TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

N o de dépôt :

2012-9328

 

Date :

23 juillet 2012

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DEVANT :

Claude H. Foisy, c.r., arbitre

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SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS, DE L’ÉNERGIE ET DU PAPIER, SECTION LOCALE 501

ci-après appelé « le Syndicat »

 

Et

 

MABE CANADA INC.

ci-après appelé « l’Employeur »

 

 

 

 

Grief : 501-010-027 / Article 24.05 - Modification des couvertures d’assurance, sans entente avec le syndicat

 

 

Pour le Syndicat : Me Claude Tardif

 

Pour l’Employeur : Me Michel Carle

 

Date d’audience : Montréal le 18 mai 2012

Dernier document reçu des parties : 10 juin 2012

 

 

 

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SENTENCE ARBITRALE

(Code du travail du Québec)

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[1]                 Le 1 er janvier 2011, l’employeur a modifié unilatéralement à la baisse certaines couvertures d’assurances prévoyant des bénéfices aux conjoints et dépendants du salarié actif décédé, alors que la convention collective, à l’article 24.05, édicte que les couvertures applicables à la signature de la convention collective ne peuvent être modifiées à moins d’une entente avec le syndicat.  Les bénéfices touchés par la décision de l’employeur sont : 1- l’assurance-médicaments, 2- soins dentaires et 3- médical complémentaire.

[2]                 Relativement à la couverture d’assurance-médicaments, l’employeur prétend qu’il a agi pour se conformer à la Loi sur l’assurance-médicaments [1] telle que modifiée en 2005 [2]  (la Loi). Dans les circonstances le syndicat prétend que l’article 23 de la convention collective a également été violé car l’employeur ne l’a pas rencontré ni obtenu son accord préalable.

[3]                 La convention collective contient les dispositions pertinentes suivantes :

« ARTICLE 23

 

LÉGISLATION

Au cas où les dispositions de la présente convention seraient modifiées par suite de la législation de quelque gouvernement, les parties se rencontreront et arriveront à une entente sur ces dispositions en conformité d’une telle législation.

 

ARTICLE 24

 

(…)

 

24.05

Les employés sont admissibles à participer aux régimes d’avantages sociaux suivants :

-           Le régime d’assurance de groupe de Mabe;

-           Le régime de pension de Mabe;

-           Le régime du prolongement du revenu de Mabe;

-           Le régime d’invalidité à court terme de Mabe;

-           Le régime d’invalidité à long terme de Mabe;

-           Le régime d’assurance dentaire / paiement des prescriptions de Mabe

À moins d’entente entre les parties, les couvertures définies à la signature de la convention collective ne seront pas modifiées durant la durée de la convention collective. » 

 

[4]                 Pour trancher la question en litige relative à l’assurance médicaments, je dois déterminer si un conjoint et ou personne à charge couverte, aux termes de l’article 15.1 de la Loi, par le régime privé de Mabe, doivent, à compter du décès du salarié, être couverts par le régime public décrit à l’article 15 de la Loi.

[5]                 Relativement aux deux autres couvertures (soins dentaires et médical complémentaire), l’employeur prétend qu’il a dû modifier les couvertures pour se conformer aux exigences de son assureur.

LES FAITS

 

[6]                 En tout temps pertinent au présent litige, les salariés, aux termes de l’article 24.05, bénéficiaient des protections d’assurances ci-haut énumérées.  En regard de l’assurance-médicaments, le contrat d’assurance applicable stipulait que les conjoints et personnes à charge étaient couverts.  Le contrat stipulait également qu’au décès de l’employé actif  âgé de 60 ans ou plus ou ayant terminé quinze années de service crédité en vertu du régime de retraite de Mabe, les personnes à charge continuaient d’être couvertes pendant cinq ans en ce qui concerne le régime complémentaire d’assurance-maladie et comprenant les frais médicaux, dentaires et médicaments sur ordonnance.  De plus, le contrat prévoyait  que dans le cas du conjoint survivant admissible  ayant choisi de recevoir une rente mensuelle de conjoint survivant, les protections continuaient de s’appliquer à vie.

[7]                 En novembre 2010 l’employeur avisait le syndicat et les salariés qu’  à compter du 1 er janvier 2011, les protections ci-haut ne s’appliqueraient que pour une durée de deux ans au lieu de cinq ou à vie.

[8]                 On avisait également les employés qu’à leur décès, la possibilité de prolonger la protection de soins de santé et dentaire de 90 jours pour les survivants invalides était éliminée.

[9]                 Il ne fait pas de doute de la preuve que l’employeur, à compter du 1 er janvier 2011, a réduit les couvertures d’assurances applicables au décès de salariés actifs à l’égard de leur survivant conjoint et personnes à charge.

[10]             Il ressort également clairement de la preuve que le syndicat n’a pas été consulté mais informé des changements et qu’en aucun temps il n’y a consenti.

[11]             Monsieur Sylvain Rodrigue, le directeur des ressources humaines de l’entreprise, a expliqué qu’en novembre 2009, à l’occasion d’une mise à jour des programmes d’avantages sociaux par le siège social canadien à Toronto, le consultant Mercer a avisé les représentants de la compagnie qu’au terme des modifications apportées en 2005 à la Loi, les conjoints et personnes à charge survivant au décès d’un employé actif ne pouvaient plus être couverts par le régime privé au-delà de 24 mois, tel qu’il apparaissait à un avis d’interprétation de la Régie de l’Assurance-Maladie du Québec (RAMQ) chargée de l’application de la Loi.  Les actuaires de Mercer basaient leur opinion sur l’extrait suivant de l’article 7.4 de l’interprétation de la RAMQ, daté de mai 2007 , visant le décès d’une personne couverte par un régime collectif privé ou inscrite au régime public d’assurance-médicaments à 65 ans :

« Des régimes collectifs privés prévoient une clause de «Prolongation d'assurance au décès du participant», ce qui permet à l'enfant, à la personne atteinte d'une déficience fonctionnelle et au conjoint qui étaient domiciliés chez la personne décédée de bénéficier de la couverture de base requise en vertu du régime général d'assurance médicaments pendant un laps de temps pouvant aller jusqu'à 24 mois.

La Régie de l'assurance maladie est d'avis que cette clause respecte l'interprétation de la Loi sur l'assurance médicaments, pourvu qu'une protection de ce genre soit offerte à un enfant, à une personne atteinte d'une déficience fonctionnelle et à un conjoint pendant 24 mois tout au plus et qu'elle le soit sans leur imposer le paiement d'une prime. »

 

[12]             Monsieur Rodrigue a également mentionné que dans les circonstances, la compagnie n’avait pas le choix, d’autant plus qu’au terme de l’article 84.1 de la Loi, elle devenait passible d’amende allant de $1,000 à $10,000 si elle ne s’y conformait pas.

[13]             Il faut mentionner que bien que cet avis de Mercer ait été donné en novembre 2009, ce n’est que le 1 er janvier 2011, dans le cadre de la réorganisation des avantages sociaux pour l’ensemble de la compagnie, que les modifications ont été apportées.

[14]             La RAMQ émet périodiquement des opinions sur l’application de la Loi, opinions ou application qui peuvent être évolutives et qui remplacent les opinions antérieures.  Ainsi, relativement à l’article 7.4 touchant les survivants, la RAMQ a émis deux autres opinions.  La première en date du 31 octobre 2007 ajoutait le paragraphe suivant :

« Toutefois, les personnes ayant bénéficié d'une prolongation de couverture d'assurance médicaments de base avant le 1er janvier 2000 à la suite du décès de l'adhérent conservent leurs droits à cet égard. Ces personnes pourront continuer à être couvertes par ces régimes collectifs privés tant et aussi longtemps que le preneur de contrat maintiendra cette possibilité, et ce, indépendamment si la personne couverte paie ou non une prime pour cette couverture. »

 

[15]             À la date de l’audience, la RAMQ avait à nouveau modifié son opinion en retranchant la limite de 24 mois que l’on retrouvait dans les deux opinions ci-haut, de sorte que pour la RAMQ, la continuation des couvertures d’assurance médicaments dans les régimes privés suite à un décès et applicable au conjoint et survivants tel que défini dans la Loi, ne violait pas les dispositions de la Loi.  Cette dernière opinion datée de mars 2012 relativement au paragraphe 7.4 qui nous intéresse se lit maintenant comme suit :

«Des régimes collectifs privés prévoient une clause de «Prolongation d'assurance au décès du participant», ce qui permet au conjoint, à l'enfant et à la personne atteinte d'une déficience fonctionnelle de bénéficier de la couverture de base requise en vertu du régime général d'assurance médicaments.

 

La Régie de l'assurance maladie du Québec est d'avis que cette clause respecte l'interprétation de la Loi sur l'assurance médicaments, pourvu qu'une protection de ce genre soit offerte à un enfant, à une personne atteinte d'une déficience fonctionnelle et à un conjoint sans leur imposer le paiement d'une prime.

 

« Toutefois, les personnes ayant bénéficié d'une prolongation de couverture d'assurance médicaments de base avant le 1er janvier 2000 à la suite du décès de l'adhérent conservent leurs droits à cet égard. Ces personnes pourront continuer à être couvertes par ces régimes collectifs privés tant et aussi longtemps que le preneur de contrat maintiendra cette possibilité, et ce, indépendamment si la personne couverte paie ou non une prime pour cette couverture. »

 

[16]             Il ressort donc des opinions évolutives de la RAMQ qu’elle a toujours considéré comme conforme à la Loi l’application au conjoint survivant et aux dépendants des dispositions d’une police d’assurance d’un régime privé qui stipulait la continuation de la couverture d’assurance médicaments à l’intention du conjoint survivant et des personnes à charge admissibles.

[17]             Dans la foulée des modifications apportées aux couvertures d’assurance médicaments, pour se conformer aux dispositions de la Loi suivant l’interprétation de mars 2007 de la RAMQ, Mabe a également apporté des diminutions de couverture en regard de l’assurance maladie complémentaire et de l’assurance dentaire.

[18]             Il ressort clairement de la preuve que ces modifications ne sont pas reliées à l’application de la Loi.  Monsieur Rodrigue a expliqué que l’assureur avait déterminé que si les protections relativement à l’assurance médicaments devaient être réduites à 24 mois, il appliquerait le même barème à l’égard des autres couvertures et que si la compagnie voulait maintenir ces protections, elle devait accepter de se conformer.  Pour monsieur Rodrigue, Mabe était placée dans la situation où elle n’avait pas le choix, sinon de se conformer au dictat de son assureur.

[19]              Je n’ai pas reçu de preuve à l’effet que les représentants de Mabe avaient fait des démarches auprès d’autres assureurs aux fins de maintenir les protections garanties par la convention collective.

 

 

 

DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA LOI

 

« 15 .  La Régie assume la couverture des personnes admissibles suivantes:

 

 1- une personne âgée de 65 ans ou plus qui n'adhère pas à un contrat d'assurance collective ou à un régime d'avantages sociaux applicable à un groupe de personnes déterminé conformément à l'article 15.1 et comportant les garanties prévues par le régime général, ou qui n'est pas bénéficiaire d'un tel contrat ou régime;

 

(…)

 

4- toute autre personne admissible qui n'est pas tenue d'adhérer à un contrat d'assurance collective ou un régime d'avantages sociaux applicable à un groupe de personnes déterminé conformément à l'article 15.1 ou que nul n'est tenu de couvrir comme bénéficiaire des garanties prévues par un tel contrat ou régime suivant l'article 18. »

 

