Autorité des marchés financiers c. Battah

2012 QCBDR 81

BUREAU DE DÉCISION ET DE RÉVISION

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

MONTRÉAL

 

DOSSIER N° :

2008-032

 

DÉCISION N° :

2008-032-003

 

 

DATE :

Le 31 juillet 2012

 

 

EN PRÉSENCE DE :

M e ALAIN GÉLINAS

 

M e CLAUDE ST PIERRE

 

 

 

AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

Partie demanderesse

c.

KENNETH BATTAH

Partie intimée

 

 

 

Ordonnance d’interdiction d’opération sur valeurs et d’exercer l’activité de conseiller

[ art. 265 et 266 , Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., chap. V-1.1) et art. 93 et 115.9 , Loi sur l’Autorité des marchés financiers (L.R.Q., chap. A-33.2)]

 

 

M e François St-Pierre

(Girard et al.)

Procureur de l’Autorité des marchés financiers, demanderesse

 

M e Lorne H. Marchand

(Marchand, Avocat)

Procureur de Kenneth Battah

 

 

Dates d’audience :

14, 15, 16 et 17 mars 2011

 

 

Dernier document déposé :

26 mars 2012


 

 

DÉCISION

 

[1]     Le 15 septembre 2008, l’Autorité des marchés financiers (ci-après l’ «  Autorité  ») a adressé au Bureau de décision et de révision (ci-après le «  Bureau  ») une demande ex parte à l’effet de prononcer une interdiction d’opérations sur valeurs et une interdiction d’agir à titre de conseiller à l’encontre de deux intimés, à savoir Kenneth Battah et Julien M c Duff. À la suite de cette demande et d’une audience tenue au siège du Bureau la même journée, le Bureau a prononcé la décision demandée le 19 septembre 2008 [1] .

[2]     Cette décision fut modifiée le 15 octobre 2008 à la demande de l’Autorité [2] . Le tout fut prononcé en vertu des articles 265 , 266 et 323.7 de la Loi sur les valeurs mobilières [3] et des paragraphes 6° et 7° de l’article 93 de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers [4] , tels qu’ils étaient rédigés au moment de ces décisions [5] . Suite à ces deux décisions, le Bureau a imposé les interdictions suivantes aux intimés :

« Il interdit à Kenneth Battah, en vertu des articles 265 et 323.7 de la Loi sur les valeurs mobilières et de l’article 93 (6°) de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers toute activité en vue d’effectuer, directement ou indirectement, toute opération sur valeurs; et

Il interdit à Kenneth Battah, en vertu des articles 266 et 323.7 de la Loi sur les valeurs mobilières et de l’article 93 (7°) de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers d’exercer directement ou indirectement toute activité de conseiller en valeurs au sens, tel que défini à l’article 5 de la Loi sur les valeurs mobilières » » [6]

[Références omises]

[3]     Il est à noter que dans sa décision originale du 19 septembre 2008, le Bureau avait refusé d’adopter les mesures demandées à l’encontre de Julien McDuff, en l’absence de motifs impérieux pour ce faire. Le 1 er octobre 2008, Kenneth Battah, intimé en l’instance, requérait le Bureau de tenir une audience à son sujet. Après plusieurs demandes de remise adressées au Bureau, l’audience consécutive à sa demande fut fixée pour procéder les 14, 15, 16, 17 18, 21 et 22 mars 2011. Finalement, le tout a procédé du 14 mars 2011 au 17 mars 2011. Un dernier document a été déposé par Kenneth Battah le 26 mars 2012.

LA DEMANDE DE L ’AUTORITÉ

[4]     Le 10 mars 2011, l’Autorité a fourni un exemplaire de sa demande amendée visant les intimés. On y reprochait à Kenneth Battah, intimé en l’instance, d’avoir effectué le placement illégal des titres de la société Synergy Group (2000) inc. (ci-après «  Synergy  ») et d’exercer illégalement des activités de courtier et de conseiller. Or, cet intimé, qui avait déjà été inscrit auprès de l’Autorité en assurance de personnes et en assurance collective, n’avait jamais été inscrit à titre de courtier ou de conseiller auprès du même organisme.

[5]     Il appert de cette demande que Synergy offrait à des investisseurs d’acheter des «  pertes d’entreprises  », afin de bénéficier d’un remboursement d’impôt; le tout était présenté comme une stratégie fiscale. Ce placement était effectué sans prospectus visé par l’Autorité ni dispense d’un tel prospectus. Le tout était vendu sous forme de parts, au coût de 1 000 $ l’unité. L’Autorité avançait que ces parts étaient des contrats d’investissement, une forme d’investissement soumise à l’application de la Loi sur les valeurs mobilières .

[6]     Toujours selon l’Autorité, une entente avait été conclue avec diverses PME en démarrage, et en échange de services qu’elle devait leur rendre, la société Integrated Business Concepts inc. (ci-après «  Integrated  ») se faisait transférer par ces dernières la possibilité de déclarer à l’Agence du revenu du Canada les pertes d’entreprise qu’elles avaient subies durant l’année. Ces pertes étaient par la suite redistribuées au prorata aux détenteurs de parts de Synergy. Ce faisant, les investisseurs sollicités partageaient les pertes et les profits de ces PME.

[7]     L’intimé aurait fait des représentations aux investisseurs sollicités à l’effet que Synergy prêterait l’argent qu’ils investiraient à des PME en difficulté financière. Cet investissement devait générer une perte en capital pouvant aller jusqu’à cinq fois le montant investi. Il s’agirait donc d’une stratégie fiscale. L’Autorité reprochait également que ce placement ait eu lieu sans que les investisseurs n’obtiennent de documentation nécessaire pour prendre une décision éclairée ni qu’ils soient informés des risques qu’ils encouraient.

[8]     L’Autorité a également allégué qu’en 2005 et 2006, les investisseurs ont pu déclarer les pertes d’entreprise mais que pour l’année 2008, l’Agence du revenu du Canada les a avisés que la perte d’entreprise qui leur avait été transférée n’était pas justifiée, qu’elle ne la reconnaissait pas et qu’elle leur la réclamait. Kenneth Battah était celui qui avait introduit les investissements aux épargnants, leur a fait les représentations afférentes au tout et a recueilli leur argent, alors qu’il ne détenait aucune inscription à titre de courtier ou de conseiller auprès de l’Autorité.

[9]     Elle a donc demandé au Bureau de prononcer une ordonnance d’interdiction d’opération sur valeur et d’agir à titre de conseiller à son encontre.

L’AUDIENCE

[10]     En ouverture d’audience, le procureur de l’Autorité a soumis au Bureau que le dossier portait sur la vente par Synergy de contrats d’investissement sous forme d’un abri fiscal, à savoir la déduction de pertes d’entreprises vendues à des investisseurs. Il a indiqué vouloir faire entendre le témoignage de 5 personnes à ce sujet. Ce placement aurait eu lieu en l’absence d’un prospectus visé par l’Autorité et sans que l’intimé, Kenneth Battah, ne soit inscrit à titre de courtier ou de conseiller auprès de la demanderesse.

[11]     Il rappelle la demande ex parte de l’Autorité de 2008 et indique que certains investisseurs auprès de Synergy ont été recotisés par les agences du revenu alors que d’autres ne l’ont pas été. Mais tous les investisseurs y ont perdu leur argent. Il termine en disant qu’en fait, on est en présence d’évitement fiscal.

[12]     Le procureur de l’intimé plaide être dans le domaine des abris fiscaux; nous ne sommes pas ici en matière de contrats d’investissement mais de stratégie fiscale ou de fiscalité stratégique, dit-il. Ce n’est pas un investissement puisque personne n’a rien acheté. Les investisseurs québécois sont en fait des contribuables au Québec participant à un «  joint venture  », en accord avec une stratégie d’impôt. Cela pourra peut-être leur apporter un remboursement d’impôt ou une perte fiscale. C’est une «  Smith Manoeuvre  » , une tentative de payer moins d’impôt et non pas de la vente de contrats d’investissement.

[13]     Pour ce procureur, une stratégie pour baisser l’impôt ne peut être un contrat d’investissement. Il ne faut pas élargir cette notion ni la diluer. Ce n’est pas véritablement un transfert d’argent. Il n’y a ici ni fraude ni évasion fiscale. Il indique que le ministère du Revenu de l’Ontario aurait décidé d’accepter cette tactique. Il demande si un remboursement fiscal peut être qualifié de profit et si des investisseurs qui se réunissent constituent un investissement.

          La preuve de l ’Autorité

[14]     Le premier témoin de l’Autorité, un policier, a connu Kenneth Battah par l’entremise d’un de ses amis. À l’automne 2006, il l’a rencontré à la résidence de ce dernier à Joliette; celui-ci lui a proposé une forme d’investissement. Il a pris connaissance du portail de la société Synergy d’Ontario. Il a été invité à faire partie de la société Integrated Business Concepts inc. qui prêtait de l’argent à des petites et moyennes entreprises. Il a expliqué qu’il en découlait des pertes déductibles d’impôt. Il s’agissait pour lui de prêter de l’argent à des PME qu’il ne connaissait pas. Mais il n’a jamais demandé à connaître leur identité.

[15]     Il a déclaré ne jamais avoir su où allait l’argent qu’il avait déboursé. Il dit ne pas avoir investi à cette occasion, préférant d’abord chercher conseil et faire des vérifications sur l’Internet. Il s’agissait pour lui d’une stratégie alternative d’investissement. Il a fini par investir un montant de 20 000 $, en novembre 2006, semble-t-il. Il a signé trois documents qu’il a déposés en preuve. Il s’agit d’abord d’une Entente sur l’achat d’unités de Synergy Group 2001 inc. , pour un achat de 20 unités, à un prix de 1 000 $ l’unité, pour un total de 20 000 $, conclue le 23 novembre 2006 et signée par le témoin et Kenneth Battah.

[16]     Accompagnant ce document étaient une Entente de référence d’affaires datée du même jour et une Entente portant sur l’agent de transfert désignant Synergy comme tel et par laquelle la société Integrated acceptait d’exécuter l’achat au nom d’acheteurs d’un bénéfice fiscal. Enfin, était joint aux documents un chèque au montant de 20 000 $, à l’ordre de Synergy, daté du 27 décembre 2006 et signé par le témoin. Ce dernier recherchait à faire soit un gain, soit une perte qui serait déductible d’impôts. Pour lui, c’était une stratégie sans risques.

[17]     Vu cet investissement, il a reçu une perte d’entreprise de 104 000 $ qu’il a déduit comme tel dans son rapport d’impôt. En 2007, il a investi de la même manière un montant de 10 000 $ payé par chèque à Synergy remis à Kenneth Battah. Il a ensuite reçu un formulaire lui permettant de déclarer une perte fiscale de 50 000 $. Il a aussi reçu un paiement en intérêts s’élevant à 200 $. Le témoin ajoute n’avoir reçu ni documentation ni d’autre information quant à l’investissement qu’on l’invitait à faire.

[18]     Il ajoute que sa motivation d’investissement était surtout fiscale et reposait sur l’absence de risques car si la PME avait fait un bénéfice, il aurait empoché un revenu. Le témoin indique qu’en 2008, Revenu Canada lui a envoyé un formulaire qu’il devait compléter et renvoyer, ce qu’il a fait après avoir parlé avec Kenneth Battah. Les pertes qu’il a déclarées à Revenu Canada et à Revenu Québec ont été invalidées et il a été recotisé pour ces réclamations. Au moment de l’audience, ces recotisations faisaient encore l’objet d’une contestation de sa part.

[19]     En contre-interrogatoire, le témoin a indiqué que Kenneth Battah lui a fait part de la stratégie de Synergy, au moyen notamment d’un diagramme sur son ordinateur qui expliquait le déroulement de l’opération, diagramme qui fut déposé en preuve. Pour le témoin, il est possible que l’intimé ait utilisé son ordinateur pour lui expliquer la stratégie. Il reconnaît avoir parlé d’un membership dans Synergy avec l’enquêteuse de l’Autorité.

[20]     Il a été interrogé sur l’usage d’un ordinateur par Kenneth Battah. Le témoin a déposé un graphique du mode d’investissement mis sur pied par l’intimé. Le procureur de l’Autorité a interrogé le témoin sur sa compréhension d’un membership dans Integrated dont il serait devenu un associé ou un co-prêteur. Il explique ce qu’il comprend du processus, à savoir que Synergy est le canal de l’argent et qu’Integrated prêtait de l’argent aux PME. Il dit qu’il n’achetait pas des actions de Synergy mais un partnership pour Integrated. Quant aux gens d’Integrated, ils étaient également des associés, comme lui. Il ne réfère pas alors aux clients des PME.

[21]     Le témoin dit être familier avec le terme de joint venture et se désigne comme co-prêteur. Il indique que l’argent qu’il a payé et l’argent prêté par Integrated est le même argent, selon le diagramme qu’il a vu. Synergy est l’agent qui recueille l’argent pour Integrated qui le redistribue. Il dit qu’il n’investit pas dans Synergy mais qu’il donne de l’argent à cette dernière, qui agit à titre de mandataire pour le donner à Integrated. Quant à Integrated, elle recevait les demandes de prêt des PME et déterminait à qui elle ferait des prêts.

[22]     Le témoin a reconnu en contre-interrogatoire qu’au moment où le fisc l’a recotisé pour sa contribution, Synergy lui a offert de le rembourser mais que le 18 avril 2008, il a refusé de se retirer du programme et d’être remboursé; il croyait que cette stratégie fiscale était la bonne. Il a expliqué qu’il avait fait des recherches sur l’Internet avant d’investir, déclarant que le rachat des pertes d’entreprise est largement pratiqué par les entreprises. Mais, il était moins sûr que cela soit permis aux particuliers.

[23]     Le second témoin, également policier, a rencontré Kenneth Battah par l’entremise de son père qui les a présentés. Mais c’est surtout son père qui lui a parlé de Synergy. En décembre 2006, l’intimé lui a expliqué le tout. Il a dit ne pas avoir prêté de l’argent mais de le donner pour rapporter de l’argent. Avec son frère, il a, le 21 décembre 2006, acheté 9 unités à 1 000 $ l’unité, pour un total de 9 000 $. Il ne choisissait pas les PME à qui cet argent serait prêté. Il comprenait que cela lui permettrait de prendre les pertes fiscales.

[24]     Il a réclamé une perte d’entreprise de 45 000 $. Il a répété l’opération l’année suivante, en suivant la même procédure. Il a alors acheté 8 unités, pour un montant total de 8 000 $, en signant de nouvelles ententes, le tout probablement payé par chèque. Pour sa part, il n’y voyait pas de risques. Il a ensuite pu déduire les pertes d’entreprise mais les Agences de revenu du Canada et du Québec ont refusé ses déductions, l’ont recotisé et lui ont imposé une amende.

[25]     Il conteste actuellement le tout. Il témoigne qu’il ne s’attendait pas à un remboursement du capital, sa motivation première étant la déduction fiscale. Il n’a pas reçu de document d’information de Kenneth Battah. En contre-interrogatoire, il a reconnu qu’on lui avait offert de récupérer son argent mais qu’il a préféré continuer sa participation au programme.

[26]     Le témoin suivant dit avoir connu Kenneth Battah dans le cadre de sa planification financière. Il a entendu parler de Synergy comme d’un moyen fiscal de diminuer des revenus pour sauver de l’impôt. Il s’agissait de prêter de l’argent à des entreprises dont il ne connaissait pas les activités. Il ignorait tout de ces dernières et sa décision n’a rien eu à voir avec celles-ci. Kenneth Battah lui en a parlé en 2005 puis en 2006. Ce dernier lui a indiqué que la seule difficulté envisageable était les agences du revenu.

[27]     À cette dernière occasion, il a le 28 novembre 2006 décidé d’acheter 5 unités de Synergy, pour un montant total de 5 000 $. Il a payé par chèque fait à l’ordre de Synergy et l’a remis à Kenneth Battah. Il a reçu la documentation fiscale afférente T-2124 lui permettant de prendre une déduction fiscale de 26 000 $. Il a racheté d’autres parts le 28 mai 2007, soit 8 parts, à 1 000 $ l’unité, pour un total de 8 000$. Mais l’Agence du revenu du Canada a alors refusé de reconnaître les pertes d’entreprise qu’il avait déduites et l’a recotisé, tout comme Revenu Québec. Il ajoute que sa femme avait également acheté 5 unités pour un total de 5 000 $, le 28 mai 2007.

[28]     En contre-interrogatoire, le témoin a déclaré avoir fait un avis d’opposition à la recotisation des agences de revenu. Il a déclaré ne pas avoir accepté le remboursement de sa mise de fond qui lui a été offert. Il dit ne pas avoir pris connaissance de documents autres que la présentation Power Point de Kenneth Battah. Il dit avoir reçu un chèque de revenus pour un montant de 70 $.

[29]     Le témoin suivant a fait la connaissance de Kenneth Battah à la fin de 2006, par l’intermédiaire de son père. Ils ont parlé de stratégie fiscale. Il dit ignorer quelles étaient les entreprises auxquelles l’argent était prêté. Le 21 décembre 2006, il a acheté 12 unités, pour un montant total de 12 000 $ qu’il a payé par chèque fait à l’ordre de Synergy qu’il a remis à l’intimé. Il croyait ne pas courir de risque et être assuré de faire un gain. Il a reçu le formulaire d’impôt T-2124 qui lui permettait de déduire une perte d’entreprise de 60 000 $ de ses revenus.

[30]     Le 5 décembre 2007, il a acheté 8 unités pour un montant de 8 000 $. Il était alors informé de la possibilité d’être recotisé par Revenu Canada. Son achat lui donnait droit à une déduction de 40 000 $ et son bénéfice net était alors près de 20 000 $. Mais les Agences du revenu des deux gouvernements l’ont recotisé pour 2006 et 2007.

[31]     En contre-interrogatoire, le témoin dit avoir refusé le remboursement de sa mise de fond et avoir décidé de rester dans ce programme. Il dit connaître le principe des pertes fiscales par l’achat d’une compagnie pour en récupérer les pertes fiscales. Il a cependant dit ne pas connaître les activités des PME et d’Integrated. Il n’a pas fait de recherche sauf pour parler avec des personnes qui avaient investi.

[32]     Le témoin suivant a parlé de cette mise de fond avec Kenneth Battah qui lui en a expliqué le fonctionnement. Il comprenait que son profit pouvait provenir soit des pertes d’entreprise, soit en encaissant des profits lors de leur distribution. Il a acheté 6 000 unités en 2005 et 6 000 unités en 2006, pour un montant total de 12 000 $. Le témoin dit avoir déclaré successivement des pertes de 30 000 $ et de 31 000 $ pour ces deux années dans ses rapports d’impôt. Il a été recotisé et il conteste actuellement cela auprès des agences de revenu.

[33]     En contre-interrogatoire, il a reconnu avoir reçu un revenu de 400 $ pour sa mise de fond. Pour lui, le revenu est surtout fondé sur le remboursement d’impôt. Il n’a reçu aucun document d’information. Il n’a pas non plus vu d’états financiers. Il n’a pas reçu d’offre de remboursement.

[34]     Le témoin suivant était l’enquêteuse à l’emploi de l’Autorité. Elle a expliqué les détails de son enquête quant aux personnes physiques et aux personnes morales. Elle indique qu’au Québec, 22 personnes ont investi un total d’environ 206 000 $ dans les unités de Synergy. Il n’y a pas eu de prospectus visé par l’Autorité pour ce placement. Elle déclare avoir rencontré certains investisseurs; ces derniers ont tous traité avec Synergy. Certains avaient entendu parler d’Integrated.

[35]     Elle a ajouté que Kenneth Battah était le représentant principal au Québec. Il a déjà été inscrit en matière d’assurances au Québec mais au moment de la commission des actes reprochés, il ne détenait pas la moindre inscription auprès de l’Autorité en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières . L’enquêteuse a déclaré que l’intimé a touché des commissions pour la vente des unités, tout en ignorant combien il a touché exactement. Elle a également témoigné relativement aux 5 investisseurs ayant acheté des unités de Synergy.

[36]     Leurs achats respectifs totalisaient 43 000 $. Elle a déposé la documentation prouvant ces achats. Elle a également évoqué les problèmes des investisseurs qui ont été recotisés par l’Agence de revenu du Canada parce que leur déduction pour perte d’une entreprise avait été refusée. Elle indique également que jamais les moindres états financiers n’ont été préparés à aucune étape de ce placement.

[37]     En contre-interrogatoire, le procureur de Kenneth Battah invite l’enquêteuse de l’Autorité à réviser les propos des témoins qu’elle a rencontrés par la lecture des notes sténographiques de leurs interrogatoires. Ces interrogatoires ont mené aux constatations suivantes :

§       un témoin a indiqué qu’il savait que la stratégie de risque pouvait être refusée par le gouvernement, vu l’importance de la déduction demandée;

§       le risque représentait une stratégie de planification fiscale;

§       il ne s’agissait pas de la déduction d’une perte en capital mais d’une perte d’entreprise, tel qu’en fait foi l’usage systématique du formulaire d’impôt T-2124;

§       plusieurs questions avaient été posées par l’enquêteuse sur le train de vie de l’intimé, afin de pouvoir qualifier cette personne;

§       un autre témoin a expliqué qu’il ne cherchait pas en faisant cet achat à échapper à l’impôt («  tax evasion  ») mais à baisser les impôts qu’il payait («  tax avoidance  »); c’était une stratégie d’avantages fiscaux;

§       Kenneth Battah a expliqué sa stratégie en se servant d’un ordinateur;

§       la stratégie fiscale proposée par Kenneth Battah provenait de l’Ontario;

§       le témoin a indiqué que l’intimé ne l’avait pas trompé; plusieurs témoins ne l’ont d’ailleurs pas blâmé, faisant que souvent, ils ne voulaient pas témoigner;

§       un témoin connaissait le risque qu’il encourait, sachant que la loi sur l’impôt pouvait changer n’importe quand et qu’il pouvait y avoir un changement au fisc;

§       un témoin rapportait qu’il n’avait pas reçu de prospectus pour ce placement et qu’il n’en avait de toute façon pas besoin puisqu’il était en présence d’un «  Smith Manoeuvre  », une stratégie fiscale destinée à sauver de l’impôt;

§       un témoin a déclaré savoir dans quoi il s’embarquait lorsqu’il mettait de l’argent dans Synergy; ce témoin connaissait le concept et la stratégie de l’investissement dans Integrated;

§       mais, selon l’enquêteuse, les investisseurs ne savaient pas dans quelles entreprises leur argent serait investi, quels seraient les rendements qui n’avaient pas établis ni pourquoi ce rendement était calculé dans une proportion de 5 pour 1; et

§       les investisseurs savaient principalement que le rendement de leur argent serait dû à une perte d’entreprise, encore que certains investisseurs aient obtenu de petits gains.

[38]     Interrogée sur le degré des connaissances financières des investisseurs, l’enquêteuse de l’Autorité a répondu qu’un des investisseurs était comptable mais que la plupart des autres investisseurs, à qui on a représenté qu’ils pourraient déduire des pertes représentant 5 fois le capital investi, ne pouvaient vraiment expliquer ce processus. Interrogée pour savoir si les investisseurs participaient à la gestion du projet, elle a répondu que ces derniers adhéraient à une stratégie, mais sans pouvoir rien y changer.

[39]     L’enquêteuse a également déclaré que ni Synergy ni Integrated n’étaient inscrits à titre de courtier auprès de l’Autorité, ni étaient-ils dispensés d’être inscrits. Enfin, elle a rappelé qu’il y avait 22 investisseurs au Québec qui ont déboursé plus de 206 000 $.

          La preuve de Kenneth Battah

                   Le témoignage de Kenneth Battah

[40]     Le procureur de Kenneth Battah a d’abord fait entendre le témoignage de son client. Ce dernier a expliqué qu’il est un ancien agent en assurances dont l’inscription a été retirée et qui a fait faillite. En septembre 2005, il a entendu parler de Synergy par une annonce sur l’Internet. Il s’est enquéri du tout et est allé à Toronto pour rencontrer les personnes responsables du projet. Les échanges ont duré un mois. Il a rencontré messieurs Jean Breau, Vilante et Prentice. À la fin d’octobre 2005, il a accepté de vendre des unités de Synergy.

[41]     Il a alors eu des conversations avec des gens, ce qui lui permettait de trouver des clients, avec lesquels il agissait avec diligence, selon l’expérience qu’il avait acquise dans le monde de l’assurance. Il a déposé en preuve l’imprimé de la présentation Power Point qu’il a composée pour la mise en marché de la stratégie fiscale et dont le sommaire a déjà été déposé en preuve. Il a expliqué que les petites entreprises ont besoin d’aide. Il a alors fait quelque chose qui est différent de ce qui se fait en général.

[42]     Avec Integrated Business Consulting Association (ci-après «  IBCA  »), il a mis sur pied un « pool » pour obtenir du capital de risque. Pour avoir du succès, il s’agissait de faire un joint venture entre les petites entreprises et IBCA, les pertes revenant vers l’association. L’agent du projet était Synergy Group, qui agissait comme «  dealer  », comme celui qui achète. Mais pour Kenneth Battah, Synergy n’était pas une compagnie de services financiers mais uniquement un agent. La contribution des épargnants n’était pas un investissement. Il s’agissait d’établir un «  flow back  » vers les contributeurs.

[43]     Il y a une centaine de compagnies dans ce plan; 20 % de ces compagnies vont bien, 80 % vont mal. Chacune de ces compagnies a son propre compte. À la fin de leur année d’exercice, elles envoient leurs résultats à l’association pour fins de compilation. Il en est résulté plus de pertes que de gains. Mais les épargnants n’achetaient pas des pertes; ils contribuaient à aider des entreprises dont le sous-produit ou la conséquence secondaire ( by-product ) étaient des pertes fiscales. Il arrivait parfois que les PME à qui on avait prêté de l’argent fassent un profit, qui pouvait être ensuite distribué aux acheteurs des unités.

[44]     L’intimé leur transmettait de l’information mais, après sa présentation, il ne signait plus rien et ne rappelait jamais les gens. C’était, dit-il, aux contributeurs de rappeler, certains l’ayant d’ailleurs fait. Les contributeurs faisaient leur propre travail. Il affirme ne pas avoir fait de sollicitation; c’était les gens qui venaient le voir. Le témoin affirme que la présentation Power Point, déposée en preuve et dont il explique le contenu, indique que ce n’est pas un investissement mais une stratégie dont le but est de baisser les impôts.

[45]     On transfère un savoir; ce n’est pas un investissement. Les contributeurs achètent une stratégie. Kenneth Battah dépose en preuve un Bulletin d’interprétation de l’impôt sur le revenu relatif aux pertes d’investissement des entreprises [7] . Pour lui, ce bulletin indiquait qu’il était possible de prendre les pertes et de les appliquer à toutes sources de revenus. Il explique qu’il s’agissait d’achat d’unités monétaires; ce ne sont pas des actions, ce ne sont pas des dividendes, ce n’est pas quelque chose qui a de la valeur au moment de l’achat. C’est une mise de fond, une contribution, un capital de risque non garanti. IBCA facilite là où l’argent va et comment il sortira. Ce n’est pas non plus un abri fiscal.

[46]     Il ajoute qu’Independent Business Consulting Association (IBCA) n’est pas une compagnie mais une société en nom collectif («  general partnership association  »); c’est un « pool » de personnes soumises aux règles de cette société. Synergy est un agent et un dealer alors qu’Integrated Business Concepts inc. agit comme consultant. Il explique à l’aide d’un graphique qu’il y a des coentreprises ( joint venture ) entre Synergy et les participants, entre Synergy et IBC, entre IBC et IBCA, entre IBCA et les PME et entre les participants et les PME, par consultant interposé.

[47]     Il explique que la société (IBCA) dure un an. Après un an, on créée une nouvelle société. On investit dans une société nouvellement créée, pour une durée d’un an. Et cette société alloue aux membres le droit de participer aux PME membres de la société. Les contrats étant de gré à gré. Il explique la relation entre les contributeurs et Synergy comme une relation de coentreprise. Il dépose les états financiers d’IBCA Joint Venture au 31 décembre 2007.

[48]     Il indique avoir expliqué aux participants que l’entente entre la société IBCA et les contributeurs allouait à ces derniers les profits ou les pertes futurs des PME de la société. Le ratio des pertes était établi historiquement à 5 pour 1. Il évoque qu’il est également possible que les contributeurs puissent faire un profit plutôt que de déduire des pertes.

[49]     Kenneth Battah explique qu’après avoir fait sa présentation et au moment où une personne désirait faire un achat, elle signait une entente pour l’achat d’unités et l’intimé la contresignait. Des exemplaires étaient remis au client, à l’intimé et à Synergy. Le chèque remis par l’acheteur était envoyé à Toronto après avoir été photocopié. Revenant sur le contenu d’une entente, il explique ensuite que l’unité qui était vendue était en fait une unité monétaire comme mesure de calcul. La souscription réfère à l’achat d’une unité, mais cela ne servait qu’à donner lieu à un transfert d’argent par Synergy.

[50]     Il n’y avait pas d’unités qui ont été en fait réellement achetées. Les mots servaient d’unité de mesure pour déterminer le prorata des pertes ou des profits, selon le cas. C’était une unité de mesure mais pas une unité représentant quelque chose. Quant à Synergy, elle agissait comme agent, comme mandataire chargé de faire la recherche. La compréhension du contributeur par rapport au rôle de Synergy était qu’il donnait à cette dernière le mandat de trouver les PME pour leur avancer de l’argent.

[51]     Ultimement, les contributeurs prêtaient leur argent à la société IBCA dont ils étaient eux-mêmes membres. Kenneth Battah, après avoir révisé les documents soumis à la signature des contributeurs, a déclaré aux membres du tribunal qu’il cherchait à protéger les investisseurs. Il les a correctement informés et les a invités à s’informer de façon indépendante. Il déclare qu’aucun investisseur n’a signé les documents le premier jour de leur rencontre.

[52]     Commentant le contenu des trois documents qui étaient signés par les contributeurs, Kenneth Battah déclare que ce matériel n’offre pas ni ne traduit un intérêt dans la propriété d’une unité ou d’une action de quoi que ce soit. Ils décrivent constamment le tout comme une stratégie fiscale, au moyen de petites entreprises. Le document de souscription réfère à l’achat d’une petite entreprise, mais cela n’a jamais été accompli. La clause importante de l’entente d’achat des unités se contentait de désigner Synergy comme agent.

[53]     Kenneth Battah explique que les contributeurs donnent un mandat à Synergy; ce mandat est une extension de ces contributeurs qui l’ont donné pour trouver les petites entreprises qui ont besoin d’aide et les apparier. Synergy est en coentreprise avec Integrated pour trouver l’entreprise qui a besoin d’argent. Puis, on s’adresse à IBCA qui détient les fonds pour les remettre à l’entreprise. Confronté au témoignage d’une contributrice qui disait que l’intimé l’avait sollicité, ce dernier a répondu n’avoir jamais fait de sollicitation. C’est eux qui s’adressaient à lui, a-t-il déclaré.

[54]     Il n’a pas non plus fait de démarchage puisqu’il n’a pas fait de porte-à-porte. De plus, lorsqu’il rencontrait un contributeur potentiel, il ne leur donnait pas de conseil. Il leur expliquait le projet au moyen d’une présentation Power Point. Ce n’était pas du conseil mais du transfert d’information. Puis, il les invitait à s’informer de leur côté auprès de leurs propres conseillers pour s’assurer de la validité du projet. Il ne leur a pas conseillé d’acheter d’autres produits ni ne leur en a-t-il offerts en vente. Il ne leur a pas remis de prospectus puisqu’il ne leur vendait pas des valeurs mobilières.

[55]     Pour lui, les unités de Synergy ne sont pas des contrats d’investissement, ce ne sont pas des valeurs mobilières. Il sait ce qu’est un prospectus dont l’utilité est de protéger le public. Mais les contributeurs comprenaient ce dans quoi ils s’engageaient par les explications qu’il leur donnait. C’est à ce moment qu’avait lieu le transfert de l’information, complété par son insistance à inviter les contributeurs à s’informer auprès de leurs propres conseillers sur ce projet.

[56]     La compréhension des contributeurs est qu’ils recevaient un remboursement d’impôts; ils sauvaient de l’impôt. Il soumet que toute personne peut vouloir payer moins d’impôts, à la condition de le faire en respectant la loi. Kenneth Battah soumet que les témoins ont déclaré qu’ils ne faisaient pas de profits mais recevaient plutôt un remboursement de profits. Un remboursement d’impôt n’est pas un profit. Il n’a donc jamais dit aux contributeurs qu’ils allaient faire des profits.

[57]     Interrogé sur la notion de risque pour les contributeurs, le témoin a répondu que pour ses clients, il n’y avait aucun risque de perte économique dans cette affaire. S’il y avait risque, il pouvait provenir de la réaction de l’Agence canadienne du revenu qui pouvait remettre en question la déduction fiscale. Il soumet que certains des contributeurs sont revenus l’année suivante, sans être sollicités pour ce faire; ils désiraient contribuer à nouveau. Kenneth Battah dit les avoir alors avertis que l’agence du revenu pouvait possiblement refuser la déduction. Mais ces personnes ont quand même contribué.

[58]     Interrogé sur la «  Smith Manœuvre  », il a répondu que c’est le moyen de transformer une mauvaise dette en bonne dette. Ainsi un intérêt non-déductible, qui est une mauvaise dette, peut devenir un intérêt déductible, donc une bonne dette. Cela permettrait, dit-il, de sauver de l’impôt. Il explique ensuite que la décision ex parte rendue à son égard le 15 septembre 2008 [8] l’a détruit et a entraîné une publicité négative de son nom qui lui a créé un grand tort. On lui a alors enlevé sa licence. Il rappelle qu’aucun des contributeurs ne s’est plaint de lui et personne n’a perdu de l’argent à cause de lui.

[59]     En contre-interrogatoire, Kenneth Battah indique avoir fait faillite à deux reprises, en 2005 et 2008, pour défaut de paiement de taxes. Il déclare ne pas avoir obtenu une opinion juridique sur l’application de la Loi sur les valeurs mobilières au programme de Synergy. Entre 2005 et 2007, il a acheté un total de 31 unités de Synergy au nom de sa femme. Il touchait une commission variant entre 8,5 % et 10 % pour la vente des unités; cela était qualifié de «  finder’s fee  ». Il continue de s’intéresser aux contestations devant l’Agence du revenu du Canada. Il n’y a pas encore de cas en cour à ce sujet.

[60]     II informe ses clients des développements à cet égard. Lorsqu’il discutait du risque avec ses clients potentiels, cela se limitait à la contestation par l’Agence du revenu du Canada. Il indique que la présentation Power Point en anglais sur le projet de Synergy a été préparée par cette dernière. Il discute de l’usage du mot « investir » ou « réinvestir » dans ce document, tel que traduit en français.

[61]     Le témoin a également déclaré ne pas avoir reçu de documentation sur le projet lors de ses visites à Toronto. Il n’a pas identifié quelles étaient les PME dans lesquelles IBCA investissait l’argent des contributeurs mais il a déclaré être assuré de leur existence. Il n’a pas vu de livres comptables ou autres états financiers d’IBCA ou de PME. Il a montré sa présentation Power Point à tous les contributeurs potentiels; la présentation en durait environ une heure.

[62]     Les contributeurs n’étaient pas appariés à une seule PME. Certains contributeurs savaient que l’intimé recevait des commissions pour la vente des unités. L’intimé a été requis d’expliquer pourquoi, alors que des contributeurs avaient mis leur argent en commun dans un « pool » regroupant les profits et les pertes, certains d’entre eux pouvaient recevoir des chèques de profits et les autres pas. Il a expliqué cela par les exigences de l’Agence canadienne du revenu.

                   Le témoignage du vice-président d’ICBA 2009

[63]     Le procureur de Kenneth Battah a ensuite fait entendre le témoignage du vice-président d’Independent Business Consulting Association 2009; ce dernier s’est également présenté comme vice-président senior de Synergy Group, cette dernière étant une compagnie de ventes et de mise en marché. La stratégie de cette dernière consiste à offrir aux clients un service leur permettant de participer directement à une affaire. Grâce à l’usage de coentreprises, ceux-ci bénéficiaient des résultats qu’ils soient bons ou mauvais.

[64]     Il explique quelles sont les entités et les personnes impliquées dans le présent dossier :

Les entitÉs, LES PERSONNES et leur RÔLE

Entité

Rôle

The Synergy Group (2000) Inc.

Cette société joue un rôle de vente et de mise en marché.

Integrated Business Concepts inc. (Integrated)

Cette société agit au nom du client, comme mandataire. Elle les aide à gérer la firme.

Les contributeurs ou participants

Ils fournissent les fonds, en signant dans une coentreprise, pour être directement dans la firme.

Independent Business Consulting Association (IBCA) (l’association)

Cette entité tient toutes les ententes en place. Elle prépare les rapports. Elle détient les fonds. Selon le témoin, c’est une corporation; elle a la structure d’une compagnie.

[65]     Le témoin explique que les contributeurs avancent des fonds qui sont détenus par l’association, au moyen d’une coentreprise. Puis, ils participent dans les compagnies, toujours au moyen d’une coentreprise. L’association identifie les compagnies. Le client est directement impliqué dans les compagnies, en étant apparié avec elles. Les clients sont associés avec l’association et l’association, avec les compagnies. L’association est donc au milieu entre les contributeurs et les compagnies.

[66]     Quand un contributeur embarque, il prépare un chèque à l’ordre de Synergy; cette dernière le remet à l’association qui le dépose dans un compte en fidéicommis en main tierce, au nom du contributeur. Ce dernier a l’option de retirer ses fonds avant qu’ils ne soient investis dans une compagnie. Donc les contributeurs contrôlent leurs fonds. Le témoin explique que ça peut prendre un certain temps pour identifier la compagnie dans laquelle le contributeur va investir directement. C’est pourquoi l’association détient les fonds pour lui.

[67]     Elle va agir en son nom pour identifier les compagnies cibles, car elles n’ont pas encore été trouvées. Cela peut prendre entre deux et six mois pour effectuer un processus de vérification diligente. Ces compagnies ne font pas nécessairement d’argent ni ne prennent de l’expansion. Le témoin explique qu’on tente alors de cibler celles qui ont vraiment une chance d’avoir du succès et de les apparier avec les clients. Les fonds peuvent prendre un certain temps à être alloués à une compagnie. Malgré ce délai, l’usage des unités permet de retracer de quel contributeur vient l’argent.

[68]     Le témoin explique également que les contributeurs ne perdent jamais le contrôle de leurs fonds. Ils peuvent toujours influencer la manière de les contrôler parce qu’ils ont mandaté la compagnie de les gérer en leur nom; mais si l’argent n’a pas été investi, ils peuvent ravoir leur argent. Cela est déjà arrivé. Si l’argent est investi dans une compagnie, le remboursement devient plus difficile car le contributeur participe à une coentreprise avec cette petite compagnie. Mais puisque le participant est un partenaire de la coentreprise, techniquement, il se prête à lui-même.

[69]     Comme tel, les participants peuvent être impliqués activement, s’ils le désirent, et demander des informations. À partir de cela, ce qui survient est un flux de profits ou de pertes, fondés sur un cycle économique d’affaires en fonction de la qualité de la gestion et de l’état de l’économie. Interrogé pour savoir comment les contributeurs étaient appariés avec les compagnies cibles, il a indiqué que cela dépendait de la taille de l’investissement.

[70]     Si c’était un petit investissement, le contributeur peut être apparié à une seule compagnie cible. Si c’est un gros investissement, le contributeur sera apparié avec à plusieurs compagnies cibles. La participation à l’association dure un an, du 1 er janvier au 31 décembre. Il explique le processus de vérification diligente. Le résultat à la fin de l’année provient du calcul des profits nets versus celui des pertes nettes. Cette question opérationnelle est sans considération pour les pertes passées.

[71]     Ce sont uniquement les pertes de l’année. C’est le résultat des pertes versus les dépenses, pendant un an seulement. Du point de vue du contributeur, il commence par se joindre à l’association, en coentreprise, car on ne sait pas encore avec quelle compagnie il sera apparié. Puis, une compagnie signe une coentreprise avec l’association. Cette dernière apparie ensuite le contributeur avec cette compagnie. À partir de ce moment, le contributeur bénéficiera de la performance économique de la compagnie. Existera une relation entre ces deux.

[72]     Mais le témoin évoque la nécessité pour la coentreprise d’engager des gens pour exécuter des fonctions précises, de confier des mandats à des professionnels. Ils s’occuperont de la comptabilité, des finances, du conseil juridique et du contrôle de la gestion. On peut participer à une coentreprise sans être mêlé à ses activités quotidiennes. L’entrepreneur ne peut pas s’occuper de tout; selon le témoin, il est même préférable qu’il ne s’occupe pas de la gestion personnellement.

