COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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(Division des relations du travail) |
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Dossier : |
266531 |
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Cas : |
CM-2011-6161 |
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Référence : |
2012 QCCRT 0440 |
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Montréal, le |
20 septembre 2012 |
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DEVANT LE COMMISSAIRE : |
Alain Turcotte, juge administratif |
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Ghizlane Bellakhdar
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Plaignante |
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c. |
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411 Local Search Corp.
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Intimée |
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DÉCISION |
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[1]
Le 22 juillet 2011, Ghizlane Bellakhdar (la
plaignante
) est avisée
de sa fin d’emploi. Le 28 juillet 2011, elle dépose une plainte en vertu de
l’article
[2] L’employeur, la firme 411.ca Recherche locale [411 Local Search Corp.] ( l’employeur ) soutient que le véritable motif de la fin d’emploi est le faible rendement de la plaignante.
[3] L’employeur est représenté par son vice-président pour le Québec, Yves Saint-Sauveur. Au début de l’audience, la Commission lui explique la nature du recours dont elle est saisie, les règles de preuve applicables et la nature des décisions qu’elle pourra rendre. L’employeur convient de procéder sans autre formalité.
[4] L’employeur est une entreprise qui place de la publicité d’entreprise sur son site Internet de recherches. Il s’agit d’une entreprise privée qui a un bureau à Toronto et un autre à Montréal. L’employeur fait appel surtout à des représentants publicitaires qui sont chargés de solliciter les entreprises par téléphone pour leur vendre des contrats d’annonces sur son site. Un contrat est de 30 $ par mois et le client peut y mettre fin dans un délai de 30 jours.
[5] Pendant l’année, l’employeur peut avoir environ 18 représentants et 7 personnes au service à la clientèle. Yves Saint-Sauveur explique que l’été, en particulier à partir de juillet lors de la période du congé de l’industrie de la construction, les ventes diminuent grandement en raison de la difficulté à joindre les décideurs qui sont en vacances. Il n’est donc pas rare de mettre à pied des représentants ou même d’en licencier. Ce n’est qu’en septembre que les activités reprennent véritablement.
[6] La plaignante travaillait pour Atelka, un centre d’appels situé dans le même immeuble où sont les locaux de l’employeur. Une connaissance lui fait part du travail de représentant publicitaire chez l’employeur, ce qui lui semble intéressant. La plaignante soumet sa candidature et, après quelques semaines d’attente, obtient une entrevue vers le 24 mai 2011. Elle est embauchée et commence, dans les faits, le 31 mai suivant.
[7] À l’embauche, la plaignante signe une confirmation d’emploi. Yves Saint-Sauveur affirme que l’on demande aux candidats de réfléchir 24 heures avant de signer cette confirmation. Celle-ci mentionne que le salaire est de 13 $ l’heure et que le salaire est versé tous les 15 jours. Elle contient également les passages suivants concernant une période d’essai :
Les deux parties s’entendent que les trois (3) premiers mois à l’emploi de 411.ca Recherche Locale au poste ci-haut mentionné, sont considérés comme une période de probation. À la fin des trois mois vos performances seront, formellement, révisées avec vous.
Une fois la période de probation complétée, vous êtes en droit de bénéficier pleinement aux avantages sociaux. (Assurance santé, dentaire, vue et vie).
Durant cette période de probation, 411.ca Recherche Locale peut, à son entière discrétion, mettre fin à votre emploi sans causes ni pré-avis et sans aucune compensation monétaire. Après la dite période de probation, votre emploi peut être terminé seulement après vous avoir donné un avis tel que prescrit par les Normes du Travail du Québec. De même si vous décidez de mettre un terme à votre emploi suite à la période de probation, un avis équivalent vous sera demandé.
( Reproduit tel quel )
[8] Yves Saint-Sauveur déclare que l’employeur prévoit une période d’essai de trois mois parce que certains peuvent avoir de la difficulté à démarrer. Dans le domaine d’activités de l’employeur, les résultats font foi de tout et l’entreprise ne peut recouvrer son investissement auprès d’un nouvel employé qu’après quatre mois. Cependant, affirme-t-il, un bon vendeur fait des ventes dès le début. Il ajoute que les attentes de l’entreprise sont d’un minimum de deux ventes par jour.
