Minier c. Lavoie

2012 QCCQ 6249

JD 2679

 
 COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

CHICOUTIMI

« Chambre civile »

N° :

150-22-008678-119

 

 

 

DATE :

27 septembre 2012

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE MONSIEUR LE JUGE RICHARD P. DAOUST, J.C.Q.

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DONALD MINIER

 

Demandeur

 

c.

 

MARGUERITE LAVOIE

 

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

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[1]              Suite à une mésentente concernant un lot à bois, le demandeur poursuit la défenderesse pour 16 075 $ en enrichissement injustifié, 5 000 $ en dommages généraux et 25 000 $ pour atteinte à sa réputation et à ses droits fondamentaux suite à une plainte à la police qui aurait été injustement logée par Marguerite Lavoie.

[2]             La défenderesse nie l'enrichissement injustifié, les dommages et la mauvaise foi lorsqu'elle a déposé sa plainte à la sécurité publique.

[3]            Quatre questions sont soulevées par le litige:

1)  Comme le prétend la défenderesse, les règles de l'accession immobilière doivent-elles recevoir application ?

2)  Le recours en enrichissement injustifié est-il prescrit ?

3)  Preuve prépondérante a-t-elle été faite d'un enrichissement injustifié ?

4)  Preuve prépondérante a-t-elle été faite d'une faute de la défenderesse lorsqu'elle a porté plainte à la sécurité publique ?

LES FAITS

[4]            Donald Minier a 68 ans. Jusqu'en 2009, il a vécu voisin de sa mère aujourd'hui âgée de 89 ans, la défenderesse Marguerite Lavoie.

[5]            Le père du demandeur, Jean-Marie Minier, était propriétaire de deux lots à bois dans le secteur de St-Félix-d'Otis près de l'endroit où habitent les parties.

[6]            Il s'agit des lots 24-1 et 24-2. Le lot 24-2 est plus petit et moins accessible que le 24-1 qui longe la route.

[7]            Pendant plusieurs années, le demandeur et son père Jean-Marie Minier travaillent sur les lots, coupent du bois, font des chemins et les entretiennent.

[8]            Donald Minier explique qu'avant son décès, son père lui avait fait savoir qu'il entendait lui léguer ses deux lots, à lui qui avait travaillé à les entretenir et à les aménager, exception faite de deux portions de 44 000 p 2 appartenant à des frères du demandeur.

[9]            Le 21 janvier 2006, Jean-Marie Minier décède. C'est son épouse Marguerite Lavoie qui hérite de tous ses biens notamment des deux lots dont il s'agit.

[10]         Marguerite Lavoie ignore les discussions qui ont pu avoir cours entre son défunt mari et son fils Donald mais ce qui ne cause pas de doute, c'est qu'elle hérite des deux lots convoités par le demandeur.

[11]         Au printemps 2006, Donald Minier se rend sur les lots et, dit-il, procède au débroussaillage de la ligne des lots et en informe sa mère. Selon Marguerite Lavoie, elle lui a alors dit que ce n'était pas pressé d'exécuter ce travail.

[12]         En regard des représentations qui auraient été faites par la défenderesse concernant les lots, la preuve est contradictoire.

[13]         Selon le demandeur, il aurait entendu sa sœur la plus jeune dire aux autres: «Les lots, vous savez que ça va à Donald». Évidemment, cela ne lie personne.

[14]         Le 2 juin 2006, la famille enterre la dépouille de Jean-Marie Minier. Des discussions auraient alors eu lieu concernant les deux lots. Selon le demandeur, l'une de ses sœurs l'aurait appelé pour l'informer qu'à défaut par lui de payer les impôts de sa mère, il ne deviendrait propriétaire que d'un des deux lots. Il aurait alors refusé de payer les impôts de sa mère et ainsi accepté de ne devenir propriétaire que d'un des deux lots, à son choix. Il aurait préféré devenir propriétaire du lot 24-2, ce qui se matérialise par un acte de donation notarié daté du 4 juin 2006 concernant ce lot.

