Montréal (Ville de) et Gesmonde ltée

2012 QCCLP 7452

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Longueuil

19 novembre 2012

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

430293-71-1102

 

Dossier CSST :

4142292

 

Commissaire :

Lucie Couture, juge administrative

 

Membres :

Alain Crampé, associations d’employeurs

 

Françoise Morin, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Ville de Montréal

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Gesmonde ltée

Syndicat québécois de la construction

C.P.Q.M.C.

C.S.N. - Construction Montréal

C.S.D. - Construction

F.T.Q. - Construction - local 7916

 

Parties intéressées

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]            Le 2 février 2011, la Ville de Montréal dépose une requête, à la Commission des lésions professionnelles, par laquelle elle conteste la décision rendue le 13 janvier 2011, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.

[2]            Par cette décision, la CSST confirme celle rendue initialement le 28 octobre 2010 dans le rapport d’intervention RAP0647815, laquelle déclarait qu’il existe qu’un seul chantier de construction dans le projet de la revitalisation des structures et infrastructures du Parc Laurier. Elle déclare que la Ville de Montréal est le maître d’œuvre de ce chantier.

[3]            Lors de l’audience tenue à Montréal, le 13 novembre 2012, la Ville de Montréal est présente et représentée. Gesmonde ltée, partie intéressée, est également présente et représentée. Le tribunal note que la CSST n’est pas intervenue au dossier.

MOYEN PRÉALABLE

[4]            La requête de la Ville de Montréal a été déposée en dehors du délai prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [1] (la loi). Le tribunal doit donc déterminer si la Ville de Montréal a un motif raisonnable pour justifier le tribunal de la relever de son défaut, et ce, en vertu de l’article 429.19 de la loi. Cet article se lit comme suit :

429.19.  La Commission des lésions professionnelles peut prolonger un délai ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que celle-ci n'a pu respecter le délai prescrit pour un motif raisonnable et si, à son avis, aucune autre partie n'en subit de préjudice grave.

 

 

L’AVIS DES MEMBRES

[5]             Le membre issu des associations d’employeurs, monsieur Alain Crampé, et la membre issue des associations syndicales, madame Françoise Morin, sont d’avis que la requête de l’employeur a été déposée dans les délais prévus à la loi étant donné la date de notification de cette décision, Quant au fond du litige, ils sont d’avis de faire droit à la requête de la Ville de Montréal. Ils considèrent que la preuve démontre qu’il n’existait qu’un seul chantier de construction, soit le chantier de réfection de la piscine. Quant à l’autre contrat donné par la Ville de Montréal, il consiste en des travaux d’aménagement paysager, lesquels ne constituent pas un chantier de construction.

[6]            Comme l’entrepreneur du chantier de réfection de la piscine, Gesmonde ltée, a reconnu à l’audience être le maître d’œuvre dudit chantier, la CSST ne pouvait déterminer que la Ville de Montréal était le maître d’œuvre. Il y a donc lieu d’annuler les décisions de l’inspecteur.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]            La Commission des lésions professionnelles doit déterminer, dans un premier temps, si la requête de l’employeur est recevable. Dans l’affirmative, elle doit déterminer s’il existait un seul chantier de construction sur le site et si la Ville de Montréal était le maître d’œuvre de ce chantier au sens de cette définition reprise à la Loi sur la santé et la sécurité du travail [2] .

[8]            Le tribunal retient les éléments suivants :

[9]            Le 27 octobre 2010, un inspecteur de la CSST effectue une visite du chantier au Parc Laurier. Lors de cette visite, la chargée de projet de la Ville de Montréal lui mentionne certaines choses, lesquelles sont reprises dans le rapport d’intervention RAP0647815 daté du 28 octobre 2010, dont notamment ce qui suit :

IDENTIFICATION DU MAÎTRE D’ŒUVRE

 

J’informe Mme Marcil qu’il est possible qu’un donneur d’ouvrage engage des sous-traitants sans pourtant être maître d’œuvre. Pour ce faire, il suffit de subordonner les entrepreneurs qu’il engage par écrit à un entrepreneur général présent depuis le début des travaux. Ainsi l’entrepreneur général présent depuis le début des travaux sera responsable de l’ensemble des travaux et aura une autorité réelle. M. Herrera me déclare qu’aucune entente de subordination entre son entreprise et l’autre entrepreneur n’a été conclue.

 

Finalité de l’œuvre

 

[…] me confirme que deux contrats distincts ont été octroyés par la Ville de Montréal. Le premier contrat octroyé à la compagnie Gesmonde inc. consiste à la mise aux normes de la piscine du parc Laurier (piscine, place, vestiaire et terrassement). Le deuxième contrant octroyé à S. Morina consiste au réaménagement du sentier adjacent à la piscine (enlèvement de l’asphalte pour la remplacer par de la criblure).

 

Lieu du chantier

 

Les travaux consistent dans leur ensemble à la revitalisation des structures et infrastructures du Parc Laurier. De plus, il est à noter qu’un seul accès dessert les deux chantiers.

 

Arrêt marqué dans le temps

 

Lors de mon intervention seul les travaux effectués par la compagnie Gesmonde sont en cours. Mme Marcil me déclare que les travaux effectués par S. Morina ont temporairement été interrompus pour permettre l’installation d’un puisard par Gesmonde dans le secteur des travaux de S. Morina..

 

À la lumière des informations recueillies, je conclue que la finalité de l’œuvre consiste à la revitalisation des structures et infrastructures du Parc Laurier et qu’il n’y a en aucun arrêt marqué entre les différentes phases puisqu’il n’y a pas d’arrêt entre les deux contrats, ils ont eu cours en même temps.

 

Compte tenu des informations recueillies, je déclare la Ville de Montréal maître d’œuvre et j’informe Mme Aubin de cette décision.

 

En vertu de l’article 196 de la Loi sur la santé et sécurité du travail (LSST) le maître d’œuvre doit respecter au même titre que l’employeur les obligations imposées à l’employeur par la loi LSST et les règlements notamment prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et la sécurité et l’intégrité physique du travailleur de la construction.  [ sic ]

 

[10]         Le 9 novembre 2010, la Ville de Montréal demande la révision de ce rapport du 28 octobre 2010. Elle soumet que contrairement à ce qu’a décidé l’inspecteur de la CSST, bien qu’étant situés tous les deux au Parc Laurier, il existe deux chantiers distincts localisés à des endroits différents même si contigus, lesquels sont séparés par une clôture de chantier. La Ville de Montréal soumet que les deux chantiers ont des finalités distinctes et que la maîtrise d’œuvre a été déléguée à chaque entreprise retenue pour la finalité de son propre contrat. Ces finalités sont les suivantes :

●          la mise aux normes de la piscine et du pavillon des baigneurs du parc Laurier;

●          le réaménagement de certains sentiers du parc Laurier - enlèvement de la couche asphaltique.

 

[11]         La gestionnaire de la Ville de Montréal soumet que les deux contrats ont été octroyés par deux unités distinctes de la Ville de Montréal, les deux unités ayant des numéros d’employeur distincts. Elle soumet, de plus, qu’aucun des deux contrats n’est subordonné à l’autre ou n’a d’incidence sur la réalisation de l’autre. Mais, s’il y avait une telle proximité, elle soumet que c’est Gesmonde ltée qui serait le maître d’œuvre comme c’est prévu au cahier des charges, dont elle joint un extrait à sa demande de révision.

[12]         Le 13 janvier 2011, la CSST, à la suite d’une révision administrative, considère que la demande de révision de la Ville de Montréal a été faite dans le délai prévu à la loi étant donné les délais postaux. Elle confirme cependant le contenu du rapport du 28 octobre 2010. Dans sa décision, la CSST convient qu’il n’y a qu’un seul chantier lequel consiste en la revitalisation du Parc Laurier. Il n’y a pas deux chantiers distincts comme le prétend la Ville de Montréal. Les critères qu’elle analyse sont les suivants : la réalisation de l’œuvre envisagée au départ et qui résultera des travaux menés sur le chantier, le lieu du chantier et la durée des travaux. Quant à la question du maître d’œuvre, son analyse comprend les huit critères énoncés par la jurisprudence.

[13]         Le 2 février 2011, l’employeur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles contestant la décision du 13 janvier 2011. Dans sa requête, la Ville de Montréal indique avoir reçu la décision du 13 janvier 2011, que le 24 février 2011 tel qu’en fait foi l’inscription de l’horodateur apposée sur ladite décision.

[14]         Lors de l’audience, la Ville de Montréal a fait entendre un architecte de la Direction stratégie et transaction immobilière. Il explique que la décision de la CSST a été transmise à la bonne adresse, mais sans numéro d’étage. Il explique que dans ce cas, le courrier prend beaucoup de temps avant de se rendre au bon destinataire. L’inscription de l’horodateur confirme cette assertion puisqu’il y est indiqué que le département a reçu cette décision le 24 février 2011.

[15]         Le tribunal s’est déclaré satisfait de cette preuve et a considéré que la requête avait été déposée dans le délai prévu à la loi étant donné la date à laquelle avait été notifiée la décision.

[16]         Quant au fond de la requête, le témoin de la Ville de Montréal a confirmé qu’un contrat de réfection de la piscine, de construction d’une pataugeoire et de mise à niveau du bâtiment pour les baigneurs avait été donné à la compagnie Gesmonde ltée. L’autre contrat accordé par un autre département de la Ville de Montréal consiste en des travaux d’aménagement paysager à travers plusieurs parcs de la ville. Ce contrat ne vise pas des travaux de construction mais bien des travaux d’aménagement paysager.

[17]         Il précise que le contrat de construction confié à Gesmonde ltée précise que cet entrepreneur est le maître d’œuvre du chantier.

[18]         Le président de Gesmonde ltée, présent à l’audience, a reconnu s’être comporté et avoir agi sur ce chantier comme maître d’œuvre. Il a notamment, à cet effet, donné l’avis d’ouverture du chantier à la CSST. De plus, il affirme qu’en aucun temps les travaux de son chantier ont chevauché les travaux d’aménagement paysager.

