COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

AQ-2001-3688

Cas :

CQ-2012-4127

 

Référence :

2012 QCCRT 0462

 

Québec, le

4 octobre 2012

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DEVANT LE COMMISSAIRE :

Raymond Gagnon, juge administratif

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Syndicat régional des travailleuses et travailleurs des Couche-Tard
du Cœur du Québec - CSN

 

Requérant

c.

 

Couche-Tard inc.

Employeur

 

 

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DÉCISION

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[1]            Le 19 août 2012, le Syndicat régional des travailleuses et travailleurs des Couche-Tard du Cœur du Québec - CSN (la CSN ) dépose une requête en application du paragraphe a) de l’article 22 du Code du travail, L.R.Q., c. C-27 (le Code ) afin d’être accrédité pour représenter :

 

« Tous les salariés-es au sens du Code du travail »  

 

De :     Couche-Tard inc.

            Établissement visé  :

            260, rue Notre-Dame Ouest

            Victoriaville (Québec) G6P 1S2

[2]            Tel qu’il appert du rapport de l’agente de relations du travail dépêchée pour s’assurer du caractère représentatif de la CSN et de son droit à l’accréditation, il y a accord présumé sur la description de l’unité de négociation. Le litige porte uniquement  sur l’inclusion du nom de deux personnes sur la liste des salariés telle que fournie par l’employeur, soit mesdames Valérie Angers et Johanne Parenteau.

VALÉRIE aNGERS

[3]            Le 17 août 2012, trois jours avant le dépôt de la requête en accréditation, madame Angers se présente à une « séance préparatoire pré-emploi » . Cela signifie qu’elle rencontre la responsable du dépanneur. Sa candidature est retenue. Elle complète sur-le-champ les documents nécessaires pour constituer son dossier d’employée, dont la fourniture des données de l’institution financière pour le dépôt de sa paie. On discute aussi des heures de travail qu’elles pourraient fournir.

[4]            Toutefois, avant de confirmer le tout, elle doit connaître son horaire des cours pour la session d’études qu’elle entreprend au Cégep, de même que les heures de travail à faire au Subway où elle travaille déjà. On lui demande donc de se présenter au dépanneur pour 13 h le lundi suivant 20 août.

[5]            Le lundi, elle s’y présente. On lui remet le t-shirt aux couleurs du dépanneur et elle entame son entraînement pour la tâche de préposée dans le dépanneur portant notamment sur la gestion des différents billets de loterie et sur les règles légales applicables à la vente de certains produits.

[6]            Son nom apparaît pour la première fois au Registre des préposés le 20 août pour la période de 13 h à 16 h 45.

[7]            L’employeur plaide que madame Angers a posé des actes d’employée dès le 17 août en complétant les documents nécessaires pour confirmer son embauche, ce qu’il désigne comme étant du travail de bureau.

 

[8]            Le paragraphe l) de l’article 1 du Code précise qu’est « salarié », « une personne qui travaille pour un employeur moyennant rémunération (…) ». D’une part, s ’acquiert la qualité de salarié à compter du moment où la personne embauchée fournit une prestation de travail et l’employeur la paie pour cette prestation.

[9]            D’autre part, il ne peut être question dans le présent cas de réalité prochaine de retour au travail. Cette expression s’applique au salarié qui est absent du travail le jour du dépôt de la requête, notamment pour maladie ou accident, et, dans de tels cas, il y a lieu de s’interroger sur la date de reprise éventuelle du travail afin de décider si cette personne travaille toujours pour l’employeur et doit être considérée pour établir le caractère représentatif d’une association de salariés.

[10]         Dans notre cas, madame Angers n’a pas encore travaillé pour le dépanneur au jour du dépôt de la requête en accréditation. Son nom n’apparaît pas à la prévision d’horaire pour la semaine 17 (20 août -26 août 2012). Il apparaît pour la première fois au Registre de paie - Heures réelles de cette même semaine pour les 3,75 heures faites le 20 août. Il apparaîtra ensuite à la prévision d’horaire de la semaine 18, à compter du 27 août.