[15]         Concernant le lot 24-1, toujours selon le demandeur, sa mère lui aurait dit de l'utiliser comme il l'entendait, comme un propriétaire puisqu'il en deviendrait propriétaire à son décès.

[16]         Selon la défenderesse, cette discussion n'a pas eu lieu. En fait, Marguerite Lavoie n'aurait jamais promis autre chose à son fils que: «on verra plus tard». Elle nie avoir promis le lot 24-1 à son décès à son fils, elle qui a eu neuf enfants.

[17]         Elle admet cependant avoir permis à son fils d'entreposer sur le lot 24-1 le bois qu'il aurait coupé sur le lot 24-2 puisqu'il n'y avait pas de place sur ce dernier lot pour entreposer le bois coupé. Cela correspondait à la situation qui prévalait avant le décès de son mari.

[18]         Les témoignages du demandeur et de la défenderesse sont sans équivoque, sans hésitation et d'une clarté parfaite. Leurs propos ne souffrent pas d'ambiguïté même s'ils sont contradictoires.

[19]         Dès l'été 2006, l'épouse du demandeur est allée chez la défenderesse pour chercher les comptes de taxes afin de les payer, ce que sa belle-mère a refusé. Marguerite Lavoie paie les taxes sur le lot 24-1 depuis le décès de son mari.

[20]         Pendant l'année 2006, le demandeur a coupé du bois sur le lot 24-1 et en a disposé à son unique profit auprès de l'UPA locale ayant réalisé alors un profit de l'ordre de 1 500 $ selon ce qu'il déclare.

[21]         À compter de l'enterrement de Jean-Marie Minier, les relations entre le demandeur et la défenderesse s'effritent, leurs rencontres se distançant également.

[22]         À compter de 2007, les relations sont complètement rompues, la toile de fond de cette discorde étant probablement la propriété du lot 24-1 selon la preuve administrée.

[23]         De 2006 à 2010, Donald Minier exploite tant le lot 24-2 qui lui appartient que le lot 24-1.

[24]         Il a marché les lots, relevé les lignes, refait le «trécarré», débroussaillé la ligne séparative, posé une barrière de fer, construit des chemins pour se véhiculer en 4 roues, procédé à des éclaircies, fait de la coupe, réparé un chemin au milieu du lot en plus d'avoir installé deux ponceaux et construit deux remises à bois, l'une lui appartenant, l'autre à son gendre.

[25]         Ce sont ces travaux qui font l'objet de la réclamation du demandeur.

[26]         Pendant ces années, il dira qu'il a parlé à sa mère de la clôture et du fait qu'il avait «retrimé» le chemin. Il répètera que sa mère lui a dit de faire ce qu'il voulait avec le lot. Selon la preuve non contredite, le demandeur et la défenderesse n'ont entretenu aucun lien entre 2007 et la date du procès.

[27]         Quant à la défenderesse, elle mentionnera qu'elle n'a jamais été avisée de la coupe commerciale effectuée en 2006 pas plus que des travaux pour lesquels le demandeur réclame aujourd'hui compensation.

[28]         Vers 2007, il y aurait eu une des dernières rencontres entre Alain, l'un des fils de la défenderesse, et le demandeur et sa conjointe, pour une histoire non résolue de photographies qu'aurait alors prises Alain de Donald Minier et Rosanne Gagné.

[29]         Puisqu'elle n'a plus de contact avec son voisin Donald et sa famille, la défenderesse vend sa maison et quitte St-Félix-d'Otis dans un appartement à ville de La Baie dès 2009.

[30]         En 2010, le demandeur coupe plus de bois qu'en 2006 sur le lot 24-1 et comme il l'avait fait au préalable, il entend le vendre à l'UPA.

[31]         En janvier 2010, la défenderesse apprend par ouï-dire que son fils Donald couperait du bois sur le lot 24-1. Elle laisse passer.

[32]         Elle en est également informée par le petit-fils de son frère à l'été 2010 et à la fin d'août, elle se rend près de son lot 24-1 pour y constater les constructions, la clôture et le bois coupé.

