Date : 20121002
Dossier : IMM-1128-12
Référence : 2012 CF 1164
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 2 octobre 2012
En présence de monsieur le juge Near
ENTRE :
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MERHAWI NEGASH
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demandeur
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et
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LE MINISTRE
DE LA CITOYENNETÉ ET
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défendeur
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1]
Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la
décision du 13 janvier 2012 par laquelle la Section de la protection des
réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la
Commission) a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de
la Convention ni de personne à protéger aux termes des articles 96 et
[2] Pour les motifs exposés ci-après, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
I. Les faits
[3] Le demandeur affirme qu’il est un citoyen de l’Érythrée. Il est arrivé au Canada en octobre 2010 et a demandé l’asile en décembre 2010 en invoquant la persécution religieuse du fait de son appartenance à l’Église pentecôtiste en Érythrée.
[4] Le demandeur a grandi dans l’Église orthodoxe, dont ses parents sont des membres actifs. Vers la fin de son adolescence, il a commencé à fréquenter une église pentecôtiste, au grand désarroi de ses parents et des prêtres de l’Église orthodoxe. Il a été expulsé de celle-ci et ses parents l’ont envoyé vivre avec ses grands-parents dans une autre région de l’Érythrée. Il est retourné plus tard vivre avec ses parents, à la condition qu’il abandonne ses liens avec l’Église pentecôtiste.
[5] Après son retour, le demandeur a recommencé à fréquenter l’Église pentecôtiste à l’insu de ses parents. En juin 2010, il a été arrêté à l’occasion d’une descente effectuée lors d’un rassemblement de pentecôtistes auquel il participait. Il soutient avoir été battu pendant sa détention. Il a été relâché près de trois semaines plus tard et a alors consenti à fournir à la police des renseignements concernant des rassemblements subséquents de pentecôtistes.
[6] Le demandeur affirme qu’il a été surveillé après avoir été relâché. Craignant pour la sécurité de son fils, la mère du demandeur lui a donné sa dot et l’a envoyé vivre à Khartoum, au Soudan. Lorsqu’il est arrivé là-bas, le demandeur a rencontré Jemal, l’agent soudanais qui l’a aidé à obtenir des documents de voyage et à venir s’établir au Canada.
II. La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire
[7] La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités et que cette conclusion, ainsi que d’autres motifs, démontraient que les allégations et le témoignage du demandeur n’étaient pas crédibles.
[8] Le demandeur a présenté deux documents afin d’établir son identité : un certificat de baptême et un acte de naissance. La Commission a rejeté le certificat de baptême, parce que le demandeur a déclaré à l’audience que celui-ci était erroné. La Commission a formulé plusieurs préoccupations au sujet de l’authenticité de l’acte de naissance, notamment le fait que seul le nom de la mère y figurait et qu’il n’avait été préparé qu’en anglais, alors que le certificat de baptême avait été établi à la fois en anglais et en tigrina. De plus, la taille du papier sur lequel l’acte de naissance était imprimé était différente de celle des autres documents émanant de l’Érythrée et l’acte a été établi alors que le demandeur était âgé de 23 ans. Le demandeur n’a pu expliquer d’où l’acte de naissance provenait ni comment il avait été obtenu. La Commission s’est également fondée sur ce qui lui a semblé être « une formulation juridique inventée » figurant au recto du document : [traduction ] : « Cet acte de naissance est délivré aux fins d’effet juridique. »
[9] La Commission a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur en raison de l’incapacité de celui-ci « à fournir de l’information de base concernant les titres de voyage utilisés pour venir au Canada ». Sur un formulaire d’immigration, le demandeur a déclaré que le passeport était un faux passeport hollandais établi au nom d’un certain Berhe Habte et qu’il ne l’avait plus en sa possession lorsqu’il a présenté sa demande d’asile. Lorsqu’il s’est fait demander à l’audience si le passeport était un passeport érythréen, le demandeur a d’abord répondu qu’il ne le savait pas et a dit ensuite qu’il était possible que ce soit un passeport soudanais.
[10] De plus, la Commission a relevé plusieurs incohérences entre le témoignage que le demandeur a présenté à l’audience et les renseignements qu’il a fournis sur son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et d’autres documents déposés au soutien de sa demande. Plus précisément, la Commission n’était pas convaincue que le demandeur avait présenté suffisamment d’éléments de preuve établissant son appartenance à l’Église pentecôtiste du Plein Évangile en Érythrée.
[11] La Commission a également tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur du fait que celui-ci a été incapable de fournir de l’information de base au sujet de son séjour de trois mois à Khartoum et des versions contradictoires qu’il a données quant à la façon dont il s’est procuré la somme de 10 000 $ qu’il a versée à Jemal, l’agent qui l’a aidé à venir au Canada. Le demandeur a omis de fournir sur son FRP des « renseignements déterminants » sur la façon dont il s’est procuré l’argent qui a servi à payer son voyage, notamment le fait que de nombreux membres d’une église catholique Khartoum lui ont fourni environ la moitié du montant nécessaire. Sur le FRP, le demandeur a simplement déclaré qu’il avait payé Jemal à l’aide de l’argent qu’il avait obtenu de la vente de la dot de sa mère.
[12] La Commission a conclu que les documents que le demandeur avait présentés pour établir son appartenance à l’Église pentecôtiste et la persécution dont il avait été victime et à laquelle il serait exposé s’il retournait en Érythrée étaient des documents « intéressés et ne sont pas étayés par des documents de tiers plus fiables que ceux fournis [ … ] ». Elle n’a donc accordé « aucun poids » aux documents du demandeur. Un de ces documents était une lettre de l’ami du demandeur, qui soutient être une personne secrètement membre de l’Église pentecôtiste en Érythrée. Cependant, l’ami a utilisé l’adresse de l’Église pentecôtiste comme adresse de retour sur l’enveloppe de la lettre qu’il a envoyée au demandeur. La Commission a tiré une conclusion défavorable concernant la crédibilité du demandeur en raison de « l’explication déraisonnable » qu’il a donnée au sujet de cette incohérence.
