TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

 

 

ME DENIS NADEAU, ARBITRE

 

 

 

 

 

 

UNION DES EMPLOYÉES ET EMPLOYÉS DE SERVICE,

SECTION LOCALE 800

 

 

 

 

-et-

 

 

 

 

SPEICO INC.

 

 

 

 

 

 

GRIEFS : 2010-003 à 2010-012

 

N o de dépôt : 2013-0242

 

 

 

 

 

 

 

 

16 SEPTEMBRE 2012

 

 

 

 

 

 

Sentence arbitrale

intérimaire

 

Dans le cadre d’une série de griefs, le syndicat allègue que l’employeur devrait appliquer certaines dispositions de la convention collective à des salariés travaillant à différents contrats d’entretien effectués par l’employeur. Ce dernier invoque, en début d’audience, qu’il entend soulever que les personnes affectées à ces contrats ne sont pas des « salariés » au sens de la convention collective, mais plutôt des sous-traitants et demande donc une ordonnance de surseoir à l’audition tant que la Commission des relations du travail ne se prononcera sur cette question. Par ailleurs, un groupe d’entreprises, qui dit exécuter le travail d’entretien sur les contrats visés par les griefs, demande d’intervenir dans la présente affaire. Telles sont les deux questions de droit au cœur de la présente décision intérimaire.

 

 

I) Le contexte

 

1. Le syndicat a déposé dix (10) griefs en octobre et novembre 2010 (S-3 à S-12). Essentiellement, ces griefs se divisent en trois groupes. Le premier réclame que l’employeur retienne les cotisations « de tous les salarié (es) » travaillant sur trois contrats distincts, soit ceux de Sears, La Baie et Zellers. (S-3, S-6 et S-7 (identiques) et S-10). Le second groupe de griefs exige que l’employeur déclare au syndicat tous les salariés travaillant sur ces différents contrats (S-4, S-9 et S-12). Enfin, le dernier groupe réclame, « pour et au nom de tous les salarié (es) » travaillant sur ces contrats,  que ceux-ci soient rémunérés conformément à la convention collective et qu’ils bénéficient de tous les droits et avantages de celle-ci. (S-5, S-8 et S-11).

 

2. Avant le début de l’audience, une demande de reconnaissance de statut d’intervenant a été présentée par un groupe d’entreprises qui affirment exécuter l’entretien ménager dans les établissements visés par les griefs mentionnés précédemment. À la première journée d’audience, deux questions de droit ont fait l’objet de représentations des procureurs. Il a été convenu qu’une sentence intérimaire disposerait de ces questions.

 

3. D’une part, l’employeur a présenté une demande de surseoir la présente audience jusqu’è ce que la Commission des relations du travail (CRT) ait rendu une décision quant au statut des personnes qui travaillent sur les trois contrats. Par ailleurs, le procureur représentant le groupe d’entreprises d’entretien ménager a présenté une demande d’intervention. Je vais traiter séparément ces deux questions.

 

A) Demande de surseoir l’audience

 

4. Au soutien de sa requête, l’employeur invoque que la seule question en litige dans l’ensemble des griefs consistera à déterminer le statut des salariés affectés aux trois contrats. Puisqu’il s’agit là, à son avis, de la question principale, il allègue que seule la CRT possède juridiction pour statuer sur celle-ci. Une fois que cette dernière aura déterminé si les personnes affectés aux trois contrats sont ou non des « salariés », le procureur patronal indique qu’il ne devrait plus y avoir de litige come tel devant moi, car il souligne que l’employeur ne conteste pas que les dispositions évoquées par le syndicat dans ses griefs sont applicables à l’égard de ses salariés.

 

5. En second lieu, l’employeur soutient que la suspension d’audience devrait être accordée du fait que les droits de tiers pourraient être affectés par une sentence arbitrale ; sentence qui ne pourrait être opposable à ces tiers puisqu’ils ne sont pas parties à la présente convention collective qui le lie au syndicat.

 

6. De son côté, le procureur syndical invoque que les articles 6.01 à 6.04 de la convention collective constituent les points d’ancrage requis pour accorder compétence au présent tribunal d’arbitrage. Certes, reconnaît le procureur, la question du statut des personnes affectées aux trois contrats va se poser en cours d’instance, mais ceci ne constitue pas, à son avis, un empêchement à l’exercice d’une compétence concurrente de l’arbitre avec la CRT. Selon le procureur, la question d’applicabilité d’une convention collective à des personnes déterminées relève entièrement de la compétence arbitrale. Le procureur souligne enfin que seul le tribunal d’arbitrage est compétent pour imposer les mesures de redressement exigées contre l’employeur par les différents griefs.

 

Décision sur la demande de surseoir l’audience

 

7. J’ai examiné attentivement la demande patronale de surseoir la présente audience et je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu de l’accueillir. Une observation d’abord quant au caractère particulier de la demande. L’employeur requiert une ordonnance de surseoir l’audience en attendant, dit-il, que la CRT se prononce relativement au statut des personnes visées par les griefs. Or, rien aux représentations faites lors des plaidoiries (il n’y a pas eu présentation de preuve) n’indique qu’une ou l’autre des paries devant moi aurait déposé une requête en vertu de l’article 39 C.t . devant la CRT afin que la question de qualification du statut des personnes visées par le grief soit examinée.