[33]         Le 6 janvier 2011, Marguerite Lavoie mandate son avocat de transmettre une mise en demeure à son fils Donald laquelle comprend notamment le texte suivant:

De plus, il appert que par la suite, notre cliente vous a autorisé à utiliser son lot restant, soit le lot 24-1, afin de pouvoir entreposer votre bois provenant de votre lot 24-2 et qui plus est, vous y avez même construit deux sites d'entreposage.

Or, aujourd'hui, vous avez outrepassé l'autorisation que vous aviez en coupant directement sur le lot 24-1 du bois qui appartient à notre cliente et ce sans droit ni autorisation.

Prenez avis que notre cliente vous demande dès maintenant à savoir:

a)   l'arrêt immédiat des travaux de coupe de bois sur son lot par vous;

b)   de bien vouloir laisser sur place tout le bois de sciage provenant des arbres situés sur le lot 24-1, propriété de madame Marguerite Lavoie;

c)   de nettoyer les lieux que vous utilisiez sur le lot 24-1 et de déplacer le bois qui vous appartient et ce au plus tard le 30 juin 2011;

d)   de déplacer sur votre lot 24-2 les deux remises à bois situées sur le lot 24-1 qui vous appartiennent et ce au plus le 30 juin 2011;

e)   de bien prendre note que si vous désirez une rencontre afin de discuter de tout sujet, vous devrez le faire en contactant le soussigné qui agira comme mandataire.

À défaut par vous d'y donner suite, vous devrez faire face à la justice sans autre avis ni délai et en supportant tous les frais que cela pourra occasionner.

(…)

Prenez avis que tous ces derniers ne désirent pas intervenir dans cette histoire et qu'il vous est interdit de communiquer de quelque façon que ce soit avec ceux-ci, directement ou par personne interposée, et que tout manquement de votre part entraînera des poursuites sans autre avis ni délai et qui seront traitées comme étant du harcèlement, des menaces ou de l'intimidation.

[34]         Copie de cette lettre a été transmise à la défenderesse, à plusieurs de ses enfants de même qu'à la Sûreté du Québec.

[35]         Après la transmission de cette mise en demeure, la preuve ne révèle pas que d'autres travaux ont été effectués par le demandeur sur le lot 24-1 pas plus que du bois n'y a été coupé.

[36]         En août 2011, après que le demandeur ait fait lui-même un «début de plainte» contre certains de ses frères concernant un appareil pour travailler dans le bois (un «fendeur»), une rencontre à laquelle a assisté la défenderesse se tient et alors, elle prend la décision de porter plainte contre son fils Donald. C'est sa décision.

[37]         La défenderesse expliquera que sa plainte avait pour objet d'empêcher son fils de continuer de couper du bois sur son lot, de lui faire ramasser ses affaires et à tout prendre, elle voulait avoir la paix.

[38]         La sécurité publique a pris contact avec le demandeur et lui a offert de le rencontrer à son domicile de St-Félix-d'Otis ou au bureau à Chicoutimi. Pour éviter d'avoir à se rendre à Chicoutimi, il a fait le choix de rencontrer les policiers à son domicile. Puisque son épouse était là et que les policiers entendaient être seuls avec le demandeur, ils l'ont rencontré dans le véhicule de police pendant une période de 90 à  120 minutes. Plusieurs questions lui ont été posées. Pendant la séance, évidemment, les voisins pouvaient constater la présence du véhicule policier à l'intérieur duquel se trouvait le demandeur.

[39]         Aucune suite n'a été donnée à cette plainte.

L'ANALYSE

[40]         Il est admis qu'il n'est pas question de location, de droit de superficie ou de droit d'usage. Si ces droits avaient été en cause, ils auraient bien sûr constitué une justification empêchant tout recours en enrichissement injustifié.

[41]         1)    Comme le prétend la défenderesse, les règles de l'accession immobilière doivent-elles recevoir application  ?

[42]         Les articles 956 , 959 et 961 du Code civil se lisent:

956.  Le propriétaire de l'immeuble devient propriétaire par accession des constructions, ouvrages ou plantations qu'il a faits avec des matériaux qui ne lui appartiennent pas, mais il est tenu de payer la valeur, au moment de l'incorporation, des matériaux utilisés.