[13]
La Commission a donc conclu que les allégations et le
témoignage du demandeur n’étaient pas crédibles et que, par conséquent, il n’avait
pas établi qu’il existait une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté en
raison de sa religion ou d’autres motifs énumérés à l’article
III. Les questions en litige
[14] Les questions que le demandeur a soulevées peuvent être formulées comme suit :
a) La conclusion que la Commission a tirée au sujet de l’identité du demandeur était-elle raisonnable?
b) La conclusion que la Commission a tirée au sujet de la crédibilité était-elle raisonnable?
IV. La norme de contrôle
[15]
Les conclusions relatives à la crédibilité et à l’appréciation
de la preuve relèvent de la compétence spécialisée de la Commission et
appellent donc une grande retenue. Les décisions de la Commission sur ces
questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision
raisonnable (
Mico c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)
[16]
Le caractère raisonnable « tient principalement à la
justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du
processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues
possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du
droit. »
(
Dunsmuir c Nouveau-Brunswick
,
V. Analyse
A. Détermination de l’identité du demandeur
[17] Le demandeur soutient que les décisions de la Commission au sujet de l’acte de naissance et du certificat de baptême qu’il a présentés pour établir son identité reposent sur des hypothèses et des suppositions. Il fait valoir que la Commission n’a pas expliqué clairement dans ses commentaires concernant l’acte de naissance les raisons pour lesquelles elle n’a pas accepté le document comme preuve de l’identité du demandeur. Le demandeur ajoute que la décision de la Commission reposait sur une interprétation erronée du mot « confirmed » (confirmé) figurant au recto du certificat.
[18] Je ne puis accepter les arguments du demandeur. Les nombreuses préoccupations que la Commission a soulevées au sujet de l’authenticité de l’acte de naissance du demandeur démontrent un processus décisionnel justifiable, intelligible et transparent qui a mené à la conclusion raisonnable selon laquelle les documents n’établissaient pas l’identité du demandeur selon la prépondérance des probabilités. De plus, le demandeur a eu l’occasion de répondre aux préoccupations de la Commission à l’audience et n’a pu donner de réponse satisfaisante. La décision de la Commission sur ce point était raisonnable.
[19] En ce qui concerne le certificat de baptême que le demandeur a présenté pour établir son identité, la Commission ne s’est pas fondée sur une interprétation de la « confirmation », comme l’a soutenu le demandeur. La Commission souligne plutôt le fait que le demandeur a admis à l’audience que le document était erroné. La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités n’était donc nullement déraisonnable.
B. Les conclusions relatives à la crédibilité
[20] Le demandeur invoque trois raisons pour contester les conclusions défavorables que la Commission a tirées au sujet de sa crédibilité. D’abord, il fait valoir que la Commission a écarté à tort les documents qu’il avait présentés pour établir son appartenance à l’Église pentecôtiste parce qu’il s’agissait des documents « intéressés » qui n’étaient pas étayés par des documents émanant de tiers. En deuxième lieu, le demandeur affirme que la Commission s’attendait à ce qu’il dépose un document provenant de l’Église pentecôtiste de l’Érythrée pour prouver son appartenance à celle-ci, ce qui était déraisonnable de la part de la Commission. En troisième lieu, le demandeur reproche à la Commission d’avoir tiré des conclusions sur la crédibilité relativement à des questions périphériques, ce qui ne suffisait pas pour rejeter la totalité de la preuve du demandeur.
[21]
À titre de juge des faits, la Commission a le droit de
soupeser la preuve et d’en apprécier la fiabilité et la valeur probante. Même
si l’emploi par la Commission du mot « self-serving » (« documents
intéressés ») pour décrire les lettres déposées par le demandeur est
contestable, il est bien établi qu’« il n’est pas nécessaire que chaque
élément du raisonnement du tribunal administratif satisfasse au critère du
caractère raisonnable. La question consiste plutôt à se demander si, considérés
dans leur ensemble, les motifs étayent la décision » (
Tenorio c Canada
(Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),
2007 CF 63,
[2007] ACF n° 98, au paragraphe 7;
Voice Construction Ltd. c Construction
& General Workers’ Union, Local 92
,
[22] Un examen du dossier, y compris la transcription de l’audience, révèle une foule d’incohérences et d’omissions dont la Commission a tenu compte pour en arriver à ses conclusions. De plus, la Commission a donné au demandeur plusieurs occasions de répondre aux préoccupations qu’elle avait au sujet de la preuve et le demandeur n’a pu donner d’explication satisfaisante. Dans l’ensemble, je suis d’avis que les motifs que la Commission a invoqués appuient le caractère raisonnable de sa décision.
VI. Conclusion
[23] La Commission a examiné de manière raisonnable la preuve portée à son attention. Sa conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas établi son identité selon la prépondérance des probabilités et sa conclusion défavorable au sujet de la crédibilité appartenaient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« D. G. Near »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1128-12
INTITULÉ : MERHAWI NEGASH c. MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto
DATE DE L’AUDIENCE : Le 20 septembre 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE NEAR
DATE DES MOTIFS : Le 2 octobre 2012
COMPARUTIONS :
Mordechai Wasserman
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POUR LE DEMANDEUR |
Leila Jawando
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mordechai Wasserman Avocat Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR |