Bohémier c. Barreau du Québec |
2012 QCCS 4163 |
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JP1827
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-045843-086 |
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DATE : |
LE 30 AOÛT 2012 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
ANDRÉ PRÉVOST, J.C.S. |
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Me MYRIAM BOHÉMIER |
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Demanderesse |
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c. |
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BARREAU DU QUÉBEC |
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Me JACQUES HOULE |
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Me DELPHA BÉLANGER |
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et |
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Me ÉTIENNE PANET-RAYMOND |
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et |
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Me CHANTAL SAURIOL |
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Défendeurs |
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JUGEMENT |
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[1] Me Bohémier réclame des dommages de 1 170 655,83 $ au Barreau du Québec (le Barreau), à son directeur général ainsi qu'aux membres du comité de discipline [1] ayant prononcé contre elle, le 2 novembre 2005, une ordonnance de radiation provisoire qui s'est prolongée jusqu'au jugement du Tribunal des professions qui l'a annulée, le 25 octobre 2006.
[2] L'audition au fond des plaintes disciplinaires n'a jamais eu lieu et le 4 avril 2012, dans des circonstances qui seront précisées ultérieurement, le syndic ad hoc chargé du dossier informe Me Bohémier qu'il demandera au comité de discipline l'autorisation de les retirer [2] .
[3] Me Bohémier résume ainsi la théorie de sa cause [3] :
1. L'essence du litige entre le Barreau du Québec et la demanderesse origine de la phobie du système face aux sectes et/ou à ce qu'il croit être une secte;
2. Me Francine Massy-Roy, ex-syndique adjointe, en est venue à adhérer à l'idée de secte exploitée par A... D... et ses avocats [4] afin de faire perdre à la cliente de la demanderesse la garde de ses enfants et de les discréditer tous les deux, ainsi que Madame Ghislaine Turcotte et son Centre du Soi Rayonnant [5] ;
3. Ainsi, au lieu de voir le harcèlement et la discrimination de A... D... et de ses avocats passant par la secte ainsi que d'intervenir pour y mettre fin, Me Massy-Roy s'est liguée avec eux contre la demanderesse et s'est attaquée à sa «philosophie» qu'elle aurait eu le droit d'avoir mais pas comme avocate, à sa «vision» qui n'aurait pas été «la» bonne et à son «discernement» qu'elle n'aurait plus eu;
4. Les plaintes disciplinaires portées contre la demanderesse par Me Massy-Roy découlent de ces vision et position de la syndique qui a refusé d'aider la demanderesse et l'a laissée défendre les droits fondamentaux de sa cliente, de Madame Ghislaine Turcotte et d'elle-même par ses propres moyens, pour ensuite se retourner contre elle et lui reprocher sa défense;
5. Pour rendre coupable la demanderesse, Me Massy-Roy s'en est tenue à la «forme» des propos contenus à ses lettres, déniant le contexte de harcèlement et de discrimination parce qu'elle croyait justement au préjugé de secte;
6. La demanderesse a été considérée d'emblée coupable sur la base de la forme des lettres, sans jamais que le fond qui les sous-tendent - le harcèlement et la discrimination - ne soit considéré;
7. Ce préjugé de culpabilité a engendré une radiation provisoire arbitraire de la demanderesse du tableau de l'ordre des avocats, radiation qui a été annulée par le Tribunal des professions après un an;
8. La radiation provisoire s'est prolongée dans le concret en radiation permanente par le fait, d'une part, que la demanderesse est toujours implicitement perçue comme coupable des plaintes parce que leur fondement qui origine du harcèlement et de la discrimination continue d'être ignoré volontairement et, d'autre part, par les effets de la radiation provisoire qui se poursuivent encore aujourd'hui.
[4] Ce dossier est complexe.
[5] Non seulement soulève-t-il le principe de la responsabilité des membres du comité de discipline d'un ordre professionnel et l'immunité dont ils bénéficient, mais il se complique du fait que le litige s'étale sur plusieurs années et qu'il implique de nombreuses décisions judiciaires. Sans compter que Me Bohémier a aussi déposé un autre recours en dommages contre le Barreau du Québec et les membres d'un deuxième comité de discipline [6] qui a pris la relève du premier.
[6] Dans ce contexte, une revue détaillée des circonstances de ce dossier s'impose.
LES FAITS À L'ORIGINE DES PLAINTES DISCIPLINAIRES
[7] Me Bohémier est admise au Barreau le 11 septembre 2000 [7] .
[8] Le 2 juin 2003, elle comparaît pour S... P... qui a déposé, le 16 octobre 2002, une requête pour obtenir la garde de ses deux enfants et une pension alimentaire. Son ex-conjoint, A... D..., est représenté par Me Nathalie Legault. Antérieurement, S... P... a été représentée tour à tour par deux avocats avant de faire appel à Me Bohémier.
[9] Le litige est acrimonieux.
[10] D'une part, S... P... a aussi déposé des plaintes de nature criminelle contre A... D... pour agression physique.
[11] D'autre part, au niveau civil, S... P... accuse A... D... de violence psychologique et se plaint des manœuvres utilisées par ce dernier et par son avocate pour lui faire perdre ses droits.
[12] De son côté, A... D... demande qu'une expertise psychosociale soit complétée car il craint que S... P... soit sous l'influence d'une « guérisseuse d'âme », Mme Ghislaine Turcotte [8] .
[13] Le 23 juin 2003, Me Bohémier adresse une lettre à la syndique du Barreau, Me Louise Comeau, qu'elle intitule «plainte disciplinaire contre Me Nathalie Legault» [9] . Elle y rapporte les détails du dossier S... P... contre A... D... et dénonce le comportement « pas professionnel, contraire à l'éthique, voire illégal » de Me Legault. Elle réclame que la syndique fasse enquête.
[14] Le 29 juillet, la syndique adjointe, Me Massy-Roy, communique à Me Bohémier les explications reçues de Me Nathalie Legault [10] . Dans sa version des faits, Me Legault souligne, notamment, le manque de modération de Me Bohémier tant dans ses propos que dans ses démarches en relation avec ce dossier. Elle demande à son tour l'intervention du bureau de la syndique.
[15] Le 11 février 2004, Me Bohémier remet à Me Massy-Roy un document de 42 pages, daté du 10 février, intitulé «Lettre-réponse aux commentaires de Me Nathalie Legault du 21 juillet 2003» [11] qu'elle a préparé en collaboration avec Mme Turcotte.
[16] Ce document a une portée très étendue.
[17] Premièrement, elle y aborde des sujets qui lui sont personnels : son cheminement professionnel, ses valeurs et son engagement. Deuxièmement, elle procède à une analyse du cadre de pensée individuel et collectif, en particulier celui du «Système occidental», pour ensuite traiter de «la problématique des principes et croyances du Système et des individus face à la violence». Troisièmement, elle analyse le cas S... P... contre A... D... le qualifiant de «cas type» des failles du «Système» à rendre justice aux victimes de la violence conjugale. Quatrièmement, elle relève ce qu'elle considère être des infractions déontologiques de la part de Me Legault.
[18] À la fin de la rencontre, Me Massy-Roy l'informe qu'elle poursuivra son enquête [12] .
[19] Celle-ci aboutit, le 28 septembre 2005, au dépôt de deux plaintes auprès du comité de discipline, comprenant respectivement 16 et 4 chefs d'accusation, concernant le comportement de Me Bohémier relatif aux évènements suivants [13] .
i. La lettre au juge Wery
[20] Le 31 mai 2004, Me Bohémier plaide devant le juge Wery (comme il était alors) une requête dans un dossier de droit familial autre que celui concernant S... P... et A... D... Une ordonnance est prononcée séance tenante.
[21] Quelques jours plus tard, le 3 juin, elle adresse une lettre au juge Wery [14] lui indiquant, d'une part, que son ordonnance est incomplète et qu'il lui apparaît nécessaire qu'elle soit amendée et, d'autre part, qu'elle désire qu'il reste saisi du dossier
[…] particulièrement en regard de l'impact de votre décision sur le petit F. Malgré que toutes les apparences aient été défavorables à ma cliente et que je n'aie pas pu vous démontrer la corrélation entre les problèmes de F et sa relation avec son père, je demeure convaincu que ma cliente, qui a juré de dire la vérité devant vous, vous a dit la vérité sur son vécu. Il est difficile de voir que les apparences, souvent trompeuses, discriminent et affaiblissent la vérité, ce qui a un impact direct sur la justice. J'espère que les évènements qui surviendront me donneront tort quant au risque que j'entrevois pour l'enfant d'avoir davantage de contacts avec son père.
[22] Le 16 juin, le juge Wery accuse réception de cette lettre [15] qu'il considère «inopportune et déplacée». Il ajoute que « vos propos constituent rien de moins qu'une tentative à peine voilée de me soumettre à un chantage émotif à l'égard des conséquences possibles de ma décision sur le petit F» . Il annonce qu'il se dessaisit du dossier.
ii. La lettre à la juge Cohen
[23] Le 14 septembre suivant, Me Bohémier adresse une autre lettre [16] , cette fois à la juge Cohen, qui a rendu jugement le 1 er septembre dans un autre dossier de droit familial dans lequel elle accorde une requête pour faire déclarer Me Bohémier inhabile à représenter l'une des parties et qui rejette la requête de cette dernière demandant sa récusation [17] .
[24] Dans cette lettre, dont une copie est adressée notamment à la juge coordonnatrice du district de Laval ainsi qu'au juge en chef adjoint, Me Bohémier reproche principalement à la juge Cohen d'avoir statué, au cours de la même audition, sur la requête en inhabileté présentée par la partie adverse ainsi que sur la requête de Me Bohémier exigeant sa récusation.
[25] Me Bohémier y va de plusieurs commentaires se rapportant au comportement de la juge Cohen ainsi qu'aux conclusions de son jugement. On y retrouve, notamment, les suivants :
· «vous avez erré dans votre jugement»;
· «le point clé de l'invalidité de votre jugement»;
· «si, après enquête, vous aviez déterminé que vous étiez partiale»;
· «ce qui montre que vous aviez préjugé de ma requête»;
· «vous m'avez lésée dans mes droits en ne me permettant pas d'avoir un procès équitable et de présenter une défense pleine et entière»;
· «vous avez également lésé Madame L dans ses droits d'être entendue»;
· «voici un aperçu des failles de l'audition du 1 er septembre et du jugement qui en a suivi : renforcement du déni de justice commis depuis au moins le 7 juillet dernier»;
· «vous saviez qu'il y avait un problème au niveau de votre impartialité»;
· «le fait de poser cette question n'était donc qu'un jeu - une façade pour montrer une bonne volonté et une ouverture»;
· «d'autres de vos commentaires formulés par la suite confirment votre pensée reflétant votre biais négatif au départ relativement à cette requête en récusation, biais négatif qui confirme votre partialité invoquée par cette requête»;
· «vous faisiez maintenant appel à une nouvelle raison, soit le manque de temps, pour justifier votre refus du 27 août d'entendre ma requête en irrecevabilité visant Me Roy et ainsi camoufler votre biais face à cette requête»;
· «vous avez joué sur les mots pour tenter de montrer que nous présentions la requête en récusation comme stratégie pour éviter un jugement défavorable»;
· «vous avez été obnubilée par l'interprétation négative que vous faisiez de notre intention»;
· «vous avez passé des commentaires relativement au fait que vous ne compreniez pas l'ampleur de ce dossier […] vous avez prétendu que mon implication dans le Centre du Soi Rayonnant pouvait être la cause de cette ampleur, montrant ainsi votre biais négatif face au centre»;
· «vous me faites un procès d'intentions sans les vérifier et sans avoir l'ouverture d'esprit de regarder ce que je vous soumets pour défaire ce que vous croyez vrai mais qui ne l'est pas»;
· «vous me lésez en me condamnant d'avance par des motifs qui n'ont rien à voir avec le droit et la justice, mais plutôt avec votre biais négatif sur moi»;
· «étant donné votre attitude débonnaire»;
· «vous avez agi de façon autocratique, ne daignant même pas remettre en cause un tant soit peu le processus illogique et injuste que vous aviez déterminé nébuleusement»;
· «qui plus est, vous avez déterminé, de façon autocratique, que même sans son témoignage [celui de Madame L], vous aviez suffisamment d'éléments pour me déclarer inhabile. Ainsi, vous avez complètement escamoté son témoignage, confirmant ainsi votre fermeture d'esprit relativement à ce qu'elle pourrait vous dire»;
· «en me déclarant inhabile plutôt qu'en favorisant ou bien le règlement du dossier, ou bien le débat réel de la notion d'indépendance par l'audition simultanée des deux requêtes en inhabileté […] vous allez dans le sens du chantage fait par le demandeur et Me Roy [son avocate] sur Madame L»;
· «vous étiez à ce point aveuglée par vos croyances sur nos intentions que vous avez invoqué un argument complètement illogique pour rejeter ma requête en récusation»;
· «le 1 er septembre, vous avez continué dans le sens de manifester votre pouvoir de juge au détriment du sens de justice : procès d'intentions, processus non clair aboutissant à une entourloupette par laquelle Madame L et moi-même avons été bafouées dans nos droits à une défense pleine et entière ainsi qu'à être entendues»;
· «vous êtes responsable de vos décisions et de ce qu'elles impliquent pour les parties».
[26] Le 24 septembre, Me Massy-Roy demande à Me Bohémier de la rencontrer au sujet de cette lettre [18] . La réunion est prévue pour le 1 er octobre.
[27] Dans une lettre du 30 septembre à Me Massy-Roy [19] , Me Bohémier se plaint du manque de transparence dans son processus d'enquête et refuse de répondre à des questions «à l'aveuglette».
[28] Lors de la rencontre du 1 er octobre, Me Massy-Roy reproche à Me Bohémier d'avoir écrit les lettres aux juges Wery et Cohen et lui rappelle ses obligations déontologiques à cet égard. Me Bohémier conteste l'appréciation des faits de Me Massy-Roy ainsi que son interprétation des obligations déontologiques de l'avocat.
iii. Les lettres à Me Gendron du Centre communautaire juridique
[29] Le 16 novembre suivant, Me Bohémier adresse une lettre à Me Benoît Gendron, du Centre communautaire juridique de Montréal, au sujet d'une demande amendée de S... P..., déposée le 7 octobre, pour obtenir le paiement des frais d'expertise dans le dossier l'opposant à A... D... [20] . D'ailleurs, cette lettre fait suite à celle envoyée le 2 juillet 2004 se rapportant à la contestation par l'ex-conjoint de S... P... de l'admissibilité de cette dernière à l'aide juridique [21] .
[30] Une copie de la lettre est adressée au directeur du centre communautaire juridique de Montréal, au directeur du bureau d'aide juridique de Laval, au président de la Commission des services juridiques ainsi qu'au sous-ministre de la Justice.
[31] Me Bohémier accuse Me Gendron d'avoir mis en place un «barrage» pour empêcher l'acceptation de sa demande au nom de S... P... Elle ajoute que « votre façon de faire (contrôler, intervenir et agir dans ce dossier à mon insu et en m'ignorant complètement) constitue un camouflage de votre part ».
[32] Traçant l'historique de ce dossier, elle accuse également Me Gendron d'être devenu le complice de A... D... dans le harcèlement exercé envers S... P... Elle lui reproche aussi d'utiliser des manœuvres d'intimidation à l'égard de sa cliente.
[33] Elle conclut ainsi sa lettre :
L'administration bureaucratique de l'aide juridique se cache derrière les fonctions de chacun. Peu importe que votre comportement montre un manque total de respect pour ma cliente et moi-même, on me renvoie toujours à vous. Il semble donc que nous devions aller au bout de cette voie et que votre vision de la justice doive affronter la Justice. Si votre souci est réellement la Justice, comment, avec vos comportements impropres à favoriser le Sens de celle-ci, pouvons-nous le poursuivre et régler le dossier en fonction de celui-ci? Pour ce faire, il faut commencer par le respect et l'écoute. Voyons si vous êtes maintenant prêt à agir de la sorte. J'en appelle à tous les humains de bonne foi dans l'administration judiciaire qui peuvent aider à délier ce «nœud de vipère» monté de toutes pièces par vous-même et vos acolytes par vos jeux de camouflage sans que je puisse vous rencontrer et défaire les interprétations que vous avez qui motivent vos comportements inadéquats, à intervenir.
[34] Cette lettre est suivie d'une autre à Me Gendron, datée du 9 décembre, et dont une copie est adressée, notamment, à la représentante du Comité de la pratique privée et au ministre de la Justice du Québec [22] .
[35] Me Bohémier se plaint du fait que sa cliente, S... P..., ait été convoquée pour vérifier son admissibilité à l'aide juridique sans qu'elle n'en ait été avisée. Elle indique au sujet de Me Gendron :
Vu votre manque de respect et d'ouverture flagrant depuis votre entrée dans le dossier, il semble que vous vouliez mettre en boîte ma cliente en la rencontrant seule, démunie face à l'ampleur du dossier et votre bureaucratie enchevêtrée et irrespectueuse de l'humain.
iv. La lettre à Me Lahaie
[36] Le 25 janvier 2005, en collaboration avec Mme Turcotte, Me Bohémier s'adresse par écrit à Me Gilles Lahaie, procureur chef de la Ville de Laval, au sujet des plaintes pénales de voies de fait portées contre A... D... découlant de la dénonciation de S... P... [23] . Une copie de sa lettre est aussi adressée au ministre de la Justice du Québec.
[37] Elle se plaint du refus de Me Isabelle Roy, procureure chargée de plaider le dossier pénal en octobre 2003, de collaborer avec elle « aux fins d'exploiter les éléments disponibles et la vision plus large du dossier en vue que Monsieur D... soit déclaré coupable des actes qu'il a effectivement posés».
[38] Elle se plaint aussi du comportement similaire de la part d'une autre procureure chargée de plaider le dossier en avril 2004, Me Natalia Sampaio.
[39] Elle conclut sa lettre en invitant le procureur du ministère public à mieux collaborer avec elle :
Nos sphères d'expérience et d'intervention dans ce dossier sont différentes. Vous connaissez toute la technique et vous avez des habiletés ainsi que l'expérience pour faire votre travail de procureur de la Couronne. Pour ma part, j'ai une vision plus large de la justice et j'ai une expérience pointue de ce dossier et de la façon de procéder de l'accusé, ce que vous ne savez pas et ne pouvez même pas anticiper. J'aimerais donc rencontrer le procureur de la Couronne en charge du dossier avec ma cliente et ses témoins, qu'il vérifie véritablement les éléments de preuve que ceux-ci peuvent apporter, qu'il prépare leurs témoignages, et que je puisse l'informer de ce que je sais du dossier qu'il est pertinent qu'elle sache. Madame Turcotte sera enchantée de m'accompagner.
