Grondines c. Larouche |
2012 QCCQ 9257 |
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JP2098
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
LONGUEUIL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
505-32-024490-089 |
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DATE : |
5 septembre 2012 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE SUZANNE PARADIS, J.C.Q. |
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ANNIE GRONDINES ET THIBAUT VANALDERWERELT |
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Demandeurs |
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c. |
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LISE LAROUCHE ET SUCCESSION JACQUES DELORME |
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Défenderesses |
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et |
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MANON FORTIN |
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Partie appelée |
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JUGEMENT |
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[1] Le 29 septembre 2005, Annie Grondines et Thibaut Vanalderwerelt achètent un immeuble appartenant à Manon Fortin et situé dans un projet de développement domiciliaire.
[2] Au mois de janvier 2006, ils découvrent l'existence d'une taxe d'infrastructures de 21 726,18 $ répartie sur une période de 20 ans.
QUESTIONS EN LITIGE
[3] Le notaire Jacques Delorme (décédé) commet-il une faute en ne vérifiant pas le coût des taxes d'infrastructures avant la signature de l'acte de vente?
[4] Lise Larouche, courtière immobilière, commet-elle une faute dans le cadre de ses obligations contractuelles?
[5] Dans l’affirmative, quel est le préjudice subi par Annie Grondines et Thibaut Vanalderwerelt?
LES FAITS
[6] Au mois d'août 2005, les demandeurs font appel aux services de Lise Larouche, courtière immobilière depuis plus de 15 ans.
[7] Madame Larouche avise Annie Grondines et Thibaut Vanalderwerelt que l'immeuble fait l'objet d'une reprise de finances, que la venderesse, Manon Fortin, a des difficultés financières importantes. Elle les informe que les taxes sont impayées, et qu'il y a des travaux d'entrepreneurs suspendus faute de paiements.
[8] Devant la complexité du dossier et avant la signature de la promesse d'achat, madame Larouche réfère Annie Grondines et Thibaut Vanalderwerelt à Me Delorme dans le but de connaître l'ensemble des dettes et charges affectant l'immeuble.
[9] Le 19 août 2005, Annie Grondines et Thibaut Vanalderwerelt déposent une offre d'achat au montant de 195 000 $ (D-2), laquelle est acceptée le 21 août 2005.
[10] Le 15 septembre 2005, la venderesse et les acheteurs modifient conventionnellement le prix d'achat et le fixe à 197 000 $, retardent la signature de l'acte d'achat au 29 septembre 2005 et l'occupation des lieux au 30 septembre 2005.
[11] À une date que la preuve ne permet de connaître, Annie Grondines et Thibaut Vanalderwerelt rencontrent Me Delorme et lui confient le mandat de vérifier toutes les dettes et les charges pouvant affecter l'immeuble étant donné que l'immeuble est situé dans un développement immobilier récent et que la construction de la résidence n'est pas terminée.
[12] Le 24 août 2005, Me Delorme reçoit de la Ville de Carignan une confirmation de taxes (D2-2).
[13] Le représentant de la Ville de Carignan confirme au Tribunal que la Ville adopte, avant l'année 2005, un règlement pour la réalisation des travaux d'infrastructures et pour le financement relié au développement domiciliaire où est situé l'immeuble; ce règlement appelé Covaltan porte le numéro 334.
[14] Le 16 septembre 2005, après l'adoption par la Ville du règlement d'emprunt établissant le montant exact des taxes reliées aux travaux d'infrastructures pour ce développement domiciliaire, un avis est envoyé à tous les propriétaires fonciers appelé « Offre de paiement comptant » (D-5).
[15] Manon Fortin reçoit l'offre de la Ville de payer comptant 21 726,18 $ à titre de taxes d'infrastructures ou de répartir cette taxe sur une période de 20 ans.