 

8. Cette situation diffère des trois sentences arbitrales présentées par l’employeur au soutien de sa requête. En effet, dans les affaires SCFP et Ville de Blainville , D.T.E. 88T-130 (M. Bergevin), SPII de Trois-Rivières et Centre hospitalier Sainte-Marie , AZ- 89145030 (J.-G. Ménard) et Syndicat des travailleuses et travailleurs d’Épiciers unis Métro-Richelieu et Épiciers-unis Métro-Richelieu , D »T »E » 98T-772 (C. Jobin), des requêtes en vertu de l’article 39 C.t. (et même 45 C.t. dans un cas) avaient été déposées devant les instances du travail (alors commissaires du travail) et visaient essentiellement à trancher les mêmes questions qui étaient soumises par ailleurs aux arbitres. Dans les sentences Ville de Blainville et Épiciers-unis Métro-Richelieu, mes collègues ont accueilli les demandes de surseoir jusqu’à ce que les instances du travail, déjà saisies des mêmes questions, aient tranché celles-ci. Dans l’affaire Centre hospitalier Sainte-Marie , l’arbitre Ménard a, nonobstant l’existence de la requête sous l’article 39 C.t., rejeté la demande de surseoir de l’audience en soulignant que la question posée devant le commissaire du travail n’épuisait pas nécessairement le litige qui lui était soumis.

 

9. En l’espèce, tous les griefs dont je suis saisis ont été déposés en octobre et novembre 2010. Près de deux ans plus tard, il semble, selon les représentations entendues, qu’aucune requête n’aurait été présentée à la CRT relativement à la question de la détermination du statut des personnes qui sont visées par les griefs syndicaux.  Ainsi, le sursis demandé, s’il était accordé, ne consisterait pas, comme dans les sentences précédentes, à permettre à la CRT de se prononcer sur cette question de statut puisque cette dernière n’est pas saisie des questions que j’aurai vraisemblablement à trancher. Le sursis, s’il était accordé, serait donc tout aussi indéfini quant à son objet qu’à l’égard de sa durée. À mon avis, accueillir une demande de surseoir dans un tel contexte serait a priori fort peu compatible avec les obligations de procéder avec diligence à l’instruction de griefs qui sont prévues à l’article 100. 2 C.t.

 

10. Cette observation, de nature procédurale, ne permet toutefois pas de disposer de la demande à l’étude. Je reviens donc aux propositions de droit soumises par les parties.

 

11. L’employeur invoque au soutien de sa demande que la question en litige dans le présent dossier consiste à déterminer le statut des salariés affectés aux contrats Sears, La Baie et Zellers et que, dans une telle situation, cette décision devrait relever exclusivement de la CRT. L’employeur invoque, entre autres décisions, l’affaire Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) c. Syndicat des employées et employés des syndicats et organismes collectifs du Québec , D.T.E. 2011T-269 (C.A.) (ci-après SPGQ ) afin d’étayer sa proposition centrale.

 

12. Cette décision est intéressante et mérite d’être examinée de près. Des salariés travaillant pour le gouvernement du Québec, membres du SPGQ, sont, conformément è la convention collective liant le gouvernement et ce syndicat, libérés avec solde afin de travailler comme conseillers syndicaux du SPGQ. Les salariés travaillant pour ce syndicat (SPGQ) sont également syndiqués et représentés par le Syndicat des employées et employés des syndicats et organismes collectifs du Québec (ci-après SEESOCQ). Les salaires des conseillers syndicaux travaillant temporairement pour le SPGQ sont composés en deux parties. Une première part constitue le salaire payé par l’employeur d’origine (le gouvernement du Québec) et la seconde partie (un supplément) est versée par le SPGQ (qui, on le comprend, agit alors comme employeur de ces salariés prêtés temporairement au syndicat).

 

13. Ces conseillers syndicaux se trouvent, il importe de le noter, dans une situation fort particulière du fait qu’ils sont à la fois des salariés du gouvernement québécois et, en raison de leur libération, ils travaillent pour le SPGQ. Dans les faits, en raison de cette dualité de statuts, ces salariés doivent verser deux cotisations syndicales (une au SPGQ et l’autre au SEESOCQ). D’où le grief déposé par ce dernier syndicat, contestant cette double cotisation syndicale.

 

14. Lors de l’audience, l’employeur de ces conseillers syndicaux (SPGQ), lié par une convention collective avec le SEESCOQ, souleva une objection à la compétence de l’arbitre à trancher le grief syndical en invoquant que la solution du litige l’obligerait à déterminer si les conseillers syndicaux étaient des salariés du gouvernement du Québec. L’arbitre déclina juridiction et la Cour d’appel confirma cette décision. Cette dernière nota que « la solution du litige tient à la détermination du statut des salariés libérés par le gouvernement du Québec pour occuper des fonctions de conseillers syndicaux au SPGQ ». (par. 9). Pour la Cour, « cette question ne relevait pas de l’interprétation de la convention entre le SEESCOQ et le SPGQ (…) ». (par. 12)

 