[19]         Le procureur de la Ville de Montréal a fait entendre une architecte paysagiste, qui était l’agente technique en 2010. Elle déclare que le contrat confié à la compagnie Mormina inc. concernait non seulement le parc Laurier, mais également 13 autres parcs de Montréal. Les travaux prévus au contrat étaient des travaux d’aménagement paysager. Ils ont débuté le 17 septembre 2010 pour se terminer le 23 novembre 2010. Elle précise que le site des travaux d’aménagement paysager était clôturé.

[20]         La CSST, qui n’est pas intervenue au dossier, n’a fait aucune preuve ni soumis d’argumentation.

[21]          Le procureur de la Ville de Montréal a déposé des décisions de la Cour du Québec [3] qui concluent que des travaux d’aménagement paysager ne constituent pas des travaux de construction au sens de la définition que l’on retrouve à la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction [4] . Cette définition étant la même que celle retrouvée à la Loi sur la santé et la sécurité du travail , il soumet donc que la CSST ne pouvait donc déterminer qu’il y avait deux chantiers de construction sur ce site. De plus, comme il n’y avait qu’un seul chantier de construction, il ne pouvait y avoir qu’un maître d’œuvre, soit celui prévu au contrat donné par la Ville de Montréal, soit Gesmonde ltée.

[22]         Le procureur demande donc à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il n’y avait qu’un seul chantier de construction et que, par conséquent, le maître d’œuvre était celui qui a agi à ce titre, soit l’entrepreneur Gesmonde ltée.

[23]         Avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal est d’avis de faire droit à la requête de la Ville de Montréal.

[24]         La Loi sur la santé et la sécurité du travail précitée définit ainsi le chantier de construction et le maître d’œuvre :

1.  Dans la présente loi et les règlements, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

[…]

 

 « chantier de construction » : un lieu où s'effectuent des travaux de fondation, d'érection, d'entretien, de rénovation, de réparation, de modification ou de démolition de bâtiments ou d'ouvrages de génie civil exécutés sur les lieux mêmes du chantier et à pied d'œuvre, y compris les travaux préalables d'aménagement du sol, les autres travaux déterminés par règlement et les locaux mis par l'employeur à la disposition des travailleurs de la construction à des fins d'hébergement, d'alimentation ou de loisirs;

 

[…]

 

« maître d'œuvre »   le propriétaire ou la personne qui, sur un chantier de construction, a la responsabilité de l'exécution de l'ensemble des travaux;

 

 

[25]         Le tribunal retient que la définition de chantier de construction, telle que précisée à la Loi sur la santé et la sécurité du travail, est la même que celle édictée dans la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction (loi R-20) précitée.

[26]         Le tribunal partage l’opinion exprimée par la Cour du Québec selon laquelle des travaux d’aménagement paysager ne peuvent être considérés comme relevant d’un chantier de construction au sens de la définition reprise précédemment.

[27]         Par conséquent, il n’y avait qu’un seul chantier de construction. Les autres travaux étaient des travaux d’aménagement paysager. Par ailleurs, la finalité de chacun de ces travaux était distincte puisque les travaux de construction visaient la réfection et la mise à niveau de la piscine, alors que les travaux d’aménagement paysager visaient à modifier le revêtement des sentiers du parc et à placer des dalles de béton destinées à recevoir le mobilier urbain tels des bancs de parc et tables à pique-nique.

[28]         Comme les travaux d’aménagement paysager ne constituent pas des travaux sur un chantier de construction et comme l’entrepreneur en construction, Gesmonde inc, reconnaît être le maître d’œuvre sur le chantier de construction visant la réfection de la piscine et la mise à niveau du bâtiment des baigneurs, la Ville de Montréal ne pouvait être désignée comme maître d’œuvre.

[29]         Il y a donc lieu d’infirmer les décisions de l’inspecteur inscrites dans le rapport RAP0647815 émis le 28 octobre 2010.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de la Ville de Montréal;

INFIRME la décision rendue le 13 janvier 2011, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE qu’il n’existe qu’un seul chantier de construction sur le site du Parc Laurier, soit la mise à niveau de la piscine et du bâtiment des baigneurs;

DÉCLARE que Gesmonde ltée est le maître d’œuvre de ce chantier.

 

 

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Lucie Couture

 

 

 

M e Gilles Dubé

CHAREST, GAGNIER ASS

Représentant de la partie requérante, Ville de Montréal

 

 

M. Rodrigo Herrera

Représentant de la partie intéressée Gesmonde ltée



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           L.R.Q., c. S-2.1.

[3]           Procureur Général du Québec c. Ouellette , 2007 QCCQ 12773 ; Procureur Général du Québec c. 9098-8569 Québec inc. , 2006 QCCQ 2440 ; J.E. Verreault & fils ltée et Entreprises Toitpro inc., C.L.P. 325692-31-0708 , 12 mai 2008, R. Langlois; Commission scolaire de Laval et Entreprise Denpro inc., C.L.P. 386531-61-0908 , 30 juin 2011, P. Bouvier.

[4]           L.R.Q. c. R-20.