Le contexte
[2] Le 6 mars 2000, St-Hilaire est nommé vice-président, développement des affaires du Groupe CGI, d'abord au bureau de Québec, puis au bureau de Montréal. Il y coordonne les stratégies de développement des affaires dans le secteur public et parapublic et gère les ressources financières et humaines de son unité.
[3] À l'automne 2003, à la suite de son évaluation annuelle, il fait part à son supérieur immédiat, Pierre Turcotte, des commentaires suivants :
Thank you Pierre for this evaluation and for your comments. You are a great manager, we are a great team and I am very happy to be part of your team. As I mentioned in the career plan section, I am looking to return to Québec city. You have to understand, it is not because I'm not happy in Montréal, or because I don't like what I am doing but simply because personally the business case doesn't make sense. Financially, my personal situation was a lot better when I was in Québec city even if my base salary was lower than actually. After 3.5 years in Montréal I realise [sic] that the ratio work / $$$ / quality of life is a lot better for me in Québec city then in Montréal.
[4] À la suite de discussions avec Pierre Turcotte, il obtient une augmentation de son salaire de base (208 000 $), 20 000 options d'achat d'actions de CGI ainsi qu'une bonification supplémentaire.
[5] Toujours en 2003, CGI acquiert 34 % des actions de Nexxlink, une société commerciale spécialisée dans la vente de logiciels, d'équipements, de services informatiques et qui propose également des services d'impartition.
[6] En juin 2004, à l'invitation de Pierre Turcotte et après avoir convenu de conserver certains avantages relatifs à son lien d'emploi avec CGI, St-Hilaire se joint à Nexxlink à titre de vice-président, développement des affaires, comptes majeurs.
[7] Il assume la gestion du groupe Développement IBM dirigé par Jacques Dextras et comptant 8 employés ainsi que du groupe des opérations dirigé par Pascal Tremblay qui compte 12 employés. Il a aussi sous sa gouverne 12 directeurs de comptes qui proposent les services de Nexxlink à des clients éventuels (infrastructure, services professionnels et impartition) ainsi que 3 spécialistes les supportant dans leurs tâches. Sa vice-présidence représente alors 50 % des revenus de Nexxlink.
[8] Le 1 er août 2004, l'embauche de St-Hilaire par Nexxlink est confirmée par la conclusion de son contrat d'emploi comme vice-président, développement des affaires, comptes majeurs (affaires gouvernementales, publiques et privées) au salaire de base de 170 000 $, un plan de bonification de 40 000 $ pour l'année 2004-2005, 20 000 options d'achat d'actions de Nexxlink au prix de levée de 6,20 $ l'action et une allocation de dépenses discrétionnaires de 650 $ par mois.
[9] Mais, dès septembre 2004, suivant les conseils de son médecin, St-Hilaire doit diminuer de 50 % ses déplacements au bureau puisqu'il souffre d'une hernie discale. Au mois d'octobre, il ne peut plus quitter sa résidence. Malgré tout, il continue à travailler à son domicile environ 35 heures par semaine. Daniel Mainville, alors vice-président, solutions intégrées, et Pascal Tremblay, directeur des opérations, assument par intérim certaines de ses tâches.
[10] Le 9 décembre 2004, Robert Courteau, président de Nexxlink, informe St-Hilaire de l'acquisition de la totalité des actions de Nexxlink par 4257049 Canada inc., une filiale de Bell Canada (Bell PME).
[11] Puis, le 24 décembre 2004, comme tous les autres détenteurs d'options d'achat d'actions de Nexxlink, St-Hilaire est avisé par lettre que :
À : Tous les détenteurs d’options d’achat d’actions de Nexxlink Technologies Inc. (la « Compagnie ») qui ont un prix de levée supérieur à 6,05 $
Madame Monsieur,
Cet avis a pour objet de vous informer qu’en vertu de l’offre de 4257049 Canada inc. une filiale de Bell Canada, visant l’achat de la totalité des actions ordinaires en circulation de la Compagnie (l’« Offre »), les options d’achat d’actions ordinaires de la Compagnie que vous détenez ayant un prix de levée supérieur à 6,05 $ l’action ordinaire sont par la présente annulées.
[…]
NEXXLINK TECHNOLOGIES INC.