 

Celui qui était propriétaire des matériaux n'a pas le droit de les enlever ni ne peut être contraint de les reprendre.

 

1991, c. 64, a. 956.

 

959.  Le propriétaire doit rembourser les impenses utiles faites par le possesseur de bonne foi si les constructions, ouvrages ou plantations existent encore; il peut aussi, à son choix, lui verser une indemnité égale à la plus-value.

 

Il peut, aux mêmes conditions, rembourser les impenses utiles faites par le possesseur de mauvaise foi; il peut alors opérer la compensation pour les fruits et revenus que le possesseur lui doit.

 

Il peut aussi contraindre le possesseur de mauvaise foi à enlever ces constructions, ouvrages ou plantations et à remettre les lieux dans leur état antérieur; si la remise en l'état est impossible, le propriétaire peut les conserver sans indemnité ou contraindre le possesseur à les enlever.

 

1991, c. 64, a. 959.

 

961.  Le possesseur de bonne foi qui a fait des impenses pour son propre agrément peut, au choix du propriétaire, enlever, en évitant d'endommager les lieux, les constructions, ouvrages ou plantations faits, s'ils peuvent l'être avantageusement, ou encore les abandonner.

 

Dans ce dernier cas, le propriétaire est tenu de rembourser au possesseur le moindre du coût ou de la plus-value accordée à l'immeuble.

 

1991, c. 64, a. 961.

 

[43]         Pour que les règles de l'accession s'appliquent, il doit y avoir un possesseur.  Les articles 921 et 922 du Code civil nous enseignent que la possession est l'exercice de fait d'un droit réel dont on se veut titulaire. Il doit y avoir possession de fait et volonté de l'exercer à titre de propriétaire.

[44]         À défaut de cette volonté, il n'y a pas possession mais détention.

[45]         Pour produire des effets, la possession doit être paisible, continue, publique et non équivoque.

[46]         Or, comme le reconnaît le demandeur lui-même, jamais n'a-t-il utilisé le lot 24-1 à titre de propriétaire et il sait depuis toujours qu'il n'en possède pas les titres.

[47]         Puisqu'il n'a pas agi à titre de propriétaire, il n'est ni possesseur de bonne foi, ni de mauvaise foi. En fait, s'il avait été possesseur, comme dans l'affaire Inkel [1] , l'indemnité à laquelle aurait pu avoir droit le demandeur pour impenses à titre de possesseur en vertu des règles de l'accession l'aurait empêché d'avoir un recours en enrichissement injustifié. Il aurait bénéficié d'un autre type de recours.

[48]         Tout au plus le demandeur a-t-il agi à titre de détenteur et la détention n'emporte aucun des attributs de la possession [2] .

[49]         Partant, les règles de l'accession ne s'appliquent pas. Au demeurant, comme le mentionne l'auteur Denys-Claude Lamontagne [3] , lorsque les fruits et revenus sont le résultat du travail d'un tiers (autre qu'un possesseur de bonne foi à titre de propriétaire), le propriétaire du bien ne cesse pas d'être propriétaire des fruits et revenus. Le droit du propriétaire dans les fruits et revenus ne dépend plus de l'acquittement des frais, le propriétaire pouvant être appelé à indemniser le tiers pour les frais engagés selon les principes du droit commun notamment par le biais de l'enrichissement injustifié.

[50]         2)    Le recours en enrichissement injustifié est-il prescrit  ?

[51]         Puisque certains travaux réclamés remontent à 2006, la défenderesse soumet que certains postes sont prescrits par l'application de l'article 2925 C.c.Q . qui établit la prescription de trois ans.

[52]         Cet argument ne peut être retenu.  En effet, il est de jurisprudence constante que cette prescription de trois ans en matière d'enrichissement injustifié débute non pas à compter de la réalisation des travaux mais plutôt, dans le cas des conjoints, lors de la rupture [4] .

