COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

101261

Cas :

CM-2011-3451 et CM-2011-3862

 

Référence :

2012 QCCRT 0517

 

Montréal, le

19 novembre 2012

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DEVANT LE COMMISSAIRE :

André Bussière, juge administratif

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Omar Toukal

 

Plaignant

c.

 

Corporation de l’École Polytechnique de Montréal

Intimée

 

 

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DÉCISION

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[1]            La Commission est saisie de deux plaintes soumises respectivement les 28 février et 16 mars 2011, en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail , L.R.Q., c. N-1.1, par lesquelles le plaignant conteste son congédiement par l’intimée, congédiement qu’il situe au 17 février 2011, dans sa première plainte, puis au 15 mars suivant, dans sa deuxième. Il sera admis par les parties que le plaignant fut congédié le 15 mars 2011. Sa première plainte sera donc rejetée, parce que prématurée.

[2]            Le 5 août 2011, la Commission convoque les parties à une audience le 4 novembre suivant. Comme prévu, une audience est tenue ce jour-là. L’administration de la preuve et les plaidoiries nécessitent la tenue, les 18, 20, 23, 24 avril, 27 et 28 août 2012, de six autres journées d’audience.

la preuve

[3]            Le plaignant a fait ses débuts à l’École Polytechnique de Montréal (l’ École ) le 14 mai 2000. En tout temps pertinent, il y a occupé le poste d’analyste en informatique, responsable du support à la clientèle du département de génie mécanique. Au départ, il relevait du directeur de ce département. Vers le mois de juin 2002, le poste qu’il occupait et continua d’occuper fut intégré au Service informatique de l’École. À compter de ce moment et jusqu’à son congédiement, il releva de madame Chantal Grenier, chef de secteur du Service informatique.

[4]            Madame Grenier confirme que, jusqu’à ce que le plaignant soit appelé à participer à un projet de restructuration du support informatique au département de génie mécanique, projet dont elle situe le démarrage au 2 septembre 2010, le dossier disciplinaire du plaignant était vierge. En fait, comme on le verra, un premier avertissement écrit lui fut servi le 15 octobre 2010. Et, tel qu’il ressort de la preuve, bien que, par le passé, certains utilisateurs aient eu des occasions de se plaindre du temps mis à répondre à leurs requêtes, soit ils n’en informèrent pas madame Grenier, soit elle estima qu’il n’y avait pas matière à intervenir auprès du plaignant.

[5]            Jusque vers la fin de l’année 2004 ou le début de l’année 2005, le plaignant était la seule ressource disponible au sein du département en matière de support informatique. À cette époque, le Service informatique y a affecté une technicienne en informatique, madame Tanya Alleyne. Le plaignant déclare que son rôle à l’égard de madame Alleyne consistait à la chapeauter « sur le plan fonctionnel », lui donner du travail, la guider, la supporter. Sur le plan administratif, madame Alleyne relevait elle aussi de madame Grenier.

[6]            Un protocole relatif aux conditions de travail des cadres s’appliquait au plaignant. Le directeur des ressources humaines, monsieur Jean-Denis Roy, précisa que ce protocole s’appliquait à la fois aux cadres et aux professionnels de l’École, ces derniers étant assimilés à des cadres, aux fins de son application. Selon sa description de ses responsabilités eu égard à madame Alleyne, le plaignant peut tout au plus être considéré comme un chef d’équipe, certainement pas comme un cadre. Il faudra donc garder à l’esprit que c’est en tant que professionnel que ce protocole s’appliquait à lui.

[7]            Le protocole en question comporte un mécanisme de règlement des désaccords dont le plaignant ne s’est pas prévalu pour contester son congédiement ou les avertissements écrits qui lui furent transmis au préalable. L’École ne prétend cependant pas que ce mécanisme constitue une autre procédure de réparation au sens de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail .

[8]            Au chapitre des mesures disciplinaires, les dispositions pertinentes de ce protocole se lisent comme suit :

16.1       L’avertissement, la suspension ou le congédiement sont des mesures disciplinaires susceptibles d’être appliquées par l’École.

16.2       Nonobstant les dispositions prévues à l’article 16.7, l’École peut congédier un cadre, sans préavis, si la nature ou la gravité du préjudice causé nécessite une intervention immédiate. Dans les mêmes circonstances, l’École peut également choisir de suspendre un cadre temporairement et sans traitement.

(…)

16.7       L’École peut congédier un cadre pour une juste cause après avoir épuisé la procédure suivante :

a)      le supérieur immédiat donne au cadre un premier avertissement écrit indiquant les motifs retenus contre lui et lui demandant d’y remédier;

b)      si le cadre ne se conforme pas à ce premier avertissement, son supérieur immédiat lui donne un deuxième avertissement écrit portant sur les mêmes motifs.

c)      le délai entre les deux avis ne peut être inférieur à deux (2) mois ni supérieur à douze (12) mois;

d)      le cadre qui ne s’est pas conformé au deuxième avertissement écrit dans les vingt (20) jours qui suivent le deuxième avertissement peut être congédié.

[9]            Le plaignant déclare qu’à compter de l’année scolaire 2007-2008, il y eut «  beaucoup de développements dans le département », tellement que, « même à deux, nous ne suffisions plus à la tâche ». Au printemps 2009, le plaignant rencontre le directeur du département, monsieur Clément Fortin, pour se plaindre de l’insuffisance des ressources par rapport aux besoins. En mai ou juin 2009, le plaignant et monsieur Fortin rencontrent madame Grenier à ce sujet. Le plaignant ajoute que monsieur Fortin décide de faire de ce sujet l’un des thèmes d’un colloque qui sera tenu les 14 et 15 octobre suivant, au cours duquel il fut invité à présenter en atelier « l’étude comparative avec les autres départements » qu’il avait réalisée.

[10]         En raison de ces interventions, le plaignant s’attribue la paternité du projet de restructuration qui sera élaboré au cours des premiers mois de l’année 2010. Il précise que l’on accepta sa suggestion de transférer la responsabilité des postes de travail du personnel administratif et de deux laboratoires au Service informatique. Il est on ne peut plus clair que le plaignant s’attendait à être associé de près à l’élaboration du projet de restructuration et à être appelé à jouer un rôle déterminant dans sa mise en œuvre.

[11]         Contrairement aux attentes du plaignant, madame Grenier sera la seule personne du Service informatique appelée à faire partie du « Comité de réflexion du département » mandaté pour se pencher sur la réorganisation. Au cours d’une réunion tenue le 27 avril 2010, le plaignant prend connaissance d’une partie du document de travail préparé par le comité. À sa lecture, il constate que, « dans [sa] colonne », on y est allé d’une énumération de ses tâches quotidiennes, sans plus. Lors de la réunion, d’ajouter le plaignant, monsieur Alain Robidoux est présenté aux participants comme un analyste spécialisé appelé à contribuer à la réalisation du projet, vu sa connaissance plus pointue des « outils pour améliorer le déploiement ».

[12]         À la fin de cette réunion, le directeur du département, monsieur Fortin, invite les participants à analyser le document de travail plus en profondeur et à faire leurs suggestions à monsieur Luc Baron, le professeur qui sera dégagé de ses tâches d’enseignement à la session d’automne pour assurer la supervision fonctionnelle du projet de réorganisation. La gestion du projet comme telle, c’est-à-dire tout le volet administratif, y compris la gestion des ressources humaines, restera sous la responsabilité de madame Grenier.

[13]         Une semaine plus tard, déjà inquiet de se voir relégué à un rôle de second plan, le plaignant interpelle monsieur Baron pour obtenir des précisions sur le rôle que l’on entend confier à monsieur Robidoux, sur « son statut » dans l’équipe constituée pour mener à bien le projet. Monsieur Baron lui répond qu’il va s’en informer auprès de madame Grenier et lui revenir. Dans les jours qui suivent, monsieur Baron doit s’absenter pour cause de maladie. Il ne sera de retour qu’au début de la session suivante, de sorte que le plaignant n’aura réponse à ses questions que lors de la rencontre officielle de démarrage du projet, tenue le 2 septembre suivant.

[14]         Il faut souligner d’entrée de jeu qu’il y a une différence marquée entre la preuve documentaire et la preuve testimoniale administrée par l’intimée sur le rôle que le plaignant était censé jouer dans le projet de restructuration. En effet, alors que messieurs Fortin, Baron, Robidoux et Marc Doyon, un technicien affecté à mi-temps au projet, de même que madame Grenier ont témoigné qu’il était clair dès le départ que le plaignant devait en être le responsable, les documents versés au dossier indiquent que cette responsabilité incombait plutôt à monsieur Robidoux.

[15]         Comme on le verra, le 26 octobre 2010, il y eut une tentative un peu malhabile de rectifier le tir de la part de madame Grenier, celle-ci attribuant pour la première fois le titre de chef d’équipe au plaignant, mais continuant de désigner monsieur Robidoux comme « chef du projet » et responsable de « s’assurer de l’avancement du projet ».