Finalement, tel qu'entendu avec Me Sampaio en avril dernier et réitéré dans sa lettre du 11 mai 2004, un subpoena devrait être envoyé rapidement à Madame P. pour qu'elle puisse témoigner le 8 février prochain. De plus, je vous demanderais d'aviser Me Roy de m'appeler.
[40] Le 18 février, Me Massy-Roy écrit à Me Bohémier [24] .
[41] Elle rapporte que Me Isabelle Roy lui a communiqué une copie de la lettre du 25 janvier à Me Lahaie, se plaignant de l'ingérence de Me Bohémier dans la conduite d'un dossier relevant du ministère public. Me Massy-Roy lui reproche les propos contenus à cette lettre « qui ne correspondent pas à ceux d'un avocat dont la conduite est empreinte de modération et respectueux du travail de ses confrères » ainsi que son comportement qui constitue, à son avis, une immixtion dans la conduite du dossier de Me Roy « en voulant imposer votre vision de l'affaire et votre stratégie ».
[42] Me Massy-Roy réfère ensuite à la lettre du 14 septembre 2004 de Me Bohémier à la juge Cohen dans les termes suivants :
Or, nous sommes d'opinion que non seulement vous avez manqué de respect, de modération et de courtoisie en vous adressant à l'Honorable Cohen comme vous l'avez fait, mais nous pourrions également conclure que vous avez omis de soutenir l'autorité des Tribunaux.
[43] Elle fait aussi reproche à Me Bohémier de travailler dans le dossier de S... P... en étroite collaboration avec Mme Turcotte qui n'est pas avocate, compromettant ainsi son devoir de confidentialité.
[44] Enfin, elle informe Me Bohémier qu'elle soumettra sa conduite à l'attention du comité de discipline.
v. Les lettres aux ministres de la Justice
[45] Le 11 avril 2005, la veille de la reprise du procès de A... D... devant la Cour municipale de Laval, Me Bohémier et Mme Turcotte du Centre du Soi Rayonnant écrivent une longue lettre à Me Yvon Marcoux, Procureur général du Québec et ministre de la Justice ainsi qu'à Me Irwin Cotler, Procureur général du Canada et ministre de la Justice [25] .
[46] Une copie de cette lettre est adressée à M. Jean Charest, premier ministre du Québec, à M. Paul Martin, premier ministre du Canada, à Me Gilles Lahaie, procureur en chef de la Cour municipale de Laval, au «Procureur de la Couronne en charge du dossier de Madame P[…]», ainsi qu'à l'honorable Beverly McLaughlin, juge en chef de la Cour suprême du Canada.
[47] La lettre commence ainsi :
La présente a pour but de vous faire part des failles du Système judiciaire rencontrées dans les procès pénaux de violence conjugale à travers le dossier de Madame S[…].P[…]. En effet, par nos démarches pour la justice et la vérité avec celle-ci, nous avons constaté que le Système judiciaire et ses intervenants ont une vision erronée et incohérente, ainsi qu'un fonctionnement inadéquat, qui font en sorte de maltraiter l'Humain et de mettre des obstacles à la divulgation de la vérité. Par exemple, le contexte large, le sens des actions posées par les parties et l'intention qui en ressort ne sont pas des données considérées importantes dans le Système judiciaire, alors qu'elles le sont. Ceci empêche la vérité d'être connue sur la réalité du vécu entre la victime et l'agresseur et banalise la violence infligée à la victime: une simple claque, vue sans le contexte de climat de harcèlement et d'abus de pouvoir sur l'autre, n'est pas bien grave. Qui plus est, les règles, les procédures, la pratique et la vision des intervenants du Système (par exemple, les avocats, dans leur vision, ont pour devoir de gagner pour leur client et non de défendre et revendiquer la justice, alors qu'ils sont des officiers de justice) sont autant de moyens pour empêcher la vérité d'être dite. Si la justice n'est pas basée sur la vérité, elle ne peut être. Or, les règles, normes et procédures ont été établies pour servir un sens qui est la justice. Si elles ne servent pas la vérité et la justice, elles n'ont plus de sens. Alors, l'Humain en pâtit et la société aussi. C'est ce que nous vivons dans le dossier de Madame P[…].
[référence omise]
[48] Cette lettre reprend plusieurs des éléments contenus au document du 11 février 2004 remis par Me Bohémier à Me Massy-Roy [26] . Elle relate aussi les éléments contenus à la lettre du 25 janvier 2005 adressée à Me Lahaie [27] .
[49] Me Bohémier et Mme Turcotte abordent ensuite l'audition du 8 février 2005 devant la Cour municipale de Laval. Elles commentent ainsi le témoignage rendu par Madame P. :
Madame Turcotte et Me Bohémier préparons Madame P[…] depuis deux ans à faire face à ce procès. Si elle a si bien témoigné le 8 février dernier, c'est grâce au travail que l'on a fait avec elle, pas à celui des procureurs de la Couronne. Ils n'ont jamais préparé le témoignage de Madame P[…].
[50] Elles critiquent ensuite les interventions du juge qu'elles considèrent «de nature à intimider et déstabiliser». Elles ajoutent que « pour une victime, cela accentue encore la violence qui lui est faite ».
[51] Elles s'en prennent au contre-interrogatoire de Madame P., effectué par l'avocat de A... D..., qu'elles qualifient de harcèlement et auquel le procureur du ministère public ne s'est pas opposé.
[52] Elles concluent comme suit :
Les éléments qui vous sont soumis ici sont ceux relatifs à la preuve de la Couronne. Le 12 avril prochain, nous entendrons la preuve de la défense. Cela donnera certainement lieu à d'autres évènements caractérisés par le manque de respect de l'Humain. La vision du Système et de ses intervenants permet cela. Ce faisant, le Système, en essayant de punir la violence infligée aux victimes, lui en fait. Cela le rend inopérant à rendre justice.
[53] Elles formulent des recommandations dont celle d'une meilleure formation des procureurs du ministère public et des juges sur la violence et les croyances qui l'entourent, sur le sens de la justice ainsi que sur le concept de la vérité. À ce sujet, elles indiquent :
Le Centre du Soi Rayonnant et Me Bohémier sont en mesure d'organiser des sessions de formation sur les items mentionnés ci-dessus qui touchent aux failles du Système et aux croyances sous-jacentes à la base du non respect de l'Humain. Notre vision et notre expérience nous permettent de pouvoir enseigner un nouveau paradigme pour permettre à l'Humain de reprendre la place qui lui revient. Nous sommes disponibles pour vous aider dans ce sens.
[54] Le lendemain, 12 avril, le juge Jean Charbonneau de la Cour municipale de Laval, à qui une copie de la lettre de Me Bohémier et de Mme Turcotte fut remise par cette dernière [28] , décide de se récuser, n'ayant plus la sérénité nécessaire pour continuer le procès [29] .
[55] Suivent deux autres lettres, les 12 et 19 avril 2005, adressées par Me Bohémier, Mme Turcotte et Madame P. aux mêmes personnes que la première [30] .
[56] Celle du 12 avril relate la reprise de l'audition du procès de A... D... le jour même.
[57] D'entrée de jeu, les signataires de la lettre se plaignent du comportement de la procureure du ministère public qui, avant que ne débute l'audition, aurait refusé catégoriquement de consulter Mme P. avant d'entreprendre le contre-interrogatoire de l'accusé.
[58] Abordant ensuite l'attitude du juge Charbonneau, elles indiquent tout d'abord les motifs ayant conduit Mme Turcotte à lui communiquer une copie de la lettre du 11 avril :
Hier, par esprit de justice, de clarté et de transparence, Madame Ghislaine Turcotte avait décidé de faire parvenir la lettre du 11 avril 2005 au juge de la Cour municipale saisi du dossier. Bien qu'elle ne lui était pas adressée, il lui apparaissait essentiel qu'il soit informé de l'analyse extemporanée que nous avions faite de l'audition du 8 février 2005. Premièrement, parce que la lettre le concernait directement puisque cela s'était passé dans sa Cour. Deuxièmement, parce qu'il était préférable qu'il soit au courant puisque le document circulait déjà auprès d'un certain nombre de personnes. Troisièmement, il devait être conscientisé que lui-même, par ses actions, favorisait le non respect de l'Humain, ce, sans pour autant en être conscient. Du moins, il pense que les choses doivent se passer ainsi, sans se préoccuper de l'impact que cela crée pour les gens qui participent à l'audience.
[59] Elles s'en prennent ensuite aux propos tenus par le juge Charbonneau à l'égard de Me Bohémier au moment où il communiquait les motifs de sa récusation. Selon elles, le juge Charbonneau aurait «rabroué vertement» et «invectivé» Me Bohémier sans lui laisser l'opportunité de présenter son point de vue, ce qui démontrerait qu'« encore une fois, il a agi sans aucun respect de l'Humain à qui il s'adresse» .
[60] Enfin, elles blâment le comportement du juge Charbonneau et du procureur de la défense qui auraient empêché Madame P. d'exprimer son point de vue après qu'ait été rendu le jugement de récusation. Elles expliquent, notamment, que :
Madame P[…] se levait pour rétablir la vérité malmenée par le juge contre Me Bohémier. En attaquant son avocate, ce dernier lui faisait implicitement violence puisque Me Bohémier et Madame Turcotte avaient réclamé le respect, la vérité et la justice pour et avec Madame P[…]. Qui plus est, en acceptant le comportement du procureur de la défense visant à bâillonner Madame P[…], il lui faisait aussi violence. Il agissait de la sorte, tout en lui disant être sympathique aux causes de violence conjugale. Ses paroles et ses actes ne sont pas en accord.
[61] La lettre du 19 avril se veut un «retour» sur l'audition du 12 avril :
La présente fait suite à nos lettres des 11 et 12 avril dernier dans le dossier mentionné en titre. Elle a pour but de vous faire un retour sur ce qui s'est passé à la Cour le 14 [sic] avril 2005. Encore une fois, l'Humain a complètement été bafoué en pleine Cour, avec l'assentiment des intervenants du Système judiciaire. Il est outrageant de voir ces jeux de procédures et de procureurs faits sans aucune considération pour la victime concernée. Qui plus est, ces jeux sont même entérinés par le juge! Cette violence infligée à la victime par le Système même doit être dénoncée. Elle commande que vous interveniez pour qu'elle cesse.
[62] Les signataires de la lettre reprennent, avec plus de détails, l'ensemble des thèmes abordés précédemment. Les titres utilisés dans la lettre en donnent un bon aperçu :
· Audition du 14 [sic] avril 2005: Déni total de la victime face à son refus que soit changée une condition de l'engagement de l'accusé lui interdisant de communiquer avec sa famille;
- Notre intention;
- Responsabilité du procureur en Chef pour la nomination de Me T dans le dossier;
- Requête en changement de condition du procureur de la Défense: déni total de la victime par les procureurs, les gardiens de sécurité et le juge;
- Logique de la condition d'interdiction de communication entre l'accusé et la famille de la victime;
- Entourloupette du procureur de la défense;
- Objection de Madame P[…];
- Bâillonnement de la victime par le juge même;
- Total mépris de l'avis de la victime par les procureurs et le juge;
· Audition du 14 [sic] avril 2005: déni total de Madame P[…] et de ses accompagnatrices;
- Refus du procureur de la Couronne d'écouter la victime et ses accompagnatrices;
- Blocus des gardiens de sécurité et expulsion de la Cour des accompagnatrices de Madame P[…];
- Dérision du procureur de la Défense et du juge suite à l'expulsion;
- Esquive du procureur de la Couronne pour ne pas rencontrer la victime.
[63] Elles concluent ainsi :
De ce qui précède, il apparaît clairement que les procureurs de la Couronne de la Cour municipale de Laval ne sont pas en mesure de mener à bien le procès concernant la plainte de Madame P[…]. Ils sont eux-mêmes en guerre avec elle, ce qui les place en conflit d'intérêts. Ils la dénient complètement, ne la respectent pas, la violentent même, ainsi que les personnes qui la supportent dans ce processus inhumain. On constate également leurs allégeances avec le procureur de la Défense. Ils s'entendent entre eux, sans que la victime n'ait son mot à dire. Or, ils auront à faire face à une requête en arrêt des procédures de l'accusé. Avec l'attitude qu'ils ont envers la victime, nous pouvons anticiper que l'ardeur ainsi que l'implication nécessaires pour défendre la justice pour la victime et contrer la requête ne sera pas au rendez-vous. Par conséquent, un procureur extérieur à la Cour municipale de Laval doit prendre la relève du dossier. Me Bohémier, qui connaît le dossier de fond en comble, est prête à le faire.
Quant aux juges de la Cour municipale de Laval, ils ont démontré qu'ils n'ont pas le respect de l'Humain. Ils peuvent galvauder et bâillonner la victime comme si cela était normal et acceptable. Justice ne peut être rendue devant eux. Par conséquent, le dossier doit être transféré dans le district de Montréal. Il doit être entendu le plus rapidement possible pour éviter que la Défense se serve des délais pour justifier sa demande d'arrêt des procédures, ce qui enlèverait toute crédibilité du Système concernant la justice à rendre face à une victime de violence.
Finalement, face à une requête en arrêt des procédures que l'accusé veut présenter, la victime doit pouvoir s'exprimer. Il s'agit de sa vie. Elle doit pouvoir dire au juge qui entendra la cause le préjudice qu'elle vit dans ce dossier et celui qu'elle vivra si l'arrêt des procédures est prononcé.
[64] L'arrêt des procédures sera finalement prononcé le 10 janvier 2006 [31] .
vi. La lettre à la juge Piché
[65] En 2005, la juge Piché occupe la fonction de coordonnatrice de la Cour supérieure pour le district de Laval.
[66] Elle prend charge de la gestion et du suivi du dossier familial opposant S... P... et A... D...
[67] Le 10 août 2005, elle préside une conférence téléphonique avec les avocates au dossier, Me Bohémier et Me Sylvie Séguin, en vue de la poursuite de l'audition prévue les 31 août et 1 er septembre suivants.
[68] Par la suite, Me Séguin aurait communiqué par lettre avec le juge en chef adjoint, l'honorable André Deslongchamps, à propos de la fixation de l'audition du dossier. Elle signifie aussi une requête pour être autorisée à déposer un rapport d'expertise préparé par un psychologue dont les services ont été retenus par S... P..., M. Jean-Louis Boulanger.
[69] Le 21 août, Me Bohémier adresse à la juge Piché une lettre de 21 pages [32] dont une copie est adressée à Me Séguin, à l'expert Boulanger, au juge en chef adjoint, au juge en chef Rolland, à la syndique du Barreau, au premier ministre Jean Charest et au ministre de la Justice Yvon Marcoux.
[70] La lettre s'intitule : « Assez c'est assez » .
[71] D'entrée de jeu, Me Bohémier situe son intervention en ces termes :
Suite à ces derniers évènements, j'en suis rendue à un point culminant où je ne peux plus tolérer davantage de manigances, de jeux, d'incohérences, d'absence de sens, de non implication, de coups de Jarnac, de tentatives d'intimidation, de mensonges, d'inconscience, de duplicité, de complicité … En somme, je ne peux plus tolérer davantage de «marde». Je me bats dans ce dossier depuis plus de deux ans à défaire les manigances de la partie adverse, manigances qui sont contraires à l'éthique, à la justice et à la vérité, mais que le Système juge tout à fait normales. Une fois la manigance défaite, nous nous retrouvons au point de départ: le dossier est toujours dans l'impasse parce qu'aucun juge n'a voulu véritablement s'impliquer pour dénoncer les manigances et sanctionner Monsieur D[…] et ses procureurs. Au contraire, elles sont tolérées, même acceptées comme étant normales. Cela n'a plus de bon sens.
[72] Me Bohémier s'en prend au comportement de Me Séguin qu'elle juge abusif, déloyal et contraire à l'éthique ainsi qu'«au sens de justice». Elle l'accuse d'acharnement, de harcèlement, d'ingérence inacceptable dans sa preuve, de manigances, d'intimidation, de camouflage, de non-respect des ordonnances prononcées par la juge Piché et d'esquive. Commentant l'attitude de la juge Piché, elle écrit :
Combien de fois allez-vous favoriser que Me Séguin entrave sciemment la justice et la vérité? Vous détenez les rênes du pouvoir pour l'obliger à fournir les documents et vous ne vous en servez pas. Pourquoi ne le faites-vous pas? Quand vous ne faites pas respecter ce que vous demandez, vous perdez votre force comme juge et comme humain. Pour sa part, Me Séguin prend l'espace que vous lui laissez, votre force, pour faire ce qu'elle veut. D'où sa lettre du 10 août à Monsieur le juge André Deslongchamps. Action de Me Séguin - réaction inadéquate de votre part - conséquence directe de l'expansion du pouvoir de Me Séguin sur vous.
[73] Plus loin, elle affirme que « Me Séguin s'esquive, avec votre complicité ».
[74] Elle reproche à la juge Piché de ne vouloir déplaire à personne et ainsi, par manque d'implication, empêcher le dossier de progresser. Parlant de ses réactions au cours de la conférence téléphonique de gestion du 10 août, Me Bohémier poursuit :
Je comprends que la situation devenait intolérable pour vous: en effet, vous aimez l'harmonie et la bonne entente, vous êtes prise dans un dossier où il n'y en a pas. Vous vous retrouvez donc obligée de vous impliquer pour imposer de force une position. Or, vous voudriez plutôt faire des ententes, alors que ce n'est pas possible. […] En ce sens, vous avez beau demander à Me Séguin de me transmettre les documents que je réclame depuis le mois de mars concernant les revenus et actifs de son client, ce qu'elle accepte de faire à chaque fois, elle ne le fait PAS. Elle vous ignore complètement. Toutefois, vous, dans votre espace idéaliste de vouloir l'harmonie et la bonne entente, vous lui laissez toujours des chances.
[75] Au sujet du comportement de Me Séguin dans ce dossier, elle ajoute qu'elle « est prête à tout pour avoir ce qu'elle veut », précisant qu'« elle a tenté de me tirer comme cela maintes fois ».
[76] Elle conclut sa lettre par ces mots :
Quant aux divers intervenants à qui je fais parvenir cette lettre, je vous demande de vous impliquer afin que les jeux, magouilles, incohérences, décrites dans cette lettre cessent. Il faut que le Système s'ouvre les yeux sur ce qui est fait par ses intervenants (comportements et le sens qui s'en dégage) qui nuisent au sens de justice, qui nuisent à la raison d"être du Système. Je continuerai à revendiquer le sens de justice dans ce dossier jusqu'à ce qu'il triomphe sur tout le reste.
Espérant le tout suffisant pour que vous ayez une bonne réflexion, recevez, Madame la juge, mes salutations distinguées.
[77] Le 28 septembre suivant, Me Massy-Roy dépose auprès du comité de discipline du Barreau deux plaintes ainsi qu'une requête pour l'émission d'une ordonnance de radiation provisoire de Me Bohémier [33] .