[53]         Par analogie, il serait injuste d'appliquer la prescription de trois ans à compter de 2006 alors que ce n'est qu'en janvier 2011, selon la version du demandeur, qu'il a reçu une mise en demeure dans laquelle les intentions de sa mère étaient claires pour lui. Le délai de prescription commence donc à compter du moment où le demandeur a la conviction que les travaux réalisés par lui ne lui appartiendront pas ou qu'ils ne feront pas l'objet d'une indemnisation quelconque.

[54]         3)    Preuve prépondérante a-t-elle été faite d'un enrichissement injustifié  ?

[55]         Comme le rappelle encore la Cour d'appel dans l'affaire Benzina [5] , cinq éléments doivent être prouvés pour qu'un demandeur puisse obtenir gain de cause dans un recours fondé sur les articles 1493 et 1494 C.c.Q .  en enrichissement injustifié:

-            Un appauvrissement;

-            Un enrichissement;

-            Une corrélation entre l'enrichissement et l'appauvrissement;

-            Une absence de justification légalement reconnue;

-            Une absence de tout autre recours de l'appauvri.

l'appauvrissement

[56]         Le détail des travaux est fourni dans la pièce P-3 pour un montant de 16 075 $. Il s'agit essentiellement de travaux réalisés à l'heure par le demandeur et certains aides au taux horaire de 20 $ pour certains travaux et de 35 $ pour d'autres.

[57]         Ces travaux ont été exécutés de juin 2006 à janvier 2011.

[58]         Essentiellement, il s'agit de travaux de marche, de débroussaillage, de coupe, de ramassage de quelques arbres morts, de travaux de pelle mécanique, de construction d'une barrière, d'entreposage, d'écorçage, de fabrication d'une remise à bois, de travaux de pelle mécanique pour la mise en place des remises de même que de coupe sélective pour faire un chemin.

[59]         Selon ce qui y est colligé, une centaine de jours ont été nécessaires pour la réalisation de ces travaux.

[60]         La preuve que de réelles dépenses ont été effectuées par le demandeur est bien mince. Il s'agit, selon lui, d'échanges de services flous pour lesquels aucune explication particularisée n'a été mise en preuve.

[61]         Le Tribunal retient que ce qui est réclamé, c'est essentiellement les heures de travail réalisées par le demandeur pour effectuer certains travaux qui l'ont amené en 2006 et en 2010 à couper du bois à vendre à son seul bénéfice.

[62]         Le calcul de la marge de profit réalisée ou à être réalisée par le demandeur sur le bois qu'il a vendu et qu'il entendait vendre à l'UPA est bien difficile à évaluer à première vue. Par ailleurs, il semble que les travaux aient été entièrement réalisés au bénéfice du demandeur qui entendait vendre, à son profit, le bois coupé sur la terre de sa mère. Sa mère n'avait besoin ni d'une remise, ni d'une clôture, ni de chemins de 4 roues.

[63]         Bien sûr, une personne qui travaille en raison d'une promesse de legs en sa faveur s'appauvrit-elle [6] . Dans l'affaire Langevin , tout comme dans l'affaire Chaye r [7] , la promesse non contredite d'un legs par la suite révoqué est de nature à créer un appauvrissement puisque des travaux n'avaient été effectués qu'en fonction de cette promesse plus tard non réalisée.

[64]         Ici, d'une part, preuve prépondérante d'une telle promesse n'a pas été faite, la défenderesse niant tout d'une telle promesse. D'autre part, malgré la chicane qui sévit entre les parties, même si une telle promesse avait été faite par Marguerite Lavoie, ce qui n'est pas une évidence, il serait bien sûr trop tôt pour conclure à sa révocation. Le recours serait prématuré, Marguerite Lavoie étant toujours bien en vie.

[65]         Peut-être, dans certaines circonstances que le Tribunal aurait eu à apprécier, si le demandeur avait réclamé des travaux qu'il avait exécutés avant le décès de son père pour une promesse faite par lui, la question se serait posée différemment.

