[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2012
En présence de madame la juge Gagné
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET
LE MINISTRE
DE LA CITOYENNETÉ
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1]
La présente demande vise à contester une décision datée du
20 décembre 2011 par laquelle un commissaire de la Section d’appel de
l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [tribunal]
a confirmé une mesure d’exclusion qui avait précédemment été prise à l’encontre
de la demanderesse pour cause de fausses déclarations au sens de l’alinéa
Les faits à l’origine du litige
[2]
La demanderesse est une citoyenne de la Jamaïque âgée de
28 ans. Elle a immigré au Canada le 6 septembre 2006 en qualité
de résidente permanente parrainée relevant de la catégorie du regroupement
familial, ayant été parrainée par son père. Cependant, elle n’a pas obtenu le
droit d’établissement à l’entrée, parce qu’il a été décidé qu’elle avait
« fait, directement ou indirectement, une présentation erronée sur un fait
important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui
entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente
loi », comme le prévoit l’alinéa
[3] Avant de venir au Canada, la demanderesse est devenue enceinte et a donné naissance à un enfant. Elle a révélé ce renseignement à l’infirmière qui l’a examinée pour vérifier son admissibilité, mais elle n’a pas été convoquée à une entrevue et n’a pas pensé à informer l’agent des visas lorsqu’elle s’est rendue à l’ambassade pour aller chercher son visa.
[4] À son arrivée au Canada, la demanderesse a avoué à l’agent des visas qu’elle avait un fils,k et les autorités de l’immigration ont immédiatement ouvert une enquête pour fausses déclarations à son sujet. Le 14 mai 2009, la Section de l’immigration a décidé que la divulgation de l’existence d’un enfant, qu’il accompagne la demanderesse ou non, était un fait important, et que celle-ci ne s’était pas conformée à l’obligation qu’elle avait de communiquer ce renseignement aux autorités de l’immigration avant de venir au Canada. La Section de l’immigration a également conclu que la divulgation que la demanderesse avait faite au point d’entrée ne suffisait pas. En conséquence, une mesure d’exclusion a été prise contre la demanderesse.
[5]
En appel devant la Section d’appel de l’immigration, la demanderesse n’a
pas contesté la validité de la mesure d’exclusion prise contre elle, mais a
demandé au tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire de décider s’il existait
des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales, vu les
autres circonstances de l’affaire, en application de l’alinéa
[6] En 2009, la demanderesse a commencé à présenter des symptômes de schizophrénie. Elle a été admise à l’hôpital Sunnybrook, situé à Toronto, deux fois en 2010 pour y recevoir des soins psychiatriques; elle a fait l’objet d’un diagnostic de schizophrénie paranoïde et nécessite un traitement continu à l’aide d’antipsychotiques. Depuis le 22 janvier 2009, elle demeure dans un refuge d’urgence pour femmes seules sans foyer, où elle reçoit du soutien d’un psychiatre, d’une infirmière et d’une travailleuse sociale.
[7] Aux fins de l’audition de l’appel, il a été décidé que la demanderesse était une personne vulnérable au sens des Directives n° 8, Procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada , et qu’elle avait besoin d’un représentant désigné [RD]. La travailleuse sociale de la demanderesse, M me Allen, a été nommée à ce titre. M me Allen et la demi-sœur de la demanderesse ont témoigné pour le compte de celle-ci, qui ne pouvait pas témoigner elle-même en raison de son état.
[8]
Le tribunal a examiné les facteurs qui ont été énoncés dans l’arrêt
Ribic
et que la Cour suprême du Canada a appliqués dans
Chieu c Canada (Ministre de
la Citoyenneté et de l’Immigration)
,
[9] D’abord, le tribunal a souligné que les réticences en l’espèce sont graves et considérables et qu’elles portent atteinte à l’intégrité même du système canadien d’immigration, mais que cela doit être atténué par le fait que la demanderesse a volontairement divulgué l’existence de son enfant au point d’entrée et que sa présentation erronée s’apparente davantage à une présentation erronée accidentelle.