[11]         Madame Angers n’était donc pas encore salariée du dépanneur le 19 août.

johanne parenteau

[12]         Madame Parenteau travaille déjà comme assistante-gérante dans un autre dépanneur Couche-Tard lorsque la directrice régionale aux opérations, madame Jacinthe Fraser, lui offre, en juin 2012, de poursuivre son programme de formation à la relève pour accéder à des fonctions de gérante de dépanneur. Celui où elle travaille déjà est de type Truck Stop alors que celui de Victoriaville se trouve en milieu urbain. Il est donc nécessaire qu’elle acquière les connaissances propres à ce type de dépanneur.

[13]         Le personnel habituel du dépanneur comprend un assistant-gérant qui, le soir et la fin de semaine, est responsable de la caisse en l’absence de la gérante et de préposés.

[14]         La gestion au quotidien en est confiée à une gérante. Elle relève d’une coordonnatrice aux ventes, elle-même responsable d’une dizaine de dépanneurs. Outre le fonctionnement général du dépanneur, elle voit à l’embauche, à l’entraînement du personnel et à l’établissement des horaires de travail. À la fin de chaque période, elle confirme les données nécessaires à la paie.

[15]         Depuis mars 2012, la gérante du dépanneur de Victoriaville est visée par un plan de redressement, en raison de difficultés éprouvées dans la gestion de ce dépanneur.

[16]         À l’expiration d’une première période de trois mois et malgré le soutien fourni, elle ne réussit pas, de l’avis de madame Fraser, à corriger tous les éléments portés à son attention. Elle bénéficiera d’une période supplémentaire de deux mois. Pendant cette période, elle recevra de l’aide de la part de madame Parenteau.

[17]         Ainsi, le 19 juin 2012, madame Parenteau, tout en conservant son titre d’ assistante-gérante , commence à travailler dans le dépanneur de Victoriaville. Pendant cette assignation, elle relève de madame Fraser qui demeure responsable de sa formation et son salaire est comptabilisé dans les frais de fonctionnement du dépanneur. La gérante du dépanneur continue à assumer toutes ses fonctions.

[18]         Madame Parenteau y travaille du lundi au vendredi de jour. Elle est affectée principalement à la réception des marchandises et à leur mise en marché ou étalage. Elle se familiarise avec la structure de gestion. Pendant la période allant du jeudi 16 août au 19 août, son nom n’apparaît pas au Registre des préposés du dépanneur aussi désigné comme étant le Journal de bord . Il n’apparaît pas davantage à la Prévision des horaires de travail des semaines allant du 30 juillet au 19 août, ni au R egistre de paie - heures réelles correspondant à ces mêmes semaines.

[19]         Finalement, le 20 août, à la suite du départ de la gérante et le lendemain du dépôt de la requête en accréditation, elle accède à la fonction de gérante de ce dépanneur.

[20]         L’employeur a mis le nom de madame Parenteau sur la liste des salariés du dépanneur en indiquant qu’elle y est assistante-gérante .

[21]         La CSN plaide qu’elle ne fait partie du groupe de salariés qu’elle veut représenter. Elle ne relève pas de la gérante de ce dépanneur, même si son salaire émarge à son budget de fonctionnement. Il y a déjà un assistant-gérant pour ce dépanneur. Madame Parenteau y travaille pour donner un coup de main à la gérante tout en acquérant les compétences nécessaires pour accéder éventuellement à un poste de gérante. Son nom n’apparaît à aucun des documents de gestion du personnel de ce dépanneur.

[22]         L’employeur répond que madame Parenteau, en sa qualité d’ assistante gérante, est salariée dans le dépanneur et qu’il n’y a aucun élément permettant de lui nier cette qualité dans le présent cas. Il n’a pas lieu de faire grand cas du fait qu’elle y ait été en soutien à la gérante de ce dépanneur en sus des effectifs normaux du dépanneur.