[66]         En effet, la défenderesse admet n'avoir eu aucune connaissance des discussions entre son défunt mari et le demandeur à l'égard du lot 24-1.

[67]         Cependant, tous les travaux réclamés sont postérieurs au décès de Jean-Marie Minier auquel cas, l'appauvrissement n'a pas été démontré pour cette époque d'avant janvier 2006. Pour après juin 2006, s'il y a appauvrissement, il est dû au fait du demandeur qui aurait travaillé en l'absence de promesse ferme. S'il s'est appauvri, c'était sa volonté unilatérale. Partant, la preuve d'un appauvrissement compensable n'a pas été faite de façon prépondérante.

l'enrichissement

[68]         L'enrichissement doit être certain et susceptible d'une évaluation pécuniaire afin que les tribunaux puissent quantifier une contrepartie raisonnable.  Il revient à l'appauvri de faire la preuve de l'enrichissement de l'autre partie. La simple production par le demandeur de factures et d'un calcul d'heures pour des travaux de rénovation d'un immeuble ne suffit pas car elle ne permet pas d'évaluer l'augmentation réelle de la valeur de l'immeuble. Le montant des factures et les travaux réalisés ne correspondent pas forcément à la plus-value acquise par l'immeuble et la preuve rapportée doit établir la valeur de l'enrichissement [8] .

[69]         Ici, il n'est pas mis en doute que le demandeur a marché le lot, coupé du bois et fait les travaux mentionnés plus avant. Cependant, tout cela a été fait à son bénéfice sans qu'une preuve n'ait été établie de l'augmentation de la valeur du lot conséquente. En fait, tout dépend de l'utilisation que veut faire le propriétaire du lot et en l'absence de preuve, le Tribunal ne peut conclure qu'après ces travaux, le lot a pris de la valeur.

la corrélation entre l'enrichissement et l'appauvrissement

[70]         Si la preuve d'un enrichissement et d'un appauvrissement avait été faite, compte tenu du contexte, il aurait été démontré un lien entre les deux.

l'absence de justification légalement reconnue

[71]         L'absence de justification ne peut pas résulter de la faute ou de la négligence de l'appauvri. Il ne faut pas permettre à une personne de s'enrichir en raison de son manquement à un devoir.  Décider autrement reviendrait à faire bénéficier une personne d'un acte ou d'une négligence devant engager sa responsabilité [9] .

[72]         Ici, il est évident qu'un litige existait. Le demandeur ne parlait plus à sa mère depuis 2006 ou 2007 principalement parce qu'il n'avait pas reçu en donation le lot qu'il attendait de son père. Les taxes ont été payées par la défenderesse et les assertions générales rapportées par le demandeur ne suffisent pas à convaincre d'une permission quelconque d'utiliser le lot comme s'il en était propriétaire, les faits démontrant l'inverse.

[73]         En fait, comment le demandeur peut-il prétendre qu'il avait la permission de sa mère d'utiliser le lot comme un propriétaire alors que justement, il a rompu les liens avec sa mère et sa famille puisqu'il n’en était pas devenu propriétaire ?  Le fait que sa mère l'ait empêché de payer les taxes et refusé de lui céder la propriété sont des indications claires dont a fait fi le demandeur.

[74]         Ce dernier ne peut soulever le manquement à son obligation de ne pas aller sur un lot qui ne lui appartient pas et de ne pas y couper du bois pour soulever l'absence de justification permettant un recours en enrichissement injustifié.

[75]         C'est son manquement à son obligation civile du respect du droit de propriété de sa mère qui est en cause et non des travaux exécutés dans l'attente d'une promesse ferme. Permettre que la détention équivoque et sans autorisation puisse engendrer l'absence de justification légale permettant le recours en enrichissement injustifié pervertirait la notion même d'enrichissement injustifié qui pourrait alors s'ouvrir à des gens de mauvaise foi.