15. À la lecture de la trame factuelle et juridique de cette affaire, il est facile de constater les différences significatives avec le présent dossier., Dans SPGQ , les salariés concernés par le grief étaient payés simultanément par deux employeurs distincts (le gouvernement et le SPGQ), étaient couverts par deux accréditations syndicales et deux conventions collectives et faisaient l’objet, en raison de ce double statut pour le moins inusité, de deux cotisations syndicales, d’où le grief alors soumis par le SEESCOQ. Face à cette situation particulière qui n’avait rien à voir avec l’interprétation ou l’application de la convention collective liant le SPGQ avec le SEESCOQ, mais exclusivement avec la qualification du statut de ces salariés pour le moins atypiques, il n’est pas étonnant que la Cour d’appel ait conclu que l’arbitre avait eu raison de décliner compétence afin que cette question soit tranchée par un commissaire du travail. (par. 12)

 

16. En l’espèce, le tableau est bien différent. Il n’y est question ni de double accréditation syndicale, ni de salariés assujettis simultanément à deux conventions collectives. Bref, nous ne sommes pas face à une problématique exigeant que l’organisme chargé des mécanismes entourant l’accréditation syndicale (CRT) ait à intervenir, comme dans SPGQ , afin de trancher le nœud gordien des chevauchements d’accréditations et d’appartenances syndicales. Dans le présent dossier, le syndicat est accrédité auprès de l’employeur et les deux parties sont liées par une convention collective couvrant tous les salariés couverts par le certificat d’accréditation (S-1, art. 2.02). Il s’agit là d’une situation on ne peut plus classique. Plus spécifiquement, cette convention collective définit son champ d’application. Elle « s’applique à tous les salariés préposés à l’entretien ménager qui appartiennent à l’une ou l’autre des classifications énumérées dans la convention collective » dans les limites de l’accréditation syndicale. (art. 2.04)

 

17. Le terme « salarié » vise « toute personne comprise dans l’unité de négociation, travaillant pour l’employeur moyennant rémunération ». (art. 5.09). Quant à l’expression « contrat », à laquelle les griefs à l’étude réfèrent, elle « désigne le ou les édifices ou partie d’édifice où l’employeur s’est engagé envers un client à fournir des services. » (art. 5.20)  En raison de la nature même de l’activité couverte par la convention collective, cette notion de « contrat » est centrale dans la convention collective (voir par exemple les articles 3.04, 5.20, 15. 02, 15. 04 (procédure de mise à pied), 16.07)

 

18. Dans ses différents griefs, le syndicat réclame que l’employeur (1) retienne les cotisations syndicales de tous les salariés travaillant sur les contrats Sears, La Baie et Zellers ; (2) déclare au syndicat tous ces salariés travaillant à ces contrats et (3) qu’il rémunère tous ces salariés conformément à la convention collective (S-3 à S-12). Ces griefs invoquent les articles 6.01 à 6.04 de la convention collective qui se lisent ainsi :

 

6, 01 Tous les salariés régis par la présente convention collective doivent, dès la signature de la présente convention, comme condition du maintien de leur emploi, devenir et demeurer membres en règle du syndicat.

6.02 Tout salarié, comme condition d’attribution d’emploi, doit remplir la formule apparaissant à l’annexe « A », dater et signer cette formule.

 

Il incombe aux employeurs liés par un certificat d’accréditation de transmettre, au bureau du syndicat, la formule susmentionnée, en même temps que la liste prévue à l’article 6.04.

 

6.03 Les employeurs s’engagent à retenir sur le salaire de tout salarié et ce dès la première paie, le montant spécifié par le syndicat à titre de cotisation syndicale, et ceci en conformité avec la politique du syndicat en cette matière.

 

6.04 Avant le quinze (15) de caque mois, l’employeur s’engage à fournir au syndicat, en deux (2) copies, la liste de tous les salariés couverts par le certificat d’accréditation ou, à défaut, la liste des salariés pour lesquels une retenue aura été faite pendant le mois précédent.

 

L’employeur joint à cette liste un chèque couvrant le montant total des retenues syndicales, conformément aux directives émises par le syndicat. (…)

 

 

19. En somme, par le biais de ces griefs, le syndicat exige l’application de différentes dispositions de la convention collective à l’égard des salariés qu’il représente de droit (préposés à l’entretien ménager), travaillant sur des « contrats » détenus par l’employeur auprès de différents commerces (Sears, La Baie et Zellers). À nouveau, la trame de ces griefs n’a rien de particulier. L’employeur invoque en défense que les personnes qui sont affectés par l’employeur à ces contrats ne seraient pas des salariés de l’employeur, mais plutôt des sous-traitants. Du coup, l’employeur n’aurait donc pas à se conformer aux dispositions de la convention collective à leur égard.

