9182-9119 Québec inc. et CPQMC international |
2012 QCCLP 5797 |
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[1] Le 19 septembre 2011, 9182-9119 Québec inc. (la requérante), sous la plume de son président monsieur Jonathan Forget, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 26 août 2011, à la suite d’une révision administrative.
[2] Dans le cadre de cette décision, la CSST confirme certaines ordonnances contenues au rapport d’intervention portant le numéro RAP0685425, en date du 9 juin 2011, où la CSST rend une ordonnance à l’effet de suspendre les travaux d’installation de filets sur les échafaudages, confirme l’ordonnance à l’effet de suspendre les travaux sur les échafaudages et confirme une dérogation voulant que la requérante ne s’assure pas que son programme de prévention soit mis en application sur le chantier, notamment pour respecter les distances d’approche des lignes électriques et des chutes en hauteur.
[3] Une audience s’est tenue à Montréal le 22 août 2012. La requérante y avait délégué son président et était représentée par procureure. D’emblée, la Commission des lésions professionnelles a fait remarquer, à la requérante, que la requête ne respectait pas le délai légal en semblable matière et qu’elle entendait entendre l’ensemble de la preuve et prendre cette question sous réserve.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La requérante demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’elle a fait la démonstration d’un motif raisonnable pour être relevée de son défaut de loger sa requête à l’intérieur du délai légal. Elle demande également de déclarer qu’il n’existait pas de danger sur le chantier de construction le 8 juin 2011 justifiant les ordonnances de fermeture de suspension des travaux ou l’émission d’un avis de correction.
LES FAITS
[5] Monsieur Johathan Forget témoigne à l’audience. Il est le président de la requérante et, à ce titre, participe activement aux activités courantes de l’entreprise.
[6] Il précise que la requérante est membre d’une mutuelle de prévention et que le gestionnaire de cette dernière a élaboré un plan de prévention où il a spécifiquement répertorié les risques associés au travail près des lignes électriques et ceux impliquant les échafaudages. Le témoin précise qu’il tient des réunions mensuelles avec ses travailleurs pour discuter du contenu du programme de prévention et des risques présents sur les chantiers de construction. De plus, il assure une supervision personnelle des travaux lorsqu’un chantier présente des caractéristiques particulières. Une copie du programme de prévention est en permanence dans chacun des véhicules de l’entreprise et les travailleurs en ont tous pris connaissance et l’ont signée.
[7] La requérante est une entreprise de maçonnerie qui se spécialise dans la réfection de murs. Un de ses clients lui a donné mandat d’effectuer la réfection d’un mur qui présentait une voussure. Étant donné que l’immeuble où devaient se faire les travaux était situé à proximité d’une ligne électrique, monsieur Forget s’est personnellement déplacé le 8 juin 2011 pour superviser le début des travaux.
[8] Pour réaliser les travaux, deux séries d’échafauds étaient nécessaires. La première était au sol et s’élevait jusqu’à la zone de travail; la seconde avait comme assise un balcon qui ceinture l’immeuble et s’élevait à une hauteur maximale de huit pieds.
[9] Le 8 juin 2011, la requérante en était à sa première journée d’exécution du contrat. Monsieur Forget s’est donc assuré avec un de ses contremaîtres de la distance qui existerait entre les lignes électriques et les échafauds qu’il entendait ériger. Constatant que cette distance respectait les normes prévues à son plan de prévention de même qu’aux règles du code de sécurité pour les travaux de construction [1] , il a permis à ses employés de procéder à l’érection des échafaudages.
[10] Monsieur Forget a vérifié la solidité de la cheminée à partir de laquelle il a fixé la ligne de vie servant à arrimer les harnais de sécurité. Il a donné instruction aux travailleurs de porter les harnais pour procéder à l’assemblage des échafauds et demandé à ce qu’on l’avise si l’on devait changer quoi que ce soit à la méthode de travail. Il a alors quitté le chantier.
[11] Monsieur Forget précise qu’en raison de la nature des travaux qui devaient être exécutés, aucune machinerie ou outils autres que des marteaux, des pioches et truelles ne devait être utilisé sur les échafauds. En effet, le travail consistait uniquement à retirer la brique, la nettoyer et la réinstaller à la structure. Le mélange du mortier se faisait au sol.
[12] L’inspecteur de la CSST se présente sur le chantier le 8 juin 2011 à 13 h 45.
[13] Lorsque l’inspecteur de la CSST s’est présenté sur le chantier de construction, l’érection de l’échafaudage, qui avait son assise sur le sol, était complétée. On y avait également fixé au niveau de l’aire de travail un filet de protection visant à empêcher que les débris soient expulsés vers le sol. Ce filet est fixé aux entrecroisements et montants de l’échafaud et permet d’empêcher les chutes. Il ne demeure qu’une seule ouverture qui vise à permettre aux travailleurs l’accès à l’aire de travail. Selon monsieur Forget, ce filet est suffisamment résistant pour empêcher un travailleur de tomber puisqu’il est fabriqué de mailles de nylon résistantes et très serrées. Le second échafaud qui prend assise sur le balcon était assemblé et un travailleur procédait à l’installation d’un filet de sécurité.
[14] L’inspecteur inscrit à son rapport d’intervention, lors de sa visite au chantier, le 8 juin 2011 :
Lorsque j’arrive sur les lieux, je vois deux travailleurs qui sont sur le plancher d’un échafaudage à une hauteur d’environ 18 pieds. J’en vois un qui descend ou monte du matériel avec une corde sur le côté. Il y a seulement une barre de métal d’environ deux pieds de hauteur qui peut l’empêcher de faire une chute. L’autre est sur le plancher et il y a seulement les entretoises et un filet. Les deux ne portent pas de harnais de sécurité.
[15] Monsieur Forget témoigne à l’effet que l’un des deux travailleurs était à procéder à l’installation du filet de sécurité sur l’échafaud situé sur le balcon alors que le second descendait de l’échafaud qui est situé au sol. Ils avaient quitté l’aire de travail.
[16] Les photographies prises par l’inspecteur au moment de sa visite démontrent qu’effectivement deux travailleurs se tiennent sur un échafaud, lequel est enveloppé par un filet de sécurité et que l’un des deux travailleurs se tient devant l’ouverture pratiquée dans le filet pour permettre l’accès à la plateforme.
[17] À son arrivée, l’inspecteur s’est interrogé sur la distance existant entre les échafaudages et la ligne électrique.
[18] L’inspecteur rend immédiatement deux ordonnances à 13 h 45. La première est à l’effet de suspendre les travaux d’installation de filets sur les échafaudages et la seconde ordonnance est à l’effet de suspendre les travaux sur les échafaudages. Le motif de la première est le risque de chute d’environ 18 pieds et celui de la seconde est le danger qu’un élément d’échafaudage s’approche à moins de 10 pieds des lignes électriques sous tension et électrocution de travailleurs.
[19] Il émet également une dérogation voulant que l’employeur ne s’assure pas que son programme de prévention soit mis en application sur le chantier, notamment pour respecter les distances d’approche des lignes électriques et des chutes en hauteur.
[20] Les travailleurs ayant fait la démonstration à l’inspecteur qu’ils disposaient de harnais de sécurité sur place, ce dernier autorise la reprise des travaux de pose des filets de sécurité à 14 h 30 en autant que les travailleurs portent leur harnais. Il maintient toutefois l’interdiction de reprise des travaux dans les échafauds en raison de la présence de lignes électriques.
[21] Étant insatisfait des réponses obtenues par les travailleurs quant au fait qu’il existait une distance d’au moins 11 pieds entre chacun des échafaudages et la ligne électrique, l’inspecteur a intercepté un camion d’Hydro-Québec qui circulait par hasard dans le voisinage et a fait procéder au mesurage par un monteur de ligne.
[22] Ainsi, au rapport d’intervention complété par l’inspecteur de la CSST, on apprend que monsieur Glen Ross, chef monteur chez Hydro-Québec, a procédé à la mesure. Selon ses mesures, le premier échafaud se situe à une distance de 11 pieds de la ligne électrique alors que le second se situe à 12 pieds.
[23] Malgré le fait que la mesure effectuée par un monteur de ligne d’Hydro Québec confirme que les échafauds se situent à une distance de plus de 10 pieds de la ligne électrique, l’inspecteur de la CSST ne lève pas son ordonnance de suspension des travaux sur les échafaudages.
[24] Monsieur Forget s’est présenté sur le chantier quelques minutes après cette prise de mesures. Il a rapporté à l’inspecteur les démarches qu’il avait entreprises le matin même avant le début de l’érection des échafaudages.
[25] Le lendemain, soit le 9 juin 2011, l’inspecteur communique avec Hydro-Québec qui confirme que les fils électriques sont à plus de 10 pieds des échafaudages et qu’aucune intervention d’Hydro-Québec n’est nécessaire pour protéger la santé et la sécurité du travailleur. L’inspecteur lève alors l’interdiction de travail dans les échafauds qu’il motivait par les dangers associés à la présence de la ligne électrique.
[26] Le 26 août 2011, la CSST, suite à la contestation par la requérante du rapport d’intervention, rend une décision à la suite d’une révision administrative où elle confirme les ordonnances d’arrêt des travaux et la dérogation émise par l’inspecteur.
[27] Monsieur Forget témoigne à l’effet qu’il a reçu la décision plusieurs jours plus tard. Lorsqu’il l’a reçue, il a communiqué avec la réviseure pour lui demander certaines informations quant au contenu de sa décision. Cette dernière l’aurait alors informé qu’elle allait revoir le dossier et le rappeler pour répondre à ses interrogations. Quelques jours plus tard, elle a rappelé monsieur Forget et l’a informé que sa décision demeurait inchangée et qu’il pouvait contester le tout devant la Commission des lésions professionnelles. Monsieur Forget mentionne avoir complété sa requête le jour même par internet.
L’AVIS DES MEMBRES
[28] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la requérante n’a pas présenté sa requête dans le délai légal et qu’il n’a pas fait la démonstration d’un motif raisonnable pour être relevé de son défaut.
[29] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de relever l’employeur du défaut d’avoir présenté sa requête à l’intérieur du délai légal. En effet, ce dernier a fait la preuve d’une conduite prudente et diligente en communiquant avec la réviseure au dossier pour lui faire part de son incompréhension face à la décision. Dès qu’il a su que la décision demeurerait inchangée, il a logé sa requête devant la Commission des lésions professionnelles.
[30] Sur le fond, le membre issu des associations d’employeurs est d’avis d’accueillir la requête de l’employeur.
[31] Les échafauds se situaient à l’intérieur de la limite reconnue par la réglementation pour procéder aux travaux. Il ne pouvait donc y avoir de danger immédiat. Quant au risque de chute, un des travailleurs était à descendre de l’échafaud alors que l’autre était dans une section protégée par un filet de protection. Il n’y avait pas lieu, pour ces derniers, de porter un harnais à ces endroits. Finalement, quant à la dérogation, l’employeur a fait la démonstration qu’il avait respecté son plan de prévention et pris toutes les mesures appropriées pour assurer la santé et la sécurité de ses travailleurs.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[32] Conformément aux dispositions de l’article 193 de la Loi et la santé et la sécurité du travail [2] (la LSST) , la requérante disposait d’un délai de 10 jours pour intenter son recours devant la Commission des lésions professionnelles.
[33] Cet article se lit comme suit :
193. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 191.1 peut, dans les 10 jours de sa notification, la contester devant la Commission des lésions professionnelles.
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1979, c. 63, a. 193; 1985, c. 6, a. 545; 1992, c. 11, a. 76; 1997, c. 27, a. 46.
[34] Dans le présent dossier, la décision de la CSST a été rendue le vendredi 26 août 2011. La requérante a intenté son recours devant la Commission des lésions professionnelles le 19 septembre 2011. Il s’est donc écoulé plus de dix jours entre la date de réception de la décision et l’avis d’appel. L’employeur est donc hors délai.
[35]
Conformément aux dispositions de l’article
429.19. La Commission des lésions professionnelles peut prolonger un délai ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que celle-ci n'a pu respecter le délai prescrit pour un motif raisonnable et si, à son avis, aucune autre partie n'en subit de préjudice grave.
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1997, c. 27, a. 24.
[36] Dans le présent dossier, la requérante a fait la démonstration d’un motif raisonnable. En effet, dès la réception de la décision en révision de l’ordonnance émise par l’inspecteur, il a communiqué avec la réviseure pour discuter du contenu de la décision et pour s’enquérir de certaines questions qu’il entretenait à son sujet.
[37] Selon la preuve administrée, ce n’est qu’après avoir discuté à une deuxième reprise avec la réviseure qu’il a appris que la décision ne changerait pas et qu’il devait la contester devant la Commission des lésions professionnelles.