[76]         Qu'il ait cadenassé l'entrée de la terre de sa mère sans en avoir permis l'accès depuis la mise en demeure de janvier 2011 jusqu'à la résolution du présent conflit en est un exemple éloquent aussi. Qu'est-ce qui peut justifier le demandeur d'empêcher l'accès d'un lot qui ne lui appartient pas à son propriétaire en attendant un jugement concernant un recours en enrichissement injustifié ? Il se fait justice à lui-même. Il avait agi de la même façon avec ses frères concernant le «fendeur» après un litige. Unilatéralement, il avait décidé que «leurs parts étaient à zéro» et qu'il «le garderait pour lui».

[77]         Mais il y a plus.

[78]         L'article 1494 C.c.Q. doit aussi recevoir application, lequel se lit:

1494.  Il y a justification à l'enrichissement ou à l'appauvrissement lorsqu'il résulte de l'exécution d'une obligation, du défaut, par l'appauvri, d'exercer un droit qu'il peut ou aurait pu faire valoir contre l'enrichi ou d'un acte accompli par l'appauvri dans son intérêt personnel et exclusif ou à ses risques et périls ou, encore, dans une intention libérale constante.

1991, c. 64, a. 1494 .

[79]         L'appauvri ne dispose pas d'un droit à l'enrichissement injustifié lorsqu'il accomplit un acte dans son intérêt personnel. Donald Minier dira d'ailleurs à propos de ces travaux: «je m'amuse, je fais du nettoyage».

[80]         Qu'il ait coupé entre 300 et 500 arbres pour les vendre à son profit en est une démonstration éloquente.

[81]         Minier dira aussi qu'il veut être payé puisque dit-il, «ils lui ont enlevé la permission d'y aller». En fait, il a travaillé sur ce lot pour pouvoir l'utiliser selon ses besoins à lui. Il a construit un chemin pour exploiter le lot. Il a érigé une barrière (qu'il réclame) uniquement pour empêcher l'accès, notamment au propriétaire.

[82]         Tous ces motifs convainquent que le demandeur n'a construit que dans son seul intérêt sans égard au droit de propriété de sa mère et en contravention avec les droits civils de cette dernière. Si enrichissement il y a, il est justifié au sens de 1494 C.c.Q .

[83]         Il est par ailleurs d'intérêt de noter que lors de son témoignage, la défenderesse a exprimé qu'elle ne souhaitait pas faire de demande reconventionnelle et qu'elle espérait simplement que son fils parte avec ce qui lui appartenait et qu'il ne l'importune plus, la laissant avoir l'usage de son lot.

l'absence de tout autre recours de l'appauvri

[84]         Si les conditions du recours en enrichissement injustifié avaient été rencontrées, c'eût été le seul recours possible. Mais, puisque trois des conditions n'ont pas été rencontrées, il n'y a pas de preuve d'un enrichissement injustifié.

[85]         4)    Preuve prépondérante a-t-elle été faite d'une faute de la défenderesse lorsqu'elle a porté plainte à la sécurité publique  ?

[86]         La défenderesse a porté plainte parce que son fils était allé sur son lot prendre du bois sans sa permission et parce qu'elle voulait avoir la paix. La paix de contacts l'avait-elle bien sûr depuis 2006 ou 2007. Cependant, l'atmosphère était lourde dans la famille et le litige persistant n'avait comme seule conséquence que d'exacerber les tensions.

[87]         Lorsqu'elle porte plainte, elle a discuté avec ses enfants et elle est au courant que du bois a été coupé et que son fils entend le vendre à l'UPA. Elle était allée voir son lot.

[88]         Bien sûr la plainte arrive-t-elle plusieurs mois après la mise en demeure qui semble avoir fait suspendre les gestes critiqués par elle à l'égard de son fils.

[89]         Cependant, agissant ainsi, a-t-elle agi de mauvaise foi ?

[90]         La jurisprudence a clairement établi qu'une simple dénonciation aux autorités policières sans autre facteur n'engage pas la responsabilité civile du plaignant [10] .