[73]     Le témoin explique également les détails de l’investissement de l’association auprès de la petite entreprise et les étapes que celle-ci doit franchir pour obtenir le prêt. Le témoin indique aussi que si plusieurs contributeurs prêtent à une seule compagnie, il ne sera pas vraiment nécessaire qu’ils se connaissent entre eux. Ils seront des coentrepreneurs mais ils ne se connaîtront pas nécessairement ou ne travailleront pas de concert.

[74]     Le témoin indique que les trois contrats qui ont été mis en preuve en cours d’audience sont signés par les contributeurs. Ils reçoivent ensuite une lettre leur indiquant qu’ils sont en coentreprise avec l’association. C’est tout ! En général, les petits contributeurs ne se sont pas montrés très intéressés à en savoir plus; mais ceux qui le sont peuvent obtenir plus d’information en appelant.

[75]     Il ajoute également qu’un contributeur ne reçoit pas d’information sur la compagnie avec laquelle il est apparié; il ignore généralement le nom de cette compagnie. Mais il peut demander cette information s’il le désire. Le témoin fait remarquer que de toute manière, il y a un délai entre le moment où le contributeur remet son argent et celui où il est apparié avec une petite entreprise. Vu cette période d’attente, il devient préférable d’attendre la fin de l’année pour lui fournir cette information.

[76]     Le témoin explique au tribunal que la référence faite aux contributeurs d’ «  Alternative Tax  » et de «  Tax Reduction Strategy  » dans une lettre qui leur tous adressée, ramène aux avantages qu’ils recevront en contribuant au développement des affaires de Synergy par une réduction des impôts; c’est la stratégie de développement des affaires de Synergy. Cette stratégie en est une de gains et de pertes. Mais puisque la plupart de ces petites entreprises ne seront plus en affaires dans 3 ou 4 ans, l’emphase a été mise sur les réductions d’impôts.

[77]     Il tente d’expliquer quelle est la réalité économique derrière les trois contrats que les contributeurs ont tous signés. Ainsi, l’entente sur l’achat d’unités est un outil d’enregistrement des renseignements («  record keeping tool  »). Il explique que d’un point de vue comptable, il faut pouvoir suivre ce qui se passe. C’est la seule utilité d’une telle unité de mesure. Au début, il s’agissait de créer quelque chose, qui n’était pas considéré comme une valeur mobilière, qu’on peut retracer et qu’on peut dénommer.

[78]     L’unité a été créée uniquement afin de retracer la participation d’un client. Dans une perspective comptable, on peut ainsi retracer du début à la fin le flux d’argent d’un point de vue de vérification pour l’Agence de revenu du Canada. Dès que les dollars du contributeur apparaissent, ils vont dans une fiducie, puis ils vont vers une compagnie qui va les investir et les dépenser. Comment alors retracer toutes ces opérations et en faire rapport au client.

[79]     L’unité a donc été créée uniquement comme une piste de vérification («  auditing trail  ») pour connaître la participation de tout client. Ce n’est qu’un moyen de comptabiliser la transaction. Cet accord désigne aussi une compagnie qui va agir comme agent ou mandataire du contributeur qui va l’assister dans la gestion d’une compagnie, à savoir Synergy. Puis ce mandat sera transféré à IBC.

[80]     Selon le témoin, dans ce processus, le rôle de Kenneth Battah se limite à donner de l’information sur le programme et les activités d’affaires. Il fournit de l’information sur les opportunités d’affaires fournies par IBCA. Il représente l’association, soit ICBA. Synergy n’est ici qu’une simple compagnie de ventes et de mise en marché. Revenant aux explications sur les 3 contrats, il explique le contenu de l’ Entente portant sur l’agent de transfert; par ce contrat, Synergy transfère le client à IBC. Cela permet à ces parties de se connaître.

[81]     Quant à l’ Entente de référence d’affaires , elle permet au client de savoir qu’un service d’appariement avec une entreprise sera mis en œuvre à son profit. Quant un contributeur a remis sa mise de fonds, il s’engage dans une participation à long terme avec la compagnie et les résultats économiques qui résultent de cet investissement sont soit un profit, soit une perte. Le contributeur reçoit soit un chèque, soit une perte qu’il peut déduire de son rapport d’impôt annuel, ce qui lui rapportera un remboursement d’impôt.

[82]     À cette étape, le risque institutionnel de l’investissement est représenté par la manière que les agences du revenu traiteront cette déduction. Des formulaires seront alors fournis à l’Agence du revenu du Canada si cette dernière demande à étudier les déclarations financières vérifiées. IBCA pourra continuer à fournir cela. Existe également le risque institutionnel que représente l’historique du client auprès des agences de revenu; s’il a un mauvais historique, sa déduction sera vérifiée.

[83]     Le témoin soumet qu’à ses yeux, un remboursement d’impôt ne peut être considéré comme un profit. Il s’agit ici du droit d’un individu de gérer ses impôts dans le meilleur de ses intérêts. Un contribuable devrait faire ce qui est bon pour lui d’un point de vue fiscal en tout temps. Reste la possibilité institutionnelle que cela sera contesté. Interrogé sur la raison de l’absence d’un prospectus dans le présent dossier, il répond que dans la présente situation, on apparie un client qui veut déposer directement des fonds non garantis dans une compagnie.

[84]     En aucun temps, selon le témoin, cela n’a été considéré comme une valeur mobilière. Une opinion juridique l’a avisé de cela. Sa croyance ferme est qu’on ne fournit qu’un service d’appariement permettant à un client de participer directement à une compagnie. Comparant avec le domaine des fusions et des acquisitions, il déclare que ce n’est pas une valeur mobilière. Il ne s’agit que d’une vente privée, où un individu interagit avec une firme privée par un investissement d’argent, sa compagnie ne fournissant qu’un service pour les apparier ensemble.

[85]     En contre-interrogatoire, le témoin a indiqué que l’argent remis par les contributeurs à IBCA puis aux petites entreprises était structuré comme un prêt fait par IBCA. Comme IBCA ne durait qu’un an, le prêt était de 12 mois, renouvelable pour cinq ans. Il explique comment l’association suivait les activités des petites compagnies à qui l’argent avait été prêté. Il rappelle que les clients profitaient des gains et des pertes des petites compagnies pour un an.

[86]     Interrogé à savoir ce qui arrive de l’argent du contributeur, le témoin explique que l’engagement qui est fait au contributeur lui donnera droit à une déclaration financière de la compagnie dans laquelle il aura investi pour cette année-là. C’est la déduction qui lui rend son capital. Il rappelle enfin que les buts d’IBCA se définissent comme suit i) détenir les fonds et chercher les compagnies («  holding facility  ») ii) créer des relations entre les compagnies et iii) présenter des rapports aux clients.

[87]     Il explique enfin pourquoi des états financiers pour l’année 2007 ont été envoyés aux contributeurs en 2008. Mais il ne peut expliquer pourquoi on y utilise les termes «  common shares  ». Il ignore combien des contributeurs se sont vus refuser leurs déductions fiscales en 2007 mais il croit que ce chiffre est assez élevé. 2007 est l’année où les refus ont commencé de façon importante. Invité à expliquer le statut légal d’IBCA, il indique que l’interprétation générale veut que toutes les coentreprises contractuelles soient considérées comme des sociétés en nom collectif pour les fins de l’impôt, parce qu’une coentreprise n’existe pas en vertu de la loi sur l’impôt.

          L’argumentation des parties

                   L’argumentation de l’Autorit é

[88]     Le procureur de l’Autorité soumet que le programme de Synergy est soumis à l’application de la Loi sur les valeurs mobilières [9] . il ajoute que la compréhension que les investisseurs ont de ce programme n’empêche pas cela. Les tribunaux ont d’ailleurs fréquemment déterminé qu’une stratégie fiscale pouvait être un contrat d’investissement. Il cite des décisions dans lesquelles l’ «  affaire  » était présentée comme un avantage fiscal que les tribunaux ont désigné comme un contrat d’investissement [10] .

[89]     Encore que le tout ait été présenté comme une société ou comme une coentreprise, les faits démontrent, aux dires du procureur de l’Autorité, que les clients ont conclu un contrat avec Synergy afin de recevoir des pertes d’entreprise enregistrées par ICBA. Il note les documents déposés en preuve qui font référence à de l’investissement, y compris la présentation Power Point traduite par Kenneth Battah. Il soumet que l’argent des investisseurs sert à investir dans des PME en difficultés financières. Il s’agit donc d’une forme d’investissement, soit un contrat d’investissement passé avec Synergy.

[90]     Le contrat d’investissement est prévu à l’article 1 (7°) de la Loi sur les valeurs mobilières; il est défini au dernier alinéa de cet article. Rappelant l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Pacific Coast Coin Exchange [11] qui a défini le contrat d’investissement (alors désigné comme contrat de placement), il a soumis que l’importance n’était pas de savoir si c’était un plan frauduleux, mais de permettre «  aux clients de connaître exactement la valeur de leur investissement  » [12] . D’autres tribunaux ont affirmé que cette cause permet encore de cerner les contours du contrat d’investissement [13] .

[91]     La définition en est large mais elle vise à protéger le public, ce public composé de «  monde ordinaire  » qu’un tribunal a déjà défini de la manière suivante :

« Je veux qualifier mon expression de ‘’monde ordinaire’’. Il s’agit en l’occurrence d’individus qui, même s’ils sont professeurs, médecins, avocats et que sais-je encore, n’ont aucune connaissance et encore moins d’expérience dans le domaine des abris fiscaux, et plus particulièrement quand ils revêtent la forme d’un investissement dans l’immobilier, que la co-propriété soit divise et indivise.

[…]

Le législateur ne pouvant et ne voulant pas prévoir tous les cas d’espèce a défini certains termes de façon assez générale et étendue de manière à couvrir tout ce qui de près ou de loi s’apparente à un contrat d’investissement, en vue de protéger dans toute la mesure possible le plus grand nombre de personnes ayant à transiger avec les professionnels de l’investissement.» [14]

[92]     Il rappelle une décision de la Commission des valeurs mobilières relative au contrat d’investissement dans laquelle cette dernière avait déclaré que «  Le projet auquel l’épargnant est invité à souscrire une part de risques, n’est pas simple; ce n’est pas uniquement un immeuble à acheter, c’est tout un programme  » [15] ; dans Synergy, déclare le procureur de l’Autorité, la situation est exactement la même. Comme l’a dit la Cour suprême dans l’arrêt Pacific Coast Coin , le fond l’emporte sur la forme, en vue de la protection des épargnants.

[93]     Le procureur s’applique ensuite à réviser les critères du contrat d’investissement, tels qu’ils apparaissent dans la définition de cet instrument au dernier alinéa de l’article 1 de la Loi sur les valeurs mobilières . Il s’agit donc d’un contrat, d’une expectative d’un bénéfice (ce qui peut signifier toutes sortes d’avantages), la participation aux bénéfices, par la voie d’un prêt ou d’un apport. Cela a lieu sans que les adhérents aient les connaissances requises ou le droit de participer aux décisions.

[94]     Dans le présent dossier, il y a présence d’un contrat divisé en trois parties et signé avec Synergy et non pas avec les autres parties, tel que rapporté par les témoins; pour ceux-ci, IBCA et Integrated étaient étrangères à cette affaire. Selon eux, leur argent était prêté à Synergy. Les chèques ont été faits à l’ordre de Synergy et encaissés par cette dernière qui a confirmé la réception de cet argent aux clients. Pour le procureur de l’Autorité, le contrat a bel et bien été passé avec Synergy. C’est ce à quoi les 3 contrats font référence. Puis Synergy payait des commissions à Kenneth Battah.

[95]     Quant à l’espérance du bénéfice, ce qui est plus large qu’un profit, il s’agit d’un allégement du fardeau fiscal. C’est une déduction fiscale que les acheteurs pourront déclarer sous forme de pertes d’entreprise, en provenance d’IBCA. Puis, les témoins ont dit que leur espérance se situait dans les gains fiscaux qu’ils retiraient de cet achat. Or, ajoute-t-il, ce n’est pas la première fois que les bénéfices d’un contrat d’investissement sont des avantages fiscaux.

[96]     Jurisprudence à l’appui [16] , il soumet qu’un bénéfice fiscal peut constituer en soi une espérance de bénéfice. Puis il y a eu apport des investisseurs au moyen du versement de chèques faits à l’ordre de Synergy, chèques qui ont tous été encaissés. Quant à la notion d’affaires, elle est résumée dans la décision Corporation Première Équité [17]  :

«  L’affaire, c’est l’ensemble des étapes qui constituent un plan, un programme complet d’investissement en commun dans un projet ou une entreprise quelconque. Dissocier l’une ou l’autre de ces étapes complémentaires, ce serait en éluder la réalité économique, en vider la substance.  » [18]

[97]     Il rappelle que par son témoignage, le vice-président de Synergy a expliqué les diverses étapes constituant un plan, un programme qui menait à un avantage fiscal. Il explique comment la marche de l’affaire ne dépend pas que des seuls résultats obtenus en fin de course mais aussi de la qualité de chacune des étapes qui vont de la conception à la planification, la structure financière juridique ou fiscale, l’obtention des fonds, l’organisation et le contrôle du projet et la commercialisation éventuelle [19] .

[98]     Il considère que le projet sous étude devant le Bureau se qualifie comme étant une telle ‘’ affaire ’’, car «  The Independent Business Consultants Association (IBCA) enters in to Joint Ventures with other Business Entities, pools the financial results, and distributes the results to its members participants  » [20] . Il résume les témoignages de certains témoins quant à l’affaire. Il en vient également à réviser les risques dans le présent dossier.

[99]        Le risque, plaide-t-il, peut être autre chose que de perdre son argent. Il peut être constitué de la difficulté de récupérer son investissement initial ou d’en toucher les bénéfices promis [21] . Existait ici le risque que l’agence canadienne du revenu ne reconnaisse pas les pertes d’entreprise subies par des personnes physiques, empêchant qu’ils puissent bénéficier des avantages fiscaux qui leur avaient été promis [22] . C’est ce que des témoins, dont Kenneth Battah, ont rapporté. Et d’ailleurs, ce risque s’est finalement réalisé pour plusieurs investisseurs qui ont été recotisés.

[100]     Il y avait également un risque face à la proportion d’entreprises dans lesquelles étaient faits les investissements qui pouvaient échouer à rapporter de l’argent. Le procureur évoque également le manque de vérification diligente par Synergy et IBCA. De plus, les clients n’avaient pas les connaissances requises pour comprendre ce qu’on leur proposait et ne pouvaient non plus prendre des décisions quant à l’affaire. Certains avaient un peu de formation en comptabilité ou possédaient des notions fiscales, mais pas de là à comprendre en profondeur ce qu’on leur proposait. Les autres étaient encore plus démunis de connaissances.

[101]     Ces personnes n’avaient pas véritablement de connaissances au niveau fiscal, comptable et juridique et surtout en matière de gestion d’entreprise et de mise en marché, soit ce que proposait Synergy avec IBCA et des PME; cela est à l’image de ce que décrit la jurisprudence :

« Ils avaient peu ou pas de connaissances spécifiques pouvant leur permettre d’apprécier le risque ou de participer à la recherche et à sa commercialisation. [23]

[…]

Les investisseurs n’avaient pas de connaissances suffisantes pour décider de la valeur de leurs investissements, de la recherche, de la qualité d’abri fiscal, du projet, ni les connaissances requises pour participer le moindrement sérieusement à la recherche ou à la bonne marche de l’affaire en général. » [24]

[102]     Il rappelle que plusieurs des témoins présentés par l’Autorité ont indiqué ne pas avoir compris quelle était la stratégie de Synergy. De plus, il plaide que les investisseurs n’étaient pas autorisés à prendre de décisions concernant la marche de l’affaire. Ici l’affaire, selon l’avocat, consiste en des prêts octroyés par une association dont ils étaient membres, presqu’à leur insu, en échange de pertes d’entreprises enregistrées par des PME déclarées et distribuées par IBCA.

[103]     Il continue en déclarant que la participation des investisseurs s’est limitée à déterminer le nombre d’unités dont ils seraient les acquéreurs, signer leurs chèques et attendre de recevoir le formulaire d’impôts quelques mois plus tard. Kenneth Battah a d’ailleurs témoigné que par la signature du formulaire d’achat des unités, les investisseurs mandataient Synergy de faire leur travail pour eux. Le rôle des investisseurs était plus qu’effacé; il était inexistant dans ce dossier. Comme le disait la jurisprudence :

« En réalité, ils (les investisseurs) ne reçoivent ou ne conservent aucun droit de participer directement à quelque décision concernant toute la marche de l’affaire. Leur seul droit est d’adhérer ou non projet tel que conçu et représenté et de confier un mandat absolu à Biolux; » [25]

[104]     Il dit que la même chose a été faite dans Synergy. Puis, les investisseurs ne connaissaient pas les PME qui recevaient leur argent, certains ne connaissant même pas IBCA. Toutes les décisions étaient prises par Integrated et IBCA. D’ailleurs, un témoin a déclaré qu’il ne savait pas ce que les PME faisaient avec son argent. Comment aurait-il pu alors prendre des décisions dans la marche de l’affaire. Le document préparé par Kenneth Battah pouvait bien expliquer le déroulement de l’affaire mais il ne donnait pas aux investisseurs les connaissances sur le fonctionnement de l’affaire.

[105]     Le procureur soumet par conséquent au Bureau que la preuve, soit par le témoignage des investisseurs, soit par les documents déposés au soutien de leur propos, et même les témoignages de l’intimé et du vice-président de Synergy, est à l’effet que la stratégie offerte par Synergy est un contrat d’investissement au sens de la Loi sur les valeurs mobilières ; elle rencontre tous les critères de cette définition. Il y aurait donc dû avoir un prospectus. Celui-ci aurait dû être remis aux clients. L’intimé aurait également dû être inscrit à titre de courtier auprès de l’Autorité pour distribuer ce produit.

[106]     Il rappelle que dans son témoignage, Kenneth Battah a dit ne pas avoir fait de démarchage actif. Mais selon le procureur de l’Autorité, il a exposé un produit en faisant un transfert de connaissances. Le placement proposé était un démarchage; il y avait un caractère incitatif. Puis, le manquement est celui de ne pas avoir été inscrit comme courtier. Il a expliqué les produits et a exercé des activités de conseil. Il a été un intermédiaire dans l’opération.

[107]     Kenneth Battah a donc effectué un placement en l’absence d’un prospectus et il a exercé l’activité de courtier sans être inscrit auprès de l’Autorité. Or, ces notions ne sont pas étrangères à l’intimé. Il n’a pas non plus reçu d’avis juridique portant sur l’application de la Loi sur les valeurs mobilières . Les témoignages ont permis d’apprendre que les investisseurs n’ont pas pris connaissance d’états financiers sur le projet; ils n’ont donc pas eu accès à une information claire et complète pour savoir dans quoi ils s’embarquaient.

[108]     Le procureur de l’Autorité rappelle que l’intimé a été failli à deux reprises et il a pourtant proposé des stratégies fiscales. Il a donc manqué aux obligations les plus élémentaires prévues à la Loi sur les valeurs mobilières . Il est dans l’intérêt public que le Bureau rende les ordonnances demandées. Or, l’intérêt public, c’est la protection des investisseurs, c’est l’intégrité et le bon fonctionnement des marchés financiers, c’est la confiance des investisseurs dans ces marchés. Mais on a manqué aux obligations essentielles prévues à la loi.

[109]     On a manqué à l’obligation d’établir d’un prospectus, tel que prévu à l’article 11 de la Loi sur les valeurs mobilières [26] . Kenneth Battah n’était pas inscrit comme courtier, en contravention de l’article 148 de la même loi. Cela veut dire que personne ne pouvait s’assurer qu’il avait les compétences et les connaissances requises pour offrir un tel produit à ses clients. Il appert également que 22 clients québécois ont investi près de 206 000 $ dans ce projet. Et le vice-président de Synergy a mentionné qu’il y aurait encore plus d’investisseurs au Québec. La stratégie était incertaine, au point que plusieurs investisseurs ont été recotisés pour les années 2006, 2007 et 2008.

[110]     À chaque fois qu’on manque à une obligation prévue dans la loi, il est dans l’intérêt public que le Bureau rende une ordonnance d’interdiction. Ce sont des dispositions clefs de la loi auxquelles on a manqué. La conduite de Kenneth Battah a privé les investisseurs de la protection de la loi. Il soumet subsidiairement que les unités de Synergy puissent être également considérées comme des parts sociales prévues à la loi.