[10] En deuxième lieu, le tribunal a jugé que la demanderesse n’était pas bien établie au Canada à la date de l’audience, malgré le temps qu’elle y avait passé. Le tribunal a souligné que la demanderesse est sans emploi, même si elle a travaillé dans le passé, d’après le témoignage de la RD; qu’il n’y a pas de lettre de soutien du père de la demanderesse ou d’un autre membre de la famille de celle-ci, même si, d’après le témoignage de sa sœur, elle a des tantes, des oncles, des cousins et une grand-mère au Canada, et que la demanderesse n’entretient pas de liens avec les membres de sa famille et n’a que peu de contacts avec son père.
[11] En troisième lieu, le tribunal a conclu que le retour de la demanderesse en Jamaïque n’occasionnerait pas de bouleversements aux membres de sa famille. Le tribunal a souligné que le père de la demanderesse n’avait pas contribué activement à s’occuper d’elle ou à l’aider et que le seul soutien familial dont la demanderesse semblait bénéficier était celui que lui témoignait sa demi-sœur. Selon le tribunal, la demi-sœur de la demanderesse semble être le seul membre de la famille susceptible de connaître des difficultés d’ordre émotif si la demanderesse devait quitter le pays parce qu’elle est constamment en contact avec elle et lui vient en aide sur les plans moral et financier.
[12] En quatrième lieu, le tribunal a rejeté l’argument du conseil de la demanderesse selon lequel le soutien médical et social dont elle bénéficie au Canada en raison de son état de santé ne lui sera pas offert en Jamaïque. Le tribunal a accepté la preuve objective (y compris des lettres de deux directeurs de l’unité de la santé mentale et de la toxicomanie au ministère de la Santé et de l’Environnement de la Jamaïque) selon laquelle la majorité des personnes qui souffrent de maladies mentales chroniques sont traitées dans la communauté dans laquelle elles demeurent sous la supervision de leur famille, la Jamaïque ne disposant pas de refuges gérés par l’État et, sans le soutien de leurs parents proches, ces personnes pourraient devenir des sans-abri et des victimes d’abus et de stigmatisation. Cependant, le tribunal a estimé que ces lettres ne traitaient pas de la situation précise de la demanderesse quant au degré de soutien familial dont elle bénéficierait en Jamaïque. Le tribunal a admis que la demanderesse subirait vraisemblablement un préjudice si elle était renvoyée en Jamaïque et que son état pourrait se détériorer en raison de l’accès restreint qu’elle aurait aux soins de santé, mais il a décidé qu’il ne pouvait affirmer que la demanderesse ne bénéficierait d’aucun soutien familial dans son pays. Voici comment le tribunal s’est exprimé :
La question de savoir si la mère de l’appelante veut ou peut apporter du soutien à l’appelante si celle-ci était renvoyée à la Jamaïque constitue un élément clé pour trancher ce facteur. Aucun élément de preuve ne démontre que la représentante désignée et la sœur de l’appelante ont déployé des efforts pour communiquer avec la mère de l’appelante pour savoir ce qu’elle peut et veut faire pour l’appelante, et aucune raison n’a été invoquée pour expliquer la raison pour laquelle la mère de l’appelante ne pouvait pas être appelée pour témoigner à l’audience. L’appelante, qui est sa fille, avait vécu avec elle à la Jamaïque avant de venir au Canada.
Le tribunal n’a pas entendu la mère de l’appelante
ou une personne qui lui a effectivement parlé longuement au sujet de l’état et
des besoins de l’appelante. Le tribunal estime qu’il n’y a pas assez d’éléments
de preuve qui démontrent que la mère de l’appelante ne peut ou ne veut fournir
un foyer à l’appelante, l’amener à une clinique ou lui procurer ses
médicaments. Si la sœur de l’appelante est disposée à apporter un soutien
financier à l’appelante au Canada comme elle l’a déclaré, elle devrait aussi
être disposée à envoyer de l’argent à la Jamaïque pour contribuer à son soutien
là-bas.
[13] Enfin, le tribunal a conclu que l’intérêt d’aucun enfant ne serait compromis par sa décision de rejeter l’appel. Le fils de la demanderesse vit avec son père en Jamaïque depuis l’arrivée de la demanderesse au Canada. Il est maintenant âgé de 6 ans et son père ne veut pas qu’il quitte la Jamaïque avant d’avoir atteint l’âge de 18 ans. Le tribunal a conclu que, dans les circonstances, il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant de renvoyer la demanderesse en Jamaïque, parce qu’il semblait que celle-ci parlait régulièrement à son fils au téléphone et entretenait une relation étroite avec lui.