[38] Aux yeux du soussigné, l’employeur a fait preuve d’une conduite prudente et diligente en s’adressant directement à la réviseure à l’intérieur du délai prévu pour procéder à la contestation de cette décision. La preuve ne démontre pas qu’une autre partie subirait un préjudice si la requérante était relevée de son défaut.
[39] La Commission des lésions professionnelles le relève donc de son défaut et traitera au fond du litige.
[40]
L’inspecteur a ordonné une suspension des travaux sur les échafauds en
raison de la présence de lignes électriques et des risques de chutes en
hauteur. Le pouvoir de l’inspecteur pour procéder de la sorte est prévu à
l’article
186. Un inspecteur peut ordonner la suspension des travaux ou la fermeture, en tout ou en partie, d'un lieu de travail et, s'il y a lieu, apposer les scellés lorsqu'il juge qu'il y a danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique des travailleurs.
Il doit alors motiver sa décision par écrit dans les plus brefs délais et indiquer les mesures à prendre pour éliminer le danger.
L'article 183 s'applique, compte tenu des adaptations nécessaires, à cet ordre de l'inspecteur.
1979, c. 63, a. 186.
[41] Il est de jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles [4] que la première condition permettant à un inspecteur de la CSST d’ordonner suspension des travaux est l’existence d’un danger. Ce danger doit être réel et non une simple appréhension. Dans l’affaire Centre Hospitalier de St. Mary et Iracani [5] , une formation de trois juges administratifs précisait ce qui constitue un danger :
[92] La Commission des lésions professionnelles conclut que
pour constituer un « danger », les risques doivent être réels. Un
risque virtuel, une crainte ou une inquiétude n’est pas suffisant pour conclure
à un « danger ». La preuve doit démontrer que le risque est réel, que
malgré tous les efforts faits pour le contrôler ou l’éliminer, il demeure
présent et peut entraîner des conséquences néfastes pour la travailleuse
enceinte ou pour l’enfant à naître. Enfin, pour qu’il constitue un
« danger physique » au sens de l’article
[93] Chaque cas est un cas d’espèce et doit faire l’objet d’une évaluation. La nature des risques, la probabilité de concrétisation des risques identifiés dans le milieu de travail et la gravité des conséquences sont les éléments déterminants pour décider si les conditions de travail comportent des « dangers physiques » pour la travailleuse enceinte ou pour l’enfant à naître.
[42]
L’ordonnance de suspension des travaux rendue en vertu des dispositions
de l’article
[55] Examinons maintenant comment la jurisprudence interprète cette disposition législative permettant à un inspecteur d’émettre une ordonnance de suspension des travaux.
[56] Dans l’affaire Arno Électrique et CSST (5) , la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) énonce qu’à cause des conséquences que son application entraîne sur l’exécution des travaux, le législateur a imposé des conditions beaucoup plus exigeantes pour l’application de l’article 186. L’inspecteur doit s’assurer qu’il est en présence d’un danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique des travailleurs et ce jugement doit apparaître dans le rapport d’intervention.
[57] Le tribunal ajoute qu’il y a une différence entre «risque» et «danger» et le législateur à l’article 2 et à l’article 186 de la loi a choisi d’utiliser le mot «danger». La preuve n’ayant pas démontré qu’il y avait un danger pour la santé et la sécurité des travailleurs, la Commission d’appel décide que l’inspecteur ne pouvait émettre une ordonnance selon l’article 186 en l’absence d’une preuve de «danger» mais elle a émis une ordonnance enjoignant à l’employeur d’utiliser un équipement conforme aux règlements en vigueur.
[58] Dans l’affaire Tuyaux Logard inc. et CSST et Montpas et Goulet (6) , la Commission d’appel décide de maintenir l’ordonnance émise par l’inspecteur de suspendre les travaux en raison de la présence d’un danger potentiel qui résulte de l’utilisation d’un produit qui contient une matière interdite par le Règlement sur la qualité du milieu de travail .
[59] Dans l’affaire Rôtisseries St-Hubert ltée et T.U.A.C., local 500 (7) , la Commission d’appel déclare qu’à moins de constater un danger qu’il juge imminent, grave et complètement intolérable, l’inspecteur doit suivre une démarche progressive allant de l’incitation à la coercition pour obtenir la correction des situations jugées problématiques . La Commission d’appel a alors substitué l’ordonnance de non-utilisation et apposition de scellés par un avis de correction approprié.