 

 

[23]         La CSN demande à être accréditée pour représenter « Tous les salariés-es au sens du Code du travail » de l’employeur à son établissement de Victoriaville.

[24]         Même si on se trouve à l’étape de l’accréditation, il est nécessaire dans le présent cas de s’interroger sur la portée de l’unité de négociation pour laquelle la CSN demande à être accréditée afin de décider si madame Parenteau est incluse dans ce groupe.

[25]         À cette fin, il faut revenir aux éléments caractéristiques de l’accréditation conférée à une association de salariés en application du Code.

[26]         Ces éléments ont été rappelés par monsieur le juge Gonthier, au regard de l’interprétation des articles 45 et suivants du Code portant sur le transfert des droits liés à une accréditation, dans l’arrêt U.E.S., Local 298 c . Bibeault , [1988] 2 R.C.S.1048, aux paragraphes 147 à 153 :

[147]   L'accréditation est un mécanisme par lequel une association groupant la majorité absolue des salariés d'un employeur ou d'un groupe distinct des salariés d'un employeur est reconnue comme le seul représentant de ces salariés face à cet employeur pour les fins de la négociation collective . Selon l'al. 1 b ) du Code du travail , l’ « association accréditée » signifie « l'association reconnue par décision de [la Commission].

[148]  L'accréditation n'est pas une fin en soi : elle représente simplement [TRADUCTION] « le premier pas vers la paix industrielle » (…). Le seul but de l'accréditation, du point de vue juridique, est de faciliter la conclusion d'une convention collective : seule une association accréditée peut amorcer la procédure de négociation d'une convention collective (art. 52).

[149]  Le Code établit cependant certaines exigences relatives à la négociation d'une convention collective.

[150]  D'abord, chaque convention doit être négociée avec un seul employeur. Le Code ne reconnaît pas la possibilité d'une « accréditation multipatronale », (…) Le libellé du Code confirme comme principe qu'une association de salariés est accréditée pour négocier avec un employeur déterminé. (…)

[151]   Que la négociation se déroule dans le cadre de l'entreprise particularisée d'un employeur est une deuxième condition de la réalisation d'une convention collective. Bien que le Code ne souligne pas explicitement l'identité particulière de l'entreprise visée par la négociation, cette exigence est un incident inéluctable de la procédure d'accréditation et de la négociation de la convention collective.

 

[152]   La preuve en est que les unités de négociation prévues par le Code sont traditionnellement délimitées en fonction de l'entreprise particulière dans laquelle l'unité existe. Les critères importants pour déterminer le caractère approprié de l'unité de négociation sont énoncés avec bonheur par le vice-président Gold de la Commission des relations ouvrières du Québec, devenu par la suite Juge en chef de la Cour supérieure (…). Le critère prééminent est celui de la communauté d'intérêts des salariés dans l'unité de négociation proposée . Cette communauté d'intérêts doit être évaluée en fonction de la similitude des tâches exercées par les salariés, la similitude des salaires et des méthodes de rémunération applicables aux salariés, la similitude de leurs aptitudes et qualités, l'interdépendance ou le caractère interchangeable de leurs fonctions, et le transfert des salariés d'une catégorie d'emploi à une autre.

[153]  Il ressort de l'analyse du vice-président Gold que la communauté d'intérêts ne peut être évaluée sans que l'on tienne compte de l'entreprise dans laquelle les salariés travaillent. Ce n'est que par l'examen de l'entreprise en question que l'on peut découvrir s'il y a similitude de tâches, de salaires, de conditions de travail ou interchangeabilité de fonctions. Il n'est donc pas étonnant que le caractère approprié de l'unité de négociation soit déterminé par rapport à l'entreprise particulière à laquelle l'unité est liée . La convention collective conclue pour le compte des salariés qui forment l'unité de négociation ne s'applique pas à travers toute une industrie donnée. La convention collective ne vise que les conditions de travail de ces salariés à l'intérieur de l'entreprise particulière.