[14] Le tribunal a donc conclu qu’il n’existait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales dans les circonstances et a confirmé la mesure d’exclusion prise à l’encontre de la demanderesse.
La norme de contrôle judiciaire
[15] La demanderesse soulève les questions suivantes :
1.
Le tribunal
a-t-il commis une erreur de droit ou tiré des conclusions déraisonnables, compte
tenu du dossier de preuve, en concluant que la demanderesse peut obtenir le
soutien psychiatrique et social et le soutien en hébergement dont elle a besoin
en Jamaïque?
2.
Le tribunal
a-t-il commis une erreur en appliquant une norme de preuve impossible à
atteindre, ignorant de ce fait la situation réelle de la demanderesse?
3. Le tribunal a-t-il commis un manquement aux principes de justice naturelle en n’exprimant pas au cours de l’audience les réserves qu’il avait au sujet de la possibilité pour la demanderesse de se tourner vers les membres de sa famille en Jamaïque ?
[16] Pour les motifs exposés ci-après, la Cour conclut que, dans l’ensemble, la décision du tribunal n’est pas raisonnable et que le celui-ci a manqué à son obligation d’équité procédurale, parce que les témoins et l’avocat de la demanderesse n’ont pas eu la possibilité de répondre à certaines des préoccupations déterminantes du tribunal.
[17]
De l’avis de la demanderesse, la norme de contrôle applicable est celle de
la décision correcte, parce que la présente demande porte uniquement sur une
question de droit. Les défendeurs n’ont pas commenté explicitement la norme de
contrôle applicable à chacune des questions en litige susmentionnées, mais ils
ont fait valoir que ces questions n’appelaient pas une seule solution précise
et que la Cour ne devrait pas intervenir à moins que la décision n’appartienne
pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits
ou du droit (
Dunsmuir c Nouveau-Brunswick
,
[18]
Dans
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa
,
Reconnaissant que le renvoi peut entraîner des difficultés, le législateur a prévu à l’al. 67(1) c ) un pouvoir de prendre des mesures exceptionnelles. Selon la nature de la question que pose l’al. 67(1) c ), la SAI « fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé [...] il y a [...] des motifs d’ordre humanitaire justifiant [...] la prise de mesures spéciales ». Il revient à la SAI de déterminer non seulement en quoi consistent les « motifs d’ordre humanitaire », mais aussi s’ils « justifient » la prise de mesures dans un cas donné. L’alinéa 67(1) c ) exige que la SAI procède elle-même à une évaluation liée aux faits et guidée par des considérations de politique.
[...]
L’intimé n’a soulevé aucune question de pratique ou de procédure. II a reconnu que la mesure de renvoi avait été validement prise contre lui en application du par. 36(1) de la LlPR. Sa contestation visait directement le refus de la SAI de lui accorder un « privilège discrétionnaire ». La décision de la SAI de ne pas prendre de mesure reposait sur une évaluation des faits au dossier. La SAI a eu l’avantage de tenir les audiences et d’évaluer la preuve, y compris le témoignage de l’intimé lui-même. Les membres de la SAI possèdent une expertise considérable pour trancher les appels sous le régime de la LlPR. Considérés ensemble, cas facteurs font clairement ressortir que la norme de contrôle de la raisonnabilité s’applique. Aucun motif ne permettrait d’aboutir à un résultat différent. Le paragraphe 18.1(4) ne comporte aucun élément qui s’opposerait à l’adoption de la norme de contrôle de la « raisonnabilité » à l’égard des décisions rendues en vertu de l’al. 67(1) c ). Par conséquent, je conclus que la norme de contrôle applicable est celle de la « raisonnabilité ».
