COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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(Division des relations du travail) |
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Dossiers : |
AM-2001-3387, (AM-2001-2896) et (AM-2001-2897) |
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Cas : |
CM-2011-4454 et CM-2011-4456 |
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Référence : |
2012 QCCRT 0448 |
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Montréal, le |
24 septembre 2012 |
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DEVANT LE COMMISSAIRE : |
André Bussière, juge administratif |
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Syndicat des employées et employés professionnelles-les et de bureau, section locale 573, SEPB CTC-FTQ
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et |
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Syndicat des employées et employés professionnelles-les et de bureau, section locale 611 (SEPB)
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Requérants |
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c. |
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Commission de la construction du Québec
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Employeur |
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et |
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Ministère de la Justice du Québec |
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(Le Procureur général du Québec) |
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Intervenant |
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DÉCISION |
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[1]
La Commission est saisie de deux requêtes soumises en vertu de l’article
« Tous les salariés de la Commission de la construction du Québec autorisés à exercer les pouvoirs prévus par les articles 7, 7.1 et 7.3, par les paragraphes e et f du premier alinéa de l’article 81 et par l’article 81.0.1 de la Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction, L.R.Q., c. R-20. »
[2]
La section locale 573 est déjà accréditée pour représenter ce groupe de
salariés. Du 2 février 1972 au 31 août 2011, veille de la date d’entrée en
vigueur des articles 61 et
[3] Comme prévu à l’article 69 de la Loi 15, la section locale 573 est autorisée pour une période transitoire, c’est-à-dire jusqu’à l’accréditation d’une autre association de salariés ou au plus tard six mois après la date d’entrée en vigueur de cet article, à continuer de représenter le groupe de salariés visés par les présentes requêtes, « sauf en ce qui concerne la conclusion d’une convention collective ».
[4] Cet article 69 du projet de Loi 15 a donc pour effet de rendre recevable toute demande d’accréditation d’une association de salariés présentée à compter du 1 er septembre 2011 et jusqu’à l’accréditation d’une autre association de salariés, mais au plus tard six mois après le 1 er septembre. À l’échéance de ce délai de six mois, si aucune autre association n’a été accréditée entre-temps, l’accréditation de la section locale 573 est automatiquement révoquée et la convention collective en vigueur cesse de s’appliquer, tel que prévu à l’article 70 de la Loi 15.
[5]
Comme condition de recevabilité, une demande d’accréditation présentée à
compter du 1
er
septembre doit toutefois provenir d’une association
de salariés satisfaisant aux exigences du deuxième alinéa de l’article
L’association accréditée pour représenter les salariés visés par le premier alinéa ne peut être affiliée à une association représentative ou à une organisation à laquelle est affiliée une telle association, ni conclure une entente de service avec l’une d’elles.
Depuis le 2 décembre 2011, il se lit comme suit :
L’association accréditée pour représenter les salariés visés par le premier alinéa ne peut être affiliée à une association représentative ou à une organisation à laquelle une telle association ou tout autre groupement de salariés de la construction est affilié ou autrement lié, ni conclure une entente de service avec l’un d’eux.
[6] L’article 71 de la Loi 33 a quant à lui pour effet de modifier l’article 72 de la Loi 15 afin de permettre à la Commission, sur requête d’une partie intéressée et « si les circonstances le justifient », de « prolonger un délai prévu par l’article 69 ou 70 », à savoir de prolonger la période au cours de laquelle : 1) la section locale 573 est toujours autorisée à représenter les salariés visés; 2) la convention collective en vigueur continue de s’appliquer; 3) une demande d’accréditation peut être soumise, à moins qu’une autre association n’ait déjà été accréditée.
[7]
Par décision rendue le 19 janvier 2012,
[8] En règle générale, lorsque deux requêtes en accréditation sont présentées le même jour et que, comme en l’espèce, les deux associations requérantes sont majoritaires, la Commission ordonne la tenue d’un vote au scrutin secret parmi les salariés visés, afin de leur permettre de choisir laquelle de ces associations sera autorisée à les représenter. Dans le cas qui nous occupe cependant, la section locale 611 demande expressément que sa requête ne soit prise en considération qu’en cas de rejet de celle de la section locale 573. Comme on le verra, cela s’explique par le fait que la section locale 611 n’a été créée que pour « contourner les dispositions de la Loi 15 » ou « s’y conformer », c’est selon.
[9]
Il faut préciser que, dès le 6 juillet 2011, bien qu’elle ne s’estimait
alors pas visée par la modification au deuxième alinéa de l’article
[10]
Par jugement rendu le 25 août 2011,
[63] Les dispositions attaquées sont insérées dans une loi dont l’objet annoncé est le renfort des actions de prévention et de lutte contre la corruption en matière contractuelle dans le secteur public.
[64] La Loi concernant la lutte contre la corruption en effet fait elle-même suite à une série de mesures mises de l’avant par le Gouvernement pour lutter contre la corruption, dont l’escouade policière "Marteau", créée à l’automne 2009, et la mise sur pied de l’Unité permanente anti-corruption en février 2011.
[65] D’autres mesures visant à assainir le secteur public ont été prises, notamment l’adoption de codes d’éthique, la révision des règles de financement des partis politiques, le resserrement des mesures lors de l’octroi de contrats par des organismes publics, etc.
[66] Il apparaît aussi des propos du ministre de la Sécurité publique que l’adoption de cette loi s’inscrit dans un contexte d’allégations de corruption dans le domaine de la construction et dans le cadre de l’octroi de contrats publics.
[67] Cette loi, qui dénombre 74 articles et deux annexes, institue la charge de Commissaire à la lutte contre la corruption, lequel « a pour mission d’assurer, pour l’État, la coordination des actions de prévention et de lutte contre la corruption en matière contractuelle dans le secteur public. Il exerce les fonctions qui lui sont conférées par la présente loi, avec l’indépendance que celle-ci lui accorde. »
[68] Un poste de commissaire associé aux vérifications est aussi créé.
[69] La loi octroie au commissaire et au commissaire associé de vastes pouvoirs et responsabilités qui cadrent avec les objectifs visés par loi. En outre, le commissaire définit les devoirs et les responsabilités des membres de son personnel et dirige leur travail. Il désigne, parmi les membres de son personnel, des personnes pouvant agir comme enquêteurs qui agiront au sein d’une équipe spécialisée d’enquête sous son autorité. Certaines immunités sont octroyées au commissaire et aux membres de son personnel, au commissaire associé ainsi qu’aux membres des équipes de vérification et d’enquête.
[70] La loi établit de plus une procédure facilitant la dénonciation d’actes répréhensibles au sens de cette loi et met en place des mesures de protection contre les représailles, dont en outre l’assurance de l’anonymat de la personne qui aura effectué une dénonciation, sous peine d’amendes pouvant atteindre 500 000 $ en cas de récidive.
[71] Cette loi a par ailleurs une très large portée : Elle s’applique non seulement à tout organisme public ou du gouvernement, mais aussi à divers établissements d’enseignement de tous niveaux, commissions scolaires, centre de la petite enfance, établissements publics ou privés conventionnés visés par la Loi sur les services de santé et les services sociaux , municipalités, villes, MRC, etc.
[72] D’autres mesures sont aussi prévues à la loi, toujours en rapport avec les objectifs poursuivis par la loi.
[73] Par conséquent, non seulement cette loi est-elle présumée être dans l’intérêt public, rien ne laisse croire qu’il pourrait en être autrement.
[74] Il en va nécessairement de même des dispositions attaquées.
[75] Les demandeurs répliquent que malgré cette présomption, les dispositions attaquées visent erronément le personnel enquêteur. L’argument présenté veut que, puisque ceux-ci n’ont pas le pouvoir d’inspecter les travailleurs syndiqués mais uniquement les employeurs et les personnes ne détenant pas les qualifications requises, il n’existerait aucun risque qu’ils puissent être la cible de quelque pression ou intimidation que ce soit de la part de syndicats affiliés au monde de la construction ou de leurs membres.
[76] Ceci étant, soulèvent-ils, le sursis devrait être prononcé puisque le statut quo qui en résulterait ne risquerait aucunement de porter atteinte à l’intérêt public.
[77] Cet argument est mal fondé.
[78] La Loi concernant la lutte contre la corruption n’est qu’une des armes utilisées par le législateur afin de tenter de mettre fin à la corruption dans le secteur public et dans le secteur de la construction. Si la loi s’attaque à la corruption, elle s’attaque nécessairement à l’utilisation de moyens détournés et illégaux qu’utilisent les contrevenants afin d’arriver à leurs fins.
[79] Dans ce contexte, il est facile de s’imaginer des scénarios par lesquels une trop grande proximité entre un représentant syndical et un employeur pourrait amener l’employeur qui fraude ou qui autrement agit illégalement à requérir de ce représentant syndical qu’il intimide ou autrement induise l’enquêteur à se fermer les yeux, à aller enquêter ailleurs, etc. On peut penser, à titre d’exemples, à l’employeur qui paye sous la table certains travailleurs, ou encore à celui qui fait exécuter certains travaux par des travailleurs non qualifiés.
[80] Et on peut aussi aisément s’imaginer que l’inspecteur comprend l’importance de ne pas se mettre en brouille avec son représentant syndical.
[81] Il est par conséquent loin d’être évident que la loi ne vise pas la bonne cible en mettant en place un mécanisme qui veut rendre moins vulnérable certaines des personnes dont la fonction première est l’application de la loi, même si cette fonction n’est pas la recherche de la fraude elle-même.
(…)
[85] En l’espèce, même si le groupe visé peut à première vue sembler restreint puisque la nouvelle unité de négociation ne visera directement qu’environ 300 personnes, le Tribunal tient prioritairement en compte l’objectif plus vaste de cette loi, qui est la protection du public par la mise à l’abri du personnel enquêteur des influences indues de certains éléments corrompus du monde syndical de la construction.
(Les renvois ont été omis)
[11] Une conférence préparatoire est tenue le 7 octobre 2011. À cette occasion, les parties informent la Commission qu’elles ont plaidé le 30 septembre 2011, devant la Cour supérieure, une requête en irrecevabilité présentée par le Procureur général à l’encontre de la requête introductive d’instance en déclaration d’inconstitutionnalité et en nullité de la section locale 573 et des autres demandeurs.
[12]
Par jugement rendu le 2 novembre 2011,
[13] Le débat constitutionnel se transporte donc devant la Commission. Il nécessite la tenue de quinze jours d’audience, s’échelonnant du 8 novembre 2011 au 27 avril 2012. Lors d’une conférence de gestion tenue au terme de la première journée d’audience, la section locale 573 précise qu’elle ne conteste plus les dispositions de la Loi 15 ayant entraîné la scission de l’unité de négociation pour laquelle elle était accréditée jusqu’au 31 août 2011. De fait, le débat ne portera que sur la constitutionnalité du deuxième alinéa de l’article 85 de la Loi 15. On évoquera bien à quelques reprises le dernier alinéa de l’article 71 de la Loi 15, qui traite de la répartition des actifs de la section locale 573 entre elle et l’association accréditée pour lui succéder, le cas échéant, mais uniquement dans le but de colorer le dossier, c’est-à-dire de prêter au législateur l’intention non avouée de « briser » le syndicat en place, ce à quoi le Procureur général répliquera que le législateur a agi de la sorte par souci de s’assurer que l’éventuel successeur de ce syndicat ne soit pas privé des moyens financiers nécessaires pour mener à bien la négociation d’une convention collective. Quoi qu’il en soit, il n’apparaît pas nécessaire de trancher cette question pour décider de la recevabilité des requêtes en accréditation. Et, comme l’a souligné le Procureur général, s’il devait y avoir contestation à cet égard, il ne fait aucun doute que l’éventuel successeur de la section locale 573 serait partie intéressée au débat.
[14]
Par ailleurs, après l’entrée en vigueur de l’article 47 de la Loi 33,
par lequel le législateur modifiait à nouveau le deuxième alinéa de l’article
[15] Compte tenu de ce changement de cap induit par cette dernière modification à la Loi R-20, pour disposer des requêtes en accréditation dont elle est saisie, la Commission doit répondre aux questions suivantes :
1.
Le deuxième
alinéa de l’article
2.
Dans l’affirmative,
cette atteinte est-elle justifiée en regard de l’article
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
9.1 Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.
La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l’exercice.
3. En cas de réponse négative à la première question ou de réponses affirmatives aux deux premières, quel sens faut-il donner au concept d’affiliation qui est au cœur de la disposition contestée? En raison des circonstances entourant sa formation et de son affiliation au SEPB-Québec, la section locale 611 doit-elle être considérée comme « affiliée » à la Fédération des travailleurs du Québec, (FTQ), organisation à laquelle sont affiliées diverses associations de salariés de la construction ainsi que toutes les autres sections locales du SEPB-Québec, dont la section locale 573?
L’ATTEINTE
[16] Sur la question de l’affiliation, la section locale 573 cite à l’appui de ses prétentions de larges extraits du rapport du professeur Michel Coutu, reconnu expert en sociologie du droit par la Commission, dont les suivants :
Motivations de l’affiliation syndicale. En schématisant, on peut dire que l’affiliation syndicale obéit à deux types d’impératifs : d’ordre économique dans le premier cas, d’ordre politique dans le second. En premier lieu, l’affiliation des syndicats locaux à des organisations plus larges permet de décupler la capacité de pression économique des coalitions de salariés, en permettant l’entraide et la solidarité sur des bases plus larges, le soutien à la négociation collective et à l’application des conventions collectives, la coordination, le cas échéant, des mouvements de grève et de boycott, la mise sur pied de fonds de grève et plus récemment, de fonds d’investissements syndicaux. En second lieu, l’affiliation à une « union », fédération ou confédération syndicales permet aux associations de salariés d’accroître considérablement leur capacité de pression politique auprès des autorités publiques, en vue notamment d’obtenir des modifications à la législation et à la réglementation qui soient favorables à la cause des travailleurs. Comme le soulignent Grégor Murray et Pierre Verge, « le syndicalisme a la vocation historique de s’occuper aussi bien d’action politique que d’action professionnelle ou économique ». La légitimité de l’action politique des syndicats a été affirmée sans équivoque, soulignons-le au passage, par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Lavigne . Cette double vocation de l’action syndicale s’est vérifiée tant en France qu’en Allemagne et en Angleterre, et en Amérique du Nord, dès que les groupements syndicaux furent tolérés et purent se doter de structures permanentes favorisant l’affiliation.
(…)
La dimension économique de l’affiliation. À l’évidence, les considérations socio-économiques jouent un rôle de premier plan dans la dynamique d’affiliation des groupements syndicaux. Avant que l’obligation de négocier de bonne foi ne fût imposée aux employeurs (en 1944), la négociation collective exigeait, pratiquement dans tous les cas, l’exercice d’une pression économique directe sur les employeurs, par le recours à la grève, au piquetage et au boycott. Face à des employeurs généralement décidés à ne pas céder, les travailleurs opposèrent la force du nombre, en faisant appel au surplus à la solidarité des communautés locales et régionales. Les intérêts communs des travailleurs d’un métier, d’une localité ou d’une région ne s’arrêtaient évidemment pas aux portes d’une entreprise déterminée, favorisant d’autant l’élargissement de l’affiliation des associations de salariés à des entités plus larges. L’adoption du modèle du Wagner Act favorisa encore davantage cette dynamique de regroupement. La négociation collective nécessita dès lors le recours à des spécialistes et aux ressources (en termes de communication, de mobilisation, de fonds de grève, de conseils juridiques, etc.) dont seules disposent, en règle générale, les fédérations ou confédérations syndicales. Ajoutons que cette nécessité apparaît d’autant plus grande dans le secteur public où les négociations sont centralisées et soumises au contrôle étroit du Conseil du trésor.
(Les renvois ont été omis)
[17] Les conclusions du professeur Coutu se lisent comme suit :
1. Du point de vue de l’histoire des relations du travail, l’affiliation représente une composante fondamentale du fait associatif chez les salariés. L’affiliation vise la formation de groupements syndicaux permanents, lesquels sont apparus très tôt, dès que les associations de salariés purent mener une action ouverte et ne furent plus contraintes à la clandestinité.
2. L’affiliation obéit à la fois à des impératifs économiques et politiques : sur le plan économique, elle fournit un appui généralement indispensable à la négociation collective. Sur le plan économique (sic), elle représente un geste politique (au sens large du terme), qui vise notamment au regroupement des salariés en des fédérations ou confédérations susceptibles de faire pression, de manière efficace, sur l’orientation des politiques publiques.
[18]
Interrogé sur son rapport, le professeur Coutu insiste sur le fait que
l’affiliation donne accès à des ressources plus importantes qui permettent au
syndicat, entre autres, d’offrir à ses membres des conseils spécialisés en
matière de négociation et d’application de la convention collective. Il ajoute
que la qualité de la représentation va souvent de pair avec les ressources du
syndicat, soulignant que, comme la Cour suprême l’a exprimé dans
Noël
c.
S.E.B.J.
,
[19] Le professeur Coutu affirme en outre que, pour faire face à l’État, ses salariés ont tendance à se regrouper au sein de syndicats présents dans le secteur public. Or, comme on sait, la FTQ et la Confédération des syndicats nationaux (la CSN ), deux organisations auxquelles la disposition contestée interdit de s’affilier, sont les deux centrales syndicales les plus représentatives au Québec, tant dans le secteur privé que dans le secteur public, regroupant à elles seules la majorité des syndiqués.
[20] Les sections locales 573 et 611 sont des composantes du Syndicat canadien des employées et employés professionnels et de bureau (CTC), (le COPE-SEPB ), qui leur a émis une charte. Le SEPB-Québec est un conseil régional regroupant les sections locales du COPE-SEPB sur le territoire du Québec. Toutes les sections locales québécoises du COPE-SEPB doivent en principe s’y affilier.
[21] C’est le SEPB-Québec qui offre aux sections locales tous les services professionnels en matière de négociation et d’application de la convention collective, et qui les représente devant les tribunaux. C’est cependant le COPE-SEPB qui administre le fonds de prestations de grève, de lock-out et de défense. Les cotisations syndicales sont versées directement au SEPB-Québec, qui paie les frais d’affiliation à la FTQ et au COPE-SEPB, pour et au nom de ses sections locales, puis remet sa quote-part des cotisations à chaque section locale. Jusqu’à ce que le SEPB-Québec adopte les plus récentes modifications à ses statuts et règlements, à l’occasion d’un congrès spécial tenu le 19 juillet 2011, en prévision de l’entrée en vigueur des dispositions contestées de la Loi 15, toutes ses sections locales devaient en effet être affiliées à la FTQ.
[22] Monsieur Serge Cadieux est président national du COPE-SEPB, directeur exécutif du SEPB-Québec et, à ce titre, délégué d’office aux congrès du COPE-SEPB, du Congrès du travail du Canada, (le CTC ), et de la FTQ. Tel qu’il appert des statuts et règlements du SEPB-Québec, son directeur exécutif occupe aussi d’office un siège à l’exécutif national du COPE-SEPB et au Bureau de la FTQ, instance qui en assume la direction entre les rencontres du Conseil général. Dans les faits, monsieur Cadieux est l’un des vice-présidents de la FTQ. Selon les statuts et règlements de cette centrale, ses vice-présidents sont choisis par les syndicats nationaux ou internationaux affiliés au CTC qui comptent au moins 8 000 membres dans l’ensemble de leurs sections locales québécoises, sauf pour les syndicats affiliés à la FTQ-Construction qui, aux fins de cet article, sont considérés comme constituant un seul syndicat. C’est le SEPB-Québec qui exerce cette prérogative de désigner l’un des vice-présidents de la FTQ.