                         L’argumentation de l’intimé

[111]     Le procureur de Kenneth Battah soumet d’abord que les commissions payées à Kenneth Battah provenaient des fonds mis en commun par IBCA; elles n’étaient donc pas payées par Synergy. Il soumet également que malgré l’usage du mot investissement qui a été fait pendant toute l’audience, il faut vérifier en quoi tout cela consiste. Plutôt que de dire que l’argent a été investi directement par les contributeurs dans IBCA, il faut dire que l’argent est contrôlé par les investisseurs et a été déposé dans IBCA.

[112]     Il déclare que malgré l’usage du mot investissement, on n’est pas nécessairement en présence d’un contrat d’investissement. Il rejette l’interprétation du procureur de l’Autorité qui, dit-il, n’a pas bien décrit l’opération accomplie. Il se dit cependant d’accord avec la notion de bénéfice telle qu’avancée par l’Autorité. Mais, encore qu’il soit d’accord avec la notion de la protection du public, il y a méprise si on croit qu’un investissement de 5 000 $ s’apparente à un achat des actions d’une compagnie.

[113]     Selon les témoignages entendus, un investisseur débourse par exemple 5 000 $ et reçoit en échange une perte fiscale dans une proportion de 5 pour 1, soit 25 000 $. Il ne fait pas un gain de 25 000 $ mais, selon sa situation générale, il pourra payer moins d’impôt grâce à cette déduction. L’espoir final est que cet investissement de 5 000 $ lui rapportera ainsi entre 8 000 $ à 9 000 $. Ici, plaide-t-il, personne ne perd d’argent. Les contributeurs n’ont pas investi dans un véhicule financier devant leur rapporter un certain intérêt.

[114]     Ils ont investi dans une stratégie fiscale leur rapportant simplement une perte fiscale ou des profits générés par une compagnie. Il établit une distinction entre la stratégie et l’exécution de la stratégie. Il se demande si l’usage du mot «  affaire  » doit signifier que le contributeur exerce un contrôle et la possibilité d’exécuter chaque étape de la stratégie. Il estime qu’il est illogique que ce soit le contributeur qui exécute toutes les étapes de la stratégie. Selon la définition adoptée, il deviendrait impossible de confier à un mandataire une partie de l’exécution de la stratégie.

[115]     Pour le procureur de l’intimé, ce qui est important n’est pas d’avoir son mot à dire à chaque étape de la stratégie, mais de comprendre la stratégie, d’en être informé et de comprendre ce dans quoi on s’embarque. C’est là que se situe la protection et, selon lui, tous les témoignages entendus en audience passent ce test. S’ils n’avaient pas de prospectus, ils avaient de l’information donnée par l’intimé, ils savaient ce dans quoi ils s’embarquaient et ils comprenaient la procédure. Quand ils remettaient leurs chèques, ils savaient ce qui allait arriver.

[116]     Ils comprenaient qu’ils participaient à une coentreprise, qu’ils remettaient leur argent à Synergy, que cet argent allait vers IBCA qui le distribuerait à des compagnies. Il y avait un délai de six mois avant que ne soient connues les PME à qui leur argent serait remis. Ils ne pouvaient donc les connaître à l’avance. Mais on savait que ce serait des compagnies qui seraient en difficultés. Donc, ne pas connaître ces PME ne les affectait pas et ne représentait pas un danger. Il ne s’agissait pour les contributeurs que de comprendre la stratégie et de l’évaluer.

[117]     Ici, dit le procureur de l’intimé, personne n’a perdu d’argent, parce qu’il n’achetait ni une débenture ni une unité. Le vice-président de Synergy a, dans son témoignage, signalé qu’il y avait un risque institutionnel que les gens connaissaient, à savoir que l’Agence canadienne du revenu pouvait les recotiser. Il estime que l’interprétation de la notion de risque proposée par l’Autorité est trop large. Le risque se limite ici à la perte de la contribution, de l’argent, de l’investissement. Mais cette perte pouvait ouvrir la porte à une déduction.

[118]     Dans le présent dossier, personne n’a été tondu, personne n’a perdu d’argent; il n’y a ici que des gens qui sont recotisés et qui contestent cette recotisation devant un tribunal. Revenant sur la décision originale du Bureau dans le présent dossier [27] , il soumet que plusieurs des critères qui l’avaient justifiée n’ont pas été prouvés devant le Bureau. Il en réfute d’autres. Il soumet ensuite que la mention des deux faillites de Kenneth Battah par le procureur de l’Autorité n’avaient pas leur place pendant l’audience devant le Bureau et n’y ont pas de rôle, d’autant plus que son intégrité n’est pas en jeu.

[119]     Il soumet que le véhicule utilisé est intelligent, qu’il n’est pas illégal et que ce n’est pas de l’évasion fiscale. C’est bel et bien une transaction commerciale mais ce n’est pas la vente d’un produit d’investissement. Il reprend la définition du contrat d’investissement prévue à l’article 1 de la Loi sur les valeurs mobilières et se penche sur la notion de bénéfice qu’on y trouve. Il la compare avec le texte anglais de la loi qui parle de «  profit  ». Se penchant sur l’interprétation d’un texte bilingue, il soumet, doctrine à l’appui [28] , que lorsqu’il y a deux versions et qu’une d’entre elles a une plus grande extension, le sens commun aux deux versions est celui qui a le sens le plus restreint [29] .

[120]     Il s’en tient donc à la notion de profit, plutôt qu’à celle du bénéfice retenue par l’Autorité. Or, soumet-il, personne ne s’attendait à faire un profit dans cette affaire. Les gens n’obtenaient qu’un bénéfice fiscal utilisable sur leurs profits déclarés. Ce n’est pas un profit. Il rappelle que trois comptables ont témoigné qu’un remboursement d’impôt n’est pas un profit. Donc, un critère essentiel de la définition du contrat d’investissement à la loi est manquant. Il rappelle aussi qu’il y a ici absence de contrat mais coentreprise, où il n’y aurait au plus qu’une forme de demi-contrat dont il se demande si c’est un contrat.

[121]     Quant à la participation aux risques d’une affaire, il soumet qu’en valeurs mobilières, le risque est celui de perdre de l’argent. Or, dans le présent dossier, le risque est plutôt de nature fiscale; mais ce risque-là n’est pas prévu à la Loi sur les valeurs mobilières . Ce risque permet de faire de l’argent. Mais le risque n’en est pas un que le Bureau peut apprécier à l’avance et contre lequel il peut protéger les contributeurs au dossier. Mais il concède qu’il y a ici contrat et contribution.

[122]     Le procureur de l’intimé traite enfin des connaissances requises pour la marche de l’affaire ou de la participation à la gestion de l’affaire. Il soumet que les contributeurs n’avaient pas besoin d’en savoir plus que ce que Kenneth Battah leur a expliqué pendant une heure et ce qui est contenu aux trois contrats qu’ils ont signés. Ils n’ont qu’à comprendre que les compagnies dans lesquelles ils investissent perdent de l’argent, et que plus grande est la perte, plus grande sont leurs déductions fiscales.

[123]     Quant à l’autorisation de participer à la gestion de l’affaire, il rappelle que les contributeurs exercent le droit de choisir les compagnies ou de contrôler la vérification diligente de celles-ci par l’intermédiaire de leur mandataire. Integrated l’accomplit car elle a été sous-contractée pour ce faire. Il faut distinguer entre le processus du contrôle des opérations et le fait d’en déléguer l’exécution à un professionnel qui va exécuter le sous-contrat. Ce n’est pas la personne qui investit qui fait les vérifications mais celle qui a le mandat de ce faire.

[124]     Cela amène à la notion du mandat qu’on retrouve au Code civil du Québec [30] dont il cite les dispositions à cet égard. Il soumet que Synergy et Integrated sont les mandataires des contributeurs. Mais cela ne leur retire pas le pouvoir de contrôler les opérations. Il en déduit qu’on ne peut être ici en présence d’un contrat d’investissement car plusieurs éléments de ce dernier sont absents. Il en vient ensuite à la définition de la coentreprise ( joint venture ). Il reprend la définition soumise par Revenu Québec [31] selon laquelle elle n’a ni nom ni devoir de publicité légale ni siège social ni pouvoir d’exercer des droits juridiques. Donc, il plaide qu’une coentreprise ne peut être un investissement dans une valeur mobilière.

[125]     Il cite ensuite l’opinion dissidente du juge Laskin dans l’arrêt Pacific Coast Coin Exchange relatif à la mise en commun des fonds investis dans une entreprise commune où le profit dépendait des efforts du promoteur [32] . Or, ajoute-t-il, ce ne sont pas les efforts d’IBCA qui déterminaient de façon substantielle les profits des contributeurs mais ceux des compagnies dans lesquelles l’argent était versé. Ce n’est pas eux non plus qui étaient responsables des pertes des entreprises, mais bien ces dernières.

[126]     Il soumet donc que les apparences de cet investissement, telles que déterminées par le Bureau au moment de rendre sa première décision, étaient erronées. Les conséquences de cette erreur affectent l’intimé qui ne peut gagner sa vie et a vu son nom noirci, le tout fondé sur des faits interprétés de travers, alors que les produits ne sont même pas des contrats d’investissement. Il est donc temps de corriger cette situation. Kenneth Battah a-t-il donné des conseils et a-t-il agi comme conseiller pour la vente de contrats d’investissement ?

[127]     Il cite une cause de jurisprudence [33] décrivant en quoi consisteraient des activités de conseil :

« [216] In Re Costello , the OSC ruled (at par.25) : ‘’The trigger for registration as an adviser is not doing one or more acts that constitute the giving of advice, but engaging in the business of advising.’’ […] Further, it is unnecessary that any person followed or acted on the advice; the focus is on the action of giving the advice. »

[217] In Re Donas , (référence omise), the BCSC described the nature of communicating advice:

[…] A person who does nothing more than provide factual information about an issuer and its business activities is not advising in securities.

[218] This Commission recently commented on activity indicative of advising in Re Global Trading Center (référence omise):

[…] First, did the purported adviser express an opinion or make a recommendation ? Merely reciting facts does not make one an adviser; recommending an investment or opinion on the investment merits of an issuer or securities is advising. Second, did the purported adviser offer the recommendation in a way which reflected a business purpose?

« […]

[219] Thus, the mere providing of factual information about a proposed investment does not constitute advising. Rather, advising involves a business of providing subjective views, opinions and recommendations on the merit or value of a specific investment or security to a person or company. » [34]

[128]     Le procureur de l’intimé déduit de cette lecture qu’aucun conseil n’a été donné par son client. Il n’agissait ni comme consultant financier ni comme conseiller en valeurs. Donc, il n’était pas nécessaire qu’il soit inscrit. Il n’était ni conseiller ni courtier. Il ne s’engageait pas dans la vente d’un produit nécessitant un prospectus dans le présent dossier. Les faits en cause ne justifient pas la décision demandée par l’Autorité. Les allégations ne sont pas fondées et il n’y a pas de prépondérance de preuve.

[129]     Citant une décision de la Cour fédérale en matière fiscale [35] , le procureur de Kenneth Battah a soumis qu’on était en présence d’une coentreprise à l’image de celle qu’on retrouvait dans cette cause de jurisprudence :

« It is clear that the joint venture, in a global sense encompassed not only the doctors’ group but also Messrs. Kotowski and DeCarlo (in both their personal capacity and through their various corporate incarnations). The doctors’ group, as such, while referred to in the evidence as ‘’ the joint venture’’ proper was really a subset of the joint venture proper. It is clear that the joint venture proper was structured so as to enable the doctors’ group to take advantage of the losses which would be incurred in the early years of the development, while allowing for full participation of all members, in accordance with what it was assumed would be their proportionate share of the venture, once profits were available.

This raises the second aspect of this issue: was it appropriate for the doctors, as members of a joint venture, to claim as expenses incurred by the joint venture, amounts in excess of what they actually paid out of their pockets. The defendant argues that it was not, that each should be restricted in the amount which can be claimed to that actually paid by each: the ‘’at risk’’ principle, But there was no provision in the Income Tax Act which so provided. » [36]

[130]     Il soumet que la stratégie autorisée décrite dans cette cause s’apparente à celle suivie dans le présent dossier, soit la déduction des pertes engendrées par les opérations, au prorata de la participation de chaque personne. La stratégie était acceptable; c’était une coentreprise mais ce n’était pas un contrat d’investissement. Personne n’achetait quoi que ce soit. L’achat des unités ne servait qu’à déterminer la quantité afin que les gens sachent ce qu’ils achetaient. Le tout dépend de ce que les gens comprenaient, ce qu’on leur a dit et ce qu’ils ont fait.

[131]     Le résultat final est l’imputation des pertes fiscales. Ce n’était pas fondé sur l’habileté du promoteur mais sur les opérations des compagnies dans lesquelles on avait investi. Les contributeurs ne savaient pas que la compagnie avec laquelle ils étaient appariés perdait de l’argent. Mais cela n’était pas un élément déterminant du résultat. Cela n’était pas illégal.

[132]     En réponse, le procureur de l’Autorité rappelle que le jugement du juge Laskin de la Cour suprême est un jugement minoritaire; il invite le tribunal à ne pas le retenir puisque la majorité de cette cour a plutôt retenu le raisonnement contraire pour déterminer la présence d’un contrat d’investissement. Il rappelle que pour qu’il n’y ait pas un contrat d’investissement, il faut que les investisseurs aient le pouvoir de prendre des décisions. Il n’est cependant pas question qu’ils contrôlent toutes les étapes mais qu’ils aient un certain pouvoir décisionnel.

[133]     Le fait d’avoir donné un mandat à Synergy prouve que les investisseurs n’avaient aucun pouvoir décisionnel. Quant aux connaissances requises pour la marche de l’affaire, ce sont les connaissances qu’ils ont pour apprécier un investissement et non pas la compréhension de ce qu’on leur offre. Quant aux risques, ce sont ceux de l’affaire. Il rappelle que la Loi sur les valeurs mobilières est une loi d’ordre public qui doit être interprétée de façon large et non pas de façon limitée comme le fait le procureur de l’intimé.

            Les notes et autorit é s des parties

                         Les notes et autorités de Kenneth Battah

[134]     À la demande du Bureau, le procureur de Kenneth Battah a envoyé des Notes et autorités afin d’éclairer les membres du tribunal sur les différences qu’il a évoquées entre les notions de bénéfices et de profits. Le procureur a envoyé ces notes le 14 avril 2011. Il y réfère à une interprétation large et libérale des lois sur les valeurs mobilières adoptée dans une certaine jurisprudence; il y oppose une interprétation législative plus étroite et restrictive. Il soumet qu’en matière fiscale la notion de profit s’applique aux entreprises mais pas aux particuliers et qu’un remboursement d’impôt n’est pas considéré comme un gain financier.

[135]     Utilisant de nombreuses définitions du mot profit dans les dictionnaires, il soumet qu’on ne devrait donc pas considérer qu’il y a eu profit pour les contributeurs. Le terme bénéfice qu’on retrouve à l’article 1 de la Loi sur les valeurs mobilières [37] doit être interprété dans un contexte commercial et n’être pas différent de la notion de profit qu’on retrouve à la version anglaise de la loi. Le procureur de l’intimé conclut de ses recherches que :

·                le profit est une mesure de calcul comptable servant à évaluer les performances d’une compagnie et son exposition au risque fiscal;

·                un remboursement d’impôt ne peut être défini comme un profit ni considéré comme tel;

·                le profit est synonyme de revenu et est imposable; et

·                un crédit d’impôt est sans valeur économique; il peut résulter d’un bénéfice fiscal qui n’est en rien un profit.

[136]     Comparant les définitions anglaise et française du contrat d’investissement et utilisant de nombreuses définitions des dictionnaires, le procureur de Kenneth Battah soumet également qu’en matière commerciale et comptable, les mots « revenus » et « bénéfice » sont synonymes mais qu’ils sont aussi synonymes du mot « profit ». Il n’y a donc pas de distinction à établir avec ces mots lorsqu’ils sont utilisés dans la loi, d’autant qu’il estime que le mot bénéfice doit être interprété d’une façon étroite.

[137]     Considérant la notion d’interprétation qu’il a soumise pendant l’audience en citant l’œuvre de Pierre-André Côté [38] , si le tribunal ne retient pas que ces termes sont synonymes, la version anglaise, dont le sens est plus étroit, devrait être retenue plutôt que de retenir le sens plus large du mot bénéfice. Ce procureur soumet ensuite, jurisprudence à l’appui [39] , qu’un crédit d’impôt n’est ni un bénéfice ni un profit, face à une définition du profit qui est constante à cet égard. Il soumet que les causes de jurisprudence relatives à l’impôt sur le revenu sont à l’effet que les profits représentent les revenus auxquels on a soustrait les dépenses.

[138]     Il s’agit d’une règle de droit faisant que les remboursements d’impôts ne peuvent être considérés comme un profit puisqu’ils ne sont pas calculés sur la base du revenu moins les dépenses. Le remboursement d’impôt représente plutôt la récupération d’un excès d’impôt. Il soumet que la jurisprudence fiscale va dans ce sens car, «  la seule motivation réelle en l’espèce était le crédit d’impôt, qui ne peut servir à transformer l’opération en un risque de caractère commercial  » [40] . Il considère également que cette citation enlève la notion de risque de la définition du contrat d’investissement dans la loi et que, par conséquent, la stratégie de Synergy ne peut être ainsi considérée.

[139]     Pour le procureur de l’intimé, l’approche libérale empruntée par les tribunaux pour protéger le public en tenant compte des réalités économiques ne saurait être retenue. Cette approche a été adoptée en l’absence de définition légale du contrat d’investissement dans les lois d’alors. Puisque la loi québécoise contient une telle définition, cette approche n’est plus nécessaire. Si cette interprétation sert à inclure dans cette définition des instruments financiers qui ne rencontrent pas les principes du contrat d’investissement, la législation devient alors illusoire et sans effet.

[140]     Les causes de jurisprudence citées par l’Autorité énoncent des principes qui sont infondés et non-appuyés et qui n’ont pas été contestés jusqu’aujourd’hui alors qu’une pléthore de définitions et de jurisprudence fiscale sont au contraire. Cette approche semble avoir été suivie dans les décisions du Bureau mais ce dernier devrait interpréter les faits de la présente cause non pas à la lumière de ces principes ‘’libéraux’’ mais en interprétant le tout selon la doctrine et la jurisprudence qu’il a citées et donner à l’interprétation libérale un statut secondaire.

[141]     Le procureur de Kenneth Battah soumet que le Bureau devrait interpréter la loi au mérite pour savoir si elle est applicable aux circonstances de la présente cause. L’interpréter autrement serait intenable. Jurisprudence à l’appui [41] , il soumet qu’une interprétation restrictive doit être adoptée. Il cite une décision de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario [42] , qui rappelle le jugement dissident de l’honorable juge Laskin de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Pacific Coast Coin Exchange [43] auquel il avait fait référence dans sa plaidoirie [44] .

[142]     Il note que cette commission a alors dit que malgré l’interprétation large qu’on doit donner à la législation sur les valeurs mobilières, «  the construction of a statute must not so strain the words as to include cases plainly omitted from the natural meaning of the language  » [45] . Le procureur de l’intimé en vient donc à la conclusion que les règles générales d’interprétation dictent que la coentreprise de Synergy n’a pas émis de contrat d’investissement. Le risque commercial et le profit étant absents de la définition de cet instrument, il est impossible de conclure que les contributeurs à cette coentreprise ont souscrit à un contrat d’investissement avec IBCA pour obtenir un rabais fiscal.

[143]     Et puisque le procureur de l’Autorité aurait admis qu’un bénéfice fiscal n’est pas un impôt et que de plus, l’intimé n’aurait pas conduit des activités frauduleuses ou illégales en relation avec Synergy, cela prouverait plus avant que les prétentions de l’Autorité n’auraient pas été fondées.

                        Les notes et autorités de l’Autorité

[144]     En réponse aux notes du procureur de Kenneth Battah, le procureur de l’Autorité a fait parvenir les siennes au Bureau. Il rappelle d’abord qu’au Canada, seule la Loi sur les valeurs mobilières du Québec contient une disposition qui définit le contrat d’investissement; c’est pourquoi les commissions des autres provinces s’en sont remises aux tribunaux pour interpréter cette notion. La version française de cette loi parle de l’espérance de bénéfices alors que la version anglaise réfère à une «  expectation of profits  ». Ce procureur invite d’abord le Bureau à ne pas comparer les expressions anglaises profits et benefits .

[145]     Pour lui, l’interprétation doit se faire selon une méthode d’analyse contextuelle proposée par la Cour suprême du Canada [46] , c'est-à-dire en prenant en considération non seulement le sens ordinaire et grammatical des mots mais aussi l’esprit et l’objet de la loi ainsi que l’intention du législateur. Dans ses notes, il a donc révisé les objectifs de la Loi sur les valeurs mobilières , faisant appel aux causes qu’il avait citées tout au long de l’audience. Il évoque la protection des investisseurs et du fonctionnement du marché, invitant à une interprétation large qui tienne compte des réalités économiques.