[16]         Il ressort aussi de la preuve que, jusqu’à cette date, ou à tout le moins jusqu’à la réunion tenue le 20 octobre 2010, à laquelle madame Grenier fait référence dans son courriel du 26 octobre adressé aux membres de l’équipe et à monsieur Baron, monsieur Robidoux s’est de fait comporté comme s’il était le responsable de la mise en œuvre du projet de restructuration, convoquant les membres de l’équipe aux réunions, dressant les comptes rendus de celles-ci et les faisant parvenir à tous. Monsieur Robidoux expliqua avoir agi de la sorte pour suppléer au manque d’initiative du plaignant, dans le but de remettre le projet sur les rails.

[17]         Dans le document qui fut remis aux participants à la rencontre de démarrage du projet tenue le 2 septembre, monsieur Robidoux est présenté tantôt comme chef de projet, tantôt comme chef d’équipe, mandaté pour « établir des normes et des méthodes de travail avec l’équipe en place », et « responsable de la coordination du travail » ainsi que de « faire un suivi du travail ». Le plaignant, pour sa part, y est présenté simplement comme l’« analyste du département ». Suit une description de ses tâches et responsabilités habituelles, à savoir « d’assurer le bon fonctionnement des différents serveurs du département et des laboratoires de recherche », à laquelle on a ajouté la responsabilité de « fournir les outils nécessaires à l’équipe afin qu’il (sic) puisse accomplir leur (sic) travail ».

[18]         Il est convenu lors de cette réunion que les membres de l’équipe, à l’exclusion de monsieur Baron et de madame Grenier, déménageront temporairement dans un local commun, afin d’assurer une meilleure communication entre eux et de faciliter la coordination du travail d’équipe. Il faut préciser que le plaignant et madame Alleyne devaient continuer à assurer le service à la clientèle du département pendant la durée du projet. En principe, monsieur Doyon devait être déchargé de 50 % de ses tâches habituelles pour les aider et contribuer à la réalisation du projet. Monsieur Robidoux déclare qu’il n’était lui non plus pas libéré de ses autres attributions, alors que madame Grenier affirme qu’on lui avait enlevé temporairement la charge des laboratoires d’enseignement.

[19]         Quoi qu’il en soit, même s’ils continuaient de vaquer à d’autres occupations, les membres de l’équipe devaient le faire à partir d’un « espace commun », histoire de favoriser le sens d’appartenance à l’équipe et, l’espérait-on, de créer une certaine synergie entre ses membres, dans la poursuite d’un objectif commun. Pour des raisons d’ordre matériel, le local en question ne fut pas disponible avant le 13 septembre 2010, date à laquelle tous, sauf le plaignant, s’y établirent.

[20]         Pour expliquer qu’il n’ait pas rejoint les autres membres de l’équipe avant un certain temps, le plaignant invoque qu’il avait des travaux urgents à terminer, ce dont il avait informé monsieur Baron, précise-t-il. Son témoignage sur le temps qu’il a mis à se joindre aux autres évolue au fil du temps : « cinq à dix jours », « peut-être plus », finit-il par concéder. Le témoignage de madame Grenier à ce sujet apparaît beaucoup plus digne de foi. Elle déclare que le plaignant a fini par intégrer le local commun le 6 octobre, précisant qu’elle avait dû lui lancer un ultimatum la veille. Le directeur des ressources humaines, monsieur Roy, confirme que c’est ce qu’il avait suggéré à madame Grenier de faire le 4 novembre, lors de sa première rencontre avec elle dans le dossier, rencontre à laquelle le directeur du Service informatique, monsieur Richard Labrie, a assisté, précise-t-il.

[21]         La raison mise de l’avant par le plaignant pour expliquer son retard à rejoindre l’équipe relève du prétexte. En effet, rien ne l’empêchait d’établir ses pénates dans le local commun et, à l’instar des autres membres de l’équipe, de continuer à vaquer à ses occupations à partir de ce local. Selon toute vraisemblance, tel qu’il ressort d’une longue lettre qu’il a adressée à madame Grenier le 8 novembre 2010, en réponse à son avertissement écrit du 29 octobre, le plaignant aura plutôt décidé consciemment, en réaction à la décision de nommer monsieur Robidoux chef du projet à sa place et à certains propos de ce dernier, de s’en tenir à sa description de tâches et de ne manifester aucun empressement à rejoindre le reste de l’équipe.

[22]         En somme, tel qu’il ressort on ne peut plus clairement de cette lettre, le plaignant estimait que le titre et les responsabilités de chef du projet lui revenaient de droit, en tant que « principal initiateur » et « premier architecte de cette restructuration », et il a considéré avoir été « démis de [ses] responsabilités de chef de projet sans (…) la moindre explication », se sentant dévalorisé, blessé dans son amour-propre. Et, pour ajouter l’insulte à l’injure, si l’on peut dire, le plaignant écrit dans sa lettre - ce qu’il répétera lors de l’audience et ne sera pas contredit - que monsieur Robidoux avait affirmé, en présence de madame Grenier, qu’il entendait procéder à son évaluation, en plus d’insister, lors d’une autre réunion d’équipe, sur un conflit réglé depuis longtemps entre lui et madame Alleyne, suggérant qu’ils n’étaient pas faits pour travailler ensemble.

[23]         Cela dit, même si le plaignant a eu tort de réagir de la sorte, tous les reproches qui lui sont adressés ne sont pas fondés pour autant. Par exemple, dans le premier avertissement écrit que lui a adressé madame Grenier en date du 15 octobre 2010, on lui reproche essentiellement de ne pas avoir remis « le code administrateur » à tous les membres de l’équipe, comme cela lui avait été demandé le 2 septembre. Dans cet avertissement, madame Grenier s’étend en long et en large sur les répercussions de cette décision, les exagérant grossièrement, du moins si l’on en croit le témoignage rendu par monsieur Robidoux à ce sujet, pour la qualifier d’insubordination.

[24]         À cet égard, le plaignant déclare avoir remis un « code avec privilèges d’administrateur » à tous les membres de l’équipe dès le 3 septembre. Il soutient que, pour des motifs de sécurité, l’utilisation du code d’administrateur est à proscrire. Monsieur Robidoux n’est pas de cet avis. À l’étape des plaidoiries, les parties reconnaîtront qu’il est pour le moins difficile, du point de vue d’un profane, de trancher entre ces deux avis professionnels. Par ailleurs, le plaignant précise que madame Alleyne a toujours utilisé un code avec privilèges d’administrateur pour effectuer son travail, sans que cela ne pose problème.

[25]         Comme on le verra, on a fait tout un plat de cette histoire de code d’administrateur. Pourtant, monsieur Doyon affirma que, lorsque le code avec privilèges d’administrateur que lui avait remis le plaignant cessa de fonctionner, monsieur Robidoux n’eut aucun mal à le dépanner, parce qu’il détenait des codes valables pour toute l’École, « lui donnant accès au réseau de génie mécanique ».

[26]         En outre, lorsque interrogé sur les conséquences du défaut du plaignant de lui remettre un code d’administrateur dès le début du projet, monsieur Robidoux y va de la réponse suivante : « Honnêtement, je n’en avais pas besoin. Avec les privilèges que j’avais, j’aurais pu entrer dans le système et modifier le mot de passe. Ça ne m’a pas nui. Une fois, à la mi-octobre, j’ai utilisé cette porte de sortie pour aider monsieur Doyon qui était bloqué . »

[27]         Apparemment, monsieur Robidoux donna un autre son de cloche à monsieur Baron, se plaignant, dans un courriel qu’il lui faisait parvenir le 4 novembre 2010, tout juste avant la tenue d’« une réunion avec l’éxécutif du département cet après-midi », du fait que le plaignant ne lui ait pas encore remis tous les codes.

[28]         Dans sa description des tâches effectuées par l’équipe, monsieur Robidoux écrit à monsieur Baron que le « support régulier des étudiants et des professeurs » est offert par madame Alleyne et par le plaignant, « lorsqu’il est présent », souligne-t-il. Monsieur Robidoux ne manque pas non plus de souligner au destinataire de ce courriel que, dans les faits, un chercheur a dressé l’inventaire de certains postes de travail à la place du plaignant, pour ensuite le lui remettre. Ce courriel de monsieur Robidoux à monsieur Baron se termine comme suit : « Au niveau du démarrage du projet de restructuration, on est totalement bloqué. J’ai forcé deux réunions pour partir le projet. Mais la participation d’Omar Toukal [le plaignant] est douteuse. Actuellement, le projet est bloqué par madame Grenier. On attend la suite des événements

[29]         Après la réunion de démarrage du 2 septembre, la première véritable rencontre de travail de l’équipe fut tenue le 22 septembre 2010. Les membres de l’équipe, à l’exclusion de madame Grenier, y avaient été convoqués la veille par courriel de monsieur Robidoux comportant un ordre du jour détaillé. Le plaignant confirme que madame Grenier n’assista pas à cette rencontre. Il précise que c’est à cette occasion que monsieur Robidoux fit référence au conflit réglé depuis longtemps déjà entre lui et madame Alleyne, suggérant devant tous les participants qu’ils n’étaient pas faits pour travailler ensemble.

[30]         Le plaignant déclare que monsieur Robidoux a mené la rencontre en question du début à la fin, exposant le projet et expliquant en quoi consiste l’outil SCCM dont il entendait se servir, entre autres, pour réaliser la majeure partie de l’inventaire. Le plaignant confirme que monsieur Robidoux leur demanda alors, à lui et à madame Alleyne, de faire le reste de l’inventaire, c’est-à-dire « l’inventaire des clients Linux, Mac et des serveurs », incluant les logiciels et les serveurs de licences. Il n’est pas en preuve que monsieur Robidoux leur précisa alors dans quel délai le résultat de cet exercice devait lui être transmis.