Par Karol Brassard
Président exécutif du conseil
d’administration
[12] St-Hilaire est de retour au travail le 4 janvier 2005 et, dès le 5 janvier, il sollicite par courriel une rencontre avec Robert Courteau dans le but de discuter des changements à venir dans l'organisation à compter du 1 er février, notamment « [la] structure organisationnelle, [la] couverture des comptes majeurs, [les] rôles et responsabilités, [la] rémunération, etc. ». Il se dit préoccupé de la place de sa vice-présidence dans la nouvelle entreprise dont l’actionnaire est Bell PME, puisqu'elle dessert uniquement les comptes majeurs ou encore les grandes entreprises.
[13] Entre-temps, il apprend que, dans le but de faciliter la transition et l'intégration dans la structure de Bell, de Nexxlink et d'une autre entreprise acquise au même moment, on a créé un comité d’intégration. Or, il n'en fait pas partie, contrairement à plusieurs autres membres de la haute direction de Nexxlink.
[14] Le 14 janvier 2005, il rencontre Robert Courteau. Il prétend que Courteau lui aurait promis qu'il recevrait une offre de Bell Grandes Entreprises où son expertise cadrerait mieux. Courteau reconnaît simplement avoir discuté avec St-Hilaire des opportunités d'affaires possibles entre Bell Solutions d'affaires et Bell Grandes Entreprises.
[15] Au courant du mois de janvier 2005, St-Hilaire a quelques discussions avec un dirigeant d'Infostream, une filiale de Bell Grandes Entreprises, sans toutefois qu'il en résulte une offre d'emploi.
[16] Le 31 janvier 2005, les cadres supérieurs de Nexxlink sont informés de la place de chacun dans la nouvelle entreprise. Le poste de St-Hilaire chez Bell Solutions d'affaires est décrit ainsi :
Louis St-Hilaire , vice-président - ventes d'équipement d'infrastructure, sera responsable des ventes et de l'achat d'équipement d'infrastructure.
[17] Dès le 2 février 2005, St-Hilaire informe Robert Courteau par courriel qu'il considère que sa vice-présidence ne cadre pas avec la nouvelle entreprise et que les responsabilités qu'on lui confie ne sont pas en lien avec ses compétences. Il lui reproche aussi d'avoir été exclu du comité d’intégration, contrairement aux autres hauts dirigeants de Nexxlink.
[18] Puis, le 4 février 2005, après avoir récupéré ses effets personnels, St-Hilaire rencontre à nouveau Robert Courteau. Il l'informe qu'il quitte son emploi, puisqu'il n'a pas, chez Bell Solutions d'affaires, les mêmes conditions de travail qu'auparavant. Il prétend que le poste de vice-président, ventes d'équipement d'infrastructure, représente une modification réductrice de ses responsabilités et que ce n'est pas pour ce genre de poste que ses services ont été retenus en juin 2004. Il affirme être victime d'un congédiement déguisé.
[19] Il réitère dans un courriel du 7 février 2005 qu'il ne démissionne pas; il prétend plutôt être victime d'un congédiement déguisé et sollicite une nouvelle rencontre avec Robert Courteau afin de discuter des modalités de fin d'emploi.
[20] Le même jour, Robert Courteau lui répond que l'acquisition de Nexxlink par Bell PME n'aura aucune incidence sur son rôle, ses responsabilités, sa rémunération, ses bénéfices ou encore ses comptes-clients. Il précise que son absence du comité d'intégration est due au fait qu'aucun changement n'était envisagé dans ses responsabilités et qu'ainsi, il n'était pas tenu d'y participer. Il nie l'avoir congédié de façon déguisée et considère plutôt que St-Hilaire a démissionné.
[21] Dans sa requête introductive d'instance, St-Hilaire allègue avoir subi un congédiement déguisé et, à titre de compensation, réclame 525 600 $, soit son salaire annuel de base, ses bonis et ses allocations, les indemnités de préavis et de fin d'emploi ainsi que la perte causée par l'annulation de ses options d'achat d'actions.
[22] Le 3 octobre 2005, après quelques mois de recherche d'emploi, St-Hilaire est nommé vice-président, développement des affaires, grandes entreprises et secteur public, auprès du Groupe Fortune 1000 inc.
