Brunet et Chrysler Canada inc.

2012 QCCLP 5356

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

21 août 2012

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

461142-71-1201

 

Dossier CSST :

138136726

 

Commissaire :

Michel Larouche, juge administratif

 

Membres :

Michel Gauthier, associations d’employeurs

 

Isabelle Duranleau, associations syndicales

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Julie Brunet

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Chrysler Canada inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

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DÉCISION

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[1]            Le 26 janvier 2012, madame Julie Brunet (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 13 janvier 2012, à la suite d’une révision administrative.

[2]            Dans le cadre de cette décision, la CSST en confirme une qu’elle a initialement rendue le 7 septembre 2011 dans laquelle elle déclare que la travailleuse est admissible à recevoir des indemnités de remplacement du revenu à raison d’un retrait préventif de la femme enceinte ou qui allaite à compter du 27 août 2011.

[3]            L’audience s’est tenue à Montréal le 26 juillet 2012 en présence de la travailleuse et de son représentant. Chrysler Canada inc. (l’employeur) ne s’est pas présenté.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]            La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que son droit au versement des indemnités de remplacement du revenu commence le 5 août 2011, date à laquelle elle a remis à son employeur le certificat médical complété par son médecin traitant.

LES FAITS

[5]            La travailleuse témoigne à l’audience. Elle travaille à titre de magasinière pour l’employeur.

[6]            Le 5 août 2011, elle se présente au travail et, avant le début de son quart de travail, avise ses supérieurs du fait qu’elle a appris qu’elle était enceinte. L’employeur lui a alors immédiatement conseillé de ne pas travailler et de consulter un médecin pour obtenir un certificat visant le retrait préventif et l’affectation de la femme enceinte ou qui allaite.

[7]            C’est ainsi que le 5 août 2011, la travailleuse rencontre la docteure Simona Stiharu afin de compléter un certificat visant le retrait préventif et l'affectation de la femme enceinte ou qui allaite . À l’intérieur du certificat, la docteure Stiharu indique qu’il existe des dangers reliés à ses tâches actuelles, soit l’inhalation de fumée et de vapeurs de produits chimiques ainsi que la levée de charges de plus de 20 kilogrammes. Elle suggère un retrait préventif ou une affectation à partir du 4 août 2011 et indique qu’elle agit à titre de médecin désignée. La travailleuse remet ledit certificat le même jour à son employeur.

[8]            L’employeur avise la travailleuse qu’il n’a aucune affectation à proposer et la travailleuse regagne son domicile.

[9]            Le 22 ou 24 août 2011, la travailleuse n’est pas en mesure de préciser la date exacte, la CSST communique avec cette dernière pour lui mentionner que le certificat complété par la docteure Stiharu le 5 août 2011 est incomplet puisqu’elle n’a pas demandé de consultation auprès de la Direction de la santé publique.

[10]         La travailleuse se présente à nouveau au bureau de la docteure Stiharu qui lui remet un nouveau certificat visant le retrait préventif et l’affection de la femme enceinte ou qui allaite qui est accompagné d’une étude de poste effectuée par le docteur Vancat Diep du CLSC Jeanne-Mance. Le docteur Diep recommande une affectation immédiate en raison de la nécessité pour la travailleuse de soulever des poids de plus de 20 kilogrammes dans le cadre de son poste de travail. L’employeur étant toujours incapable d’offrir une réaffectation, la travailleuse poursuit son arrêt de travail.

[11]         La travailleuse soumet que son médecin a commis une erreur lors de la rédaction du premier rapport et qu’elle ne devrait pas être pénalisée en raison de ce fait.

L’AVIS DES MEMBRES

[12]         Le membre issu des associations d’employeurs de même que la membre issue des associations syndicales sont d’avis d’accueillir la requête de la travailleuse. Le médecin traitant a identifié, le 5 août 2011, un danger associé aux risques physiques liés au soulèvement de charges de plus de 20 kilogrammes, lesquelles étaient incompatibles avec la grossesse de la travailleuse. Étant donné que ce danger a été confirmé par le Directeur de la santé communautaire, il avait lieu pour la travailleuse de requérir une affectation dès le 5 août 2011 et, compte tenu de l’absence d’une telle affectation, elle avait droit au versement des indemnités de remplacement du revenu.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[13]         La Commission des lésions professionnelles doit déterminer la date à compter de laquelle la travailleuse a droit au versement des indemnités de remplacement du revenu en vertu du programme Pour une maternité sans danger contenu à Loi sur la santé et la sécurité du travail [1] (la LSST).

[14]         L’article 40 de la LSST prescrit les conditions d’ouverture au retrait préventif de la femme enceinte :

40.  Une travailleuse enceinte qui fournit à l'employeur un certificat attestant que les conditions de son travail comportent des dangers physiques pour l'enfant à naître ou, à cause de son état de grossesse, pour elle-même, peut demander d'être affectée à des tâches ne comportant pas de tels dangers et qu'elle est raisonnablement en mesure d'accomplir.

 

Certificat.

La forme et la teneur de ce certificat sont déterminées par règlement et l'article 33 s'applique à sa délivrance.

 

______________

1979, c. 63, a. 40.

 

[15]         Pour sa part, l’article 33 de la LSST prescrit :

33.  Le certificat visé dans l'article 32 peut être délivré par le médecin responsable des services de santé de l'établissement dans lequel travaille le travailleur ou par un autre médecin.

 

Avis au médecin du travailleur.