LES PROCÉDURES DISCIPLINAIRES
[78] Les 20 chefs d'accusation portés par la syndique adjointe contre Me Bohémier et qui découlent des faits relatés ci-dessus recoupent les infractions suivantes :
·
d'avoir tenu des propos déplacés, inopportuns, inconvenants,
vexatoires, irrespectueux, manquant de courtoisie, de respect, de modération et
de dignité, contrevenant aux dispositions de l'article
·
d'avoir tenu des propos ayant conduit le juge Wery à se dessaisir
d'un dossier, nuisant ainsi à l'administration de la justice, contrevenant aux
dispositions de l'article
·
d'avoir transmis sans justification et sans raison valable à des
tiers copie de lettres contenant des propos contrevenant au code de
déontologie et ce, contrairement aux dispositions de l'article
·
d'avoir manqué à son obligation de soutenir l'autorité des
tribunaux et d'avoir porté préjudice à l'administration de la justice,
contrevenant aux dispositions de l'article
·
d'avoir tenté de s'immiscer, sans justification, dans la conduite
de deux affaires de nature pénale, contrevenant aux dispositions de l'article
[79] La requête pour l'émission d'une ordonnance de radiation provisoire, appuyée de l'affidavit de Me Massy-Roy, reprend les faits allégués au soutien des chefs d'accusation et précise que :
22. La nature des présentes plaintes et les circonstances entourant les infractions alléguées nous permettent de croire que la protection du public risque d'être compromise si l'intimée continue à exercer sa profession.
[80] L'audition de cette requête, d'abord prévue pour le 4 octobre [36] , doit être reportée au 11 octobre en raison du non-respect du délai minimal de trois jours juridiques francs à compter de sa signification [37] .
i. L'audition du 11 octobre 2005
[81] Au début de l'audition, le 11 octobre [38] , Me Bohémier dépose une requête en arrêt des procédures contenant 204 paragraphes, accompagnée de 20 pièces [39] . Elle demande de procéder d'abord sur cette requête et de faire entendre les témoins au soutien de celle-ci.
[82] La requête en arrêt des procédures soulève principalement le comportement de la syndique adjointe tout au long de son enquête. Me Bohémier lui reproche son manque d'impartialité et d'indépendance, sa mauvaise foi, le harcèlement et l'intimidation exercés sur elle, ainsi que la discrimination qu'elle a démontrée à l'égard de ses convictions politiques ou religieuses.
[83] Me Bohémier soulève également une atteinte à ses droits fondamentaux qui résulterait de :
a. l'implication antérieure de la secrétaire du comité de discipline, Me Annie Chapados, dans le cadre de sa demande de révision de la décision de la syndique adjointe de ne pas porter plainte contre Me Nathalie Legault;
b. la tentative de Me Chapados de ne pas lui accorder le temps nécessaire pour préparer sa défense en ne respectant pas le délai minimum de signification de la requête en radiation provisoire; et
c. l'obstination du comité de discipline à lui refuser un report de l'audition en raison de contraintes professionnelles.
[84] D'entrée de jeu, le président du comité de discipline, Me Delpha Bélanger, précise à Me Bohémier que la preuve sur la requête en radiation provisoire s'effectue ordinairement par le dépôt de pièces. Il reçoit néanmoins la requête en arrêt des procédures et ajourne l'audience pour une dizaine de minutes afin que les membres du comité de discipline puissent en prendre connaissance sommairement.
[85] Au retour, Me Bélanger communique la décision du comité de discipline de ne pas entendre, à ce stade, la requête en arrêt des procédures [40] .
[86] Me Bohémier indique immédiatement son désaccord avec cette décision.
[87] Puis, Me Massy-Roy débute ses représentations sur la requête pour radiation provisoire [41] . Non seulement fait-elle lecture de certains extraits des lettres à l'origine des accusations, mais elle les commente, bien qu'elle n'ait pas été assermentée.
[88] À quelques reprises, Me Bohémier s'objecte aux affirmations de Me Massy-Roy, contestant leur exactitude ou leur pertinence [42] . Me Bélanger ne retient pas ses objections.
[89] Une fois les représentations de Me Massy-Roy complétées, Me Bohémier demande à témoigner. Elle est alors assermentée [43] .
[90] Les membres du comité de discipline interviennent à plusieurs reprises au cours de son témoignage. Plusieurs de leurs questions relèvent d'un contre-interrogatoire serré. Parfois, ils émettent même leur opinion [44] . À un certain moment, ils pressent Me Bohémier de compléter sa preuve [45] .
[91] Enfin, le comité de discipline refuse d'entendre S... P... que Me Bohémier veut appeler comme témoin pour prouver le préjudice qui pourrait résulter de sa radiation provisoire [46] .
[92] La cause est prise en délibéré.
[93] La décision ordonnant la radiation provisoire de Me Bohémier est rendue le 2 novembre 2005 [47] .
[94] Plutôt que de se limiter à appliquer aux faits en l'espèce les critères élaborés par la jurisprudence en matière de radiation provisoire [48] , le comité de discipline conclut à quelques reprises à la contravention par Me Bohémier à ses obligations déontologiques et ce, sans qu'il n'y ait eu un débat au fond [49] .
ii. L'appel au Tribunal des professions et la continuation des procédures au fond devant le comité de discipline
[95] Me Bohémier dépose, le 30 novembre, une requête en appel et en suspension de cette décision [50] .
[96] Non seulement demande-t-elle au Tribunal des professions d'infirmer la décision du 2 novembre, mais elle requiert, notamment, la suspension immédiate de cette décision, une ordonnance pour que les auditions à venir devant le comité de discipline soient tenues devant un autre banc, ainsi qu'une ordonnance pour que sa requête en arrêt des procédures soit entendue «avant toute chose».
[97] Le 19 décembre, le juge Denis Lavergne rejette la demande de suspension de l'exécution provisoire de la décision du comité de discipline [51] .
[98] Le 12 janvier 2006, Me Bohémier écrit au Président du comité de discipline du Barreau, Me Réjean Blais, se plaignant du délai à transmettre une copie du dossier au Tribunal des professions et demandant qu'une date d'audition des plaintes soit fixée d'urgence [52] :
Dans les circonstances, je me prévaux de l'article
[99] Elle demande aussi que sa requête en arrêt des procédures, pendante depuis le 11 octobre 2005, soit débattue rapidement.
[100] Informée par la greffière du comité de discipline que les dates retenues pour la poursuite de l'audition étaient les 14, 15 ou 16 février et qu'elle devait lui indiquer sans délai ses préférences, Me Bohémier adresse de nouveau une lettre à Me Réjean Blais le 16 janvier 2006 [53] .
[101] Elle demande qu'on lui confirme qu'un autre banc sera constitué pour poursuivre l'enquête et ajoute :
Lors de cette audition, je veux débattre de la question de la durée de ma radiation provisoire, ainsi que de ma requête en arrêt des procédures et non pas de la récusation d'un banc qui m'a déjà jugée coupable avant même que mon procès est [sic] eu lieu. […] Donc, votre confirmation à l'effet qu'un nouveau banc a été ou sera nommé pour entendre les deux questions devant être débattues est nécessaire avant de fixer toute date d'audition.
[102] Elle précise, enfin, qu'une journée et demie sera nécessaire pour l'audition de ces deux questions et qu'il faudrait dès à présent fixer les dates pour l'audition au fond qui nécessitera une semaine.
[103] À la même date, elle écrit aussi à la syndique du Barreau, Me Louise Comeau [54] .
[104] Elle réfère d'abord à sa demande transmise à Me Blais le 12 janvier voulant qu'une date d'audition soit fixée prioritairement.
[105] Elle requiert, de plus, la communication de la preuve de la poursuite pour le 20 janvier.
[106] Le 17 janvier, Me Delpha Bélanger informe Me Bohémier qu'elle devra présenter une requête en récusation des membres du comité de discipline au moment de l'audition qui sera fixée en février et pour laquelle il attend toujours son choix de date [55] .
[107] Le 27 janvier, Me Bohémier dépose une requête en révision judiciaire du jugement du 19 décembre 2005 du juge Lavergne [56] .
[108]
Elle y
demande, notamment, une ordonnance d'arrêt des procédures «
vu l'ampleur et
la gravité des manquements à l'équité procédurale, à la justice naturelle et à
l'article
[109] Le 30 janvier, Me Bohémier écrit à nouveau à Me Blais [57] . Une copie de la lettre est adressée à une multitude de personnes, dont la syndique, la bâtonnière du Barreau du Québec et Me Jacques Houle, directeur général du Barreau du Québec.
[110] Elle se plaint d'abord que ce soit Me Bélanger qui réponde aux lettres qu'elle lui adresse. Elle précise ensuite, dans les termes suivants, les conséquences qu'entraînerait la présentation de la requête en récusation qu'exige Me Bélanger :
Ainsi, pratico-pratique, si ma requête est rejetée, je devrai encore me lancer dans des procédures d'appel interminables ou subir un procès injuste. Si ma requête est accueillie, je devrai encore attendre plusieurs semaines avant d'obtenir d'autres dates d'audition pour pouvoir débattre de la durée de ma radiation provisoire et de ma requête en arrêt des procédures. Au bout du compte, le Barreau m'envoie dans un dédale de procédures qui retardent intentionnellement l'audition de ma cause, à moins que j'accepte d'être jugée par des personnes qui m'ont déjà jugée coupable - ce qui fait que le Barreau, d'un côté comme de l'autre, est certain d'avoir ce qu'il veut: ma radiation.
[111] Elle demande à nouveau la constitution d'un nouveau banc ou une rencontre avec une personne qui sera en mesure d'apprécier la situation.
[112] Le même jour, l'audition est fixée au 14 février et un avis à cet effet est préparé par le secrétaire du comité de discipline [58] . Il est signifié à Me Bohémier le 2 février.
[113] L'avis indique clairement que le comité de discipline sera présidé par Me Delpha Bélanger.
[114] Toujours le 30 janvier 2006, Me Bohémier dépose auprès du Tribunal des professions une requête pour que son appel soit entendu d'urgence [59] . Cette requête sera rejetée par la juge Louise Provost le 13 février 2006 [60] .
[115]
Le
31 janvier, Me Blais confirme à Me Bohémier qu'elle devra
procéder par requête conformément à l'article
[116] Un nouvel avis d'audition est émis par la secrétaire du comité de discipline le 7 février repoussant l'audition au 20 février [62] .
[117] Le 16 février, Me Bohémier dépose une requête demandant la récusation des trois membres du comité de discipline, Me Delpha Bélanger, Me Étienne Panet-Raymond et Me Chantal Sauriol, ainsi que l'annulation de la décision ordonnant sa radiation provisoire [63] . Cette requête est présentable le 20 février.
[118] Les causes de récusation évoquées par Me Bohémier sont les suivantes :
a. une crainte raisonnable qu'ils soient partiaux;
b. leur intérêt de favoriser la plaignante; et
c. le comportement qualifié d'«inimitié capitale» envers elle au cours de l'audition du 11 octobre 2005.
[119] Comme Me Bohémier n'aurait pas eu droit à un procès juste et équitable le 11 octobre 2005 et que le Barreau ainsi que le comité de discipline auraient « perpétu[é] volontairement et consciemment le préjudice causé à la requérante en retardant son dossier », elle demande aussi l'annulation de la décision du 2 novembre 2005 et sa réintégration au tableau de l'ordre.
[120] L'audition du 20 février 2006 se résume à ce qui suit [64] :
LE PRÉSIDENT (Me Delpha Bélanger):
Alors, bonjour tout le monde. Nous procédons dans le dossier de Me Francine Massy-Roy c. Me Myriam Bohémier, les dossiers numéros 06-05-02112 et 06-05-02113.
Le Comité de discipline est composé de Me Chantal Sauriol, Me Étienne Panet-Raymond et présidé par Delpha Bélanger, président suppléant.
Alors le Comité fait part de la décision suivante, dont les motifs seront transmis par écrit dans les prochains jours aux parties.
Compte tenu qu'une décision sur radiation provisoire a déjà été rendue, le Comité a décidé de se récuser et avisera, immédiatement, le Barreau de mettre en place un nouveau comité qui verra à entendre les procédures à compter d'aujourd'hui.
Alors, sur ce, on vous remercie et bonjour.
[121] Les motifs de cette décision portent la date du 13 mars 2006 [65] .
[122] Le comité de discipline précise, d'entrée de jeu, que sa décision est indépendante de la requête de Me Bohémier.
[123] Bien qu'il se considère impartial pour poursuivre l'audition de ce dossier, le comité de discipline indique que sa décision sur la radiation provisoire
[…] est susceptible de laisser croire que le fond du litige est déjà décidé puisque la preuve documentaire et testimoniale vue et entendue lors de la requête en radiation provisoire justifiait, prima facie, cette radiation provisoire.
[124] Se fondant donc sur le concept de crainte raisonnable de partialité énoncé par la Cour suprême dans les arrêts Committee for Justice and Liberty [66] et Valente [67] , les membres du comité de discipline se récusent.
[125] Le 24 février, le juge Rodolphe Bilodeau accueille, séance tenante, la requête en irrecevabilité de Me Massy-Roy et rejette la demande de révision judiciaire de Me Bohémier à l'encontre du jugement du juge Denis Lavergne du 19 décembre 2005 [68] .
[126] Le 8 mars, la secrétaire du comité de discipline désigne les nouveaux membres appelés à prendre la relève dans les plaintes portées contre Me Bohémier [69] . Il s'agit de Me Jean-Guy Légaré, président suppléant, ainsi que Me Pierre Bourque et Me Armand Elbaz.
[127] Le 10 mars, Me Bohémier dépose une requête amendée en annulation de la décision du comité de discipline du 2 novembre 2005 et en arrêt des procédures présentable le 14 mars [70] . Le dossier ne révèle pas si cette requête a été présentée au comité de discipline à cette date ni la décision qui aurait été rendue.
[128] Deux autres jugements ont été rendus par le Tribunal des professions avant que l'appel ne soit entendu le 22 juin 2006.
[129] Le premier, rendu par la juge Louise Provost le 10 avril et rectifié le 24 avril [71] , rejette la demande de récusation formée à son égard par Me Bohémier.
[130] Le deuxième, rendu par le juge Denis Lavergne le 3 mai [72] , rejette la requête de Me Massy-Roy en rejet d'appel au motif de non-conformité du mémoire de l'appelante résultant d'une erreur de pagination.
[131] Le 19 juin, le Directeur général du Barreau, Me Jacques Houle, dépose deux plaintes pénales reprochant à Me Bohémier et à Mme Ghislaine Turcotte l'exercice illégal de la profession d'avocate les 10 novembre 2005 et 25 janvier 2006 dans le contexte du dossier de S... P... c. A... D... Une troisième plainte de même nature et dans le même contexte est aussi déposée le 16 août contre Me Bohémier [73] .
[132] L'audition sur l'appel de la décision du comité de discipline du 2 novembre 2005 ordonnant la radiation provisoire de Me Bohémier a finalement lieu le 22 juin 2006 devant le Tribunal des professions composé d'un banc de trois juges [74] .
iii. Le jugement du Tribunal des professions sur la radiation provisoire
[133] Le jugement du Tribunal des professions est rendu le 25 octobre 2006 [75] . Il accueille l'appel, casse la décision du comité de discipline et ordonne la réinscription de Me Bohémier au tableau de l'Ordre des avocats, avec dépens.
[134] Les motifs de ce jugement sont importants car ils sont invoqués par Me Bohémier dans le présent recours.
[135]
En premier
lieu, le Tribunal des professions refuse de se saisir de la décision du comité
de discipline de ne pas se prononcer sur la requête en arrêt des procédures
puisque cela relève d'un appel sur permission, conformément à l'article
[136] Le Tribunal des professions aborde ensuite les arguments portant sur l'«équité procédurale, la partialité ou crainte de partialité».
[137] Après avoir précisé que dans cette affaire, la crainte de partialité se fondait sur la façon de conduire l'audition et sur les remarques des membres du comité de discipline pendant l'audition, le Tribunal des professions précise que :
[51] Parmi les sanctions prévues au Code des professions , la radiation est évidemment la plus sévère (art. 156). C'est l'équivalent, en droit du travail, à la peine de mort. C'est la privation du droit d'exercice professionnel.
[52] Un comité, saisi d'une telle demande de radiation provisoire, doit donc procéder en toute impartialité, avec sérénité et circonspection, d'autant plus que le professionnel n'a toujours pas été reconnu coupable des actes reprochés par la plainte.
[138] Le Tribunal des professions note que même si « à priori, les lettres émanant de l'appelante, notamment celles adressées à des juges, peuvent paraître inadmissibles, impertinentes, discourtoises, voire outrageantes » [76] , Me Bohémier n'en a pas moins droit à une défense pleine et entière.
[139] Il se déclare ensuite inquiet de certains des propos des membres du comité de discipline. Il précise cette affirmation par ce qui suit :
[57] En fait, durant le témoignage de l'appelante, les membres sont continuellement intervenus pour souligner l'incongruité de ses propos. Plutôt que d'écouter et d'entendre avec sérénité, les membres du Comité ont discuté avec l'appelante, faisant souvent valoir leur propre opinion. C'était trop: c'est dans leur décision, et non pas avant d'avoir fini d'entendre la cause, que les membres devaient dire leur opinion; et non en contre-interrogeant l'appelante, se portant ainsi partie plutôt que d'agir comme tribunal. Ce n'était pas aux membres à procéder à des contre-interrogatoires comme ils l'ont fait tour à tour; c'était à la syndic à contre-interroger. Or, le Tribunal ne peut que noter que la syndic n'a pas eu à contre-interroger.
[référence omise]
[140] Il se penche ensuite sur l'argument soulevé par Me Bohémier portant sur l'absence d'assermentation de Me Massy-Roy alors qu'elle aurait pourtant commenté les pièces déposées en preuve et apporté des faits nouveaux :
[58] Reste enfin le dernier argument relatif à l'assermentation de l'appelante et le défaut d'assermentation de la syndic. On peut comprendre que, si la syndic n'avait fait que déposer de la documentation, elle eût pu n'être pas assermentée. Mais, comme le souligne l'appelante, à plus d'une occasion, en plus de déposer notamment les lettres de l'appelante et de les commenter, elle témoigne aussi de faits (et ce, malgré l'objection de l'appelante), elle témoigne de la norme déontologique. Tout au long de ce que le sténographe a appelé «argumentation», la syndic commente les lettres, argumentation qu'elle reprend par la suite à l'étape des plaidoiries. Même dans son argumentation de la fin, maître Massy-Roy témoigne de faits, d'avertissements qu'elle a donnés verbalement à maître Bohémier. Toujours non assermentée ( C.p.c. , art. 299).
