9119-1452 Québec inc. c. Maltais

2012 QCCS 4236

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

CHICOUTIMI

 

 

 

N° :

160-17-000021-127

 

 

 

DATE :

10 septembre 2012

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MARTIN DALLAIRE, J.C.S.

 

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9119-1452 QUÉBEC INC.

195, avenue du Pont Nord, Alma (Québec) G8B 5C4

 

Demanderesse

c.

DOMINIQUE MALTAIS

[…], Alma (Québec) […]

et

DOMINIC MALTAIS faisant affaire sous le nom d'emprunt d' ULTIME TÉLÉGUIDÉ

423, rue Collard, Alma (Québec) G8B 1N1

 

Défendeurs

 

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JUGEMENT

Sur une demande d'ordonnance d'injonction interlocutoire

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[1]            La demanderesse exploite un commerce de vente au détail dont notamment d'appareils téléguidés et bénéficie des services du défendeur du 5 octobre 2011 au 20 avril 2012, à titre de salarié de ce département. On l'affecte à la vente, à la représentation et au support technique.

[2]            Il s'avère que peu de temps avant son départ, contrairement à son devoir de bonne foi, il aurait sollicité des clients pour une entreprise qu'il se propose de démarrer avec son frère.

[3]            Ce faisant, il aurait tenu des propos médisants et diffamatoires devant les clients à l'encontre des représentants de la demanderesse.

[4]            Suite à son départ, celui-ci, copropriétaire avec son frère, opère un commerce concurrent, soit « Ultime Téléguidé » .

[5]            La demanderesse prétextant à des propos médisants et de nature diffamatoire, et s'appuyant sur l'obligation de loyauté de son ex-employé requiert, par voie d'injonction interlocutoire, des ordonnances à l'encontre du défendeur visant notamment à l'empêcher de solliciter toute clientèle, de remettre la liste de clients, liste de prix et autres, et de cesser de tenir des propos médisants, assorties d'une condamnation en dommages et intérêts.

[6]            L'injonction interlocutoire est déposée le 31 mai 2012 et fait l'objet d'un amendement le 9 juillet 2012 pour se voir discuter le 23 août.

[7]            Il est par ailleurs établi que :

Ø   le défendeur n'a aucun contrat de travail;

Ø   il est un salarié sans pourcentage de commission sur les ventes;

Ø   peu de temps avant son départ, devant témoins, il a prononcé des propos médisants;

Ø   la demanderesse ne possède pas de contrat de distribution exclusif pour les appareils téléguidés;

Ø   elle s'adresse au public en général sans avoir nécessairement une liste de clients privilégiés et/ou une liste de prix confidentiel.

PRÉTENTION DES PARTIES

POUR LA DEMANDERESSE

[8]            Celle-ci soutient qu'en raison d'attitudes, de propos et de sollicitations survenus en cours d'emploi, que cette contamination survit et qu'elle peut contraindre l'ex-employé qui lui fait concurrence de ne pas solliciter la clientèle et de ne pas reprendre des propos médisants.

[9]            Subsidiairement, elle soutient que son obligation de bonne foi survit malgré le court laps de temps de travail, et que cette sollicitation générale se veut le seul recours approprié dans les circonstances, puisque la perte d'achalandage et de clientèle n'est pas de nature à être compensée.

POUR LE DÉFENDEUR

[10]         Celui-ci, sans débattre de la nature de ses relations et des propos médisants, atteste que les ordonnances demandées sont irréalistes et impossibles à accorder puisque l'injonction doit s'apprécier à la date de sa présentation, soit au mois d'août.

[11]         L'ordonnance de ne pas solliciter la clientèle ne peut survivre dans un délai de tout près de quatre mois après son départ pour une période où lui-même n'a été à l'emploi que six mois. De plus, le degré d'importance qu'on lui attribue apparaît comme démesuré.

[12]         De surcroît, cette procédure vise manifestement à établir un déséquilibre dans le rapport de force des parties. Enfin, il n'y a aucune preuve de nature à étayer de façon spécifique qu'il y a eu des propos médisants après son départ puisque certains faits qui sont allégués ressortent de la bonne pratique commerciale.

ANALYSE ET DÉCISION

[13]         Le tribunal rappelle que l'ordonnance d'une injonction interlocutoire est soumise à des nombreux critères dont la demanderesse a le fardeau de la preuve.