Si le certificat est délivré par le médecin responsable, celui-ci doit, à la demande du travailleur, aviser le médecin qu'il désigne.

 

Consultation entre médecins.

S'il est délivré par un autre médecin que le médecin responsable, ce médecin doit consulter, avant de délivrer le certificat, le médecin responsable ou, à défaut, le directeur de santé publique de la région dans laquelle se trouve l'établissement, ou le médecin que ce dernier désigne.

 

____________

1979, c. 63, a. 33; 1992, c. 21, a. 301; 2001, c. 60, a. 167.

 

 

[16]         La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles rappelle que la LSST prévoit trois conditions permettant à une travailleuse enceinte de cesser de travailler. Dans l’affaire Verner et Industries Maintenance Empire inc. [2] , ces conditions étaient décrites de la façon suivante :

[15]   […]  premièrement si elle obtient un certificat médical attestant que les conditions de son travail comportent des dangers physiques pour elle-même à cause de son état de grossesse ou pour l’enfant à naître; deuxièmement si elle fournit le certificat à son employeur lui demandant d’être affectée à des tâches ne comportant pas de dangers et troisièmement si l’employeur ne la réaffecte pas à un tel poste. Ce n’est qu’en l’absence de réaffectation que le droit de cesser de travailler est acquis. La travailleuse est tenue de remettre au préalable à l'employeur un certificat attestant des dangers présents au poste de travail, après consultation du médecin responsable du département de santé publique. […]

 

 

[17]         Quant à la date à partir de laquelle le certificat est valide, la Commission des lésions professionnelles mentionnait :

[21]      Le tribunal adhère au courant jurisprudentiel qui veut que le certificat soit valide dès son émission par le médecin traitant en autant que la consultation au département de santé publique confirme l’existence des dangers énoncés par le médecin traitant de la travailleuse et que le certificat soit remis à l’employeur afin que celui-ci puisse réagir en réaffectant la travailleuse à un poste ne comportant pas les dangers énoncés au certificat.

 

 

[18]         Dans le présent dossier, la docteure Stiharu a retenu, dès le 5 aout 2011, que la levée de poids de plus de 20 kilogrammes constituait un danger justifiant un retrait immédiat pour la travailleuse afin de ne plus être exposée à cette situation. L’employeur n’a pas été en mesure d’offrir une réaffectation où la travailleuse aurait été exempte de ce danger.

[19]         Le docteur Diep de la Direction de la santé publique reconnaît qu’il s’agit là d’un danger pour la femme enceinte, nécessitant une réaffectation immédiate. Cette affectation étant impossible pour l’employeur, la travailleuse avait immédiatement le droit de cesser de travailler et d’être indemnisée conformément aux dispositions des articles 41 et 42 de la LSST :

41. Si l'affectation demandée n'est pas effectuée immédiatement, la travailleuse peut cesser de travailler jusqu'à ce que l'affectation soit faite ou jusqu'à la date se son accouchement.

 

On entend par «accouchement», la fin d'une grossesse par la mise au monde d'un enfant viable ou non, naturellement ou par provocation médicale légale.

 

____________

1979, c. 63, a. 41.

 

 

42. Les articles 36 à 37.3 s'appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, lorsqu'une travailleuse exerce le droit que lui accordent les articles 40 et 41.

 

______________

1979, c. 63, a. 42; 1985, c. 6, a. 527.

 

 

[20]         Pour sa part, l’article 36 de la LSST prescrit :

36. Le travailleur a droit, pendant les cinq premiers jours ouvrables de cessation de travail, d'être rémunéré à son taux de salaire régulier et de recevoir également de son employeur, lorsque le travailleur est visé à l'un des articles 42.11 et 1019.4 de la Loi sur les impôts (chapitre I-3), une rémunération égale à l'ensemble des pourboires qui pourraient raisonnablement être considérés comme attribuables à ces jours et que le travailleur aurait déclarés à son employeur en vertu de cet article 1019.4 ou que son employeur lui aurait attribués en vertu de cet article 42.11.

 

À la fin de cette période, il a droit à l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle il aurait droit en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (chapitre A-3.001) comme s'il devenait alors incapable d'exercer son emploi en raison d'une lésion professionnelle au sens de cette loi.

 

Pour disposer d'un tel cas, la Commission applique la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles dans la mesure où elle est compatible avec la présente loi et sa décision peut faire l'objet d'une demande de révision et d'une contestation devant la Commission des lésions professionnelles conformément à cette loi.

 

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1979, c. 63, a. 36; 1985, c. 6, a. 524; 1997, c. 85, a. 412; 1997, c. 27, a. 36.

 

[21]         La travailleuse avait donc droit de recevoir une indemnité correspondant à son salaire régulier pour les cinq premiers  jours ouvrables à compter du 5 août 2011, puis l’indemnité de remplacement du revenu prévue à la loi.

[22]         La requête de la travailleuse est donc bien fondée et doit être accueillie.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête déposée par madame Julie Brunet, la travailleuse;

INFIRME la décision rendue le 13 janvier 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse avait droit, à compter du 5 août 2011, de bénéficier du versement d’indemnités en raison de l’exercice du droit au retrait préventif et l’affectation de la femme enceinte ou qui allaite .

 

 

 

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Michel Larouche

 

 

 

 

M. Éric Tilley

Représentant de la partie requérante

 

 

 



[1]           L.R.Q., c. S-2.1.

[2]           C.L.P. 219807-07-0311 , 30 mars 2004, M. Langlois.