[146]     Cette interprétation permettrait à la législation d’accomplir les buts pour lesquels elle a été adoptée, à savoir une divulgation complète et juste des faits relatifs à une émission [47] . Or, écrit-il, une interprétation plus restrictive aurait pour effet de restreindre indûment le champ d’application de la loi et d’en restreindre les objectifs. Il soumet, doctrine et jurisprudence à l’appui [48] , que le caractère fiscal attaché à une forme d’investissement pouvait parfois être le seul caractère auquel l’investisseur attachait de l’importance mais que cela ne lui ôtait pas le caractère d’un contrat d’investissement.

[147]     Et il en est de même dans les décisions des autres provinces, même s’ils s’en remettent en même temps aux critères de l’affaire Howey [49] . Le procureur de l’Autorité soumet qu’au Québec, les critères du contrat sont décrits au dernier alinéa de l’article 1 de la Loi sur les valeurs mobilières . Ces critères sont maintenant fermement établis et les tribunaux ont largement eu l’occasion de les commenter. Dans une recension exhaustive de la jurisprudence, il rappelle que les analyses faites par les tribunaux font en sorte que ces critères soient analysés les uns par rapport aux autres [50] , en prenant en considération les liens existant entre ces différents critères.

[148]     Le procureur de l’Autorité recommande l’analyse contextuelle préconisée par la Cour suprême dans l’affaire Bell ExpressVu [51] , en prenant en compte de l’esprit et l’objet ainsi que l’intention du législateur. Il a ensuite révisé l’objet de la loi et l’intention du législateur. Il a aussi révisé le sens ordinaire des mots en ce qu’il touche le bénéfice ou le profit, pour ensuite réviser la jurisprudence québécoise dans les cas ou les profits d’un contrat d’investissement étaient un avantage fiscal [52] . Il soumet que ces diverses décisions confortent la position de l’Autorité selon laquelle le fond l’emporte sur la forme.

[149]     Il soumet également que seule une analyse d’une transaction dans son ensemble permet de bien en ressortir les critères. Décision albertaine à l’appui, il plaide que le fait de donner une autre nature à un contrat d’investissement ne lui fait pas perdre son assujettissement à la loi :

« In my opinion, once an agreement contains provisions for investment, the fact these provisions have been intermixed and intermingled with provisions relating to non investment matters does not exempt the resulting contract from the provisions of the Securities Act . The Act may not be so easily avoided. The Securities Act is remedial legislation and should interpreted as such. It does not absolutely prohibit transactions such as the one at bar, but requires that they be approved first for the public protection. The investment of monies in this case is a substantial if not the predominant element in the arrangement. An investment contract, by being burdened with non-investment provisions, cannot be so discussed as to lose its identity. » [53]

[150]     Le procureur de l’Autorité s’emploie ensuite à décortiquer l’arrêt Howey de la Cour suprême des États-Unis [54] ; cette cour y définit le contrat d’investissement puisque la loi ne contenait pas de définition [55] . C’est ensuite qu’elle a déterminé qu’il fallait que le fond l’emporte sur la forme et qu’il fallait s’attarder à la «  réalité économique  » du plan proposé à l’investisseur alors que «  form was disregarded for substance, and emphasis was placed upon economic reality  » [56] . Il soumet que ce principe est maintenant fermement établi dans le droit des valeurs mobilières et a été repris par les tribunaux canadiens et québécois.

[151]     Le procureur de l’Autorité s’emploie ensuite à réviser comment les tribunaux ont pu interpréter la notion de profit; il appert qu’un profit pouvait ne pas être tant un gain monétaire direct mais un accroissement du revenu ou du patrimoine de l’investisseur. Il soumet tout particulièrement une décision de la Cour suprême de l’état d’Hawaii, State of Hawaii v. Hawaii Market Center Inc. [57] dans lequel des investisseurs participaient à un système pyramidal, pouvant jusqu’à obtenir un emploi au sein de l’entreprise. La cour a alors déterminé que «  The subjection of an investor’ money to the risk of an enterprise over which he exercises no managerial control is the basic economic reality of a security transaction [58] .

[152]     L’investisseur en retient une compréhension raisonnable d’obtenir un bénéfice valable d’un certain genre. Cela a donné lieu à ce qui est qualifié de «  risk capital test  », ce qui aurait permis d’étendre la notion du contrat d’investissement pour la rendre applicable à des plans dont les avantages étaient essentiellement de nature fiscale. Le procureur de l’Autorité en déduit que la notion du profit qui résulte d’un contrat d’investissement n’est pas restreinte, afin de permettre à la législation d’atteindre ses objectifs. Elle peut ainsi s’appliquer au plus grand nombre de situations. C’est pourquoi, continue-t-il, les cours ont évité une définition étroite des profits :

« They have recognized securities sales even where the promised benefits to the offeree were indirect, arising from an anticipated increase in the value of the property received, rather than direct payments from the offeror. » [59]

[153]     Le procureur de l’Autorité en vient à traiter des cas où les tribunaux ont répondu au test développé dans l’affaire Howey , et aux États-Unis et au Canada, là où les lois ne précisent pas les modalités du contrat d’investissement. Se fiant sur cet arrêt, les tribunaux ont accepté de considérer un avantage fiscal comme un profit, ce qui pour le procureur de l’Autorité élargit le sens plus large accordé à cette notion. Il est donc clair qu’un avantage fiscal ou une expectative d’avantage fiscal est une expectative de profit en général [60] . Comme l’écrit ce procureur, une expectative de voir son fardeau fiscal réduit est assimilable à une expectative de profits.

[154]     Enfin, le procureur de l’Autorité soumet que les mots «  profits  » en anglais et «  bénéfice  » signifient la même chose, soit un gain ou avantage résultant de la participation à une affaire. C’est parce que ces deux termes on un sens commun qu’ils ont été choisis dans la loi. Il conclut en déclarant que le plan proposé par Synergy est un contrat d’investissement, même si les bénéfices escomptés ne sont que de nature fiscale.

L’ANALYSE

            la présence d ’un contrat d’investissement

[155]      Dans le présent dossier, le débat tourne essentiellement autour de la présence ou non d’un contrat d’investissement. Cela est d’autant plus important que la compétence du Bureau dépend de la présence de cette forme d’investissement décrite à l’article 1 de la Loi sur les valeurs mobilières . Pour le procureur de l’Autorité, le produit vendu est un tel contrat et le Bureau doit confirmer sa décision initiale de manière à ce que l’intimé Kenneth Battah reste sous le coup de l’ordonnance du Bureau qui lui interdit d’exercer toute opération sur valeurs et d’exercer l’activité de conseiller.

[156]      Le procureur de Kenneth Battah plaide au contraire que les instruments vendus aux contributeurs ne sont pas des contrats d’investissement. Si tel était le cas, le Bureau n’aurait pas juridiction dans cette cause et ses ordonnances d’interdictions devraient être cassées. Or, les tribunaux canadiens ont largement développé depuis plusieurs années la notion de la réalité économique pour juger des projets qu’on vend à des personnes qui désirent engranger un profit.

La réalité économique

[157]      La Cour suprême du Canada a, dans l’arrêt Pacific Coast Coin Exchange , déjà évoqué [61] , statué que la Loi sur les valeurs mobilières était une loi d’ordre public qui visait à protéger les investisseurs et assurer le bon fonctionnement des marchés financiers; cela est accompli en encadrant les personnes qui travaillent dans ce marché et en assurant que tous ceux qui s’y regroupent aient à leur disposition des informations claires et complètes qui leur permettront de prendre des décisions d’investissement éclairées :

« J’ai fait allusion au but de la législation. Il s’agit nettement de la protection du public, comme l’a déclaré le juge Hartt dans Re Ontario Securities Commission and Brigadoon Scotch Distributors (Canada) Limited , à la p. 717:

[TRADUCTION]… The Securities Act, 1966, vise principalement… à protéger le public investisseur en exigeant la divulgation claire, complète et honnête de tous les faits pertinents aux valeurs mobilières émises. » [62]

[Référence omise]

[158]      C’est pourquoi cette même cour a considéré qu’il fallait donner aux termes de cette loi une interprétation qui soit large et libérale; cela lui permet d’atteindre ses objectifs de protection des investisseurs et d’encadrement des marchés financiers. Devant déterminer si un produit offert était un « contrat de placement », connu plus tard sous le nom de contrat d’investissement, et s’appuyant lourdement sur le droit américain, la cour a alors prononcé des paroles qui ont pris un caractère fondamental en matière d’interprétation de cette loi :

« On doit donner à ce genre de législation protectrice une interprétation large qui tienne compte des réalités économiques qu’elle vise. L’élément décisif est le fond et non la forme. Comme on l’a souligné dans Tcherepnin v. Knight , à la p. 336:

[TRADUCTION]… en cherchant la signification et la portée de l’expression «valeurs mobilières» dans la Loi, le fond doit l’emporter sur la forme et l’accent doit être mis sur la réalité économique.

Dans la recherche du sens véritable de l’expression «contrat de placement», il faut aussi penser à un autre principe important. Comme l’a souligné la Cour suprême des États-Unis dans SEC v. W.J. Howey Co., une définition doit permettre (à la p. 299):

[TRADUCTION]… à la législation d’atteindre son but, savoir rendre obligatoire la divulgation complète et juste des faits relatifs à l’émission «des divers types d’effets qui, dans le commerce, entrent ordinairement dans la notion de valeurs mobilières»… Elle contient un principe souple plutôt que statique, capable de s’adapter aux innombrables plans employés par ceux qui cherchent à utiliser l’argent des autres en leur promettant des profits.

Cela ne signifie pas que la législation vise uniquement les plans qui sont effectivement frauduleux; elle a plutôt trait aux accords qui ne permettent pas aux clients de connaître exactement la valeur de leur investissement.  » [63]

[Références omises]

[159]      Le procureur de Kenneth Battah a invité le Bureau à retenir plutôt les motifs de dissidence que le juge Laskin de la Cour suprême a énoncés dans cette décision. Mais le Bureau se doit d’aller vers le jugement majoritaire de cette cour.

[160]      Cette règle énoncée par la Cour suprême du Canada est ensuite devenue cardinale en matière d’interprétation du contrat d’investissement dans les lois canadiennes. Plusieurs tribunaux l’ont adoptée. Contrairement à ce qu’affirme le procureur de l’intimé, elle reste encore aujourd’hui d’actualité et, comme l’a indiqué le procureur de l’Autorité, une interprétation plus restrictive pourrait avoir pour effet de restreindre indûment le champ d’application de la Loi sur les valeurs mobilières et aller à l’encontre de ses objectifs.

la présence d ’une définition du contrat d’investissement

[161]      Le procureur de l’intimé a plaidé que seule la loi québécoise sur les valeurs mobilières contient une définition du contrat d’investissement. Il invite donc le Bureau à distinguer la situation actuelle d’avec le jugement de la Cour suprême qui n’était pas dans le contexte d’une définition précise. Or, la Cour d’appel du Québec a souligné dans la décision Infotique Tyra inc . [64] que «  l’existence de définition plus précise dans la loi ne peut avoir pour effet d’en limiter indûment l’application, sans égard aux objectifs premiers recherchés par la législateur; une définition doit toujours être comprise de façon à permettre à la législation d’atteindre son but  » [65] .

[162]      La Cour d’appel du Québec a rejeté la prétention selon laquelle la présence de la définition du contrat d’investissement dans la Loi sur les valeurs mobilières du Québec viendrait limiter la portée des principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Pacific Coast Coin Exchange . Dans l’affaire Infotique Tyra Inc. , les appelants plaidaient qu’en l’absence de définition dans la loi, on doit avoir une interprétation large de cette notion. Mais jamais ce jugement n’avait mentionné qu’il devrait y avoir une interprétation large quand cette définition est incluse dans cette loi [66] .

[163]      La Cour d’appel a répondu que «  retenir une telle prétention équivaudrait à déformer les principes posés par la Cour suprême  » [67] . Le tribunal estime que cette décision prend soin de la prétention de l’intimé Kenneth Battah selon laquelle la présence d’une définition du contrat d’investissement dans la loi québécoise fait que l’approche libérale de la Cour suprême n’était pas nécessaire. Rappelons de plus que la Cour du Québec avait opiné dans le même sens dans le dossier Louis Catala [68]  :

« L’accusé fait valoir que les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Pacific Coast Coin Exchange c. CVMO ne doivent pas s’appliquer compte tenu du fait que cette décision est rendue alors que la Loi ne prévoit pas de définition du contrat d’investissement, alors que la nouvelle Loi entrée en vigueur en 1983 le définit de façon précise. L’ancienne loi fait référence au contrat de placement mais n’en donne aucune définition. C’est d’ailleurs pour cette raison que la Cour suprême doit, en s’inspirant de la jurisprudence américaine, énoncer les critères d’interprétation du contrat de placement.

Si le droit sur cette question était incertain, il ne l’est plus depuis que la Cour d’appel a rendu un arrêt clé en la matière. […] le but de la loi n’a pas changé soit la protection du public et que l’existence de définition plus précise dans la Loi ne peut avoir pour effet d’en limiter indûment l’application sans égard aux objectifs premiers recherchés par le Législateur. Le juge Delisle ajoute qu’une définition doit toujours être comprise de façon à permettre à la législation d’atteindre son but. » [69]

[164]      Il appert que l’approche libérale développée par la Cour suprême du Canada, telle qu’inspirée de décisions américaines, a été maintes fois reprise dans le droit canadien et a acquis une valeur cardinale dans l’interprétation du droit des valeurs mobilières de ce pays, contrairement à ce qu’affirme le procureur de l’intimé. Il invite plutôt le tribunal à ne pas la retenir parce qu’elle serait soi-disant dépassée et n’aurait qu’un statut secondaire. Cette approche a été au contraire largement retenue et réitérée, y compris dans des décisions prononcées par le Bureau [70] .

La définition du contrat d’investissement

[165]      Tel que mentionné plus haut, le contrat d’investissement est désigné comme une forme d’investissement à laquelle la Loi sur les valeurs mobilières s’applique, tel que prévu à l’article 1 de cette dernière; le dernier alinéa de ce même article en fournit une définition détaillée :

« 1 .  La présente loi s'applique aux formes d'investissement suivantes:

[…]

 7° un contrat d'investissement;

[…]

Le contrat d'investissement est un contrat par lequel une personne s'engage, dans l'espérance du bénéfice qu'on lui a fait entrevoir, à participer aux risques d'une affaire par la voie d'un apport ou d'un prêt quelconque, sans posséder les connaissances requises pour la marche de l'affaire ou sans obtenir le droit de participer directement aux décisions concernant la marche de l'affaire. »

[166]      Cette définition comprend de nombreux éléments qu’il convient d’énumérer un à un :

1)         un contrat par lequel une personne s’engage;

2)         dans l’espérance du bénéfice qu’on lui a fait entrevoir;

3)         à participer aux risques d’une affaire par la voie d’un apport ou d’un prêt quelconque;

4)         sans posséder les connaissances requises pour la marche de l’affaire ou;

5)         sans obtenir le droit de participer directement aux décisions concernant la marche de l’affaire.

                      La méthode d’analyse du contrat d’investissement

[167]      S’appuyant encore sur l’arrêt Infotique Tyra Inc. , le procureur de l’Autorité a soumis au Bureau que la méthode d’analyse préconisée par la jurisprudence est d’étudier les susdits critères les uns par rapport aux autres, concevoir le plan proposé comme un tout et le voir dans sa globalité pour déterminer si on y retrouve chacune des caractéristiques qui définissent le contrat d’investissement et non pas s’y attarder de façon isolée :

« Il ressort clairement de ce jugement que la juge Piché n’a pas isolé chacun des éléments de la définition du contrat d’investissement mais les a considérés dans leur ensemble, sous l’éclairage du but poursuivi par la Loi. » [71]

[168]      C’est ce que le Bureau entend faire ci-après.

                         L’existence d’un contrat

[169]      Le premier critère suppose la présence d’un contrat par lequel une personne s’engage. Or, tant les témoignages entendus en audience que la preuve documentaire permet au Bureau de constater que les contributeurs (puisque c’est comme cela que l’intimé les appelait) ont signé chacun trois ententes avec Synergy prévoyant l’acquisition de parts à la valeur unitaire de 1 000 $. Quelle que soit la qualification qu’on leur accorde, il appert que ces personnes sont contractuellement liées avec Synergy.

[170]      Pour l’Autorité, les contributeurs s’engageaient avec cette société. Ils ne connaissaient d’ailleurs pas qui était IBCA; c’est ce dont ils ont témoigné car, pour eux, c’était Synergy qui était dans le portrait. C’est avec cette dernière qu’ils ont signé les trois ententes, ce sont des parts de Synergy qu’ils achetaient, c’est à l’ordre de cette dernière qu’ils libellaient leurs chèques. Cette société encaissait les chèques et en confirmait la réception. Ces faits pointent tous dans la même direction; Synergy et les contributeurs sont en relation contractuelle dans cette affaire.

[171]      C’est entre eux que les affaires se passent; c’est la réalité économique à laquelle faisait référence la jurisprudence évoquée plus haut. D’autres entités peuvent avoir participé à cette affaire mais les investisseurs en ignorent presque tous l’existence, comme ils ne connaissent pas les PME dans lesquelles leur agent était investi. La réalité des choses se passe entre eux et Synergy; c’est cette réalité que retient le tribunal.

La notion de bénéfice

            Le bénéfice fiscal

[172]      La définition du contrat d’investissement fait ensuite référence au bénéfice qu’on a pu faire entrevoir aux contributeurs dans le présent dossier. C’est même là le nœud de l’histoire. L’intimé Kenneth Battah s’est démené énergiquement pour affirmer que l’avantage fiscal dont les contributeurs faisaient l’acquisition n’est pas un bénéfice; le vice-président de Synergy a témoigné au même effet. Un avantage fiscal ne peut être qualifié de bénéfice, disent-ils.

[173]      Or, la jurisprudence abondante est claire à ce sujet. Le bénéfice prévu à la loi peut être de nature fiscale. Les contributeurs auprès de Synergy déboursaient leur argent pour déduire des pertes d’entreprise dans les déclarations d’impôt qu’ils ont remises aux agences du revenu canadienne et québécoise. Or, dans la décision Infotique Tyra Inc. , la Cour d’appel du Québec a conclu que des plans offrant un avantage fiscal à titre de bénéfice étaient bel et bien des contrats d’investissement [72] .

[174]      Dans la décision Michel Dion , la Cour du Québec avait d’abord constaté que «  [les] deux principaux témoins entendus au cours de la preuve de la poursuite, […], étaient désireux de réduire leur impôt et étaient pour cette raison, à la recherche d’un abri fiscal.  » [73] . La cour a ensuite déterminé que «  [les] bénéfices d’ordre fiscal envisagés par les deux souscripteurs ont été clairement établis au cours de leurs témoignages  » [74] .

[175]      Dans le dossier Serge Brodeur [75] , la Cour du Québec s’est penchée sur un projet de recherche en matière d’intelligence artificielle visant à fournir un abri fiscal aux membres d’une société. La cour a reconnu être en présence d’un contrat d’investissement et, traitant de la notion de bénéfice, a déterminé que «  [l] ’investisseur s’attend à un bénéfice à tout le moins constitué d’un avantage fiscal  » [76] .

[176]      Dans les dossiers Corporation Première Équité A.C.P. Inc. [77] et Biolux Labs Inc. [78] , la Commission des valeurs mobilières du Québec a déterminé que les produits présentés au public par les promoteurs, soit des abris fiscaux, étaient des contrats d’investissement soumis à l’application de la Loi sur les valeurs mobilières . Il en fut de même dans la décision Commission des valeurs mobilières du Québec c. Geyser Informatics Inc. [79] , tout comme dans une décision relative à Marc Binette [80]   :

« Il s’agit de projets de recherche comportant des avantages fiscaux importants pour les investisseurs qui adhèrent à des sociétés en nom collectif dont ils ignorent les mécanismes de fonctionnement. » [81]

[177]      Dans la décision Louis Catala [82] , la Cour du Québec a déterminé que :

« Les sociétés en nom collectif ci-haut mentionnées offrent aux personnes désireuses de diminuer leur fardeau fiscal de participer à des projets de recherche en souscrivant des parts dans l’une ou l’autre de ces sociétés. […] La véritable motivation des investisseurs réside dans les avantages fiscaux rattachés à ce genre d’investissement et tous d’ailleurs sont satisfaits du rendement obtenu par leurs placements. » [83]

[178]      Dans la décision Normand Lassonde c. Commission des valeurs mobilières du Québec [84] , la Cour d’appel du Québec a souligné que «  [this] enabled the investor to receive certain income tax credits that ultimately yielded a reduction in income tax payable, or a refund of income taxes already paid  » [85] . Dans ce dossier, le produit vendu fut reconnu comme un contrat d’investissement.

