éléments confidentiels parce qu’elle continue de nier à son mari ce que la plaignante avait révélé.
[46] Le 1 er octobre, Mme Tremblay, accompagnée de Mme Blais, lui remet l’avis de congédiement (S-5). Mme Lévesque est accompagnée de Mme Cliche.
Objet: Rupture du lien d'emploi
Madame Lévesque,
La présente a pour but de vous informer de la décision prise à votre endroit suite aux événements reprochés, de même que suite à l'analyse de votre prestation de travail.
Le 10 septembre dernier, nous vous rencontrions en présence de votre représentante syndicale et d'une représentante de la direction des ressources humaines afin de vous informer que nous vous suspendions sans solde pour une durée indéterminée pour fins d'enquête. Ceci nous a permis de mettre en lumière différents manquements, autant professionnels que relationnels. Afin de vous permettre de comprendre les motifs en lien avec notre décision, voici un retour sur les événements de même que sur le support offert par l'établissement afin de vous permettre de répondre à nos attentes.
Vous êtes à l'emploi du Centre de santé et des services sociaux de Québec-Nord depuis le 23 novembre (sic) 2009 à titre d'agente d'intervention en service social. Après avoir travaillé quelques mois à la Direction du soutien à domicile, vous avez intégré la Direction des services généraux le 22 mars 2010 en remplaçant un poste temporairement dépourvu de sa titulaire. Dès votre arrivée, vous avez bénéficié d'une période d'orientation, d'une formation sur l'évaluation psychosociale ainsi que du soutien clinique de la coordonnatrice professionnelle et de vos collègues. Nous avons rapidement remarqué votre besoin de support en raison d'erreurs fréquentes. Afin de pallier à ces erreurs, la coordonnatrice professionnelle a poursuivi son suivi avec vous en ciblant des éléments sur lesquels porter une attention particulière. A cet effet, nous nous sommes rencontrées une première fois le 11 mai 2010, avec la coordonnatrice professionnelle, puis nous avons convenu de nous réunir à nouveau le 16 juin afin d'assurer un suivi. Lors de cette rencontre, nous avons porté à votre attention certaines observations et nous vous avons à nouveau signifié nos attentes. A cet égard, je vous réfère à la lettre que je vous ai remise le 6 août 2010.
Devant votre attitude réfractaire à nos propos, vos attaques personnelles envers des membres de l'équipe et de la direction et face à votre difficulté à travailler avec la coordonnatrice, différentes démarches ont été effectuées et des solutions apportées. Constatant votre difficulté à atteindre nos attentes, nous avons convenu que la coordonnatrice professionnelle demeurait disponible pour vous apporter du support et nous vous avons incitée à utiliser l'ensemble des outils à votre disposition pour acquérir les connaissances et les compétences attendues (documentation, collègues, etc.). Depuis l'absence de la coordonnatrice professionnelle, nous constatons une augmentation considérable d'erreurs et de plaintes des autres directions en lien avec votre travail. Ces faits témoignent d'un manque d'autonomie professionnelle et nous démontrent que vous ne rencontrez toujours pas les attentes établies depuis le 22 mars 2010 et ce, malgré toute l'aide apportée.
Suite à la réception d'une plainte alléguant un bris de confidentialité, nous vous avons rencontré le 8 septembre 2010 en présence de votre représentante syndicale et d'une représentante de la Direction des ressources humaines. Le but de cette rencontre était d'obtenir votre version des faits. Vous avez nié avoir transmis de l'information confidentielle. Vous avez porté un jugement sur le conjoint de la plaignante en le qualifiant de manipulateur et vous avez discrédité les propos de la plaignante en laissant entendre que son diabète pouvait avoir une incidence sur ses fonctions cognitives.
À ce moment, vous nous avez assuré que la rédaction de la demande de service était complétée au moment de notre première conservation téléphonique, le 1 er septembre vers 15h30. Par contre, notre enquête démontre que cette demande a été signée à 19h11. Confrontée à ces observations, vous avez précisé avoir omis de cocher la case complétée lorsque, plus tôt, vous avez terminé votre rédaction, et donc l'avoir fait vers 19h00. Cependant, notre enquête a révélé que vous avez fait appel à l'archiviste afin de débloquer la demande dans l'après-midi du 1 er septembre, confirmant que la demande a été cochée complétée une première fois, empêchant ainsi toute modification.