«  15.1 Aux fins de la présente loi, un «groupe de personnes déterminé conformément à l'article 15.1 » est un groupe constitué à des fins autres que la souscription d'assurance pour ses membres et composé des personnes admissibles au régime général répondant aux conditions suivantes:

 

1-        Elles font partie de ce groupe en raison d’un lien d’emploi actuel ou ancien ou elles adhèrent à l’un des organismes suivants qui offre, facilite l’adhésion ou rend accessible à ses membres actifs ou retraités (…)

2-        elles ont les qualités requises pour adhérer au contrat d'assurance collective ou au régime d'avantages sociaux applicable à ce groupe et comportant des garanties de paiement du coût de services pharmaceutiques et de médicaments. »

 

« 16 - Toute personne admissible au régime général autre que celles visées aux paragraphes 1 o à 3° de l'article 15 et qui fait partie d'un groupe de personnes déterminé conformément à l'article 15.1 doit adhérer au contrat d'assurance collective ou au régime d'avantages sociaux applicable à ce groupe au moins pour les garanties prévues par le régime général.

L'obligation d'adhésion ne s'applique pas à une personne qui est déjà bénéficiaire, à titre de conjoint, d'enfant ou de personne atteinte d'une déficience fonctionnelle, des garanties de paiement du coût de services pharmaceutiques et de médicaments prévues par un contrat d'assurance collective ou un régime d'avantages sociaux visé au premier alinéa. »

 

« 18 - Toute personne admissible autre que celle visée à l'article 15 doit pourvoir, dans la même mesure, à la couverture, comme bénéficiaires du contrat d'assurance collective ou du régime d'avantages sociaux applicable à un groupe de personnes déterminé conformément à l'article 15.1 auquel elle adhère, des personnes suivantes:

1- son enfant;

2- une personne atteinte d'une déficience fonctionnelle qui est domiciliée chez elle.

Elle doit également, et dans la même mesure, pourvoir à la couverture de son conjoint qui partage le même domicile, à moins que celui-ci ne bénéficie déjà d'un contrat d'assurance collective ou d'un régime d'avantages sociaux visé au premier alinéa.

Il en est de même de la personne âgée de 65 ans ou plus qui adhère à un contrat d'assurance collective ou à un régime d'avantages sociaux visé au paragraphe 1-  de l'article 15.

 

«  42.1 . Lorsqu'un contrat d'assurance collective ou un régime d'avantages sociaux comporte des garanties de paiement du coût de services pharmaceutiques et de médicaments, pour le bénéfice d'un groupe de personnes déterminé conformément à l’article 15.1, nul ne peut offrir,  rendre accessible ou maintenir la couverture du contrat ou du régime à l’égard de telles garanties pour les personnes qui ne sont pas membres de ce groupe, 1en que es puisse exercer le même emploi, la même profession, le même métier ou le même travail que les membres de ce groupe.

 

«  84.1. Lorsqu'un contrat d'assurance collective ou un régime d'avantages sociaux comporte des garanties de paiement du coût de services pharmaceutiques et de médicaments, pour le bénéfice d'un groupe de personnes déterminé conformément à l'article 15.1, quiconque offre, rend accessible ou maintient la couverture du contrat ou du régime à l'égard de telles garanties pour des personnes qui ne sont pas membres de ce groupe, bien qu'elles puissent exercer le même emploi, la même profession, le même métier ou le même travail que les membres de ce groupe, commet une infraction et est passible d'une amende d'au moins 1 000 $ et d'au plus 10 000 $. »

 

«  85.1. La Régie peut présenter à la Cour supérieure une demande d'injonction interlocutoire enjoignant une personne de cesser d'offrir, de rendre accessible ou de renouveler, en contravention à l'article 42.1, la couverture en matière de services pharmaceutiques ou de médicaments à l'égard des personnes qui ne sont pas membres d'un groupe de personnes déterminé conformément à l'article 15.1, jusqu'à ce que le jugement final soit rendu.