[23] Monsieur Daniel Gamelin, lui, est président des sections locales 573 et 611, vice-président du SEPB-Québec et membre du Conseil général de la FTQ, instance suprême de cette centrale entre ses congrès. Monsieur Gamelin explique que, depuis son assemblée de fondation tenue le 5 juillet 2011, au cours de laquelle ses statuts et règlements ont été adoptés et tous les officiers de la section locale 573 faisant partie du groupe visé par les présentes requêtes ont été élus membres de son comité exécutif provisoire, la section locale 611 est en quelque sorte une coquille vide. On a cependant prévu la tenue d’un congrès et l’élection d’officiers à un titre autre que provisoire, une fois obtenue l’accréditation demandée, le cas échéant, de préciser monsieur Gamelin.
[24] Suivant les témoignages de messieurs Cadieux et Gamelin, l’affiliation à la FTQ constitue un avantage non négligeable pour la section locale 573, non seulement parce que cette centrale, en tant que groupe de pression, fait la promotion des revendications qui débordent le cadre plus étroit du milieu de travail auprès des gouvernements et dans la société en général, mais aussi parce que, dans le contexte des négociations pour le renouvellement de la convention collective avec un organisme « péripublic » comme la CCQ, son intervention en haut lieu a souvent été déterminante.
[25] Il faut préciser ici que la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic , L.R.Q., c. R-8.2, (la Loi 37 ), s’applique à la CCQ, celle-ci faisant partie de la liste des organismes gouvernementaux énumérés à l’annexe C de cette loi. Cela fait en sorte qu’elle ne peut agréer et signer une convention collective que « dans le cadre défini en application des articles 78 et 79 » de cette loi, c’est-à-dire après approbation par le ministre responsable et le Conseil du trésor d’un « projet établissant les paramètres généraux d’une politique de rémunération et de conditions de travail ». Et, une fois « approuvée avec ou sans modification », cette politique de rémunération et de conditions de travail ainsi que les modalités déterminées par le Conseil du trésor pour assurer le suivi du déroulement des négociations lient la CCQ, qui est tenue de s’y conformer.
[26] Monsieur Cadieux déclare que, de 1987 à 1999 et même par la suite, il n’y a jamais eu conclusion d’une convention collective avec la CCQ sans intervention préalable de la part du président de la FTQ auprès du Conseil du trésor ou du ministre du Travail. « Si j’appelle moi-même, je n’ai pas de retour d’appel », ajoute-t-il, attribuant au poids politique de la FTQ, dont les affiliés regroupent quelque 600 000 membres au Québec, l’efficacité des interventions de cette nature.
[27] Monsieur Cadieux se souvient en particulier d’une intervention fructueuse de monsieur Henri Massé, alors président de la FTQ, auprès du président du Conseil du trésor, quelque part en 1988 ou 1989, pour obtenir de ce dernier qu’il autorise la CCQ à conclure une convention collective comportant des différences avec celle de la fonction publique en ce qui a trait aux régimes d’assurance.
[28] Comme autre exemple d’intervention fructueuse d’un président de la FTQ, monsieur Cadieux évoque celle de monsieur Massé, encore une fois, auprès de la ministre du Travail Louise Harel, en 1994, qui a permis d’obtenir la nomination d’un médiateur spécial pour aider les parties à résoudre un litige concernant l’application de la clause de sécurité d’emploi, dans le contexte où le gouvernement précédent avait modifié la Loi R-20 pour exclure une partie de la construction résidentielle de son champ d’application, ce qui avait entraîné l’abolition de plusieurs postes occupés jusque-là par des membres de la section locale 573. Au terme de cet exercice de médiation, ceux-ci ont tous été réintégrés, de préciser monsieur Cadieux.
[29] Pour sa part, la CCQ tente de minimiser l’importance de ces interventions de la FTQ dans le cadre des négociations pour le renouvellement de la convention collective, faisant valoir que c’est tout de même avec elle que la convention collective se négocie, pas avec le Conseil du trésor.
[30]
Selon le Procureur général, qui envisage l’atteinte au droit
d’association uniquement sous l’angle du droit à un processus de négociation,
droit que la Cour suprême a défini de façon plutôt minimale dans
Ontario
(Procureur général)
c.
Fraser
,
[31] Tel qu’il ressort des témoignages de messieurs Cadieux et Gamelin, c’est aussi à la suite d’une intervention de l’actuel président de la FTQ, monsieur Michel Arsenault, auprès du chef de cabinet du premier ministre, que le SEPB-Québec fut invité à présenter un mémoire sur le projet de Loi 15 à la Commission des institutions. Même si l’exercice fut vain, il n’en reste pas moins que les représentants du SEPB-Québec ont eu l’occasion d’exprimer leur point de vue. Ce mémoire fut présenté le 26 mai 2011. Le soir même, monsieur Arsenault téléphonait à monsieur Cadieux pour l’informer que le chef de cabinet du premier ministre venait de lui confirmer que « rien ne serait changé ». C’est cette réponse qui fut à l’origine de la réflexion qui finit par aboutir à la création de la section locale 611 et à la modification des statuts et règlements du SEPB-Québec.
[32] Sur cette question de l’affiliation, la section locale 573 fait aussi entendre le secrétaire général de la FTQ, monsieur Daniel Boyer, qui énumère les services que la centrale dispense à ses affiliés : les communications, la recherche, l’éducation, la santé et la sécurité au travail, etc. La FTQ joue aussi un rôle important de lobby, avec tout le poids des quelque 600 000 membres que regroupent ses affiliés, de préciser monsieur Boyer. Le service des communications, les services de recherche et d’éducation de la centrale, qui sont mis à contribution dans la préparation de mémoires présentés au nom de la FTQ, parfois conjointement avec des affiliés, permettent aux sections locales d’être entendues, d’ajouter le témoin.
[33] Monsieur Boyer souligne que la FTQ désigne aussi des représentants au sein de divers organismes, comme au conseil d’administration paritaire de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, au Conseil consultatif du travail et de la main-d’œuvre, à la Commission des partenaires du marché du travail et à l’Office québécois de la langue française. Ce sont messieurs Arsenault et Cadieux qui représentent la FTQ au Conseil consultatif du travail et de la main-d’œuvre. Monsieur Cadieux affirme que les syndicats qui ne sont pas affiliés à une centrale sont absents de ces organismes où les syndicats sont représentés.
[34] Dans un autre ordre d’idées, monsieur Boyer insiste sur le fait que la FTQ n’a aucun pouvoir sur ses affiliés, si ce n’est un pouvoir moral et celui d’expulser une section locale qui ne respecterait pas les statuts et règlements de la centrale. Lorsqu’on lui fait remarquer que la consigne de la FTQ de mettre fin aux grèves illégales déclenchées sur les chantiers de construction au cours du mois de novembre 2011 a été suivie, monsieur Boyer y va de la réponse suivante : « On a un pouvoir moral important! »
[35]
Les statuts de la FTQ sont versés au dossier. On peut y lire un énoncé
des objectifs poursuivis par la centrale. Puisque ces objectifs, exprimés en
termes généraux, ressemblent à ceux de la plupart des centrales syndicales, il
n’y a pas lieu de s’y attarder. Il n’en reste pas moins que les orientations
des différentes centrales et les positions qu’elles prennent sont souvent
divergentes, comme l’a souligné le juge Bastarache, au nom des juges
dissidents, dans
R
. c.
Advance Cutting & Coring Ltd.
,
[36] Comme argument en droit, la section locale 573 met de l’avant que la liberté individuelle d’association doit forcément inclure « le choix de l’association qui agira au nom des personnes qui s’en prévaudront », choix que vient en l’occurrence restreindre le législateur en disqualifiant d’entrée de jeu toute association affiliée à la FTQ, à la CSN ou à la Centrale des syndicats démocratique (la CSD ).
[37] À cet égard, le Procureur général plaide que l’affiliation ne serait pas une composante de la liberté d’association de chaque individu, mais un droit appartenant en propre à l’association elle-même. Sinon, il serait loisible à tout un chacun de s’affilier à l’association de son choix, fait-il valoir. Nous y reviendrons.
[38] Il est en preuve qu’à l’époque de l’adoption de la Loi 15, il y eut une « journée d’étude » au cours de laquelle les salariés représentés par la section locale 573 se sont réunis pour entendre monsieur Cadieux leur donner des explications sur la situation. Monsieur Cadieux précise que plusieurs membres l’ont alors interrogé sur la possibilité « de demeurer au SEPB-Québec », afin de pouvoir continuer de bénéficier de son expertise et de son soutien professionnel. « J’ai répondu qu’on allait tout faire pour [que ce soit le cas] », de déclarer monsieur Cadieux.
[39] Même si on ne croyait alors pas que l’affiliation de la section locale 573 à la FTQ posait problème - c’était avant l’entrée en vigueur de la Loi 33, faut-il le rappeler -, pour parer à toute éventualité, on a envisagé la possibilité de « créer un mur de Chine », c’est-à-dire de mettre sur pied « une section locale qui ne serait affiliée à aucune autre organisation que le SEPB-Québec », d’expliquer monsieur Cadieux.
[40] Cette solution imaginée par monsieur Cadieux emporta l’adhésion des officiers de la section locale 573. Pour la mettre en œuvre, il y eut d’abord adoption par le comité exécutif de la section locale 573, le 16 juin 2011, d’une résolution demandant la tenue d’un congrès spécial du SEPB-Québec pour apporter des amendements à ses statuts et règlements « en relation avec l’affiliation à la FTQ », puis émission par le COPE-SEPB d’une charte de section locale à la section locale 611, le 30 juin 2011, suivie d’une assemblée de fondation de la section locale 611, tenue le 5 juillet, au cours de laquelle il y eut adoption de ses statuts et règlements et élection de ses dirigeants, à titre provisoire, tel que déjà mentionné.
[41] Monsieur Cadieux déclare avoir approuvé les statuts et règlements de la section locale 611 lors de son assemblée de fondation, et ce, même s’ils dérogeaient aux statuts et règlements du SEPB-Québec, qui n’avaient pas encore été modifiés. Il affirme que l’article 24.1 des statuts et règlements du COPE-SEPB l’autorisait, en tant que président national, à donner cette approbation.
[42] Il faut préciser que monsieur Cadieux fut autorisé par résolution du comité exécutif du SEPB-Québec adoptée le 23 juin 2011 à demander au COPE-SEPB d’émettre une charte de section locale à la section locale 611, vu l’adoption de la Loi 15 et « le désir des salariés visés (…) de demeurer syndiqués et de faire partie du SEPB-Québec ». L’examen du caractère représentatif de la section locale 611 confirme que c’était bien la volonté d’une très forte majorité des personnes visées de demeurer au sein du SEPB-Québec.
[43] Le congrès spécial du SEPB-Québec au cours duquel on adopta des amendements à ses statuts et règlements fut tenu le 19 juillet 2011. Il importe de souligner que, malgré les amendements adoptés à cette occasion, l’affiliation des sections locales à la FTQ demeure la règle, « sauf si cela est interdit par une loi . » On a aussi prévu que la personne présidente du SEPB-Québec ne siège d’office au conseil général de la FTQ que si elle provient d’une section locale affiliée à celle-ci, et restreint l’admissibilité au poste de directeur exécutif aux seuls membres faisant partie d’une section locale affiliée à la FTQ.
[44]
La section locale 573 fait valoir que, sauf quelques rares exceptions,
il n’existe pas d’interdiction de s’affilier à une centrale syndicale pour les
associations regroupant des salariés d’organismes publics détenant des pouvoirs
d’enquête similaires à ceux exercés par les personnes visées par les présentes
requêtes. Les seules exceptions connues seraient celles concernant les
associations regroupant des agents de la paix, auxquelles la
Loi sur la
fonction publique
, L.R.Q., c. F-3.1.1, interdit de s’affilier à une
association ne regroupant pas exclusivement des salariés exerçant des fonctions
d’agent de la paix, les associations de policiers municipaux qui, tel que prévu
à l’article
[45]
En ce qui concerne l’interdiction de s’affilier à une association ne
regroupant pas exclusivement des agents de la paix, il est en preuve qu’à la
suite d’un protocole d’entente intervenu entre les parties, dont le Procureur
général, qui défendait la constitutionnalité des articles
[46] La section locale 573 soutient que ce cas d’espèce constitue une illustration de « l’absence de lien entre l’affiliation à une centrale syndicale et la capacité d’un salarié d’agir avec intégrité et loyauté ».
[47] La section locale 573 s’insurge contre le fait que, parmi les ministères et organismes appelés à collaborer avec l’Unité permanente anticorruption, (l’ UPAC ), notamment en y détachant des membres de leur personnel, seuls les salariés de la CCQ visés par les présentes requêtes sont privés du droit d’être représentés par un syndicat affilié à une grande centrale syndicale, et non pas, par exemple, les salariés du ministère du Revenu ou de la Régie du bâtiment du Québec.
[48] À cet égard, il faut cependant souligner que, parmi les salariés affectés à l’UPAC par divers ministères et organismes gouvernementaux, ceux provenant de la CCQ étaient les seuls regroupés au sein d’un syndicat affilié à une centrale syndicale, la plupart des autres faisant partie de l’unité de négociation pour laquelle le Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec est accrédité par voie législative. La section locale 573 a cependant raison de soulever que rien n’interdit à ce syndicat de conclure une entente de service avec une centrale syndicale, voire de s’y affilier. Au chapitre des justifications, nous reviendrons sur les motifs pour lesquels la CCQ et une partie de son personnel furent ciblées de la sorte.
[49]
La section locale 573 fait valoir que la liberté d’association garantie
par les chartes comprend «
le droit de
constituer une association, de la maintenir et d’y participer
»,
comme le prévoit l’article
3. Tout salarié a droit d’appartenir à une association de salariés de son choix et de participer à la formation de cette association, à ses activités et à son administration.
Elle ajoute que le législateur a en quelque sorte « reconnu la légitimité de l’affiliation syndicale », dans la Loi sur les syndicats professionnels , L.R.Q., c. S-40. L’article 19 de cette loi prévoit en effet le droit pour les syndicats de « se concerter pour l’étude et la défense de leurs intérêts économiques, sociaux et moraux, et, à cette fin, [d’] être constitués en union ou fédération », et l’article 20, le droit pour les « syndicats, unions et fédérations de syndicats, de «se constituer en confédération ».
[50]
Dans l’arrêt
Health Services and Support
c.
Colombie-Britannique
,
69. Dans
le système fédéral canadien, il revient au Parlement fédéral et aux
législatures provinciales d’incorporer les accords internationaux au droit
interne. L’examen des obligations internationales du Canada peut toutefois
aider les tribunaux chargés d’interpréter les garanties de la Charte (voir Suresh
c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),
70. L’adhésion du Canada à des instruments internationaux reconnaissant l’existence du droit de négocier collectivement appuie la thèse que ce droit est protégé à l’al. 2d) de la Charte. Comme l’a fait remarquer le juge en chef Dickson dans le Renvoi relatif à l’Alberta, p. 349, il faut présumer que la Charte accorde une protection au moins aussi grande que les instruments internationaux ratifiés par le Canada en matière de droits de la personne .
71. Pour l’interprétation de l’al. 2d) de la Charte, les textes les plus utiles sont le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 993 R.T.N.U. 3 (le « PIDESC »), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques , 999 R.T.N.U. 171 (le «PIDCP ») et la Convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 68 R.T.N.U.17 (la « Convention n° 87 »), adoptée par l’organisation internationale du Travail (l’« OIT »). Le Canada a entériné ces trois documents, en adhérant au PIDESC et au PIDCP, et en ratifiant la Convention no 87 en 1972. Cela signifie que ces documents dégagent non seulement le consensus international, mais aussi des principes que le Canada s’est lui-même engagé à respecter.
72. Le PIDESC, le PIDCP et la Convention no 87 accordent une protection aux activités des syndicats d’une manière qui permet de croire que le droit de négociation collective est compris dans la liberté d’association. L’interprétation de ces instruments, au Canada et à l’étranger, permet non seulement de confirmer l’existence d’un droit de négociation collective en droit international, mais tend également à indiquer qu’il y a lieu de reconnaître ce droit dans le contexte canadien en vertu de l’al. 2d).
73. L’alinéa 8(1)c) du PIDESC garantit le « droit qu’ont les syndicats d’exercer librement leur activité, sans limitations autres que celles qui sont prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale ou de l’ordre public, ou pour protéger les droits et les libertés d’autrui ». Cette disposition permet de réglementer les activités « exercées librement » par les syndicats, et non de les abroger par voie législative (le juge en chef Dickson, Renvoi relatif à l’Alberta, p.351). La négociation collective étant l’une des principales activités d’un syndicat, il s’ensuit que l’art. 8 protège la liberté reconnue aux syndicats d’exercer sans entrave cette activité.
74. De même, le par.22 (1) du PIDCP prévoit : « Toute personne a le droit de s’associer librement avec d’autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d’y adhérer pour la protection de ses intérêts ». Le deuxième paragraphe du même article mentionne aussi que l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui sont nécessaires dans une société libre et démocratique, pour des raisons de sécurité nationale, de sûreté publique, d’ordre public, de santé publique ou pour protéger les droits d’autrui. L’interprétation donnée à cette disposition tend à indiquer qu’elle englobe tant le droit de former un syndicat que celui de négocier collectivement : Observations finales du Comité des droits de l’homme : Canada UN Doc. CCPR/C/79\Add. 105 (1999) .
75. La Convention no 87 a elle aussi été interprétée comme ayant pour effet de protéger la négociation collective dans le cadre de la liberté d’association. La partie 1 de la convention, « Liberté syndicale », établit le droit des travailleurs de constituer librement des organisations qui sont régies par des statuts et règlements administratifs élaborés par les travailleurs et qui peuvent s’affilier à des organisation internationales . Dans ses motifs dissidents dans le Renvoi relatif à l’Alberta, p. 355, le juge en chef Dickson s’est appuyé sur la Convention no 87 pour énoncer le principe que « la liberté de constituer et d’organiser des syndicats doit, même dans le secteur public, comprendre la liberté d’exercer les activités essentielles des syndicats, telles la négociation collective et la grève, sous réserve de limites raisonnables ».
76. La
Convention no 87 a été fréquemment interprétée par le Comité de la liberté
syndicale, la Commission d’experts et des Commissions d’enquête de l’OIT. Ces
interprétations ont été décrites comme constituant la [Traduction] « pierre
angulaire du droit international en matière de liberté syndicale et de négociation
collective » : M. Forde, « The European Convention on Human Rights
and Labour Law »
(Soulignement ajouté)
Au paragraphe 78, ils ajoutent que « les engagements actuels du Canada en vertu du droit international et l’opinion internationale qui prévaut actuellement en matière de droits de la personne constituent une source persuasive pour l’interprétation de la portée de la Charte ».
[51] En l’espèce, la section locale 573 invoque les mêmes instruments internationaux à l’appui de ses prétentions. En plus de l’alinéa c) de l’article 8.1 du PIDESC mentionné dans l’extrait précité, elle fait aussi référence aux alinéas a) et b), qui se lisent comme suit :
1. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à assurer :
a) Le droit qu’a toute personne de former avec d’autres des syndicats et de s’affilier au syndicat de son choix, sous la seule réserve des règles fixées par l’organisation intéressée, en vue de favoriser et de protéger ses intérêts économiques et sociaux. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale ou de l’ordre public, ou pour protéger les droits et les libertés d’autrui.
b) Le droit qu’ont les syndicats de former des fédérations ou des confédérations nationales et le droit qu’ont celles-ci de former des organisations syndicales internationales ou de s’y affilier.
[52] Il y a aussi lieu de reproduire in extenso les articles 1 à 6 de la Convention n°87 :
Article 1
Tout membre de l’Organisation internationale du travail pour lequel la présente convention est en vigueur s’engage à donner effet aux dispositions suivantes.
Article 2
Les travailleurs et les employeurs, sans distinction d’aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s’affilier à ces organisations, à la seule condition de se conformer aux statuts de ces dernières.
Article 3
Les organisations de travailleurs et d’employeurs ont le droit d’élaborer leurs statuts et règlements administratifs, d’élire librement leurs représentants, d’organiser leur gestion et leur activité, et de formuler leur programme d’action.