[23] Après avoir résumé la preuve, le juge de première instance reprend la règle applicable en matière de congédiement déguisé énoncée par la Cour suprême dans l'arrêt Farber :
[ 26 ] Pour arriver à la conclusion qu’un employé a fait l’objet d’un congédiement déguisé, le tribunal doit donc déterminer si la modification unilatérale imposée par l’employeur constituait une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail de l’employé. Pour ce faire, le juge doit se demander si, au moment où l’offre a été faite, une personne raisonnable, se trouvant dans la même situation que l’employé, aurait considéré qu’il s’agissait d’une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail. [1]
[24] Les motifs du juge pour conclure que St-Hilaire n'a pas démontré de façon prépondérante sa prétention qu'il a été victime d'un congédiement déguisé sont très succincts :
[82] Le Tribunal reconnaît que le demandeur, compte tenu de l’importance du poste qu’il occupe au sein de l’entreprise, n’acceptait pas d’avoir été tenu à l’écart des discussions du comité d’intégration lors de l’acquisition de l’entreprise par Bell.
[83] Mais encore faut-il tenir compte de l’ensemble des circonstances, soit son absence prolongée causée par la maladie au début de son contrat, de septembre à décembre 2004, ajouté au caractère confidentiel des discussions, la défenderesse étant une compagnie publique avec actions inscrites en bourse et le désir de Bell de rencontrer certains cadres de la défenderesse toujours en fonction sur les lieux mêmes de l’entreprise.
[84] Le fait que le demandeur ait été tenu à l’écart sur ce comité d’intégration et le désir non avoué du demandeur de vouloir retourner à Québec peuvent être des facteurs ayant constitué le prétexte pouvant conclure erronément à un congédiement déguisé, mais cela selon le Tribunal n’est pas déterminant eu égard à la nature de ce litige.
[85] Il faut rappeler qu'il doit s'agir de modifications substantielles aux conditions essentielles apportées au contrat de travail et non d'une simple appréhension qu'il puisse un jour y en avoir.
[ 86 ] Certes les conditions d'emploi du demandeur ont été modifiées à certains égards.
[ 87 ] Ainsi, CGI n'est plus actionnaire de la défenderesse, les liens avec Dextras, bien que tenus, sont rompus suivant le nouvel organigramme et les conditions de bonification ne sont plus les mêmes bien que toujours existantes et adéquates. Enfin, Bell PME n'exclut pas dans les faits la possibilité de transiger avec de grandes entreprises comptes majeurs.
[88] Le Tribunal estime que l’intégration de la défenderesse à Bell a certes eu pour effet de modifier les responsabilités de la vice-présidence du demandeur. Dans un tel contexte, cela ne peut justifier le départ du demandeur.
[ 89 ] En somme, le Tribunal estime que dans son ensemble, bien que modifiées à certains égards, les conditions essentielles d'emploi demeurent, de telle sorte que la conclusion d'un congédiement déguisé est mal fondée.
[25] L'appelant propose les questions suivantes :
1) Le juge de première instance a-t-il erré en concluant qu’il n'avait pas été victime d'un congédiement déguisé ?
2) Si oui, quels sont les dommages auxquels il a droit ?
1) St-Hilaire a-t-il été victime d'un congédiement déguisé ?
[26] L'appelant invoque que le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les modifications à ses conditions de travail n’étaient pas substantielles et, qu'en conséquence, il n’avait pas été victime d’un congédiement déguisé.
[27] Deux visions s'opposent dans ce moyen d'appel. St-Hilaire prétend avoir été congédié de façon déguisée, tandis que Nexxlink invoque qu'il a démissionné. Il s'agit d'une question de fait relevant de l'appréciation du juge de première instance [2] .
[28] La distinction entre une démission et un congédiement déguisé a été analysée par la Cour suprême dans l'arrêt Farber c. Cie Trust Royal :
23 L’article
Les parties ne peuvent non plus, sauf entente, modifier les termes de leur contrat ou les modalités de son exécution. La force obligatoire du contrat emporte non seulement qu’elles soient liées sur le plan du temps, mais aussi sur le plan du contenu de leur engagement.
Dans le cadre d’un contrat d’emploi à
durée indéterminée, une partie peut procéder à la résiliation unilatérale du
contrat. Cette résiliation est qualifiée de congédiement, si elle origine de
l’employeur, ou de démission, si elle origine de l’employé. Si l’employeur
congédie l’employé sans cause, il doit donner à ce dernier un préavis
raisonnable (délai-congé) de la rupture prochaine du contrat ou une indemnité
qui en tienne lieu.