[179]      Cela fut également reconnu aux États-Unis où des auteurs ont pu écrire :

« Subsequent lower courts opinions have correctly held that « the prospect of tax benefits resulting from initial losses does not necessarily detract form an expectation of profits ». Similarly, the promotion of an investment « largely for tax advantage » has been found to provide an expectation of profits. » [86]

[180]      Le procureur de l’Autorité a soumis une abondante jurisprudence américaine selon laquelle des bénéfices fiscaux peuvent tenir lieu de profits dans la définition d’un contrat d’investissement. Ainsi dans l’arrêt S.E.C. v. Goldfield Deep Mines Co. of Nevada [87] , une cour fédérale américaine s’est penchée sur un cas où des investisseurs avaient participé à un programme d’achats miniers dont le bénéfice était une diminution de fardeau fiscal. Elle a déclaré :

« Appelants argue that since the one purchase program was promoted primarily for the tax benefits which would accrue as a result of anticipated initial losses, there existed no expectation of profits. However, the prospect of tax benefits resulting from initial losses does not necessarily detract from an expectation of profits. […] possibility of initial tax losses does not compel a conclusion that investors had insufficient expectation of eventual profit to meet the reasonable expectation of profit requirement); […] (expectation of profit requirement was met even though investment was promoted largely for its tax benefits). » [88]

(Références omises)

[181]      Dans l’arrêt Sharp v. Coopers and Lybrand [89] , la cour a déclaré que «  [the] plan’s main attraction was the investor’s ability to deduct twice the amount invested from their federal income tax returns in the first year of investment  » [90] . De toutes ces décisions canadiennes et américaines découle la certitude pour le Bureau qu’une déduction fiscale peut constituer le bénéfice qu’on fait entrevoir à un investisseur potentiel qui est décrit à la définition du contrat d’investissement qu’on retrouve dans la Loi sur les valeurs mobilières .

[182]      Les témoins de l’intimé Kenneth Battah ont affirmé qu’une déduction fiscale de pertes d’entreprise ne peut être un contrat d’investissement; elle ne peut constituer le bénéfice qu’on fait entrevoir à un investisseur, ont-ils affirmé, tout comme l’avocat de l’intimé. Le vice-président de Synergy a même témoigné que sa compagnie s’était fiée à une opinion juridique, dont le tribunal n’a d’ailleurs pas vu la couleur, selon laquelle un avantage fiscal ne constitue pas un bénéfice. Mais la jurisprudence citée plus haut est clairement au contraire.

Le bénéfice ou le profit

[183]      Le procureur de l’intimé a également plaidé que dans la définition du contrat d’investissement, il y avait une différence entre la version anglaise et la version française de la Loi sur les valeurs mobilières . Puisque la version française parle de bénéfice, alors que la version anglaise réfère aux «  profits  », il a soumis que les règles d’interprétation font que la version dont le sens est plus restreint devrait être choisie. Pour ce procureur, le mot anglais «  profit  » a un sens plus limité et devrait être celui qu’on utilise.

[184]      Et puisqu’un remboursement d’impôt n’est pas un profit, il a soumis qu’il ne saurait y avoir ici de contrat d’investissement. Dans ses notes, le procureur de l’intimé a plaidé que l’approche libérale empruntée par les tribunaux ne saurait être retenue, vu la présence dans la loi québécoise de la définition d’un contrat d’investissement. Or, on sait le sort que la Cour d’appel du Québec a réservé à cette interprétation particulière dans la cause Infotique Tyra Inc. évoquée plus haut.

[185]      Le Bureau ne peut que retenir l’interprétation libérale énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Pacific Coast Coin Exchange selon laquelle il faut donner à la Loi sur les valeurs mobilières une interprétation large et libérale, de manière à ce que le fond l’emporte sur la forme, une démarche qui tient compte des réalités économiques, le tout permettant de mieux atteindre l’objectif de la protection des investisseurs.

[186]      Il en vient donc à rejeter la thèse de l’intimé pour une interprétation plus limitée du mot bénéfice. Ce dernier mot doit s’entendre d’un avantage ou d’un gain qu’on retire de sa participation à une affaire, mais le tout en relation avec les autres critères du contrat d’investissement, tel qu’expliqué plus haut dans la présente décision.

La participation aux risques d’une affaire

[187]      Le troisième critère de la définition du contrat d’investissement est le fait de participer aux risques d’une affaire par la voie d’un apport ou d’un prêt quelconque. Ici, la notion de l’apport ne fait pas problème. Les contributeurs ont versé à Synergy des montants en échange de parts de cette société, à raison de 1 000 $ la part. Il ne fait pas de doute qu’il y a un apport monétaire direct. Le point important est de savoir en quoi consiste l’ «  affaire  ».

La définition de l’affaire

[188]      Or, l’ancienne Commission des valeurs mobilières a, dans ses décisions, clairement cerné les contours de ce que peut être l’affaire à laquelle réfère la définition du contrat d’investissement. Dans la décision Corporation Première Équité A.C.P. Inc. [91] , cet organisme avait alors déterminé :

« L’affaire, c’est l’ensemble des étapes qui constituent un plan, un programme complet d’investissement en commun dans un projet ou une entreprise quelconque. Dissocier l’une ou l’autre de ces étapes complémentaires, ce serait en éluder la réalité économique, en vider la substance. » [92]

[189]      Ultérieurement, la Commission a développé ce concept :

« L’affaire, c’est l’ensemble des étapes qui constituent un plan, un programme complet d’investissement en commun dans un projet ou une entreprise quelconque. Ici, l’affaire porte sur un projet de recherches fondamentales et expérimentales sur un système informatique de prévisions des dérèglements cardiaques.

La « marche de l’affaire » et son succès financier, ne dépend pas que des seuls résultats scientifiques, mais aussi de la qualité de chacune des étapes nécessaires, soit la conception à la planification, la structure financière, juridique et fiscale, l’obtention des fonds, l’organisation et le contrôle du projet et la commercialisation éventuelle. » [93]

[190]      La définition de l’affaire est très utile quand vient le temps de se pencher sur les deux derniers critères de la définition du contrat d’investissement, à savoir le degré de participation d’un investisseur à la gestion de l’affaire ainsi que son degré de connaissances pour le faire. Mais, à la présente étape, il nous suffit de dire que le Bureau estime être bel et bien en présence d’une affaire, soit une société qui vend des parts à des investisseurs. L’argent de ces parts est ensuite remis à une entité qui redirige les montants investis vers des PME en difficultés, de manière à ensuite rediriger leurs pertes fiscales d’entreprises vers les contributeurs initiaux.

[191]      Ces derniers déduisent ces pertes dans leurs rapports d’impôt déposés auprès des agences du revenu québécoise et canadienne. En définitive, quand tout va bien, cela permet à ces investisseurs de recevoir un remboursement d’impôt substantiel ou, exceptionnellement, de toucher un revenu sur leurs parts. Mais existe le risque que ces agences du revenu refusent la déduction demandée, recotisent les contributeurs, ceux-ci se retrouvant Gros Jean comme devant puisque leurs investissements ne leur auraient pas rapporté les montants sur lesquels ils comptaient.

[192]      C’est ce qui est arrivé puisque tous les investisseurs qui ont témoigné devant le Bureau ainsi que ceux dont le Bureau a entendu parler ont été ainsi recotisés, ce qu’ils contestent maintenant devant les tribunaux. Au moment de l’audience, les contributeurs n’avaient donc réalisé aucun gain et étaient à risque de perdre leurs mises de fond respectives.

[193]      Puisque le simple fait que la déduction fiscale puisse ne pas être accordée et les contributeurs recotisés suffit à faire dérailler tout le montage de Synergy, le tribunal peut en conclure que la notion de risque est largement présente dans le présent dossier, d’autant plus que l’intimé a lui-même reconnu que les contributeurs connaissaient ces risques. Par conséquent, le tribunal détermine qu’il y a dans le présent dossier participation, risques, affaire et apport, éléments correspondant au troisième critère de la description du contrat d’investissement dans la Loi sur les valeurs mobilières .

Les connaissances requises et la participation directe à la marche de l’affaire

            La participation directe à la marche de l’affaire

[194]      Les deux derniers critères du contrat d’investissement s’analysent d’une manière alternative. En fonction de ceux-ci, il y aura contrat d’investissement, soit parce qu’une personne ne possède pas les connaissances requises pour la marche de l’affaire, soit qu’elle ne peut obtenir le droit de participer directement aux décisions concernant la marche de cette même affaire. Ces critères tournent autour de la notion de l’ «  affaire  » évoquée un peu plus haut dans la présente décision.

[195]      Or, tel qu’indiqué plus haut dans cette décision, l’affaire comprend toutes les étapes qui vont de sa création à son accomplissement. Il s’agit de la concevoir, de la planifier et de la structurer d’un point de vue financier, juridique et fiscal. Il faut obtenir des fonds, créer l’abri fiscal, contrôler le fonctionnement de l’entreprise, pour pouvoir ensuite aller vers les investisseurs potentiels. Pour ce faire, il faut embarquer dans le train avant qu’il ne sorte de la gare centrale et non pas y monter au cinquième arrêt.

[196]      Obtenir le droit de participer directement aux décisions concernant la marche de l’affaire suppose qu’un investisseur ait participé à toutes les étapes de celle-ci et non qu’il se contente d’acheter des parts et de s’intéresser de loin à son fonctionnement, après son investissement. Le contributeur ne peut se contenter d’être passif, mais doit également s’impliquer activement dès le début de l’affaire et non seulement à partir du moment où il a déboursé son investissement.

[197]      Une simple intervention ponctuelle ne qualifie pas l’investisseur, comme le disait la Commission des valeurs mobilières dans la décision Biolux  :

« Le présent cas est très clair. Les personnes sollicitées qui désirent souscrire à l’investissement proposé accordent un mandat individuel complet et sans restriction à Biolux pour l’exécution d’un contrat de recherche qui fait partie intégrante d’un plus vaste projet. Leur seule participation dans l’affaire sera limitée à remplir certains questionnaires et à évaluer progressivement les travaux en cours; même sur ce point ils n’auront aucun pouvoir décisionnel, individuel ou collectif.

En réalité, ils ne reçoivent ou ne conservent aucun droit de participer directement à quelque décision concernant toute la marche de l’affaire. Leur seul droit est d’adhérer ou non au projet tel que conçu et représenté, et de confier un mandat absolu à Biolux; en conséquence, ils confient leur apport à Biolux et doivent se fier entièrement à son habileté pour coordonner et gérer toute la marche de l’affaire et prendre toutes les décisions.

Au surplus, les témoins ont exprimé leur désir non équivoque de ne jouer qu’un rôle passif; ils ont investi dans un abri fiscal et, pour le reste, ont accordé un mandat absolu à Biolux, assumant passivement le risque que les résultats éventuels et la gestion de l’affaire par Biolux leur rapportent des bénéfices. » [94]

[198]      La moindre chose que le tribunal peut constater est que la situation dans le présent dossier ressemble en grande partie à celle qui est décrite dans cette décision. Selon la preuve de l’Autorité, les contributeurs se sont contentés d’acheter des parts de Synergy et d’attendre leurs déductions fiscales. Selon les témoignages entendus en audience, ils savaient que l’argent qu’ils versaient servirait à financer une PME et que cela leur permettrait de déduire les pertes de ces dernières de leurs revenus dans leurs rapports d’impôt.

[199]      Mais ils ne connaissaient pas quelles étaient ces sociétés. En fait, ils n’en avaient pas la moindre idée et jamais, au grand jamais, n’ont-ils participé à la gestion de cette affaire au point de contribuer à la recherche de ces PME dont ils déclaraient pourtant les pertes dans leurs rapports d’impôt. Pourtant, l’achat des parts de Synergy avait lieu avant ces choix et ils auraient eu le temps d’y participer après les transactions d’achat. Mais cela ne semble pas les avoir intéressés. Ils n’étaient pas non plus informés de leur identité, et cela même s’ils étaient appariés avec ces dernières. Selon le vice-président de Synergy, ils auraient pu les connaître, mais aucun investisseur n’y a été intéressé.

[200]      On peut difficilement dire que cela dresse le portrait d’investisseurs qui ont obtenu le droit de participer directement aux décisions concernant la marche de cette affaire. Ils en sont en fait à des années lumières. Pour un témoin, les contributeurs ne participaient pas à la gestion du projet. Ils adhéraient plutôt à une stratégie fiscale, un processus auquel ils ne pouvaient rien changer. Et ils n’avaient pas contribué à sa conception, ce qui nous ramène à la définition de l’affaire, déjà évoquée.

[201]      De toute manière, peu informés des détails de l’affaire, on s’imagine difficilement comment ils auraient pu la gérer. Lorsque l’intimé leur a parlé du projet, il n’a pas remis de documentation. Ils n’ont eu droit qu’à une présentation sur un écran d’ordinateur. Ici, les témoignages ne concordent pas. Les investisseurs qui ont témoigné n’ont vu qu’une page sur un écran d’ordinateur, page qui a été déposée en preuve. Kenneth Battah a plutôt témoigné avoir fait une présentation Power Point d’un peu plus de 20 pages sur écran d’ordinateur; cela aurait duré une heure.

[202]      Quelle que soit la version réelle, ce n’est pas cette information qui pouvait mener les contributeurs sur la voie d’une participation à la gestion de l’affaire. Ils n’ont pas vu le moindre état financier. D’ailleurs, selon l’enquêteuse de l’Autorité aucun état financier n’a jamais été préparé. Et puis l’intimé était lui-même remarquablement peu informé. Quand il est allé à Toronto pour s’enquérir du projet de Synergy, il a reconnu ne pas avoir reçu de documentation des promoteurs du projet, ni états financiers ni avoir vu les livres comptables du projet.

[203]      Puis, tout au long de son témoignage, il a souvent éludé sa réponse aux questions, préférant les référer au vice-président de Synergy et reconnaissant à l’occasion ne pas connaître les réponses demandées. Cela fait qu’il n’était pas particulièrement informé de la nature du projet qu’il était prêt à vendre à des investisseurs potentiels. Par conséquent, le Bureau estime n’être guère en présence de contributeurs invités à participer à la gestion de l’affaire alors qu’eux et l’intimé sont si mal informés.

Les connaissances requises pour la marche de l’affaire

[204]      Puis, selon ces circonstances, ces investisseurs ne possèdent pas non plus les connaissances requises pour la marche de l’affaire. Un seul d’entre eux, comptable de son état, semble avoir saisi les concepts en jeu. Les autres savaient qu’ils participaient à une stratégie fiscale destinée à leur sauver de l’impôt, mais guère plus. Même Kenneth Battah semblait avoir certaines difficultés à détricoter ces concepts. Le Bureau s’étonne d’ailleurs qu’une personne qui à deux reprises a fait faillite pour impôts non payés se mêle ensuite de refiler des abris fiscaux à des investisseurs.

[205]      Les contributeurs savaient tout au plus que leur argent serait avancé à une PME et qu’ils profiteraient des pertes de celle-ci. Mais ils ignoraient tout de son identité et de ses activités et ne semblaient pas intéressés à les connaître, selon le vice-président de Synergy même. Il est également à noter que l’enquêteuse de l’Autorité, qui a rencontré plusieurs des 22 investisseurs québécois dans Synergy, a témoigné que peu d’entre eux ont vraiment pu lui expliquer le processus par lequel leur investissement et les pertes envisagées pouvaient ensuite représenter 5 fois le capital qu’ils avaient investi.

[206]      Si on ajoute cela aux renseignements qu’ils ont reçus, ou plutôt qu’ils n’ont pas reçus, le Bureau ne peut qu’en conclure que les investisseurs ne possédaient pas les connaissances requises pour la marche de l’affaire. Tout cela nous ramène plutôt à cette notion de «  gens ordinaires  » à laquelle faisait référence la jurisprudence citée par l’Autorité [95] . La définition large qu’on donne au contrat d’investissement permet justement d’étendre la protection prévue à la loi à ces mêmes personnes, surtout quand on constate qu’elles n’ont pas les connaissances requises pour la gestion de l’affaire ou qu’elles ne peuvent participer à sa gestion.

[207]      Tout cela fait que tous les critères qui composent le contrat d’investissement dans ce dossier sont réunis et que, par conséquent, le Bureau en conclut que Kenneth Battah a bel et bien vendu cette forme d’investissement à 22 investisseurs québécois, pour un montant de plus de 206 000 $. Le Bureau avait donc compétence pour se pencher sur cette affaire et prononcer la décision ex parte du 19 septembre 2008. Les produits vendus par Kenneth Battah aux contributeurs sont bel et bien des contrats d’investissement, une forme d’investissement assujettie à la loi.

[208]      Si on analyse les uns par rapport aux autres les divers éléments de cet investissement, tels qu’envisagés dans leur globalité, la vente des parts de Synergy, les mandats donnés à Synergy, Integrated et IBCA, le transfert des sommes d’argent à des PME, le transfert des pertes d’entreprise, et même de revenus, aux contributeurs, cela constitue les éléments d’un montage financier. Ce montage financier se traduisait en une stratégie fiscale permettant aux gens qui y contribuaient par l’achat de parts de Synergy de leur transférer des pertes d’entreprises.

[209]      Les investisseurs pouvaient ensuite déduire ces pertes de leurs revenus; selon le vice-président de Synergy, c’est comme cela que les contributeurs récupéraient leur capital. Le bénéfice qu’ils retiraient de cette opération était une diminution d’impôt, tel que la jurisprudence citée l’a amplement démontré. Mais ces investisseurs encouraient tout de même le risque que les agences de revenu refusent la déduction de ces pertes. Il ne s’agissait pas d’un risque très hypothétique puisque tous les investisseurs entendus se sont vus refuser ces déductions, ont été recotisés et contestent actuellement ces recotisations.

[210]      Il appert également que ces personnes ne possédaient pas les connaissances requises pour la marche de ce montage et qu’elles ne pouvaient pas également participer à sa gestion. Puisqu’elles se sont tous engagées contractuellement, qu’elles ont toutes versé leur apport, qu’elles pouvaient en retirer un bénéfice et qu’elles ont participé aux risques que ce montage entraînait, il n’existe pas de doute dans l’esprit des membres soussignés que le susdit montage financier qui résultait en vente de parts de Synergy constituait la vente de contrats d’investissement.

Le placement ill é gal et l’absence d’inscription

[211]      Or cette vente a eu lieu sans que les promoteurs aient préparé le prospectus requis et sans qu’ils aient obtenu un visa de l’Autorité, tel que requis en vertu de l’article 11 de la Loi sur les valeurs mobilières . Il appert également que cette vente a eu lieu sans que l’intimé Kenneth Battah ne soit inscrit à titre de courtier et de conseiller auprès de l’Autorité, tel que cela est requis par l’article 148 de cette même loi. En effet, l’intimé a agi comme intermédiaire pour le placement auprès des contributeurs des parts de Synergy, touchant des commissions au passage.

[212]      C’est qu’il a agi comme intermédiaire entre Synergy et les investisseurs pour le placement des formes d’investissement émises par cette société. Comme le prévoit la définition de courtier de la Loi sur les valeurs mobilières , Kenneth Battah a participé au placement d’une valeur pour le compte d’autrui. Or, il ne détenait aucune inscription auprès de l’Autorité pour ce faire, ce qui est contraire aux préceptes de l’article 148 de cette loi. L’intimé s’est également trouvé à agir comme conseiller pour le placement de ces contrats d’investissement auprès des contributeurs.

[213]      Le Bureau estime en effet qu’il ne s’est pas contenté de leur offrir d’en acheter et de leur en vendre, mais qu’il en a également recommandé l’achat. Comme le dit la jurisprudence, «  advising involves a business of providing subjective views, opinions and recommendations on the merit or value of a specific investment or security to a person or company  » [96] . La preuve a en effet révélé que Kenneth Battah a activement fait la promotion des investissements auprès des contributeurs. Il a tenu des sessions d’information avec les investisseurs potentiels.