[14]         Rappelons que les énoncés du juge Owen [1] dans l'affaire Société de développement de la Baie James c. Kanatewat sont toujours d'actualité :

« Si le requérant possède un droit clair à l'émission d'une injonction, l'injonction doit être émise, s'il existe une situation de nature à rendre le jugement final inefficace, aux termes de l'alinéa 2 de l'article 752 C.p.c.

Par contre, si les droits du requérant apparaissent douteux , la Cour devra alors considérer la balance des inconvénients afin de décider de l'émission de l'injonction.

Si les droits du requérant sont inexistants, l'injonction devrait être refusée 175 . »

[soulignements ajoutés]

[15]         Il est évident que le tribunal doit se garder d'apprécier d'ores et déjà les éléments relevant d'une analyse du fond.

[16]         Ainsi, sommes-nous en présence d'un droit clair? Le tribunal ne le croit pas. Certes, le défendeur a travaillé chez la demanderesse, mais pour un court laps de temps, et ce, dans des conditions d'un salarié normal, sans être considéré comme l'homme clé de l'entreprise.


[17]         Rappelons à cet effet que son travail s'adresse à la clientèle générale, bien que dans un créneau d'exploitation spécifique, soit les engins téléguidés. Il possède déjà une formation sans avoir été spécifiquement développé par son employeur. Il n'accède pas à une liste spécifique de clients, puisque le commerce s'adresse à un public friand de cette activité. Il n'accède pas à une liste de prix, ne possède pas un contrat de distribution exclusif pour un fabricant donné, et enfin, il ne possède pas un contrat individuel de travail.

[18]         Il est un salarié sur une base horaire sans autre considération économique de nature à faire en sorte que son travail doit être considéré comme hautement prioritaire et d'un enjeu crucial pour l'exploitation de l'entreprise, malgré ce que veut bien prétendre la demanderesse.

[19]         D'autre part, son court laps de temps auprès de l'entreprise de la demanderesse incite le tribunal à considérer que la survie de l'obligation de loyauté doit être appréciée avec réserve. La juge Julie Dutil, alors à la Cour supérieure, souligne que [2] :

« [41] Dans la présente affaire, il faut noter qu'aucun des défendeurs n'était lié à Métrivis par une clause de non-concurrence. En l'absence d'une telle clause, l'obligation de loyauté postérieure au contrat d'emploi ne saurait avoir une portée et une durée plus grandes qu'une clause de non-concurrence. L'obligation de loyauté, prévue à l'article 2088 C.c.Q., survit toutefois pendant un temps raisonnable après la cessation du contrat ».

[soulignement ajouté]

[20]         Son travail est pour un court laps de temps pour la demanderesse, soit six mois. Plus de quatre mois plus tard, on cherche à contraindre le défendeur à cesser d'exploiter une entreprise similaire dans son milieu. Pour le tribunal, il s'agit d'un droit qui est fortement discutable pour ne pas dire disproportionné puisque non raisonnable.

[21]         D'ailleurs, la Cour d'appel, dans une décision toute récente du 9 juillet 2012 [3] traite de l'appréciation du temps dans la survie de l'obligation de loyauté :

« [10] Tout compte fait, le juge de première instance note que Dion et Dumont sont des exécutants qui ne possèdent pas d'informations confidentielles appartenant à Concept et qui ignore tout de sa structure de prix, mais qui connaissent les entrepreneurs en construction de la région susceptibles d'utiliser leurs services.

[11] Prenant en compte la nature des fonctions exercées par Dion et Dumont sont chez Concept ainsi que les circonstances factuelles de la mise sur pied de leur société, alors qu'ils ne sont liés par aucune clause de non-concurrence et de non-sollicitation, le juge de première instance conclut qu'il y a lieu de prononcer une ordonnance d'injonction, mais pour une période de trois mois seulement étant d'avis que cette période est suffisante pour assurer la protection des intérêts légitimes de Concept. Il écrit :

[44] En l'absence de clause de non-concurrence, un ex-salarié peut concurrencer son ex-employeur, même vigoureusement. L'obligation de loyauté existe pendant l'emploi. Après la fin de celui-ci, elle ne subsiste que dans une forme atténuée et pour un délai raisonnable, dont la durée dépend des circonstances de chaque espèce mais "qui dépasse rarement quelques mois

(…)

[47] Le Tribunal considère par contre que les défendeurs ont violé leur obligation de loyauté en contactant Odyssées et en mettant sur pied leur entreprise pendant la durée de leur emploi chez Concept. L'effet combiné d'annoncer à l'avance la création de leur entreprise à Odyssées, de faire préalablement tous les préparatifs pour son démarrage et de réduire les effectifs de leur ex-employeur par leur démission-surprise a eu pour conséquence de procureur aux défendeurs un avantage déloyal pendant une durée de temps limitée après leur départ ».