Lors d'une seconde rencontre tenue le 10 septembre 2010, vous avez maintenu votre version des faits. Nous vous avons alors informé de notre décision de vous suspendre sans solde pour fins d'enquête pour une durée indéterminée. Après que nous ayons mis fin à la rencontre, vous avez demandé à nous rencontrer à nouveau afin de rectifier votre version des faits. À ce moment-là, vous avez reconnu avoir commis un bris de confidentialité en divulguant des informations au conjoint de la plaignante. Nous vous avons également informé que des informations confidentielles se retrouvent inscrites dans la demande que vous avez rédigée, malgré les consignes que vous avez déjà reçues à ce sujet.
Lorsque nous vous avons à nouveau questionné sur la rédaction de cette demande, vous avez réitéré n'y avoir apporté aucune modification entre 15h et 19h. Lorsque nous vous avons informée des faits recueillis à ce sujet prouvant que vous aviez fait débloquer la demande dans l'après-midi du 1 er septembre, vous avez reconnu avoir interpellé l'archiviste à cet effet, alléguant que vous aviez coché la demande complétée par erreur alors qu'il vous restait quelques informations à y inscrire, sans plus. Vous nous avez assuré ne pas en avoir modifié le contenu en fonction de notre conversation téléphonique. Par contre, nous constatons des contradictions dans vos propos de même qu'entre votre version et celle de la plaignante. Notamment, vous reconnaissez avoir divulgué des informations confidentielles au conjoint de la plaignante, mais ces informations sont en contradiction avec les éléments que vous avez vous-même inscrits dans la demande. L'enquête nous permet donc de confirmer que des éléments se trouvant dans la demande sont faux et que celle-ci a été modifiée suite à notre conversation téléphonique. Madame Lévesque, en agissant ainsi, vous avez falsifié des documents cliniques. Sachez qu'il s'agit d'une faute professionnelle très grave.
Votre comportement a causé des préjudices à notre clientèle. Vos interventions ont nui à l’ensemble des membres de cette famille en plus de porter atteinte au lien de confiance qu’ils sont en droit d’entretenir envers les professionnels en relation d’aide et envers notre organisation. Ces événements mettent en évidence les manquements suivants de votre part :
· Bris de confidentialité
· Falsification de documents cliniques
· Manque de jugement professionnel
· Manque de compétence
· Malhonnêteté
· Non respect du code d’éthique
· Rupture du lien de confiance entre vous et l’organisation
En conséquence, nous vous avisons que nous mettons fin à votre lien d’emploi avec le CLSC de Québec-Nord et nous procédons à la fermeture de votre dossier en date d’aujourd’hui. Si des sommes vous sont dues, elles vous seront acheminées dans le meilleur délai.
[47] Lors de son témoignage, Mme Tremblay énonce les raisons qui ont incité l'employeur à prendre une décision d’une telle sévérité et à perdre confiance en Mme Lévesque :
· Bris de confidentialité constituant une faute grave;
· Manque de jugement professionnel le 31 août, en ne tenant pas compte du climat de violence conjugale;
· Tentative de camoufler sa faute et de discréditer la clientèle;
· Falsification de documents;
· Lien de confiance nécessaire entre la clientèle et les services du CLSC;
· L’attitude de malhonnêteté de Mme Lévesque tout au long du processus d’enquête;
· Nécessité de protéger le public;
· L’expérience de la plaignante (9 années) vs le non-respect de règles de base.
[48] Selon Mme Lévesque, à l’époque des événements, les relations de travail étaient difficiles entre la coordonnatrice et deux membres de l’équipe, soit elle et Mme Mercier. D’ailleurs, la plaignante s’était plainte par écrit auprès du directeur des ressources humaines, le 9 août (S-8).