[60] Dans l’affaire Revêtement Métal Bussières ltée et CSST (8) , la Commission d’appel énonce que l’ordonnance de suspension de travaux est une mesure d’exception qui ne doit être utilisée que lorsque le danger est réel et immédiat. Le tribunal souligne l’importance de faire la distinction entre l’existence d’un danger et les risques pouvant entraîner la survenance de ce danger . Dans ce cas, lors de l’intervention de l’inspecteur, le danger n’était pas présent puisque les travaux étaient arrêtés. L’inspecteur ne pouvait, dans ces circonstances, ordonner l’arrêt des travaux. Par ailleurs, l’inspecteur était justifié d’émettre un avis de correction approprié.
[61] Il y a donc lieu de conclure de l’analyse de la doctrine de la jurisprudence que l’inspecteur doit être en présence d’une situation de faits assez grave, d’un danger sérieux pour émettre une ordonnance de suspension des travaux ou fermeture de chantier . C’est l’évaluation de la gravité du danger et des risques associés à ce danger qui va déterminer si l’ordonnance de l’inspecteur est justifiée. »
(Références omises)
[43]
Si pour certains le danger doit être réel, grave et complètement
intolérable pour d’autres
[7]
, il n’a pas besoin d’être
ainsi qualifié pour donner ouverture au pouvoir de l’inspecteur d’émettre une
ordonnance en vertu de l’article
[44]
Par ailleurs, ce pouvoir d’émettre une ordonnance en vertu de l’article
[30] Comme il a été mentionné à plusieurs reprises par la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la CALP) et la Commission des lésions professionnelles, le pouvoir de suspendre les travaux ou d’ordonner la
fermeture d’un lieu de travail est un
pouvoir d’exception qui doit s’exercer en présence d’un danger réel pour
l’intégrité des travailleurs
5
.
(Références omises)
[45] Ce pouvoir devra être exercé avec discernement par l’inspecteur lorsqu’aucune autre mesure ne permet d’éliminer ce danger [10] . La Commission des lésions professionnelles écrivait d’ailleurs dans l’affaire Maplehurst Bakeries (Canada) inc . [11] :
[58] Troisièmement, le tribunal considère que l’application de cet article est une mesure exceptionnelle qui doit aussi s’appliquer à des situations exceptionnelles. Dans le présent dossier, le tribunal considère que les scellés apposés aux six machines en excluant celle responsable de l’accident du travail du 10 mai 2007, n’étaient pas justifiés en regard de la notion de danger établie par la jurisprudence. En effet, l’inspecteur devait apprécier le danger réel, notamment en prenant en considération le fait qu’il ne s’était pas produit d’accident à ces endroits et ce, durant une période de quatre ans et demi.
[59] Il est évident qu’il y avait un risque de contact et
d’enroulement d’un membre d’un travailleur à ces endroits. Par contre, ce
risque ne constituait pas un danger réel au sens de la loi et, en conséquence,
ne devait pas constituer un élément pouvant permettre l’application de l’article
[60] La LSST prévoit d’autres moyens aussi efficaces pour éliminer à la source un risque tel qu’identifié par l’inspecteur, notamment l’avis de correction prévu à l’article 182 qui prévoit d’ailleurs qu’un délai doit être imposé pour corriger à la source le danger identifié. Ce délai est fixé par l’inspecteur et peut être très coercitif lorsque très court.
[46]
Ces autres mesures, telle la possibilité d‘émettre un avis de
correction, permettront de répondre à des situations moins urgentes ou de
moindre gravité. À cet effet, l’article
182. L'inspecteur peut, s'il l'estime opportun, émettre un avis de correction enjoignant une personne de se conformer à la présente loi ou aux règlements et fixer un délai pour y parvenir.
__________
1979, c. 63, a. 182.
[47] Dans l’affaire Nova Pb inc . et Syndicat des employés de Nova Pb in c. [12] , il y a deux décisions. Le tribunal écrivait :
[156] Le tribunal note que lorsqu’un inspecteur constate une dérogation à la loi ou aux règlements, il peut émettre un avis de correction et fixer un délai à l’intérieur duquel l'employeur devra apporter les corrections nécessaires. Plus la santé et la sécurité des travailleurs sont touchées, plus le délai imposé doit être court. Toutefois, si de l’avis de l’inspecteur, la dérogation constatée entraîne des dangers qui ne peuvent être tolérés plus longtemps, il peut ordonner l’arrêt des travaux. Dans ce cas, il doit motiver sa décision et indiquer à l’employeur les mesures à prendre pour que ce danger soit éliminé.