[22]         Ainsi, si un employé après sept ans et trois ans de service se voit restreindre pour une période de quatre mois, un employé de six mois doit voir sa période appréciée de façon relativement proportionnelle, c'est à dire peu.

[23]         Pour toutes ces raisons, nous ne sommes pas en présence d'un droit clair.

[24]         À partir du moment où le droit n'est pas clair et paraît comme douteux, le tribunal doit considérer la balance des inconvénients pour démontrer si le préjudice est sérieux et irréparable et que l'état de fait et de droit est de nature à rendre le jugement final inefficace.

LES PROPOS MÉDISANTS

[25]         Le tribunal rappelle que les malheureux propos qui auraient pu être prononcés l'ont été en cours d'emploi, et les manœuvres de sollicitation à l'intérieur de son travail apparaissent comme étant un procédé douteux qui frôle la mauvaise foi.

[26]         Or, ce qui s'est produit à cette époque ne se corrige pas par l'injonction. L'injonction ne peut corriger une situation déjà produite. Il s'agit plutôt là de la manifestation des éléments qui sont consacrés par la réclamation de nature monétaire.

[27]         Le juge du fond sera en mesure d'apprécier les circonstances, mais cet aspect est bien campé dans l'espace-temps de ce dossier.

[28]         De même, on requiert l'injonction pour l'aspect du préjudice sérieux et irréparable d'intervenir pour que cessent les propos médisants survenus après les événements.


[29]         Au soutien de ceux-ci, on réfère le tribunal à l'affidavit de Keven Harvey qui fait référence à des éléments qui sont plus ou moins bien ciblés et qui apparaissent comme étant une attestation générale. Or, les quelques propos étayés relèvent de pratiques commerciales reprochées par les clients. Il n'y a pas dans la preuve d'événements suffisamment précis pour corriger cet aspect.

[30]         De surcroît, selon l'affidavit de Sylvain Maltais du 6 juillet 2012, si de tels propos furent spécifiquement prononcés, il le furent par un tiers au litige, soit Mikaël Maltais.

CESSATION DE SOLLICITATION

[31]         On requiert une ordonnance à cesser de solliciter la clientèle. Or, elle vise tout le public. L'injonction doit faire cesser ce tort irréparable et les dommages qui l'accompagnent. Le tribunal ne l'impose pas. En terme pragmatique, on vise à empêcher le défendeur d'exploiter son commerce. C'est une exigence démesurée.

[32]         D'abord, compte tenu du laps de temps, le tribunal ne peut que constater que le défendeur est en droit de continuer d'opérer et de faire concurrence à la demanderesse. Encore faut-il qu'il le fasse de façon juste et adéquate. Le juge Denis Jacques rappelle à juste titre que [4] :

« [36] La jurisprudence et la doctrine ont réitéré à maintes reprises le droit des citoyens à la libre entreprise et à la libre concurrence ».

REMISE DE LISTES DIVERSES

[33]         Quant à l'ordonnance de remettre la liste de clients, liste de prix et autres documents, le défendeur aurait entre les mains les documents revendiqués. Or, selon la preuve, de tels documents n'existent pas. Ils ne peuvent donc pas faire l'objet d'une semblable ordonnance.

[34]         Le tribunal ne peut, à cette étape-ci, consacrer les ordonnances revendiquées.

[35]         POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[36]         REJETTE la requête en injonction interlocutoire;

[37]         LE TOUT , avec dépens.

 

 

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MARTIN DALLAIRE

Juge à la Cour supérieure

 


 

M e Josée Ouellet

Procureure de la demanderesse

M es Maltais Gendron

 

M e Patrice Gobeil

Procureur des défendeurs

M es Simard Boivin Lemieux

 

Date d’audience :

23 août 2012

 



[1]     Société de développement de la Baie James c. Chef Robert Kanatewat , 1975 (C.A.) 166.

[2]     REJB 2000-20701, paragr. 41.

[3]     9129-3845 Québec inc. c. Dion , EYB 2012- 208891.

[4]     EYB 2005-82614, paragr. 36.