(Références et citations omises. Soulignements ajoutés)

[27]         Comme l’indique la Cour suprême dans cet extrait, les unités de négociation sont délimitées et, partant, doivent être appréhendées en fonction de l’entreprise particulière qui est visée, selon le critère de la communauté d’intérêts des salariés qui en font partie et ce, en vue de la négociation collective de leurs conditions de travail.

[28]         Ainsi, l’unité générale de négociation ici considérée doit être délimitée en fonction de l’entreprise particularisée qu’est le dépanneur de Victoriaville et le critère prééminent est celui de la communauté d’intérêt des salariés devant être incluse dans cette unité générale.

[29]         Il n’y a pas communauté d’intérêts partagée entre madame Parenteau qui est temporairement assignée dans ce dépanneur, à partir de la mi-juin jusqu’à la date du dépôt de la requête en accréditation, avec le groupe de salariés qui y travaillent, soit l’ assistant-gérant et les préposés identifiés sur la liste qu’a fournie l’employeur à la suite du dépôt de la requête en accréditation.

[30]         Madame Parenteau vient au dépanneur à la fois pour donner un coup de main à la gérante et pour parfaire sa formation en vue d’assurer la relève dans la gestion d’un établissement faisant partie des dépanneurs ou autres entreprises qu’exploite l’employeur. Elle ne fait pas partie du groupe de salariés y travaillant.

[31]         Dans le cadre de son assignation, madame Parenteau ne relève pas de la gérante du dépanneur, mais de la directrice régionale aux opérations . Ses tâches et ses conditions de travail ne sont pas de la même nature que celles des salariés habituels du dépanneur. Elle est en sus des effectifs habituels du dépanneur, dont l’ assistant-géran t qui, malgré sa présence, poursuit ses mêmes activités. Son horaire est particularisé et est établi en fonction de la nature de son mandat. Son nom n’apparaît pas à la Prévision des horaires de travail , ni au Registre des employés portant sur les communications du gérant et le rappel des règles et politiques que ces derniers doivent respecter pendant leur quart de travail, ni au Registre de paie .

[32]         Madame Parenteau ne fait donc pas partie du groupe de salariés du dépanneur de Victoriaville visé par la demande en accréditation.

le caractère représentatif

[33]         Le caractère représentatif de la CSN doit s’établir à partir d’une liste comprenant douze salariés, ce qui lui permet de jouir du caractère représentatif requis par le Code.

[34]         Toutes les autres conditions prévues au Code sont également remplies.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

DÉCLARE                     que Valérie Angers n’est pas salariée de Couche Tard inc. à la date du dépôt de la demande en accréditation;

DÉCLARE                     que Johanne Parenteau n’est pas incluse dans l’unité de négociation pour laquelle le Syndicat régional des travailleuses et travailleurs des Couche-Tard du Cœur du Québec - CSN demande à être accrédité;

ACCRÉDITE                 le Syndicat régional des travailleuses et travailleurs des Couche-Tard du Cœur du Québec - CSN

pour représenter :

 

 

« Tous les salariés-es au sens du Code du travail ».

De :       Couche-Tard inc .

              Établissement visé :

              260, rue Notre-Dame Ouest

              Victoriaville (Québec)  G6P 1S2

 

 

 

 

 

 

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Raymond Gagnon

 

 

 

 

M e Yves Deslauriers

ROY ÉVANGÉLISTE, AVOCAT-E-S

Représentant du requérant

 

M e Benoît Larose

M e Patrick Bussières

ROUSSIN LAROSE LESSARD AVOCATS

Représentants de l’employeur

 

Date de l’audience :

Le 24 septembre 2012

 

/jb