Les autorités publiques doivent s’abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l’exercice légal.
Article 4
Les organisations de travailleurs et d’employeurs ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative.
Article 5
Les organisations de travailleurs et d’employeurs ont le droit de constituer des fédérations et des confédérations ainsi que celui de s’y affilier, et toute organisation, fédération ou confédération a le droit de s’affilier à des organisations internationales de travailleurs et d’employeurs.
Article 6
Les dispositions des articles 2, 3 et 4 ci-dessus s’appliquent aux fédérations et aux confédérations des organisations de travailleurs et d’employeurs.
[53] La section locale 573 souligne que la seule exception prévue à cette convention concerne « les forces armées et la police », auxquelles ces garanties ne s’appliquent que dans la mesure prévue par la législation nationale, tel que stipulé à son article 9.
[54] Au soutien de sa prétention que la liberté d’affiliation est une composante de la liberté d’association, la section locale 573 cite des extraits de l’ouvrage de doctrine de Maîtres Fernand Morin, Jean-Yves Brière, Dominic Roux et Jean-Pierre Villagi [2] , dont le suivant (pp. 970-1) :
IV-16
-
Liberté d’affiliation
- La
liberté syndicale comporte également celle de la libre union des forces au-delà
du cadre étroit d’un seul syndicat. D’une certaine manière, nous pourrions dire
que la liberté d’affiliation serait l’exercice de la liberté d’association des
syndicats. Cette dimension du droit d’association consiste en l’union ou en la
réunion de syndicats sur une base territoriale, professionnelle, industrielle
ou nationale, d’une façon permanente ou temporaire. De tels regroupements de
syndicats peuvent être aménagés sous de multiples recoupements : vertical
ou horizontal; régional ou sectoriel, national ou international; fédéral ou
confédéral, etc. Selon le cas, il s’agit d’union, de fédération, de confédération,
de conseil, de coalition, de front commun, de cartel, etc. Ces divers
regroupements de syndicats, sous quelque forme que ce soit, sont essentiels
pour permettre aux syndiqués de disposer de moyens financiers et d’intervention
efficaces sur des questions qui dépassent la seule dimension de l’entreprise.
Ni la
Charte canadienne des droits et libertés
, ni la
Charte des
droits et libertés de la personne
du Québec ne reconnaissent expressément
la liberté d’affiliation. Par ailleurs, cette dimension du droit d’association
nous paraît si fondamentale, si essentielle et si bien ancrée dans la pratique
que nous pouvons croire qu’elle serait une facette des libertés que l’on
n’entendait pas nier par l’affirmation expresse de certaines autres libertés
fondamentales, comme le rappelle l’article
[55] Les auteurs de cet ouvrage soulignent par ailleurs que la liberté syndicale comporte à la fois une dimension individuelle, « c’est-à-dire vue strictement en fonction de la personne du salarié » et une dimension collective, qui concerne « le syndicat dans le sens d’une collectivité structurée de salariés ». « Si nous devons, aux seules fins de la présente étude, les analyser distinctement, il s’agit toujours de deux volets intimement reliés d’une même réalité », insistent-ils.
[56]
Cet extrait des motifs exprimés par les juges Wilson, Gonthier et Cory,
sous la plume du juge Cory, dans
Institut professionnel de la fonction
publique du Canada
c.
Territoires du Nord-Ouest
(Commissaire),
Partout où des personnes travaillent pour gagner leur vie, le droit d’association a une importance énorme. Le salaire et les conditions de travail auront toujours une importance vitale pour un employé. Il s’ensuit que pour un employé, le droit de choisir le groupe ou l’association qui négociera pour son compte ce salaire et ces conditions de travail a une importance fondamentale . L’association jouera une rôle très important dans à peu près tous les aspects de la vie de l’employé dans son lieu de travail, en faisant fonction de conseiller, de porte-parole dans les négociations et de rempart contre les actes illicites de l’employeur. Pour que les négociations collectives donnent des résultats, les employés doivent avoir confiance en leurs représentants. Cette confiance n’existera pas si l’employé à titre individuel n’est pas en mesure de choisir l’association .
Le droit d’un employé à titre individuel d’adhérer à une association de son choix me paraît avoir une importance fondamentale . Non seulement permet-il à la personne de mieux participer au processus démocratique en agissant par l’intermédiaire d’un groupe, mais il permet en outre aux personnes d’agir de concert en vue d’obtenir des conditions de travail et des salaires équitables. À tout le moins, la formation ou le changement de l’entité qui doit procéder à des négociations collectives est protégé en vertu de la liberté d’association consacrée par la Charte .
Le droit des employés de changer l’association qui doit procéder à des négociations collectives est aussi important que celui de la former. Il peut être important pour un groupe d’employés d’être représenté par un syndicat national ou international. Un tel organisme peut disposer de conseils spécialisés sur une grande variété de sujets depuis le domaine de l’économie jusqu’aux répercussions de leur travail sur la santé et la sécurité . Dans d’autres circonstances, il peut en être autrement; les employés peuvent avoir des motifs valables de vouloir être représentés par un petit organisme local. Seuls les employés savent ce dont ils ont besoin et ils devraient avoir le droit de choisir l’association qui fera le mieux valoir leurs besoins . L’alinéa 42(1) b) de la Loi les prive de ce choix.
(Soulignement ajouté)
[57]
En ce qui concerne l’affiliation proprement dite, la section locale 573
cite le juge Bastarache qui, au nom de la majorité, dans
Dunmore
c.
Ontario
(Procureur général)
,
La loi doit plutôt reconnaître que certaines activités syndicales - les revendications collectives auprès de l’employeur, l’adoption d’une plate-forme politique majoritaire , le regroupement en fédérations syndicales - peuvent être au cœur de la liberté d’association même si elles ne peuvent exister au niveau individuel.
(Soulignement ajouté)
[58] Enfin, en ce qui a trait à l’importance du choix de l’association pour l’intégrité du processus de négociation, la section locale 573 souligne que, dans l’arrêt Health Services , la Cour suprême a retenu la définition de la négociation collective proposée 60 ans plus tôt par le professeur Bora Laskin, devenu plus tard Juge en chef du Canada, qui se lit comme suit :
[TRADUCTION] La négociation collective est un processus par lequel les travailleurs expriment leurs opinions, par l’entremise des représentants de leur choix, et non des représentants choisis, nommés ou autorisés par les employeurs . Plus que cela, il s’agit d’un processus par lequel l’employeur et ses employés peuvent négocier pour s’entendre sur les conditions de travail, pourvu que leur pouvoir respectif de négociation soit de force relativement égale.
(Soulignement ajouté)
[59] Pour sa part, le Procureur général s’appuie sur l’extrait de l’arrêt Dunmore cité au paragraphe 57 de la présente décision pour soutenir que le droit d’affiliation en est un qui appartient à l’association et non aux salariés, à titre individuel. Rappelons que le juge Bastarache écrit en effet que « le regroupement en fédérations syndicales » fait partie des activités syndicales qui « peuvent être au cœur de la liberté d’association même si elles ne peuvent exister au niveau individuel ». Dans le même sens, le Procureur général fait référence à l’extrait de l’ouvrage de doctrine cité au paragraphe 54 de la présente décision, où l’on présente la liberté d’affiliation comme « l’exercice de la liberté d’association des syndicats ».
[60] Or, de poursuivre le Procureur général, la protection des chartes ne s’étend aux droits collectifs que dans la mesure où leur négation ou leur restriction priverait l’association de son objet et, partant, aurait un effet dissuasif important sur l’exercice de la liberté individuelle d’association, parce qu’elle rendrait illusoire la poursuite d’objectifs communs.
[61] À l’appui de ses prétentions, le Procureur général cite les extraits suivants du jugement rendu par la Cour suprême dans l’arrêt Fraser :
[33] Il convient à ce stade de résumer les postulats sur lesquels les juges majoritaires de la Cour fondent ces conclusions dans Dunmore .
• Interprété téléologiquement, l’al. 2 d) garantie la liberté d’exercer une activité associative dans le dessein d’atteindre des objectifs individuels et communs.
• Les objectifs communs protégés s’entendent notamment de certaines activités de négociation collective, dont la formation d’une association et la présentation d’observations à l’employeur.
• Un processus doit permettre la poursuite véritable de ces objectifs. Nul résultat précis n’est garanti. Toutefois, le cadre législatif doit autoriser un processus qui rend possible la poursuite des objectifs, et ce, de manière véritable.
•
Le processus qui rend impossible la poursuite véritable d’objectifs
collectifs a pour
effet
d’entraver substantiellement l’exercice du droit
de libre association en ce qu’il fait obstacle à l’objet même de l’association
et la rend de fait inutile
. Il s’agit d’une restriction de la liberté
reconnue à l’al. 2
d)
, d’où son inconstitutionnalité, sauf justification
par l’État en application de l’article premier de la
Charte
. (Il s’agit de
l’application de la règle établie selon laquelle la loi ou la mesure
gouvernementale qui, par son objet
ou son effet
, entrave l’exercice d’un
droit constitue une restriction aux fins de l’article premier : voir
Irwin
Toy Ltd
. c.
Québec (Procureur général)
,
• La réparation pour la violation qui s’ensuit de l’al. 2 d) consiste à ordonner à l’État de modifier le régime législatif de manière à rendre possible l’exercice véritable d’une activité associative vouée à la réalisation d’objectifs communs liés au travail.
(…)
[38] La décision rendue dans cette affaire [Health Services] découle directement des principes énoncés dans Dunmore . Lorsqu’on l’interprète téléologiquement et dans la perspective des valeurs canadiennes et des engagements internationaux du Canada, l’al. 2 d) protège l’activité associative exercée collectivement pour atteindre des objectifs liés au travail. Le droit ne possède pas seulement un caractère théorique; il commande un processus qui permet véritablement la poursuite de ces objectifs. Les demandeurs avaient le droit de poursuivre des objectifs liés au travail et de se livrer à des activités de négociation collective pour les atteindre. L’État employeur a légiféré et pris des mesures de manière à rendre impossible la poursuite véritable de tels objectifs et à supprimer dans les faits le droit de ses employés de s’associer . Il a ainsi restreint l’exercice de la liberté garantie à l’al. 2 d) , ce qui était inconstitutionnel, sauf justification au regard de l’article premier de la Charte .
(…)
[42] Dans Health Services, la Cour insiste sur le fait que l’al. 2d) n’impose ni un modèle particulier de négociation, ni un résultat déterminé. En effet, cette disposition garantit, dans le contexte des relations du travail, le droit à un processus véritable. Dans cette optique, on ne saurait tenir pour véritable un processus qui permet à l’employeur de ne même pas prendre en compte les observations de ses employés. Pour reprendre les termes employés dans l’arrêt Dunmore, le processus garanti fait partie de ces « activités collectives [qui] doivent être reconnues pour que la liberté de constituer et de maintenir une association ait un sens » (par.17). À défaut d’un tel processus, l’association aux fins de réaliser des objectifs liés au travail perd sa raison d’être, ce qui entrave substantiellement l’exercice de la liberté d’association. On peut entraver l’exercice de la liberté d’association voué à la réalisation d’objectifs liés au travail en frappant d’interdiction la formation d’associations d’employés. On peut le faire tout aussi efficacement en établissant un système qui rend impossible la négociation véritable de questions liées au travail. Les deux méthodes restreignent en fait l’exercice du droit d’association garanti à l’al. 2d), et toutes deux doivent faire l’objet d’une justification au regard de l’article premier de la Charte pour échapper à une conclusion d’inconstitutionnalité.
(…)
[48] Pour régler le sort du présent pourvoi, il n’est donc pas nécessaire d’adhérer sans réserve à une conception particulière de la négociation collective. Il suffit de revenir aux principes qui étayent les décisions majoritaires dans Dunmore et Health Services . Comme dans ces affaires, il faut se demander si le régime législatif (la LPEA ) rend impossible l’association vouée à la réalisation d’objectifs liés au travail, entravant ainsi substantiellement l’exercice de la liberté d’association garantie à l’al. 2d).
(Soulignement ajouté)
[62] Le Procureur général souligne que la Cour suprême place la barre haute, si l’on peut dire, exigeant que le cadre législatif rende « impossible » la poursuite d’objectifs communs pour conclure à atteinte à la liberté d’association. Or, de poursuivre le Procureur général, il faut voir que « la finalité de l’accréditation est de se regrouper pour négocier une convention collective avec son employeur, pas de s’affilier ». Et, il n’y a aucune preuve que, dans les faits, les personnes visées par les présentes requêtes seraient privées du droit de s’associer pour s’engager collectivement dans un processus de négociation avec leur employeur.
[63] Bref, même si l’association au sein de laquelle ils seront regroupés, si tel est le vœu de la majorité, est privée de son droit de s’affilier à certaines centrales, « ceux-ci auront toujours accès à un processus de négociation collective au cours duquel les parties ont l’obligation de négocier de bonne foi » et, sur le plan individuel, « le droit constitutionnel revendiqué est inexistant », de conclure le Procureur général.
[64] La CCQ abonde dans le même sens, faisant valoir qu’il est exagéré de prétendre qu’une association accréditée pour représenter le groupe en question ne serait pas en mesure de négocier une convention collective de bonne foi avec elle sans l’intervention de la FTQ ou, faut-il ajouter, de l’une ou l’autre des deux autres centrales auxquelles la disposition contestée interdit de s’affilier.
[65] La proposition voulant que l’affiliation ne soit pas une composante de la liberté d’association des individus repose sur des fondements théoriques qui peuvent apparaître cohérents, certes, mais elle a le désavantage d’être dépourvue de tout ancrage dans la réalité. Pour qu’elle résiste à l’épreuve des faits, il faudrait en effet que, dans tous les cas, la décision de s’affilier ou non soit prise par l’association, donc une fois celle-ci constituée. Or, dans la très grande majorité des cas, ce sont les salariés eux-mêmes qui, sur une base individuelle, décident d’adhérer à un syndicat - ou à une section locale - déjà affilié à une centrale. Souvent, l’affiliation de ce syndicat constitue même la considération principale pour laquelle ils lui donnent leur adhésion, à cause des prises de position de la centrale, parce qu’elle a fait ses preuves dans le secteur d’activité de leur employeur, etc.
[66] En outre, s’il est vrai qu’une fois le syndicat accrédité, les salariés ne peuvent pas changer de syndicat ou s’affilier eux-mêmes à une autre centrale, vu notre régime de relations de travail qui repose sur le monopole de représentation, il n’en reste pas moins que, lors des périodes de remise en question de l’accréditation prévues par le Code du travail , ils peuvent individuellement faire campagne pour un autre syndicat, indépendant ou affilié à une autre centrale, et tenter de convaincre une majorité de leurs collègues d’y adhérer. En effet, comme l’exprime monsieur le juge Bastarache dans l’arrêt Dunmore précité, c’est le « point de vue majoritaire » qui sert de fondement à l’accréditation d’un syndicat (par. 16). Mais, comme dans d’autres domaines, il est impossible d’atteindre la majorité sans avoir obtenu l’adhésion des individus, un à un.
[67] Pour une illustration concrète de la façon dont se forment les syndicats affiliés à un syndicat national ou international, il faut lire l’extrait suivant de l’introduction des juges McLachlin et Lebel, dans l’arrêt Fraser précité :
[8] Les quatre travailleurs agricoles visés en l’espèce (trois intimés et un déposant) travaillaient pour Rol-Land Farms Ltd., une grande champignonnière de type industriel exploitée à Kingsville, en Ontario. En 2002, dans la foulée de l’arrêt Dunmore , Xin Yuan Liu et d’autres travailleurs de Rol-Land ont pris contact avec un syndicat, l’Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce - Canada (la « TUAC »), pour qu’il les représente et négocie en leur nom. Au printemps 2003, 70 p. cent des travailleurs de l’entreprise avaient adhéré au syndicat.
[68] Ils auraient pu ajouter que, dans la majorité des cas, la décision de constituer une section locale ou de demander l’accréditation pour un groupe donné est prise non pas par les salariés concernés, mais par les officiers du syndicat national ou international mandatés pour ce faire.
[69] Sur l’expression de la liberté individuelle d’association, dans le cadre d’un régime de relations de travail comme le nôtre, hérité du Wagner Act américain, monsieur le juge Cory, en son nom et au nom des juges Wilson et Gonthier, dans l’arrêt I.P.F.P.C. précité, écrit ce qui suit (p. 28) :
En résumé, on peut constater que la plupart des lois relatives aux négociations collectives des autres ressorts du Canada établissent un processus équitable et raisonnable par lequel les employés peuvent, à titre individuel, essayer de former des associations pour les représenter, et essayer de changer les associations qu’ils ne jugent pas appropriées ou efficaces. Les lois semblent établir un équilibre très raisonnable entre les droits des personnes à titre individuel, ceux du syndicat et ceux de l’employeur. C’est un équilibre qu’il faut se garder de rompre.
[70] Comme on l’a vu dans cet autre extrait de leur opinion cité au paragraphe 56 de la présente décision, ces trois juges sont d’avis qu’« à tout le moins, la formation et le changement de l’entité qui doit procéder à des négociations collectives est protégé en vertu de la liberté d’association consacrée par la Charte », ce qui, à leurs yeux, inclut la liberté de choisir « d’être représenté par un syndicat national ou international ». Envisageant la question sous l’angle du droit à un processus de négociation, monsieur le juge Cory ajoute ce qui suit :
Il s’ensuit que je ne puis accepter l’affirmation de mon collègue que "l’al. 42 (1) b) n’a aucun effet sur l’ existence de l’Institut" et que le syndicat existe pour autant que les personnes peuvent, à titre individuel, se réunir dans une salle paroissiale pour discuter de leurs griefs. L’équipe hypothétique de l’exemple qui précède n’existait pas parce que, même si ses membres pouvaient se réunir, ils ne pouvaient pas jouer au hockey ou au base-ball. De même, un syndicat n’existe que s’il lui est permis de négocier collectivement. C’est la raison d’être d’un syndicat. Pour exercer son rôle d’agent négociateur, il doit être accrédité conformément aux dispositions applicables du droit du travail . Cependant, en vertu de la loi des territoires du Nord-Ouest, une telle association ou un tel syndicat n’"existe" qu’à la condition d’être constitué en "association d’employés". La Loi empêche donc effectivement les associations "non constituées" d’exister et, en contrecarrant le choix des employés, elle porte par conséquent atteinte au droit des employés de s’associer . Affirmer que le syndicat existe dans la mesure où les personnes peuvent, à titre individuel, se réunir et discuter de leurs griefs équivaut, en toute déférence, à ignorer la réalité de la situation. Les discussions sur les griefs n’auront pas plus d’effet que de banales récriminations contre le temps qu’il fait.
(Soulignement ajouté, sauf pour le premier)
[71]
Si
cette opinion était celle d’une minorité de juges, à une époque où le droit à
un processus de négociation n’était pas considéré comme protégé par la garantie
de l’article
[72]
Dans
Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act
(Alb.),
De nombreuses interprétations subsidiaires différentes de la liberté d’association ont été proposées dans la jurisprudence résumée ci-dessus et au cours des débats en cette Cour.
D’un côté, on trouve une définition purement constitutive selon laquelle la liberté d’association ne comprend que la liberté d’appartenir à une association ou de la constituer. Dans cette optique, la garantie constitutionnelle se limite à la protection du statut de l’individu, en tant que membre d’une association. Elle ne protégerait pas ses actes en tant qu’associé.
Dans le contexte syndical, une définition constitutive permettrait donc de découvrir une violation à première vue de l’al. 2 d) de la Charte dans une disposition législative comme le par. 2(1) de la Police Officers Act , qui interdit d’adhérer à toute organisation affiliée à un syndicat .
(Soulignement ajouté, sauf pour les deux premiers mots)
[73] Il est également permis de penser que cette opinion rallierait aujourd’hui une majorité de juges, sauf bien sûr en ce qui concerne l’étendue du droit à un processus de négociation, que la Cour a jugé bon de baliser.