 

20. Afin de disposer de ce moyen de défense patronal, il sera donc nécessaire de déterminer, à la lumière de la preuve et des définitions pertinentes prévues à l’article 5 de la convention collective, si les obligations stipulées aux articles 6.01 à 6.04 de celle-ci s’appliquent à l’endroit des personnes qui travaillent aux trois établissements visés par les griefs. Pour y arriver, il faudra décider si les personnes à qui l’employeur confie l’entretien des contrats Sears, La Baie et Zellers sont des « salariés » au sens de l’article 5.09 de la convention collective. À ce titre, il est possible que la référence à la jurisprudence relative à la notion de « salarié » dégagée au fil des années par le Tribunal du travail et la CRT soit requise. Je note que l’exercice de qualification requis pour trancher le moyen de défense patronal n’a toutefois rien de commun avec celui requis dans l’affaire SPGQ . Il ne consistera pas à examiner si les personnes affectées aux trois contrats relèvent d’une autre accréditation ou convention collective, mais de décider si ces personnes, lorsqu’elles oeuvrent à l’exécution de ces contrats, sont des salariées au sens de la convention collective.

 

21. À la lumière des principes définissant l’étendue de la compétence de l’arbitrage de griefs, rappelée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bisaillon c. Université Concordia , (2006) 1 R.C.S. 666 (ci-après Bisaillon ), le litige soumis dans la présente affaire en est un qui relève, « dans son essence, de l’interprétation, de l’administration ou de l’inexécution de la convention collective. » (par. 30, citant l’arrêt Weber c. Ontario Hydro , (1995) 2 R.C.S. 929 ).  Dans le cadre de la détermination de l’essence d’un litige, la Cour rappelle « qu’il ne faut pas chercher uniquement à déterminer la nature juridique du litige.» Au contraire, « l’analyse doit aussi porter sur l’ensemble des faits entourant le litige qui oppose les parties. » ( Bisaillon , par. 31) Par la suite, selon la Cour, « il s’agit de vérifier si le contexte factuel dégagé entre dans le champ d’application de la convention collective », soit « déterminer si la convention collective vise implicitement ou explicitement les faits en litige.»  (par. 32)

 

22. Dans le présent dossier, l’employeur adopte, au soutien de sa requête, une approche mettant exclusivement l’accent sur la nature juridique d’un volet du litige à trancher, Cette position, écartée par la Cour suprême depuis 1995, fait abstraction selon moi du contexte factuel plus large dans lequel le litige opposant les parties se situe, soit celui d’un employeur, couvert par une accréditation syndicale, faisant nécessairement partie de l’Association des entreprises de services d’édifices Québec inc. (art. 5-02), régi du coup par une convention collective s’appliquant « à tous les salariés préposés à l’entretien ménager (…) » (art. 2.04 a) et dispensant des services à des entreprises sous forme de contrats (art. 5.20 a). Dans ce contexte global, la question de la qualification de la relation liant l’employeur aux personnes travaillant sur les contrats Sears, La Baie et Zellers est indissociable, on le voit, de l’interprétation et de l’application de plusieurs dispositions de la convention collective ; situation fort différente de l’affaire SPGQ où, comme l’a indiqué la Cour d’appel, le litige était totalement extérieur à la convention collective liant le SPGQ au SEESCOQ, mais portait uniquement sur la solution à donner à la délicate cohabitation, auprès de mêmes salariés, de deux accréditations syndicales et autant de conventions collectives. Sans aucun facteur de rattachement à la compétence arbitrale, la solution de la Cour d’appel est conforme aux principes applicables en la matière et à la portée de la compétence de la CRT.

 

23. Il est vrai que la même Cour avait semblé reconnaître, dans l’affaire Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université du Québec à Chicoutimi c. Tremblay , J.E. 2003-923 (C.A.), une large compétence à l’arbitre pour se prononcer sur le statut de salarié à une personne, mais la Cour souligna, dans SPGQ , que dans cette affaire, toutes les parties au litige avaient reconnu à l’arbitre la juridiction pour déterminer à quelle unité d’accréditation et à quelle convention collective certains enseignants (invités en prêt de service) devaient être rattachés. ( SPGQ , par. 10) Je note d’ailleurs que l’affaire Université du Québec à Chicoutimi , au-delà de la distinction soulignée par la Cour d’appel, diffère du présent dossier dans la mesure où, tout comme dans SPGQ , la question en litige, soit le statut à conférer à des professeurs invités en prêt de service, avait peu à voir avec l’interprétation de la convention collective régissant le Syndicat des chargés de cours et l’employeur, mais dépendait essentiellement de l’examen de deux certificats d’accréditation liant le même employeur (celui des chargés de cours et des professeurs) qui, à l’égard des professeurs invités en prêt de service, pouvaient trouver application. Cependant, comme le rappelle la Cour d’appel, les parties avaient reconnu compétence à l’arbitre Tremblay pour disposer du litige.

 

24. Dans le dossier à l’étude, l’essence du litige est en lien direct avec plusieurs dispositions de la convention collective. Certes, comme je le soulignais précédemment, le moyen de défense patronal exigera vraisemblablement un renvoi à la notion de salarié du Code du travail et à la jurisprudence en découlant. Ces références viendront alors compléter l’analyse nécessaire pour trancher le litige. Il n’est pas remis en question que l’article 100. 12 a) C.t . permette à l’arbitre d’avoir recours, lorsque nécessaire, à la loi dans son acception générale pour disposer des griefs qui lui sont soumis.