[214]      Il les a introduits aux produits financiers de Synergy leur permettant l’acquisition de pertes fiscales de PME et les a dirigés vers ces achats. Il leur recommandait d’acheter ces parts; il est vrai qu’il a témoigné ne pas avoir recommandé l’achat d’un produit financier mais bien d’une stratégie fiscale. Il a aussi dit qu’il ne conseillait pas les contributeurs mais qu’il leur transférait seulement de l’information. Mais, puisque le Bureau estime que cette stratégie fiscale est bel et bien un contrat d’investissement, les recommandations de l’intimé étaient une activité de conseiller pour laquelle il n’était pas inscrit auprès de l’Autorité, ce qui était contraire à l’article 148 de la loi.

La d é cision Synergy de l’Alberta

            La décision de l’Alberta Securities Commission

[215]      À l’étape présente de sa décision, le Bureau veut ici rappeler les préceptes énoncés par la commission des valeurs mobilières de l’Alberta dans la décision Kustom Design Financial Services Inc. prononcée en 2010 [97] ; elle a été soumise par le procureur de l’intimé. Dans ce dossier, la commission de l’Alberta allégua que sept intimés, dont la société Synergy Group (2000) Inc., avaient contrevenu à la loi sur les valeurs mobilières de cette province [98] , en effectuant le placement de valeurs mobilières, sans être inscrits auprès de cette commission et en l’absence d’un prospectus visé [99] .

[216]      Dans la décision albertaine, Synergy fut décrite ainsi :

« [18] According to Ontario corporate registry records, Synergy was incorporated in Ontario on 15 June 2004. […] Synergy described itself as specializing in "effective tax 'compression' combined with efficient wealth development" and offered alternative tax strategies. Units in the Synergy Tax Program were sold in Alberta by Kustom Financial pursuant to an "Agent Agreement" between Synergy and Kustom Financial (the "Agent Agreement").

[19] Synergy has never been a reporting issuer, and is not registered to trade in securities, in Alberta. It has never filed a prospectus with the Commission or received a receipt therefor.

[20] According to Ontario corporate registry records, Integrated Business Concepts Inc. ("IBC") was incorporated in Ontario on 14 June 1994. We infer from the evidence relating to the Synergy Tax Program that IBC and Independent Business Consulting Association ("IBCA"), entities also involved in the program, shared Synergy's view that the program was not subject to Alberta securities laws. Accordingly, and there being no evidence to the contrary, we further infer that neither IBC nor IBCA filed a prospectus with the Commission or received a receipt therefor in relation to the Synergy Tax Program. » [100]

[217]      Mentionnons que la société Synergy évoquée dans ce dossier est la même entité qui apparaît dans le présent dossier. Il appert qu’elle vendait des parts de son programme d’impôt destinées à minimiser les impôts des acheteurs. Cette méthode est déjà familière à nos oreilles. Elle le devient encore plus quand nous lisons tous les faits énumérés dans cette affaire et que nous constatons que plusieurs d’entre eux sont identiques à ceux qu’on retrouve dans la nôtre. Pour l’aider à être en pays de connaissance, le Bureau constate que le principal témoin de Synergy devant la commission albertaine était le vice-président qui a témoigné devant notre tribunal.

[218]      Et son témoignage était au même effet en Alberta que devant nous. Plusieurs faits qu’on retrouve dans cette décision sont identiques à ceux dont le Bureau a pris connaissance tout au long de son témoignage. La commission albertaine, après s’être longuement penchée sur ces arrangements, en est venue à diverses conclusions qui sont identiques aux nôtres. Elle a d’abord déterminé que l’achat des parts de Synergy constituait une acquisition de valeurs mobilières [101] . Elle a également déterminé que l’avantage fiscal dont profitaient les acheteurs de ces parts était un bénéfice ou un profit permettant de définir un contrat d’investissement :

« [193] In interpreting "profit" we take a broad, liberal view of the concept, consistent with other securities regulatory decisions considering whether a particular transaction falls within the definition of a "security". In our view, profit need not be a direct monetary benefit, restricted to common forms of profit such as interest, dividends or capital appreciation. Rather, the concept of profit ought to encompass all types of economic return, financial benefit or gain. In this case, the primary benefit purchasers expected to receive from purchasing the units in the Synergy Tax Program was, in substance, clearly a financial benefit, even though described as tax losses. Purchasers made an investment in the Synergy Tax Program - they risked financial loss to gain certain potential financial advantages. We are of the view that purchasers in the Synergy Tax Program fully expected to benefit financially or "profit" by receiving back more than the principal of their investment in the form of a tax refund or reduction in taxes payable. To suggest otherwise would be economically nonsensical. » [102]

[219]      La commission albertaine a ensuite conclu que les unités de Synergy étaient bel et bien des contrats d’investissement au sens de la loi sur les valeurs mobilières de cette province. Il est utile d’indiquer ci-après une partie du raisonnement de la commission albertaine pour en arriver à cette conclusion; elle colle bien avec celui du Bureau :

« [198] In our view, this is not a borderline transaction. The Synergy Tax Program, in its simplest terms, involved Synergy seeking to attract the passive investor for whose benefit securities laws were enacted. Investors gave their money to Synergy. Once money left the hands of the investor, any financial gain realized significantly depended on the efforts of others. Investors had no choice as to which sub-association they would be assigned or any input into the selection of participating businesses that formed any one sub-association. Synergy forwarded pooled investor money to IBC, whose expertise was primarily depended on to find small and medium-sized businesses in need of capital and management services. IBC provided investor money as capital to these businesses and provided management services to the businesses. Investors' return would be their proportionate share of the pooled profits or losses generated by those businesses. The expectation was that, for most, business losses would be received that could then be used to reduce an investor's taxable income, resulting in a tax refund or reduction in taxes payable, which would provide a return or gain to the investor. There might also be some profits received. » [103]

[220]      Il fut donc avéré que ces valeurs mobilières avaient fait l’objet d’un placement auprès du public en l’absence du prospectus visé prévu à la loi et sans que les personnes qui avaient effectué ce placement soient inscrites auprès de la commission albertaine, contrevenant donc à la loi sur les valeurs mobilières de cette province. Elle a également déterminé que certains intermédiaires avaient agi à titre de conseiller sans être inscrit à ce titre auprès de cette commission :

« [233] As discussed above, we found that the Respondents traded securities without registration and distributed securities without a prospectus and that Kustom Financial and Lepitre acted as advisors without registration. Accordingly, the onus shifted to the Respondents to prove that one or more of the exemptions from the registration and prospectus requirements under MI 45-103 or NI 45-106 was or were available and applicable for all trades and distributions made by them without registration and a prospectus and, in the case of Kustom Financial and Lepitre, was or were available to enable them to advise without registration ( Re Bartel , 2008 ABASC 141 at para. 109). Thus, unless the Respondents reasonably relied on available and applicable registration and prospectus exemptions provided under Alberta securities laws for all trades and distributions made by them without registration and a prospectus, they will be found to have contravened sections 75(1)(a) and 110 (1) of the Act. Similarly, unless Kustom Financial and Lepitre reasonably relied on an available registration exemption or exemptions provided under Alberta securities laws enabling them to advise without registration, they will be found to have contravened section 75(1)(b). » [104]

[221]      La lecture de cette cause est intéressante puisqu’il en appert qu’à la fois le Bureau de décision et de révision et l’ Alberta Securities Commission , confrontés à plusieurs faits identiques, en sont venus aux mêmes conclusions, même s’ils ont passé par des voies différentes. Revenant à notre dossier, le Bureau est en état de déterminer que Kenneth Battah, intimé en l’instance, a vendu des valeurs mobilières en contravention de la loi québécoise sur les valeurs mobilières; en effet, il a vendu une forme d’investissement en l’absence d’un prospectus visé par l’Autorité. Il l’a fait en agissant comme courtier mais également comme conseiller, alors qu’il ne détenait pas d’inscription à ce titre auprès de l’Autorité.

L’arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta

[222]      Pendant que le Bureau délibérait dans le présent dossier, il a appris que la Cour d’appel de l’Alberta avait, le 28 juin 2011, rendu un jugement sur l’appel de la décision Synergy que le Bureau a analysée dans les paragraphes précédents. La Cour d’appel de cette province a alors maintenu la décision de la commission albertaine dans ce dossier [105] . Informé de ce fait, le Bureau a demandé aux parties de commenter cet arrêt. Kenneth Battah lui a fait parvenir ses commentaires au mois de mars 2012.

[223]      Voici en résumé quelles sont ses conclusions :

1.     la jurisprudence albertaine n’a pas d’impact en droit québécois et ne peut lier le Bureau;

2.     la jurisprudence albertaine n’est pas utile ou d’intérêt pour le dossier devant le Bureau, compte tenu des erreurs manifestes commises par la Cour d’appel de l’Alberta et la commission des valeurs mobilières albertaine;

3.     l’arrêt de la Cour d’appel et la décision de la commission des valeurs mobilières albertaine soulèvent de questions de droit et de politique réglementaire qui affecte le système juridique dans son ensemble et méritent une analyse plus minutieuse par les instances juridiques compétentes.

[224]      Il est utile de rappeler les éléments importants de l’arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta. Il s’agissait d’un appel de la décision de la commission des valeurs mobilières albertaine que nous avons précédemment analysée. Elle concluait que les opérations effectuées constituaient un placement de valeurs illégal. Il fut soumis par l’appelante que la commission des valeurs mobilières de cette province avait erré en adoptant une approche excessivement large pour déterminer ce que pouvait constituer une valeur mobilière.

[225]      On soulevait subsidiairement qu’aucune opération sur les titres de Synergy n’a été faite et que rien dans les documents signés n’indiquait un intérêt dans la propriété de l’affaire. La Cour d’appel de l’Alberta a tout d’abord souligné que la norme de contrôle dans le présent dossier est celle du caractère raisonnable. Elle suit à cet égard l’arrêt Dunsmuir v. New Brunswick [106] de la Cour suprême et son propre précédent dans l’arrêt Alberta (Securities Commission) v. Workum [107] .

[226]      La Cour d’appel a rappelé qu’en premier lieu que la législation en valeurs mobilières a un caractère réparateur qui doit être interprété en fonction de sa réalité économique. La substance et non la forme est capitale pour ce genre de législation. La Cour note que malgré le caractère squelettique des documents, il est clair que la réalité économique se résume à un investisseur qui achète une unité qui représente un intérêt dans un ensemble de profits et de pertes d’entreprises, aux fins de réduire ou de différer ses impôts sur le revenu. On ne peut écarter la législation en valeurs mobilières en fournissant une documentation minimale de l’opération.

[227]      Voici les commentaires de la Cour d’appel :

« [27 ]   Securities legislation is remedial and must be construed broadly in the context of economic realities. Substance, not form, governs: Pacific Coast at 127. Although the documents evidencing the transactions are skeletal, it is clear that Synergy Tax Program purchasers entered into an agreement with Synergy to purchase units in the pooled profits and losses of businesses to allow the purchasers to reduce or defer income tax. One should not be allowed to avoid the reach of the Act by the expedient of providing minimal documentation for a transaction. On this record, it was not unreasonable for the Commission to conclude it had sufficient evidence to analyze the substance of the transactions. It was open to Synergy to lead evidence from IBC and IBCA if that evidence would have assisted its defence. » [108]

[228]      La Cour d’appel conclut également que la commission albertaine pouvait raisonnablement décider que la réduction du fardeau fiscal par l’achat des unités de Synergy pouvait constituer un gain financier. Un tel gain pouvait être considéré comme un profit aux fins de définir le concept du contrat d’investissement à la législation des valeurs mobilières. Une telle interprétation de la commission s’inscrit bien dans l’objectif d’une telle législation, à savoir de protéger les investisseurs. La Cour d’appel souligne ainsi que la décision de la commission albertaine n’était pas déraisonnable :

« [ 28 ]  The Commission found as facts that tax losses assigned to the purchasers from the pool, in accordance with the number of units purchased from Synergy , were used to reduce income tax liability. This was intended to result in a financial gain to the purchasers. The term “profit” includes financial gain: The Oxford English Dictionary, 2d ed., s.v. “profit”. It was not unreasonable for the Commission to conclude that the three documents Synergy Tax Program purchasers signed, considered in the context of the evidence and the economic realities, constituted evidence of an interest in profits so as to meet the definition of security in s. 1(ggg)(ii) of the Act . The documents are more than agreements to agree. The Commission’s findings are consistent with the aim of securities legislation to extend protection to investors: Kolibash v. Sagittarius Recording Co. , 626 F. Supp. 1173 at 1179 (S.D. Ohio 1986).

[ 29 Synergy argues that the Pacific Coast definition of an investment contract is not met in this case. It asserts that, neither the three documents Synergy Tax Program purchasers signed, nor the Synergy Tax Program as a whole, constitute an investment contract. Therefore, Synergy says it did not trade in a security within the meaning of s. 1(ggg)(xiv) of the Act .

[ 30 ]  It was not unreasonable for the Commission to conclude that the elements of an investment contract were established. The purchasers invested funds with a view to profit from reduced tax liability. The investment was made in a pooling arrangement which was a common enterprise and the profits were derived from the significant efforts of persons other than the purchasers: Pacific Coast at 128-129. Therefore, the Commission did not err in concluding the record established that Synergy traded in investment contracts within the meaning of s. 1(ggg)(xiv). » [109]

[229]      L’intimé a soumis ses commentaires sous la forme de trois conclusions. Ci-après, le tribunal révise ces conclusions pour mieux les commenter :

1)        Est-ce que jurisprudence albertaine a un impact en droit québécois et peut lier le Bureau ?

[230]      Il est clair que l’arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta ne peut lier le Bureau. La législation albertaine ne contient pas de définition du contrat d’investissement comme au Québec et, de toute façon, un tribunal administratif n’est pas lié par la règle du stare decisis . La Cour d’appel a récemment rappelé ce dernier principe dans l’arrêt AbitibiBowater inc. (Produits forestiers Résolu) c. Fibrek inc [110] . L’honorable juge Dalphond résumait ainsi cette règle de droit et la possibilité pour le Bureau d’examiner les décisions des autres commissions de valeurs :

« [ 47 ] Ni la LVM ni les règlements adoptés en vertu des lois applicables n'imposaient une solution différente à celle retenue par le Bureau. Quant à la politique nationale énoncée à l'Avis 62-202, outre le fait qu'elle n'a pas valeur normative, la lecture de la décision du Bureau fait voir qu'il en a tenu compte dans son analyse de même que des décisions des commissions de valeurs des autres provinces, décisions qui n'ont d'ailleurs pas force de précédents liant le Bureau (pas plus que ses propres décisions antérieures). Quant à la décision ARC , seule décision invoquée par le conseil d'administration de Fibrek pour justifier sa position, le Bureau en traite longuement et explique de façon intelligible et raisonnable pourquoi le contexte de son dossier justifie un résultat différent. » [111]

[231]      Ceci étant dit, il est utile de mentionner que la Cour suprême du Canada a, dans l’arrêt Pacific Coast Coin Exchange c. Ontario Securities Commission [112] , permis aux tribunaux canadiens d’examiner la jurisprudence américaine. Une telle position s’explique en fait par le nombre limité d’arrêts sur le sujet et du fait que les législations ont le même but. Voici un passage important de l’honorable juge de Grandpré :

« L’expression «contrat de placement» n’est pas définie dans la Loi. Dans le but de la définir, les tribunaux d’instance inférieure se sont reportés à la jurisprudence américaine et les avocats nous invitent à faire de même. Je suis d’accord. Bien que la Loi présentement en cause ne soit pas complètement identique à son pendant américain, l’expression «contrat de placement» est employée dans l’une et dans l’autre. De plus, le but de la législation dans les deux pays est exactement le même, de sorte que vu les rares décisions canadiennes sur ce sujet, il est sage de consulter les décisions rendues par les tribunaux américains. » [113]

[232]      Il est utile d’ajouter que les règles de procédure du Bureau prévoient que celui-ci peut «  prendre connaissance d’office du droit des autres provinces ou territoires du Canada et du droit d’un état étranger dans les domaines relevant de sa compétence  » [114] .

[233]      Le tribunal est d’avis que bien qu’il ne soit pas lié par la jurisprudence américaine ou celle des autres provinces, il est sage de s’y référer, compte tenu du fait que les législations ont sensiblement le même but, à savoir la protection des investisseurs et le bon fonctionnement des marchés. L’expérience nous a démontré que les produits financiers sont souvent développés dans une région et par la suite implantés dans le reste du pays et même sur le reste du continent.

[234]      Compte tenu des liens unissant les marchés financiers canadiens et du fait que les législations en valeurs mobilières sont semblables, il serait étonnant, de manière générale que les tribunaux au Canada prennent des positions diamétralement opposées concernant la définition du contrat d’investissement. Il est sage à notre avis d’analyser l’arrêt d’une autre cour, principalement lorsqu’il s’agit d’une cour d’appel se prononçant sur un dossier dont les faits sont quasi identiques.

2)        la jurisprudence albertaine n’est pas utile ou d’intérêt pour le dossier devant le Bureau, compte tenu des erreurs manifestes commises par la Cour d’appel de l’Alberta et la commission des valeurs mobilières albertaine.

[235]      Il est superflu de rappeler qu’il n’appartient pas au Bureau de se prononcer sur la question à savoir si la Cour d’appel de l’Alberta a commis des erreurs manifestes dans un dossier semblable. Par ailleurs, après une lecture attentive de l’arrêt nous sommes convaincus que cette décision est bien fondée. L’intimé Kenneth Battah invoque principalement que la Cour d’appel s’est trompée en s’inspirant de l’arrêt Kolibash [115] pour appuyer la position de la commission albertaine à l’effet qu’une déduction fiscale pouvait être assimilée à un profit, aux fins de définir ce qu’est un contrat d’investissement.

[236]      La jurisprudence américaine invoquée par Kenneth Battah est minoritaire et ne reflète pas l’état du droit. À cet égard, il est utile de citer à nouveau les auteurs Loss, Seligman et Parades pour bien comprendre l’état du droit aux États-Unis :

« First, the Supreme Court disagreed that “the deductibility for tax purposes of the portion of the monthly rental charge applied to interest on the mortgage” was income to profits. “These tax benefits are nothing more than that which is available to any homeowner who pays interest on his mortgage.” In so stating, the Supreme Court presumably did not mean to suggest that no tax benefit could be considered “income” or “profit”. Subsequent lower court opinions have correctly held that “the prospect of tax benefits resulting from initial losses does not necessarily detract from an expectation of profits.” Similarly, the promotion of an investment “largely for tax advantages” has been found to provide “an expectation of profits”. As one district court wrote in distinguishing Foreman: “… Foreman involved tax benefits which were incidental to the ‘investors’ main objective of securing housing. In contrast, the primary benefits that the investors expected to receive in this case were the tax benefits to be derived from participating in [the defendant’s tax write-off] Program. » [116]

[237]      Les tribunaux américains ont donc reconnu qu’un placement ayant pour objectif principal une déduction fiscale pouvait se qualifier à titre de contrat d’investissement [117] .

[238]      Il est utile de rappeler que dans le présent dossier, il était possible, et aussi étonnant que cela puisse paraître, non souhaitable qu’un profit résulte de l’investissement. Donc, on ne peut prétendre qu’il y a absence de bénéfice. Le Bureau est par ailleurs d’avis qu’une déduction fiscale constitue un bénéfice aux fins de la définition québécoise du contrat d’investissement.

3)        l’arrêt de la Cour d’appel et la décision de la commission des valeurs mobilières albertaine soulèvent de questions de droit et de politique réglementaire qui affectent le système juridique dans son ensemble et méritent une analyse plus minutieuse par les instances juridiques compétentes.

[239]      Kenneth Battah remet en question l’interprétation libérale donnée au concept de contrat d’investissement en Alberta et, de manière plus générale, dans l’ensemble du pays. Il invoque, par ailleurs, que les tribunaux albertains n’ont pas appliqué la règle de droit, en privilégiant avant tout l’atteinte d’un résultat.

[240]      Ce dernier argument est à la fois juridique et de politique réglementaire. Le législateur et les tribunaux supérieurs ont fait le choix de privilégier la protection des investisseurs, en interprétant largement les formes d’investissement assujetties à la législation des valeurs mobilières. On veut que les investisseurs puissent faire un choix éclairé par la remise d’un document d’information adéquat, à savoir le prospectus. Le Bureau adhère à une telle position.

[241]      Dans le monde financier, la divulgation de l’information palie à l’asymétrie d’information entre le promoteur et l’investisseur. On peut comparer la divulgation de l’information dans le domaine des valeurs mobilières aux lumières qui nous protègent la nuit. On peut rappeler l’expression imagée américaine dans le domaine financier concernant les bienfaits de bonne divulgation «  sunlight is the best policeman  ». L’obligation de divulgation ne se limite pas aux projets frauduleux mais bien à l’ensemble des formes d’investissement qui sont offertes aux investisseurs dans le but, bien souvent, de procurer à ces derniers une retraite confortable.