[31]         Le 12 octobre, monsieur Robidoux fait parvenir au plaignant un courriel par lequel il lui expose sa vision du travail à effectuer pour mener à bien la restructuration. Par la même occasion, il lui rappelle que, « comme entendu, il faudrait obtenir l’inventaire des clients Linux, Mac et des serveurs ». « Dans cet inventaire, il faut inclure les logiciels et les serveurs de licences », ajoute-t-il. « Pour l’inventaire des clients et logiciels Windows, on va le faire avec SCCM », réitère-t-il. Le même jour, le plaignant lui répond qu’il est déjà en mesure de lui fournir les inventaires des serveurs, des serveurs de licences et des logiciels, ainsi que des machines Linux.

[32]         Deux jours plus tard, monsieur Robidoux fait parvenir un autre courriel au plaignant, où commence à poindre son exaspération, tel qu’en fait foi l’extrait suivant :

Nous nous sommes rencontrés le 22 septembre dernier. Il a été entendu lors de cette réunion que nous devions monter un inventaire des ordinateurs et des logiciels.

Nous sommes le 13 octobre, et rien n’a encore été fait. Le projet doit démarrer. J’attends donc les inventaires suivants au plus tôt :

-        Inventaire des ordinateurs comprenant n o de modèle, n o de série, type de CPV, quantité de mémoire vive et grosseur des disques.

-        Inventaire des logiciels utilisés et des versions.

-        Back log de toutes les demandes de tous le département.

(Reproduit tel quel)

[33]         Comme on peut le constater à la lecture de ce courriel, ne serait-ce que par le ton qu’adopte son auteur, on ne se trouve manifestement pas en présence d’un simple consultant qui s’adresse à son chef de projet.

[34]         Par ailleurs, tel qu’il ressort de cet autre extrait de ce courriel, en ce qui concerne l’inventaire des postes de travail et des logiciels Windows, monsieur Robidoux revient alors sur qui avait été convenu au départ : « Comme SCCM ne sera pas monté à temps, il serait préférable d’avoir aussi l’inventaire des ordinateurs Windows de tous les segments. » Dans les minutes qui suivent, le plaignant lui répond que « l’inventaire est en cours » et qu’une grande partie de celui-ci a été faite. S’ensuit un échange de courriels entre le plaignant et madame Alleyne sur le partage entre eux de ce travail et son état d’avancement.

[35]         La deuxième rencontre de travail de l’équipe est tenue le 20 octobre 2010. Tous y participent, y compris madame Grenier. Le soir même, monsieur Robidoux en dresse un compte rendu. À vrai dire, il s’agit plutôt d’un résumé des méthodes de travail dont les participants ont convenu et d’une liste et des travaux à entreprendre ou à terminer, qui ne comporte aucun échéancier. L’inventaire des logiciels et du matériel y figure, de même que celui des demandes de service. Monsieur Robidoux a consigné à ce document qu’il avait aussi été convenu de tenir une rencontre quotidienne, le matin, pour parler des travaux à effectuer et des directions à prendre.

[36]         Selon toute vraisemblance, il a aussi été question lors de cette rencontre du rôle dévolu à chacun au sein de l’équipe et du partage des responsabilités entre ses membres. En effet, madame Grenier débute son courriel du 26 novembre adressé à tous les membres de l’équipe, courriel auquel nous avons déjà fait référence, comme suit : « Comme nous l’avons mentionné dans la réunion du 20 octobre, voici les rôles de chacun

[37]         Tel que déjà mentionné, dans ce courriel, madame Grenier désigne pour la première fois le plaignant comme chef d’équipe. La description qu’elle fait de ses attributions est enrichie, par rapport à celle remise aux membres de l’équipe le 2 septembre, par l’ajout de responsabilités de gestion du projet. Il n’en subsiste pas moins une certaine confusion des rôles, madame Grenier continuant d’attribuer le titre de chef de projet à monsieur Robidoux, ainsi que la responsabilité de voir à s’assurer de son avancement.

[38]         Il est on ne peut plus clair que madame Grenier a opéré un changement de cap majeur ce jour-là. En effet, le 10 octobre, elle écrivait au plaignant que monsieur Robidoux avait été « nommé chef de projet afin de restructurer le support informatique du département » et que celui-ci allait donc lui « remettre par écrit les tâches à accomplir avec une date de livraison ».

[39]         Si elle reconnaît avoir demandé à monsieur Robidoux de prendre l’initiative, c’est que le plaignant « ne faisait rien depuis des mois », de tenter d’expliquer madame Grenier, qui concède tout au plus s’être mal exprimée en qualifiant monsieur Robidoux de chef de projet. « J’aurais dû dire consultant. C’est la même chose pour responsable des travaux. Je voulais dire, imputable de ses travaux », affirme-t-elle. Madame Grenier persiste et signe, si l’on peut dire, ajoutant que le plaignant « aurait dû faire les rencontres quotidiennes, parce que c’est lui, en tant que chef d’équipe, qui gérait le projet ».

[40]         Le plaignant précise que c’est lors de cette réunion tenue le 20 octobre que monsieur Robidoux mentionna devant tous qu’il allait procéder à son évaluation, remarque qui ne suscita aucun commentaire de madame Grenier.

[41]         Le plaignant déclare que madame Grenier lui a téléphoné le 26 octobre, au cours de l’avant-midi, pour lui reprocher de ne pas avoir programmé de rencontres quotidiennes, comme cela avait été convenu le 20 octobre. Selon le plaignant, madame Grenier haussa le ton pour la première fois dans leurs échanges, elle qui est «  d’habitude très douce ». Le plaignant ajoute être aussitôt passé voir madame Grenier à son bureau pour tirer les choses au clair. Il précise lui avoir souligné que, jusque-là, toutes les rencontres avaient été organisées par monsieur Robidoux, que celui-ci en dressait les comptes rendus, et qu’il « ne voulait pas empiéter sur les responsabilités du chef de projet, qu’il n’était pas censé les organiser, ces rencontres ».

[42]         Si l’on en croit le témoignage du plaignant toujours, madame Grenier fut «  convaincue » par ses arguments et lui présenta même des excuses pour le ton qu’elle avait adopté plus tôt ce jour-là, lors de leur conversation téléphonique, avant d’ajouter : « À partir de demain, c’est toi qui les organises. Cet après-midi, je vais envoyer la nouvelle description des tâches et responsabilités de chacun », d’où son courriel du 26 octobre.

[43]         Au sortir de sa rencontre avec madame Grenier, le plaignant avise tous les membres de l’équipe par courriel qu’à compter du lendemain, « une réunion de travail sera organisée quotidiennement, de 9 h 30 à 10 h 15 », et qu’un compte rendu leur sera transmis chaque jour. Mais, plus tard ce jour-là, madame Grenier informe le plaignant de la décision du directeur du Service informatique, monsieur Labrie, « de suspendre les rencontres quotidiennes » jusqu’à ce qu’une rencontre soit tenue avec le directeur des ressources humaines.

[44]         Le 26 octobre toujours, avant que madame Grenier ne l’informe de la décision de monsieur Labrie, le plaignant envoie un autre courriel aux membres de l’équipe au sujet de l’inventaire. « Comme convenu, j’ai mis dans l’espace réseau l’inventaire des machines qui sont installées en Linux ainsi que des logiciels utilisés au département. Certaines machines Linux ne sont pas dans l’inventaire parce qu’elles ne seront plus en service », leur écrit-il.

[45]         Le lendemain, madame Grenier convoque le plaignant à son bureau à 14 h 30, pour rencontrer avec elle « un responsable des ressources humaines ». Madame Grenier ne fut pas étrangère à la décision de monsieur Labrie de mettre en suspens le projet de réorganisation. Elle déclare en effet qu’elle « voulait qu’on rencontre les ressources humaines avant [que le plaignant ne donne suite à sa demande de tenir des rencontres quotidiennes] », « à cause de l’atmosphère, de sa crédibilité qui était entachée, du lien de confiance brisé ». « En voyant le courriel [adressé la veille par le plaignant aux autres membres de l’équipe] , je me suis dit : Il a compris, mais là, c’est le reste de l’équipe qui ne veut plus suivre  », de déclarer madame Grenier.

[46]         Le 27 octobre, en prévision de leur rencontre avec le plaignant fixée en après-midi, madame Grenier et monsieur Roy rencontrent les autres membres de l’équipe pour tâter le terrain, si l’on peut dire. Selon madame Grenier, messieurs Robidoux et Doyon expriment qu’ils n’ont plus confiance au plaignant, tandis que madame Alleyne se dit « en faveur de lui donner une autre chance » et de lui accorder le temps nécessaire, soulignant qu’il s’agissait d’« un gros projet ».

[47]         Monsieur Roy, lui, déclare n’avoir rencontré que messieurs Doyon et Robidoux. Ceux-ci lui auraient fait part de leur appréhension que le projet ne se réalise pas, à cause du « manque de leadership » du plaignant, du fait qu’il ne leur donnait pas d’indications ou de travail à faire. Si l’on en croit le témoignage de monsieur Roy toujours, messieurs Doyon et Robidoux auraient affirmé qu’il n’y avait « pas de travail d’équipe » et évoqué une rupture du lien de confiance entre les membres de l’équipe.