[9] La formation des nouveaux représentants dure environ une semaine. Le matin, la plaignante est formée par Yves Saint-Sauveur et l’après-midi, elle écoute des conversations de représentants pendant leurs appels pour se familiariser avec les techniques de vente.
[10] C’est ainsi que les choses se passent lors de sa première semaine, celle débutant le mardi 31 mai. La semaine suivante, la plaignante continue son apprentissage en écoutant également des représentants au téléphone. Elle ne travaille pas pendant deux jours parce que les locaux sont fermés pour peindre les murs.
[11] La plaignante affirme qu’on ne lui a pas fait part d’attentes particulières. Elle a eu quelques difficultés au début parce que le système informatique qui émet une liste d’appels à faire n’est pas nécessairement à jour. Il arrivait donc que des numéros de téléphone n’étaient plus bons ou que l’entreprise appelée avait déjà été sollicitée par un collègue. Il fallait donc compléter par des recherches personnelles. De plus, les instructions d’utilisation du système n’étaient pas claires et elle devait poser des questions à ses collègues de travail.
[12] Peu de temps après ses débuts, la plaignante demande à sa supérieure immédiate, la directrice des ventes Lamia Nouraï, de prendre des vacances pour un voyage, tout en lui précisant qu’elle pourrait les annuler. Cette dernière ne s’oppose pas. Dans son témoignage, Yves Saint-Sauveur laisse plutôt entendre que l’employeur a été mis devant le fait accompli, mais, quoi qu’il en soit, la plaignante sera absente 10 jours pendant les semaines des 20 et 27 juin 2011. C’est à son retour, le 4 juillet, que la plaignante avise Lamia Nouraï qu’elle est enceinte.
[13] Pour justifier la fin d’emploi de la plaignante, Yves Saint-Sauveur fait état de l’évaluation de juillet 2011. Les ventes réalisées par la plaignante sont les suivantes :
8 juillet : 2 ventes
14 juillet : 1 vente
18 juillet : 1 vente
Total : 120 $
[14] Selon lui, cela est nettement insuffisant en considération de la somme de presque 2 000 $ en salaire que l’employeur lui a payée. Cette évaluation se fait vers la fin du mois de juillet 2011, à l’approche du congé de l’industrie de la construction, période extrêmement tranquille. Yves Saint-Sauveur déclare que seuls les meilleurs représentants sont gardés pendant ce temps. Il rencontre la plaignante le vendredi 22 juillet pour lui annoncer que, compte tenu des résultats, l’employeur ne peut la garder. Le tout se passe bien dans les circonstances.
[15] De son côté, la plaignante soutient avoir fait une vente dès sa première semaine, mais que celle-ci ne lui a pas été attribuée parce que c’est une autre personne qui a finalisé la transaction. À l’époque, elle n’a pas voulu faire une histoire avec cela. Sur ce point, Yves Saint-Sauveur reconnaît qu’une telle chose est possible.
[16] La plaignante explique également qu’il y a un tableau où chacun peut faire le suivi des ventes. Elle a constaté que certains pouvaient passer un jour ou même plus sans vente, ce qui n’était pas sans inquiéter les principaux intéressés, et que la moyenne de deux ventes par jour n’est pas vraiment un objectif atteint.
[17] En fait, déclare la plaignante, on ne lui a adressé aucune critique ni remarque, encore moins de mesures disciplinaires. La plaignante conteste la version du vice-président de l’employeur sur ce qui s’est passé lors de l’entrevue de fin d’emploi. Yves Saint-Sauveur, dit-elle, lui mentionne que l’employeur met fin à ses services parce que c’est la basse saison. Cela explique sa réaction « modérée » face à la mauvaise nouvelle.
[18] Or, quand elle reçoit son avis de cessation d’emploi, celui-ci porte la mention « Performance not meeting expectations ». Puisque le motif officiel contredit ce qu’Yves Saint-Sauveur lui a dit, la plaignante croit plutôt qu’on l’a congédiée en raison de sa grossesse.