Monsieur Christian Guénette Directeur des ressources humaines CSSS Québec-Nord, 515, avenue du Bourg-Royal Québec (Québec) G1C 352
Obiet : Signalement de situations conflictuelles et d'un manque de civilité à mon endroit
Monsieur,
Par la présente, je désire vous informer que je vis une situation difficile dans mon milieu de travail. Depuis mon arrivée avec l’équipe des services psychosociaux courants du CLSC de la Jacques-Cartier, les situations conflictuelles se multiplient, ce qui rend le climat de travail malsain. J'ai aussi vécu de fréquents manques de civilité de la part de ma coordonnatrice clinique Mme Christiane Delamare.
J’ai signalé cette situation à ma chef de programme qui a mis en doute mes paroles et n'a pas tenu compte des nombreuses difficultés que je lui ai mentionnées. Elle s'est plutôt rangée derrière l'opinion de Mme Delamare et a adopté une attitude de blâme à mon endroit. Le climat de travail, les comportements inappropriés de Mme Delamare et la gestion de la situation par Mme Tremblay rendent mon milieu de travail de plus en plus néfaste.
Je désire donc vous rencontrer pour vous faire part de mon vécu afin que nous trouvions des solutions qui permettront de rendre le milieu de travail sain pour moi ou pour toutes les autres professionnelles qui auraient à travailler dans ce milieu.
Je vous informe également que je serai accompagnée par M. Danny Roy qui a été désigné par mon syndicat pour me soutenir et me guider dans mes démarches. Vous pouvez me rejoindre au numéro 418 824-3651 poste 7352 pour que nous puissions fixer le rendez-vous.
Espérant vous rencontrer le plus rapidement possible, recevez Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.
Jennifer Lévesque
[49] Pour sa part, Mme Delamarre affirme avoir toujours agi « en mode respectueux, d’enseignement, soucieuse de coopération ». Elle déclare qu’elle était prudente dans sa relation avec la plaignante parce qu’elle lui faisait des menaces de plainte. « Je marchais sur des oeufs ». Elle ne l’a jamais insultée ou traitée de « débile ».
[50] Quant à Mme Lévesque, elle estime que Mme Delamarre lui a manqué de respect. Par exemple, elle lui a déjà souligné, en parlant fort, une erreur qu’elle avait faite de sorte que les autres membres de l’équipe se mirent à rire. En outre, elle l’aurait « traitée de débile ». Selon elle, de façon générale elle ne l’écoutait pas ou ne la croyait pas.
[51] Il s’agit là de l’essentiel de la preuve présentée par les deux parties concernant les deux griefs sous étude.
3) SOMMAIRE DES ARGUMENTS
Par l'employeur
[52] Après avoir rappelé l’encadrement de la juridiction de l'arbitre en matière disciplinaire, le procureur patronal rappelle l’étendue de la faute reprochée à la plaignante. Malgré des tentatives pour nier, elle a finalement reconnu avoir commis une faute grave en révélant au père, venu consulter pour sa fille, des informations hautement confidentielles concernant son fils et sa conjointe.
[53] Un tel bris de confidentialité violait ainsi une des règles fondamentales du CLSC. Mme Lévesque était au courant des allégations de violence conjugale. Elle devait savoir qu’en dévoilant des informations au père elle risquait de nuire à cette famille. Elle aurait dû être très vigilante. Son manque de jugement risquait d’aggraver le climat de cette famille.
[54] Par la suite, elle a d’abord tenté de camoufler cette faute grave en la niant. Elle est même allée jusqu’à falsifier l’évaluation psychosociale du 31 août pour éviter d’être prise en défaut. Elle aggravait ainsi une faute déjà très grave.
[55] Dans ces circonstances, l'employeur était pleinement justifié de perdre confiance dans sa capacité de fournir un rendement répondant aux normes professionnelles du CLSC. Il a jugé inconcevable qu’une professionnelle possédant 9 années d’expérience commette un manquement à une règle aussi fondamentale.
[56] Le procureur rappelle les motifs invoqués par Mme Tremblay pour justifier la rupture définitive du lien de confiance professionnelle et la décision de prendre une mesure disciplinaire aussi sévère que le congédiement, soit essentiellement le bris de confidentialité et la falsification d’un document clinique. Ainsi, cette décision n’est ni disproportionnée ni déraisonnable.