[48]         Madame Grenier affirme que, lors de la rencontre tenue à son bureau avec monsieur Roy le 27 octobre, on a dit au plaignant que le lien de confiance était brisé, on lui a parlé de ses « délais de livraison » et on lui a reproché de ne pas se sentir «  responsable », « imputable ». « Il nous répond que lui aussi n’a plus confiance en l’équipe, en moi, en l’École », ajoute-t-elle. « On lui demande de nous établir un plan d’action concret, par écrit, pour essayer de recréer un lien de confiance avec l’équipe. On lui a donné une journée », poursuit-elle.

[49]         Même s’il s’était déjà « formé une opinion sur le genre d’individu que c’était », à la lecture d’une entente de médiation intervenue entre lui et madame Alleyne en 2007, concernant une situation à laquelle monsieur Labrie avait vaguement fait allusion lors de leur rencontre du 4 novembre, monsieur Roy déclare qu’il voulait rencontrer le plaignant le 27 octobre « pour le connaître, repositionner le projet et partager avec lui les appréhensions des deux autres », c’est-à-dire de messieurs Doyon et Robidoux.

[50]         En ce qui a trait au déroulement de cette rencontre, monsieur Roy déclare ce qui suit : « On lui a lu la liste des problématiques recueillies en avant-midi. Il me répond que lui aussi n’a pas confiance en ses collègues, en Chantal Grenier et en l’École. Je lui réponds : C’est grave. Comment allez-vous faire pour continuer de travailler ici ? » Monsieur Roy ajoute qu’« on a décidé de lui donner une chance en lui demandant un plan d’action concret, pour nous rassurer et rassurer ses collègues sur ses capacités à mener à bien le projet, un plan réaliste, avec l’ensemble des actions, des responsables et des livrables, pour le 1 er novembre . »

[51]         Pour sa part, le plaignant affirme que monsieur Roy et madame Grenier lui ont reproché que le projet n’avançait pas, à cause de son manque de collaboration, pour ensuite évoquer la perte de confiance des autres membres de l’équipe à son endroit.

[52]         Si l’on en croit le témoignage du plaignant, monsieur Roy aurait alors mentionné que même madame Alleyne ne lui faisait plus confiance, avant de lui demander un plan d’action pour remédier à la situation. Le plaignant ajoute avoir fait pour réponse à ses interlocuteurs qu’il entendait programmer une réunion d’équipe pour remettre « une description des mandats et rôles » à chacun des membres, et établir un plan d’action plus technique, ces deux mesures étant selon lui susceptibles de rétablir la situation, du moins en bonne partie. Par ailleurs, le plaignant nie avoir alors affirmé qu’il n’avait plus confiance en l’équipe. « J’ai dit que l’équipe fonctionnait mal et que le projet n’avançait pas », déclare-t-il.

[53]         Il est en preuve qu’il y eut une deuxième rencontre le 29 octobre entre les trois mêmes personnes et que c’est plutôt à l’occasion de celle-ci que l’on exigea du plaignant qu’il produise un plan d’action concret, par écrit, au plus tard le 1 er novembre. Ce jour-là, madame Grenier lui remet la lettre suivante :

Le 2 septembre 2010, nous avons démarré le projet de restructuration du support informatique au département tel que planifié avec les représentants de génie mécanique au printemps dernier. Depuis le début, nous éprouvons de la difficulté sur plusieurs points. Le 27 octobre, nous vous avons à nouveau rencontré pour faire un premier bilan. L’état du projet est très sombre.

De façon générale, l’équipe a fait comme nous le diagnostique que:

Vos collègues n’ont pas confiance en vous;

Vous avez perdu votre crédibilité autant auprès des membres de l’équipe que de plusieurs clients au sein du département;

Vous ne respectez pas les délais ou échéanciers;

Vous n’encouragez pas le travail d’équipe;

Vous entretenez la confusion sur les rôles de chacun;

Vous ne démontrez aucune imputabilité des actions faites dans le cadre du projet;

Vous n’avez posé aucune action visant à organiser les modes de fonctionnements.

Nous vous avons partagé cette évaluation et vous avez confirmé cet état. Vous avez aussi ajouté que vous n’avez plus confiance en personne, autant vos pairs, supérieurs et l’École Polytechnique.

Nous vous avons demandé, lors de la rencontre, de nous présenter un plan d’action pour corriger la situation. Vous nous avez mentionné de faire une rencontre d’équipe pour expliquer les rôles de chacun et d’élaborer un plan d’actions techniques. Selon vous, ces 2 actions corrigeraient la situation à plus de 75%.

Le 5 octobre, nous avons dû insister pour que vous vous incorporiez physiquement avec l’équipe. Toute l’équipe a été regroupée dans un nouveau lieu physique le 13 septembre afin de favoriser les interactions, le partage de l’information et le travail d’équipe. Vous étiez le seul à ne pas vous être intégré avec l’équipe et dans le nouvel espace

Le 15 octobre dernier, nous avons remis un avis vous demandant de porter une attention particulière aux demandes qui vous sont faites, à la communication avec vos pairs, au travail d’équipe et au service clientèle. Nous vous avons aussi mentionné d’améliorer votre organisation et votre planification.

Malgré cette demande, nous ne constatons pas de changement. À titre d’exemple, vous deviez nous transmettre le résultat des inventaires pour le 22 octobre et vous avez transmis un document le 27 octobre. De plus, ce document ne contenait qu’une petite partie des informations demandées. Nous ne sommes pas satisfaits du délai et de la qualité de l’inventaire. Le tout n’est pas à la mesure du travail d’analyste.

Tel que mentionné, nous sommes préoccupés de l’évolution du projet et un redressement s’impose. En tant que professionnel responsable de l’équipe et du projet, nous exigeons un réel plan d’action concret afin de rétablir la situation. Nous vous libérons de votre travail le vendredi 29 octobre pour que vous nous présentiez le plan d’actions détaillées le lundi 1 er novembre à 10 h.

Le plan présenté doit nous sécuriser et inclure des actions portant fruit dès la semaine prochaine. A défaut de nous produire le plan ou de produire un plan adéquat, votre lien d’emploi avec l’École Polytechnique est en jeu.

(Reproduite telle quelle)

[54]         Le 1 er novembre, comme on le lui avait demandé, le plaignant fit parvenir copie de son plan d’action à madame Grenier, après qu’il l’eut validé auprès de deux professeurs du département, précise-t-il. L’un d’entre eux viendra d’ailleurs confirmer avoir été consulté par le plaignant au sujet de ce plan d’action et lui avoir exprimé qu’il en était satisfait. Madame Grenier et monsieur Roy, eux, n’en étaient pas des plus satisfaits. En effet, dès le 1 er novembre, madame Grenier convoque le plaignant au bureau de monsieur Roy le lendemain matin pour en discuter.

[55]         Monsieur Roy déclare que, selon lui et madame Grenier, le plan d’action élaboré par le plaignant n’était « pas conforme » à ce qu’on lui avait demandé, parce qu’il ne comportait pas « l’ensemble des actions concrètes, des responsables et des livrables ». Monsieur Roy ajoute avoir tenté de le lui faire corriger, pour se faire répondre : « Il est parfait et je ne le corrigerai pas. Je l’ai montré à d’autres ». « Je lui ai dit : Ça ne me rassure pas », poursuit-il. « On lui a demandé, plutôt, de nous sortir les priorités, c’est-à-dire l’ensemble des tâches à faire pour atteindre les résultats souhaités du projet », enchaîne-t-il.

[56]         Le plaignant confirme que monsieur Roy et madame Grenier lui ont dit que son plan n’était pas conforme à leurs attentes. Il affirme qu’on ne lui a par ailleurs « rien suggéré pour le rendre plus acceptable ». Il ajoute qu’on lui a laissé entendre que son plan d’action ne changerait pas grand-chose à la dynamique du groupe. Par la suite, la discussion a porté sur « les priorités du département, de manière générale, en matière de support à la clientèle », selon sa compréhension, précise-t-il. Le plaignant déclare avoir alors suggéré à ses interlocuteurs de rédiger un document à ce sujet, suggestion qui fut retenue.

[57]         À entendre le témoignage de madame Grenier, il est loin d’être étonnant que le plaignant ait compris que c’est ce qu’elle attendait de sa part. « On lui a demandé de prioriser les besoins du département. Je voulais savoir comment on priorisait les groupes de recherche, eu égard aux demandes de service : urgent, pas urgent », déclara-t-elle en effet. C’est exactement ce sur quoi porte le document intitulé « Les priorités départementales en matière de support informatique » que le plaignant lui a transmis le jour même, après l’heure de tombée dont on avait convenu lors de la réunion, certes, mais plus tard ce jour-là, tout de même.

[58]         Pour un motif qui ne fut pas précisé, le plaignant s’absenta du travail les 3, 4 et 5 novembre. À son retour au travail, le lundi 8 novembre, madame Grenier le convoqua à une autre rencontre avec monsieur Roy, en après-midi. Le plaignant déclare que monsieur Roy et madame Grenier lui ont dit que le nouveau document qu’il leur avait transmis n’était pas plus conforme à leurs attentes. « Ils ne m’ont pas dit ce qu’ils voulaient vraiment », ajoute-t-il.