La Régie peut également présenter à la Cour supérieure une demande d'injonction interlocutoire enjoignant une personne d'inclure ou de prendre les mesures nécessaires pour faire inclure à tout contrat qu'elle offre, rend accessible ou renouvelle des garanties au moins égales à celles du régime général, jusqu’à ce que le jugement final soit rendu.

Lorsque la Cour supérieure rend le jugement final sur la demande d'injonction, elle peut en outre ordonner:

1-  dans le cas visé au premier alinéa, que la personne mette fin au maintien de la couverture en matière de services pharmaceutiques ou de médicaments à l'égard de contrats ou de régimes déjà en vigueur, après que cette personne ait donné aux personnes visées par le contrat ou le régime un préavis à cette fin dont la Cour fixe le délai;

2-  dans le cas visé au deuxième alinéa, que la personne inclue dans les contrats en vigueur des garanties au moins égales à celles du régime général, après que cette personne ait donné aux personnes visées par le contrat un préavis dont la Cour fixe le délai.

La Régie est dispensée de l'obligation de fournir caution. »

POSITIONS DES PARTIES

[20]             Le syndicat argumente que les couvertures d’assurances ont été réduites sans son consentement, et ce en violation de l’article 24.05. Pour le syndicat la Loi n’oblige pas l’employeur à modifier les couvertures négociées.

[21]             Suivant le syndicat, la Loi, qui est une mesure sociale, vise à assurer une couverture minimale d’assurance médicaments pour tous les québécois et d’obliger les assureurs à fournir des couvertures comparables au régime public pour ceux tombant sous l’application de l’article 15.1.

[22]             Pour le syndicat, les articles 15.1 et 18 de la Loi créant l’obligation pour le salarié d’être membre du groupe de son vivant et d’y joindre son conjoint et ses enfants à charge, continuent de s’appliquer au décès et l’article 42.1 ne prévoit pas le contraire comme le prétend l’employeur.  En effet, pour le syndicat, l’article 42.1 n’a pas pour effet d’enlever un droit.  Cet article doit se lire avec les articles 84.1 et 85.1 qui sont des outils mis à la disposition de la RAMQ pour faire respecter la Loi.

[23]             Le syndicat, d’ailleurs, argumente que nulle part dans la Loi on retrouve des dispositions limitant à 24 mois le droit des conjoints et survivants de continuer  à bénéficier du régime privé tel que prévu audit régime.

[24]             Le syndicat plaide également violation de l’article 23 de la convention collective si la loi devait s’appliquer comme le prétend l’employeur.

[25]              L’employeur de son côté argumente que les opinions de la RAMQ ne sont que des opinions et qu’il faut s’en remettre à la Loi pour déterminer si le conjoint survivant et les enfants couverts par un régime privé, aux termes de l’article 15.1, doivent, suite au décès, être exclus du régime privé pour devenir couverts par le régime public. Le rôle de la RAMQ est de voir à l’application de la Loi mais elle est également, de temps à autre, appelée à tempérer son effet.

[26]             Pour l’employeur, la Loi crée une règle générale, soit l’établissement d’un régime public d’assurance médicaments et crée des exceptions.  L’article 15 établit la règle générale stipulant que toute personne de 65 ans et plus ou qui n’adhère pas à un régime d’avantages sociaux applicable à un groupe de personnes déterminées selon les articles 15.1 ou 18 de la Loi doit être couverte par le régime public. Le conjoint et les enfants à charge sont couverts parce que le salarié est à l’emploi de Mabe.

[27]             Lors de son décès, le conjoint, forcément, cesse d’être à l’emploi de Mabe et cesse de faire partie du groupe et d’être couvert par l’article 15.1. Le conjoint et les enfants dépendants couverts parce que le salarié décédé était à l’emploi de Mabe, cessent d’être couverts par le régime privé et doivent être couverts par le régime public. Compte tenu de l’article 42.1 de la Loi il n’a pas d’autre choix que de cesser de couvrir le conjoint et les dépendants.