 

25. D’ailleurs, à ce titre, la jurisprudence reconnaît depuis longtemps qu’un arbitre peut examiner la question du statut d’un salarié lorsque celle-ci se pose de façon incidente devant lui. Voir, entre autres, Centre hospitalier Sainte-Marie (précité), p. 8. Alors qu’il agissait comme arbitre de grief, le juge Louis LeBel, maintenant à la Cour suprême du Canada, indiquait, dans une décision de 1970 ( Association professionnelle du personnel de vente de « Les Services de santé du Québec » C.S.N. et La Mutuelle S.S.Q ., (1970) S.A.G. 1117, qu’un arbitre possédait le pouvoir accessoire de décider si une personne est un salarié. Reconnaissant qu’un arbitre ne pouvait modifier ou changer un certificat d’accréditation, Me LeBel précisait toutefois que l’arbitre peut décider « si oui ou non la personne qui est devant lui peut porter un grief ou si la fonction en litige tombe dans le champ d’application de la convention collective qu’il doit interpréter . » (p. 1440, mes italiques)  L’arbitre ajoutait qu’il ne croyait pas que la juridiction conférée au commissaire-enquêteur (le prédécesseur de la CRT) en vertu de l’article 30 C.t . (l’actuel art. 39 C.t .), «  soit tellement exclusive qu’elle ne permette pas, comme préalable à l’exercice de ma juridiction, de constater si oui ou non je me trouve devant une fonction syndicale comprise dans l’unité de négociation représentée par l’association (…). »  (p. 1441, mes italiques).

 

26. Je note que cette approche de l’arbitre LeBel, compatible avec la reconnaissance d’une importante compétence de l’arbitre relativement au rôle qu’il peut jouer concernant la détermination des personnes ou fonctions qui tombent « dans le champ d’application de la convention collective qu’il doit interpréter » précède l’introduction, quelques années plus tard, de l’ancêtre de l’actuel article 100. 12 a) C.t . et des arrêts de principe confirmant l’importante portée de la compétence arbitrale pour tout ce qui relève expressément ou implicitement de la convention collective. (à ce sujet, voir, entre autres, les arrêts Weber et Bisaillon , précités).

 

27. Je partage entièrement les propos de l’arbitre LeBel qui vont dans le même sens que plusieurs autres décisions subséquentes où il a été décidé que les arbitres sont pleinement en droit de se prononcer lorsque se pose, dans le cadre d’un litige, la question du statut de personnes travaillant pour un employeur ainsi que leur appartenance ou non à l’unité de négociation représentée par un syndicat. Ceci me semble d’autant plus fondé en droit lorsque cette question requiert, comme c’est le cas en l’espèce, l’interprétation de diverses dispositions de la convention collective. Accorder le sursis de l’audience demandé par l’employeur pourrait être considéré, selon moi, comme une forme de refus d’exercer la juridiction qui m’est conférée par le Code du travail et confirmée expressément par une série d’arrêts de tribunaux supérieurs.

 

28. L’employeur invoque, comme second argument, que le sursis demandé devrait être accordé du fait que la sentence disposant des griefs à l’étude pourrait affecter les droits de tiers. À mon avis, cette proposition ne peut être retenue. Je rappelle, d’une part, que le fait qu’une sentence arbitrale puisse avoir des conséquences pour des tiers ne constitue pas, in se , une limite à l’exercice de la compétence d’un arbitre de griefs. ( Bisaillon , précité, par. 41). D’autre part, et de façon concrète, si, comme le soutient le syndicat dans le cadre de ses griefs, les personnes travaillant sur les contrats Sears, La Baie et Zellers sont des « salariés » au sens de la convention collective, celles-ci ne peuvent être qualifiées, relativement au présent litige, de parties tierces. Dans cette hypothèse, ces personnes sont liées par la convention collective au même titre que le syndicat qui les représente et le présent employeur. Par ailleurs, si la prétention patronale est fondée, les personnes affectées aux contrats ne sont pas des « salariés » au sens de la convention collective. La sentence arbitrale disposant des griefs n’aura donc aucun effet, ni autorité, à l’égard de  ces personnes (y incluant, s’il en est, des entreprises) puisque celle-ci établira que celles-ci ne sont pas visées par la convention collective.

 

29. Pour ces différents motifs, je rejette donc la demande patronale de surseoir la présente audience et convoque les parties pour la poursuite de celle-ci.

 

B) Demande d’intervention

 

30. Tel qu’indiqué précédemment, un groupe d’entreprises (18), qui se qualifient de « sous-traitants » de l’employeur, ont présenté une demande d’intervention dans le présent dossier d’arbitrage. Selon le procureur de ce groupe, ces entreprises « exécutent l’entretien ménager dans les établissements visés » par les griefs à  l’étude. Dans le cadre de sa plaidoirie, le procureur explique que les entreprises sont liées avec l’employeur pour certains contrats, mais également avec d’autres compagnies qui oeuvrent dans ce secteur (ex. Empire, Distinction). Il peut même arriver que certaines de ces entreprises du groupe soient des concurrentes du présent employeur pour l’obtention de contrats d’entretien (par le biais de soumissions).

 

31. Au soutien de sa demande d’intervention, le procureur du groupe souligne que les conséquences des griefs, s’ils étaient accueillis, seraient importantes pour les entreprises qu’il représente. Les entreprises devraient, en effet, percevoir des cotisations syndicales des salariés qu’ils affectent aux contrats visés par les griefs et même, éventuellement, obliger les dirigeants de celles-ci d’en verser eux-mêmes, et appliquer la convention collective S-1 à leur égard. Du coup, le procureur souligne que les entreprises du groupe ont forcément l’intérêt d’intervenir au présent litige et de faire valoir leurs positions relativement aux griefs à l’étude.