[242]      Une interprétation large du concept de contrat d’investissement permet également de s’assurer que les personnes qui offrent de tels produits et qui seront appelées à conseiller les investisseurs soient probes, compétentes et solvables. La complexité grandissante des différents produits offerts aux investisseurs exige plus que jamais une divulgation adéquate et des professionnels inscrits, honnêtes, compétents et solvables.

Les commentaires

[243]      En agissant comme il l’a fait, tel que démontré tout au long de la présente décision, Kenneth Battah a privé les contributeurs de la protection que leur réserve la loi. En leur vendant ces parts en l’absence d’un prospectus visé par l’Autorité, il leur a ôté le bénéfice d’un document qui leur aurait servi à prendre une décision d’investissement éclairée. Cela est d’autant plus le sentiment du Bureau que ce dernier a pris connaissance des renseignements écrits qui leur ont été remis.

[244]      Il existe un abîme entre les informations statutaires qu’un prospectus doit contenir pour satisfaire l’Autorité et celles qu’ils ont véritablement reçues. Frustrés de ce document, ils n’ont vu que la baisse d’impôt qu’on leur a laissé entrevoir. Leurs témoignages respectifs convainquent le Bureau que l’essentiel de ces personnes ne sont guère allées au-delà de ce fait, ignorant jusqu’au nom des PME dans lesquelles leur argent finissait par aboutir. C’est un des principaux reproches que le Bureau adresse à l’intimé; Kenneth Battah a empêché que ses clients profitent de toute l’information à laquelle ils avaient pourtant droit et qu’ils auraient trouvé dans un prospectus.

[245]      Mais ce n’est pas tout. Lorsqu’un placement fait l’objet d’un prospectus visé, cela signifie aussi qu’une importante information doit également être remise aux investisseurs après avoir investi. Ces informations, y compris les renseignements financiers, doivent leur être adressés afin qu’ils soient en état de suivre le sort de leur argent et continuer de prendre les décisions nécessaires dans le cadre de leur investissement. Mais les gestes illégaux de l’intimé leur ont ôté l’usage de tous ces renseignements.

[246]      De plus, l’intimé ne détenant pas d’inscription de courtier ou de conseiller auprès de l’Autorité, il privait les investisseurs d’une autre protection prévue à la loi. L’Autorité supervise étroitement l’inscription des personnes inscrites. Elle s’assure ainsi que les personnes physiques qui exercent ces activités possèdent les connaissances requises, l’expérience adéquate, mais également la capacité financière pour ce faire. Cela assure que les épargnants font affaires avec des intermédiaires qui possèdent toutes les garanties requises par la loi et les règlements.

[247]      Rien de tel avec Kenneth Battah. Au lieu d’être celui sur lequel les personnes qu’il a approchées pouvaient se fier, il a plutôt été celui qui les a entraînées sur une mauvaise pente. Il a fait de la sollicitation pour leur offrir un produit illégal, leur a donné des conseils sans avoir les qualifications requises pour ce faire, leur a vendu un produit qui aurait dû faire l’objet d’un prospectus visé et a empoché des commissions pour ces ventes. Or, Kenneth Battah est un familier du secteur financier.

[248]      Il a déjà été inscrit en assurance de personnes et en assurance collective; il avait toutes les raisons de savoir qu’il commettait des actes illégaux en effectuant le placement des contrats d’investissement auprès des contributeurs. Cela ne l’a pas arrêté. L’intimé et son procureur ont soumis avec véhémence avoir agi de façon honnête et ne pas avoir fraudé les personnes avec lesquelles il a fait affaires; l’Autorité est d’ailleurs d’accord avec ce constat. Et le tribunal a pu constater en entendant les témoins que ce ne sont pas des gens qu’on aurait filoutés.

[249]      D’abord, la Cour suprême a déterminé dans l’arrêt Pacific Coast Coin Exchange que la législation ne vise pas que les plans qui soient effectivement frauduleux; e lle a plutôt trait aux accords qui ne permettent pas aux clients de connaître exactement la valeur de leur investissement [118] . Il n’est donc pas nécessaire qu’un placement comporte un volet frauduleux pour être illégal. Cela ne dispensait ni l’intimé ni Synergy des devoirs reliés au placement de valeurs mobilières. Il suffit qu’on soit en présence d’une forme d’investissement prévue à la Loi sur les valeurs mobilières , que le placement soit effectué sans prospectus visé et que les personnes qui l’accomplisse ne détiennent pas les inscriptions requises par la loi auprès de l’Autorité pour qu’il y ait illégalité.

[250]      Le tribunal tient à souligner un autre point. Le vice-président de Synergy ainsi que Kenneth Battah ont aussi lourdement insisté dans leurs témoignages respectifs pour dire que les parts de Synergy n’étaient pas tant une valeur mobilière ou un outil d’investissement qu’une simple unité de mesure ou de calcul; cela servait à déterminer le prorata des pertes ou des profits, selon le cas. C’était une unité de mesure mais pas une unité représentant quelque chose. Elle ne servait qu’à retracer quelque chose.

[251]      Le Bureau ne peut qu’exprimer son étonnement devant des interprétations aussi acrobatiques de la part de l’intimé pour ne pas reconnaître qu’il s’agissait d’un investissement. C’est comme si les témoins entendus en audience avaient déclaré qu’une action ne serait pas un titre de propriété dans une entreprise mais simplement un moyen de mesure de ce droit de propriété. Le tribunal s’étonne également de la croyance selon laquelle il suffit de simplement dire que la stratégie fiscale de Synergy n’est pas un investissement pour qu’elle ne puisse être considérée comme un contrat d’investissement. Le Bureau ne saurait avaler cette succession de déclarations sans consistance.

[252]      C’est pourquoi le Bureau, pour les motifs évoqués tout au long de la présente décision, en vient à la conclusion que Kenneth Battah, intimé, et Synergy ont effectué le placement illégal de contrats d’investissement, une forme d’investissement prévue à l’article 1 de la Loi sur les valeurs mobilières . Ce placement a été fait auprès du public, sans que n’ait été préparé un prospectus soumis au visa de l’Autorité; cela va à l’encontre de l’article 11 de la Loi sur les valeurs mobilières .

[253]      De même, Kenneth Battah a joué le rôle d’intermédiaire pour le placement de ces contrats d’investissement pour le compte de Synergy. Cela constitue une activité de courtier, alors qu’il n’était pas inscrit à ce titre auprès de l’Autorité, d’où l’interdiction d’opérations sur valeurs ex parte que le Bureau a prononcée à son encontre. Il a également exercé des activités de conseil auprès des investisseurs, alors qu’il n’était pas inscrit à titre de conseiller auprès de l’Autorité. Cela va à l’encontre de l’article 148 de la Loi sur les valeurs mobilières .

LA DÉCISION

[254]      Pour toutes ces raisons, le Bureau n’a d’autres choix que de maintenir à l’égard de Kenneth Battah, intimé en l’instance, la décision qu’il avait prononcée à son encontre le 19 septembre 2008 [119] , telle que modifiée [120] , le tout en vertu des articles 265 et 266 de la Loi sur les valeurs mobilières et des articles 93 et du deuxième alinéa de l’article 115.9 de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers [121] .

PAR CES MOTIFS, LE Bureau de dÉcision et de rÉvision  :

MAINTIENT la décision qu’il a prononcée le 19 septembre 2008, telle que modifiée le 15 octobre 2008, à l’encontre de Kenneth Battah, intimé, lui interdisant , en vertu des articles 265 de la Loi sur les valeurs mobilières [122] et de l’article 93 et du deuxième alinéa de l’article 115.9 de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers [123] , toute activité en vue d’effectuer, directement ou indirectement, toute opération sur valeurs; et

MAINTIENT la décision qu’il a prononcée le 19 septembre 2008, telle que modifiée le 15 octobre 2008, à l’encontre de Kenneth Battah, intimé, lui interdisant, en vertu de l’article 266 de la Loi sur les valeurs mobilières [124] et de l’article 93 et du deuxième alinéa de l’article 115.9 de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers [125] d’exercer directement ou indirectement toute activité de conseiller en valeurs, telle que définie à l’article 5 de la Loi sur les valeurs mobilières [126] .

[255]      La présente décision ne sera pas cependant applicable aux transactions que Kenneth Battah pourra effectuer pour son propre compte par l’entremise d’un courtier.

Fait à Montréal, le 31 juillet 2012.

 

(S) Alain Gélinas

 

M e Alain Gélinas, président

 

 

 

(S) Claude St Pierre

 

M e Claude St Pierre, vice-président

 

 

 

 



[1]      Autorité des marchés financiers c. Battah , 2005 QCBDRVM 48.

[2]      Ibid. ; les modifications portaient sur des amendements à la demande de l’Autorité.

[3]      L.R.Q., c. V-1.1.

[4]      L.R.Q., c. A-33.2.

[5]      L’article 323.7 de la Loi sur les valeurs mobilières est devenu l’article 115.9 de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers et l’article 93 de cette dernière loi a également été modifié.

[6]      Précitée, note 1, 11.

[7]      Canada Revenue Agency, Income Tax Interpretation Bulletin n° IT-484R2 - Business Investment Losses , November 28 th , 1996.

[8]      Précitée, note 1.

[9]      Précitée, note 3.

[10]     Infotique Tyra Inc. c. Commission des valeurs mobilières du Québec , 1994 CanLII 5940 (QCCA); Commission des valeurs mobilières c. Serge Brodeur , C.Q. Bedford (Chambre pénale), n° 460-27-002455-938, 28 septembre 1995, j. P. Bachand, 18 pages; R. vs. Louis Catala , C.Q. Montréal (Chambre pénale), n° 500-27-22625-927, 20 février 1995, j. C. Pelletier, 10 pages; Biolux Labs Inc. 1989-01-13, Vol. XX, n° 2, BCVMQ 1; Commission des valeurs mobilières du Québec c. Michel Dion , C.Q. Montréal (Chambre pénale) n° 500-27-022627-923, 18 mai 1994, j. C. Millette, 10 pages.

[11]     Pacific Coast Coin Exchange c. Commission des valeurs mobilières de l’Ontario , [1978] 2 R.C.S. 112 .

[12]     Id. , 128.

[13]     Infotique Tyra Inc. c. Commission des valeurs mobilières du Québec , précitée, note 10.

[14]     Commission des valeurs mobilières c. Thorne, Riddel, Poissant, Richard, c.a. , Cour des sessions de la paix, Terrebonne, n° 700-27-007847-849, 17 avril 1985, j. R. Lagarde, 15 pages, pp. 5-6.

[15]     Corporation Première Équité A.C.P. Inc. , Commission des valeurs mobilières, Montréal, n° 8307, 29 mai 1987, R. Côté, M. Cusson et P. Dussault, 22.

[16]     Commission des valeurs mobilières c. Serge Brodeur , précitée, note 10, 11; Commission des valeurs mobilières du Québec c. Michel Dion , précitée, note 10, 6; Infotique Tyra Inc. c. Commission des valeurs mobilières du Québec , précitée, note 10.

[17]     Corporation Première Équité A.C.P. Inc. , précitée, note 15; Voir également Biolux Labs Inc. , précitée, note 10, 3.

[18]     Id. , 22.

[19]     Biolux Labs Inc. , précitée, note 10, 3.

[20]     Pièce I-10, 53, n° 1.

[21]     Autorité des marchés financiers c. Grenier , 2009 QCBDRVM 82 .

[22]     R. c. Louis Catala , précitée, note 10.

[23]     Commission des valeurs mobilières c. Serge Brodeur , précitée, note 10, 3; voir également Biolux Labs Inc. , précitée, note 10, 3.

[24]     Id. , 12.

[25]     Biolux Labs Inc. , précitée, note 10, 4.

[26]     Précitée, note 3.

[27]     Précitée, note 1.

[28]     Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois , 3 e édition, Les Éditions Thémis, Montréal, 1999, 408.

[29]     Id. , 414.

[30]     L.Q. 1991, c. 64, art. 3135, 3136 et 3142.

[31]     Revenu Québec, Joint Venture , updated 2011-02-15.

[32]     Précitée, note 11, 120.

[33]     Kustom Design Financial Services Inc . , Re , 2010 ABASC 179.

[34]     Id. , par 216 à 219.

[35]     John F. Ward v. The Queen , 88 DTC 6212.

[36]     Id. , 10.

[37]     L.R.Q., c. V-1.1.

[38]     Précitée, note 28.

[39]     Queen vs. Friedberg , 92 DTC 6031 (C.F.); Queen vs. Doubinin 2005 FCA 298.

[40]     Canada c. Loewen , [1988] 3 C.F. 83.

[41]     Ville de Montréal c. ILGWU Center Inc. , [1974] R.C.S. 59 ; Maurice Pollack Ltée c. Comité paritaire du commerce de détail à Québec , [1946] R.C.S. 343; Canada v. Dubois , [1935] R.C.S. 378.

[42]     Sunfour Estate , (1992) OSCB 269.

[43]     Précitée, note 11.

[44]     Voir page 26, par. 126.

[45]     Sunfour Estate , précitée, note 42.

[46]     Bell ExpressVu Limited c. Rex , [2002] 2 R.C.S. 559 .

[47]     Pacific Coast Coin Exchange c. Commission des valeurs mobilières de l’Ontario , précitée, note 11, 127.

[48]     Infotique Tyra Inc. , précitée, note 10; Carole Turcotte , Le droit des valeurs mobilières , Les Éditions Yvon Blais inc., Cowansville, 2005, 75.

[49]     S.E.C. v. W. J. Howey Co. , 328 U.S. 293 (1946).

[50]     Infotique Tyra Inc. , précitée, note 10.

[51]     Précitée, note 46.

[52]     Voir par exemple, Infotique Tyra Inc. c. Commission des valeurs mobilières du Québec , précitée, note 10; Commission des valeurs mobilières c. Michel Dion , précitée, note 10.

[53]     Alberta (Attorney General) v. Great Way Merchandising Ltd , 3 C.C.C. (2d) 463, par. 10; 20 D.L.R. (3d) 67.

[54]     Précitée, note 49.

[55]     Id. , 298-299.

[56]     Ibid.

[57]     (1971) 52, Haw. 642; 485 P.2d 105.

[58]     Id., 2.

[59]     Id. , 7.

[60]     Voir par exemple, Securities and Exchange Commission v. Goldfield Deep Mines Co. of Nevada , 758 F. 2d 459 (9 th Cir. 1959) et Securities and Exchange Commission v. Aqua Sonic Products Corp. , 687 F. 2d 577 (2 nd Cir. 1982).

[61]     Précitée, note 11.

[62]     Id. , 126.

[63]     Id. , 127-128.

[64]     Précitée, note 10.

[65]     Id. , 12.

[66]     Id. , 11.

[67]     Ibid.

[68]     R. vs. Louis Catala , précitée, note 10.

[69]     Id. , 4.

[70]     Voir par exemple, Autorité des marchés financiers c. Gold-Quest International Corp. , 2008 QCBDRVM 55 ; Autorité des marchés financiers c. Boivin , 2009 QCBDRVM 80 ; Autorité des marchés financiers c. Grenier , 2009 QCBDRVM 82 ; Autorité des marchés financiers c. Global Petroleum Strategies LLC , 2009 QCBDRVM 7 ; Autorité des marchés financiers c. Fondation Fer de Lance , QCBDRVM 59; Autorité des marchés financiers c. 4403380 Canada Inc. (PI Immobilier Global) , 2009 QCBDRVM 63 .

[71]     Infotique Tyra Inc. c. Commission des valeurs mobilières du Québec , précitée, note 10, 16.

[72]     Id. , 14.

[73]     Commission des valeurs mobilières du Québec c. Michel Dion , précitée, note 10, 4.

[74]     Id. , 6.

[75]     Commission des valeurs mobilières c. Serge Brodeur , précitée, note 10.

[76]     Id. , 11.

[77]     Corporation Première Équité A.C.P. Inc. , précitée, note 15.

[78]     Biolux Labs Inc. , précitée, note 10.

[79]     [1990] R.J.Q. 190 .

[80]     Commission des valeurs mobilières du Québec c. Marc Binette , [1995] R.J.Q. 1566 (C.Q.)

[81]     Id. , 7.

[82]     R. vs. Louis Catala , précitée, note 10.

[83]     Id. , 2.

[84]     [1995] R.J.Q. 21 (C.A.).

[85]     Id. , 3 et 4.

[86]     Louis LOSS and Joel SELIGMAN, Securities Regulations , 3 rd edition, Little, Brown and Company, Boston, 1989, 936.

[87]     Goldfield Deep Mines Co. of Nevada , 758 F. 2d. 459 (9 th Cir. 1985).

[88]     Id. , 463-464.

[89]     457 F. Supp. 879 (E.ED. Pa 1978).

[90]     Id. , 889.

[91]     Précitée, note 15.

[92]     Id. , 13.

[93]     Biolux Labs Inc. , précitée, note 10, 3.

[94]     Id. , 4.

[95]     Commission des valeurs mobilières c. Thorne, Riddel, Poissant, Richard, c.a. , précitée, note 14; voir également pp. 19-20 de la présente décision.

[96]     Kustom Design Financial Services Inc., Re , précitée, note 33, par. 219.

[97]     Précitée, note 33.

[98]     Securities Act , RSA 2000, c S-4, (Alta.).

[99]     Kustom Design Financial Services Inc., Re , précitée, note 33, 2. par. 1.

[100]    Id. , par. 18-20.

[101]    Id. , par. 184.

[102]    Id. , par. 193.

[103]    Id. , par. 198.

[104]    Id. , par. 233.

[105]    Synergy Group (2000) Inc. v. Alberta (Securities Commission) , 2011 ABCA 194 .

[106]    2008] 1 R.C.S.190

[107]    2010 ABCA 405 .

[108]    Précitée, note 105, 6, par. 27.

[109]    Id. , 6, par. 28-30.

[110]    2012 QCCA 569 .

[111]    Id. , 17, par.47 ; dans un renvoi en bas de page, le juge ajoute : Il n’y a pas de doute qu’un décideur administratif doit viser la cohérence, mais il n’est pas lié par le principe du stare decisis . (voir note 16).

[112]    [1978] 2 R.C.S. 112 .

[113]    Id. , 126.

[114]    Règlement sur les règle de procédure du Bureau de décision , R.R.Q., c. V-1.1, r 0.1.3, art. 77.

[115]    Kolibash v. Sagittarius Recording Co., 626 F. Supp , 1173 (S.D. Ohio 1986).

[116]    Louis LOSS, Joel SELIGMAN et Troy PARADES, Securities Regulation , 4 ième édition, Wolters Kluwer Law & Business, 2007, volume 2, page 939 à 941.

[117]    Kolibash v. Sagittarius Recording Co., précitée, note 115; voir également: SEC v. Aqua-Sonic Prods. Corp. , 687 F.2d 577, 583 (2d Cir. 1982), cert. denied sub nom ; Hecht v. SEC , 459 U.S 1086; Long v. Shultz Cattle Co., Inc. , 881 F.2d 129, 132 n.2 (5th Cir. 1989), reh’g denied, 896 F.2d 85 (5th Cir. 1990); Newmyer v. Philatelic Leasing, Ltd. , 888 F.2d 385, 394-395 (6th Cir. 1989), cert. denied sub nom; Trager, Glass & Co. v. Newmyer , 495 U.S. 930; Stowell v. Ted S. Finkel Inv. Servs., Inc. , 489 F. Supp. 1209, 1221 (S.D. Fla. 1980), aff’d on other grounds, 641 F.2d 323 (5th Cir. 198l); SEC v. Int’1 Mining Exch., Inc. , 515 F. Supp. 1062, 1068-1069 (D. Colo. 1981); Becks v. Emery-Richardson, Inc. , 1991 Fed. Sec. L. Rep. (CCH) ¶96,096 at 90,507 (S.D. Fla. 1990. But see Sunshine Kitchens v. Altonthus Corp. , 403 F. Supp. 719 (S.D. Fla. 1975); Meade v. Weber , 647 F. Supp. 954, 956 (E.D. La. 1986). (Cette jurisprudence est citée par les auteurs précités à la note 116)

[118]    Précitée, note 11, 128.

[119]    Précitée, note 1.

[120]    Précitée, note 2.

[121]    Précitée, note 4.

[122]    Ibid.

[123]    Précitée, note 2.

[124]    Précitée, note 1.

[125]    Précitée, note 2.

[126]    Précitée, note 1.