[références omises]
[141] Le Tribunal des professions conclut enfin :
[59] Comme le veut le brocard, ce n'est pas tout que justice soit rendue, encore faut-il qu'elle apparaisse avoir été rendue. Or, ici, l'apparence va plutôt du côté de l'opinion déjà formée au moment de l'audition, et ce, dès le début.
[60] De l'ensemble des notes sténographiques, et non seulement des propos les plus marquants rapportés par l'appelante, il appert que les membres du Comité ont manqué de sérénité, qu'ils étaient pressés d'en finir, qu'ils avaient déjà une opinion arrêtée en faveur de la demande de radiation provisoire.
[61] Il y a eu manquement à l'équité procédurale.
[142] La syndique adjointe n'a déposé aucune demande de révision de ce jugement.
[143] Cependant, un différend a opposé Me Bohémier à la secrétaire du comité de discipline au sujet du contenu de l'attestation délivrée le 27 octobre 2006 confirmant qu'elle est inscrite au tableau de l'Ordre [77] . Il en a été de même pour le paiement des dépens [78] .
CONTINUATION DES PROCÉDURES DISCIPLINAIRES
[144] Le deuxième comité de discipline, formé de Mes Légaré, Bourque et Elbaz, procède à l'audition des plaintes les 14 mars, 28 mars, 28 avril, 29 juin et 17 août 2006 [79] .
[145] Après le premier jour de l'audition, Me Bohémier signifie une requête en inhabileté de la partie plaignante ainsi que des membres du comité de discipline.
[146]
Le
28 mars, Me Bourque annonce sa récusation. Le comité de discipline
choisit alors de poursuivre l'audition avec seulement deux membres comme le
permet l'article
[147] Le 28 avril, Me Bohémier dépose une nouvelle requête demandant la récusation des deux membres restants du comité de discipline.
[148] Le 29 juin, elle amende cette dernière requête. L'audition de celle-ci se poursuit les 29 juin et 17 août.
[149] Le 30 novembre 2007, le comité de discipline rejette la requête amendée en récusation [80] .
[150] Le 14 avril 2008 [81] , le juge Martin Hébert du Tribunal des professions rejette la requête pour permission d'appeler de cette décision formée par Me Bohémier [82] au motif que :
[35] L'appel recherché vise à obtenir la récusation des deux membres du Comité en raison d'un désaccord avec leur décision. Ce faisant, la requérante cherche à utiliser la voie de la récusation pour traduire son insatisfaction devant le rejet de ses arguments. Le procédé est pleinement injustifié dans l'état actuel du dossier.
[151] Le 16 mai, Me Bohémier dépose une requête en révision judiciaire de ce jugement ainsi qu'une demande de sursis des procédures devant le comité de discipline [83] .
[152] Dans un premier temps, le 17 juin 2008, la juge Johanne Mainville accueille en partie la demande de sursis et ordonne la suspension des travaux du comité de discipline à la date la plus rapprochée de celle de l'audition sur la requête en révision judiciaire ou le 17 novembre 2006 [84] .
[153] L'audition de la requête en révision judiciaire a lieu le 25 février 2009 devant le juge Jean-Pierre Senécal. Par jugement rendu le 27 février 2009, il rejette la requête [85] .
[154] Les motifs du juge Senécal sont de deux ordres.
[155] Premièrement, il relate les difficultés rencontrées avec Me Bohémier au cours de l'audition et son départ précipité. Il s'exprime ainsi à ce sujet :
[2] Le présent jugement est prononcé ex parte à la demande de la syndique du Barreau mise en cause puisqu'en après-midi, à l'occasion d'une courte pause, la demanderesse, qui se représente elle-même, a décidé de quitter la salle d'audience avant même d'avoir été entendue sur le fond et de ne pas se représenter. Le Tribunal l'avait mise en garde que si cela devait se produire, l'on procéderait en son absence. La demanderesse a ramassé toutes ses choses et a quitté après que le Tribunal eût rejeté sa requête en récusation présentée contre lui et eût décidé de poursuivre l'audition.
[…]
[7] En l'espèce, la demanderesse a démontré à l'égard du Tribunal un mépris inacceptable et une attitude qui ne peut être cautionnée. Il appert, à la lecture du dossier, que ce n'est malheureusement pas la première fois qu'elle a ce genre d'attitude en cour.
[8] Ce motif à lui seul est suffisant pour rejeter le recours. […]
[156] Deuxièmement, il procède néanmoins à l'analyse des moyens soulevés par la requête et conclut qu'ils ne sont pas fondés en fait et en droit.
[157] Le 30 mars 2009, Me Bohémier dépose une requête pour permission d'en appeler des jugements du juge Senécal tant sur la demande de récusation que sur le fond de sa requête en révision judiciaire [86] . Cette requête compte 312 paragraphes répartis sur 59 pages.
[158] Le 13 juillet, le juge en chef Michel Robert rejette sa requête pour les motifs suivants [87] :
[16] En substance, la requérante refuse de suivre les règles habituelles de la procédure à suivre devant les tribunaux pour le motif que parce qu'elle applique un «nouveau paradigme de pensée lié à l'énergie» cela aurait pour effet de porter atteinte au respect de soi et, à la limite, à son identité propre.
[17] Ce comportement équivaut à un refus de se conformer à la règle de droit que les tribunaux sont chargés d'appliquer et dont les avocats doivent faire la promotion.
[18] Le jugement du 25 février 2009 rejetant la requête en récusation a été rendu séance tenante alors que la requérante était présente. Le délai de 30 jours commençait à courir le 26 février 2009 et se terminait le 27 mars 2009. La requête déposée au greffe le 30 mars 2009 était donc tardive. De plus, l'appel entrepris ne présente pas de chance du succès.
[19] Le jugement du 27 février 2009 a été rendu par écrit. Le délai pour déposer une requête pour permission d'appeler expirait le 29 mars 2009 prolongé au 30 mars 2009 parce que le 29 était un dimanche. Par ailleurs, l'appel entrepris ne présente pas de chance raisonnable de succès notamment parce que la requérante a choisi de ne pas faire de représentations à l'encontre de la requête en quittant la salle d'audience après la pause.
[159] La requête de Me Bohémier pour autorisation de pourvoi de ce jugement devant la Cour suprême a été refusée.
[160] Au cours d'une conférence de gestion tenue le 19 mai 2010 par le comité de discipline dans le but de finaliser la marche à suivre pour compléter l'audition des deux plaintes disciplinaires, Me Bohémier soulève à nouveau l'absence d'autorité et l'incapacité des deux membres à la juger [88] .
[161] Le comité de discipline rejette l'argument soulevé par Me Bohémier et insiste pour fixer la date d'audition de sa requête en arrêt des procédures.
[162] Le 1 er septembre 2010, Me Bohémier dépose une requête introductive d'instance en arrêt des procédures et en dommages-intérêts devant la Cour supérieure [89] .
[163] Les parties défenderesses sont : le Barreau du Québec, Me Jean Légaré, Me Armand Elbaz et Me Pierre Bourque. Me Michèle St-Onge, syndique [90] , et Me Nancy Trudel, secrétaire du comité de discipline, sont mises en cause.
[164] Au fil des 817 paragraphes répartis sur 142 pages de cette requête, Me Bohémier reprend l'historique complet et détaillé du dossier à compter de l'envoi de sa demande d'enquête à la syndique du Barreau en 2003.
[165] La demande d'arrêt des procédures est contrée par une requête en rejet du mis en cause Pierre Bernard, syndic-adjoint, qui allègue le caractère manifestement mal fondé, abusif, frivole et dilatoire de cette demande [91] .
[166]
De leur
côté, les défendeurs Légaré, Elbaz et Bourque soulèvent l'irrecevabilité de la
poursuite en dommages-intérêts invoquant l'immunité prévue à l'article
[167] Le 14 juillet 2011, la juge Danielle Grenier accueille les requêtes en irrecevabilité, sauf la partie de la requête du syndic adjoint soulevant le caractère abusif de la demande [92] . Le recours de Me Bohémier est, par conséquent, rejeté sans frais.
[168] Le 14 février 2012, la Cour d'appel infirme en partie le jugement de la juge Grenier [93] .
[169] Tout d'abord, elle juge que le rejet de la demande en dommages-intérêts contre les membres du comité de discipline est prématuré.
[170]
En effet,
après avoir précisé que l'immunité conférée par l'article
[23] Pour conclure néanmoins au rejet de l'action
contre les membres du deuxième comité, la juge Grenier a apprécié et qualifié
les faits allégués dans l'action de l'appelante et a tiré des inférences pour
conclure à leur bonne foi, les faisant ainsi bénéficier de l'immunité prévue à
l'article
[24] Or, puisque cette immunité est relative, il aurait été préférable, vu les circonstances fort particulières de l'affaire, d'entendre la preuve pour être en mesure d'évaluer si oui ou non les membres du deuxième comité avaient agi en tout temps de bonne foi en tenant certains propos, en délibérant pendant un délai excessif et en posant d'autres gestes allégués. […]
[25] Dans ces circonstances, il était prématuré
de conclure à l'irrecevabilité de l'instance à l'égard des membres du deuxième
comité en vertu de l'article
[171] La Cour rejette cependant l'appel de la décision de la juge Grenier d'accueillir l'irrecevabilité de la demande en arrêt des procédures. Elle précise que ce débat doit se faire d'abord devant le comité saisi des plaintes.
[172] Puis, la Cour indique partager le point de vue exprimé par la juge Grenier au paragraphe 227 de son jugement qui se lit comme suit :
[227] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal est d'avis que la requête introductive d'instance en suspension des procédures n'est pas un recours approprié. Toutefois, et sans vouloir lier le Barreau ou le syndic sur ce point précis, le Tribunal croit qu'il serait sage, judicieux et prudent de faire en sorte que les plaintes, si elles doivent être entendues, le soient par une autre formation et que cette formation soit composée de trois membres. Le Barreau peut tout autant décider d'arrêter le processus, compte tenu des délais écoulés depuis l'institution des procédures disciplinaires et en considérant aussi le fait que la demanderesse a déjà subi une suspension provisoire d'un an, châtiment qui, selon le Tribunal des professions, était excessif et arbitraire.
[références omises]
[173] Et la Cour poursuit :
[32] La Cour partage ce point de vue. Elle ajoute qu'un règlement de l'ensemble des procédures, tant disciplinaires que civiles, pourrait même être envisagé si chacune des parties concernées est capable de démontrer l'ouverture d'esprit appropriée et de tirer des enseignements du passé.
[174] Le 14 mars 2012, conformément à la recommandation formulée par la juge Grenier et partagée par la Cour d'appel, Mes Légaré et Elbaz se récusent des dossiers disciplinaires.
[175] Puis, le 4 avril 2012, faisant écho aux mêmes commentaires, le syndic ad hoc dans les dossiers disciplinaires, le bâtonnier Claude Leduc, annonce à Me Bohémier qu'il demandera au comité de discipline l'autorisation de retirer les plaintes disciplinaires et ainsi de fermer définitivement ces dossiers [94] .
LE CONTEXTE DU RECOURS CONTRE ME HOULE
[176] Les conclusions du recours de Me Bohémier contre le directeur général du Barreau, Me Jacques Houle, diffèrent de celles qui concernent les autres parties défenderesses.
[177] Les allégations de la requête introductive d'instance amendée qui concerne Me Houle se retrouvent aux paragraphes 213 à 287 et 329 à 336.
[178] Pour l'essentiel, Me Bohémier lui reproche sa mauvaise foi en lui ayant laissé miroiter la possibilité d'un règlement des poursuites disciplinaires pour finalement lui affirmer qu'elle «avait fabulé cette proposition».
[179] Me Bohémier lui réclame 10 000 $ à titre de dommages moraux [95] et 2 000 $ à titre de dommages punitifs.
[180] La première correspondance adressée à Me Houle remonte au 24 avril 2007 lorsque Me Bohémier réclame son intervention pour finaliser le texte de l'attestation du Barreau dont la terminologie avait préalablement été discutée avec la secrétaire du comité de discipline, Me Nancy Trudel [96] .
[181] Le 5 juillet, Me Bohémier écrit à nouveau à Me Houle puisque cette question n'a pas encore été réglée [97] . Elle ouvre alors la porte à la négociation d'une entente visant le préjudice qu'elle aurait subi en raison de sa radiation provisoire. Elle indique ce qui suit :
Dans cette même veine, une rencontre entre nous est nécessaire pour que nous discutions des dossiers du Barreau du Québec me concernant et du préjudice qui m'a été causé. Je vous ouvre la porte à l'entente. Soyez-en conscient.
[182] Dans une lettre du 6 septembre 2007 qu'elle adresse à Me Sylvie Champagne, secrétaire du comité de discipline [98] , au sujet de son mémoire de frais et dont copie est aussi adressée à Me Houle [99] , Me Bohémier note qu'elle n'a reçu aucune réponse de Me Houle à sa demande de rencontre formulée le 5 juillet précédent.
[183] Au hasard d'une rencontre fortuite le 20 mai 2008, Me Bohémier réitère à Me Houle sa demande de l'année précédente.
[184] Le 4 juin 2008, Me Bohémier écrit à Me Houle ce qui suit [100] :
Le 16 mai dernier, par le biais d'une requête en révision judiciaire, j'ai démontré le harcèlement moral exercé par le Barreau du Québec à mon endroit depuis maintenant 5 ans. Me St-Onge perpétue ce harcèlement par sa demande totalement inappropriée dans les circonstances.
Il est temps que ce harcèlement cesse. Je demande votre implication pour y mettre fin . Voyez-y.
[le soulignement apparaît dans le texte]
[185] Me Houle répond le 11 juin suivant [101] . Il informe Me Bohémier que le directeur général n'a aucune juridiction sur les dossiers du Bureau du syndic et que le travail de la syndique et de ses adjoints s'effectue en totale indépendance.
[186] Le 25 juin, Me Bohémier répond à Me Houle que le principe d'indépendance du syndic n'est pas une règle absolue et que le Barreau a le devoir d'intervenir lorsque les règles de droit ne sont pas respectées et qu'il constate une situation de harcèlement [102] .
[187]
Dans une
lettre adressée à Me Bohémier le 9 juillet 2008
[103]
,
Me Houle réitère les propos communiqués le 11 juin précédent et ajoute que
l'article
[188] Il ajoute ce qui suit au dernier paragraphe de la lettre :
Vous mentionnez qu'il serait très pertinent que je prenne connaissance de votre requête introductive d'instance en révision judiciaire. Elle démontrerait le harcèlement moral qui vous serait fait par le Barreau. J'apprécierais que vous me fassiez parvenir une copie de cette requête introductive d'instance en révision judiciaire, afin de me faire une meilleure idée de votre demande d'intervention.
[189] À la même date, Me Bohémier aurait reçu un appel de l'avocat représentant la syndique, Me Daniel Chénard, qui souhaitait la rencontrer pour discuter des possibilités de régler les procédures pendantes en Cour supérieure et devant le comité de discipline. Un rendez-vous est fixé au 16 juillet.
[190] Me Bohémier aurait tenté de communiquer sans succès avec Me Houle les 14 et 15 juillet pour lui indiquer qu'elle souhaitait que les négociations s'effectuent par l'entremise d'une autre personne puisqu'elle considérait que Me Chénard avait exercé du harcèlement moral à son endroit dans le passé.
[191] Me Bohémier a alors décidé d'annuler la rencontre avec Me Chénard.
[192] Me Bohémier a de nouveau communiqué avec Me Houle le 8 août, au retour des vacances de ce dernier.
[193] Me Houle se serait alors montré étonné de la démarche de Me Chénard puisqu'il était sous l'impression que la syndique ne désirait pas négocier un règlement des dossiers disciplinaires. Selon Me Bohémier, cette réponse insinuait donc «qu'elle avait fabulé la proposition de règlement reçue» [104] .
[194] Au cours de cette conversation, Me Bohémier a perçu un préjugé négatif de la part de Me Houle puisqu'il semblait remettre en cause la vérité des propos qu'elle tenait.
[195] Le 15 août, Me Bohémier a une conversation avec la syndique qui lui aurait indiqué que le règlement qu'elle proposait consistait en un désistement de la requête en révision judiciaire pour procéder le plus rapidement possible à l'audition des plaintes devant le comité de discipline. Me Bohémier refuse cette proposition sur le champ.
[196] Peu après, Me Bohémier et Me Houle ont une autre conversation téléphonique. Ce dernier réitère que tout règlement doit s'effectuer par le Bureau du syndic et par la secrétaire de l'Ordre et non par son entremise.
[197] La conversation aurait tourné au vinaigre au moment où Me Houle aurait référé à un jugement rendu par le juge Dalphond qui condamnait Me Bohémier personnellement au paiement des dépens dans l'un de ses dossiers.
[198] Me Houle aurait ensuite mis en doute le fait que Me Bohémier ait subi des dommages résultant des procédures intentées devant le comité de discipline. La conversation aurait pris fin sur cette note.
.
[199] Ceci résume les faits que le Tribunal juge pertinents dans le cadre du présent dossier.
[200] Il existe d'autres faits mis en preuve par l'une ou l'autre des parties. Ils se rapportent, notamment, à la suite du dossier opposant S... P... à A... D..., aux poursuites pénales intentées par le Barreau contre Me Bohémier et Mme Turcotte pour exercice illégal de la profession d'avocat, ainsi qu'aux plaintes portées par Me Bohémier auprès de la syndique contre Me Legault et Me Séguin.
[201] De l'avis du Tribunal, ces faits n'ont pas une incidence directe sur le recours intenté par Me Bohémier en l'instance.
POSITION DES PARTIES
i. Me Bohémier
[202] Le recours de Me Bohémier se fonde, d'une part, sur la responsabilité extra-contractuelle des membres du comité de discipline ainsi que de Me Houle et, d'autre part, sur la responsabilité du Barreau du Québec de réparer le préjudice causé par son organe, le comité de discipline, ainsi que par son directeur général.
[203] Les reproches adressés aux membres du comité de discipline sont ainsi décrits par Me Bohémier dans son plan d'argumentation :
Ø Cadre de pensée stigmate : Inférences fausses faites sur la culpabilité en se basant sur des références extérieures sans aller chercher la pertinence avec intelligence et circonspection ( prima facie ). Nécessité de prendre un recul et de regarder le contexte global.
1. Avant l'audience, les défendeurs avaient lu les lettres reprochées - avec leur vision, leurs critères et leurs inférences - et ils croyaient d'emblée à la culpabilité de la demanderesse.
2. Pour les défendeurs, la demanderesse n'avait pas de défense à faire à l'encontre de ces lettres. Ils étaient convaincus de sa culpabilité et ils voulaient qu'elle le soit.
3. Ce préjugé de culpabilité a continué jusqu'à aujourd'hui. Lourd de conséquences par la faute de base. Rayonnement de la radiation provisoire en radiation permanente. Les avocats veulent voir ce qui est conforme à leur vision.