(Article
24 Lorsqu’un employeur décide unilatéralement de modifier de façon substantielle les conditions essentielles du contrat de travail de son employé et que celui-ci n’accepte pas ces modifications et quitte son emploi, son départ constitue non pas une démission, mais un congédiement. Vu l’absence de congédiement formel de la part de l’employeur, on qualifie cette situation de «congédiement déguisé». En effet, en voulant de manière unilatérale modifier substantiellement les conditions essentielles du contrat d’emploi, l’employeur cesse de respecter ses obligations; il se trouve donc à dénoncer ce contrat. Il est alors loisible à l’employé d’invoquer la résiliation pour bris de contrat et de quitter. L’employé a alors droit à une indemnité qui tient lieu de délai-congé et, s’il y a lieu, à des dommages. [3]
[Nos soulignements]
[29] Ainsi, les critères pour définir la notion de congédiement déguisé sont les suivants : « 1) une décision unilatérale de l’employeur, 2) une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail, 3) le refus des modifications apportées par l’employé et 4) le départ de l’employé » [4] .
[30] Le juge de première instance a conclu que les conditions essentielles de l'emploi de St- Hilaire demeurent, bien que certaines d'entre elles aient été modifiées.
[31] En effet, l'employeur peut faire toutes les modifications à la situation de son employé qui lui sont permises par le contrat d'emploi, notamment dans le cadre de son pouvoir de direction. Il ne s'agit pas alors de modifications du contrat de travail, mais plutôt d'applications de celui-ci. [5]
[32] Vu la frontière ténue entre le droit de gérance de l'employeur et la modification unilatérale et substantielle d'une condition de travail essentielle, le tribunal chargé d'analyser une telle situation doit prendre en considération l'ensemble des circonstances particulières à chaque cas :
[ 35 ] …Toutefois, en matière de congédiement déguisé chaque cas est un cas d’espèce puisque, pour déterminer s’il y a eu une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail, il faut tenir compte des particularités de chaque contrat et de chaque situation. [6]
[33] Tel que l'a souligné la Cour dans l'arrêt Lemieux c. Marsh Canada ltée , il n'est pas surprenant, lors d'une fusion, que certaines responsabilités d'un employé soient modifiées [7] . Dans cette affaire, le vice-président d'une société de courtage en assurances avait quitté son employeur étant donné le rôle restreint qu'il aurait occupé dans la nouvelle entreprise à la suite d'une fusion. La Cour avait refusé d’y voir un congédiement déguisé.
[34] Qu'en est-il des modifications substantielles alléguées par St-Hilaire ? Le juge de première instance a-t-il mal apprécié les conditions essentielles de son contrat travail?
[35] St-Hilaire a dressé un tableau des modifications substantielles qui porteraient atteinte, selon lui, aux conditions essentielles de son contrat de travail :
Ø De vice-président, développement des affaires, comptes majeurs (affaires gouvernementales, publiques et privées), il est devenu vice-président, ventes d'équipement d'infrastructure.
Ø Son marché cible est passé des grandes entreprises publiques et privées aux petites et moyennes entreprises.
Ø Alors qu'il était responsable de la vente de l'ensemble de l'offre de services de Nexxlink incluant la vente d'équipement d'infrastructure, de services techniques, de services professionnels, de services Développement IBM, de services d'hébergement/centre d'appel, de développer une alliance stratégique avec CGI et des relations d'affaires avec les grands partenaires (IBM, HP, Microsoft, etc.), il ne lui reste que la responsabilité de la vente d'équipement d'infrastructure.
[36] À cette liste, s’ajoutent l'annulation de ses 20 000 options d'achat d'actions de Nexxlink ainsi que la réduction anticipée des bénéfices que lui procurait le plan de bonification en fonction de la performance de sa vice-présidence et des résultats globaux de l'entreprise.
[37] St-Hilaire reproche au juge de première instance de ne pas avoir identifié, préalablement à son analyse, les conditions essentielles à son contrat de travail.
[38] Une condition de travail peut être explicite, étant mentionnée dans le contrat de travail, ou encore implicite. En l'espèce, les responsabilités reliées au poste, de même que la rémunération de St-Hilaire paraissent être des conditions essentielles de son contrat de travail.
[39] De façon générale, la rétrogradation ou encore la perte de prestige et de statut d'un employé dans une entreprise peuvent être considérées comme une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail [8] . C'est ce qu'invoque St-Hilaire lorsqu'il affirme que Daniel Mainville, son égal dans l'ancienne entreprise, a été nommé premier vice-président, tandis qu'un employé subordonné, Pascal Tremblay, s'est par ailleurs vu confier certaines de ses responsabilités.