[19] Sur ce dernier point, Yves Saint-Sauveur réplique que la main-d’œuvre de l’employeur est composée autant de femmes que d’hommes et que les maternités ne sont pas rares. Il cite le cas d’une salariée qui était en traitement de fertilité et à qui l’employeur a autorisé de nombreuses absences afin de lui permettre de devenir enceinte. Il maintient que la grossesse annoncée n’a pas eu de rôle à jouer dans la décision.
[20]
L’article
Il est interdit à un employeur ou à son agent de congédier, de suspendre ou de déplacer un salarié, d’exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou des représailles ou de lui imposer toute autre sanction :
(…)
4° pour la raison qu’une salariée est enceinte;
(…)
[21]
La LNT, à son article 123.4,
renvoie au mécanisme de présomption
établi par le
Code du travail
, L.R.Q. c. C-27. Citons l’article
S’il est établi à la satisfaction de la Commission que le salarié exerce un droit qui lui résulte du présent code, il y a présomption simple en sa faveur que la sanction lui a été imposée ou que la mesure a été prise contre lui à cause de l’exercice de ce droit et il incombe à l’employeur de prouver qu’il a pris cette sanction ou mesure à l’égard du salarié pour une autre cause juste et suffisante.
[22] Dans notre dossier, l’employeur admet l’existence des conditions d’admissibilité de la présomption : la plaignante est une salariée au sens de la LNT, elle était enceinte et il y a eu fin d’emploi dans une période rapprochée de la connaissance de la nouvelle. La plaignante bénéficie donc de la présomption. L’employeur doit démontrer une autre cause juste et suffisante pour repousser cette présomption.
[23]
Le point capital de la présente affaire réside dans le fait que la
plaignante est en période d’essai dans son poste. Lors de cette période, un
employeur dispose d’une grande marge de manœuvre dans l’évaluation de son
personnel (dans l’affaire
Tremblay
c.
Sioui
,
[24] En l’occurrence, que révèle la preuve?
[25] Le poste de représentant chez l’employeur est un poste qui est axé sur la vente d’abonnements. Yves Saint-Sauveur place les attentes à deux ventes par jour. Même si cet objectif ne semble pas être atteint de manière systématique, selon le témoignage de la plaignante, il ne fait pas de doute que l’affirmation du vice-président de l’employeur selon laquelle « les ventes font foi de tout » est réelle. En effet, la plaignante elle-même relate que les employés regardent le tableau des ventes avec attention et qu’elle a pu voir de l’inquiétude lorsque se passe une journée ou plus sans vente.
[26] En d’autres termes, la preuve démontre que le critère des ventes est l’élément déterminant dans l’évaluation d’un salarié chez l’employeur. Une fois ce critère établi, peut-on trouver un traitement injuste de la plaignante qui ferait suspecter un prétexte pour se départir de ses services en raison de sa grossesse?
[27] La période de formation est généralement d’une semaine et il apparaît que la plaignante a eu droit à quelques jours de plus d’apprentissage. Celle-ci a demandé de prendre des vacances peu de temps après son arrivée, ce qui lui a été accordé. À son retour, elle annonce sa grossesse à sa supérieure immédiate. Par la suite, il n’y a rien de particulier à signaler, la plaignante travaille pendant trois semaines consécutives.
[28] Or, l’affirmation d’Yves Saint-Sauveur selon laquelle la période commençant au congé de l’industrie de la construction est une période peu propice aux activités de ventes n’est pas contredite. Dans ce contexte, la Commission ne peut voir dans le moment choisi par le vice-président Saint-Sauveur pour évaluer la plaignante un élément de représailles lié à l’annonce de sa grossesse.
[29] Rappelons que la période d’essai de trois mois prévue au contrat débute le 31 mai. La position de l’employeur est logique : la période estivale, particulièrement la fin de juillet et le mois d’août, est une période peu propice pour les ventes. Il n’est donc pas déraisonnable de faire le point sur le nombre de ventes réalisées avant le début de cette période, ce qui est un meilleur indicateur du rendement, que de le faire en incluant ces semaines extrêmement difficiles.
[30] Aux fins de la discussion, acceptons la vente que la plaignante affirme avoir faite, mais qui n’aurait pas été enregistrée à son crédit. Donc, si l’on ne tient pas compte des journées de formation et de ses vacances, la plaignante a travaillé quatre semaines. Durant ce temps, elle a fait cinq ventes. Il est très peu probable qu’elle aurait réussi à faire mieux à la fin juillet et en août.