[28]             Quant aux modifications effectuées en regard des couvertures non comprises dans le champ d’application de la Loi, mais pour se conformer au délai de 24 mois, l’employeur plaide qu’il n’avait pas le choix puisque ces modifications lui étaient imposées par l’assureur.  Dans ces circonstances, l’employeur se retrouvait dans une situation de nécessité.  De plus, le syndicat n’a pas fait la preuve que Mabe pouvait obtenir des couvertures autres chez un autre assureur ou qu’il existait d’autres options pour l’employeur.

[29]             Les parties, de part et d’autre, m’ont référé à de la jurisprudence et de la doctrine à l’appui de leurs prétentions.  Cependant, à part des décisions sur les objectifs et l’application générale de la Loi, ces décisions ne traitent pas de la question qui m’est soumise, soit de déterminer si un conjoint obligatoirement couvert par le régime privé d’assurance médicaments détenu par un salarié continue d’être couvert par le régime privé après le décès dudit conjoint.

MOTIFS ET DÉCISION

[30]             La Loi en est une d’ordre public de direction et elle constitue une mesure sociale qui vise essentiellement à procurer l’accessibilité de tous les citoyens aux médicaments.  De ce fait, la Loi doit recevoir une interprétation large et libérale. [3]

[31]             Dans l’espèce, le salarié couvert par la convention collective et auquel s’appliquent les dispositions de l’article 24.05, fait partie d’un groupe couvert par l’article 15.1 de la Loi en raison de son lien d’emploi actuel ou ancien.  La référence à « ancien » indique qu’un ex-employé de Mabe (un retraité par exemple ou autre défini au contrat d’assurance privé de médicaments) est couvert, de même que son conjoint.  Ce conjoint, compte tenu de l’article 18, est couvert même si il ou elle n’est pas à l’emploi de Mabe.

[32]             Le salarié, dans ses conditions d’emploi négociées et comme partie de sa rémunération globale, a obtenu des avantages qui prévoient des couvertures d’assurances au cas de décès s’appliquant à son ou sa conjointe et ses dépendants tels que définis dans le contrat d’assurances.

[33]             La question à laquelle j’ai à répondre est celle de savoir si un conjoint et les dépendants couverts par un régime d’assurance médicaments privé, du fait du lien d’emploi actuel d’un salarié, continue de l’être en raison du lien d’emploi « ancien » du salarié décédé.

[34]             Après avoir considéré les dispositions de la Loi et les arguments et la jurisprudence soumise par les parties, j’arrive à la conclusion que la Loi n’empêche pas le conjoint du salarié décédé de continuer de bénéficier de la protection relative à l’assurance médicaments prévue au contrat d’assurance collectif.

[35]             L’article 15 établit le principe général à l’effet que la Loi s’applique à tous ceux qui ne sont pas couverts par un régime privé, lequel doit comme protection comporter le minimum prévu par la Loi (articles 16 et 35 de la Loi).  Le principe général se dégage des premier et quatrième paragraphes de l’article 15.  Le paragraphe 4 réfère à l’article 18 qui oblige le salarié auquel s’applique un régime privé d’assurance médicaments à assurer son conjoint.  La même obligation est faite à la personne âgée de plus de 65 ans qui adhère à un régime d’assurance médicaments collectif.

[36]             Le salarié, couvert par la convention collective, fait partie d’un groupe de personnes déterminé conformément à l’article 15.1, parce qu’il fait partie d’un groupe « en raison d’un lien d’emploi actuel ».  Aux termes de l’article 18, son conjoint doit bénéficier de la même couverture en matière d’assurance médicaments.

[37]             Mais, plaide l’employeur, le conjoint cesse d’être couvert au décès parce que son ex-conjoint salarié n’est forcément plus relié à son employeur par un lien d’emploi.  À son décès, il ne fait plus partie du groupe.