[40] Or, à la différence de l'affaire Farber où la Cour suprême a conclu qu'il y avait eu une rétrogradation grave et importante [9] , St-Hilaire n'a pas subi une rétrogradation comme telle. C'est plutôt à la suite du bon travail de Mainville et de Tremblay que Nexxlink a voulu leur offrir une promotion. St-Hilaire ne peut, par ailleurs, dans le contexte de la transaction, prétendre avoir droit au maintien intégral de l'organigramme qui existait antérieurement chez Nexxlink. En fait, ce qui s'est produit n'est pas assimilable à une modification substantielle des conditions d'emploi de St-Hilaire, mais relève plutôt du droit de gérance de Nexxlink.
[41] Quant aux modifications relatives à ses responsabilités ainsi qu'au marché cible, St-Hilaire soulève que le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les modifications imposées n'étaient pas substantielles. Il reproche au juge d'avoir considéré des éléments postérieurs à sa décision de quitter l'entreprise.
[42] Dans l'arrêt Farber , la Cour suprême précise que seul ce qui était connu de l'employé au moment de l'offre ou ce qui devait être prévu par une personne raisonnable se trouvant dans la même situation sera pertinent afin d'examiner s'il y a eu congédiement déguisé :
41 Une preuve
ex post facto
n’est admissible
que si elle est pertinente au litige. Dans l’affaire
Cie minière Québec
Cartier c. Québec (Arbitre des griefs)
,
42 La pertinence s’analyse en fonction des éléments à établir dans une action. En l’espèce, le tribunal devait déterminer si l’offre de l’intimée constituait une modification substantielle des conditions essentielles du contrat d’emploi de l’appelant. Toutefois, comme l’appelant devait décider si tel était le cas au moment où il a reçu l’offre, le tribunal devait se replacer au moment où l’offre a été faite et vérifier si une personne raisonnable, se trouvant dans la même situation que l’appelant, aurait considéré que celle-ci entraînait une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail. Ainsi, sera pertinent ce qui était connu par l’appelant au moment de l’offre ou devait être prévu par une personne raisonnable se trouvant dans sa situation. La preuve de faits ex post facto ne sera pertinente que si les résultats survenus subséquemment à l’offre faisaient partie de l’expectative raisonnable au moment de l’offre.
[…]
44 Le juge de première instance a tiré du simple fait de l’amélioration subséquente des revenus du bureau de Dollard une présomption que celle-ci était raisonnablement prévisible de la part de l’appelant, en l’absence d’une preuve de la survenance de circonstances particulières dans l’intérim. Ceci, à mon avis, ne saurait tenir sans une autre preuve reliant l’expérience ultérieure aux informations disponibles lors de l’offre de l’intimée. La simple survenance de l’événement n’en établit pas la prévisibilité. Les aléas du commerce font obstacle à une telle présomption. [10]
[Notre soulignement]
[43] Il appert que, postérieurement au départ de St-Hilaire de l'entreprise et malgré l'acquisition de Nexxlink par Bell PME, les clients de la vice-présidence qu'il gérait auparavant sont demeurés les mêmes, soit de grandes entreprises ou encore des organismes gouvernementaux, et le juge le mentionne dans son jugement.
[44] Ainsi, les craintes de St-Hilaire concernant une modification drastique de la clientèle courtisée par sa vice-présidence ne se sont pas réalisées. Mais le juge d'instance ne pouvait utiliser ce fait pour conclure à l'absence de modification substantielle dans le contrat de travail de St-Hilaire à ce sujet. Seule la prévisibilité raisonnable de ce fait au moment du départ de St-Hilaire pouvait être prise en compte.
[45] Toutefois, le juge de première instance ne commet pas d’erreur en retenant de la preuve que « Bell PME n'exclut pas dans les faits la possibilité de transiger avec de grandes entreprises comptes majeurs ».
[46] En effet, le juge de première instance pouvait retenir le témoignage de Robert Courteau selon lequel il avait fait part à St-Hilaire lors de leur rencontre du 14 janvier 2005 que la vente et les services avec des clients de grandes entreprises seraient maintenus et que se présentaient beaucoup d'opportunités entre Bell Solutions d'affaires et Bell Grandes Entreprises.