[59]         Même si tout porte à croire qu’elle ne l’avait pas exprimé clairement au plaignant lors de leur rencontre du 29 octobre, madame Grenier précise qu’elle s’attendait à recevoir de sa part une liste des travaux à effectuer, selon les priorités, pour chacun des groupes énumérés par le plaignant dans son document, « ce qui nous aurait aidé à adopter des méthodes et trouver des outils ». Elle déclare que l’on mentionna au plaignant que « ce n’était pas ça qu’on voulait » et « qu’il ne semblait pas capable de mener à bien ce projet, d’analyser les besoins de ce projet ». « Monsieur Roy lui a proposé un poste technique d’exécutant, de le descendre à un poste de technicien. Il nous a dit qu’il était capable de faire le boulot », ajoute-t-elle.

[60]         Monsieur Roy confirme avoir offert un poste de technicien au plaignant lors de cette rencontre, après lui avoir demandé « s’il se sentait à l’aise dans son poste, capable de rencontrer les exigences », offre que le plaignant déclina, invitant ses interlocuteurs à lui faire la démonstration de son inaptitude. « On a mis fin à la rencontre. On avait besoin d’un temps de réflexion, lui aussi, sur ce qu’il aurait pu faire pour nous démontrer sa capacité à réaliser le projet », de déclarer monsieur Roy.

[61]         Tel que déjà mentionné, c’est le 8 novembre que le plaignant répondit par écrit à la lettre du 29 octobre de madame Grenier. Plusieurs éléments de sa réponse ont été abordés précédemment. Ajoutons seulement que le plaignant « réfute toutes les allégations » de madame Grenier, lui reproche de ne jamais l’avoir informé d’un «  mécontentement de la clientèle », affirmant au contraire que « personne n’a soulevé de problèmes majeurs de fonctionnement ou de comportement de notre part », et d’avoir fait tout une histoire de cette affaire de code d’administrateur, dans le but de le « discréditer auprès de [son] équipe et d’autres personnes au département ».

[62]         En outre, le plaignant souligne au passage que jamais il n’a été invité par madame Grenier à une rencontre de la section qu’elle dirige, et ce, depuis son intégration au Service informatique, en 2002. Enfin, en ce qui concerne l’inventaire demandé, le plaignant revient sur la volte-face opérée par monsieur Robidoux le 14 octobre pour expliquer le délai et précise avoir livré la marchandise le 25 octobre et non pas le 27.

[63]         Si l’on en croit le témoignage de madame Grenier, bien que monsieur Robidoux ne le consigna pas à son compte rendu de la rencontre de travail du 20 octobre, il avait été précisé lors de celle-ci que l’inventaire devait être complété au plus tard le 22 octobre. Madame Grenier reproche également au plaignant de n’avoir transmis qu’un inventaire partiel. « Il y a plus de machines et de groupes de recherche. Je voulais savoir où les logiciels étaient installés, les dates d’échéances des licences, etc. », déclare-t-elle, ajoutant qu’en règle générale, on n’a pas à préciser ce genre de détails à un analyste.

[64]         Pour les fins du débat, ce témoignage de madame Grenier sur le volet qualitatif de l’inventaire transmis par le plaignant sera tenu pour avéré, puisque, comme nous le verrons, il ne change rien à l’issue du litige.

[65]         À la fin de sa lettre du 8 novembre à madame Grenier, le plaignant exprime le souhait que « tous ces éclaircissements et mises au point » permettent un redémarrage du projet « sur des bases saines ». De fait, par un courriel qu’elle lui adresse le 10 novembre, madame Grenier autorise le plaignant à « continuer le projet », mais exige qu’il lui fournisse certaines informations au préalable, dont les inventaires, au plus tard le 12 novembre. Le même jour, le plaignant convoque les membres de l’équipe à une réunion de travail le lundi 15 octobre. Environ une heure plus tard, madame Grenier leur écrit à son tour que « la réunion de lundi est trop tôt dans le processus » et que le plaignant devra d’abord lui remettre « un certain nombre de travaux requis pour le démarrage du projet, stipulé dans un courriel personnel qui lui a été transmis ce matin ».

[66]         Il faut présumer que le plaignant a répondu aux attentes de madame Grenier, puisqu’elle l’autorisa à convoquer une rencontre d’équipe le 17 novembre. À cet égard, madame Grenier déclare ce qui suit : « C’était ce qu’on demandait depuis le début. Ce n’était pas encore tout à fait complet. Il n’y avait pas encore de liste des tâches, des priorités ». Quoi qu’il en soit, elle donna son aval à la décision du plaignant de convoquer une autre rencontre de travail.

[67]         La veille de cette réunion, à sa demande, le plaignant est invité à y aller de ses explications lors d’une réunion de l’exécutif du département. Le plaignant déclare qu’il y eut à cette occasion un débat entre lui et monsieur Baron. Il précise avoir exprimé que «  les rôles n’étaient pas clairs », qu’il y avait « absence de livrables », et avoir exposé la volte-face de monsieur Robidoux sur la question de l’inventaire. Le plaignant ajoute que monsieur Biron a pour sa part insisté sur le fait qu’il était le responsable du projet et que « ça n’avait rien donné, à date ».

[68]         Monsieur Baron, lui, déclare avoir souligné au plaignant « qu’il était nécessaire pour lui d’accepter de travailler avec n’importe quel employé », lui avoir répondu « qu’il créait lui-même la confusion des rôles ». « Je lui ai parlé des codes, du non avancement du projet. Il a dit qu’il avait l’impression que les rôles n’étaient pas clairs. Il a parlé de sa difficulté à travailler avec monsieur Robidoux », ajoute-t-il. Monsieur Luc Marchand, un professeur qui a assisté à cette rencontre, affirme que le plaignant a répété à plusieurs reprises que monsieur Robidoux l’avait insulté. « Aucun mea culpa, sauf qu’on l’a insulté et qu’il se sent frustré », a-t-il noté à son compte rendu de la rencontre.

[69]         Monsieur Baron et madame Grenier assistent à cette première rencontre d’équipe dirigée par le plaignant, le 17 novembre. Monsieur Baron déclare que, bien que le plaignant se soit montré « enclin à participer », « l’ambiance était à couper au couteau » lors de cette rencontre. Madame Grenier déclare que monsieur Doyon a alors exprimé qu’il ne voulait plus participer au projet, et monsieur Robidoux, qu’il « pourrait rester », si on l’y autorisait, ce qu’elle était disposée à faire. Mais elle ajoute que monsieur Baron, vu l’atmosphère qui régnait lors de la rencontre, a décidé de mettre fin au projet, décision qu’il a officialisée par lettre datée du 19 novembre.

[70]         Le plaignant précise avoir fait une présentation d’une vingtaine de minutes, au cours de laquelle il a abordé, entre autres sujets, le rôle de monsieur Robidoux et son expertise. Il ajoute que sa présentation fut suivie d’un débat entre les participants sur les tâches à prioriser et la contribution attendue de chacun. De façon inopinée, monsieur Doyon est intervenu pour annoncer son retrait de l’équipe, poursuit-il. « C’est fini, je ne travaille plus dans ce projet », aurait-il lancé. Le plaignant s’étonne que madame Grenier ne soit pas intervenue à la suite de cette sortie de monsieur Doyon, ne serait-ce que pour l’interroger sur les motifs de sa décision ou lui rappeler que personne n’avait le loisir de choisir son affectation. Il ajoute que, le soir même, par courriel, monsieur Robidoux a annoncé à tous que lui non plus ne faisait plus partie de l’équipe.

[71]         Le plaignant déclare que, dès le lendemain, madame Grenier est venue à sa rencontre pour lui annoncer que le projet, dans sa forme actuelle, était terminé, et les inviter, lui et madame Alleyne, à le redémarrer à eux seuls. Il ajoute que madame Grenier lui a demandé de lui envoyer un « plan détaillé, avec des livrables ».

[72]         Madame Grenier confirme s’être entendue avec le plaignant et madame Alleyne « pour qu’ils préparent un plan d’action technique, en vue de continuer le projet sous une autre forme », plan que le plaignant lui transmit le 22 novembre et qu’elle examina « avec lui et madame Alleyne » le lendemain. En contre-interrogatoire, lorsqu’on lui demande si le plan en question lui est apparu satisfaisant, madame Grenier répond que « c’était un départ ». Elle précise n’avoir rencontré ni monsieur Baron ni le directeur du département « pour leur présenter ce nouveau projet ».

[73]         Le 19 novembre, monsieur Baron adresse au plaignant une lettre intitulée « Mort du projet de restructuration du service informatique du département », où monsieur Baron explique sa décision par le bris du lien de confiance entre le plaignant et « la majorité des membres de l’équipe » et par les coûts supplémentaires associés à sa prolongation. Il souligne que, « sans l’assistance technique d’un analyste spécialisé et la contribution supplémentaire d’un technicien », le projet lui apparaît voué à l’échec, « le noyau résiduel de l’équipe », à savoir le plaignant et madame Alleyne, ne possédant pas «  l’expertise technique nécessaire ».