 

32. Le syndicat s’oppose à la demande d’intervention. Son procureur fait valoir que, dans le cadre de sa défense, l’employeur pourra mettre en preuve la nature de ses relations avec les entreprises du groupe. Il n’y aurait donc aucune nécessité que cette même preuve soit effectuée par des tiers qui ne sont pas parties à la convention collective. Selon le procureur, les entreprises du  groupe se trouvent dans la même situation que les cadres d’une entreprise ou des sous-traitants qui, dans certains dossiers d’arbitrage, peuvent être affectés par une sentence, mais à qui les tribunaux ont refusé le droit d’intervenir. Le procureur estime que si, à la suite de la sentence donnant raison au syndicat, certaines de ces entreprises estiment avoir été l’objet de fausses représentations de la part de l’employeur, celles-ci pourront, si elles le désirent, exercer des recours récursoires contre ce dernier. Enfin, le procureur plaide que si des salariés ne peuvent exercer, en vertu de l’article 32 (2) C.t ., des recours afin de faire déterminer leur statut en fonction d’une accréditation, la même règle doit s’appliquer, par analogie, dans le présent dossier.

 

Décision sur la demande d’intervention

 

33. Il est clairement reconnu qu’un tribunal d’arbitrage est en droit d’autoriser l’intervention de tiers dans le cadre d’un grief. Dans l’affaire Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec c. Paquet , D.T.E. 2005T-205 , la Cour d’appel rappelait ce principe tout en formulant les critères devant être rencontrés afin de permettre ce type de participation qui, à son avis, « doit demeurer exceptionnelle. » (voir l’intitulé du Titre III de la décision). Selon le juge Dalphond :

 

[40]    Il s’ensuit que, dans le cadre d’un arbitrage, les seules personnes qui peuvent démontrer un intérêt juridique suffisant, soit un intérêt juridique, direct et personnel, né et actuel ( Noël , précité, par. 37), sont l’employeur et le syndicat, de même que, le cas échéant, tout salarié concerné, car la sentence les lie (art. 101 C.t ).  Les cadres ne sont pas liés par la sentence, même si celle-ci peut avoir des répercussions pour eux.  Ils ne peuvent être considérés des parties à l’arbitrage ou des personnes qui seront liées par la sentence arbitrale.

[41]    Faute d’une disposition dans le Code du travail ou la convention collective encadrant la participation de tiers, il revient à l’arbitre de permettre exceptionnellement la participation de tiers, s’ils lui font une démonstration suffisante de sa nécessité ou, à tout le moins, de son utilité véritable.  J’ajoute qu’en se livrant à cet exercice, l’arbitre doit demeurer extrêmement prudent car l’arbitrage est l’affaire, d’abord et avant tout, du syndicat et de l’employeur qui l’ont choisi et paient les frais afférents à ce mécanisme de règlement des différends encadré par le Code du travail et la convention collective qu’ils ont négociée.  L’ajout d’autres participants ne peut qu’alourdir le processus, augmenter les frais des parties à la convention collective et soulever de nouvelles problématiques. (références omises, mes italiques)

 

 

34. Dans cette affaire, la Cour conclut que les deux cadres à qui l’arbitre avait accordé le statut d’intervenant (Mme Ayotte et M. Lefebvre, par. 16) ne pouvaient justifier, afin d’obtenir ce droit, de l’intérêt juridique requis, ni d’une preuve d’utilité véritable, puisque « leur position n’est pas différente de celle de leur employeur et ils ne seraient que l’écho des arguments mis de l’avant par ce dernier. » (par. 47) La Cour d’appel estima donc que « leur présence ne fait alors qu’alourdir inutilement le processus arbitral (…) » (par. 48) et a donc considéré que la sentence arbitrale était manifestement déraisonnable. (par. 49) Ces mêmes critères, exigeants et d’application restrictive, ont été repris par la Cour d’appel dans la décision Syndicat du transport de Montréal c. Métromédia CMR Plus inc. , 2010 QCCA 98 , par. 34. À nouveau, la Cour a révisé une sentence qui avait accueilli une demande d’intervention dans le cade d’un grief contestant une sous-traitance qualifiée d’illégale par le syndicat.

 

35. D’évidence, la Cour d’appel est soucieuse d’éviter l’ajout de participants à des dossiers d’arbitrage de griefs, alléguant que de telles situations peuvent avoir pour effet d’alourdir le processus d’audience de ceux-ci et provoquer elles-mêmes de nouvelles problématiques qui éloignent les parties d’une sentence disposant de leurs griefs. À ce sujet, lire les exemples donnés par le juge Dalphond à la note 12 de l’affaire Paquet . Le caractère exceptionnel attribué aux possibles cas d’intervention ne doit pas être ignoré dans l’évaluation de la présente demande.