[38]             La position de l’employeur, cependant, ne tient pas compte de la référence au lien d’emploi « ancien ».  Il est intéressant de noter que le législateur a référé à l’expression en raison d’un lien d’emploi « ancien » alors que dans la même phrase, en regard d’organismes (par exemple un ordre professionnel, un syndicat)  il a utilisé un terme plus restreignant pour décrire la situation des anciens employés, en stipulant « ou à ses retraités ».

[39]             À mon avis, l’expression « en raison d’un lien d’emploi ancien » comprend la situation non seulement du retraité mais également celle des conjoints de salariés décédés et détenant des droits de couverture d’assurance médicaments tel que stipulé dans la police.

[40]             Cette interprétation ne fait pas violence aux dispositions de la Loi en général et de l’article 15.1 en particulier.  Le conjoint, en raison du lien d’emploi « actuel » du conjoint salarié faisait partie du groupe. Au décès il continue toujours d’en faire partie en raison du lien d’emploi « ancien » de son conjoint décédé et ce dans la mesure où le contrat d’assurance prévoit le remboursement de médicaments.

[41]             Cette interprétation satisfait aux objectifs de la Loi, soit d’assurer à tous les citoyens du Québec une protection relativement aux médicaments d’ordonnance.  Il s’agit d’une loi de protection sociale, laquelle ne peut avoir pour but de réduire les avantages de salariés, ce qui serait le cas si j’allais dans le sens de l’interprétation proposée par l’employeur.

[42]             Elle rejoint également l’opinion de la RAMQ. Cette dernière a émis trois opinions entre mai 2007 et mars 2012 dans lesquelles on retrouve une constante soit qu’un conjoint couvert par une assurance privée, au bénéfice d’un salarié, continue d’être couvert aux termes de la police d’assurance souscrite après le décès du salarié.

[43]             Il est vrai que la position de la RAMQ sur le délai durant lequel l’assurance privée continuait de s’appliquer a varié mais comme je viens de le mentionner elle n’a pas bougé sur le principe de la couverture après le décès. C’est cet organisme qui est chargé de l’application de dispositions de la Loi, et son opinion, bien qu’elle ne puisse se substituer à celle d’une cour de justice, constitue quand même une référence tout au moins aussi valable que celle d’auteurs de doctrine.  En d’autres mots, bien que je ne sois pas lié par l’opinion de la RAMQ, une déférence s’impose.

[44]              De plus la position de l’employeur face à l’application de la Loi et de son obligation de modifier les couvertures d’assurance est pour le moins inconsistante.  L’employeur s’est autorisé de l’opinion de la RAMQ pour réduire la portée des couvertures existantes à 24 mois.  Maintenant que la RAMQ a fait disparaître cette restriction de 24 mois, l’employeur plaide qu’il ne faut pas s’en remettre à l’opinion de la RAMQ mais aux dispositions de la Loi.  En d’autres termes, l’employeur prend maintenant la position que même la période de 24 mois n’est plus applicable et que le bénéfice de la couverture d’assurance médicaments prévue à la police d’assurance cesse dès le décès.

[45]             L’employeur a référé aux articles 42.1, 84.1 et 85.1 pour soutenir le fait que l’employeur ne pouvait continuer d’offrir la protection puisque le conjoint, suite au décès, ne faisait plus partie du groupe et il s’exposait à des poursuites, de même qu’à des injonctions interlocutoires que pourrait entamer la Régie contre lui.

[46]             Cette crainte exprimée par l’employeur n’est pas fondée dans le contexte où la RAMQ, l’organisme chargé de faire respecter l’application de la Loi, est d’opinion qu’il n’y a pas de violation de la Loi si un régime privé continue de couvrir un conjoint après le décès d’un salarié, pour le temps prévu audit contrat.

[47]             Pour tous ces motifs, j’arrive à la conclusion que la couverture du régime d’assurance médicaments prévue à l’article 24.05 ne viole pas les dispositions de la Loi. L’employeur ne devait pas la modifier comme il l’a fait. Je constate qu’elle a été modifiée sans l’accord du syndicat et cette modification constitue une violation de la convention collective.