[57] Par ailleurs, le procureur patronal soumet que pour minimiser ses fautes et tenter de faire diversion, la plaignante cherche à blâmer et discréditer les autres : le père, la mère, Mme Tremblay ou Mme Delamarre. Ces deux dernières sont plus crédibles qu’elles. Il conclut en plaidant que même si le contexte de travail était difficile, cela ne justifierait en rien la conduite de Mme Lévesque.
[58] Finalement, il soumet que si, malgré ses arguments, l'arbitre décidait de substituer au congédiement une suspension de longue durée, la réintégration ne devrait pas être envisagée. Car, étant donné son statut de TPO, la plaignante est appelée à travailler dans toutes les équipes du CLSC.
Par le syndicat
[59] De son côté, la procureure syndicale admet que la faute commise par Mme Lévesque est grave. De plus, elle reconnaît qu’elle a rouvert le système pour modifier l’évaluation psychosociale, mais seulement pour y ajouter des détails. Cependant, dit-elle, il faut considérer le contexte dans lequel cette faute est survenue.
[60] Il existait un conflit interpersonnel entre Mme Lévesque et Mme Delamarre. Ce conflit empoisonnait la situation. Mme Lévesque trouvait la situation tellement difficile qu’elle a fini par écrire à la direction des ressources humaines pour demander une rencontre afin de trouver une solution.
[61] Mme Lévesque ne sentait pas comprise ni écoutée. Dès le retour de vacances de Mme Cliche, elle doit participer à une rencontre visant normalement à améliorer le climat de travail. Mais, il s’agit plutôt d’une rencontre disciplinaire.
[62] La procureure invite l'arbitre à tenir compte de certains facteurs atténuants tels que : acte isolé, peu d’expérience au CLSC, pas d’avantages pécuniaires, etc.. Elle plaide en conséquence qu’une suspension de longue durée devrait remplacer le congédiement.
4) ANALYSE ET DÉCISION
[63] Pour décider des griefs, je dois d’abord vérifier si la preuve permet de conclure que les fautes reprochées à Mme Lévesque sont fondées. À cet égard, le fardeau de preuve appartient à l'employeur, comme c’est le cas en matière disciplinaire.
[64] Si les manquements sont établis, il faudra déterminer s’ils justifient l’imposition de mesures disciplinaires. Si oui, est-ce que les mesures prises par l'employeur sont appropriées, c’est-à-dire non disproportionnées par rapport à la gravité de la mauvaise conduite de la plaignante, en tenant compte de toutes les circonstances, notamment le climat de travail prévalant à l’époque des événements.
[65] Voyons ce que la preuve révèle.
Les manquements reprochés
[66] Dans l’avis de congédiement, l'employeur énumère une série de reproches qui l’ont amené à la rupture du lien de confiance professionnelle et au congédiement de Mme Lévesque : bris de confidentialité, falsification de documents cliniques, manque de jugement professionnel, manque de compétence, malhonnêteté, non-respect du code d’éthique.
[67] Tous ces reproches sont essentiellement basés sur l’évaluation psychosociale du père, le 31 août 2010, et les événements survenus par la suite. N’eut été de ces événements, Mme Lévesque n’aurait pas été congédiée même si l'employeur n’était pas entièrement satisfait de la qualité de son travail. Ainsi, dans l’analyse qui suit, je traiterai principalement de ces événements.
[68] La preuve démontre que la plaignante a commis un bris de confidentialité le 31 août, en dévoilant au père des informations confidentielles qu’elle avait recueillies lors d’une rencontre précédente avec la mère et son fils. Même s’il s’agissait des membres d’une même famille, chaque demande de service doit être traitée indépendamment les unes des autres, comme l’a expliqué Mme Tremblay.
[69] Mme Lévesque a d’abord commencé à nier avoir commis une telle erreur, pour finalement l’admettre sur les conseils de Mme Cliche. Elle reconnaît avoir révélé au père que son fils avait dit qu’il ne l’aimait pas et que sa conjointe avait dit que sa fille contrôlait tout à la maison.