Ø Manquements des défendeurs à leur norme de conduite : Un comité saisi d'une demande de radiation provisoire doit procéder en toute impartialité, avec sérénité et circonspection, d'autant plus que le professionnel a une présomption d'innocence en regard des plaintes. (par. 52, pièce P-3)
1. Privation du droit à une défense pleine et entière de la demanderesse (refus d'entendre la requête en arrêt des procédures, défaut d'assermentation de la syndique ayant privé la demanderesse de son droit au contre-interrogatoire, interventions intempestives durant le témoignage de la demanderesse, refus d'entendre ses témoins). Les défendeurs ont traité la demanderesse comme si elle n'avait aucun droit.
2. Privation des droits à la présomption d'innocence et à être jugée par un tribunal impartial (préjugés sur la culpabilité).
3. Absence de sérénité. Pressés d'en finir.
4. Atteinte à l'honneur, à la dignité et à la réputation de la demanderesse par l'émission d'une ordonnance de radiation provisoire suite à un procès totalement inéquitable.
[204] Les fautes reprochées à Me Houle sont de deux ordres :
a. il aurait négligé d'intervenir au sujet de la demande de Me Bohémier de corriger l'attestation du Barreau concernant son statut, alors que les démarches auprès de la secrétaire du comité de discipline stagnaient; et
b. il aurait agi de mauvaise foi envers Me Bohémier en lui laissant miroiter la possibilité d'un règlement des poursuites disciplinaires, alors qu'il n'en était rien, pour ensuite lui laisser entendre qu'elle «avait fabulé cette proposition» et mettre en doute qu'elle ait subi un préjudice lié à sa radiation provisoire.
[205] Les dommages réclamés par Me Bohémier sont ainsi ventilés à la pièce P-75A :
Chef de dommages |
|
|
Montant |
Préjudice moral attribuable aux défendeurs membres du conseil de discipline |
|
|
390 000.00 $ |
Préjudice moral attribuable au défendeur Me Jacques Houle |
|
|
10 000.00 $ |
Atteinte illicite à son honneur, sa dignité et sa réputation
(art.
|
|
|
100 000.00 $ |
Atteinte
illicite à son droit à la présomption d'innocence (art.
|
|
|
100 000.00 $ |
Atteinte
illicite à son droit à une défense pleine et entière (art.
|
|
|
50 000.00 $ |
Atteinte
illicite à son droit d'être jugée en pleine égalité par un tribunal impartial
(art.
|
|
|
50 000.00 $ |
Compensation du temps investi pour se défendre et des déboursés encourus (pièce P-71) |
Facture B-0000-F1 |
49 887.61 $ |
|
|
Pièce P-47 |
2 509.82 $ |
|
|
Facture B-0001-F1 |
62 585.94 $ |
|
|
Facture B-0002-F1 |
12 192.09 $ |
|
|
Facture B-0007-F1 |
115 188.00 $ |
|
|
Facture B-0008-F1 |
50 604.93 $ |
292 968.39 $ |
Frais de résiliation de bail |
|
|
644.14 $ |
Frais d'arrêt de paiement de la cotisation professionnelle |
|
|
20.00 $ |
Honoraires et déboursés non payés par les clients et temps investi ainsi que déboursés encourus pour se faire payer de ces clients (pièces P-53 à P-57) |
Facture Divers-1 |
718.47 $ |
|
|
Facture B-0102 |
12 918.84 $ |
|
|
Facture M-0105 |
1 498.96 $ |
|
|
Facture M-0106 |
6 627.03 $ |
21 763.30 $ |
Traitements énergétiques (pièce P-72) |
|
|
43 260.00 $ |
Rétribution pour le Centre du Soi Rayonnant |
|
|
50 000.00 $ |
Sous-total dommages |
|
|
1 108 655.83 $ |
|
|
|
|
Dommages exemplaires Me Bélanger |
|
|
20 000.00 $ |
Dommages exemplaires Me Panet-Raymond |
|
|
20 000.00 $ |
Dommages exemplaires Me Sauriol |
|
|
20 000.00 $ |
Dommages exemplaires Me Jacques Houle |
|
|
2 000.00 $ |
Sous-total dommages exemplaires |
|
|
62 000.00 $ |
|
|
|
|
Grand total : |
|
|
1 170 655.83 $ |
[206] Enfin, Me Bohémier requiert du Tribunal une ordonnance visant à rectifier l'attestation émise par le Barreau relativement à son statut. Elle soutient que le refus du Barreau de procéder aux corrections requises relève d'un entêtement injustifié.
ii. Les défendeurs
[207] D'entrée de jeu, les défendeurs soulignent, d'une part, le chevauchement du présent recours de Me Bohémier et de l'autre, institué contre les membres du deuxième comité de discipline [105] , qui, tous deux, s'inscriraient dans un «continuum» recoupant les mêmes faits et, d'autre part, les modifications significatives apportées à la dernière minute par Me Bohémier à son recours.
[208] Ils évoquent ensuite la philosophie particulière adoptée par Me Bohémier qui l'amène à critiquer sévèrement le système de la justice et à adopter dans sa pratique des comportements atypiques.
[209] Dans leur plan d'argumentation, reprenant le témoignage de Me Bohémier, ils répondent ainsi à la question «Qui est Myriam Bohémier?» :
Myriam Bohémier a fait un long cheminement intérieur depuis 1998.
Myriam Bohémier a acquis une vision qui transcende celle des autres.
Myriam Bohémier privilégie l'Humain et le défend envers et contre tous.
Sa vision l'autorise à passer outre à tout règlement du Système ou de la Structure dans sa quête de la Justice.
Le Système et la Structure préconisent le respect des mots sans tenir compte du contexte.
Le Système impose à l'Humain de s'insérer dans de petites cases pour mieux le contrôler.
Le Système veut assurer sa survie à tout prix aux dépens de l'Humain.
Le Système est composé notamment d'avocats et de juges.
Les juges, d'anciens avocats, ont été formatés par le Barreau, d'où leur biais et leur incapacité à juger.
Aucun décideur qui n'a pas fait son cheminement ne peut la juger, avocats et juges confondus.
[210] Les défendeurs soutiennent que les lettres à l'origine des plaintes disciplinaires reflètent cette philosophie et le comportement de Me Bohémier qui en résulte.
[211] Traitant des plaintes disciplinaires, à la vue des procédures entamées par Me Bohémier, ils concluent que celle-ci a toujours refusé de s'assujettir au processus disciplinaire et refuse de reconnaître l'autorité des tribunaux.
[212]
Les
défendeurs Bélanger, Panet-Raymond et Sauriol opposent au recours dirigé contre
eux une immunité absolue, reconnue aux juges par la
Common Law
, et qui
va au-delà du texte de l'immunité conférée par l'article
[213]
S'appuyant
sur les arrêts
Finney
[106]
et
Entreprises Sibeca inc.
[107]
,
ils soutiennent que le critère de l'incurie ou de l'insouciance grave utilisé
pour renverser l'immunité de l'article
[214] Appliquant ce principe aux faits en cause, ces défendeurs plaident que :
a. la preuve de Me Bohémier ne donnerait pas ouverture à l'exception de la règle d'immunité;
b. ce ne sont pas les membres du comité de discipline personnellement qui seraient en cause;
c. l'audition du 11 octobre 2005 ne présenterait pas un caractère exceptionnel;
d. la radiation provisoire ordonnée par le comité de discipline s'appuierait sur les principes de droits applicables; et
e. aucune preuve ne soutiendrait les prétentions de mauvaise foi de Me Bohémier.
[215] Le défendeur Houle, de son côté, nie toute faute ayant engagé sa responsabilité et rappelle l'indépendance du syndic dans l'exercice de ses fonctions.
[216] Enfin, les défendeurs contestent les dommages réclamés et précisent que les dommages à la réputation seraient, de toute manière, prescrits.
QUESTIONS EN LITIGE
[217] Cette affaire soulève les questions suivantes :
i. Quelle est la nature de l'immunité applicable aux membres du comité de discipline?
ii. Les défendeurs ont-ils commis une faute non couverte par l'immunité qui les protège?
iii. Quels sont les dommages soufferts par Me Bohémier résultant de sa radiation provisoire?
[218] Abordons tour à tour l'analyse de chacune de ces questions.
ANALYSE
[219] Comme cette affaire met principalement en cause la responsabilité des membres du comité de discipline du Barreau pour des gestes commis dans l'exercice de leur fonction, il paraît indispensable de préciser, en tout premier lieu, la nature de l'immunité qui leur est applicable.
[220] Rappelons que les parties ne s'entendent pas sur la nature et la portée de cette immunité.
i. Quelle est la nature de l'immunité applicable aux membres du comité de discipline?
[221] Un bref rappel du cadre législatif mis en place pour assurer le maintien de la discipline auprès des membres des corporations professionnelles s'impose.
[222] Comme les évènements impliquant Me Bohémier devant le comité de discipline du Barreau remontent aux années 2005 et 2006, les références à la législation sont celles applicables à cette époque.
a. Le cadre législatif
[223]
L'article
23. Chaque ordre a pour principale fonction d'assurer la protection du public.
À cette fin, il doit notamment contrôler l'exercice de la profession par ses membres.
[224] L'article 116 énonce le rôle et les fonctions du comité de discipline :
116. Un comité de discipline est constitué au sein de chacun des ordres.
Le comité est saisi de toute plainte formulée contre un professionnel pour une infraction aux dispositions du présent code, de la loi constituant l'ordre dont il est membre ou des règlements adoptés conformément au présent code ou à ladite loi.
Le comité est saisi également de toute plainte formulée contre une personne qui a été membre d'un ordre pour une infraction visée au deuxième alinéa, commise alors qu'elle était membre de l'ordre. Dans ce cas, une référence au professionnel ou au membre de l'ordre, dans les dispositions du présent code, de la loi constituant l'ordre dont elle était membre ou d'un règlement adopté conformément au présent code ou à ladite loi, est une référence à cette personne.
[225]
L'article
193. Ne peuvent être poursuivis en justice en raison d'actes accomplis de bonne foi dans l'exercice de leurs fonctions:
1° un comité d'inspection professionnelle ou un membre, un inspecteur, un enquêteur, un expert ou le secrétaire de ce comité ainsi que la personne responsable de l'inspection professionnelle nommée conformément à l'article 90;
2° un syndic, un syndic adjoint ou correspondant ou un expert que le syndic s'adjoint;
3° un comité de révision visé à l'article 123.3 ou un membre de ce comité;
4° un comité de discipline ou un membre ou le secrétaire de ce comité ;
5° le Tribunal des professions ou un de ses juges;
6° le Bureau, un de ses membres ou le secrétaire de l'ordre;
7° tout comité d'enquête formé par un Bureau ou un membre d'un tel comité;
8° l'Office ou un de ses membres;
9° tout administrateur désigné par le gouvernement en vertu de l'article 14.5;
10° une personne, un comité ou un membre d'un comité désigné par le Bureau aux fins de l'application de l'article 89;
11° un comité formé par le Bureau en application de l'article 52.2 ou un membre de ce comité.
[le Tribunal souligne]
[226] De portée large et générale, cette disposition s'applique autant à des personnes exerçant des pouvoirs de nature administrative comme, par exemple, l'administrateur désigné pour exercer la tutelle d'un ordre professionnel en vertu de l'article 14.5, qu'à des personnes exerçant des pouvoirs judiciaires, comme les juges du Tribunal des professions, ou quasi-judiciaires, comme les membres des comités de discipline.
[227]
Il est
intéressant de noter qu'en ce qui concerne le Tribunal des professions et ses
membres, l'article
[228] Le Code des professions n'accorde pas une immunité semblable au comité de discipline ou à ses membres.
b. L'immunité de la Common Law
[229] S'appuyant, notamment, sur l'arrêt Morier et Boily c. Rivard [110] , les défendeurs plaident que l'immunité applicable aux membres du comité de discipline est celle reconnue par la Common Law , soit l'immunité quasi absolue dont bénéficient les juges de la Cour supérieure.
[230] Cette position découlerait principalement de l'opinion majoritaire exprimée par le juge Chouinard, au titre de «L'immunité des juges de la Cour supérieure», lorsqu'il réfère à un passage souvent cité de Lord Denning dans l'affaire Sirros v. Moore [111] :
La Cour d'appel s'appuie sur Sirros v. Moore , [1975] 1 Q.B. 118, un arrêt de la Cour d'appel du Royaume-Uni maintes fois cité depuis tant en jurisprudence qu'en doctrine comme étant l'énoncé de la règle contemporaine de l'immunité:
Le passage le plus souvent cité est le suivant du maître des rôles, lord Denning, à la p. 136:
[TRADUCTION] À l'époque moderne, j'opterais pour la formulation suivante: en principe, les juges des cours supérieures n'ont pas plus de prétention à l'immunité que les juges des cours d'instance inférieure. Tous les juges des cours du pays, de l'instance la plus haute à la plus inférieure, devraient jouir des mêmes privilèges et être soumis aux mêmes responsabilités. Si la raison d'être de l'immunité est de garantir qu'ils «soient libres d'esprit et indépendants de pensée» elle s'applique à tous les juges indépendamment de leur rang. Tout juge doit être à l'abri de toute action en responsabilité lorsqu'il agit de façon judiciaire. Tout juge devrait être en mesure de travailler en toute indépendance et à l'abri de toute crainte. Il ne doit pas feuilleter ses recueils en tremblant et en se demandant «Si je prends ce parti, suis-je exposé à une action en responsabilité?» Pour autant qu'il exerce ses fonctions de bonne foi et sincèrement convaincu d'agir dans les limites de sa compétence, il est à l'abri de toute poursuite. Il peut commettre une erreur sur les faits, il peut ne pas connaître le droit, ce qu'il fait peut être hors de sa compétence, en fait ou en droit, mais pour autant qu'il est sincèrement convaincu d'agir dans les limites de sa compétence, il ne doit pas être recherché en responsabilité. Dès qu'il est sincèrement convaincu, rien d'autre ne peut le rendre sujet à poursuite. Il ne peut être inquiété par des allégations de mauvaise foi, de préjudice ou d'autre chose de semblable. On a déjà radié des actions fondées sur ces allégations et on continuera de le faire. Rien ne peut le rendre sujet à des poursuites sauf la démonstration qu'il n'exerçait pas une fonction judiciaire, en sachant qu'il n'avait pas la compétence d'agir.
Avec égards, je suis d'avis que Sirros n'appuie pas la proposition de la Cour d'appel à l'effet que l'immunité ne serait pas absolue. L'évolution marquée par Sirros me paraît être plutôt la proposition formulée par lord Denning, avec l'accord du lord juge Ormrod, à l'effet de conférer aux juges des tribunaux dits inférieurs la même immunité que celle accordée aux juges de la Cour supérieure.
[231] Les défendeurs soutiennent que ces principes ont été appliqués dans les jugements suivants mettant en cause des organismes quasi-judiciaires : 116845 Canada inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool) [112] , Société des alcools c. La Reine [113] , Néron c. Comeau [114] et Dubé c. Québec (Commission des relations de travail) [115] .
[232] Me Bohémier signale, à juste titre, que tant dans l'arrêt Morier et Boily que dans la jurisprudence citée au paragraphe qui précède, la loi accordait à l'organisme administratif l'immunité que confère l'article 16 de la Loi sur les commissions d'enquête [116] ou son équivalent [117] .
[233] Les défendeurs réfèrent aussi à deux autres jugements qui font état des difficultés qui résulteraient de l'absence d'une immunité quasi absolue : Royer c. Migneault [118] et Taylor c. Canada (Procureur général) [119] . Précisons que ces affaires mettaient en cause des juges d'une cour supérieure.
[234] Dans l'arrêt Finney c. Barreau du Québec [120] , la Cour suprême, sous la plume du juge Lebel, invite à la prudence relativement à l'application des principes généraux issus de la jurisprudence lorsque la loi elle-même établit des règles particulières :
[30] S'il arrive que l'on s'en rapporte parfois à des principes généraux issus de la jurisprudence, la loi établit souvent elle-même les règles nécessaires. Il importe d'ailleurs d'en examiner attentivement le libellé avant de passer trop vite aux principes généraux. Tel est le cas du Code des professions . Il comporte une disposition d'immunité, l'art. 193, qui interdit les poursuites contre les ordres professionnels, leurs dirigeants et leur personnel en raison d'actes accomplis «de bonne foi dans l'exercice de leurs fonctions». La présence d'une telle disposition oblige le tribunal saisi d'un recours contre le Barreau à examiner la portée de cette disposition pour déterminer dans quel cas la responsabilité civile d'un tel organisme se trouverait engagée.
[235]
Les
défendeurs s'appuient sur un autre passage de cet arrêt pour distinguer la
situation du Barreau de celle du comité de discipline et conclure que
l'article
[40] […] Conformément à l'art.
[le Tribunal souligne]
[236] De l'avis du Tribunal, les défendeurs donnent à ce passage une portée qu'il n'a pas.
[237]
En effet,
ces commentaires s'inscrivent plutôt dans le contexte de l'étude que fait le
juge Lebel de la signification des mots «d'actes accomplis de bonne foi» dans
l'analyse de la portée de l'immunité que confère l'article
[238] Il précise qu'à l'égard de «l'exercice des fonctions de gestion» des dossiers disciplinaires par un ordre professionnel, il serait contraire à l'objectif fondamental de protection du public de restreindre l'interprétation de ces mots à la preuve d'une intention de nuire ou de malice pour écarter la présomption de bonne foi. Il indique que la preuve d'une imprudence ou d'incurie grave lui apparaissent suffisantes dans un tel contexte.
[239]
Le
Tribunal comprend du passage que soulignent les défendeurs que le juge Lebel
indique simplement que la portée donnée au concept de bonne foi de
l'article
[240]
En somme,
la Cour suprême semble faire une distinction dans l'application du concept de
bonne foi que prévoit l'article
[241]
Le
Tribunal en conclut que pour déterminer la nature de l'immunité dont
bénéficient les membres du comité de discipline, il doit d'abord s'en remettre
à la disposition législative qui la prévoit. En l'instance, il s'agit de
l'article
[242] C'est d'ailleurs la position prise par le Barreau dans le recours en dommages institué par Me Bohémier contre les membres du deuxième comité de discipline. Il invoquait l'immunité relative de l'article 193, qui a été reprise par la juge Grenier dans son jugement [121] et, ensuite, par la Cour d'appel [122] .
c. L'étendue de l'immunité
[243]
Contrairement
à la situation analysée par la Cour suprême dans
Finney
qui soulevait
l'exercice par le Barreau de fonctions de gestion, l'immunité de l'article
[244] Dans ce contexte, doit-on juger leur responsabilité civile à partir d'une simple preuve d'imprudence grave ou d'incurie, ou plutôt exiger la démonstration d'une intention de nuire ou de malice?