[157] Il est vrai que le libellé de l'article 186 fait état d’un danger à la santé, la sécurité ou l’intégrité physiques des travailleurs, sans qualifier ce danger. Toutefois, la Commission des lésions professionnelles estime que les pouvoirs conférés à l’inspecteur par cette disposition de la loi doivent être utilisés avec discernement et, pour ce faire, que le danger appréhendé doit atteindre un degré tel qu’on ne peut le tolérer plus longtemps à cause des conséquences sur la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs.
[48] Une fois ces critères établis, existait-il un danger lors de l’arrivée de l’inspecteur sur le chantier le 8 juin 2011 à 13 h 45 ?
[49] Il y a lieu de se rappeler qu’au moment de la visite de l’inspecteur de la CSST, la structure des échafauds était complètement assemblée. Ces échafauds assemblés se situaient à une distance respective de 11 et 12 pieds de la ligne électrique. L’article 5.2.1 du Code de sécurité pour les travaux de construction [13] édicte :
5.2.1 L'employeur doit veiller à ce que personne n'effectue un travail pour lequel une pièce, une charge, un échafaudage, un élément de machinerie ou une personne risque de s'approcher d'une ligne électrique à moins de la distance d'approche minimale spécifiée au tableau suivant:
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Tension entre phases (volts) |
Distance d’approche minimale (mètres) |
Moins de 125 000 |
3 |
125 000 à 250 000 |
5 |
250 000 à 550 000 |
8 |
Plus de 550 000 |
12 |
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R.R.Q., 1981, c. S-2.1, r. 6, a. 5.2.1; D. 35-2001, a. 22.
[50] Compte tenu que les échafauds étaient complètement assemblés et qu’ils se situaient à une distance plus élevée que celle autorisée par la règlementation, il n’existait pas de danger que l’échafaudage ou qu’un élément de ce dernier s’approche à moins de trois mètres de la ligne électrique.
[51] Par ailleurs, monsieur Forget a témoigné à l’effet qu’aucun outil ou machinerie n’était utilisé dans le cadre de la réalisation du contrat à ce chantier de construction. Il n’existait pas non plus de danger qu’une charge, un élément de machinerie ou une personne risque de s’approcher à moins de trois mètres de la ligne électrique.
[52] Au surplus, Hydro-Québec a confirmé qu’il n’était pas nécessaire de procéder à un protocole quelconque eu égard à la configuration du chantier et à la distance des échafaudages pour assurer la sécurité des travailleurs.
[53] La suspension des travaux, en raison de la présence de la ligne électrique, était donc non justifiée.
[54]
L’inspecteur a également ordonné la suspension des travaux dans les
échafauds en raison de la présence de risque de chute puisque les travailleurs
ne portaient pas de harnais. L’article
2.9.1. Mesures de sécurité: Tout travailleur doit être protégé contre les chutes dans les cas suivants:
1° s'il est exposé à une chute de plus de 3 m de sa position de travail;
2° s'il risque de tomber:
a) dans un liquide ou une substance dangereuse;
b) sur une pièce en mouvement;
c) sur un équipement ou des matériaux présentant un danger;
d) d'une hauteur de 1,2 m ou plus lorsqu'il utilise une brouette ou un véhicule.
Dans de tels cas et sous réserve de l'article 2.9.2, une ou plusieurs des mesures suivantes doivent être prises par l'employeur pour assurer la sécurité du travailleur:
1° modifier la position de travail du travailleur de manière à ce que celui-ci exécute son travail à partir du sol ou d'une autre surface où il n'y a aucun risque de chute;
2° installer un garde-corps ou un système qui, en limitant les déplacements du travailleur, fait en sorte que celui-ci cesse d'être exposé à une chute;
3° utiliser un moyen ou un équipement de protection collectif, tel un filet de sécurité;
4° s'assurer que le travailleur porte, à l'occasion de son travail, un harnais de sécurité conforme à l'article 2.10.12.;
5° utiliser un autre moyen qui assure une sécurité équivalente au travailleur.