[74]         S’il affirme ne pas avoir reçu cette lettre de monsieur Baron qui lui était destinée, le plaignant reconnaît avoir été informé de sa teneur par madame Grenier. Dans la lettre en question, monsieur Baron n’impute pas explicitement l’échec du projet au plaignant, ce qu’il n’hésitera cependant pas à faire le 9 décembre suivant, dans une autre lettre adressée au directeur du département, avec copie à madame Grenier, messieurs Labrie et Roy, par laquelle il demande « la réaffectation » du plaignant «  à d’autres fonctions à l’extérieur du département et toute autre sanction jugée appropriée ».

[75]         Le plaignant déclare que, lors de leur rencontre du 23 novembre, après avoir examiné le plan d’action technique qu’il lui avait transmis la veille, madame Grenier leur a dit, à lui et à madame Alleyne : « Tout est parfait. On va faire le suivi . » Il ajoute qu’une première rencontre de suivi fut tenue le 9 décembre, au cours de laquelle madame Grenier leur demanda de lui transmettre un rapport hebdomadaire d’activités, « dans le but de justifier auprès du département la nécessité d’un autre technicien ». Par courriel daté du lendemain, madame Grenier rappelle au plaignant et à madame Alleyne de ne pas oublier, « comme discuté hier », de lui faire parvenir chaque semaine la liste des travaux effectués. « Comme cela nous pourrons faire des statistiques et démontrer sur quoi et surtout où, vous consacrez votre temps », ajoute-t-elle pour conclure.

[76]         Le jour même de cette rencontre de suivi, la secrétaire du département remet au plaignant une lettre de madame Grenier datée du 9 décembre 2010, intitulée : «  Constat du projet », qui se lit comme suit :

Le 2 septembre 2010 démarrait le projet de restructuration du support informatique au département de génie mécanique, tel que planifié avec les représentants du département au printemps dernier.

Le 5 octobre dernier, nous vous avons donné un ultimatum pour que vous vous intégriez physiquement l’équipe qui a été mobilisée. Les autres membres, eux, étaient déjà ensemble depuis le 13 septembre.

Le 12 octobre 2010, vous avez reçu un avis écrit vous commandant de remettre les codes et mots de passe administrateurs à tous les membres de l’équipe. Cette demande a été faite au début du projet soit vers le 2 septembre. Vous n’avez remis qu’un seul code et mot de passe suite à cette demande. Le 12 novembre, vous m’avez remis les autres codes et mots de passe, dès que nous avons mis fin au projet, vous avez changé les mots de passe sans m’avertir. Ce comportement nous démontre votre constance à faire fi des directives et de ne pas vouloir améliorer la situation.

 

Le 15 octobre 2010, vous avez reçu un avis. Cet avis exigeait que vous apportiez des correctifs aux demandes qui vous sont faites, à la communication avec vos pairs, au travail d’équipe et au service à la clientèle. De plus, il imposait une amélioration de votre organisation et de votre planification.

Le 22 octobre, vous deviez transmettre le résultat des inventaires. Sans aucune justification, vous avez envoyé par courriel le document que le 27 octobre 2010. De plus, ce document ne contenait qu’une partie des informations demandées. Nous sommes insatisfaits du délai et de la qualité de ce travail.

Le 27 octobre 2010, nous avons échangé ensemble sur l’évolution du projet. Le constat fait, sur lequel nous sommes d’accord est :

• Le lien de confiance est absent au sein de l’équipe

• Votre crédibilité est mise en doute autant auprès des membres de l’équipe que de plusieurs clients au sein du département

• Vous ne respectez pas les échéanciers ou les délais

• Vous n’encouragez pas le travail d’équipe. Vous entretenez la confusion sur les rôles de chacun

• Vous ne démontrez aucune imputabilité des actions faites dans le cadre du projet.

• Vous n’avez posé aucune action visant à organiser les modes de fonctionnement.

Vous nous avez aussi divulgué que vous n’aviez plus confiance en personne autant votre équipe, supérieurs et l’École Polytechnique. Nous vous avons demandé, considérant les impacts, de nous présenter un réel plan d’action concret y incluant des actions portant fruit dès la semaine suivante. Nous avons précisé l’importance autant pour l’équipe que pour vous de présenter ce plan, au plus tard le 1 er novembre à 10 h.

Le 1 er novembre, vous avez transmis un document intitulé « Plan d’action ». Nous l’avons examiné et nous en avons discuté avec vous le 2 novembre 2010: À cette rencontre, nous avons questionné votre plan afin de nous assurer de la compréhension et que toutes les actions à court terme soient énoncées. Devant une certaine confusion, nous vous avons demandé de nous énumérer les priorités des différents départements pour midi. Notre rencontre s’est terminée à 10 h, vous disposiez de 2 h pour les transmettre et vous étiez en accord autant avec votre capacité à nous lister les projets que l’échéance.

Nous avons reçu votre document « Priorités départementales » en matière de support informatique le 2 novembre à 18 h 34. Nous l’avons examiné le 3 novembre 2010. Nous retrouvons plutôt dans ce document une description des niveaux de priorité qui oriente le traitement plutôt qu’une liste des dossiers prioritaires. Il ne correspond pas à notre demande et ne nous aide pas à concrétiser en réelles actions votre plan ni à nous indiquer la justesse de votre lecture des enjeux ou des priorités.

Autant le plan d’action que la liste des dossiers prioritaires ne correspondent pas à nos attentes et aux besoins de savoir que le projet va évoluer convenablement. Il ne nous démontre pas votre capacité d’analyse et de synthèse nécessaire à l’élaboration de projet. Nous sommes inquiets.

Nous vous avons fourni de multiples conseils pour assurer l’évolution, vous avez poursuivi l’application de votre plan d’action, dont une rencontre d’équipe. À cette rencontre, vous avez demandé à vos partenaires s’il voulait continuer. Un des deux techniciens a refusé, l’analyste qui avait le mandat de vous supporter a atteint son délai de disponibilité pour être à votre disposition.

Le 19 novembre 2010, le professeur titulaire chargé d’implanter le projet nous écrit pour nous signifier que l’état du projet est tellement peu avancé et compte tenu des disponibilités de temps qu’il avait, il était libéré jusqu’en décembre pour exécuter de projet, il doit abandonner le projet, car il ne pourra se terminer.

Nous avons tenté par divers moyens de vous développer et supporter pour assurer la réalisation du projet, mais force est de constater que vous n’avez pas réussi à le réaliser. Ceci nous amène à nous questionner sérieusement sur vos capacités et vos habiletés à réaliser des mandats associés aux fonctions d’analyste à l’École Polytechnique. Vous devez nous démontrer vos capacités.

(Reproduite telle quelle)

[77]         Monsieur Roy déclare avoir été impliqué dans la rédaction de cette lettre signée par madame Grenier. Il précise avoir pris connaissance de la demande de réaffectation « et toute autre sanction » formulée par monsieur Baron avant de mettre la touche finale à cette lettre. « On voulait informer Omar Toukal [le plaignant] de la fin du projet et lui faire comprendre dans quelle situation il se trouvait  », explique-t-il. À l’occasion de son contre-interrogatoire, monsieur Roy confirme « qu’il n’y a pas eu de suivi [de cette lettre], à cause de la décision de mettre fin au projet ».

[78]         Le plaignant verse au dossier tous les rapports d’activités qui, tel que demandé, furent transmis à madame Grenier à compter du 13 décembre 2010. Il affirme qu’une deuxième rencontre de suivi avec madame Grenier fut tenue le 19 décembre. Il ajoute que, pour les tâches qui devaient être effectuées avant le 21 décembre, « on était en avance sur notre échéancier ». « On n’a eu aucun commentaire de madame Grenier », sinon : « Vous continuez comme ça », et « On a continué comme ça » , déclare-t-il, précisant que madame Grenier était en mesure de vérifier par elle-même l’état d’avancement des travaux.

[79]         Si l’on en croit le témoignage du plaignant, il y eut une troisième rencontre de suivi avec madame Grenier au cours de la deuxième semaine du mois de janvier 2011 et, encore une fois, celle-ci ne fit aucune remarque sur l’évolution du projet. « On a continué sur la même lancée », de déclarer le plaignant. Une semaine plus tard, une autre rencontre fut tenue, mais pour parler de la réorganisation du Service informatique. Enfin, selon le plaignant toujours, une dernière rencontre fut tenue vers le début du mois de février, d’une quinzaine de minutes, au cours de laquelle « on a fait le survol du projet ». « Tout était correct de la part de madame Grenier, jusqu’à cette rencontre », d’affirmer le plaignant.

[80]         Le plaignant reconnaît qu’à compter du mois de janvier 2011, il fut « un peu difficile d’organiser des rencontres », à cause de l’augmentation du nombre de demandes de service. Il précise que, parfois, c’est lui qui n’était pas disponible, d’autres fois, madame Alleyne ou madame Grenier, et qu’une rencontre a dû être annulée en raison d’un malentendu. « Mais elle [madame Grenier] était en mesure de tout vérifier quand même  », s’empresse-t-il d’ajouter, précisant que lui et madame Grenier « se parlaient beaucoup au téléphone » et que les rapports d’activités continuaient de lui être soumis.