[19]
La Cour fédérale a constamment décidé que la norme de contrôle applicable
à l’appréciation que le tribunal fait de la preuve dans le cadre du refus d’une
demande de réparation est la norme de la raisonnabilité
(
Gardner c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)
,
[20]
En revanche, la question de l’équité procédurale, soit la question de
savoir si la demanderesse a bénéficié d’une audience équitable devant le
tribunal, est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte
(
Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)
,
Examen de la décision attaquée
L’appréciation par le tribunal de la preuve relative aux difficultés
auxquelles la demanderesse pourrait être exposée en Jamaïque
[21]
La demanderesse soutient que le tribunal a commis une
erreur en exigeant des éléments de preuve établissant positivement que la famille
de la demanderesse en Jamaïque, notamment sa mère, ne lui viendra pas en aide
alors qu’elle a établi de façon satisfaisante que le soutien dont elle a besoin
n’est pas disponible en Jamaïque, élevant de ce fait la norme de preuve applicable
à l’égard des motifs d’ordre humanitaire à une norme supérieure à celle que la loi
exige. La demanderesse fait valoir que la présomption du tribunal n’est pas étayée
par la preuve. Elle invoque la décision récemment rendue dans
White c Canada
(Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)
,
[22] La demanderesse s’oppose également à la conclusion du tribunal selon laquelle les lettres du ministère de la Santé et de l’Environnement de la Jamaïque concernant la situation qui règne dans ce pays ne sont pas concluantes parce qu’elles ne traitent pas du cas précis de la demanderesse. Elle fait valoir qu’il n’est pas nécessaire qu’une personne soit nommée dans des documents objectifs pour que cette preuve soit pertinente et fiable.
[23] Après avoir examiné la preuve documentaire et testimoniale présentée pour le compte de la demanderesse, je conviens que le tribunal n’a pas fait une appréciation raisonnable de la preuve concernant le préjudice que la demanderesse subirait en Jamaïque. Le tribunal a admis que la demanderesse ne pouvait s’attendre à obtenir les soins dont elle avait besoin au moyen de services communautaires ou de services offerts par l’État. Cependant, il a déclaré qu’il ne pouvait affirmer que la demanderesse ne bénéficierait pas d’un soutien familial suffisant dans son pays et a fini par supposer qu’elle le pourrait. Or, compte tenu de l’ensemble du dossier, la preuve présentée au soutien de l’allégation de la demanderesse était plus abondante que celle à l’appui de la conclusion du tribunal. Tant la RD que la demi-sœur de la demanderesse ont déclaré au cours de leur témoignage qu’elles n’avaient eu que très peu de contacts avec la mère de celle-ci, laquelle n’a jamais exprimé le moindre désir d’aider sa fille au cours des trois dernières années où cette dernière a vécu dans le refuge pour femmes. En fait, aucun membre de la famille de la demanderesse, à l’exception de sa demi-sœur, n’est demeuré en contact avec le refuge, y compris les personnes qui vivent au Canada.
[24] Même si aucun des témoins n’a soulevé directement la question auprès de la mère de la demanderesse (ce qui est compréhensible à mon avis, étant donné que les défendeurs ont admis, et que le tribunal a conclu, que la demanderesse n’avait que peu de liens, voire aucune, avec son père et sa mère), les faits ont démontré de façon objective qu’il y a peu de chances que la mère de la demanderesse offre un soutien suffisant à celle-ci à son retour en Jamaïque. Je conviens qu’il appartient au tribunal et non à la Cour de soupeser la preuve. Cependant, la présomption du tribunal selon laquelle la mère ou la demi-sœur de la demanderesse serait capable de subvenir aux besoins financiers de celle-ci demeure purement hypothétique et n’est nullement appuyée par la preuve. La demi-sœur de la demanderesse a plutôt affirmé au cours de son témoignage que la mère ne travaille pas, qu’elle se plaint constamment de ses problèmes financiers lorsqu’elle téléphone et qu’elle a du mal à prendre soin des jeunes frères et sœurs de la demanderesse et à les envoyer à l’école. Lorsque la mère de la demanderesse a téléphoné à celle-ci dans le passé, c’était pour lui reprocher de ne pas lui faire parvenir d’argent en Jamaïque afin de l’aider à prendre soin de ses plus jeunes enfants. La demanderesse a été battue par son père parce qu’elle ne lisait pas la Bible et sa mère croit qu’une malédiction pèse sur elle. La demi-sœur de la demanderesse est elle-même mère célibataire d’un enfant âgé de cinq ans. Selon son témoignage, la plupart des frais de la demanderesse sont payés par le refuge, mais il lui arrive parfois d’acheter des vêtements, des articles de toilette et des cartes téléphoniques pour elle. Je suis d’avis que les conclusions du tribunal vont directement à l’encontre de cette preuve.