 

36. À mon avis, le premier critère devant être rencontré pour justifier une intervention, soit l’existence d’un intérêt juridique direct, personnel, né et actuel, s’impose assez clairement en l’espèce. Je tiens en effet pour avéré, car aucune preuve n’a été entendue lors de la présentation de la requête, que l’employeur aurait conclu des ententes avec diverses entreprises relativement à l’exécution de certains contrats d’entretien, dont ceux visés par les griefs à l’étude. Dans le cadre de certaines de ces ententes, le co-contractant ne ferait pas le travail d’entretien lui-même, mais embaucherait du personnel pour le faire.

 

37. Il est certain que si les griefs à l’étude étaient accueillis, les droits de ces co-contractants et, le cas échéant, des personnes travaillant pour eux seraient affectés et ce, non seulement sur le plan économique, mais également juridique du fait que le travail effectué par des « salariés » au sens de la convention collective S-1 serait considéré couvert par celle-ci. Certes, la sentence arbitrale n’aurait pas d’autorité à l’égard de ces co-contractants, mais le présent employeur devrait respecter les termes de la convention collective relativement au travail effectué par ceux-ci (ou leurs salariés) sur les contrats visés par les griefs. À mon avis, l’intérêt juridique, direct, personnel, né et actuel est manifeste à l’égard de ces co-contractants.

 

38. Qu’en est-il de la « démonstration suffisante » de la nécessité de l’intervention ou, à tout le moins, de son « utilité véritable ? ». ( Paquet , par. 41) Dans l’affaire Paquet , la Cour d’appel a examiné, dans le cadre de cette seconde condition, quelle serait « l’utilité véritable » qui découlerait de l’intervention requise par les deux cadres. Dans ce dossier, le juge Dalphond notait que la position de ces deux personnes « n’est pas différente de celle de leur employeur et ils ne seraient que l’écho des arguments mis de l’avant par ce dernier. » (par. 47) Ce même argument a été invoqué par le syndicat à l’encontre de la demande d’intervention.

 

39. Le procureur du groupe fait valoir que l’intervention requise est nécessaire car les entreprises qu’il représente ne sont pas liées exclusivement au présent employeur, mais ont des relations contractuelles avec d’autres compagnies d’entretien ménager et il peut même arriver qu’elles se trouvent en concurrence avec Speico inc. Pour l’obtention de certains contrats d’entretien. Selon le procureur, ces faits ne sont pas nécessairement à la connaissance du présent employeur, d’où, plaide-t-il, l’utilité véritable et la nécessité qu’un droit d’intervention soit accordé à ces entreprises.

 

40. À première vue, l’éclairage particulier que propose d’apporter à l’audience le procureur du groupe peut sembler ténu, mais force est de reconnaître qu’il existe bel et bien. S’il est vrai que, dans le cadre de sa preuve, l’employeur pourrait sûrement faire témoigner des membres du groupe d’entreprises (ou leurs salariés), l’axe central de ces témoignages devrait essentiellement porter sur la nature contractuelle qui lie ces deux parties, du type de travail effectué par celles-ci (ou leurs employés, si tel est le cas) sur les contrats Sears, La Baie et Zellers, etc. En principe, il n’est pas déraisonnable de croire que même si l’employeur a conclu des ententes avec ces entreprises (ou personnes), il n’est pas obligatoirement au fait de la structure corporative ou autre de celles-ci, des questions internes relatives à la gestion de leur main-d’œuvre, de l’existence d’une clientèle autre que celle du présent employeur (s’il en est une), des revenus tirés de leur entreprise par rapport à ceux découlant des contrats conclus avec Speico inc., etc. Je ne prétends pas qu’à l’occasion d’un interrogatoire bien préparé de représentants de certaines de ces entreprises, l’employeur ne pourrait pas obtenir les réponses à certaines de ces questions. Cependant, l’employeur ne peut représenter ces entreprises et, on le constate, plusieurs volets des possibles questions permettant de connaître celles-ci et de situer leur rôle dans l’exécution du travail aux contrats visés sont extérieurs à l’employeur et, en principe, à la relation contractuelle qui le lie à ces entreprises (ou personnes qui font le travail sur les contrats). A priori , je crois que les personnes qui seraient les plus à même de communiquer, de façon complète, les différents éléments caractérisant leur organisation sont celles qui sont directement concernées par ces questions. Contrairement à l’affaire Paquet où les cadres, eux-mêmes employés du Cégep visé par le grief, ne pouvaient rien ajouter de différent au moyen de défense que l’employeur entendait faire valoir à titre de moyen de défense face au grief du syndicat, je crois que les personnes du groupe ne sont pas dans ce même état de symbiose qui les amènerait qu’à ne faire écho à la preuve patronale. Il y a donc une « utilité véritable » à leur reconnaître un statut d’intervenant.

 

41. Ces deux critères ne sont  pas suffisants car selon la Cour d’appel, il faut se retrouver en présence de circonstances qui doivent permettre « exceptionnellement » l’intervention de tiers à un dossier ( Paquet , par. 41). Les faits de la présente affaire sont, selon moi, de cette nature. Contrairement à certains dossiers d’arbitrage classiques contestant l’attribution, par un employeur, de contrats de sous-traitance à des tiers en violation de la convention collective, les griefs à l’étude n’exigent pas que les personnes travaillant sur les contrats Sears, La Baie et Zellers cessent d’y œuvrer, mais, comme je l’ai souligné plus tôt, qu’elles soient visées par la convention collective S-1, dont, entre autres, le paiement de cotisations syndicales.