[70] Par ailleurs, son témoignage n’est pas très clair en ce qui concerne la divulgation au père de la visite de la mère quelque temps auparavant. Néanmoins, la preuve démontre que c’est elle qui en a informé le père. L’admission relative au témoignage de la mère le prouve. Elle n’a pas mentionné à son conjoint avoir consulté le CLSC en juin.
[71] Ainsi, le bris de confidentialité est établi sur trois aspects : elle a informé le père de la visite de la mère; elle a rapporté les propos du fils selon lesquels il n’aimait pas son père; e3lle a révélé les propos de la mère concernant la fille du père qui contrôlait tout à la maison.
[72] Par ailleurs, l'employeur reproche aussi à Mme Lévesque d’avoir falsifié un document clinique. Même si elle prétend n’avoir modifié que des détails sur la demande de service du 31 août, la preuve révèle de façon prépondérante qu’elle a plutôt falsifié l’évaluation psychosociale de façon à couvrir son bris de confidentialité.
[73] Lors du premier appel téléphonique de Mme Tremblay vers 13h30 le 1 er septembre, la plaignante dit qu’il est possible qu’elle ait révélé au père des informations au sujet de la visite de la mère. Pus tard en soirée, elle invite Mme Tremblay à consulter la demande de service. Entre temps, elle avait demandé à l’archiviste de rouvrir le système, alors qu’elle avait inscrit « complétée » plus tôt dans la journée.
[74] Or, on peut lire, entre autres, dans l’évaluation psychosociale du père que : […] La relation entre M. et son fils serait bonne selon M. M. dit que son fils lui dit constamment qu’il ne l’aime pas et qu’il chiale et qu’il ferait cela lorsqu’il lui refuse quelque chose ou lorsqu’il lui demande de faire une tâche. Il reviendrait toujours s’excuser et se coller. M. dit qu’il croit que son fils l’aime. La conjointe de M. ne comprendrait pas cela et surprotégerait son fils en ne lui donnant pas de responsabilité […] .
[75] Après les aveux de la plaignante, on sait aujourd’hui que les propos du père rapportés par Mme Lévesque dans la demande de service sont faux. La preuve l’a démontré, en plus de son admission à l’effet que c’est elle qui a parlé du fils.
[76] D’ailleurs, on peut constater à la lecture du paragraphe ci-dessus ce qui a été ajouté à la demande de service, entre le premier appel téléphonique de Mme Tremblay et le deuxième. Après la première phrase ( La relation entre M. et son fils serait bonne), « subitement » le père se met à se plaindre de son fils. On peut en déduire que le reste du paragraphe a été ajouté dans le but de cacher le bris de confidentialité.
[77] Il s’agit là d’une deuxième faute grave. Car, la falsification d’un document clinique peut avoir pour conséquence d’induire en erreur d’autres intervenants dans un même dossier.
[78] Devant cette preuve, il n’est pas nécessaire d’élaborer davantage sur le manque de jugement professionnel de la plaignante ni sur sa malhonnêteté ou son manquement au code d’éthique. Ces constatations découlent des deux fautes graves que sont le bris de confidentialité et la falsification d’un document clinique.
La gravité des manquements ou la sévérité des sanctions
[79] Nul doute que la plaignante a commis deux fautes graves en commettant un bris de confidentialité et en falsifiant un document clinique. Il reste donc à décider si son congédiement est approprié dans les circonstances, et ce, sans égard au principe de la gradation des sanctions. Autrement dit, est-ce que la rupture définitive du lien d’emploi est disproportionnée par rapport aux fautes commises, au point de devenir injuste et déraisonnable.
[80] En tenant compte de la gravité ces fautes et de toutes les circonstances dans lesquelles elles ont été commises, j’estime qu’il serait inapproprié de ma part d’intervenir et de modifier la décision de l'employeur. Il ne m’appartient pas de faire preuve d’indulgence et de donner une autre chance à la plaignante, comme l’a rappelé le procureur patronal lors de sa plaidoirie. Je m’explique.
[81] Mme Tremblay a bien démontré l’importance du respect de la confidentialité des informations confiées par la clientèle qui a recours aux services du CLSC. S’il veut remplir sa mission, le CLSC doit protéger le lien de confiance entre les clients et les intervenants. Cela est indéniable et Mme Lévesque ne le nie pas.