[25] Je souligne également que, dans l’ensemble, le tribunal n’a pas tenu compte, dans sa décision, de la gravité de l’état de la demanderesse, de l’importance des soins que son état nécessite et de la mesure dans laquelle elle dépend actuellement du soutien médical et social qu’elle reçoit des services communautaires au Canada. Tous ces facteurs tendent à démontrer, eu égard aux circonstances spéciales de la présente affaire, que la demanderesse est établie au Canada.
L’omission d’offrir aux témoins et au conseil de la demanderesse la possibilité de répondre
[26] Les deuxième et troisième questions en litige sont liées entre elles et seront examinées ensemble. Étant donné que la question globale porte sur l’équité procédurale, elle sera examinée au regard de la norme de la décision correcte.
[27] La demanderesse soutient que, compte tenu de sa situation spéciale, il n’était pas raisonnable pour le tribunal de s’attendre à ce qu’elle contraigne sa mère, ou d’autres membres de sa famille en Jamaïque, à venir témoigner à l’audience, étant donné qu’ils n’ont pas manifesté le moindre intérêt à son endroit même s’ils savent qu’elle vit dans un refuge. La demanderesse ajoute que la loi n’exige pas que les témoignages soient corroborés pour être crus, sauf s’il y a une raison de ne pas les croire.
[28] La demanderesse invoque également la décision rendue dans Gracielome c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) , [1989] ACF 463, pour soutenir que, s’il voulait fonder sa décision sur le fait que les membres de la famille et amis de la demanderesse en Jamaïque n’avaient pas été appelés comme témoins, le tribunal aurait dû informer le conseil ou les témoins de ses préoccupations et leur donner la possibilité de répondre à l’allégation relative au caractère insuffisant de la preuve. De l’avis de la demanderesse, l’omission de le faire constitue un manquement à l’équité procédurale qui l’a privée de son droit de réfuter les présomptions du tribunal.
[29] Je suis d’accord avec la demanderesse. La conclusion du tribunal selon laquelle le témoignage de la mère ou d’autres membres de la famille de la demanderesse en Jamaïque était nécessaire était, à tout le moins, partiellement déterminante quant à la question dont il était saisi. Cependant, d’après la transcription de l’audience, le tribunal n’a nullement soulevé cette question ni n’a demandé de renseignements à ce sujet.
[30]
Dans le contexte des audiences tenues devant la Section d’appel
de l’immigration, il est reconnu dans la jurisprudence que le demandeur doit
être en mesure de répondre aux préoccupations qui sont susceptibles de nuire à
sa cause, surtout lorsqu’elles ont une très grande importance pour la décision
et incitent le tribunal à exclure ou à écarter d’autres éléments de preuve
pertinents
(
Sidhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)
,
[31] Bien que les faits de la présente demande soient légèrement différents de ceux de la décision Ziade puisque, dans cette dernière affaire, les membres de la famille du demandeur étaient en mesure de se présenter et de témoigner à l’audience, je suis d’avis que le raisonnement suivi dans Ziade s’applique aisément en l’espèce. Dans la présente affaire, le tribunal ne pouvait invoquer l’absence d’éléments de preuve alors que cette absence n’avait pas été portée à l’attention des personnes ayant comparu pour le compte de la demanderesse sans leur donner la possibilité de répondre à ses préoccupations ou de préciser les raisons pour lesquelles la preuve qu’il demandait n’était pas disponible.
[32]
Pour les motifs exposés ci-dessus, j’accueillerai la présente demande de
contrôle judiciaire. Les parties conviennent qu’il n’y a aucune question de
portée générale à certifier et la Cour souscrit à ce point de vue.
JUGEMENT
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie; la décision du tribunal est infirmée et l’affaire est renvoyée à la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour nouvelle décision par un tribunal différemment constitué;
2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Édith Malo
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1100-12
INTITULÉ : CODINE PALMER c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 13 septembre 2012
MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE GAGNÉ
DATE DES MOTIFS : Le 2 novembre 2012
COMPARUTIONS :
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POUR LA DEMANDERESSE
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Jocelyn-Espejo Clarke |
POUR LES DÉFENDEURS
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Toronto (Ontario)
|
POUR LA DEMANDERESSE |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LES DÉFENDEURS
|