[74] Dans Confédération des syndicats nationaux c. Québec (Procureur général) , 2008, QCCS 5076, la Cour supérieure, reprenant les principes dégagés dans l’arrêt I.P.F.P.C. , écrit ce qui suit :
[286] Dans le cas présent, comme dans l’arrêt IPFPC , le gouvernement s’est réservé le droit de décider avec quelles associations il entend discuter, s’il choisit d’ainsi faire, et l’entente qui en découlera, le cas échéant, liera les RI/RTF ainsi que les RSG, qu’elles soient membres ou non de l’association qui l’aura conclue. En quelque sorte, les Lois 7 et 8 privent les RSG et RI/RTF du droit de choisir l’association qui les représentera pour les fins de négociation de leurs conditions de travail.
[287] Comme le faisait remarquer le professeur Bora Laskin, plus tard juge en chef de la Cour suprême du Canada, la négociation collective est un processus par lequel les travailleurs expriment leur opinion, par l’entreprise de représentants de leur choix , et non de représentants choisis, nommés ou autorisés par les employeurs (nos soulignements) .
[288] Dans l’arrêt IPFPC , précité, le juge Cory soulignait qu’un syndicat ne peut exister que s’il lui est permis de négocier collectivement. À quoi sert de former un syndicat si le but recherché est de discuter de la pluie et du beau temps?
[289] En résumé, les Lois 7 et 8 limitent la formation de syndicats en dépouillant de son sens la fonction même de ces associations dont le but ultime est de négocier des conditions de travail équitables pour leurs membres. Dire que leur existence n’est pas remise en question par les lois modificatives équivaut à dire que tant et aussi longtemps que leurs membres conservent la possibilité de se réunir pour discuter de choses et d’autres, les syndicats existent. Mais peut-on exister sans avoir une réalité En d’autres mots, sans la possibilité de négocier aux noms de leurs membres, les syndicats ont une vie purement végétative, sans fondement véritable.
(Les renvois ont été omis)
[75] En outre, il faut voir que, dans tous les instruments internationaux auxquels nous avons fait référence, l’affiliation est clairement reconnue comme une composante de la liberté syndicale. À l’article 8.1 a) du PIDESC , que le juge Bastarache cite dans l’arrêt Advance Cutting , l’affiliation est même présentée comme un « droit qu’a toute personne », étant entendu que, dans notre régime de monopole syndical, la règle de la majorité s’applique, comme nous l’avons exposé aux paragraphes 66 à 69.
[76] Et cette liberté syndicale, elle est « au cœur de la liberté d’association garantie par la Charte », comme l’écrit le juge Bastarache, dans l’extrait suivant de l’arrêt Dunmore :
37
La liberté syndicale est au cœur de la liberté d’association garantie
par la
Charte
. Elle est si centrale à l’al. 2
d)
que, pendant les
audiences qui ont précédé l’adoption de la
Charte
, le droit exprès de se
syndiquer a été écarté pour le motif qu’il était [TRADUCTION] «
couver[t
]
par les termes "libertés d’association", qui figurent dans la charte
» (je souligne) (voir
Procès-verbaux et témoignages du Comité mixte
spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada
,
Fascicule no 43, le 22 janvier 1981, p. 69-70 (Kaplan)). Dans le récent arrêt
Delisle, précité, le juge L’Heureux-Dubé fait observer que « la liberté
d’association doit être interprétée en fonction de la nature et de l’importance
des associations
de travailleurs
en tant qu’institutions oeuvrant pour
l’amélioration des conditions de travail et pour la protection de la dignité et
des intérêts collectifs des travailleurs dans un aspect fondamental de leur
vie : l’emploi » (par. 6 (souligné dans l’original)). Sa remarque faisait
écho à cette observation du juge en chef Dickson dans le
Renvoi relatif à
l’Alberta
, précité : « [l]e travail est l’un des aspects les plus
fondamentaux de la vie d’une personne, un moyen de subvenir à ses besoins
financiers et, ce qui est tout aussi important, de jouer un rôle utile dans la
société » (p. 368) voir dans le même sens
McKinney
c.
Université de
Guelph
,
38 En protégeant la liberté syndicale, l’al. 2 d) reconnaît la dynamique et l’évolution du rôle des syndicats dans la société canadienne. En plus de permettre l’expression collective des intérêts des travailleurs, les syndicats contribuent au débat politique. À l’échelle nationale, les syndicats prennent la défense de groupes défavorisés et donnent leur avis sur les politiques industrielles équitables. Considéré globalement, ce rôle atteint toutes les couches de la société et constitue une « partie intégrante d’une économie de marché démocratique » (voir K. Sugeno, « Les syndicats, institutions sociales dans les pays démocratiques à économie de marché » (1994), 133 Rev. Int. trav . 561, p. 570). (…)
[77]
Dans
le même arrêt, au par. 30, le juge écrit que «
dans
la mesure où les appelants veulent constituer et maintenir une association
d’employés, il ne fait aucun doute que leur recours ressortit à l’al. 2d) de la
Charte et à la protection qu’il confère.
» L’article
[78] En l’espèce, lorsqu’il stipule à l’article 69 de la Loi 15 que la section locale 573 n’est autorisée à continuer de représenter ses membres que jusqu’à « l’accréditation d’une autre association de salariés » et qu’il la disqualifie d’emblée du processus d’accréditation prévu pour permettre à ses membres de lui choisir un successeur, non seulement le législateur prive-t-il les salariés du choix de leur agent négociateur, mais il anéantit d’un trait l’association qu’ils ont formée et en laquelle ils ont toujours confiance, presque 30 ans plus tard, la privant de son objet. Compte tenu de ce qui précède, force est de conclure que le législateur porte ainsi atteinte à la liberté individuelle d’association de ses membres et que la disposition contestée constitue une entrave substantielle à leur droit à un processus de négociation, dont le libre choix de l’agent négociateur est une composante essentielle.
[79]
Il
va sans dire que la nature du travail des personnes visées par les présentes
requêtes est d’une importance primordiale pour déterminer si cette atteinte que
la disposition contestée porte à leur liberté d’association est justifiée en
regard de l’article
[80] Dans un premier temps, il y a lieu de s’attarder à la mission de la CCQ et aux pouvoirs que la Loi R-20 attribue à ces personnes :
4 . La Commission a pour fonction d'administrer la présente loi et notamment :
1° de veiller à l'application de la convention collective conclue en vertu de la présente loi ;
2° de vérifier et contrôler l'application de la présente loi et de ses règlements et notamment le respect des normes relatives à l'embauche et à la mobilité de la main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction;
3° de s'assurer de la compétence de la main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction;
4° d'organiser et surveiller la tenue du scrutin d'adhésion syndicale ou conclure une entente avec toute personne en vue de la mandater à cette fin et de constater la représentativité des associations visées à l'article 28;
5° de veiller, dans le cadre des politiques relatives à la main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction approuvées par le gouvernement, à l'application des mesures et des programmes relatifs à la formation professionnelle des salariés et des employeurs qui exécutent eux-mêmes des travaux de construction;
6° d'administrer des régimes complémentaires d'avantages sociaux conformément à la présente loi;
7° de maintenir un service de vérification des livres de comptabilité des entrepreneurs afin de contrôler et vérifier l'encaissement des cotisations et des prélèvements prévus par la présente loi ou par une convention collective conclue en vertu de la présente loi;
8° d'administrer le Fonds d'indemnisation des salariés de l'industrie de la construction institué par la section I du chapitre VIII.1;
9° d'administrer le Fonds de formation des salariés de l'industrie de la construction institué par la section II du chapitre VIII.1.
Dans l'exercice de ses fonctions, la Commission doit collaborer à la réalisation des engagements du gouvernement du Québec dans le cadre d'ententes intergouvernementales en matière de mobilité de la main-d'oeuvre ou de reconnaissance mutuelle des qualifications, compétences et expériences de travail dans des métiers et occupations de l'industrie de la construction; elle doit aussi viser l'élimination de tout travail non déclaré ou exécuté en contravention à la présente loi, collaborer aux efforts de prévention et de lutte contre la corruption dans la mesure que détermine la loi et, à la demande du ministre du Revenu, collaborer à l'application des lois fiscales dans l'industrie de la construction .
(…)
7 . Dans l'exercice de ses pouvoirs, la Commission peut, par elle-même ou une personne qu'elle désigne, enquêter sur toute matière de sa compétence .
La Commission, pour ses enquêtes, a les pouvoirs et les immunités d'un commissaire nommé en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête (chapitre C-37), sauf le pouvoir d'imposer une peine d'emprisonnement .
7.1 . La Commission ou toute personne qu'elle autorise à cette fin peut:
1° pénétrer à toute heure raisonnable dans un lieu où s'effectuent des travaux de construction ou dans un établissement d'un employeur;
2° exiger tout renseignement relatif à l'application de la présente loi ou de ses règlements ainsi qu'à celle de la Loi sur le bâtiment (chapitre B-1.1) ou de ses règlements en ce qui concerne la qualification des entrepreneurs et des constructeurs-propriétaires, de même que la communication pour examen ou reproduction de tout document s'y rapportant.
Toute personne autorisée à exercer les pouvoirs prévus au premier alinéa doit, sur demande, s'identifier et exhiber le certificat délivré par la Commission, attestant sa qualité.
(…)
7.3. La Commission peut, dans l'exercice des pouvoirs prévus à l'article 7.1, demander à toute personne qui exécute ou fait exécuter des travaux de construction de lui démontrer, d'une part, qu'elle est titulaire d'une licence appropriée délivrée en vertu de la Loi sur le bâtiment (chapitre B-1.1) et, s'il y a lieu, d'un certificat de compétence ou d'une preuve d'exemption approprié délivré en vertu de la présente loi et, d'autre part, que toute personne dont elle utilise les services pour l'exécution de travaux de construction ou qu'elle affecte à des travaux de construction est titulaire d'un tel certificat de compétence ou preuve d'exemption ou, s'il y a lieu, d'une telle licence.
Elle peut aussi, de la même manière, demander à
toute personne qui exécute ou fait exécuter des travaux de construction en
vertu d'un contrat public visé à l'article
La Commission formule sa demande par écrit et fixe un délai pour s'y conformer.
(…)
81. En vue d'assurer la mise à exécution d'une convention collective, la Commission peut:
(…)
e) à toute heure raisonnable, examiner le système d'enregistrement, le registre obligatoire et la liste de paie de tout employeur, en prendre des copies ou extraits, vérifier auprès de tout employeur et de tout salarié le taux du salaire, la durée du travail et l'observance des autres clauses d'une convention collective ;
f) à toute heure raisonnable et même au lieu du travail, requérir de tout employeur ou de tout salarié les renseignements jugés nécessaires ou exiger de ces personnes qu'elles fournissent ces renseignements par écrit à la Commission dans un délai de 10 jours francs suivant la remise d'une demande écrite à cet effet ou suivant le jour où cette demande leur est laissée par tout moyen approprié;
(…)
81.0.1. Malgré toute autre disposition de la présente loi, la Commission peut, au moyen d'une demande écrite à cet effet, requérir de toute personne visée à l'article 7.2 et de toute association qu'elles lui fournissent, par écrit ou de la manière indiquée par la Commission, dans un délai de 10 jours francs de l'expédition de cette demande, tout renseignement et copie de tout document conforme à l'original jugés nécessaires pour assurer l'exercice des fonctions de la Commission .
(Soulignement ajouté)
[81] Pour avoir une meilleure idée de ce que « vérifier et contrôler l’application de la présente lo i » peut vouloir dire, il apparaît opportun de reproduire certains de ses articles :
26.
1.
Toute
personne déclarée coupable
, au Canada ou ailleurs, de voies de faits
simples, de méfait, de voies de fait causant des lésions corporelles, de vol,
d'intimidation, d'intimidation de personnes associées au système judiciaire,
d'infraction à l'encontre de la liberté d'association, de harcèlement criminel,
de menaces, de menaces et représailles, de rédaction non autorisée de document,
de commissions secrètes, de trafic de substances en vertu de la Loi
réglementant certaines drogues et autres substances (L.C. 1996, c. 19),
d'importation, d'exportation ou de production en vertu de cette loi, de complot
pour commettre un de ces actes, d'un acte criminel prévu aux articles
À moins que la personne déclarée coupable ne bénéficie d'un pardon en vertu de la Loi sur le casier judiciaire (L.R.C. 1985, c. C-47), l'inhabilité prévue ci-dessus subsiste cinq ans après le terme d'emprisonnement fixé par la sentence; s'il y a eu condamnation à une amende seulement ou si la sentence a été suspendue, l'inhabilité subsiste durant cinq ans à compter de la condamnation.
2. Toute personne déclarée coupable, au Canada ou ailleurs, de meurtre, de tentative de meurtre, d'homicide involontaire coupable, de vol qualifié, d'extorsion, d'incendie criminel, de vol avec effraction, de fraude, d'enlèvement, de voies de fait graves, ou de complot pour commettre un de ces actes ne peut occuper une fonction de direction ou de représentation dans ou pour une association visée par l'un des paragraphes a à c .2 du premier alinéa de l'article 1 ou une association de salariés affiliée à une association représentative ni être élue ou nommée délégué de chantier, ni être membre du conseil d'administration de la Commission ou d'un comité formé en application de la présente loi.
(…)
31. Aucune publicité sous quelque forme que ce soit et aucune sollicitation ne peuvent être faites auprès des salariés en vue d'obtenir leur adhésion à une association de salariés sauf pour une période débutant le premier jour du douzième mois qui précède la date d'expiration de la convention collective prévue à l'article 47 et se terminant le jour qui précède celui du début de la période de vote .
Toute telle publicité et toute telle sollicitation doivent être faites en dehors du lieu de travail .
Quiconque contrevient au présent article commet une contravention et est passible des peines prévues aux articles 115 et 119.11.
(…)
57. Nulle association de salariés, nul dirigeant, délégué, agent d'affaires ou représentant d'une telle association ou nul salarié ne doit ordonner, encourager ou appuyer une grève ou un ralentissement de travail pendant la durée d'une convention collective ou y prendre part .
Ne constitue pas un ordre, un encouragement, un appui ou une participation à une grève ou à un ralentissement de travail visé dans le premier alinéa, le fait pour une association de salariés, un dirigeant, délégué, agent d'affaires ou représentant d'une telle association d'exercer un droit ou une fonction visé dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1).
(…)
98. Personne ne peut, au nom ou pour le compte d'une association de salariés, solliciter, pendant les heures de travail, l'adhésion d'un salarié à une association.
99. Une association de salariés ne doit tenir aucune réunion de ses membres au lieu du travail sans le consentement de l'employeur.
(…)
101. Nul ne doit intimider une personne ou exercer à son égard des mesures discriminatoires, des représailles ou toute menace ou contrainte ayant pour but ou pour effet de porter atteinte à sa liberté syndicale, de la pénaliser en raison de son choix ou de son adhésion syndical, de la contraindre à devenir membre, à s'abstenir de devenir membre ou à cesser d'être membre d'une association ou du bureau d'une association, de la pénaliser pour avoir exercé un droit lui résultant de la présente loi ou de l'inciter à renoncer à l'exercice d'un tel droit .
Contrevient au premier alinéa la personne qui, pour les fins ou raisons mentionnées à cet alinéa, notamment:
a) refuse d'embaucher, licencie ou menace de licencier une personne;
b) impose une mesure disciplinaire à un salarié, diminue sa charge de travail, le rétrograde, lui refuse l'avancement auquel il aurait normalement droit ou use de favoritisme à son égard dans tout mouvement de main-d'oeuvre ou dans la répartition du travail.
En outre, intimide une personne celui qui exerce des pressions de quelque façon que ce soit sur un tiers pour l'inciter à adopter l'un des comportements prohibés par le premier alinéa .
101.1. Une association de salariés ne peut, à l'égard des salariés qu'elle représente, agir de manière arbitraire ou discriminatoire dans les références qu'elle fait à des fins d'embauche.
102. Une association de salariés ne peut exercer des mesures discriminatoires contre un salarié pour la seule raison qu'il s'abstient d'adhérer à une association.
103. Il est interdit à un employeur de refuser d'embaucher un salarié pour la seule raison que ce dernier ne lui a pas été présenté par l'entremise d'une association de salariés ou du bureau de placement d'une telle association.
104. Il est interdit à une association de salariés de refuser d'accepter comme membre un salarié parce que ce dernier n'a pas été embauché par l'entremise du bureau de placement de cette association.
(…)
121. La Commission doit faire enquête chaque fois qu'une plainte écrite lui signale qu'une infraction a été commise à la présente loi .
(Soulignement ajouté)
[82] Ces précisions sur le mandat de la CCQ et les pouvoirs dont sont investies les personnes visées par les présentes requêtes, que nous désignerons sous le vocable « personnel d’enquête », même s’il serait plus juste de parler d’inspection et de vérification que d’enquête proprement dite, constituent en quelque sorte leur description de tâches prévue par la loi. Comme on le verra, en raison justement de leur appartenance à un syndicat affilié à la même centrale que plusieurs syndicats de la construction, dans les faits, certains mandats ont été confiés à des personnes non comprises dans l’unité de négociation pour laquelle la section locale 573 était accréditée, une unité pourtant censée regrouper « tous les salariés ».
[83] À l’époque du dépôt des présentes requêtes, le nombre de personnes visées se situe à environ 280. Elles sont titulaires de l’un ou l’autre des emplois suivants : technicien aux opérations (ou inspecteur aux livres), inspecteur (chantiers), coordonnateur à l’inspection, conseiller aux opérations, conseiller en techniques comptables, conseiller en techniques d’évaluation et conseiller en relations de travail. De fait, l’effectif est composé à presque 80 % d’inspecteurs aux livres et d’inspecteurs sur les chantiers.
[84] Le président des sections locales 573 et 611, monsieur Daniel Gamelin, a fait ses débuts à la CCQ le 29 avril 1991, en tant qu’inspecteur sur les chantiers, poste dont il est toujours titulaire. Il faut préciser cependant qu’en raison de ses fonctions syndicales, monsieur Gamelin a été libéré fréquemment de ses tâches d’inspecteur à compter du début des années 2000, et à temps complet, depuis son élection à titre de président, en janvier 2008.
[85] Monsieur Richard Massé, lui, est directeur de la Direction de l’inspection depuis 1995. Il a fait ses débuts à la CCQ comme inspecteur en 1986. Messieurs Massé et Gamelin décrivent de la même façon les principales attributions de l’inspecteur sur les chantiers, à savoir s’assurer que les travailleurs soient détenteurs d’un certificat de compétence, et les entrepreneurs, d’une licence d’entrepreneur, et que les heures de travail déclarées correspondent à celles réellement effectuées.
[86] Monsieur Massé ajoute que l’inspecteur doit aussi intervenir en cas de conflit de compétence entre les différents métiers de la construction et s’assurer du respect du ratio d’apprentis par compagnon. Ces éléments du témoignage de monsieur Massé ne sont pas contestés. Il n’y a pas non plus de divergences de vues sur le fait qu’il incombe également à l’inspecteur de s’assurer que les conditions de travail prévues à l’une ou l’autre des conventions collectives, selon les secteurs d’activité, soient respectées, dont celles portant sur la rémunération des heures supplémentaires, entre autres.
[87] Selon monsieur Massé, l’inspecteur n’est ni plus ni moins que « les yeux et les oreilles » de la CCQ sur les chantiers. Monsieur Gamelin n’est pas en désaccord avec cette affirmation. Il confirme en effet que le rôle de l’inspecteur est de « constater visuellement et faire rapport » de toute contravention à la loi, aux règlements ou à une convention collective.
[88] Monsieur Gamelin explique que l’inspecteur consigne ses observations à un rapport de chantier, qui constitue en quelque sorte sa recommandation. Il ajoute que ce rapport est transmis au coordonnateur de l’inspection, qui le remet à un inspecteur aux livres pour analyse. Si ce dernier estime qu’il a besoin d’un complément d’information, il s’adressera au coordonnateur à l’inspection qui, après avoir demandé l’avis de son gestionnaire, pourra demander à l’inspecteur de retourner sur le chantier pour compléter ses vérifications.