[31]
L’employeur devait-il faire un suivi de la formation, souligner les
lacunes de la plaignante, voire lui imposer des mesures disciplinaires? Il faut
d’abord se remémorer la raison d’une période d’essai. La commissaire du
travail, Huguette Vaillancourt, dans l’affaire
Mangoni
c.
2960451
Canada inc.
, CM9606S039, 12 juin 1998,
Dans un contexte de période d'essai, l'employeur en profite pour apprécier les capacités et les qualités du salarié. Il dispose d'une plus grande latitude et d'une plus large discrétion pour évaluer dans quelle mesure le travail du salarié qui pourrait éventuellement devenir permanent, est satisfaisant. L'employeur observe et sa perspective première n'est pas de corriger par voie disciplinaire comme s'il était installé dans l'entreprise mais plutôt de juger si le salarié peut devenir un bon candidat à une relation à long terme.
[32] Il faut donc évaluer chaque cas d’espèce. Examinons les deux causes déposées par la plaignante.
[33] Dans l’affaire Tremblay c. Sioui , précitée, l’attention de la Commission avait été attirée par le fait que le contremaître général avait mis fin à l’emploi avant même de connaître les évaluations des formatrices. De plus, les formatrices n’avaient formulé aucun reproche ou mise en garde en temps et lieu. La précipitation de la décision, deux jours après l’annonce de la grossesse, rendait le tout suspect.
[34] Dans l’affaire Ville de Terrebonne, précitée, il s’agissait d’un poste de chef de service paie et avantages sociaux. Dans ce cas, la période d’essai était de six mois. La preuve démontrait que l’arrivée de la plaignante s’était faite dans un contexte fort difficile et que dans l’évaluation de mi-probation, il avait été convenu de soutenir la plaignante et même de prolonger la période d’essai. Cela n’a pas été fait et l’annonce de la grossesse paraissait avoir joué dans la décision. Justement, la preuve de la ville ne convainquait pas que ce motif était étranger à la décision.
[35] Dans notre dossier, la plaignante possède déjà une expérience dans le domaine de la sollicitation téléphonique chez Atelka. Elle ne se plaint pas de sa formation. Certes, elle dit avoir éprouvé des difficultés avec le système de l’employeur, mais ces difficultés semblent être les mêmes pour tous les employés. Surtout, il n’y a aucune preuve de changements dans le traitement accordé à la plaignante en juin, lors de sa première semaine effective de travail et les semaines en juillet, après l’annonce de sa grossesse. Autrement dit, elle n’a eu rien de plus ou de moins que les autres, rien de plus ou de moins avant et après l’annonce de sa grossesse.
[36] Par ailleurs, sans prétendre que le travail de représentant est facile, il n’est cependant pas complexe. On voit difficilement, dans le contexte, la nécessité de faire un suivi ou des remarques. Dans ce type de poste, lorsqu’il est au courant de la façon de procéder, un employé doit parvenir à des résultats. Sur ce point, la plaignante paraît avoir été traitée de la même manière que les autres.
[37] Une fois ces choses dites, est-ce que l’employeur aurait pu en arriver à une autre conclusion? La réponse est affirmative, mais elle relève alors de sa discrétion. L’employeur a pris soin d’indiquer dans sa confirmation d’emploi qu’il peut mettre fin à l’emploi de quelqu’un en période d’essai à sa discrétion et sans préavis. La compétence de la Commission n’est pas d’évaluer la plaignante à la place de l’employeur, mais de s’assurer que la décision n’est pas entachée d’un motif illégal.
[38] Bref, l’employeur a réussi à repousser la présomption. Il a mis fin à l’emploi de la plaignante en cours de période d’essai parce qu’il estimait qu’elle ne vendait pas suffisamment de contrats. Le fait que celle-ci était enceinte n’a pas joué dans la décision.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
REJETTE la plainte.
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__________________________________ Alain Turcotte |
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M e Isabelle Gauthier |
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RIVEST, TELLIER, PARADIS |
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Représentante de la plaignante |
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M. Yves Saint-Sauveur |
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Représentant de l’intimée |
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Date de l’audience : |
17 septembre 2012 |
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/sc