[47] D'ailleurs, la lettre du 7 février 2005 adressée à St-Hilaire vient également confirmer que le président de Nexxlink, Robert Courteau, prévoyait le maintien intégral des responsabilités de St-Hilaire ainsi que de ses comptes-clients et qu'il lui en avait déjà fait part au moment de leur rencontre du 4 février :
Nous avons, lors de notre rencontre, tenté de connaître les raisons de votre décision de nous quitter de façon précipitée. Nous vous avons alors mentionné qu'aucun fait ne justifiait votre réaction, entre autres, parce que votre rôle, vos responsabilités, votre rémunération, vos bénéfices et vos comptes-clients demeuraient inchangés, nonobstant l'acquisition de notre entreprise par Bell Canada inc.
[48] Dans le contexte de l’intégration de deux entreprises pour en créer une nouvelle au sein d'un groupe de l'envergure de Bell Canada, certaines tâches des hauts dirigeants peuvent être amenées à être modifiées ou précisées avec le temps, notamment l'identification du marché de la nouvelle entreprise. Une certaine période d'incertitude et d'ajustement est tout à fait prévisible.
[49] C'est ainsi que le juge de première instance n'a pas pris en compte des éléments postérieurs au 4 février 2005 dans ses motifs pour rejeter la requête de St-Hilaire. Il a plutôt considéré qu'une personne raisonnable, placée dans le contexte de cette transaction, aurait pu prévoir qu'elle conserverait ses comptes-clients et que des opportunités étaient envisageables du côté de Bell Grandes Entreprises pour leur développement. Dans les circonstances, le juge de première instance a raison de rappeler qu'il doit s'agir de modifications substantielles aux conditions essentielles apportées à son contrat de travail et non d'une simple appréhension qu'il puisse un jour y en avoir.
[50] St-Hilaire prétend qu'il aurait dorénavant été limité à la vente d'infrastructure (divers équipements d'informatique), alors qu'auparavant il offrait aux clients de Nexxlink l'ensemble des services, notamment les services professionnels et d'impartition. C’est de la modification de son titre dans le nouvel organigramme de Bell Solutions d'affaires qu’il tire cette inférence.
[51] Il soulève également qu'il perdait la responsabilité du groupe de Jacques Dextras, Développement IBM, qui était désormais placé sous la gouverne de Robert Courteau, selon le nouvel organigramme de l'entreprise.
[52] Même s'il retient que certaines des responsabilités antérieures de St-Hilaire ont été modifiées, le juge de première instance considère que, dans les circonstances de cette transaction, cela ne constituait pas un congédiement déguisé.
[53] Il appert que le groupe dirigé par St-Hilaire avant son départ était déjà, à l'époque de la signature du régime d'intéressement à court terme de 2004-2005, divisé en trois secteurs au niveau du budget des ventes dont 52 000 000,00 $ en infrastructure, 2 222 298,24 $ pour le développement IBM (Dextras) et 11 000 000,00 $ en services, pour un total de 65 222 298,24 $.
[54] Ainsi, en 2004, près de 80 % des ventes du groupe dirigé par St-Hilaire provenaient de la vente d'infrastructure. Seule une portion négligeable, 3,4 %, provenait du groupe de Dextras qui était, par ailleurs, relativement autonome et nécessitait peu d'intervention de sa part.
[55] Le retrait de la responsabilité du groupe de Dextras ne constituait donc pas une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail de St-Hilaire. Au contraire, cela relevait manifestement du droit de gérance de l’employeur. D’ailleurs, Robert Courteau a expliqué qu’il voulait placer le groupe Développement IBM (celui de Dextras) sous sa propre gouverne, compte tenu des résultats décevants de cette équipe et du manque de synergie avec le groupe dirigé par St-Hilaire.
[56] Ainsi, malgré le changement dans le titre du poste occupé par St-Hilaire, une personne raisonnable aurait conclu au maintien des principales responsabilités qui y sont associées. Dans le cadre de ce test, les perceptions personnelles de St-Hilaire ne sont pas convaincantes.
[57] D'ailleurs, la Cour, dans l'arrêt Lemieux c. Marsh Canada ltée [11] , a retenu que les modifications mineures aux responsabilités d'un haut dirigeant dans le cadre d'une fusion d’entreprises ne sauraient être assimilées à un congédiement déguisé.
[58] Finalement, selon St-Hilaire, l'annulation des options d'achat d'actions faisant partie de sa rémunération variable selon son contrat de travail ainsi que la modification du programme de bonification associé au poste qu’il occupe au sein de Bell Solutions d'affaires avaient une incidence sur sa rémunération globale et pouvaient aussi être associées à un congédiement déguisé.
