Section des affaires sociales

En matière d'indemnisation

 

 

Date : 9 février 2012

Référence neutre : 2012 QCTAQ 02221

Dossiers : SAS-M-153972-0901 / SAS-M-170712-1004

Devant les juges administratifs :

BERNARD COHEN

GILLES THÉRIAULT

 

L… L…

Partie requérante

c.

SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC

Partie intimée

 

 


DÉCISION INCIDENTE

Requête pour retrait de la preuve d'un rapport d'expertise psychiatrique



 


[1]               La requérante a contesté devant le Tribunal administratif du Québec, ci-après nommé le Tribunal, deux décisions en révision datées du 10 décembre 2008 et du 20 avril 2010, rendues par l’intimée, la Société de l’assurance automobile du Québec.

[2]               La première met fin au versement à la requérante de l’indemnité de remplacement du revenu (IRR) le 2 septembre 2008, jugeant qu’elle est apte à exercer son emploi présumé de préposée aux bénéficiaires, la requérante s’estimant inapte à tout emploi.

[3]               Cette décision statue également sur les séquelles physiques et psychiques de la requérante découlant de son accident d’automobile, lesquelles sont contestées.

[4]               La seconde décision en révision de l’intimée refuse de reconnaître la relation entre la fibromyalgie, maladie diagnostiquée en novembre 2009, et l’accident d’automobile survenu le 26 août 2005.

 

[5]               Dès le début de l’audience, le procureur de la partie requérante fait une objection demandant au Tribunal le retrait de la preuve du rapport de l’expertise psychiatrique du Dr Jean-Pierre Berthiaume datée du 26 août 2008, au motif qu’une décision de la Commission d’accès à l’information (C.A.I.) rendue le 21 juillet 2010, ordonne la mise sous- scellée de cette expertise et de ses notes d’entrevue concernant la requérante et que seules les parties puissent y avoir accès.

[6]               En d’autres termes, selon le procureur de la requérante, le présent Tribunal serait sous l’effet de cette ordonnance, de sorte qu’il ne puisse y avoir accès. Il demande purement et simplement le retrait des dossiers de la preuve de l’expertise du Dr Berthiaume.

[7]               Les procureurs ont plaidé verbalement et le Tribunal a pris l’objection préliminaire en délibéré.

 

[8]               Après étude du dossier et délibéré, le Tribunal estime que l’objection préliminaire ne peut être retenue pour les motifs suivants :

[9]               La section des affaires sociales du Tribunal a une compétence exclusive en matière d’indemnisation que lui confère notamment les articles 14 et 18 de la Loi sur la justice administrative : [1]

« 14.   Est institué le «Tribunal administratif du Québec.

Il a pour fonction, dans les cas prévus par la loi, de statuer sur les recours formés contre une autorité administrative ou une autorité décentralisée.

Sauf disposition contraire de la loi, il exerce sa compétence à l'exclusion de tout autre tribunal ou organisme juridictionnel . »

«  18.  La section des affaires sociales est chargée de statuer sur des recours portant sur des matières de sécurité ou soutien du revenu, d'aide et d'allocations sociales, de protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, de services de santé et de services sociaux, de régime de rentes, d'indemnisation et d'immigration, lesquels sont énumérés à l'annexe I. »

(Nos soulignements ajoutés)

[10]            Hormis la Cour Supérieure qui a des pouvoirs inhérents de contrôle et de surveillance, il est malvenu pour un Tribunal administratif d’ordre provincial de dicter au Tribunal sa volonté en matière d’administration de la preuve.

[11]            Le Tribunal, non seulement a de très larges pouvoirs que lui confère le législateur, mais, en plus, il est maître de sa preuve et de sa procédure :

« 15.  Le Tribunal a le pouvoir de décider toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence .

Lorsqu'il s'agit de la contestation d'une décision, il peut confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et, s'il y a lieu, rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être prise en premier lieu. »

« 11.  L'organisme est maître, dans le cadre de la loi, de la conduite de l'audience. Il doit mener les débats avec souplesse et de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction.

Il décide de la recevabilité des éléments et des moyens de preuve et il peut, à cette fin, suivre les règles ordinaires de la preuve en matière civile. Il doit toutefois, même d'office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l'utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. L'utilisation d'une preuve obtenue par la violation du droit au respect du secret professionnel est réputée déconsidérer l'administration de la justice. »

[12]            Par ailleurs, lorsqu’on lit attentivement la décision et les conclusions de la Commission d’accès à l’information, (la C.A.I.), on se rend compte que celui-ci ne fait que statuer dans le cadre de sa juridiction et qu’elle n’émet aucune ordonnance spécifique à l’endroit du présent Tribunal concernant la preuve.

[13]            On ne peut nullement interpréter, comme le fait le procureur de la requérante, que la décision de la C.A.I. ait voulu soustraire l’expertise du Dr Berthiaume de la preuve devant le présent Tribunal.

[14]            La mise sous scellés des notes d’entrevue du Dr Berthiaume ordonnées par le T.A.I. n’est pas pertinente dans le présent litige. Ces notes ne font pas partie de la preuve devant le Tribunal. Seule l’expertise est en preuve.

[15]            Il faut aussi souligner que le présent Tribunal n’a pas été mis en cause dans le débat devant la C.A.I. et que la décision rendue par ce dernier ne le lie nullement.

[16]            De plus, la C.A.I. a rejeté la demande de rectification de la requérante qui voulait faire enlever de l’expertise psychiatrique un fait, soit la toxicomanie de sa fille.

[17]            Le présent Tribunal, lorsqu’il entendra la cause au fond, pourra adjuger sur la pertinence de ce fait, en vertu de sa loi constitutive.

[18]            Le Tribunal pourra également, lors de l'audience au fond et sa prise de décision finale, adjuger sur le bien fondé de cette preuve factuelle.

[19]            L’ordonnance de la mise sous scellés de l’expertise du Dr Berthiaume ne s’applique qu’en cas de consultation du dossier de la C.A.I. et non ceux qui sont constitués devant le Tribunal.

[20]            POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

-         REJETTE l’objection préliminaire de la partie requérante; et

-         Les parties seront convoquées à une audience au fond.  


 

BERNARD COHEN, j.a.t.a.q.

 

 

GILLES THÉRIAULT, j.a.t.a.q.


 

Laverdure & Miller inc.

Me François Miller

Procureur de la partie requérante

 

Me Manon Paquin

Procureure de la partie intimée


 



[1] L.R.Q., chapitre J-3