[91]         Comme le mentionnait d'ailleurs le juge Bossé:

«Pour obtenir des dommages-intérêts en raison de poursuite abusive, il ne suffit pas d'établir que la plainte a été renvoyée. Il faut prouver qu'elle a été portée par malice, à la suite d'une erreur grossière ou sans cause ou motif valable . Il faut démontrer la mauvaise foi, l'incurie, la maladresse, la légèreté ou la témérité coupable.» [11]

(notre emphase)

[92]         C'est donc principalement sous l'angle de la mauvaise foi et de la témérité qu'il faut examiner le dépôt de la plainte puisque ce sont ces éléments qui peuvent être créateurs de responsabilité et qui délimitent le moment où le fait de s'adresser à la justice deviendra abusif [12] .

[93]         Et, comme le rappelle la Cour dans l'affaire St-Amour [13] :

Il n'y a aucun doute que tout citoyen a le droit fondamental de s'adresser à la justice pour exercer ses droits mais l'abus de tels droits peut donner lieu à un recours afin de réparer le préjudice subi. L'exercice abusif de ce droit n'existe que lorsque le recours est fait sans justification ou de mauvaise foi dans l'intention de nuire à la victime . Le type le plus fréquent de ce genre d'abus est la dénonciation téméraire, sans preuve suffisante, avec l'intention de nuire ou sans se soucier du préjudice qui pourrait être causé.

(notre emphase)

[94]         Partant, notamment puisque la défenderesse nie le droit de son fils Donald de travailler sur son lot, d'y ériger des constructions et d'y couper du bois, parce qu'elle savait que cela avait été fait, il est difficile de dire que sa plainte a été portée de façon téméraire, sans fondement et par pure malice. S'il est exact que la plainte est formulée plus de six mois après la mise en demeure, rien ne l'empêchait de la faire.  Aussi, elle n'a pas qualifié le comportement de son fils, elle n'a que raconté les faits aux policiers qui ont fait enquête.

[95]         La preuve ne révèle pas la raison pour laquelle le dossier ne s'est pas rendu plus loin mais à l'évidence, la défenderesse croyait avoir des motifs sincères de s'adresser aux autorités policières et en conséquence, cette portion du recours doit également être rejetée.

* * *

[96]         En somme, preuve prépondérante n'a pas été faite de chacune des conditions de l'enrichissement injustifié ni d'une faute civile de la défenderesse, ni non plus d'une faute lorsqu'elle a porté plainte aux autorités policières. Le recours doit donc être rejeté.

 

[97]         POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[98]         REJETTE la réclamation avec dépens.

 

 

 

 

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RICHARD P. DAOUST, J.C.Q.

 

 

 

M e Serge R. Simard

Gaudreault, Saucier, Simard, avocats

Avocat du demandeur

 

M e Richard Poitras

Dumais, Poitras, avocats

Avocat de la défenderesse

 

 

 

 

Dates d’audience :

17 et 18 septembre 2012

 



[1] Inkel c. Lambert , 2004 CanLII 48115 (QC C.S.), 17 décembre 2004, juge Yves Tardif

[2] Desjardins c. Montréal (Ville de) , J.E. 89-1254 , (C.A., 1989-06-19)

[3] LAMONTAGNE, Denys-Claude, Biens et propriété , 6 e édition, Éditions Yvon Blais, par. 762

[4] Sauvageau c. Charbonneau , 2011 QCCQ 4373 ; Matteau c. Lebreton , 2009 QCCQ 150

[5] Benzina c. Le , 2008 QCCA 803

[6] Langevin c. Lebeau , AZ-99021777

[7] Chayer c. St-Jean , J.E. 2004-1159 , (C.S.), 16 avril 2004, juge Borenstein

[8] KIRIM, Vincent, Les obligations , volume 1, 3 e édition, 2009, Éditions Wilson & Lafleur, page 1253

[9] Idem, page 1260

[10] Morissette c. Dufour , J.E. 98-2046 (C.S.); St-Amour c. Peterson , J.E. 98-294 (C.S.)

[11] Audette c. Ville de Québec , J.E. 2004-557 (C.Q.)

[12] D.L. c. J.S ., 2006 QCCQ 3155 , 3 mars 2006, juge Huguette St-Louis

[13] St-Amour c. Peterson, J.E. 98-294 (C.S.), par. 72