[81]         Il est en preuve que, pour se documenter sur l’outil SCCM, devant servir au déploiement des logiciels et applications, le plaignant préféra s’adresser à des collègues du Collège Bois-de-Boulogne qu’à monsieur Robidoux, l’expert de l’École en la matière.

[82]         Madame Grenier ne remet pas en question le témoignage du plaignant voulant qu’elle ne lui ait pas exprimé son insatisfaction relativement à l’évolution du projet, dans sa dernière mouture. Elle affirme cependant qu’il n’y eut que deux rencontres entre elle, le plaignant et madame Alleyne, soit celle du 9 décembre et une autre au début du mois de janvier 2011. « Les autres fois, soit il y avait urgence, soit il n’était pas disponible », ajoute-t-elle. « J’ai essayé, vers le 15 ou le 16 février. Il l’a repoussée, invoquant une urgence  », poursuit-elle.

[83]         Selon l’évaluation de madame Grenier, de novembre 2010 à février 2011, le plaignant et madame Alleyne ont fait beaucoup de travail technique, mais pas ou peu de « travail d’analyse ou de développement des outils ». « Ils disaient qu’ils avaient trop de travail », déclare-t-elle. « On était de retour, comme avant, avec les mêmes méthodes qui n’étaient pas satisfaisantes, alors que le département voulait des changements, que ça paraisse, l’amélioration du service », affirme-t-elle.

[84]         En contre-interrogatoire, madame Grenier concède que « le day-to-day » et le projet, c’est sûr que ce n’était pas évident à faire ». En outre, elle reconnaît qu’elle n’avait demandé aucun échéancier relatif à l’implantation de nouveaux outils ou à l’adoption de nouvelles méthodes. À cet égard, il ressort du plan d’action technique du plaignant, approuvé par madame Grenier, que la configuration de l’outil SCCM devait être terminée le 30 avril 2011, et sa « généralisation sur l’ensemble des postes », le 30 juin suivant.

[85]         Monsieur Roy précise avoir rencontré madame Grenier « quelque part entre le 9 et le 23 décembre », pour savoir si tout se déroulait à sa satisfaction. « Elle me répond que c’est relativement satisfaisant, qu’il n’y a rien de majeur, pas d’intervention requise de ma part  », déclare-t-il.

[86]         Sans faire référence à quelque élément qui expliquerait qu’on en soit venu à cette conclusion ce jour-là précisément, madame Grenier affirme que, le 17 février, on a fait le constat que le plaignant n’était « pas capable de faire ce travail-là, d’analyste, dans le département de génie ». Ce jour-là, elle convoque le plaignant à une rencontre avec monsieur Roy, à 11 h 30, dans le bureau de monsieur Labrie.

[87]         Madame Grenier précise que monsieur Labrie a présenté « trois options » au plaignant lors de cette rencontre, à savoir « changer de poste, un départ à l’amiable ou un bris d’emploi ». Elle ajoute qu’on a offert au plaignant de prendre une semaine pour y réfléchir avant de répondre, offre qu’il déclina.

[88]         Si l’on en croit le témoignage de monsieur Labrie, c’est plutôt monsieur Roy qui se serait adressé au plaignant pour lui offrir, entre autres issues possibles, un autre poste d’analyste au Service informatique. Monsieur Labrie confirme le témoignage de madame Grenier sur l’offre faite au plaignant de prendre une semaine pour y réfléchir. «  Il a dit qu’il n’avait pas besoin d’une semaine de réflexion, que ce n’était pas nécessaire », déclare-t-il.

[89]         Monsieur Roy, lui, mentionne qu’au début de la rencontre en question, madame Grenier a pris la parole pour expliquer au plaignant que le projet n’avançait plus, que ça piétinait, qu’elle estimait ne pas avoir beaucoup de collaboration de sa part et ne voyait pas comment le projet allait avancer. Il confirme qu’une offre de mutation dans un autre poste d’analyste fut présentée au plaignant. « On s’est dit que, peut-être, dans un autre secteur, il pourrait atteindre les objectifs du poste d’analyste », explique-t-il. L’autre branche de l’alternative consistait à négocier des modalités de départ ou, à défaut, de s’exposer à un congédiement, confirme-t-il. Monsieur Roy affirme lui aussi que le plaignant déclina l’offre qu’on lui avait faite de prendre une semaine de réflexion avant de répondre à cette proposition.

[90]         Pour sa part, le plaignant affirme que c’est monsieur Roy qui a pris la parole lors de cette rencontre. « On a parlé de l’avancement du projet et de l’insatisfaction de la clientèle, selon monsieur Roy », déclare-t-il. Le plaignant confirme que monsieur Roy lui a parlé d’un poste d’analyste au Service informatique, vacant à la suite d’un départ à la retraite, mais il ajoute qu’il a enchaîné en exprimant qu’on le voyait mal dans ce poste. Le témoignage du plaignant à cet égard ne sera pas contredit par le principal intéressé, qui a eu l’occasion de l’entendre. « Il ne me l’a pas offert. Je n’ai pas compris ça comme ça. J’ai compris que je ne ferais pas l’affaire, même dans ce poste. J’ai quitté. Je ne me souviens pas autre chose », de déclarer le plaignant qui, comme on sait, porta une première plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante en date du 17 février.

[91]         À l’occasion de son premier témoignage, lorsque interrogé par le représentant de l’École, le plaignant souligne qu’en raison des doutes exprimés par monsieur Roy sur son aptitude à occuper le poste vacant auquel il venait de faire allusion, « c’était difficile de voir ça comme une proposition ». « Sinon, j’aurais sauté sur l’occasion », ajoute-t-il. Par ailleurs, le plaignant nie qu’on lui ait donné une semaine pour réfléchir à cette proposition.

[92]         Le 24 février 2011, se tient une assemblée des professeurs du département de génie mécanique, au cours de laquelle il est résolu de rapatrier du Service informatique les postes du plaignant et de madame Alleyne, et de « former un comité de sélection » pour le nouveau poste d’analyste, simple formalité, puisque, tel qu’il ressort du compte rendu de cette rencontre, le choix des professeurs était déjà arrêté. « Il y aurait un poste pour Omar [le plaignant] au SI. Nous souhaiterions avoir Alain Robidoux », peut-on en effet y lire.

[93]         Le plaignant est informé par un professeur de la teneur de la résolution adoptée ce jour-là. Il s’absentera du travail pour cause de maladie du 28 février au 13 mars inclusivement. À son retour au travail, le 14 mars, madame Grenier le convoquera à une rencontre avec monsieur Roy, au bureau de monsieur Labrie, le lendemain matin, à 9 h.

[94]         En ce qui a trait au déroulement de cette dernière rencontre, les témoignages de madame Grenier et de messieurs Labrie et Roy concordent parfaitement. En bref, avant de lui remettre la lettre de congédiement, monsieur Roy demanda au plaignant quel était le fruit de sa réflexion, ce à quoi il répondit : « Ce n’est pas de vos affaires », après quoi on lui remit la lettre et il sortit du bureau. Le plaignant, lui, affirme que monsieur Roy lui a annoncé son congédiement d’entrée de jeu. « Il m’a remis la lettre. Je ne l’ai pas ouverte. Je suis parti », déclare-t-il.

[95]         Malgré le témoignage du plaignant à l’effet contraire, l’École est parvenue à établir, par le témoignage de monsieur Robidoux, que le plaignant avait toujours accès au réseau du département de génie mécanique ce jour-là et qu’il y avait de fait accédé pour effacer certaines données relatives à l’inventaire qu’il y avait versées pendant le premier projet de restructuration.

[96]         La lettre de congédiement, datée du 15 mars 2011, se lit comme suit :

Le 2 septembre 2010 démarrait le projet de restructuration du support informatique au département de génie mécanique, tel que planifié avec les représentants du département au printemps dernier.

Le 5 octobre dernier, nous vous avons donné un ultimatum pour que vous vous intégriez physiquement l’équipe qui a été mobilisée. Les autres membres, eux, étaient déjà ensemble depuis le 13 septembre.

Le 12 octobre 2010, vous avez reçu un avis écrit vous commandant de remettre les codes d’administrateurs à tous les membres de l’équipe. Cette demande a été faite au début du projet soit vers le 2 septembre. Vous n’avez remis qu’un seul code suite à cette demande. A la fin novembre vous avez remis les autres codes. Quelques jours plus tard nous avons essayé l’un des codes et nous constatons qu’il ne fonctionne pas. Ce comportement nous démontre votre constance à faire fi des directives et de ne pas vouloir améliorer la situation.

Le 15 octobre .2010, vous avez reçu un avis. Cet avis exigeait que vous apportiez des correctifs aux demandes qui vous sont faites, à la communication avec vos pairs, au travail d’équipe et au service à la clientèle. De plus, il imposait une amélioration de votre organisation et de votre planification.

Le 22 octobre, vous deviez transmettre le résultat des inventaires. Sans aucune justification, vous avez envoyé par courriel le document que le 27 octobre 2010. De plus, ce document ne contenait qu’une partie des informations demandées. Nous sommes insatisfaits du délai et de la qualité de ce travail.

Le 27 octobre 2010, nous avons échangé ensemble sur l’évolution du projet. Le constat fait, sur lequel nous sommes d’accord est:

• Le lien de confiance est absent au sein de l’équipe

• Votre crédibilité est mise en doute autant auprès des membres de l’équipe que de plusieurs clients au sein du département

• Vous ne respectez pas les échéanciers ou les délais

• Vous n’encouragez pas le travail d’équipe. Vous entretenez la confusion sur les rôles de chacun

• Vous ne démontrez aucune imputabilité des actions faites dans le cadre du projet.