 

42. C’est donc dire - et ceci a été soulevé avec vigueur par le procureur du groupe - que c’est l’ensemble de la relation contractuelle liant l’employeur et ces entreprises et/ou salariés qui risque d’être fortement affectée si les griefs à l’étude sont accueillis. Certes, je le rappelle, ma sentence n’aura pas d’autorité à l’égard de ces tiers, mais il n’en demeure pas moins que si les griefs syndicaux sont fondés en droit, il est raisonnable de croire que l’employeur et, par incidence directe, les co-contractants à qui il confie les contrats d’entretien, devront composer avec une nouvelle donne majeure et incontournable, soit le fait que le travail effectué sur les contrats visés sera régi par les dispositions de la convention collective.

 

43. À mon avis, il s’agit là d’éléments exceptionnels qui ne se retrouvaient pas dans les décisions récentes de la Cour d’appel. Dans Paquet , par exemple, si le grief était accueilli, les deux cadres, même s’ils étaient alors susceptibles de perdre le poste que l’employeur leur avait confié, demeuraient malgré tout à l’emploi du Cégep. (par. 45). Dans Métromédia , la finalité du grief était de mettre fin à la sous-traitance (précité, par. 13). Dans ces deux cas, l’effet des sentences arbitrales devait prendre fin en même temps que celles-ci et, s’il y avait lieu, l’exécution de remèdes monétaires en découlant. En l’espèce, l’objet des griefs ne se limite pas, s’ils sont accueillis, à obtenir des réparations monétaires pour corriger le passé (les cotisations syndicales non perçues), mais ces griefs ont pour vocation de s’appliquer pour toute la durée de la convention collective à l’égard des personnes qui sont affectées aux trois contrats visés par les griefs. La sentence arbitrale, si les griefs sont accueillis, aura nécessairement des effets juridiques - et économiques, il va sans dire - qui persisteront, tant pour l’employeur que les personnes oeuvrant sur les contrats et c’est cette récurrence - qui ne se retrouve pas dans les décisions examinées par la Cour d’appel - qui confère, selon moi, un caractère exceptionnel à la situation à l’étude. Je suis donc d’avis que les conditions requises pour autoriser l’intervention demandée sont présentes dans le présent dossier.

 

44. Le syndicat a invoqué que la demande d’intervention devrait être refusée en invoquant, par analogie, l’affaire Picotin c. Gareau , (1990) R.J.Q. 2373 (C.A.). Dans cette décision, la Cour d’appel indiquait que des salariés, couverts par une unité d’accréditation, ne pouvaient contester une décision prononcée par un commissaire du travail relativement à une requête en modification de l’unité d’accréditation. La Cour confirma que ces salariés, même s’ils étaient affectés par cette décision, n’étaient pas des « parties intéressées » à la question de description de l’unité de négociation. Seul le syndicat et l’employeur possèdent ce statut juridique.

 

45. Dans le présent dossier, le syndicat invoque que cette même conclusion est applicable puisque les co-contractants qui demandent le statut d’intervenants ne sont pas des parties au présent litige. Je ne peux retenir cette proposition. À mon avis, le principe découlant de l’affaire Picotin doit être examiné dans le contexte dans lequel il a été dégagé, soit celui d’un dossier où des salariés désiraient contester une décision qui avait pour effet de les inclure dans une unité de négociation. Le texte spécifique des articles 32 et 39 C.t ., interprétés déjà par la Cour suprême dans Bibeault c. McCaffrey , (1984) R.C.S. 176, a amené la Cour d’appel, par analogie, à conclure que les salariés concernés n’avaient pas d’intérêt à agir dans le dossier. Dans le dossier à l’étude, aucune demande n’a trait à une quelconque modification du certificat d’accréditation. Il s’agit plutôt, tel que je comprends le litige, de déterminer si l’employeur doit respecter la convention collective relativement à des personnes qui travaillent à l’exécution de différents contrats. Ces personnes ne contestent pas la portée ou le libellé du certificat d’accréditation détenu par le syndicat, mais allèguent qu’elles ne seraient pas des « salariés » au sens de la convention collective. À l’égard de cette question spécifique, je ne vois pas comment les règles de l’affaire Picotin , formulées dans un contexte très différent, peuvent être applicables en l’espèce et empêcher l’intervention requise.

 

 

II) DISPOSITIF

 

POUR L’ENSEMBLE DE CES MOTIFS, le soussigné :

 

REJETTE la demande patronale de surseoir l’audience des griefs S-3 à S-12 ;

 

ACCUEILLE la demande d’intervention par le groupe identifié dans la lettre du 29 août 2012 ;

 

CONVOQUE les parties et les intervenants à la poursuite de l’audience à une date à être convenue avec eux.

 

 

 

                                               Gatineau, ce 16 septembre 2012

 

 

                                              

 

                                                           Denis NADEAU, arbitre

 

 

 

 

 

Me Sylvain SENEY

Procureur du Syndicat

 

Me Érik SABBATINI

Procureur de l’Employeur

 

Me Jacques AUDETTE

Procureur des intervenants