[59] Relativement à la bonification, comme Nexxlink n'a pas annihilé le programme d'intéressement à court terme, l'appelant invoque plutôt que les objectifs qui s'y retrouvent sont devenus inatteignables en raison du retrait du groupe de Développement IBM de ses responsabilités et vu que son nouveau poste ne lui permettait plus de vendre de l'impartition et des services professionnels.
[60] Or, selon le juge de première instance, il n'en est rien, sauf en ce qui a trait au groupe de Développement IBM qui ne représentait en réalité qu'une infime partie des revenus du groupe qu'il dirigeait. Ce reproche n’est donc pas fondé.
[61] Selon les auteurs Benaroche et Fortin, un contrat de travail peut également prévoir que certaines modifications ne constitueront pas un congédiement déguisé :
De même, certaines modifications pourront être expressément ou implicitement permises par le contrat de travail, selon l'intention des parties lors de la formation du contrat. Le contrat de travail n'est pas stagnant et doit permettre une certaine flexibilité pour s'adapter aux différents impondérables susceptibles de se présenter durant la vie d'une relation employeur-employé. Dans un tel cas, l'on justifiera généralement les modifications apportées au contrat de travail par l'exercice légitime des droits de direction de l'employeur. Ainsi, le fait de perdre certains avantages ne peut être assimilé automatiquement à un congédiement déguisé. [12]
[62] Or, le contrat de travail du 1 er août 2004 entre St-Hilaire et Nexxlink prévoit expressément que le plan boni annuel est sujet à changement sur approbation du conseil d'administration. C’est ainsi que la modification des critères pour l’octroi d'un boni annuel à la suite de la transaction avec Bell ne peut fonder le recours de St-Hilaire.
[63] Qu'en est-il de l'annulation des options d'achat d'actions? Certes, l'annulation pure et simple des options d’achat d’actions détenues par St-Hilaire s'explique dans le contexte de la transaction intervenue avec Bell, puisque Nexxlink, une société publique, dont les actions étaient transigées sur les marchés publics, devenait une société privée détenue à 100 % par Bell PME. Par le fait même, les détenteurs d'options d’achat d’actions de Nexxlink ne pouvaient plus les exercer.
[64] Or, ces options d’achat d’actions faisaient partie de la rémunération variable de St-Hilaire, selon son contrat d'emploi. D'ailleurs, un témoin expert, Gilles Bernier, a évalué ces options entre 37 200 $ et 46 000 $, ce qui n’est pas négligeable.
[65] Lorsqu’il est question d'une entreprise publique en pleine croissance dans le domaine des technologies de l'information, la détention d'options d'achat d'actions peut revêtir une expectative de gains très intéressante pour un employé. D'ailleurs, St-Hilaire souligne qu'il avait négocié ces options au moment de son embauche comme partie intégrante de sa rémunération.
[66] À cet égard, le régime d'options d'achat d'actions de Nexxlink prévoyait que les options seraient compensées de façon juste et équitable par le conseil d'administration en cas d’acquisition :
Réorganisation corporative
En cas de fusion projetée de la Société, d'une des filiales ou d'une des sociétés associées et d'une ou de plusieurs autres sociétés, d'une offre d'acquisition de toute [sic] les actions en circulation de Nexxlink, d'une des filiales ou d'une des sociétés associées formulée par quelque personne ou d'une vente ou d'une répartition de la totalité ou de la quasi-totalité de l'actif de la Société, d'une des filiales ou d'une des sociétés associées à quelque personne, ou de quelque autre arrangement ou réorganisation de la Société, le conseil d'administration pourra déterminer justement et équitablement la façon dont les options en cours seront traitées.
[67] Selon Robert Courteau et Francis Baillet, ce programme d'intéressement à long terme a été remplacé par un programme de bonification. Mais, lorsque St-Hilaire a été avisé en décembre 2004 de l'annulation des options d’achat d’actions qu’il détenait, aucune forme de compensation n’avait encore été envisagée. De plus, l'établissement de ce programme est même survenu après le départ de St-Hilaire et le remplacement de ces options d'achat d'actions par un programme de bonification à long terme n’était par ailleurs pas prévisible au moment où St-Hilaire a décidé de quitter Nexxlink.
[68] Comme nous l'avons déjà souligné, les faits postérieurs ne peuvent être pris en compte pour l'analyse d'un congédiement déguisé, à moins d’avoir été prévisibles pour une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances.