[245] Arrêtons-nous d'abord à la nature des pouvoirs exercés par le comité de discipline ainsi qu'aux obligations qui en découlent.
[246]
Le juge
Dalphond, alors à la Cour supérieure, précise dans l'affaire
Paquette
c.
Marsot
[123]
que le comité de discipline est un tribunal au sens de l'article
[247] En effet, le comité de discipline est saisi de toute plainte formulée contre un professionnel pour une infraction au Code des professions , à la loi constitutive de l'ordre ou à tout règlement adopté conformément aux dispositions de l'un ou de l'autre [125] .
[248] L'article 156 du Code lui accorde le pouvoir, lorsqu'il a reconnu un professionnel coupable d'une infraction à l'article 116, de prononcer des sanctions allant jusqu'à la radiation permanente du tableau de l'ordre, soit l'équivalent de la peine capitale pour un professionnel.
[249] En raison de la nature et de la gravité des sanctions qu'il est autorisé à prononcer et des conséquences qui en résultent pour le professionnel, le Code prévoit, enfin, un appel de ses décisions devant le Tribunal des professions composé de juges de la Cour du Québec [126] .
[250] L'on constate que par la nature des décisions qu'il est appelé à prononcer, le comité de discipline exerce des fonctions qui se rapprochent de celles d'un tribunal judiciaire. Il en est de même des règles auxquelles il est assujetti.
[251] En effet, les membres d'un comité de discipline sont tout d'abord tenus à un devoir d'indépendance et d'impartialité. S'exprimant à ce propos, le juge Dalphond dans l'affaire Paquette [127] ajoute:
[81] Considérant la nature des fonctions d'un comité de discipline et les conséquences sérieuses de ses décisions pour le professionnel objet d'une plainte, le tribunal est d'opinion que la norme à respecter par les membres d'un comité de discipline en matière d'impartialité est la plus élevée, soit celle applicable aux cours de justice […].
[référence omise]
[252] Le comité de discipline est aussi tenu d'appliquer les règles de justice naturelle.
[253] Enfin, tout comme les tribunaux judiciaires, mais à un degré moindre, les membres du comité de discipline sont également tenus au secret du délibéré [128] :
Il me semble donc que, de par la nature du contrôle exercé sur leurs décisions, les tribunaux administratifs ne puissent invoquer le secret du délibéré au même degré que les tribunaux judiciaires. Le secret demeure bien sûr la règle, mais il pourra néanmoins être levé lorsque le justiciable peut faire état de raisons sérieuses de croire que le processus n'a pas respecté les règles de justice naturelle .
[…]
La confidentialité peut donc être exceptionnellement levée lorsque des motifs sérieux de le faire sont préalablement soumis au tribunal.
[le Tribunal souligne]
[254] Le Tribunal en conclut que le critère de bonne foi afférent à l'immunité conférée au comité de discipline doit être interprété de manière plus restrictive, c'est-à-dire exigeant la preuve d'une intention de nuire ou de malice, que lorsqu'il s'agit de l'apprécier dans le cadre de l'exercice de fonctions de gestion comme c'était le cas dans l'affaire Finney .
[255] Cela semble d'ailleurs conforme à l'avis qu'exprime la juge Deschamps dans l'arrêt Entreprises Sibeca [129] :
[25] L'application en droit civil du critère de la mauvaise foi ne cause aucun problème. Cette notion n'est pas unique au droit public. Elle trouve d'ailleurs application dans les domaines les plus divers du droit. La notion de mauvaise foi est cependant flexible et son contenu varie selon les domaines du droit .
[le Tribunal souligne]
[256] Autrement dit, Me Bohémier a le fardeau de prouver l'intention de nuire ou la malice des membres du comité de discipline pour établir leur responsabilité.
[257] Abordons maintenant l'analyse de la preuve pour déterminer si, en l'instance, les défendeurs ont, ou non, commis une faute non couverte par l'immunité qui les protège.
ii. Les défendeurs ont-ils commis une faute non couverte par l'immunité qui les protège?
[258] Tout comme le propose Me Bohémier, il y a lieu de distinguer la faute qui aurait été commise par les membres du comité de discipline de celle reprochée à Me Houle.
[259] En effet, les faits diffèrent quant à l'un et à l'autre. De plus, la défense d'immunité applicable aux membres du comité de discipline n'existe pas pour le directeur général du Barreau.
a. Les membres du comité de discipline
[260] Tel qu'indiqué précédemment [130] , les reproches adressés aux membres du comité de discipline se fondent sur deux éléments que le Tribunal résume ainsi :
1. la stigmatisation de Me Bohémier et, dans une certaine mesure, de Mme Turcotte et du Centre du Soi Rayonnant, qui aurait résulté en un préjugé de culpabilité envers Me Bohémier à l'égard des gestes auxquels référaient les plaintes; et
2. les manquements des défendeurs à leur norme de conduite s'étant manifestés par la privation pour Me Bohémier de son droit à une défense pleine et entière de même qu'à la présomption d'innocence, ainsi que par l'absence de sérénité pendant l'audition.
[261] Me Bohémier appuie ses arguments, pour l'essentiel, sur la transcription sténographique de l'audition du 11 octobre 2005 ainsi que sur le jugement du Tribunal des professions du 25 octobre 2006.
[262] Me Bohémier soutient qu'avant même le début de l'audition sur la requête en radiation provisoire, les membres du comité de discipline avaient pris connaissance des lettres à l'origine des plaintes et avaient déjà conclu à sa culpabilité.
[263] Cela se serait manifesté dès le début de l'audition du 11 octobre 2005 par leur comportement tant à l'égard de Me Bohémier que des personnes qui l'accompagnaient.
[264] Puis, ils auraient confirmé ce préjugé par leur comportement et leurs interventions au cours de l'audition : refus de se saisir de la requête en arrêt des procédures, absence d'assermentation de la syndique adjointe, privation du droit de Me Bohémier au contre-interrogatoire de la syndique-adjointe, interventions intempestives durant son témoignage et refus d'entendre ses témoins.
[265] Dans son jugement du 25 octobre 2006, le Tribunal des professions avalise plusieurs des prétentions de Me Bohémier.
[266] Il réfère, notamment, aux propos des membres apparaissant aux pages suivantes de la transcription qui, à son avis, «inquiètent» [131] . Ce sont :
i. les pages 378 à 380:
Q. [le Président] On a les lettres au complet, on va… j'en ai pris connaissance et j'aurai l'occasion de les relire, les lettres que vous avez écrites au complet, et c'est de ça que j'aimerais que vous nous parliez. Je comprends que… écoutez…
R. Oui, je vous entends.
Q. Oui, vous me parlez du contexte dans lequel vous avez écrit les lettres et je comprends, sauf que comme avocate, je vais essayer, là, de résumer, mais c'est de ça que j'aimerais que vous me parliez, vous dites: «J'étais en guerre», je comprends qu'on a un système… on a un système judiciaire qu'on est… on vit dans un système d'opposition, je comprends ça…
R. Mais c'est pas ça…
Q. … sauf qu'on doit le faire à l'intérieur des règles qui nous sont imposées par le Code des professions, et par les règlements du Barreau.
Lorsque vous vous adressez, par exemple, à un juge qui est en charge d'un dossier, que vous écrivez à un juge en cours d'instance, j'aimerais que vous me parliez de ça.
Vous ne pouvez pas, à mon sens, justifier ça par le fait que votre consœur a fait de quoi de pas correct, même si le Barreau… je prends pour acquis ce que vous me dites, là, je le prends pour du cash, même ça, ça vous justifiait pas de faire des choses pas correctes même si le Barreau, de son côté, ne l'avait pas fait.
Et je voudrais pas que vous justifiiez votre chose… votre façon d'agir parce que le Barreau, maître Massy-Roy ou quelqu'un d'autre, n'aurait pas donné suite à une plainte que vous avez faite.
ii. la page 390:
Q. [le Président] Je reviens à ce que je vous disais tout à l'heure…
R. C'était pas une attaque au juge, là.
Q. Je comprends. Maintenant…
R. C'est une réalité.
Q. … on est obligés de lire la lettre que vous avez écrite, on est obligés également de regarder le Code des professions, de regarder la réglementation du Barreau et il y a des choses qu'on peut faire lorsqu'on est pas avocat puis il y a des choses qu'on ne peut… qu'on peut faire parce qu'on est avocat et il y a des choses qu'on ne peut pas faire justement parce qu'on est avocat.
Le fait d'avoir droit ou d'avoir le privilège de pratiquer la profession d'avocat nous permet de faire des choses que le commun des mortels ne peut pas faire, mais également nous empêche de faire des choses que le commun des mortels peut faire.
iii. la page 396:
Q. [le Président] … en attendant, ce que vous pouvez faire, maître Bohémier… ce que vous pouvez faire, c'est de travailler. Si, selon vous, les règles qu'on vous impose du Code des professions et les règlements du Barreau ne soutiennent pas les grands principes de votre serment que vous avez fait quand vous êtes devenue avocate, vous pouvez travailler à l'intérieur du Barreau à ce que ces règles-là soient modifiées pour respecter ces grands principes-là, mais vous ne pouvez pas, sous prétexte que ces règlements-là, selon vous, ne respectent pas ces grands principes-là, ne pas les respecter.
R. C'est pas ce que je dis.
Q. Ça ne vous justifie pas à le faire. C'est ça qui est important.
R. Oui, mais c'est pas ça que je dis.
Q. C'est de ça que j'aimerais que vous nous parliez en regard de chacune des lettres que vous avez écrites.
[267] Le Tribunal déplore aussi l'absence d'assermentation de la syndique adjointe de même que les interventions intempestives des membres du comité qui se seraient livrés, à plusieurs reprises, au contre-interrogatoire de Me Bohémier.
[268] Le Tribunal des professions a infirmé la décision du comité de discipline. Toutefois, cela n'entraîne pas implicitement une faute justifiant le paiement d'une indemnisation à Me Bohémier.
[269] En d'autres mots, pour justifier une condamnation en dommages des membres du comité de discipline, le Tribunal doit conclure qu'ils n'ont pas agi de bonne foi. Or, l'évaluation de la bonne ou de la mauvaise foi doit s'effectuer, notamment, à la lumière du contexte dans lequel ils étaient placés.
i. Le contexte
[270] La preuve révèle que, préalablement à l'audition du 11 octobre 2005, les membres du comité avaient pris connaissance des lettres à l'origine des plaintes.
[271] Or, à prime abord, cette documentation peut surprendre.
[272] Premièrement, il est inhabituel qu'à l'intérieur d'un litige un avocat adresse une lettre à un juge qui y est impliqué autrement que pour un motif d'ordre purement administratif: par exemple, la fixation d'une date d'audition, la transmission de procédures ou de pièces, la communication d'arguments écrits ou une demande de rectification de jugement.
[273] Deuxièmement, il est encore plus inhabituel que dans le contexte d'un litige, un avocat représentant l'une des parties s'adresse à un juge pour commenter un jugement qu'il a rendu ou lui prodiguer des conseils.
[274] Troisièmement, la contestation d'une décision ou d'un jugement s'effectue ordinairement par la voie d'une demande de révision ou d'un appel selon les prescriptions et la procédure prévues par la loi applicable.
[275] Quatrièmement, les missives dont une copie est distribuée à des supérieurs du destinataire, ou à des tiers qui pourraient avoir une autorité directe ou indirecte sur ce dernier, sont souvent perçues comme un moyen de pression pour influencer une décision que recherche(nt) le ou les signataires.
[276] Cinquièmement, dans le monde judiciaire, le langage utilisé dans les communications avec la magistrature ou les autres décideurs administratifs est généralement respectueux et courtois, même si à l'occasion, dans le feu de l'action, il peut se produire certains écarts de langage qui font ordinairement l'objet d'excuses immédiates.
[277] Enfin, certaines de ces lettres soulèvent des aspects ne nature plus philosophique. Me Bohémier, seule ou en collaboration avec Mme Turcotte, critique ce qu'elle perçoit comme des injustices, de l'ignorance ou des failles au sein de l'appareil judiciaire. Elle confronte cette réalité à ses valeurs propres pour en souligner la dichotomie. Elle va jusqu'à proposer ses services ou ceux du Centre du Soi Rayonnant pour enseigner aux juges et aux avocats un nouveau paradigme «pour permettre à l'Humain de reprendre la place qui lui revient» [132] .
[278] Ces lettres, tant au niveau de leur contenu que des personnes à qui elles s'adressent, ne peuvent laisser un juriste, avocat ou juge, indifférent. Elles s'écartent considérablement des us et coutumes de l'exercice de la profession d'avocat.
[279] Dans le contexte des plaintes déposées par la syndique adjointe du Barreau, il est raisonnable de présumer qu'avant même le début de l'audience du 11 octobre 2005, les membres du comité de discipline avaient certains questionnements sur le comportement reproché à Me Bohémier.
[280] La manière dont s'amorce l'audience du 11 octobre 2005 contribue aussi à situer le contexte dans lequel se retrouvent les membres du comité.
[281] D'entrée de jeu, précisons que la requête dont le comité est saisi demande la radiation provisoire de Me Bohémier sous l'article 130 (3 º ) du Code des professions qui se lit comme suit :
130. La plainte peut requérir la radiation provisoire immédiate de l'intimé ou la limitation provisoire immédiate de son droit d'exercer des activités professionnelles:
[...]
3° lorsqu'il lui est reproché d'avoir commis une infraction de nature telle que la protection du public risque d'être compromise s'il continue à exercer sa profession.
[282] L'article 133 du Code permet au comité de discipline de rendre une ordonnance de radiation provisoire, après audition, « … s'il juge que la protection du public l'exige ».
[283] Les critères élaborés par la jurisprudence permettant de radier provisoirement un professionnel sont les suivants [133] :
a. l'existence de reproches graves et sérieux;
b. les actes reprochés portent atteinte à la raison d'être de la profession;
c. la protection du public risque d'être compromise; et
d. la preuve « prima facie » que les actes reprochés ont été commis.
[284] Revenons à l'audition du 11 octobre.
[285] Tout d'abord, elle commence avec un retard de 45 minutes attribuable à l'arrivée tardive de Me Bohémier [134] .
[286] Cette dernière est accompagnée de sept personnes [135] .
[287] Dès le début, Me Bohémier dépose une requête en arrêt des procédures qu'elle a remise à la syndique adjointe quelques minutes plus tôt [136] . Cette requête [137] comporte 204 paragraphes et est accompagnée de 20 pièces. Le tout totalise environ 200 pages.
[288] Les interventions qui suivent immédiatement le dépôt de cette requête aident à mieux comprendre le déroulement de l'audition :
MONSIEUR LE PRÉSIDENT:
Alors, on va prendre connaissance de la requête , on va entendre… on va vous entendre là-dessus sommairement , parce que vous comprenez qu'au niveau d'une requête en radiation provisoire, on va voir en quoi comporte votre requête, mais on est au niveau sommaire, on décide sur les pièces déposées et on ne décide pas au fond de la plainte .
Me MYRIAM BOHÉMIER:
Non mais j'ai le droit de faire entendre des témoins, premièrement. Puis deuxièmement…
MONSIEUR LE PRÉSIDENT:
Mais on verra sur quoi porte votre requête, on va… vous allez commencer et on…
Me MYRIAM BOHÉMIER:
C'est sûr qu'elle est de nature très sérieuse.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT:
Oui.
Maître Massy-Roy?
Me FRANCINE MASSY-ROY:
La requête porte exactement 204 paragraphes et en la parcourant brièvement, je me rends compte qu'on s'attaque beaucoup plus au fond du litige et, quant à moi, cette requête-là, ce n'est pas un moyen préliminaire, c'est une défense à l'encontre de chacune des plaintes qui sont également pendantes.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT:
Alors, vous allez déposer votre requête, on va en prendre connaissance, on va rendre une décision sur votre requête, soit qu'on l'entend, soit qu'on… en tout cas, on verra, vous allez la déposer, on va en prendre connaissance .
Mme GHISLAINE TURCOTTE:
Elle peut vous en donner un aperçu abrégé.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT:
Est-ce que vous êtes avocate, madame?
Mme GHISLAINE TURCOTTE:
Moi, je suis madame Turcotte.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT:
Qui est?
Mme GHISLAINE TURCOTTE:
Celle qui vous a envoyé un mot.
Ah, vous êtes pas au courant de ça, vous? Ah bon.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT:
Mais est-ce que… vous êtes qui, madame, là?
Mme GHISLAINE TURCOTTE:
Madame Turcotte.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT:
Mais c'est qui, ça, madame Turcotte?
Mme GHISLAINE TURCOTTE:
C'est celle…
Me MYRIAM BOHÉMIER:
Madame Turcotte, elle m'accompagne dans ce processus-là.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT:
Madame, si vous n'êtes pas avocate…
Mme GHISLAINE TURCOTTE:
Madame Turcotte, là…
MONSIEUR LE PRÉSIDENT:
… vous ne pouvez pas intervenir devant le Comité ici.
Mme GHISLAINE TURCOTTE:
Madame Turcotte, elle peut juste vous dire une chose…
MONSIEUR LE PRÉSIDENT:
Madame, que vous vous appeliez madame Turcotte, madame Blais, là, c'est pas parce que vous êtes madame Turcotte…
Mme GHISLAINE TURCOTTE:
Non, non, non, j'en suis sûre.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT:
… je vous dit que ici, devant le Comité, pour madame… maître Myriam Bohémier peut être représentée par avocat, mais elle ne peut pas être représentée par une personne qui… je vous demande si vous êtes avocate, vous n'êtes pas avocate?
Mme GHISLAINE TURCOTTE:
Je ne suis pas avocate.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT:
À ce moment-là, vous ne pouvez pas intervenir, madame…
Mme GHISLAINE TURCOTTE:
On peut très bien comprendre ça.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT:
… je vous demande de ne pas intervenir.
Mme GHISLAINE TURCOTTE:
Je comprends ça, cher monsieur.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT:
Je vous remercie.
Alors, si vous voulez déposer votre requête.
Mme GHISLAINE TURCOTTE:
Mais elle pourra abréger.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT:
Alors, compte tenu, là, du… est-ce que vous avez… sommairement, je comprends que vous avez toute une documentation que vous venez de déposer, là, je ne vous autoriserai pas, évidemment, pour le moment à faire une preuve là-dessus .
On va ajourner quelques instants, on va prendre connaissance des documents - en tout cas sommairement, là, compte tenu de la quantité qui est là - et on vous revient .
(SUSPENSION)
[le Tribunal souligne]
[289] Après une suspension d'environ dix minutes, le président communique la décision du comité en ces termes [138] :
Alors, le Comité a pris connaissance sommairement des documents qui ont été déposés en guise de requête en arrêt des procédures et nous sommes dans le cadre d'une procédure de radiation provisoire, qui est une procédure sommaire, qui est également … qui fait face à une autre requête et qui ne concerne pas seulement la procédure sommaire, mais également, ça apparaît du premier paragraphe même de la requête, c'est qu'on conteste non seulement la radiation provisoire, mais les deux plaintes disciplinaires .