[16] Le 29 septembre 2005, Annie Grondines et Thibaut Vanalderwerelt signent en présence de Me Delorme l'acte d'achat de la résidence (P-2), lequel contrat indique à la page 3, à l'item "DÉCLARATIONS DU VENDEUR", article 2 :
« Toutes les taxes et autres impositions, municipales et scolaires, générales et spéciales, affectant l'immeuble, et facturées à ce jour, ont été acquittées, sans subrogation ni consolidation, le tout, comme suit :
- municipales, jusqu'au 31 décembre 2005;
- scolaires, jusqu'au 30 juin 2006. »
[17] Le 30 septembre 2005, Me Delorme rédige le mémoire des répartitions des taxes municipales et scolaires, sans mention des taxes d'infrastructures (P-3).
[18] Lorsque Annie Grondines et Thibaut Vanalderwerelt signent l'acte d'achat de l'immeuble, il n'est nullement question de la taxe d'infrastructures.
[19] Le 3 octobre 2005, Me Delorme reçoit de la Ville un reçu officiel concernant le paiement des taxes municipales et scolaires lequel reçu indique la mention « Solde paiement comptant : 21 726,18 $ » soit le montant de la nouvelle taxe pour les infrastructures (P-4).
[20] Après la découverte de cette taxe d'infrastructures en janvier 2006, Annie Grondines et Thibaut Vanalderwerelt contactent madame Larouche et l'informent de la situation; cette dernière nie toute responsabilité.
[21] Madame Larouche déclare au Tribunal:
- qu'elle ne fait aucune démarche concernant les taxes d'infrastructures;
- qu'elle réfère les clients à un notaire, avant la signature de la promesse d'achat;
- qu'elle se sert de la fiche descriptive du courtier inscripteur pour fournir des renseignements à ses clients.
[22] Elle déclare au Tribunal qu'en référant ses clients à Me Delorme, elle rencontre son obligation contractuelle.
[23] Elle ne discute d'aucune façon de la question des taxes d'infrastructures avec ses clients puisqu’ils font affaires avec leur notaire.
[24] Annie Grondines et Thibaut Vanalderwerelt rencontrent Me Delorme pour discuter de la découverte du compte de taxes d'infrastructures et ce dernier nie toute responsabilité.
[25] Conséquemment, ni madame Larouche ni Me Delorme n’informent les futurs acheteurs d'une potentielle taxe d'infrastructures.
[26] Le 27 février 2007, madame Larouche et Me Delorme reçoivent des mises en demeure de la part des acheteurs (P-6 et P-7).
[27] Le 24 février 2010, Annie Grondines et Thibaut Vanalderwerelt vendent leur immeuble pour la somme de 330 000 $ (D2-4).
[28] Les demandeurs réclament le montant des taxes d'infrastructures annuelles soit 1 539,93 $ par année pour quatre ans et demi.
ANALYSE ET DÉCISION
[29]
Le recours des acheteurs contre le notaire est fondé sur l'article
Art. 2100 . « L'entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d'agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l'ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d'agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s'assurer, le cas échéant, que l'ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.
Lorsqu'ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure. »
[30] Jean-Louis Beaudoin [1] écrit, au sujet de la responsabilité du notaire, que l'analyse du concept de faute exige de comparer le comportement du notaire à celui d'un professionnel du droit normalement prudent, diligent et compétent.
[31] Annie Grondines et Thibaut Vanalderwerelt ne présentent aucune preuve d'expert pour démontrer au Tribunal la norme de conduite applicable dans leur cas et ainsi faire la preuve d'une faute professionnelle de la part de Me Delorme et de madame Larouche.
[32] Les obligations de Me Delorme exigent qu'il doit informer les acheteurs des charges qui affectent l'immeuble au moment de la vente.
[33] Le 21 août 2005, une promesse d'achat est conclue entre les parties. La venderesse et les acheteurs y apportent certaines modifications qui ne changent en rien l’objectif de la promesse d'achat.
[34] La jurisprudence reconnaît que les droits des parties à une transaction immobilière se cristallisent lors de la signature de la promesse d'achat. Toutes discussions subséquentes chez le notaire sur des éléments qui auraient dû être discutés avant la signature de la promesse d'achat, ne sont pas pertinentes [2] .