[82] D’ailleurs, lors de la consultation de la mère en juin, le fils n’a accepté de se confier qu’après avoir obtenu la garantie que ses propos ne seraient dévoilés à personne, notamment à son père. On peut douter que cet enfant acceptera de recourir à nouveau aux services du CLSC en cas de besoin.
[83] De plus, la plaignante savait qu’il existait une problématique de violence conjugale dans cette famille. En dévoilant au conjoint la visite de sa conjointe et le contenu des propos du fils, elle risquait de provoquer l’éclatement de cette famille ou un autre épisode de violence.
[84] Comme on peut le constater, la confidentialité constitue une règle de base essentielle à la fourniture de services professionnels de qualité par l'employeur. La plaignante a donc commis une erreur porteuse de conséquences graves. Mais, il y a plus.
[85] Elle a commis une erreur tout aussi grave en tentant de camoufler son bris de confidentialité, en falsifiant un document clinique. Elle a ainsi aggravé sérieusement sa situation.
[86] Dès le premier appel téléphonique de Mme Tremblay le 1 er septembre vers 13h30, Mme Lévesque a adopté une attitude mensongère. Elle a commencé par hésiter pour ensuite modifier la demande de service du père pour la rendre conforme à son mensonge. Encore aujourd’hui elle nie avoir modifié des éléments importants, alors que la preuve démontre le contraire.
[87] Les documents cliniques demeurent dans les dossiers. Ils sont consultés par les intervenants lorsque le même client fait une autre demande de service. Ils assurent ainsi une continuité dans la prestation des services et l’orientation vers les bonnes ressources. L’erreur de Mme Lévesque constitue une faute professionnelle impardonnable. L'employeur a raison de craindre qu’un tel manque de jugement se répète.
[88] Je ne vois pas dans la preuve de circonstances atténuantes qui pourraient plaider en sa faveur. Au contraire, les circonstances aggravantes sont nombreuses. Voici les plus significatives :
· Tâches effectuées sans supervision immédiate.
· Attitude mensongère de Mme Lévesque; elle n’a reconnu qu’une partie de ses fautes, et ce, tardivement.
· Minimise ses manquements en blâmant les autres : Mme Tremblay lui a « crié après », manque de civilité de la part de Mme Delamarre, le père manipulateur et problème cognitif de la mère.
[89] Par ailleurs, je ne crois pas que le mauvais climat de travail invoqué par la plaignante pour atténuer la gravité de ses manquements ait joué un rôle quelconque dans les événements qui sont survenus.
[90] La preuve à cet égard est contredite. Mme Bellemare affirme avoir toujours été polie envers Mme Lévesque alors que cette dernière s’est plainte du contraire auprès de la direction des ressources humaines. Elle l’a répété lors de son témoignage. Quant à Mme Tremblay, elle nie avoir élevé la voix lors de sa deuxième conversation téléphonique du 1 er septembre.
[91] Étant donné son attitude mensongère, la crédibilité de Mme Lévesque est douteuse. Néanmoins, même en lui donnant le bénéfice du doute, le climat de travail n’excuse d’aucune façon ses fautes. Il m’est impossible d’y voir un lien susceptible d’expliquer, même partiellement, le bris de confidentialité et la falsification d’un document clinique.
[92] Vu la gravité intrinsèque des fautes commises, j’estime que le CSSS était justifié de ne pas respecter la règle de la gradation des sanctions et d’imposer le congédiement.
[93] Par ailleurs, l'employeur s’est montré prudent en suspendant la plaignante le 10 septembre afin de faire une enquête plus approfondie. De plus, il n’a pas tardé indûment avant de prendre une décision. Dans ces circonstances, le grief contestant la suspension indéterminée doit être rejeté.
[94] À l’appui de son argumentation, le syndicat a soumis deux décisions arbitrales. L’une d’elles porte particulièrement sur les facteurs atténuants [1] . Dans ce cas, la personne salariée avait été congédiée pour avoir consulté des informations médicales confidentielles sans motif professionnel. L'arbitre a substitué une suspension de 20 mois au congédiement, invoquant plusieurs facteurs atténuants.