• Vous n’avez posé aucune action visant à organiser les modes de fonctionnement.

Vous nous avez aussi divulgué que vous n’aviez plus confiance en personne autant votre équipe supérieurs et l’École Polytechnique. Nous vous avons demandé, considérant les impacts, de nous présenter un réel plan d’action concret y incluant des actions portant fruit dès la semaine suivante. Nous avons précisé l’importance autant pour l’équipe que pour vous de présenter ce plan, au plus tard le 1 er novembre à10 h.

Le 1 er novembre, vous avez transmis un document intitulé « Plan d’action ». Nous l’avons examiné et nous en avons discuté avec vous le 2 novembre 2010. A cette rencontre, nous avons questionné votre plan afin de nous assurer de la compréhension et que toutes les actions à court terme soient énoncées. Devant une certaine confusion, nous vous avons demandé de nous énumérer les priorités des différents départements pour midi. Notre rencontre s’est terminée à 10 h, vous disposiez de 2 h pour les transmettre et vous étiez en accord autant avec votre capacité à nous lister les projets que l’échéance.

Nous avons reçu votre document « Priorités départementales » en matière de support informatique le 2 novembre à 18 h 34. Nous l’avons examiné le 3 novembre 2010. Nous retrouvons plutôt dans ce document une description des niveaux de priorité qui oriente le traitement plutôt qu’une liste des dossiers prioritaires. Il ne correspond pas a notre demande et ne nous aide pas à concrétiser en réelles actions votre plan ni à nous indiquer la justesse de votre lecture des enjeux ou des priorités.

Autant le plan d’action que la liste des dossiers prioritaires ne correspond pas à nos attentes et aux besoins de savoir que le projet va évoluer convenablement. Il ne nous démontre pas votre capacité d’analyse et de synthèse nécessaire a l’élaboration de projet. Nous sommes inquiets.

Nous vous avons fourni de multiples conseils pour assurer l’évolution, vous avez poursuivi l’application de votre plan d’action, dont une rencontre d’équipe. A cette rencontre, vous avez demandé a vos partenaires s’il voulait continuer. Un des deux techniciens a refusé, L’analyste qui avait le mandat de vous supporter a atteint son délai de disponibilité pour être a votre disposition.

Le 19 novembre 2010 le professeur titulaire chargé d’implanter le projet nous écrit pour nous signifier que l’état du projet est tellement peu avancé et compte tenu des disponibilités de temps qu’il avait, il était libérer jusqu’en décembre pour exécuter de projet il doit abandonner le projet car il ne pourra se terminer.

Le 30 novembre 2010 nous vous avons transmis un autre avis exigeant une démonstration manifeste de vos habiletés d’analyste en informatique, de votre capacité à gérer des projets et de respecter les différentes directives ou règles. Malgré cette lettre claire vous n’avez pas donné suite à notre demande.

Notre satisfaction et celle de plusieurs de vos clients s’est plutôt détérioré, qu’amélioré. Nous avons tenté par divers moyens de vous développer et supporter pour assurer la réalisation des divers projets, mais force est de constater que vous n’avez pas la volonté de croire en la pertinence de nos demandes, ni de suivre les recommandations, directives ou enseignement. Ceci nous amène à revoir le lien d’emploi, et par conséquent a mettre fin a votre emploi en date d’aujourd’hui.

(Reproduite telle quelle)

[97]         Il est admis qu’une coquille s’est glissée à l’avant-dernier paragraphe de cette lettre où, plutôt que le 30 novembre 2010, on aurait dû lire le 9 décembre 2010.

[98]         Interrogée sur les motifs du congédiement, madame Grenier répond que le service ne s’était pas amélioré mais plutôt détérioré. Faisant manifestement référence au premier projet de restructuration, elle déclare que « rien ne se faisait », que les membres de l’équipe étaient « à couteaux tirés » et que le plaignant ne voulait pas y collaborer.

LES MOTIFS ET LE DISPOSITIF

[99]         Il est exact que le plaignant n’a pas collaboré au premier projet de restructuration comme l’École était en droit de s’y attendre. Plutôt que de se braquer, il eût été préférable qu’il insiste auprès de madame Grenier pour qu’elle clarifie les rôles et responsabilités de chacun et interpelle monsieur Robidoux sur la pertinence de sa remarque au sujet de ce vieux conflit entre lui et madame Alleyne, et sa motivation profonde.

[100]      Ce manque de collaboration s’est manifesté par le peu d’empressement du plaignant à rejoindre ses collègues et à consacrer son temps à faire l’inventaire du parc informatique, entre autres. Cela dit, il est injuste de lui reprocher son manque de leadership ou son refus d’assumer seul la responsabilité de l’échec du projet. Il est en effet on ne peut plus clair que c’est plutôt monsieur Robidoux qui s’était vu chargé de cette responsabilité, en tant que chef de projet.

[101]      Au départ, l’École a choisi d’emprunter la voie disciplinaire, en servant au plaignant un ultimatum pour qu’il rejoigne ses collègues dans le local commun, ou pour exiger qu’il leur remettre les fameux codes, par exemple. Mais, elle a eu tôt fait d’opérer un virage, pour emprunter plutôt la voie administrative, remettant en cause la capacité d’analyse et d’organisation du plaignant. À cet égard, force est de conclure que le premier constat de l’École n’était manifestement pas fondé. En effet, dès qu’on lui précisa qu’il devait prendre l’initiative, le plaignant s’exécuta, pour aussitôt voir madame Grenier lui couper les ailes, si l’on peut dire.

[102]      Quoi qu’il en soit, une fois ce projet mort et enterré, malgré la demande de réaffectation du plaignant et « autre sanction » provenant de monsieur Baron, persistant dans la voie administrative, l’École a simplement signalé au plaignant qu’elle s’interrogeait sur ses capacités, ajoutant que ce serait à lui d’en faire la démonstration. En principe, l’affaire devait donc être close, et les regards de tous, tournés résolument vers l’avenir. Ce ne fut toutefois clairement pas le cas.

[103]      Selon toute vraisemblance, cédant à la pression de monsieur Baron et d’un groupe majoritaire de professeurs du département, déçus de l’échec du projet et ignorant qu’il avait été relancé sous une autre forme, l’École décida finalement de sanctionner le plaignant à retardement pour l’échec du premier projet, ou à tout le moins de le menacer de la sanction ultime, advenant son refus d’accepter la réaffectation demandée par ce groupe de professeurs.

[104]      En effet, lorsque interrogée sur les motifs du congédiement, madame Grenier s’attarde sur les ratés du premier projet, pour ensuite passer rapidement sur son appréhension que le deuxième ne se réalise pas. La lettre de congédiement porte elle aussi presque exclusivement sur les comportements reprochés au plaignant à l’occasion du premier projet.

[105]      Soit dit avec égards pour l’opinion contraire, cette appréhension de madame Grenier ne reposait cependant pas sur une base factuelle solide, et il était prématuré d’en tirer la conclusion que le projet était voué à l’échec. Madame Grenier a en effet elle-même reconnu que « ce n’était pas évident » pour le plaignant et madame Alleyne de faire cheminer le projet tout en répondant aux demandes de service reçues au jour le jour. Et rien n’indique qu’ils accusaient un retard sérieux sur l’échéancier qu’ils s’étaient eux-mêmes fixés et que madame Grenier avait approuvé.

[106]      En somme, le congédiement eût-il été imposé pour la conduite du deuxième projet qu’il aurait été injustifié, ou à tout le moins prématuré. Mais, comme il l’a plutôt été comme conséquence des reproches adressés au plaignant relativement au premier projet, il faisait double emploi avec l’avis écrit du 9 décembre 2010, par lequel on avisait seulement le plaignant de sa mise à l’épreuve pour l’avenir, et constituait une double sanction pour les mêmes événements, disciplinaire celle-là, et imposée après qu’on eut passé l’éponge, si l’on peut dire, du moins en ce qui a trait à l’imposition d’une sanction, tel que suggéré par monsieur Baron.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE                      la plainte soumise le 17 février 2012 (cas : CM-2011-3451) parce que prématurée;

ACCUEILLE                  la plainte soumise le 16 mars 2011 (cas : CM-2011-3862);

ANNULE                        le congédiement;

ORDONNE                    à la Corporation de l’École Polytechnique de Montréal de réintégrer Omar Toukal dans son emploi, avec tous ses droits et privilèges, au plus tard dans les huit jours de la signification de la présente décision, et de lui verser, à titre d’indemnité et dans le même délai, l’équivalent du salaire et des autres avantages perdus du fait de son congédiement avec intérêts calculés de la façon prévue à l’article 100.12 c) du Code du travail , L.R.Q., c. C-27.

 

 

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André Bussière

 

 

 

M e Anne Des Roches

RIVEST, TELLIER, BRETON

Représentante du plaignant

 

M e Matthieu Désilets

MONETTE, BARAKETT AVOCATS S.E.N.C.

Représentant de l’intimée

 

Date de la dernière audience :

28 août 2012

 

 

/ga