[89] Monsieur Gamelin souligne que le pouvoir décisionnel est toujours exercé par un cadre, ce qui n’est du reste pas contredit. Au contraire, monsieur Massé confirme que le travail de l’inspecteur est encadré par de nombreuses politiques et procédures, et que la fermeture d’un chantier, par exemple, ne peut être ordonnée qu’avec l’aval d’un gestionnaire.
[90] Monsieur Gamelin précise que chaque inspecteur se voit attribuer un territoire où il peut visiter des chantiers, soit à la demande d’un gestionnaire, en règle générale pour donner suite à une plainte ou à une dénonciation, soit de son propre chef, à partir d’une liste de chantiers mise à sa disposition. Il peut aussi décider d’« ouvrir un chantier », c’est-à-dire d’en visiter un qui n’est pas inscrit à la liste en question.
[91] Monsieur Massé souligne que le Projet de loi n o 135, intitulé Loi modifiant la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main d’œuvre dans l’industrie de la construction , (2005, ch. 42), (le Projet de loi n o 135 ), sanctionné le 13 décembre 2005, a modifié en profondeur le mandat de la CCQ en lui attribuant compétence pour enquêter sur toute plainte d’intimidation, de discrimination, de maraudage illégal, de ralentissement de travail illégal, de non-admissibilité au poste de délégué de chantier, etc.
[92] Il est en preuve que, pour réaliser ces nouveaux mandats, vu la situation évidente de conflit d’intérêts dans laquelle se serait trouvé son personnel d’enquête, à cause de son appartenance à un syndicat affilié à la FTQ, la CCQ décida de mettre sur pied une unité d’enquête spéciale, composée de non-syndiqués, tous investis des mêmes pouvoirs que les membres de son personnel d’enquête dit « régulier ».
[93] Il est aussi en preuve que les dirigeants de la CCQ ont rencontré leurs vis-à-vis de la section locale 573 pour les informer de leur intention de mettre sur pied une telle unité composée de personnel « hors convention ». Il n’est par ailleurs pas contesté que les représentants de la CCQ ont alors avisé leurs vis-à-vis que ce personnel pourrait également être appelé à mener des enquêtes de sécurité à l’interne, sur le personnel dit « régulier ». Aujourd’hui, la section locale 573 explique son absence de protestation à l’époque et son inaction subséquente, c’est-à-dire son défaut de s’adresser à la Commission pour lui demander de déclarer que ce nouveau personnel était compris dans son unité de négociation, par cette représentation des dirigeants de la CCQ.
[94] Monsieur Massé reconnaît que, dans les faits, il arrive que des membres de cette unité soient chargés d’enquêter sur le personnel, « mais de façon exceptionnelle », s’empresse-t-il d’ajouter, l’essentiel de leurs attributions consistant à effectuer les vérifications requises pour documenter les dossiers de plainte pour discrimination, intimidation, ralentissement de travail illégal, etc. En cas de débordement, comme lors de la vague de grèves illégales qui a déferlé sur le Québec à l’automne 2011, on fait appel aux cadres du siège social et des bureaux régionaux pour prêter main forte aux membres de cette unité spéciale, précise-t-il.
[95] Chose certaine, les dirigeants de la section locale 573 n’ont jamais pu ignorer que de larges pans de la description de tâches de ses membres, celle prévue par la loi s’entend, leur échappaient complètement, pour échoir à des cadres et à des personnes soi-disant non comprises dans son unité de négociation. Et jamais, à ce qu’il semble, la section locale 573 n’a-t-elle jugé bon agir pour faire respecter la clause d’exclusivité de tâches prévue à sa convention collective, une clause qui, à première vue, apparaît pourtant assez étanche pour faire obstacle à une telle pratique.
[96] Il faut dire qu’en une seule occasion, la CCQ demanda à son personnel d’enquête dit « régulier » d’intervenir pour faire respecter sur les chantiers un mandat moins traditionnel, si l’on peut dire, relativement à la publicité interdite en dehors de la période de changement d’allégeance syndicale, et que cette initiative se solda par un échec retentissant.
[97] Monsieur Massé relate en effet qu’à compter du mois de février 2006, alors que la période de maraudage devait débuter au mois de mai suivant, la CCQ a reçu beaucoup de plaintes d’associations représentatives concernant un calendrier de la FTQ-Construction qui circulait sur les chantiers et qu’elle a demandé à ses inspecteurs d’intervenir pour faire cesser cette publicité interdite par la loi. Or, le 1 er mars 2006, le président de la section locale 573 a écrit à ses membres qu’ils « n’avaient pas à jouer un rôle de surveillance sur les chantiers », mentionnant qu’on lui avait rapporté que des inspecteurs « avaient retiré des calendriers affichés par un syndicat de l’industrie » et enjoignant à ses collègues « de ne pas intervenir de quelques façons (sic) concernant l’adhésion syndicale . » Sa missive se terminait comme suit : « Notre rôle ne consiste pas à intervenir de cette façon sur les chantiers. S’i l’on exige de vous ce genre d’intervention, veuillez refuser et contacter votre responsable syndical immédiatement. Demeurons neutres et professionnels. »
[98] Il ne s’agit pas du seul geste posé par le président de la section locale 573 à l’époque qui témoigne de sa compréhension sujette à caution, pour dire le moins, du concept de neutralité.
[99] En effet, le 28 mars 2006, soit quelques semaines seulement après l’épisode des calendriers, le président d’une association représentative rivale de la FTQ-Construction adressait la lettre suivante au président-directeur général de la CCQ :
Monsieur le Président-directeur général,
J’ai été informé que le Syndicat des employés de la CCQ a fait un don de 1 500 $ à la FTQ-C. Afin d’aider cette dernière à l’occasion de la prochaine campagne de maraudage dans l’industrie de la construction.
J’aimerais vous rappeler que les employés de la CCQ sont payés par les travailleurs de l’industrie de la construction de toutes les centrales syndicales, ce qui constitue à mon avis, un conflit d’intérêt.
En conséquence, auriez-vous l’obligeance de prendre les moyens nécessaires qui s’imposent dans ce dossier? Je vous remercie à l’avance de votre attention.
Agréer, Monsieur le Président-directeur général, l’expression de mes meilleurs sentiments.
Le président,
(Reproduite telle quelle)
[100] Il faut présumer qu’il y eut intervention du président-directeur général à la suite de cette lettre puisque, le 21 avril suivant, égal à lui-même, le président de la section locale 573 lui adressait la lettre suivante :
Monsieur Ménard,
J’ai été informé par monsieur Michel Filion, lors d’une récente rencontre, que certains partenaires de l’industrie de la construction sont indisposés, voir choqués, par notre contribution de 1,500$ à la FTQ-C dans le cadre de la campagne de maraudage dans l’industrie de la construction.
Notre syndicat, SEPB section locale 573, est affilié au SEPB Québec qui lui, fait partie de la grande famille FTQ, tout comme le syndicat FTQ-C . À l’occasion du dernier conseil général de la FTQ qui a eu lieu le 18 février 2006, monsieur Henri Massé, président de la FTQ, a proposé la création d’un fonds de solidarité de 150,000$ pour supporter la FTQ-C lors du prochain maraudage.
Spontanément, et comme le plupart des représentants syndicaux qui étaient présents, j’ai répondu positivement à cette demande, comme j’ai répondu à la demande de la FTQ pour supporter le TUAC dans leur lutte contre Walmart.
Je trouve malheureux que ce geste de solidarité syndicale puisse créer des doutes quant à notre impartialité . Au sein de notre syndicat, il y a des membres qui proviennent de l’industrie de la construction. Nous défendons leurs intérêts avec la même vigueur, peu importe leur allégeance syndicale précédente.
Notre Syndicat et les membres que je représente, vous assurent de notre professionnalisme, notre impartialité et de notre sens de l’éthique .
Je vous prie d’accepter, Monsieur Ménard, l’assurance de mes salutations les plus cordiales.
(Reproduite telle quelle, à l’exception du soulignement qui a été ajouté)
[101] Il ressort du témoignage de monsieur Massé que la création de cette unité spéciale d’enquête constituait, pour la CCQ, une situation de pis-aller, compte tenu d’un contexte historique dont le législateur ne s’était apparemment pas soucié en lui confiant ces mandats. « On a toujours eu à l’esprit qu’éventuellement, un enquêteur syndiqué pourrait collaborer. (…) On souhaiterait être supporté par nos forces régulières », déclare-t-il en effet.
[102] Monsieur Massé témoigne également de l’évolution des mandats de la CCQ depuis 2005. Il déclare que la CCQ a reçu cette année-là le mandat de collaborer à la lutte à l’évasion fiscale, ce qui a donné lieu à la mise sur pied de l’initiative ACCÈS CONSTRUCTION, l’acronyme signifiant actions concertées pour contrer l’économie souterraine, où les forces dites régulières furent appelées à collaborer avec d’autres organismes, dont la Sûreté du Québec, dans l’atteinte de cet objectif commun. Puis, en 2009, les forces régulières furent aussi appelées à collaborer à l’Escouade Marteau de la Sûreté du Québec, de concert avec le ministère du Revenu, le Service de police de la Ville de Montréal et la Régie du bâtiment.
[103] Enfin, à compter de 2010 et de façon progressive, il y eut mise sur pied, au sein même de la CCQ, d’une Escouade tactique dont le mandat consiste à détecter la fausse facturation et les situations potentielles de blanchiment d’argent ainsi que l’infiltration du crime organisé dans l’industrie. Encore une fois, parce qu’on n’avait pas le choix, laisse entendre monsieur Massé, on a fait appel aux forces dites régulières pour constituer cette équipe.
[104] À l’étape des plaidoiries, la section locale 573 fera valoir que, dans la foulée de la mise sur pied de l’Escouade tactique, les parties ont négocié des aménagements visant, entre autres, à assurer la confidentialité de l’information. Ce fait n’a pas été établi. Les seuls éléments pertinents de l’entente versée en preuve portent sur le caractère volontaire de l’adhésion à l’équipe, le choix des candidats, laissé à la discrétion de la CCQ, et l’engagement de cette dernière de dispenser la formation idoine à tous.
[105] Monsieur Benoît Thibault, qui dirige cette Escouade tactique depuis sa création officielle, en mai 2011, en explique la composition et le fonctionnement. Il précise que l’Escouade tactique dépend pour une large part des observations des inspecteurs qui « nous présentent des cas au comité de triage ». Le témoin précise que des enquêtes sont aussi entreprises sur dénonciation. Et si l’inspecteur aux livres membre de l’Escouade l’estime nécessaire, on pourra demander à un inspecteur d’aller observer sur le chantier, ajoute-t-il.
[106] Interrogé sur les rapports que les inspecteurs peuvent être appelés à entretenir avec des délégués ou représentants syndicaux, dans le cadre de leurs fonctions, et appelé à préciser dans quels cas un conflit d’intérêts prenant sa source dans leur allégeance syndicale serait susceptible d’intervenir, monsieur Thibault évoque certaines situations hypothétiques où, selon lui, l’inspecteur « pourrait fermer les yeux », par exemple, les conditions supérieures à celles prévues à la convention collective qu’un syndicat aurait arrachées par les menaces ou l’intimidation, à cause de sa position dominante en tant que représentant des ouvriers d’un métier en particulier et du contrôle qu’il exercerait sur le placement.
[107] Monsieur Thibault évoque également les pressions que le représentant d’un syndicat qui a dispensé le cours obligatoire de santé et de sécurité au travail à un nouveau salarié pourrait exercer sur l’inspecteur qui constate que ce salarié n’a pas encore sa carte de compétence, lui laissant entrevoir que l’employeur s’est engagé verbalement à lui fournir la lettre de garantie d’heures requise et que, par voie de conséquence, la situation du salarié en question, un futur membre de ce syndicat, selon toute vraisemblance, devrait se régulariser d’elle-même sous peu.
[108] Monsieur Thibault va même jusqu’à évoquer la possibilité qu’un inspecteur, par solidarité syndicale, se garde de faire état des soupçons qu’il entretient sur la présence du crime organisé dans l’entreprise. Il souligne aussi que, de nos jours, le rôle que jouent les syndicats dans l’industrie n’est pas univoque, certains syndicats présents dans l’industrie ou fonds d’investissements syndicaux ayant un intérêt financier dans la réalisation de projets immobiliers.
[109] À l’étape des plaidoiries, la section locale 573 invitera la Commission à ne pas accorder trop de poids à ce témoignage de monsieur Thibault, à cause de son expérience plutôt limitée du travail effectué par le personnel d’enquête. On ne peut cependant que constater qu’aucun de ses membres ne fut appelé à témoigner pour qualifier les hypothèses soulevées par monsieur Thibault de pures vues de l’esprit.
[110] Il ne s’agit pas de revenir sur la disposition contestée ou de traiter des autres dispositions de la Loi 15 qui sont susceptibles d’avoir une incidence sur la section locale 573, mais plutôt de s’attarder à l’objet même de la loi et à son impact sur la CCQ.
[111] Dans le jugement dont de larges extraits sont cités au paragraphe 10 de la présente décision, la Cour supérieure y va déjà d’une présentation sur l’objet de la loi et ses principales dispositions. Il apparaît tout de même opportun de s’attarder à certaines d’entre elles. Ainsi, il faut noter qu’à son article 2, la loi définit un acte répréhensible comme suit :
2. Pour l'application de la présente loi, on entend par acte répréhensible:
1 une contravention à une disposition d'une loi fédérale ou du Québec ou à un règlement pris en application d'une telle loi, si cette contravention implique de la corruption, de la malversation, de la collusion, de la fraude ou du trafic d'influence dans, entre autres , l'adjudication, l'obtention ou l'exécution des contrats octroyés dans l'exercice des fonctions d'un organisme ou d'une personne du secteur public ;
2° un usage abusif des fonds ou des biens publics ou un cas grave de mauvaise gestion en matière contractuelle dans le secteur public;
3° le fait d'ordonner ou de conseiller à une personne de commettre un acte répréhensible prévu aux paragraphes 1° et 2° .
(Soulignement ajouté)
[112] À l’article 59 de la Loi 15, le législateur ajoute aux mandats de la CCQ celui de « collaborer aux efforts de prévention et de lutte contre la corruption dans la mesure que détermine la loi ». Pour ce faire, la loi prévoit la création, au sein de la CCQ, d’une unité autonome de vérification. Les dispositions pertinentes relatives à cette unité se lisent comme suit :
60. Cette loi est modifiée par l’insertion, après l’article 15, de ce qui suit :
- Unité autonome de vérification
15.1. Une unité autonome de vérification est instituée au sein de la Commission.
15.2.
L'unité
autonome est chargée d'effectuer, dans l'industrie de la construction, des
vérifications menées sous la coordination du commissaire associé aux
vérifications nommé suivant l'article
15.3. Les membres du personnel de la Commission affectés à l'unité autonome y exercent leurs fonctions de manière exclusive . Ils peuvent exercer les pouvoirs prévus aux articles 7, 7.1 et 7.3, aux paragraphes e et f du premier alinéa de l'article 81 et à l'article 81.0.1.
15.4. L'administration de l'unité autonome relève du président de la Commission, en sa qualité de directeur général de la Commission. Il peut toutefois déléguer tout ou partie de cette fonction à un membre du personnel de la Commission .
Le président de la Commission ne rend compte de l'administration de l'unité autonome qu'au commissaire à la lutte contre la corruption.
15.5. Une entente de fonctionnement relative à l'unité autonome est conclue entre le ministre de la Sécurité publique, le ministre du Travail, le commissaire à la lutte contre la corruption et la Commission. Cette entente prévoit notamment les mesures destinées à assurer, au sein de la Commission et y compris à l'égard des membres du conseil d'administration de la Commission, la confidentialité des activités de l'unité autonome ainsi qu'à définir la collaboration que les membres du personnel de la Commission non affectés à cette unité doivent lui offrir .
15.6. Les dépenses relatives aux activités de l'unité autonome, y compris les traitements, allocations, indemnités et avantages sociaux du personnel qui y est affecté, sont financées sur les crédits accordés au commissaire à la lutte contre la corruption. Ce financement est assuré conformément aux modalités déterminées par l'entente prévue à l'article 15.5.
15.7.
Aux fins du
calcul de tout délai de prescription dont la présente loi détermine qu'il
commence à courir à compter de la connaissance d'un fait par la Commission, un
fait à la connaissance d'un membre de l'unité autonome est présumé ne pas être
à la connaissance de la Commission, sauf si cette dernière en a été informée
par le commissaire associé aux vérifications nommé suivant l'article
(Soulignement ajouté)
[113] À l’article 8 de la Loi 15, le législateur institue la charge de commissaire associé aux vérifications, à qui incombe la responsabilité « d’assurer, avec l’indépendance que la présente loi lui accorde, la coordination des équipes de vérification désignées par le gouvernement ». Les fonctions de ce commissaire associé aux vérifications sont énumérées à l’article 10 de cette même loi :
10. Le commissaire associé a pour fonction:
1° de coordonner les activités de toute équipe de vérification désignée par le gouvernement;
2° de s'assurer que les équipes de vérification accomplissent leur mandat dans leur domaine de compétence respectif;
3° d'informer le commissaire lorsqu'il croit qu'une affaire sous vérification devrait plutôt faire l'objet d'une enquête ou d'une poursuite relative à une infraction pénale ou criminelle à une loi fédérale ou du Québec.
[114] En ce qui concerne ces équipes de vérification, dont l’unité autonome de vérification créée au sein de la CCQ, la Loi prévoit ce qui suit :
15. Les équipes de vérification désignées par le gouvernement continuent d'accomplir leur mandat auprès de leur ministère ou organisme respectif dans leur domaine de compétence , conformément aux responsabilités et aux pouvoirs qui leur sont conférés en vertu de la loi. Elles doivent en outre:
1° informer le commissaire associé lorsqu'elles croient qu'une affaire sous vérification devrait plutôt faire l'objet d'une enquête ou d'une poursuite relative à une infraction pénale ou criminelle à une loi fédérale ou du Québec;
2° faire rapport au commissaire associé, dans les dossiers transmis par ce dernier, des suites qui y ont été données.
(…)
17. Le commissaire, les membres de son personnel, le commissaire associé et les équipes de vérification ou d'enquête désignées par le gouvernement peuvent, dans l'exercice de leurs fonctions et dans le respect des exigences constitutionnelles en matière de vie privée, se communiquer des renseignements , et ce, malgré la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1) et toute autre restriction de communication prévue par d'autres lois du Québec.
(Soulignement ajouté)
[115] Enfin, à l’article 62 , le législateur modifie la Loi R-20 pour y ajouter la disposition suivante, qui s’applique non seulement aux membres de l’unité autonome de vérification mais à tout le personnel d’enquête de la CCQ :
85.0.1. Un salarié de la Commission doit, pour être autorisé à exercer un pouvoir visé par l'article 85, satisfaire aux conditions suivantes:
1° être de bonnes moeurs;
2° ne pas avoir été reconnu coupable, en quelque lieu que ce soit, d'une infraction pour un acte ou une omission qui constitue une infraction au Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46) ou une infraction visée à l'article 183 de ce code créée par l'une des lois qui y sont énumérées, ayant un lien avec l'emploi.
[116]
En application
du nouvel article
[117]
Même s’ils
travaillent physiquement dans les locaux de l’UPAC, les membres de cette unité
continuent de relever de la CCQ, à cette différence près qu’ils relèvent
dorénavant directement de la présidente, ou plutôt de la personne déléguée par
elle pour assumer cette fonction, et que la présidente ne doit pas rendre
compte de l’administration de leur unité au conseil d’administration paritaire
de la CCQ. Tel que prévu au nouvel article
[118]
À la date de la
dernière audience, l’entente de fonctionnement dont il est question au nouvel
article
[119] Depuis la mise sur pied de l’unité autonome de vérification, le cadre qui y est affecté a eu recours en une seule occasion à un membre du personnel d’enquête de la CCQ pour faire des visites de chantiers. Monsieur Thibault précise qu’il s’est adressé à un inspecteur faisant partie de l’Escouade tactique.