Il y aura une audition au fond des deux plaintes disciplinaires à une date qui sera fixée et, à ce moment-là, à l'audition au fond, on pourra disposer de la requête en arrêt des procédures .
Pour le moment, cet après-midi, il n'est pas question d'entendre une requête en arrêt des procédures sur le fond, on va procéder sur une requête qui est provisoire et qui se décide comme si vous - vous permettez la comparaison - en injonction, si on a une injonction provisoire, on ne procède pas à l'audition de témoins, on procède sur … à la vue des pièces et ce qu'on va faire ici cet après-midi, on va décider de cette demande de requête-là à partir de la preuve qui vous a été transmise par la plaignante, les pièces que nous avons au dossier .
C'est cette décision-là … nous allons prendre une décision à partir de ça cet après-midi, nous allons entendre l'argumentation de la plaignante et votre argumentation, madame l'intimée, sur la requête en radiation provisoire .
Dans un deuxième temps, on vous entendra et on prendra connaissance de votre requête à une date ultérieure à être fixée.
[le Tribunal souligne]
[290] Ces extraits de la transcription sténographique du début de l'audition du 11 octobre situent bien le contexte dans lequel les membres du comité amorcent leur travail.
[291] Tout d'abord, le questionnement que suscitent les lettres de Me Bohémier auxquelles les plaintes référent.
[292] Ensuite, la surprise vu le dépôt non annoncé d'une volumineuse requête en arrêt des procédures qui semble davantage porter sur des éléments de défense au fond.
[293] Puis, la crainte que l'audition qui, selon la compréhension du comité, ne comporte ordinairement qu'une argumentation orale sur la base des pièces déposées, ne se transforme en un long débat qui relève davantage du fond.
[294] Enfin, l'intervention impromptue de l'une des sept personnes accompagnant Me Bohémier, Mme Turcotte.
[295] Mais cela ne s'arrête pas là.
[296]
Immédiatement
après le prononcé du jugement refusant d'entendre, à ce stade, la requête en
arrêt des procédures, s'engage un débat au cours duquel Me Bohémier marque
son désaccord avec la décision, plaide que le comité ne constitue pas un
tribunal offrant les garanties édictées par l'article
[297] Puis, Mme Turcotte et l'époux de Me Bohémier interviennent dans le débat en vilipendant le système et en criant à l'injustice, jusqu'à ce que le président du comité suspende à nouveau l'audience [140] .
[298] Ce n'est qu'après ces incidents que l'audition sur la requête en radiation provisoire débute.
[299] Un constat s'impose d'emblée. Le climat dans la salle d'audience n'est certainement pas empreint de sérénité.
ii. Les interventions des membres du comité
[300] La syndique adjointe entreprend alors une revue des lettres qui font l'objet des plaintes.
[301] Bien qu'elle ne soit pas assermentée, elle les commente et caractérise leur contenu. Par exemple, elle qualifie certains propos de «discourtois», «déplacés», ou d'«inopportuns».
[302] À certains moments, elle indique que les propos de Me Bohémier manquent de modération ou qu'ils ne soutiennent pas l'administration de la justice.
[303] Elle situe aussi le contexte de certains de ces propos en fournissant des détails sur le dossier de S... P... c. A... D... qui n'apparaissent pas des lettres mises en preuve.
[304] À deux reprises, Me Bohémier formule des objections. Elles ne sont pas retenues.
[305] Au terme des représentations de la syndique adjointe, Me Bohémier indique qu'elle désire témoigner. Elle est alors assermentée.
[306] Me Bohémier débute son témoignage avec un retour sur son curriculum vitae.
[307] Elle traite notamment de l'expertise en matière de harcèlement qu'elle a développée tôt dans sa carrière. Elle explique que cela l'a amenée à entreprendre un cheminement personnel qui lui a fait prendre conscience que la violence dans notre société est institutionnalisée. Elle donne pour exemple l'Holocauste.
[308] Me Bohémier est alors ramenée à l'ordre. Le président du comité lui rappelle que la requête présentée par la syndique adjointe se fonde sur les lettres mises en preuve.
[309] Me Bohémier souligne alors que les extraits de lettres cités par la syndique adjointe sont pris hors contexte, sans référence aux évènements à l'origine de ces lettres.
[310] Me Bohémier évoque alors les faits relatifs à l'affaire S... P... c. A... D... et le comportement de l'avocate de A... D... qui, selon elle, allait à l'encontre des règles de déontologie. Elle se plaint de l'inaction de la syndique adjointe à cet égard.
[311] Elle est rappelée à l'ordre encore une fois par le président qui lui demande de traiter du contenu des lettres alléguées dans les plaintes.
[312] C'est dans ce contexte qu'a lieu le premier échange auquel réfère le Tribunal des professions dans son jugement du 25 octobre 2006.
[313] Après avoir traité de la lettre au juge Wery et précisé que, selon elle, ce dernier était déjà dessaisi du dossier, Me Bohémier aborde le dossier de demande d'aide juridique pour sa cliente S... P... et les difficultés rencontrées avec Me Gendron.
[314] Invitée par le président à commenter le texte de la lettre adressée à ce dernier, Me Bohémier commente les faits qui en sont à l'origine ajoutant qu'il est trompeur de simplement s'attarder aux mots de la lettre.
[315] C'est alors qu'a lieu le deuxième échange, rapporté par le Tribunal des professions dans son jugement.
[316] Me Bohémier passe ensuite aux détails de l'intervention de S... P... devant la Cour municipale dans le contexte de la plainte pénale pour agression physique contre A... D... Elle s'insurge contre le comportement du juge qui a refusé à sa cliente le droit d'intervenir alors qu'il décidait des modifications à apporter aux conditions de l'engagement de A... D... Me Bohémier qualifie cet épisode de «violence institutionnalisée».
[317] C'est alors qu'intervient Me Panet-Raymond qui lui dit :
Q. En somme, vous avez raison, les autres ont tort?
[318] Suit l'échange suivant :
R. Est-ce que vous pensez que ça, quand je donne cet exemple-là, je suis dans le champ? Est-ce que vous pensez ça?
Q. Je connais pas votre dossier, maître Bohémier, ce que je constate, c'est que vous, vous avez raison puis les autres ont tort, c'est votre perception des choses.
R. Non ça, c'est votre interprétation de ce que je dis…
Q. Je vous écoute depuis tout à l'heure…
R. … qui est basé sur votre façon de voir…
Q. O.K.
R. … qui montre déjà un biais négatif envers moi. Ça montre ça…
Q. O.K.
R. … vos paroles montrent ça.
[319] Le président du comité intervient pour inviter Me Bohémier à continuer à commenter les lettres déposées par la syndique adjointe.
[320] Suit l'échange suivant qui survient immédiatement avant le troisième passage auquel réfère le Tribunal des professions dans sa décision :
Q. Alors, ça va, si vous voulez continuer?
R. Bien, c'est important.
Q. Oui. Oui, oui. On considère, maître Bohémier, que tout ce que vous nous dites est important, sauf que faut le dire en rapport avec l'accusation… avec la décision qu'on a à rendre.
Vous comprenez que nous ici, on doit rendre une décision…
R. Bien moi, je fitte pas dans les petites cases.
Q. Bien là, à ce moment-là, quand vous avez…
R. Bien…
Q. Quand vous avez prêté votre serment pour pratiquer comme avocate…
R. Oui.
Q. … comme avocate, vous vous êtes engagée également à être à la case qui est relativement étroite…
R. Oui, je me suis engagée…
Q. … des règlements du Barreau.
R. Je l'ai mon serment d'office dans mon sac…
Q. Oui.
R. … je me suis engagée à agir avec honnêteté, loyauté, fidélité et justice.
Q. Um-hum.
R. Pour moi, là, ces valeurs-là veulent vraiment dire quelque chose.
Q. À l'intérieur du Code des professions et des règlements du Barreau?
R. Non, ce que vous comprenez pas, là, c'est que c'est pas ces valeurs-là qui doivent fitter dans les règles, c'est que les règles doivent être appliquées en faisant… en ayant ce sens-là, ces valeurs-là à sa base.
[321] Par la suite, le témoignage se poursuit avec de multiples interventions du président qui tente d'amener Me Bohémier à traiter du contenu des lettres et cette dernière qui insiste pour communiquer des détails sur les faits à l'origine des lettres.
[322] C'est dans ce contexte que les questions des membres du comité deviennent, à l'occasion, plus «mordantes». Cela engendre aussi des échanges dont le ton apparaît parfois teinté d'ironie.
[323] À la fin de son témoignage, Me Bohémier demande que sa cliente, S... P..., puisse exprimer au comité le préjudice qu'elle subirait de la radiation provisoire de Me Bohémier, ce qui lui est refusé.
iii. Me Bohémier a-t-elle prouvé une faute des membres du comité de discipline non couverte par l'immunité relative?
[324] Pour lever l'immunité dont jouissent les membres du comité de discipline qui exercent des fonctions juridictionnelles, le Tribunal doit être satisfait que Me Bohémier a établi leur mauvaise foi qui se traduit soit par leur intention de nuire, soit par leur malice.
[325] Me Bohémier n'a pas réussi à décharger ce fardeau.
[326] En soi, la preuve des erreurs commises ici par les membres du comité de discipline ne démontre pas leur mauvaise foi. Leur attitude s'explique plutôt par le contexte dans lequel ils ont été appelés à exercer leurs fonctions et qui était relié, en grande partie, au comportement de Me Bohémier elle-même.
[327] Tout d'abord, les lettres à l'origine des plaintes disciplinaires et de la requête en radiation provisoire, leur nombre, les destinataires ainsi que leur contenu se démarquent tellement de la pratique judiciaire usuelle qu'elles ne peuvent faire autrement que d'interpeller sérieusement tout juriste.
[328] Ensuite, le comportement de Me Bohémier à l'audience peut aussi expliquer, sans nécessairement excuser, l'attitude des membres du comité de discipline. Il en est ainsi :
a. du dépôt, sans préavis, d'une volumineuse requête en arrêt des procédures;
b. de la manifestation du refus de Me Bohémier d'accepter la décision du comité reportant à plus tard l'audition de sa requête en arrêt des procédures;
c. de l'insistance de Me Bohémier à témoigner sur les faits des dossiers à l'origine des lettres plutôt que sur le contenu des lettres elles-mêmes; et
d. du contenu du témoignage de Me Bohémier qui s'en prend au système de justice et aux officiers qui y exercent une fonction.
[329] On peut certainement ajouter que l'intervention inopportune de certaines des personnes venues supporter Me Bohémier à l'audience n'a pas aidé à maintenir un climat de sérénité.
[330] Saisis d'une requête en radiation provisoire, le rôle des membres du comité se limitait à s'assurer de la commission des actes reprochés, ici l'envoi des lettres (ce qui n'a jamais été contesté par Me Bohémier), de la gravité des reproches et du risque de compromission de la protection du public pendant l'instance disciplinaire :
[15] Au stade de la demande d'ordonnance de radiation provisoire, il ne s'agit donc pas pour le comité de décider si le professionnel a commis les actes reprochés mais plutôt de vérifier si à première vue il paraît les avoir commis.
[16] Cette proposition a pour corollaire que le professionnel, en contestation de la demande de radiation provisoire, ne doit pas s'évertuer à démontrer qu'il n'est pas coupable des actes reprochés, mais plutôt de s'attarder à établir, à ce stade, que la protection du public n'est pas compromise s'il continue à exercer sa profession.
[17] En somme, l'instruction d'une demande de radiation provisoire n'est ni le lieu ni le moment de débattre la culpabilité ou de l'innocence du professionnel au regard des actes reprochés. [141]
[331] Or, le refus répété de Me Bohémier d'expliquer et de qualifier le contenu des lettres, qui apparaît nécessaire à l'analyse du critère de la gravité des reproches, a manifestement irrité les membres du comité de discipline. D'ailleurs, à plusieurs reprises, le président du comité rappelle à Me Bohémier l'importance de cet aspect du dossier en relation avec la décision qu'est appelé à rendre le comité.
[332] Bien sûr, comme tout tribunal, les membres du comité de discipline étaient tenus de conserver leur devoir de réserve, d'appliquer les règles de procédure et d'assurer une audition juste et équitable envers les parties.
[333]
Ils ont
failli à cette tâche. Mais la preuve apportée devant le Tribunal ne permet pas
de lever l'immunité relative que leur accorde l'article
[334] Ajoutons, enfin, quelques précisions à l'égard de certains reproches formulés par Me Bohémier.
[335] Rien dans la preuve ne soutient l'accusation de Me Bohémier voulant que le comité de discipline lui ait refusé de contre-interroger la syndique adjointe. Elle n'en a jamais fait la demande.
[336] On ne peut, non plus, reprocher aux membres du comité de discipline la signification à Me Bohémier de la requête en radiation provisoire en ne respectant pas le délai minimum requis, ce qui a obligé le report de l'audition. En effet, c'est la syndique adjointe qui était responsable de signifier sa requête dans le délai requis. Il n'y a aucune preuve d'une intervention quelconque des membres du comité à cet égard.
[337] Me Bohémier reproche aussi au comité de l'avoir obligée à présenter une requête écrite pour demander leur récusation alors qu'il a pris la décision de se récuser sans égard au contenu de sa requête.
[338] Il faut prendre garde de ne pas analyser cet incident a posteriori , ayant l'avantage des commentaires du Tribunal des professions dans sa décision d'annuler la radiation provisoire.
[339] Un rappel des faits s'impose.
[340] La première demande formulée par Me Bohémier pour que la cause se poursuive devant un autre banc se retrouve à sa requête adressée au Tribunal des professions pour suspendre l'exécution de la décision de radiation provisoire [142] . La requête est rejetée par le juge Denis Lavergne le 19 décembre 2005 [143] .
[341] Dans son jugement, en réponse à l'argument de partialité des membres du comité de discipline soulevé par Me Bohémier, le juge Lavergne souligne, d'une part, qu'aucune requête en récusation n'a jamais été formulée et, d'autre part, qu'il n'existe aucun indice de partialité de leur part [144] .
[342] Dans ses lettres des 12 et 16 janvier 2006 adressées à Me Réjean Blais [145] , Me Bohémier demande à ce qu'un nouveau banc soit constitué pour poursuivre l'audition du dossier. La réponse est communiquée par Me Delpha Bélanger le 17 janvier, qui lui indique de soumettre une demande en ce sens au moment de la reprise de l'audition au mois de février [146] .
[343] Suite à une autre lettre adressée par Me Bohémier à Me Blais le 30 janvier [147] , ce dernier lui répond ce qui suit le 31 janvier [148] :
J'ai pris connaissance de votre lettre du 30 janvier dernier.
En vertu de l'article
Si vous désirez obtenir la récusation de ces
personnes, vous devez procéder conformément à l'article
Je n'ai personnellement, en ma qualité de président du Comité de discipline, aucune autorité sur une division du comité composée de trois membres et présidée par un président suppléant.
[344] Me Bohémier prépare donc une requête en récusation écrite portant la date du 16 février [149] .
[345] À l'ouverture de l'audience du 20 février, le président du comité de discipline indique que le comité se récuse, que les motifs écrits de la décision seront transmis ultérieurement et que cette décision tient compte «qu'une décision sur radiation provisoire a déjà été rendue» [150] .
[346] Dans ses motifs écrits du 13 mars [151] , le comité précise que bien qu'il se considère toujours impartial, sa décision ordonnant la radiation provisoire de Me Bohémier est susceptible de laisser croire que le fond du litige est décidé et qu'il est alors préférable que l'audition se poursuive devant un autre banc.
[347] Ainsi donc, contrairement à ce que prétend Me Bohémier, ce n'est pas le comité de discipline qui a formellement requis la présentation d'une requête écrite.
[348] De plus, selon ce qu'indique le comité dans ses motifs écrits, la décision de se récuser a été prise lors d'une réunion des membres du comité tenue immédiatement avant l'audition du 20 février.
[349] Le Tribunal ne peut conclure de ces circonstances à quelque mauvaise foi de la part des membres du comité.
[350] En conclusion, le recours de Me Bohémier dirigé contre les membres du comité de discipline est rejeté.
b. Me Houle
[351] À L'époque des faits qui lui sont reprochés, Me Houle occupait la fonction de directeur général du Barreau du Québec.
[352]
Conformément
à l'article
[353] Me Houle a aussi assumé temporairement la fonction de secrétaire par intérim du comité de discipline.
[354] C'est en tant que directeur général du Barreau qu'il est poursuivi par Me Bohémier. Tel que mentionné précédemment, Me Houle ne bénéficie, à ce titre, d'aucune immunité, contrairement aux membres du comité de discipline.
[355] Les faits à l'origine de la faute alléguée contre Me Houle sont décrits aux paragraphes 176 à 198 du présent jugement.
[356] Me Bohémier lui reproche sa mauvaise foi en lui ayant laissé croire à la possibilité d'un règlement des poursuites judiciaires alors qu'il n'en était rien.
[357] Elle décrit ainsi, dans sa requête introductive d'instance amendée, le préjudice qui en aurait résulté :
329. Pour leur part, le défendeur Me Jacques Houle, la syndique et son procureur ont causé un préjudice moral à la demanderesse en lui faisant croire à une possibilité de mettre fin aux procédures disciplinaires pendantes contre elle pour finalement lui dire qu'elle avait fabulé cette proposition ;
330. S'ils avaient été de bonne foi envers la demanderesse, ils lui auraient simplement dit soit qu'ils avaient changé d'idée ou qu'il y a erreur;
331. Ils n'auraient pas dénié pendant trois ans et demi cette proposition véritablement faite, proposition finalement admise par le procureur de la syndique devant la Cour d'appel le 18 janvier 2012;
332. Cette conduite peut être qualifiée de torture psychologique;
333. Elle est d'autant plus mesquine et inacceptable que la demanderesse est harcelée par le Barreau du Québec depuis 9 ans;
334. Le défendeur Jacques Houle a également causé un préjudice moral à la demanderesse en étant hargneux et volontairement méchant avec elle, jouissant de son «malheur» et la dénigrant en reniant le préjudice encouru par sa radiation provisoire;
335. Dans cet espace, le défendeur Me Jacques Houle a intentionnellement porté atteinte aux droits de la demanderesse à la sauvegarde de sa dignité et de son honneur;
336. Il doit donc être condamné personnellement à payer à la demanderesse des dommages punitifs de 2 000$.
[358] L'essentiel des communications entre Me Bohémier et Me Houle au sujet d'un règlement possible des plaintes disciplinaires prend place à compter du 4 juin 2008 [153] pour se conclure le 15 août suivant. Préalablement, au mois de juillet 2007 [154] , Me Bohémier avait ouvert la porte, sans succès, à une entente.