[35] Me Delorme reçoit des informations sur le compte de taxes de la Ville le 24 août 2005 alors qu'Annie Grondines et Thibaut Vanalderwerelt signent une promesse d'achat le 19 août 2005.
[36] La confirmation de taxes ne tient pas compte des taxes d'infrastructures puisqu'elles sont officialisées par la Ville de Carignan que le 16 septembre 2005.
[37] Par conséquent, les droits des acheteurs se cristallisent le 21 août 2005 alors que Me Delorme ne connaît pas encore l'état des taxes municipales d’infrastructures.
[38] Les acheteurs signent trop rapidement la promesse d'achat. Ils signent sans connaître la situation véritable relative aux taxes. Ils commettent une faute en signant la promesse d'achat alors que madame Larouche les prévient de la complexité du dossier étant donné la situation financière de la venderesse et les réfère à un notaire.
[39] Pour que la responsabilité de Me Delorme soit retenue, trois critères sont nécessaires; une faute, un préjudice et un lien de causalité.
[40] Par ailleurs, les acheteurs signent la promesse d'achat avant l'exécution du mandat confié à Me Delorme. Sa responsabilité ne peut être retenue faute de préjudice et de lien de causalité.
[41] Subsidiairement, la preuve prépondérante démontre que la taxe d'infrastructures est indéterminée, incertaine et non exigible au 21 août 2005.
[42] La jurisprudence, spécifique en la matière, reconnaît que les taxes foncières constituent une charge affectant un immeuble non pas lors de l'adoption du règlement qui crée cette taxe, mais à compter du moment où le montant devient certain et déterminé. [3]
[43] Le Tribunal conclut que la responsabilité de Me Delorme n'est pas retenue.
[44] La courtière immobilière est une spécialiste et doit être considérée comme un expert du domaine du courtage immobilier. [4]
[45] Madame Larouche, en vertu des règles de déontologie et aux règles de l'art d'une courtière immobilière, réfère ses clients à un professionnel Me Delorme afin qu'il fasse les démarches utiles pour informer adéquatement les acheteurs quant à leurs futures obligations de payer des taxes échues ou à échoir.
[46] Devant la complexité du dossier, madame Larouche agit selon les règles de l'art en informant ses clients de la nécessité de consulter un autre spécialiste du droit.
[47] Notre collègue Henri Richard, juge de la Cour du Québec, écrit dans son livre intitulé « Le Courtage Immobilier du Québec » [5] :
« En matière de taxation municipale, un acheteur ne peut reprocher à son courtier d'avoir omis de vérifier le montant des taxes s'il reçoit un compte pour une taxe d'amélioration locale qui constitue une « charge postérieure à la vente » puisque non encore imposée, bien que, le règlement municipal s'y rapportant prend effet avant la vente. »
[48] Le Tribunal fait siens les propos du Juge Richard et conclut que les acheteurs ne peuvent reprocher à madame Larouche de ne pas vérifier le montant des taxes d'infrastructures non encore imposées, indéterminées et incertaines car elles constituent une « charge postérieure à la promesse d'achat » laquelle promesse cristallise les droits des parties.
[49] La responsabilité professionnelle de madame Larouche n'est pas retenue.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE la demande d'Annie Grondines et Thibaut VanalderWerelt;
REJETTE la demande en garantie de la partie appelée;
CONDAMNE Annie Grondines et Thibaut VanalderWerelt à payer à Lise Larouche les frais judiciaires de 152 $;
CONDAMNE Annie Grondines et Thibaut VanalderWerelt à payer à Succession Jacques Delorme les frais judiciaires de 144 $;
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__________________________________ SUZANNE PARADIS, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
Le 28 juin 2012 |
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[1] BEAUDOIN, Jean-Louis, La Responsabilité Civile , 6 e édition, Les Éditions Yvon Blais inc., no 1564,
[2]
Chou Hong Yau c. Bengassem
,
[3]
Gagné c. Plouffe
,
[4] Papineau c. Sigouin , (1994) RDI c. 154157CQ
[5] Henri RICHARD, Le Courtage immobilier au Québec , Éditions Yvon Blais, 3 e édition, page 130