[48]             Relativement à la violation de l’article 23 de la convention collective, j’ai compris qu’il s’agissait d’un argument subsidiaire présenté par le syndicat. Il m’appert cependant que, même si la Loi devait s’interpréter suivant la position de l’employeur, l’effet combiné des articles 23 et 24.05 pourrait, possiblement constituer une protection des droits acquis par les salariés dans le cadre des avantages sociaux faisant partie de leur rémunération globale. On peut se questionner si, par analogie avec l’affaire Crown, Cork and Seal Canada inc [4] , l’employeur, avantagé monétairement par la non couverture de l’assurance médicaments du fait d’une exclusion du conjoint du salarié décédé, ne serait pas obligé de compenser monétairement le conjoint exclu. Je me prononcerai à cet effet s’il devenait nécessaire pour moi de le faire.

[49]             En rapport avec les couvertures reliées à l’assurance maladie complémentaire et aux soins dentaires, l’employeur, aux termes de l’article 24.05, s’était engagé à ne pas les modifier sans l’accord du syndicat.  Il plaide nécessité parce que ses assureurs voulaient limiter les protections à la même période de 24 mois applicables pour l’assurance médicaments.  Cet argument ne peut être retenu dans l’espèce.

[50]             Le contrat collectif de travail a été conclu entre l’employeur et le syndicat, et l’employeur s’est engagé à maintenir les régimes prévus à l’article 24.05 pendant la durée de la convention collective.  Il lui appartenait d’établir qu’il lui était impossible de respecter son engagement.  Aucune preuve n’a été faite qu’un autre assureur ou que l’employeur, en payant les primes nécessaires, n’aurait pas pu continuer de fournir les couvertures auxquelles il s’était engagé.  En fait, la preuve est à l’effet que l’employeur n’a fait aucune démarche auprès d’autres assureurs.

[51]             L’employeur a plaidé qu’il appartenait au syndicat d’établir que d’autres compagnies d’assurances auraient pu fournir la même couverture.  Je ne suis pas de cet avis.  C’est l’employeur qui, dans l’espèce, ne respecte pas ses engagements et il lui appartenait d’établir qu’il lui était impossible de satisfaire à son engagement.  Ceci n’a pas été fait.

[52]             J’arrive donc à la conclusion que l’employeur a également violé les dispositions de l’article 24.05 relativement aux couvertures médicales complémentaires et soins dentaires, puisqu’il les a modifiées sans l’accord du syndicat.

[53]             Dans son grief, le syndicat a requis une déclaration à l’effet que l’article 24.05 avait été violé et des ordonnances enjoignant l’employeur de respecter cet article 24.05 et de compenser les salariés affectés.

[54]             La preuve à l’audience et les arguments n’ont porté que sur la question de l’interprétation et de l’application de l’article 24.05 et de la Loi.  J’ai cru comprendre que les parties, au besoin, me reviendraient sur la question des dommages.  Je réserve donc juridiction pour déterminer les dommages appropriés.  Si les parties ne peuvent s’entendre entre elles à ce sujet, elles n’auront qu’à me contacter et je fixerai une nouvelle audience. Je réserve également juridiction pour disposer au besoin de l’argument subsidiaire du syndicat.

 

 

 

 

 

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Claude H. Foisy, c.r., arbitre

 



[1]   L.R.Q., cA-29.01

[2]   2005, c.40

[3]   Areq (CSQ) Association des retraitées et retraités de l’éducation et des autres services publics du Québec c. La Régie de l’Assurance Maladie du Québec (C.S.), 2011 QCCS 1088 ; Productions Pram Inc. c. Lemay, (1992) RJQ 1738 (C.A.)

[4] Crown, Cork and Seal Inc et Métallurgistes d’Amérique section locale 9222 AZ-99141284 (H.Frumkin)