[95] Par exemple, la plaignante avait admis sa faute dès la première occasion. Son geste était motivé par empathie envers un membre de sa famille. L’usagère avait retiré sa plainte. Comme on peut le constater, aucun des ces facteurs atténuants importants ne se trouvent dans le cas de Mme Lévesque. D’ailleurs, on peut supposer que, si elle avait reconnu son erreur dès le premier appel téléphonique de Mme Tremblay, elle aurait pu sauver son emploi. Au contraire, elle a choisi de mentir justement pour garder son emploi. Elle n’a fait qu’aggraver sa situation.
[96] La deuxième décision est invoquée pour appuyer l’argument relatif à la gradation des sanctions [2] . Dans ce cas, l'arbitre a aussi substitué une suspension au congédiement. La personne salariée avait été congédiée pour bris de confidentialité et pour absence sous de faux motifs. L'employeur n’a pas pu prouver le bris de confidentialité de sorte que l'arbitre n’a retenu que le second motif.
[97] Ainsi, ce cas ne saurait se comparer au nôtre. Le CSSS a démontré de façon prépondérante que Mme Lévesque a commis deux fautes graves en plus d’avoir manqué d’honnêteté en tentant de les camoufler et de les minimiser en rejetant une partie du blâme sur d’autres personnes.
[98] L'employeur a aussi soumis de la jurisprudence, dont une décision arbitrale portant sur un cas semblable au nôtre [3] . Il s’agissait d’une infirmière à qui on reprochait d’avoir effectué des inscriptions fausses et trompeuses dans le dossier d’un patient. L'arbitre a maintenu le congédiement. Il s’exprime ainsi sur la faute commise et la tentative pour la camoufler :
[…] [351] Toute la preuve tend à démontrer qu'en fait, Mme Condé n'est jamais allée vérifier l'état de la sonde de ce patient ce qui, en soi, constitue une faute grave. Affirmer par la suite l'avoir fait et ajouter que le patient urinait bien sans avoir fait les vérifications qui s'imposent constitue également - pour une infirmière dont le rôle premier est de s'assurer que les patients reçoivent tous les soins requis par leur état - une faute lourde. Vouloir finalement camoufler sa faute en inscrivant une note tardive au dossier du patient alors qu'elle n'en avait aucunement elle-même vérifié l'exactitude ajoute encore à la lourdeur de la faute.
[352j Une preuve prépondérante a clairement établi qu'en ajoutant ainsi une note tardive à l'insu du personnel et sans indiquer à quelle heure elle l'avait fait, Mme Condé a voulu se protéger contre l'information erronée qu'elle avait fournie - selon laquelle le patient n'avait pas de sonde - et laisser ainsi croire qu'elle avait vérifié l'état du patient et avait noté qu'il avait une sonde.
(353) De toute évidence, cette démarche préméditée peut aisément être associée à une falsification de dossier.
[354] À n'en pas douter, la manoeuvre est suffisante pour que l'employeur perde confiance en son infirmière. Lorsque cette dernière persiste, en dépit de toutes les apparences, à maintenir sa version des faits, elle ajoute à la gravité de sa faute et me convainc que l'employeur a eu raison de prétendre qu'il ne pouvait plus lui faire confiance et de procéder à son congédiement. […]
[99] J’arrive à la même conclusion après analyse de la preuve de la situation où s’est volontairement placée Mme Lévesque. Malheureusement pour elle, elle doit assumer les conséquences de ses erreurs.
POUR CES MOTIFS je, soussigné,
REJETTE les deux griefs de Mme Lévesque.
Marc Poulin, arbitre
[1]
Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes et infirmières auxiliaires du
Coeur-du-Québec et Centre hospitalier régional de Trois-Rivières
, 12
juillet 2011, Bernard Lefebvre, arbitre, (
[2]
Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services
sociaux (APTS) et Centre de santé et de services sociaux de Trois-Rivières
,
20 mars 2009, Diane Sabourin, l'arbitre, (
[3] Centre hospitalier universitaire de Montréal et Fédération des infirmières et infirmiers du Québec , 19 mai 2005, André Dubois, arbitre, (# de dépôt 2004-3778).