[69] Ainsi, l'annulation pure et simple de ces options d'achat d'actions peut donc être considérée comme une diminution de la rémunération de St-Hilaire, ce dont ne traite pas le juge de première instance.
[70] Or, ce n'est que dans la mise en demeure du 24 février 2005 que St-Hilaire a demandé pour la première fois la manière dont Nexxlink entendait compenser l’annulation de ses options d'achat d'actions. En effet, ni immédiatement, à la suite de la réception de la lettre du 24 décembre 2004 lui annonçant l'annulation de ses options d'achat d'actions, ni un peu plus tard, dans les courriels des 2 et 7 février 2005, St-Hilaire n'a mentionné qu'il considérait que l'annulation sans compensation de ses options d'achat d'actions constituait une modification substantielle des conditions essentielles de son contrat de travail.
[71] St-Hilaire a quitté Nexxlink environ un mois et demi après l'annonce de l'annulation de ses options d'achat d'actions. Cette condition d'emploi ne lui semblait sans doute pas essentielle, puisqu'il n'a jamais manifesté son désaccord à ce sujet avant de quitter l’entreprise.
[72] En effet, les courriels qu'il a transmis au président Courteau avant son départ et immédiatement après son départ démontrent plutôt que c’est sa perception des modifications apportées à ses responsabilités dans la nouvelle entreprise ainsi que son exclusion du comité d'intégration qui l'ont motivé à quitter Nexxlink.
[73] Cette affaire s'apparente à certains égards à l'arrêt Corriveau c. Sedgwick Ltd où la Cour a conclu que la démission du directeur général d’une entreprise était prématurée, puisque même s’il avait été informé que son poste serait appelé à disparaître à la suite d'une fusion, ses conditions d'emploi n'avaient pas encore été modifiées et son employeur lui avait assuré une possibilité d’emploi à venir dans la nouvelle entreprise :
[6] L'appelant admet qu'avant le 2 septembre 1998, jour de sa démission, ses conditions d'emploi n'avaient pas été modifiées et qu'il n'avait reçu aucun indice que son avenir au sein de la nouvelle entreprise projetée était nécessairement compromis. Même si le poste précis qu'il occupait disparaissait dans la nouvelle entreprise, rien ne lui permettait de conclure qu'il aurait été désavantagé au sein de la nouvelle structure administrative résultant de la fusion. [13]
[74] Certes, St-Hilaire savait quel serait son nouveau rôle chez Bell Solutions d'affaires, mais il s'agissait d'une structure provisoire et beaucoup d'incertitude demeurait, notamment sur le plan des responsabilités. Comme le souligne le juge de première instance, bien que modifiées à certains égards, les conditions essentielles d’emploi de St-Hilaire demeuraient à la suite de l’intégration de Nexxlink à Bell, de telle sorte que sa prétention qu’il a été victime d’un congédiement déguisé est mal fondée.
[75] Puisque l’appelant n’a pas démontré que le jugement dont appel comporte une erreur de principe ou encore une erreur manifeste et dominante dans l’appréciation de la preuve, il n'y a pas lieu d'intervenir.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[76] REJETTE l'appel avec dépens.
[1]
Farber c. Cie Trust Royal
,
[2]
Orchestre métropolitain du Grand Montréal v.
Rescigno
,
[3] Farber c. Cie Trust Royal, supra , note 1, paragr. 23 et 24.
[4]
Deschênes c. Valeurs mobilières Banque
Laurentienne
,
[5] Farber c. Cie Trust Royal , supra, note 1, paragr. 25.
[6] Ibid ., paragr. 35.
[7]
Lemieux c. Marsh Canada ltée
,
[8] Voir à ce sujet Farber c. Cie Trust Royal , supra , note 1, paragr. 36.
[9] L'employé occupait le poste de gérant régional pour la région de l'ouest du Québec pour une agence de courtage immobilier où il supervisait 21 bureaux employant plus de 4000 agents d'immeubles. À la suite d'une restructuration majeure de l'entreprise et de l'abolition de son poste, l'employé s'était vu confier un poste de gérant d'un des bureaux qu'il supervisait auparavant, le moins rentable de la province.
[10] Farber c. Cie Trust Royal , supra , note 1 , paragr. 41, 42, 44.
[11] Lemieux c. Marsh Canada ltée , supra , note 7 .
[12] P. L. Benaroche et J.-M. Fortin, Le congédiement déguisé au Québec , Cowansville, Editions Yvon Blais, 2006, p. 102.
[13]
Corriveau c. Sedgwick Ltd
.,