[120] Le commissaire associé aux vérifications déclare que le rôle des équipes de vérification de la CCQ et de la Régie du bâtiment du Québec consiste à débusquer les actes répréhensibles qui pourraient être commis non pas à l’étape de l’octroi des contrats publics, mais à l’occasion de la réalisation des travaux : « H eures non déclarées, faux contrats, etc. » Il insiste sur le fait que les membres de l’unité autonome de vérification « doivent pouvoir, au besoin, utiliser leurs collègues pour aller vérifier des choses sur le chantier », scénario qui a l’avantage de ne pas mettre la puce à l’oreille des suspects sur une intervention de l’UPAC dans leur dossier, les interventions du personnel d’enquête régulier de la CCQ étant monnaie courante sur les chantiers.
[121]
Tel qu’il
ressort de la preuve testimoniale, même si les membres de son personnel
d’enquête affectés à l’UPAC «
y exercent
leurs fonctions de manière exclusive
», pour reprendre les termes du
nouvel article
[122] Si le Projet de loi 15 a été parrainé par le ministère de la Sécurité publique, le ministère du Travail a été associé de près à son élaboration. Pour établir les éléments de réflexion dont le législateur a tenu compte, le Procureur général a fait entendre deux des principaux architectes de ce projet de loi, à savoir monsieur Louis Morneau, directeur de la sécurité de l’État et directeur général des affaires policières, au sein du ministère de la Sécurité publique, et monsieur Normand Pelletier, sous-ministre adjoint aux politiques et à la recherche du ministère du Travail. Monsieur Pelletier a aussi été membre indépendant du conseil d’administration paritaire de la CCQ de 2002 à 2011, désigné par le ministère du Travail.
[123] Monsieur Morneau insiste sur le fait que, dans une organisation comme I’UPAC, où doivent collaborer des équipes de vérification et des équipes d’enquête, ces dernières étant composées en partie de policiers, reconnus pour être « jaloux de leur information », « le partage de l’information est le nerf de la guerre ». Or, pour favoriser un tel partage, celui qui détient l’information doit avoir un degré de confiance élevé à l’égard de la personne avec laquelle il est censé la partager et, de façon plus générale, à l’égard de l’organisation qui emploie cette personne, poursuit-il.
[124]
C’est donc dans
le but de s’assurer que la confiance règne au sein de l’UPAC que le ministère
de la Sécurité publique a insisté pour que les membres de l’unité autonome de
vérification de la CCQ fassent l’objet d’une enquête de sécurité, d’où
l’exigence de bonnes mœurs et de dossier vierge, qui s’est traduite par le
nouvel article
[125] Pour la même raison, mais dans la perspective de renforcer les garanties institutionnelles d’indépendance et d’impartialité, le ministère de la Sécurité publique a insisté pour que la future unité autonome de vérification soit « dissociée du conseil d’administration de la CCQ et rattachée uniquement à la présidence », à cause « du mode de financement de la CCQ, de son conseil d’administration paritaire » et des allégations impliquant la FTQ-Construction étalées dans les médias ainsi que des accusations de fraude portées contre un de ses ex-dirigeants, de souligner le témoin.
[126] Il va sans dire que, dans ce contexte, l’affiliation du syndicat représentant le personnel d’enquête de la CCQ à la FTQ posait un réel problème, de poursuivre monsieur Morneau.
[127] En réponse à une question du procureur de la section locale 573, monsieur Morneau confirme que, selon son entendement, les enquêtes portant sur des plaintes d’intimidation ou de discrimination sont du ressort du personnel d’enquête dit régulier de la CCQ.
[128] Monsieur Pelletier précise que les discussions avec le ministère de la Sécurité publique concernant « le volet CCQ » du Projet de loi 15 ont débuté environ un an avant sa sanction, « dans un contexte d’allégations de fraude, de collusion, de corruption et de malversation, incluant les associations représentatives ». « On voulait s’assurer que le personnel de la CCQ ne viendrait pas miner la crédibilité de l’UPAC et diminuer la confiance du public, en raison d’un lien avec des organisations identifiées publiquement comme pouvant avoir joué un rôle dans les problématiques identifiées dans l’industrie », déclare-t-il.
[129] Monsieur Pelletier ajoute que le pluralisme syndical, qui est une des caractéristiques de l’industrie de la construction, a aussi été pris en considération, ce facteur militant en faveur d’un plus haut degré d’indépendance et exigeant que le personnel d’enquête apparaisse neutre auprès des acteurs de l’industrie.
[130] Monsieur Pelletier aborde ensuite les différents scénarios qui ont été envisagés par le ministère du Travail, à savoir : 1) interdire l’affiliation non seulement au personnel d’enquête, mais à tous les employés de la CCQ; 2) priver les quatre membres de l’unité autonome de leur droit de se syndiquer; 3) les exclure de l’unité de négociation existante tout en leur laissant le droit d’adhérer à un syndicat non affilié, dans une unité de négociation distincte; 4) celui qui a finalement été retenu.
[131] Monsieur Pelletier ne cache pas que le ministère du Travail « avait aussi une préoccupation à l’égard de la confiance du public sur le régime de relations de travail et la CCQ [en général] », préoccupation qu’il aurait sans doute dû avoir dès 2005, à l’époque de l’adoption du Projet de loi n o 135, doit-on comprendre. Il précise que cette préoccupation avait néanmoins « un effet indirect sur l’UPAC », puisque celle-ci devait pouvoir compter sur la collaboration du personnel d’enquête régulier de la CCQ pour réaliser les mandats que le législateur avait l’intention de lui confier. « Les inspecteurs de la CCQ sont toujours les yeux de l’UPAC », lance-t-il. Il faut en effet souligner qu’à la date de la dernière audience, l’unité autonome de vérification de la CCQ ne comptait aucun inspecteur sur les chantiers.
[132] Pour ces motifs, et à cause de considérations d’ordre administratif, comme la volonté de « susciter un attrait » pour l’unité autonome et de favoriser le retour de ses membres dans la force régulière sans perte de leurs droits — des considérations qui, à elles seules, n’auraient pas pesé bien lourd dans la balance pour justifier une atteinte à une liberté garantie par les chartes, il faut le dire —, les scénarios 2 et 3 furent écartés. Monsieur Pelletier ajoute qu’« on savait que l’information circulerait dans les deux directions » et qu’on avait pour objectif « d’assurer la confiance du public à l’égard de ces deux institutions », à savoir l’UPAC et la CCQ dans son ensemble, pour ce qui est de son personnel d’enquête à tous le moins. Puisque le scénario 1 eût été plus attentatoire, nous ne nous y attarderons pas.
[133] Monsieur Pelletier, qui, faut-il le rappeler, a été membre du conseil d’administration de la CCQ pendant une décennie ou presque, explique par l’existence d’un conseil d’administration paritaire à la CCQ et le volet « relations de travail » des tâches et responsabilités de son personnel d’enquête que seul ce dernier fut ciblé, et non pas les salariés de la Régie du bâtiment du Québec affectés à l’UPAC, par exemple.
[134] Monsieur Pelletier rappelle qu’un membre du personnel d’enquête de la CCQ « peut intervenir en cas de conflit entre les parties ou les associations ». Or, « dans le domaine du travail, la neutralité d’un tiers est gage de sa crédibilité », déclare-t-il. Enfin, monsieur Pelletier souligne qu’on a vérifié l’affiliation des syndicats qui représentaient des salariés susceptibles d’être affectés à l’UPAC, pour constater qu’aucun autre n’était affilié à une centrale syndicale.
[135] Monsieur Pelletier y va d’un laïus sur les écueils du paritarisme à la CCQ. Il précise que cette forme de gouvernance a pour effet pervers d’imposer une présence importante des représentants des parties, et plus particulièrement des représentants syndicaux, dans les murs de la CCQ, au quotidien. Il déclare qu’il y a en effet « une multitude de comités internes », réunissant pas moins de « 600 représentants de l’industrie ». Selon monsieur Pelletier toujours, le fait que ces associations désignent des membres du conseil d’administration « leur confère une crédibilité plus grande auprès du personnel administratif de la CCQ ».
[136] Comme on le verra, le législateur est intervenu quelques mois plus tard, avec l’adoption de la Loi 33, relativement aux règles de gouvernance de la CCQ. Monsieur Pelletier déclare que, lors des discussions avec le ministère de la Sécurité publique, ce fut tout de même « une des questions soulevées, dans tout le contexte médiatique décrit ».
[137] En réponse à une question du procureur de la section locale 573, monsieur Pelletier confirme par ailleurs avoir tiré la conclusion que le personnel d’enquête de la CCQ était appelé à intervenir en matière de relations de travail de sa propre analyse de la loi et des règlements, plus particulièrement des dispositions traitant du « rôle et des responsabilités » de l’organisme. Monsieur Pelletier confirme également qu’au ministère du Travail, on n’ignorait pas que, dans les faits, « les dossiers possiblement plus litigieux » étaient traités par « un petit groupe d’enquêteurs non syndiqués ».
[138] Comme élément du contexte dans lequel fut adoptée la Loi 15, le Procureur général et la CCQ attirent notre attention sur le fait que, depuis 2009, les médias font leurs choux gras d’allégations de toutes sortes sur la corruption, la collusion et l’infiltration du crime organisé dans l’industrie de la construction. Ils ajoutent que certaines de ces allégations, fondées ou non, laissent planer des doutes sur la neutralité de la CCQ et de sa Direction de l’inspection, minant sa crédibilité dans la population en général et peut-être aussi au sein de l’UPAC.
[139] Le Procureur général verse au dossier deux revues de presse, préparées respectivement par le ministère du Travail et le ministère de la Sécurité publique. À l’étape des plaidoiries, les requérants occulteront complètement cette preuve contextuelle.
[140] Il est certes toujours un peu délicat pour un tribunal de fonder en partie son appréciation d’une situation sur des articles parus dans les médias. En effet, même si leurs auteurs rapportent des faits, ceux-ci n’ont pas été prouvés devant le tribunal, et la partie adverse n’a pas eu non plus l’occasion de les contredire. Et c’est sans compter que plusieurs de ces articles versés au dossier ne font état que d’allégations. Il n’en reste pas moins que, lorsqu’il s’agit comme en l’espèce d’établir l’existence d’un contexte, et non pas la véracité des faits ou le fondement des allégations, leur pertinence ne fait pas de doute.
[141] Il serait évidemment fastidieux de revenir sur chacun des articles versés au dossier. Aussi, pour les besoins de la cause, qu’il nous suffise de donner quelques exemples, selon les thèmes abordés.
[142] Dans plusieurs articles, on fait référence à des actes répréhensibles qui auraient été commis par des dirigeants ou représentants d’associations représentatives ou de syndicats de la construction, ou encore à leurs accointances suspectes avec des personnes soi-disant proches du crime organisé, la FTQ-Construction et ses affiliés étant presque toujours les cibles de ces allégations.
[143] Le cas le plus notoire est certainement celui d’un ex-directeur général de la FTQ-Construction accusé de fabrication de faux documents et de fraude contre sa propre organisation, relativement au remboursement de ses frais de représentation — incluant des reçus de repas où apparaît le nom d’une personne ayant déjà été condamnée à quinze ans de réclusion pour trafic de drogue —, et accusé également « d’avoir conseillé à un ancien secrétaire-trésorier de la FTQ-Construction de fabriquer une fausse facture de 11 300 $ pour payer des rénovations au domicile d’(…), l’actuel président du syndicat » ( La Presse , le 10 juin 2010).
[144] Le même jour, dans le même quotidien, on rapporte que le véhicule du président en question, qui aurait bénéficié desdits travaux de rénovation, a été incendié et que l’enquête sur l’incendie a été transférée à l’Escouade Marteau de la Sûreté du Québec. Dans l’édition du 19 janvier 2011 du même quotidien, on cite ce même président qui aurait déclaré que « le crime organisé est présent dans l’industrie et dans les syndicats », pour ensuite atténuer son propos et ajouter qu’il ne faisait référence à aucun incident dont il aurait eu une connaissance personnelle.
[145] Dans d’autres articles, on évoque de prétendues contraventions à la loi et aux règlements que la CCQ est chargée de faire respecter depuis sa création. Par exemple, le 11 juillet 2010, dans Cyberpresse , on rapporte qu’un dirigeant de la FTQ-Construction fait face à six chefs d’accusation pour avoir lui-même travaillé comme entrepreneur sans licence. Et, dans l’édition du 3 novembre 2009 du quotidien La Presse , il est écrit qu’un représentant d’un syndicat affilié à la FTQ-Construction a été arrêté pour avoir, entre autres, facilité l’obtention de cartes de compétence. On laisse clairement entendre que le représentant en question aurait agi de la sorte pour faciliter les choses au chef d’une bande de motards criminalisés « qui tentait de former un consortium en maçonnerie pour blanchir de l’argent », en ayant recours aux menaces et à l’intimidation pour faire embaucher « ses hommes ».
[146] Dans l’édition du 17 février 2011 du quotidien Le Devoir , il est écrit que la FTQ-Construction vient d’obtenir « le retrait » du président d’un de ses syndicats affiliés « pour ses liens avec la mafia italienne ». Dans l’édition du 18 mars 2011 du Journal de Québec , il est écrit que le même individu a été « réélu par acclamation » à la tête de son syndicat.
[147] Le Fonds de solidarité de la FTQ, un fonds d’investissements syndical, est aussi la cible de certaines allégations, de même qu’un syndicat affilié à la FTQ-Construction ayant contribué au financement de projets immobiliers, en prêtant des sommes provenant de la caisse de retraite de ses membres.
[148] Ainsi, le 10 juin 2010 sur le site web de Radio-Canada, on pouvait lire ce qui suit :
Une perquisition a été effectuée dans l’édifice de la FTQ, plus précisément dans les bureaux du Fonds de solidarité, dans le cadre d’une enquête sur le blanchiment d’argent dans des compagnies de construction. Les bureaux du syndicat des métiers de la truelle, affilié à la FTQ-Construction, ont aussi été perquisitionnés le 12 mai, avant qu’une nouvelle perquisition ne soit menée deux jours plus tard dans les bureaux de la Solim, le bras immobilier du Fonds de solidarité FTQ à Montréal.
[149] Dans les éditions papier et électronique de La Presse du 26 octobre 2010, on peut lire qu’en 2008, le directeur général de la FTQ-Construction, celui-là même qui fut plus tard accusé de fraude, aurait servi d’émissaire à une société qui cherchait à obtenir 5 millions de dollars de financement du Fonds de solidarité de la FTQ, la société en question comptant parmi ses actionnaires « le frère d’un ex-trafiquant et représentant de la FTQ assassiné en 2005, qui était un bon ami de (…) [le directeur-général de la FTQ-Construction à l’époque] ».
[150] Le 11 novembre 2010, sur le site web de Radio-Canada, ont peut lire que « des proches de la mafia, des dirigeants de la FTQ » et un homme d’affaires connu pour avoir été propriétaire d’un yacht luxueux où d’aucuns auraient séjourné à peu de frais « ont acheté des condos dans une tour financée par un prêt illégal fait à même la Caisse des travailleurs d’un syndicat de la FTQ-Construction », un prêt de 3,75 millions, précise-t-on. On peut ensuite lire le commentaire suivant d’un expert en crimes financiers interrogé par le journaliste : « Les liens nombreux entre les différents individus, ça suggère tout de suite le privilège, le favoritisme. Je dirais, pour faire image, [que] c’est un condo d’arrangements. »
[151] Dans un communiqué de presse publié le même jour, le directeur général du syndicat en question s’insurge contre le fait que le journaliste ait qualifié d’illégal ce prêt consenti au promoteur du projet, précisant que, « bon an, mal an », le syndicat qu’il dirige fait « une vingtaine de placements semblables », à des conditions avantageuses pour ses membres, ajoute-t-il.
[152] D’autres allégations étalées dans les médias portent sur l’apparence d’une trop grande proximité entre la CCQ et la FTQ-Construction. Ainsi, dans l’édition du 21 janvier 2011 du Journal de Québec , on peut lire qu’« en pleine crise médiatique, la FTQ-Construction a voulu trouver des candidats, en novembre 2009, pour occuper des postes au sein d’une escouade qui collabore à l’opération Marteau », et qu’un dirigeant de la FTQ-Construction aurait « invité les membres de son exécutif à trouver des candidats qualifiés pour ces postes et à soumettre leur candidature le plus tôt possible à la FTQ-Construction plutôt que de les adresser directement à la CCQ ». Le journaliste ajoute qu’à cette époque, le dirigeant en question « ne pouvait pas ignorer que certains de ses membres étaient dans la mire des policiers ».
[153] Par ailleurs, dans La Presse du 13 mars 2010, on peut lire qu’une vingtaine de cadres de la CCQ auraient participé au tournoi de golf annuel de la FTQ-Construction. Et dans l’édition du 30 mars du quotidien Le Soleil , il est écrit qu’un membre de la direction de la FTQ-Construction, alors qu’il était dirigeant d’une association représentative rivale, avait offert « des billets pour des matchs du Canadien de Montréal et d’autres cadeaux à des membres de la CCQ », pour « obtenir une meilleure collaboration des dirigeants de la CCQ ». Cet investissement ne semble pas avoir porté fruits, puisqu’il fut plus tard accusé d’avoir lui-même travaillé comme entrepreneur sans licence.
[154] Cela dit, les informations qui ont été publiées relativement aux liens familiaux entre des dirigeants syndicaux, de la FTQ-Construction principalement mais aussi d’autres associations représentatives, et les membres de la direction et du personnel de la CCQ ont clairement volé la vedette aux autres reportages, si l’on peut dire. Ces liens sont étalés en long et en large dans les éditions du Journal de Québec et de La Presse du 29 mars 2010. Il n’y a pas lieu de s’y attarder dans le détail, si ce n’est pour rapporter les propos attribués à monsieur René Villemure, présenté comme le président de l’Institut en éthique appliquée du Québec, qui fut appelé par le journaliste à commenter ces informations :
Je suis inquiet, j’ai des doutes, (…). Je me dis que c’est un paquet de coïncidences et ça n’arrive jamais seul. La Commission de la construction, (…), est un organisme de surveillance qui dispose de grands pouvoirs. Elle peut pénétrer sur un chantier, elle peut faire des vérifications. Avec ces grands pouvoirs vient une exigence d’exemplarité et, dans ce cas-là, ça ne me semble pas être au rendez-vous.
Un peu plus loin, le journaliste ajoute que monsieur Villemure suggère qu’« il y a un risque, qui ne s’est peut-être pas matérialisé, mais qui est bien réel ».
[155] Dans le même article de La Presse qui traite de ces liens familiaux, il est écrit que, selon Radio-Canada, « la FTQ-Construction serait au cœur d’une affaire de falsification de documents », que « deux des formateurs de la FTQ ont été suspendus après avoir présumément falsifié des cartes de compétence », qu’« il y aurait un échange d’argent dans cette affaire » et que « l’un des formateurs suspendus (…) ferait face à des accusations criminelles relatives à cette pratique ».
[156] L’affaire du don de 1 500 $ de la section locale 573 à la FTQ-Construction pour l’aider dans sa campagne de maraudage a elle aussi été rendue publique. Ainsi, dans l’édition du 5 mai 2011 du quotidien La Presse , on peut lire que ce don « a déclenché l’ire d’un syndicat concurrent et suscité le malaise du président de la CCQ ». « L’affaire qui remonte à 2006, apporte de l’eau au moulin de ceux qui soutiennent que la FTQ-Construction jouit d’une certaine influence auprès de l’organisme chargé de réglementer l’industrie. La situation est d’autant plus complexe que les quelque 850 employés de la CCQ sont affiliés à la FTQ par l’entremise du Syndicat des employés professionnels et de bureau (SEPB). Cela inclut les inspecteurs chargés de la police dans les chantiers ainsi que de la lutte contre l’intimidation et le travail au noir », de poursuivre l’auteur de cet article.