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R.R.Q., 1981, c. S-2.1, r. 6, a. 2.9.1; D. 329-94, a. 6; D. 35-2001, a. 5.
[55] Monsieur Forget a témoigné à l’effet que le filet de sécurité, qui était installé dans les aires de travail, empêchait le travailleur de faire une chute. Ce filet de sécurité était installé sur l’échafaud dont l’assise était au sol. Pour la Commission des lésions professionnelles, il s’agit ici d’un moyen de protection collectif visant à empêcher les chutes au sol.
[56] Quant à l’échafaud situé sur le balcon, le filet de sécurité n’était toujours pas installé. Selon le témoignage de monsieur Forget, si un travailleur devait faire une chute de cet échafaud, la hauteur maximale de cette chute était de huit pieds puisqu’il serait alors tombé sur le balcon. Le travailleur n’était donc pas exposé à une chute de plus de trois mètres.
[57] La Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion qu’il n’existait pas de danger de chute de plus de trois mètres de la position de travail. L’ordonnance de suspension des travaux n’était pas fondée.
[58] Finalement, l’inspecteur de la CSST a émis une dérogation mentionnant que la requérante ne s’assurait pas que son programme de prévention soit mis en application sur le chantier, notamment pour respecter les distances d’approche des lignes électriques et les chutes de hauteur.
[59] Tel qu’il a été précédemment démontré, la requérante a pris les précautions appropriées pour s’assurer de conserver les distances réglementaires des fils électriques. Dans un premier temps, monsieur Forget s’est rendu sur le chantier pour évaluer la configuration des lieux et la possibilité d’ériger l’échafaudage en respectant les distances d’approche. Il a, par la suite, donné instruction à ses travailleurs de procéder d’une façon qu’il avait déterminée. Selon la preuve recueillie, la requérante a respecté et mis en application son plan d’action en ce qui a trait à la présence de ligne électrique.
[60] Quant à la question des travaux en hauteur, la preuve administrée ne permet pas de conclure que les travailleurs n’ont pas porté leur harnais de sécurité lorsque la situation l’exigeait et que le programme de prévention n’a pas été respecté.
[61] Lors de l’intervention de l’inspecteur, un travailleur était protégé par un filet de protection et l’autre s’apprêtait à descendre de l’échafaudage. On ne peut, à partir de ces éléments, conclure que l’employeur n’a pas respecté son plan de prévention visant à éviter les chutes en hauteur. Le programme de prévention était dans le véhicule et les harnais disponibles sur les lieux. La dérogation est donc également non fondée.
[62] La requête de la requérante doit donc être accueillie.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée par la requérante 9182-9119 Québec inc.;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 26 août 2011, à la suite d’une révision administrative;
ANNULE l’ordonnance de suspension des travaux sur les échafauds en raison de la présence de fils électriques;
ANNULE l’ordonnance de suspension des travaux d’installation du filet sur les échafauds en raison des risques de chutes en hauteur;
ANNULE l’avis de dérogation à l’effet que l’employeur ne s’assure pas que son programme de prévention soit mis en application sur ce chantier, notamment pour respecter les distances d’approche des lignes électriques et des chutes de hauteur.
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Michel Larouche |
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M e Anne-Valérie Lamontagne |
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LEBLANC LAMONTAGNE ET ASSOCIÉS |
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Représentante de la partie requérante |
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[1] R.R.Q., c. S-2.1, r. 4.
[2] C.R.Q., c. S-2.1.
[3] L.R.Q., c. A-3.001.
[4]
T.G.C
. et
9123-7511
, C
.L.P.
[5]
[6] C.L.P. 207783-61-0305, 15 juillet 2003, M. Duranceau.
[7] Bistro Lala inc . et CSST , C.L.P. 422679-07-1010, 10 février 2011, M. Gagnon-Grégoire; Maplehurst Bakeries (Canada) inc. et Pâtisserie Fortin inc ., C.L.P. 321407-03B-0706, 30 novembre 2007, R. Deraîche.
[8]
Revêtement métal Bussières ltée
et
Commission de la santé et de la sécurité du travail,
[9]
C.L.P.
[10]
T
.
G.C.
inc
. et
9123-7511 Québec inc.
,
2012 QCCLP, 762;
Forage 3D inc.
et
Robin Potvin inc.,
[11] Déjà citée, note 7.
[12]
[13] Déjà citée, note 1.