[359] À la première occasion, le 11 juin 2008, Me Houle précise ce qui suit dans une lettre adressée à Me Bohémier :
J'ai le devoir de vous informer qu'en aucun temps le directeur général n'a juridiction sur les dossiers du Bureau du syndic. Autant la loi que la jurisprudence est constante. La syndique et les syndics adjoints doivent travailler en totale indépendance, libres de toute pression extérieure. Ces personnes sont maîtres de leurs dossiers. Je serais dans l'illégalité d'agir autrement.
[360] Me Bohémier marque son désaccord, dans une lettre du 25 juin à Me Houle [155] , en argumentant que l'indépendance du syndic n'est pas une règle absolue et que le devoir du Barreau comporte celui de s'assurer du respect des règles de droit.
[361] Dans une lettre du 9 juillet, Me Houle réitère le principe énoncé à sa lettre du 11 juin.
[362] Au cours d'un entretien téléphonique avec Me Bohémier le 8 août suivant, Me Houle se montre étonné d'une démarche qui aurait été initiée par l'avocat de la syndique, ayant été informé que cette dernière ne désirait pas négocier un règlement des plaintes disciplinaires.
[363] Enfin, le 15 août, Me Houle réitère que tout règlement de l'instance disciplinaire relevait exclusivement du bureau de la syndique.
[364] D'entrée de jeu, contrairement à ce qu'allègue la requête introductive d'instance amendée, il est difficile d'attribuer à Me Houle quelque intention d'intervenir dans un règlement éventuel du dossier. Au contraire, dès le 11 juin 2008, il avise Me Bohémier qu'il ne peut intervenir au dossier disciplinaire de la syndique.
[365] Cela est d'ailleurs conforme à la description des fonctions du directeur général apparaissant aux Règles de régie interne du Barreau [156] . L'article 24 énonce, notamment, que :
24. [Direction générale]
[…]
[Fonctions]
[…]
Sans restreindre la généralité de ce qui précède, le directeur général assume généralement les fonctions suivantes:
[…]
g) supervise et coordonne les activités des comités de vérification (accès à la profession), d'arbitrage des comptes d'honoraires, d'indemnisation et des requêtes de même que celles du greffe de discipline ; […]
h) exerce toute autorité administrative sur le syndic du Barreau du Québec;
[…]
[le Tribunal souligne]
[366] Ces dispositions confirment la position communiquée à Me Bohémier voulant que le directeur général n'ait aucune autorité sur les dossiers que gère la syndique.
[367] Le Tribunal conclut que la preuve ne démontre aucunement que Me Houle a laissé croire à Me Bohémier à la possibilité d'un règlement des plaintes disciplinaires.
[368] Peut-être a-t-il été maladroit dans certains des propos qu'il a tenus au cours de l'entretien téléphonique du 15 août 2008 avec Me Bohémier. Mais cela ne constitue pas une faute donnant droit à une indemnisation.
[369] Le recours contre Me Houle est donc rejeté.
c. La demande de modification à l'attestation
[370] Au moment de la divulgation de la preuve dans le dossier dans lequel le Barreau poursuit Me Bohémier pour exercice illégal de la profession d'avocat, Me Bohémier prend connaissance d'une attestation du Barreau émise le 27 octobre 2006 [157] et qui se lit comme suit :
ATTESTATION
Par la présente, je, soussignée, Nancy J. Trudel, avocate, directrice du Service des greffes du Barreau du Québec, certifie que ME MYRIAM BOHÉMIER , numéro de membre 202302-4:
1- a été admise au Barreau du Québec le 15 septembre 2000;
2- a été inscrite au Tableau de l'Ordre du 15 septembre 2000 au 11 novembre 2005;
3- a été radiée suite à une décision du Comité de discipline du Barreau du Québec du 7 novembre 2005 au 26 octobre 2006; a été réinscrite le 26 octobre 2006;
4- est membre en règle de l'Ordre à la date des présentes.
EN FOI DE QUOI, j'ai signé à Montréal ce vingt-septième (27 e ) jour du mois de octobre deux mille six (2006).
Nancy J. Trudel, avocate
Directrice du Service des greffes
[371] Le 8 novembre 2006, Me Bohémier écrit à Me Trudel [158] pour se plaindre de l'inexactitude du troisième paragraphe de cette attestation qui, à son avis, devrait plutôt se lire comme suit:
3- a été radiée provisoirement suite à une décision du Comité de discipline du Barreau du Québec du 7 novembre 2005 au 26 octobre 2006, mais réinscrite le 26 octobre 2006 suite à une décision du Tribunal des professions cassant la décision du Comité de discipline.
[372] Me Bohémier demande au Barreau d'émettre une nouvelle attestation qui soit conforme à la «vérité».
[373]
Le 6 décembre
suivant, Me Jacques Houle fait publier un avis conformément à l'article
AVIS
(DOSSIERS NOS: 06-05-02112 & 06-05—02113)
Me Myriam Bohémier
(no. de membre: 202302-4)
a été radiée provisoirement du tableau de l'Ordre des avocats le
7 novembre
2005
par le Comité de discipline du Barreau du Québec en vertu de l'article
Suite à l'appel logé par Me Myriam Bohémier, le Tribunal des professions par son jugement prononcé le 25 octobre 2006, casse la décision du Comité de discipline du Barreau du Québec rendue le 2 novembre 2005 et ordonne la réinscription au Tableau de l'Ordre des avocats.
SOYEZ AVISÉS QUE, Me Myriam Bohémier est réinscrite au Tableau de l'Ordre des avocats à compter du 26 octobre 2006 .
Le Directeur des Services judiciaires de chaque Palais de justice est tenu d'afficher cet avis dans un endroit apparent de son bureau et aux greffes des tribunaux.
Le présent avis remplace l'avis émis en vertu de
l'article
Montréal, ce 6 décembre 2006.
Le directeur général,
ME JACQUES HOULE
[374] Me Bohémier est satisfaite du contenu de cet avis mais requiert du Tribunal une ordonnance forçant le Barreau à corriger selon sa demande le contenu de l'attestation du 27 octobre 2006.
[375] La preuve révèle que le seul avis reconnu officiel par le Code des professions et par le Barreau est celui daté du 6 décembre 2006.
[376] Me Houle explique que l'attestation est un document interne du Barreau qui n'est généralement pas distribué ou publié.
[377] Me Bohémier s'étonne donc que l'attestation la concernant lui ait été remise dans le cadre d'une divulgation de la preuve dans une instance pénale. Me Houle n'a pas été en mesure de fournir une autre explication.
[378]
Sans
vouloir tirer une conclusion définitive à ce sujet, le Tribunal constate
néanmoins que l'attestation émise le 27 octobre 2006 suit de deux jours le
dépôt du jugement du Tribunal des professions et précède d'environ six semaines
l'émission de l'avis sous l'article
[379] Dans le contexte d'une divulgation de preuve survenue avant la publication de l'avis officiel, il est compréhensible que l'attestation ait été communiquée.
[380] La preuve ne révèle l'émission d'aucune autre attestation concernant Me Bohémier après celle du 27 octobre.
[381] Me Bohémier n'a appuyé sa demande sur aucune disposition législative qui permettrait au Tribunal de rendre l'ordonnance recherchée.
[382]
L'article
[383] Cette demande de Me Bohémier doit donc être rejetée.
iii. Quels sont les dommages soufferts par Me Bohémier résultant de sa radiation provisoire?
[384] Considérant les conclusions du Tribunal sur la responsabilité des défendeurs, il n'est pas nécessaire d'analyser cette question.
[385] Le Tribunal souligne néanmoins qu'il existe une certaine confusion entre les dommages réclamés dans le présent recours et ceux réclamés dans le recours entrepris contre les membres du deuxième comité de discipline.
.
LA REQUÊTE DES DÉFENDEURS EN REJET
[386] Les défendeurs Bélanger, Panet-Raymond et Sauriol ont déposé une requête en rejet du recours de Me Bohémier après que celle-ci eût déclaré sa preuve close.
[387] Les représentations des parties sur cette requête ont été reportées au moment des plaidoiries.
[388]
Compte
tenu des conclusions du Tribunal appliquant l'immunité relative de l'article
[389] En effet, celle-ci visait à faire déclarer que l'immunité applicable aux membres du comité de discipline est celle des juges d'une cour supérieure et qu'en conséquence ils ne pouvaient être contraints à témoigner.
[390] La requête est donc rejetée sans frais.
LES DÉPENS
[391] Me Bohémier demande que dans l'éventualité où son recours est rejeté, elle ne soit pas condamnée aux dépens.
[392] Le Tribunal accède à sa demande pour les motifs suivants.
[393] Comme le souligne la juge Grenier dans son jugement accueillant la requête en irrecevabilité présentée par les membres du deuxième comité au recours intenté contre eux par Me Bohémier [159] , celle-ci «a déjà subi une suspension provisoire d'un an, châtiment qui, selon le Tribunal des professions, était excessif et arbitraire». Ces propos sont d'ailleurs repris avec approbation par la Cour d'appel [160] .
[394] Le règlement de l'ensemble des dossiers, tant disciplinaires que civils, a même été recommandé par la Cour d'appel dans son jugement du 14 février 2012, ce qui est inhabituel.
[395] Malheureusement, même si le syndic ad hoc du Barreau a confirmé qu'il entendait demander le retrait des plaintes disciplinaires, les dossiers civils n'ont pu être réglés. Le Tribunal n'en impute pas la responsabilité à l'une ou l'autre des parties, mais constate tout de même que les amendements apportés par Me Bohémier le 4 avril 2012, faisant passer sa réclamation de 95 000 $ à plus de 1 M$, n'ont certainement pas facilité les négociations.
[396] L'ensemble de ce dossier constitue un triste exemple de l'effet «domino» qui résulte souvent des excès et des dérapages. Il rappelle l'importance de la modération tant dans les débats que dans les communications qui les entourent. Il confirme aussi l'importance pour l'avocat et pour le décideur de conserver une distance par rapport à un client ou à un dossier afin d'éviter que les émotions ne dominent la raison.
[397] Me Bohémier a finalement écopé d'une sanction qui aurait pu être évitée ou écourtée. Elle assume la responsabilité des conséquences d'un comportement souvent excessif ou déplacé.
[398] De leur côté, le Barreau et son comité de discipline ne se sont pas montrés à la hauteur des attentes. Les membres du comité se sont laissés entraîner par leurs émotions ce qui a conduit à un dérapage qui aurait pu être évité. Le Barreau, de son côté, aurait pu faire mieux pour éviter que les procédures ne traînent en longueur.
[399] Somme toute, Me Bohémier a déjà été punie sévèrement et il serait inapproprié d'y ajouter une condamnation aux dépens.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[400] REJETTE le recours de la demanderesse;
[401] SANS FRAIS ;
[402] REJETTE, sans frais, la requête des défendeurs Bélanger, Panet-Raymond et Sauriol en rejet de l'action.
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__________________________________ ANDRÉ PRÉVOST, J.C.S. |
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Me Myriam Bohémier |
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Avocate |
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Pour elle-même |
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Me Pierre Bélanger |
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Me Mathieu Cardinal |
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Bélanger Longtin |
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Pour les défendeurs |
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Dates d’audience : |
Les 10, 11, 12, 13, 16, 17, 18, 19, 20, 23, 24, 25 et 26 avril 2012 |
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[1] Dans son jugement, le Tribunal utilise l'appellation «comité de discipline» bien qu'à la suite d'une modification législative postérieure aux faits en cause, cet organisme porte dorénavant le nom de «conseil de discipline».
[2] P-69.
[3] Requête introductive d'instance en dommages-intérêts amendée.
[4] A... D... est l'ex-conjoint de S... P..., cliente de Me Bohémier. Cette dernière a déposé, le 16 octobre 2002, une requête pour obtenir la garde des enfants ainsi qu'une pension alimentaire.
[5] Madame Turcotte dirige le Centre du Soi Rayonnant (P-76) et accompagnait S... P... dans ses démarches judiciaires.
[6] Me Myriam Bohémier c. Barreau du Québec et Me Jean-Guy Légaré et Me Armand Elbaz et Me Pierre Bourque et al. , n o 500-17-060587-105.
[7] D-40.
[8] D-41 (R-3, p. 5).
[9] D-41 (R-1, p.1).
[10] D-41 (R-3). Finalement, la plainte de Me Bohémier contre Me Legault ne sera pas retenue par la syndique adjointe (D-41, R-12) et Me Bohémier échouera dans sa tentative de faire renverser cette décision par le Comité de révision des plaintes du Barreau (D-41, R-14 et R-15).
[11] D-41 (R-4).
[12] D-41 (R-5).
[13] D-21.2, p. 32 à 42.
[14] Id. , p. 136.
[15] Id. , p. 139-140.
[16] Id. , p. 144 à 152.
[17] D-43.
[18] Précité, note 13, p. 154-155.
[19] D-41 (R-11).
[20] Précité, note 13, p. 161 à 166.
[21] Id. , p. 158 à 160.
[22] Id. , p. 167-168.
[23] Id. , p. 170 à 173.
[24] Id. , p. 174 à 176.
[25] Id. , p. 178 à 202.
[26] Précité, note 11.
[27] Précité, note 23.
[28] Id ., p. 225.
[29] Précité, note 13, p. 204 à 222.
[30] Id. , p. 224 à 228 et p. 230 à 237. La première est aussi adressée au juge Charbonneau.
[31] D-44.
[32] Précité, note 13, p. 239 à 259.
[33] D-1, D-2 ou P-11.
[34] R.R.Q., c. B-1, r.3
[35] L.R.Q., c. C-26.
[36] P-43.
[37] Id. et D-21.2, p. 97.
[38] Voir le procès-verbal, P-7. La transcription sténographique de l'audition du 11 octobre 2005 est incluse à D-21.2, aux pages 293 à 484.
[39] D-41.
[40] Précité, note 13, p. 304-305.
[41] Id. , p. 319 et s.
[42] Id. , p. 344-345 et 347,
[43] Id. , p. 368.
[44] Id. , p. 390-391, 393-394, 396, 430, 432-434.
[45] Id. , p. 397-398.
[46] Id. , p. 458-463.
[47] P-1.
[48] Ces critères sont énoncés au par. 14 de la décision du Conseil de discipline. Ce sont:
a. l'existence de reproches graves et sérieux;
b. les actes reprochés portent atteinte à la raison d'être de la profession;
c. la protection du public risque d'être compromise;
d. la preuve «prima facie» que les actes reprochés ont été commis.
[49] Voir par, 34-35, 40-42, 47, 49-50, 53, 70, 73 et 74.
[50] D-5.
[51] P-58.
[52] P-12.
[53] P-13.
[54] P-39.
[55] P-14.
[56] D-7.
[57] P-15A.
[58] P-16.
[59] D-8.
[60] D-9.
[61] P-15.
[62] P-37.
[63] P-17.
[64] P-19.
[65] D-11.
[66]
[67] [1985] 2 R.C.S. 673 .
[68] P-60. Cette pièce comprend aussi les motifs du jugement du juge Bilodeau transcrits le 4 mai 2006.
[69] D-13.
[70] D-14.
[71] D-18.
[72] D-21.
[73] P-79.
[74] D-21.1.
[75] P-3.
[76] Id. , par. 54.
[77] P-40, D-45, P-21, P-22 et P-41.
[78] P-42.
[79] L'historique de cette audition apparaît à la décision du comité de discipline du 30 novembre 2007 (D-27).
[80] Id.
[81] D-29.
[82] D-28.
[83] D-30.
[84] D-31.
[85] D-34.
[86] D-35.
[87] D-37.
[88] D-39, par. 742 à 757.
[89] D-39.
[90] Me Michelle St-Onge sera ultérieurement remplacée par Me Pierre Bernard, syndic adjoint.
[91] P-67A.
[92] 2011 QCCS 3991 .
[93] 2012 QCCA 308 .
[94] P-69.
[95] P-75A.
[96] P-21.
[97] P-22.
[98] Contrairement à ce qu'indique la lettre, Me Champagne agissait comme secrétaire du comité de discipline en remplacement de Me Trudel qui était en congé maternité.
[99] P-42.
[100] P-23.
[101] P-24.
[102] P-25.
[103] P-26.
[104] Requête introductive d'instance amendée, par. 244.
[105] Précité, note 6.
[106]
Finney
c.
Barreau du Québec
,
[107]
Entreprises Sibeca inc.
c.
Frelighsburg
,
[108] L.R.Q., c. C-37.
[109] Id. , article 16.
[110]
[111] Id. , p. 739-740.
[112]
[113] REJB 1998-08443 (C.A.).
[114] EYB 2004-81756 (C.S.).
[115]
[116] Précité, note 108.
[117]
Dans
Société des alcools
, la Cour d'appel note que l'article
[118]
[119] 2000 CanLII 17120 (C.A.F.).
[120] Précité, note 106, par. 30.
[121] Précité, note 92, par. 58, 157 à 172.
[122] Précité, note 93, par. 18-19 et 23-24.
[123]
[124] L.R.Q., c. C-12.
[125]
Art.
[126]
Art.
[127] Précité, note 123.
[128]
Commission des affaires sociales
c.
Tremblay
,
[129] Précité, note 107.
[130] Par. 203.
[131] P-3, par. 56.
[132] D-21.2, précité, note 25.
[133] Ils sont repris par le comité dans sa décision du 2 novembre 2005, P-1.
[134] Précité, note 13, p. 313-314.
[135] Id. , p. 317-318. Ces personnes, identifiées par Me Bohémier après que le comité eût décidé de reporter à plus tard l'audition de la requête en arrêt des procédures, sont l'époux de Me Bohémier, Mme Turcotte, des clientes de Me Bohémier et d'autres personnes qui la soutiennent.
[136] Id. , p. 299.
[137] D-41, précité, note 39.
[138] D-21.2, p. 304-305; précité, note 40.
[139] Id. , 305 à 312.
[140] Id. , p. 312 à 315.
[141] P-58 : jugement du Tribunal des professions refusant la suspension de l'exécution de la décision du comité de discipline ordonnant la radiation provisoire de Me Bohémier.
[142] D-5, précité, note 50.
[143] P-58, précité, note 51.
[144] Id. , par. 45 et 48 à 57.
[145] P-12 et P-13, précité, notes 52 et 53.
[146] P-14, précité, note 55.
[147] P-15A, précité, note 57.
[148] P-15, précité, note 61.
[149] P-17, précité, note 63.
[150] P-19, précité, note 64.
[151] D-11, précité, note 65.
[152] L.R.Q., c. B-1.
[153] P-23, précité, note 100.
[154] P-22, précité, note 97.
[155] P-25, précité, note 102.
[156] P-83A.
[157] P-40.
[158] Id .
[159] Précité, note 92, par. 227.
[160] Précité, note 93, par. 32.