[157] Enfin, puisqu’il est beaucoup question de perception, deux éditoriaux méritent qu’on s’y attarde, publiés respectivement dans l’édition du 31 mars 2011 du quotidien Le Droit et dans celle du 16 mai suivant du Devoir . Les deux traitent de la décision de la nouvelle présidente de la CCQ d’imposer à tous les membres de son personnel d’enquête une vérification de leurs antécédents. L’auteur du deuxième aborde aussi la disposition de la Loi 15 que les requérants contestent.
[158] L’auteur du premier éditorial, monsieur Pierre Jury, traite de la réaction de la section locale 573 qui, selon sa perception, s’oppose « férocement » à la vérification des antécédents de ses membres. Il n’est pas contesté qu’il y eut en effet un grief relativement à l’étendue de la vérification en question, la section locale 573 estimant que celle envisagée par la CCQ était trop invasive. Quoi qu’il en soit, l’auteur de ce texte enchaîne comme suit :
Cela ne doit pas ralentir les ardeurs de la CCQ, dont les officiers doivent être au-dessus de tout soupçon compte tenu de leur rôle crucial dans une industrie balayée par un vent de corruption et d’allégations.
La CCQ a un rôle difficile. Elle est en quelque sorte la « police » des chantiers de construction. Elle ne voit pas uniquement à ce que les travailleurs détiennent leurs cartes de compétence. Elle voit au respect des conventions collectives, surveille les sous-traitants, enquête sur les plaintes, peut même « fermer » un chantier. Ce sont des pouvoirs énormes. Son rôle charnière a d’ailleurs été réitéré récemment avec la création par le gouvernement du Québec de l’Unité permanente anticorruption. Les enquêteurs de la CCQ y seront intégrés au même titre que les policiers de l’Escouade Marteau.
Ces vastes pouvoirs ne doivent pas être exercés par des gens à propos desquels subsistent des doutes quant à leur probité. Qu’elle soit mise au test relève du simple bon sens.
Évidemment, tout examen en ce sens doit être réalisé dans le respect des libertés individuelles. Mais dans les domaines qui se réclament de la sécurité publique, l’équilibre entre responsabilités collectives et libertés individuelles s’est déplacé vers le premier. Notre société accepte davantage ce qui aurait été considéré, récemment, comme un empiètement sur les libertés individuelles.
(Soulignement ajouté)
[159] Dans le second texte, l’auteur, monsieur Jean-Claude Leclerc, se demande tout haut si l’affiliation du syndicat représentant le personnel d’enquête de la CCQ, dans le contexte de leur intégration à l’UPAC, est « compatible » avec leur « obligation (…) d’accomplir cette tâche en toute indépendance ». Il qualifie la CCQ de « petit État patronal-syndical dans cette industrie ». Sur la question de la vérification des antécédents, il écrit que « nul enquêteur professionnel conscrit à l’UPAC n’allait partager ses informations sensibles avec les inspecteurs de la CCQ ni faire confiance à leurs informations, sans qu’une vérification soit d’abord faite de ces « policiers de la construction ».
[160] Sur la question de l’affiliation, monsieur Leclerc écrit ce qui suit :
Mais une surprise plus forte encore attendait la FTQ. Les inspecteurs de la CCQ, a-t-elle appris, ne pouvaient rester affiliés à leur syndicat FTQ et à la FTQ elle-même tout en participant à une enquête sur la construction. Car la construction, c’est aussi des entreprises syndiquées, et des syndicats FTQ, voire des investissements du Fonds de la FTQ. Il était malsain, dit-on, que les inspecteurs soient recrutés par une CCQ syndicale-patronale. C’eût été le comble d’en étendre les pouvoirs sur la corruption.
[161] En ce qui concerne la proposition du gouvernement « que les enquêteurs de la CCQ forment un syndicat autonome qui ne soit affilié à aucune centrale », l’auteur écrit qu’« il ne manque pas d’experts indépendants pour trouver cette exigence non seulement raisonnable, mais nécessaire ». Enfin, après avoir décrit les réactions du « président de la FTQ, monsieur Michel Arsenault, et [de] son vice-président, monsieur Serge Cadieux, directeur du SEPB-Québec », l’auteur conclut sur la question suivante : « Quel saint martyr du travail, la FTQ invoquera-t-elle si jamais on trouve à la Commission de la construction quelques inspecteurs douteux issus de ses syndicats? »
[162] Dans les extraits de son jugement qui sont cités au paragraphe 10 de la présente décision, la Cour supérieure situe le contexte dans lequel fut adoptée la Loi 15. Pour compléter cette présentation, il faut ajouter que, par le décret 1119-2011, du 9 novembre 2011, le gouvernement créait une « commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction », connue aujourd’hui sous le nom de Commission Charbonneau, et ce, tel qu’il ressort des revues de presse versées au dossier, après avoir reçu et repoussé pendant plusieurs mois de nombreuses demandes en ce sens. Au décret, le mandat de cette commission est décrit comme suit :
1) d’examiner l’existence de stratagèmes et, le cas échéant, de dresser un portrait de ceux-ci qui impliqueraient de possibles activités de collusion et de corruption dans l’octroi et la gestion de contrats publics dans l’industrie de la construction incluant notamment les organismes et les entreprises du gouvernement et les municipalités, incluant des liens possibles avec le financement des partis politiques;
2) de dresser un portrait de possibles activités d’infiltration de l’industrie de la construction par le crime organisé;
3) d’examiner des pistes de solution et de faire des recommandations en vue d’établir des mesures permettant d’identifier, d’enrayer et de prévenir la collusion et la corruption dans l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction ainsi que l’infiltration de celle-ci par le crime organisé; (…)
[163] Le 2 décembre suivant, le Projet de loi 33 était sanctionné. En bref, par cette loi, le législateur revoit la composition du conseil d’administration de la CCQ pour accroître le nombre de ses membres indépendants et diminuer le nombre de représentants des parties, prévoit la mise sur pied d’un Comité de gouvernance et d’éthique et d’un Comité de vérifications, composés majoritairement de membres indépendants du conseil d’administration, et « élimine le placement syndical en prévoyant que tout référence de main-d’œuvre doit se faire par l’intermédiaire du Service de référence de main-d’œuvre de l’industrie de la construction administré par la Commission de la construction du Québec (…) ». Les dispositions relatives au Service de référence de main-d’œuvre entrent en vigueur un an plus tard, soit le 2 décembre 2012, selon toute vraisemblance pour donner le temps à la CCQ de le mettre sur pied.
[164] La lecture des revues de presse nous apprend que certaines associations représentatives des travailleurs de la construction, dont la FTQ-Construction, ont manifesté publiquement leur opposition aux dispositions de la Loi 33 portant sur ce nouveau Service de référence de la main-d’œuvre, perçues comme une tentative de l’État pour leur enlever le contrôle sur le placement.
[165] Aussi, la Commission autorisa-t-elle la CCQ à administrer un complément de preuve sur un fait postérieur susceptible de jeter un éclairage significatif sur les liens entre la section locale 573 et la FTQ-Construction, dans le contexte des moyens de pression entrepris par cette dernière pour faire échec à la tentative de la CCQ de mettre sur pied un service de référence efficace, dans le délai qui lui était imparti. Cette preuve s’inscrit clairement dans la foulée de celle présentée relativement au mot d’ordre de l’ancien président de la section locale 573 à ses membres, concernant les calendriers de la FTQ-Construction, et au don de la section locale 573 à la FTQ-Construction, pour lui venir en aide dans sa campagne de maraudage.
[166] Pour se préparer à assumer pleinement ce nouveau rôle que le législateur lui a confié en matière de placement, la CCQ a exigé des syndicats de la construction qu’ils lui transmettent un rapport hebdomadaire de référence de la main-d’œuvre, histoire de vérifier quels salariés étaient référés pour répondre aux demandes plus spécifiques des entrepreneurs. Or, pour neutraliser cette démarche, plusieurs syndicats affiliés à la FTQ-Construction et au moins un autre affilié à une autre association représentative ont inondé de documents la Direction de la gestion de la main-d’œuvre de la CCQ, lui transmettant à chaque fois par télécopieur la liste complète de leurs membres, faisant en sorte que celle-ci n’obtienne pas les renseignements demandés.
[167] Il est en preuve que le président des sections locales 573 et 611, monsieur Daniel Gamelin, et un dirigeant de la FTQ-Construction ont eu une conversation téléphonique à ce sujet et que, peu de temps après cette conversation, monsieur Gamelin a téléphoné à madame Nathalie Dufour, conseillère en main-d’œuvre et vice-présidente de la section locale 573, pour lui demander quel était l’impact de ces moyens de pression, « si ça causait des problèmes à la Direction de la gestion de la main-d’œuvre ».
[168] Monsieur Gamelin affirme avoir pris l’initiative de cette démarche, laissant entendre qu’il n’agissait pas à la demande du dirigeant de la FTQ-Construction en question. Pourtant, madame Dufour, elle, déclare que monsieur Gamelin s’est adressé à elle dans les termes suivants : « Il y a des gens qui voudraient savoir si ça dérange, les fax. »
[169] « Choquée » par cette intervention inopinée qui venait brouiller les frontières entre ses rôles « d’employée et déléguée », madame Dufour a fait pour réponse à monsieur Gamelin qu’elle ne connaissait pas l’impact de ces moyens de pression, que ce n’était pas son dossier et, si l’on en croit le témoignage de la supérieure immédiate de madame Dufour à qui cette dernière s’est confiée, qu’elle ne le lui dirait pas, même si elle le savait.
[170] Il y eut par ailleurs objection de la part des requérants à ce que le rapport du groupe de travail sur l’industrie de la construction, dont les recommandations sont à l’origine de la Loi 33, soit reçu en preuve, et ce, bien qu’ils n’aient exprimé aucune réticence à ce que les dispositions de cette loi adoptée après la Loi 15 soient prises en considération. Selon les requérants, en plus d’être postérieur à l’adoption de la loi, ce rapport ne serait d’aucune pertinence dans le débat, parce qu’il ne traite pas de la question de l’affiliation.
[171] Dans la mesure où il traite des perceptions du public et des acteurs de l’industrie, ce rapport apparaît pertinent, quoi que puissent en penser les requérants. Au surplus, comme l’exprimait le juge Lebel dans Advance Cutting , des « événements postérieurs » peuvent témoigner « de l’attention constante portée aux problèmes de l’industrie et de la pertinence des mesures prises pour les régler ». Pour donner une idée des lignes directrices de ce rapport, qu’il nous suffise de mentionner que les recommandations relatives à l’amélioration de la gouvernance de la CCQ sont présentées comme étant de nature à « rétablir la confiance de la population envers la Commission de la construction du Québec ».
[172] Sur la question du placement, les auteurs de ce rapport font le constat de « l’impuissance de la CCQ à organiser un service de référence de main-d’œuvre capable de concurrencer les associations syndicales, situation que d’aucuns attribuent à « un certain boycottage syndical ». « Si tel est le cas, cette prétention démontre l’emprise de la partie syndicale sur l’administration de cet organisme et son manque apparent d’indépendance », perception que les auteurs disent « partagée par plusieurs intervenants du milieu » et qui « mine sa crédibilité ».
[173] Le Procureur général a fait entendre monsieur Daniel Weinstock, qu’il a présenté comme un expert en éthique, et versé au dossier son rapport d’expertise intitulé : « Confiance et institutions sociales . » Les requérants, bien que disposés à reconnaître à monsieur Weinstock le statut d’ « expert en philosophie, spécialisé en éthique », se sont opposés à ce que son rapport soit reçu, pour cause d’absence de pertinence, invitant la Commission à prendre leur objection sous réserve.
[174] Soit dit avec égards, la proposition de cet expert voulant que la confiance du public dans ses institutions en général dépende de l’absence de lien apparent entre ceux qui en font partie et ceux dont le mandat est d’en surveiller le fonctionnement relève pratiquement du truisme, à telle enseigne que l’objection des requérants doit être accueillie. Cela ne veut évidemment pas dire qu’une personne intéressée à connaître les fondements philosophiques de cette proposition n’aurait pas intérêt à lire ce rapport, mais plutôt que sa pertinence dans le présent débat apparaît à ce point lointaine qu’il n’y a pas lieu de l’admettre en preuve, en conséquence de quoi il n’y a pas lieu non plus de se prononcer sur la qualification exacte qu’il faut reconnaître à son auteur.
[175] Au chapitre de l’atteinte, la Commission a cité de larges extraits du rapport du professeur Coutu, reconnu expert en sociologie du droit. Mais, séance tenante, elle a aussi accueilli l’objection du Procureur général et décidé que d’autres parties de son rapport n’étaient pas admissibles en preuve. Le procureur de la section locale 573 a demandé à la Commission que les motifs de cette décision interlocutoire apparaissent à sa décision finale. Ils apparaissent ci-après.
[176]
Dans
Association
professionnelle des inhalothérapeutes du Québec
c.
Procureur général au
Québec
,
[6] Le professeur Bernier est une personnalité connue et respectée dans le domaine des relations du travail au Québec. Sa contribution aux grands débats de société, récemment sur la question du travail atypique, est appréciable. Cependant, son témoignage à titre d’expert ne peut être accepté dans cette affaire pour les raisons qui suivent.
[7] Tout d’abord, le test que doit réussir le témoin expert devant un tribunal spécialisé, au stade initial de sa qualification, est plus exigeant que celui qu’il doit satisfaire devant les tribunaux de droit commun.
[8] Dans la présente affaire, il ne s’agit pas de nier que le professeur Bernier ait une expertise en relations du travail. Cependant, son champ d’expertise, à tout le moins celui qu’on lui prête pour justifier son intervention, se confond avec celui que possède la Commission. Partant, il ne dispose pas d’une autorité telle, compte tenu de cette expertise de la Commission, que ses opinions puissent s’imposer dans la décision que devra rendre cette dernière dans la présente affaire.
[9] De plus, l’objet même de l’opinion experte annoncée par le procureur de la CSN, est fondamentalement de déterminer si la Loi 30 , parce qu’elle impose la constitution d’unités de négociation sans égard à la volonté des salariés, constitue une contrainte, voire un obstacle à l’exercice de la liberté d’association.
[10] Or, il s’agit là d’une question qui se situe au cœur même de la décision que devra rendre la Commission en regard des requêtes dont elle est saisie. Il serait inapproprié que soit permis un témoignage portant sur la finalité précise de l’exercice de la compétence de la Commission.
[11] Conséquemment, bien que l’opinion de monsieur Bernier puisse être intéressante, comme pourraient l’être d’ailleurs celles des auteurs et commentateurs des sciences juridiques ou du domaine des relations du travail, elle ne saurait être considérée, aux fins généralement reconnues à un témoignage expert, dans le cadre des présents dossiers. Monsieur Bernier ne sera donc pas entendu comme témoin expert par la Commission.
[177] Les motifs exprimés dans cette décision s’appliquent tout à fait en l’espèce. À vrai dire, les requérants ne devraient pas trop souffrir de cette décision interlocutoire, puisqu’ils ont eu l’occasion de reprendre tous les « arguments » mis de l’avant par le professeur Coutu dans les parties de son rapport que la Commission a refusé de recevoir en preuve. S’ils ont pu le faire, c’est qu’au fil de son rapport, le professeur Coutu a troqué ses habits de sociologue pour sa tenue de professeur de droit du travail, pour ensuite plaider carrément la cause des requérants, en se prononçant, par exemple, sur la proportionnalité entre la mesure contestée et les objectifs poursuivis par le législateur. Il n’y a par ailleurs pas lieu de revenir sur les motifs de la décision de ne pas admettre sa critique de l’expertise de monsieur Weinstock, vu le sort réservé à celle-ci.
[178] Les requérants ont également fait entendre monsieur Yves Boisvert, dont le statut d’expert en éthique appliquée au contexte gouvernemental a été reconnu par la Commission, malgré l’insistance du Procureur général pour que la Commission lui reconnaisse plutôt le statut d’expert en éthique appliquée « sur la gestion des conflits d’intérêts ».
[179] Le Procureur général a demandé à la Commission de « rejeter les pages 5 à 12 » du rapport du professeur Boisvert, au motif que le débat portait sur « la légalité de la mesure » et non pas sur « sa légitimité ou son opportunité », sujets qui sont abordés dans ces passages, du point de vue d’un expert en gestion des conflits d’intérêts, pas d’un expert dans le domaine de la lutte à la corruption. La Commission a décidé de prendre cette objection sous réserve.
[180] À l’étape des plaidoiries, plutôt que de revenir sur la question, le Procureur général a fait valoir que le législateur ne voulait pas « gérer les conflits d’intérêts sur une base individuelle », comme le préconise le professeur Boisvert, mais « les éliminer à la source ». Et, pour contredire certaines des affirmations du professeur Boisvert et atténuer l’impact de son rapport, le Procureur général a référé à des extraits de la Convention des Nations Unies contre la corruption et de la recommandation du Conseil de l’OCDE sur les lignes directrices pour la gestion des conflits d’intérêts dans le service public, documents qui avaient été versés au dossier.
[181] S’il est exact que le rapport et le témoignage du professeur Boisvert sont axés sur la gestion des conflits d’intérêts, ils n’en demeurent pas moins pertinents, ne serait-ce que pour aider la Commission à mieux apprécier la prétention des requérants voulant que la déclaration d’intérêts exigée par la CCQ et le nouveau code d’éthique qu’elle a adopté en 2011, en remplacement du code de déontologie en vigueur depuis plusieurs années, rendaient inutiles d’adoption de la mesure contestée.
[182] Cela dit, admissibilité en preuve n’est pas synonyme de valeur probante. Et l’affirmation de l’expert, voulant qu’il ait consulté le site web de la CCQ afin de s’informer sur « sa mission, son mandat », pour conclure de sa seule lecture que « les inspecteurs n’avaient pas à intervenir dans les dossiers des syndicats », que leur travail consistait essentiellement à rencontrer « soit des travailleurs, soit des entrepreneurs, pour s’assurer qu’ils sont en règle », ce qu’il qualifie de « travail d’enquête sur la conformité normative », enlève beaucoup de poids à ses conclusions.
[183] En effet, avant de faire cette affirmation, le professeur Boisvert avait lui-même insisté sur l’importance de situer l’enjeu dans son contexte avant de donner un avis. Or, après avoir lu les articles de la Loi R-20 reproduits au paragraphe 80 de la présente décision, on peut se demander comment un observateur non initié et objectif aurait pu conclure que les inspecteurs n’ont pas à intervenir dans les dossiers des syndicats.
[184] En outre, il faut souligner que le professeur Boisvert ne s’est pas intéressé à la lutte à la corruption dans l’industrie de la construction mais aux problèmes d’éthique au sein même des organismes gouvernementaux. Pour résumer en quelques mots son rapport, disons qu’il préconise la répression, comme réponse à la corruption d’un agent public, qu’il qualifie de « délinquance », et le développement d’une « infrastructure de l’éthique », c’est-à-dire d’une approche autorégulatoire fondée sur la formation et la sensibilisation du personnel, en matière de conflits d’intérêts.
[185] L’extrait du rapport du professeur Boisvert qui paraît le plus prometteur pour les requérants, du moins à première vue, est celui où il écrit que « l’OCDE, précurseur de la lutte à la corruption au niveau international, n’aborde nullement la question de l’affiliation syndicale lorsque vient le temps de parler des véritables facteurs de risque en matière de corruption ».
[186] En réponse à cette affirmation, le Procureur général cite des extraits de la Recommandation du conseil de l’OCDE sur les lignes directrices pour la gestion des conflits d’intérêts dans le service public, dont un où l’affiliation syndicale apparaît parmi les « exemples d’intérêts privés susceptibles de créer des situations de conflits d’intérêts », ce à quoi le procureur de la section locale 573 répliquera en invitant la Commission à faire de subtiles distinctions entre « facteurs de risque » et « situations à risque ».
[187] Dans le même document, le Conseil de l’OCDE identifie « les fonctions de réglementation et d’inspection » comme « des domaines à risque ». « Une attention particulière sera portée aux fonctions qui font l’objet d’une étroite vigilance de la part de l’opinion publique ou des médias, » ajoute-t-il.
[188] Le Procureur général cite aussi l’article 36 de la Convention des Nations Unies contre la corruption, qui se lit comme suit :
Article 36. Autorités spécialisées
Chaque État Partie fait en sorte, conformément aux principes fondamentaux de son système juridique, qu’existent un ou plusieurs organes ou des personnes spécialisés dans la lutte contre la corruption par la détection et la répression. Ce ou ces organes ou ces personnes se voient accorder l’indépendance nécessaire, conformément aux principes fondamentaux du système juridique de l’État Partie, pour pouvoir exercer leurs fonctions efficacement et à l’abri de toute influence indue . (…)
(Soulignement ajouté)
[189]
Dans l’arrêt
Dunmore
précité, le juge Bastarache résume comme suit la démarche analytique à suivre
pour déterminer si l’atteinte est justifiée en regard de l’article
Le premier examen global par notre Cour du rôle de
l’article premier de la Charte est l’arrêt
Oakes
, précité. Dans
R.
c.
Edwards Books and Art Ltd
.,
Pour établir qu’une restriction est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, il faut satisfaire à deux exigences. En premier lieu, l’objectif législatif que la restriction vise à promouvoir doit être suffisamment important pour justifier la suppression d’un droit garanti par la Constitution. Il doit se rapporter à des « préoccupations urgentes et réelles ». En second lieu, les moyens choisis pour atteindre ces objectifs doivent être proportionnels ou appropriés à ces fins. La proportionnalité requise, à son tour, comporte normalement trois aspects : les mesures restrictives doivent être soigneusement conçues pour atteindre l’objectif en question, ou avoir un lien rationnel avec cet objectif; elles doivent être de nature à porter le moins possible atteinte au droit en question et leurs effets ne doivent pas empiéter sur les droits individuels ou collectifs au point que l’objectif législatif, si important soit-il, soit néanmoins supplanté par l’atteinte aux droits.
[190] Dans l’arrêt Health Services , la juge en chef McLachlin et le juge Lebel expriment la même chose, dans les termes suivants :
138
L’arrêt
Oakes
a établi la méthode d’analyse qui permet de
déterminer si une loi contraire à la
Charte
peut se justifier comme
limite raisonnable au sens de l’article premier. La restriction des droits
garantis par la
Charte
doit être imposée par une règle de droit pour
être justifiée au sens de l’article premier. Si tel est le cas, il faut alors
vérifier la présence des quatre éléments que comporte la méthode d’analyse de
l’arrêt
Oakes
pour établir qu’elle constitue une limite raisonnable dont
la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et
démocratique (
Oakes
, p. 138-140). En premier lieu, l’objectif de la loi
doit être urgent et réel. Ensuite, il doit exister un lien rationnel entre
l’objectif urgent et réel et les moyens choisis par le législateur pour
atteindre cet objectif. Puis, la loi contestée ne doit porter qu’une atteinte
minimale au droit garanti. Enfin, il doit y avoir proportionnalité entre
l’objectif et les mesures adoptées dans la loi et, plus particulièrement, entre
les effets bénéfiques de la loi et ses effets préjudiciables (
Oakes
, p.
140;
Dagenais c. Société Radio-Canada
,
[191]
Au paragraphe
suivant de cet arrêt, les juges McLachlin et Lebel soulignent que l’«
analyse fondée sur l’article premier est axée sur le
contexte de la règle de droit en cause
». Dans l’arrêt
Dunmore
,
le juge Bastarache insiste lui aussi sur l’importance de tenir compte du
contexte, citant l’extrait suivant de l’opinion qu’il avait lui-même exprimée
dans
Thomson Newspaper Co
. c.
Canada (Procureur général)
,
(…) le contexte est l’indispensable support qui permet de bien qualifier l’objectif de la disposition attaquée, de décider si cet objectif est justifié et d’apprécier si les moyens utilisés ont un lien suffisant avec l’objectif valide pour justifier une atteinte à un droit garanti par la Charte .
I I ajoute que « les facteurs contextuels énoncés dans Thomson Newspaper et des arrêts postérieurs seront particulièrement utiles à l’étape atteinte minimale de l’analyse fondée sur l’article premier ».
[192] Dans le cas qui nous occupe, il ne fait aucun doute que l’objectif général de la loi, la constitution d’un groupe de « personnes spécialisées dans la lutte contre la corruption », et l’objectif plus particulier de la disposition contestée, c’est-à-dire faire en sorte que ces personnes puissent « exercer leurs fonctions efficacement et à l’abri de toute influence indue », pour reprendre les termes de l’article 36 de la Convention des Nations Unies contre la corruption, constituaient des objectifs réels et urgents. Le contexte médiatique décrit le démontre on ne peut mieux.
[193]
À vrai dire, le
commentaire suivant du juge Bastarache dans
R.
c.
Bryan
,
(…) certains objectifs, dès lors qu’ils sont invoqués, constituent toujours des préoccupations urgentes et réelles de toute société qui vise à suivre les préceptes d’une société libre et démocratique.
[194]
Plus loin, le
juge Bastarache souligne que, dans
Harper
c.
Canada (Procureur
général)
,
[195] En l’occurrence, le Procureur général invoque lui aussi, comme objectif sous-jacent, d’assurer la confiance du public envers l’UPAC et la CCQ, et des autres intervenants de l’UPAC à l’égard de tous les membres du personnel d’enquête de la CCQ, non seulement ceux affectés à l’unité autonome de vérification, confiance essentielle pour permettre aux membres de l’UPAC d’« exercer leurs fonctions efficacement », insiste-t-il. Cet objectif sous-jacent nous apparaît effectivement nécessaire à l’atteinte de l’objectif général de la loi, de sorte qu’il faut le qualifier lui aussi de réel et urgent.
[196] En ce qui concerne le volet « lien rationnel » de l’analyse fondée sur l’article premier, la section locale 573 soutient que le Procureur général avait le fardeau d’établir l’existence de « situations véritables de conflits d’intérêts », et non pas uniquement d’appréhensions, et de démontrer que la mesure envisagée avait « fait ses preuves » et « passé le test de l’efficacité dans d’autres administrations publiques », fardeau dont il ne se serait pas déchargé. En cherchant à « s’assurer qu’il n’y ait plus aucun doute dans l’esprit du public », le législateur aurait voulu « laver plus blanc que blanc », outrepassant ainsi ses prérogatives, ajoute-t-on. Et s’il était nécessaire de s’attarder aux conflits d’intérêts appréhendés, il faudrait le faire du point de vue d’une personne raisonnablement bien informée, qui aurait pris la peine d’étudier la question en profondeur, et non pas d’un quidam , fait-on valoir.
[197]
Soit dit avec
égards, ces propositions ne trouvent pas d’assises solides dans la
jurisprudence. Dans
Association des pilotes d’Air Canada
c.
Kelly
,
[209] Comme l’a fait remarquer le juge en chef
Dickson dans l’arrêt
Canada (Commission des droits de la personne)
c.
Taylor
,
[210] Dans l’opinion dissidente qu’elle a formulée dans l’arrêt Stoffman , la juge Wilson a fait remarquer que l’élément du lien logique du critère de la proportionnalité « consiste à inviter la Cour à déterminer si le gouvernement procède de façon logique dans la poursuite du but qu’il vise ». Elle a fait remarquer que « tout ce qu’exige la partie de l’article premier quant au lien rationnel, c’est la démonstration d’un lien logique quelconque, si petit soit-il , entre l’objectif poursuivi et les moyens employés pour le réaliser » [non souligné dans l’original]. Elle a cependant signalé ensuite que «la vigueur et l’étendue du lien deviennent déterminantes » en rapport avec les deux derniers éléments du critère énoncé dans l’arrêt Oakes : tous les extraits sont tirés du paragraphe 118.
[211] La Cour suprême a récemment déclaré que la
partie qui invoque l’article premier de la Charte doit montrer qu’il « est
raisonnable
de supposer
que la restriction peut contribuer à la réalisation de
l’objectif, et non qu’elle y contribuera effectivement » :
Alberta
c.
Hutterian Brethren of Wilson Colony
,
[198] Dans le même sens, dans l’arrêt R. c. Bryan précité, le juge Bastarache écrit que « le Procureur général n’est pas tenu d’établir un « lien empirique » entre l’objectif et la disposition (…) ». Dans le cas d’espèce dont la Cour était saisie, où « le maintien de la confiance du public dans le système électoral » était l’objectif visé, le juge Bastarache a estimé que « la logique et la raison, combinées avec la preuve disponible », permettaient d’établir l’existence d’un lien rationnel.
[199]
Enfin, dans
Alberta
c.
Hutterian Brethren of Wilson Colony
,
Pour prouver l’existence d’un lien rationnel, le
gouvernement doit « établir un lien causal, fondé sur la raison ou la
logique, entre la violation et l’avantage recherché » :
RJR-MacDonald
Inc. c. Canada (Procureur général)
,
[200] Et, plus loin (paragraphe 85) :
Comme nous l’avons vu plus tôt, le gouvernement qui prend une mesure législative à caractère social n’est pas tenu de démontrer que cette mesure aura effectivement les effets bénéfiques escomptés. On ne peut rien demander de plus au législateur que d’imposer des mesures qui devraient, logiquement et selon la preuve, s’avérer bénéfiques. Si des mesures législatives ne pouvaient être prises pour le bien commun sans qu’il soit d’abord établi qu’elles produiront effectivement les effets bénéfiques attendus, peu de mesures législatives seraient édictées et l’intérêt public en souffrirait.
[201] Dans son argumentaire, la section locale 573 reproche dix fois plutôt qu’une aux architectes du Projet de loi 15 de s’être fiés à la Loi R-20 et aux règlements adoptés en vertu de celle-ci pour établir un plan se fondant sur la fausse prémisse que le personnel d’enquête de la CCQ intervient « dans un contexte de relations de travail ». Est-ce à dire que la loi constitutive d’un organisme ne serait plus d’aucune utilité pour connaître sa mission? Il nous semble que poser la question, c’est y répondre.
[202] En fait, la situation qui perdure à la Direction de l’inspection de la CCQ depuis l’adoption du Projet de Loi 135 n’a aucun sens. Il était dès lors évident que l’affiliation de la section locale 573 à la FTQ posait un réel problème de conflits d’intérêts, ou à tout le moins d’apparence de conflits d’intérêts. Et si la solution imaginée pour éviter les écueils a trouvé l’assentiment implicite de la section locale 573, c’est sans aucun doute parce qu’elle a alors compris qu’il y allait de son intérêt et que, si elle insistait pour faire respecter ses droits, la question de l’affiliation serait rapidement mise à l’ordre du jour législatif.
[203] En somme, la disposition contestée eût-elle été incorporée à ce Projet de Loi n o 135 que la Commission n’aurait probablement rien trouvé à y redire, tant il est évident que la neutralité s’impose pour un tiers appelé à intervenir en matière de relations de travail. On parle, bien entendu, d’une neutralité apparente, sur le plan institutionnel, et non pas d’un simulacre de neutralité que d’aucuns pourraient invoquer comme prétexte pour ne rien faire lorsqu’un syndicat frère est sur la sellette. C’est selon toute vraisemblance ce à quoi monsieur Pelletier fait référence en qualifiant le Projet de Loi 15 d’« élément déclencheur qui venait mettre en lumière une réalité qui les préoccupait depuis longtemps ».
[204] Cela dit, ce n’est pas parce que cette disposition aurait de toute évidence eu un lien rationnel avec un projet de loi sanctionné en 2005 qu’elle n’en a pas un avec la Loi 15, bien au contraire. En effet, tel qu’il ressort du contexte médiatique, dont nous avons donné un aperçu, un observateur de la scène publique a exprimé que « c’eût été le comble » d’étendre les pouvoirs du personnel d’enquête de la CCQ sur la corruption, les invitant à participer ou collaborer à « une enquête sur la construction », tout en leur permettant de « rester affiliés à leur syndicat FTQ ». Et le commentaire du même observateur sur la réticence qu’aurait eue tout « enquêteur professionnel conscrit à l’UPAC » à « partager ses informations sensibles avec les inspecteurs de la CCQ », n’eût été l’imposition d’une vérification de sécurité, vaut tout aussi bien pour la question de l’affiliation.
[205] Quant au « volet atteinte minimale » de l’analyse fondée sur l’article premier, dans la mesure où le législateur était parfaitement justifié d’exiger que les membres du personnel dit régulier de la CCQ, qui sont présents quotidiennement sur les chantiers et rompus au travail d’inspection et de vérification, collaborent au besoin avec l’UPAC, il est difficile de concevoir une mesure moins attentatoire qui lui eût permis d’atteindre son objectif.
[206] Enfin, dans les circonstances de l’espèce, force est de conclure que la disposition contestée passe aussi le test de la « proportionnalité », dernier volet de l’analyse fondée sur l’article premier. Il est en effet généralement accepté dans la société que la liberté d’association des personnes appelées à intervenir en matière de relations de travail soit limitée. Il ne répugne pas non plus au sens commun que celle de personnes appelées à collaborer avec une unité spéciale de lutte à la corruption le soit, surtout dans un contexte où l’enquête à laquelle ils pourraient participer risque bien de mener à des cibles qui font partie de syndicats qui ont la même affiliation que le leur.
[207] En effet, comme l’a fait remarquer un observateur, « il ne manque pas d’experts indépendants pour trouver cette exigence non seulement raisonnable, mais nécessaire » . Et, comme l’a souligné un autre, « dans les domaines qui se réclament de la sécurité publique, l’équilibre entre responsabilités collectives et libertés individuelles s’est déplacé vers le premier. Notre société accepte davantage ce qui aurait été considéré, récemment, comme un empiètement sur les libertés individuelles ».
[208] Notons également que dans au moins deux des instruments internationaux cités dans notre développement sur l’atteinte, dont le PIDESC, une exception à la règle générale est prévue pour les « limitations (…) qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale ou de l’ordre public, (…) », comme c’est ici le cas. En somme, l’atteinte que la disposition contestée porte à la liberté d’association des personnes visées, bien que non-négligeable, n’apparaît pas disproportionnée en regard des bénéfices escomptés de la Loi 15. À la lumière des facteurs contextuels présents en l’espèce, cette atteinte apparaît donc justifiée, dans le cadre d’une société libre et démocratique
[209] Les faits pertinents sont tous relatés dans l’introduction de la présente décision et dans les sections précédentes.
[210] Sur l’interprétation du concept d’affiliation, le Procureur général cite un extrait de l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et ou l’Immigration) , [2001] 1 R.C.S. 84, où le juge Lacobucci, au nom de la Cour, rappelle que « le sens ordinaire et grammatical du texte (…) n’est pas toujours déterminant, car notre Cour rejette depuis longtemps la méthode littérale d’interprétation des lois. » « Il faut considérer (…) dans son contexte global, c’est-à-dire examiner l’historique de la disposition, sa place dans l’économie générale de la Loi, l’objet de la Loi elle-même ainsi que l’intention du législateur tant dans l’adoption de la Loi toute entière que dans l’adoption de cette disposition particulière », ajoute-t-il.
[211] En résumé, le Procureur général et la CCQ plaident que l’objectif particulier de la disposition contestée était manifestement de briser de façon définitive le lien d’affiliation du syndicat représentant le personnel d’enquête, et qu’il n’était certainement pas dans l’intention du législateur de permettre au SEPB-Québec, en modifiant ses statuts et règlements, de modifier la portée de la loi, c’est-à-dire de faire en sorte que subsiste un lien entre ce syndicat et le SEPB-Québec, qui fait partie intégrante de la FTQ, comme en témoigne l’extrait suivant de la lettre adressée au président-directeur général de la CCQ par l’ex-président de la section locale 573 :
Notre syndicat, SEPB section locale 573, est affilié au SEPB-Québec qui lui, fait partie de la grande famille FTQ, tout comme le syndicat FTQ-C [FTQ-Construction].
[212] La CCQ souligne que, dans le Dictionnaire canadien des relations de travail [3] , le professeur Gérard Dion définit le concept d’affiliation comme l’« établissement d’un lien organique entre deux organisations », lien qui existe certainement entre le SEPB-Québec et la FTQ, soutient-il. Or, par son affiliation au SEPB-Québec, la section locale 611, qui n’est rien d’autre que l’ alter ego de la section locale 573, conserve un lien indirect avec la FTQ, ajoute-t-elle.
[213] À titre d’illustration de l’existence de ce lien organique, le procureur de la CCQ affirme qu’il n’est pas du tout inconcevable que l’actuel directeur exécutif du SEPB-Québec, monsieur Serge Cadieux, accède un jour à la présidence de la FTQ, lui qui est déjà vice-président de cette centrale.
[214] Cette prétention du Procureur général et de la CCQ est bien fondée. Il existe en effet un lien organique manifeste entre le SEPB-Québec et la FTQ. S’il est exact que le SEPB-Québec, à l’instar des autres directions québécoises des syndicats nationaux ou internationaux qui y sont affiliés, n’est pas « la chose » de la FTQ, l’inverse paraît plus conforme à la réalité. Ces syndicats sont des composantes de la FTQ, qui n’est rien d’autre que le regroupement horizontal qu’ils ont choisi de se donner. Ce sont d’ailleurs ces syndicats qui nomment les vice-présidents de la FTQ.
[215] Nul besoin non plus d’être grand clerc pour comprendre que ce n’était certainement pas dans l’intention du législateur de permettre que le syndicat représentant le personnel d’enquête de la CCQ demeure affilié à une organisation dirigée par un vice-président de la FTQ.
[216] En outre, le caractère un peu bancal de cette entreprise de sauvetage ressort on ne peut plus clairement de la lecture des amendements apportés aux statuts et règlements du SEPB-Québec. On a en effet dû restreindre l’admissibilité au poste de directeur exécutif aux seuls membres faisant partie d’une section locale affiliée, entre autres mesures. Or, en principe, un salarié a le droit de participer à l’administration de son syndicat ou de l’organisation à laquelle il est affilié. Lui-même issu de la section locale 573, monsieur Cadieux ne devait pourtant pas l’ignorer.
[217]
Il y a donc lieu de conclure que la section locale 611 ne se qualifie
pas plus que la section locale 573, selon les termes du deuxième alinéa de
l’article
[218]
Pour les motifs exprimés aux paragraphes 65 à 78 et 189 à 218, la
Commission conclut à atteinte à la liberté d’association des personnes visées,
que cette atteinte est justifiée en regard de l’article
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
REJETTE les requêtes.
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__________________________________ André Bussière |
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M e Claude Tardif |
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RIVEST SCHMIDT |
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Représentant de la section locale 573 SEPB CTC-FTQ
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M e Pierre Gringras |
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GINGRAS CADIEUX AVOCATS |
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Représentant de la section locale 611 (SEPB) |
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M es Pierre Legault et Mélanie Morin |
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GOWLING LAFLEUR HENDERSON, S.E.N.C.R.L., S.R.L. |
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Représentants de l’employeur |
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M es Michel Déom et Marie-Ève Mayer |
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MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU QUÉBEC |
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Représentants de l’intervenant |
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Date de la dernière audience : |
27 avril 2012 |
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/ga
[1] Partie 1 de la Loi de 1982 sur le Canada , 1982, ch. 11 (R.-V.), annexe B, dans L.R.C. (1985), App.11, no.44
[2] Le droit de l’emploi au Québec , Wilson et Lafleur, 40 e édition, 2010, pp. 960 et ss.
[3] Gérard DION, Dictionnaire canadien des relations du travail , 2 e éd., Les presses de l’Université Laval, Québec, 1986 (p. 14).