Kouzmina c. Commission des relations du travail (CRT) |
2012 QCCS 6122 |
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JM2232
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-071579-125 |
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DATE : |
Le 4 décembre 2012 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE PAUL MAYER, J.C.S. |
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ELENA KOUZMINA |
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REQUÉRANTE |
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c. |
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COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL (CRT) |
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INTIMÉE |
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SYNDICAT NATIONAL DE L’AUTOMOBILE, DE L’AÉROSPATIALE, DU TRANSPORT ET DES AUTRES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DU CANADA (TCA-CANADA) |
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MIS EN CAUSE |
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BOMBARDIER INC. |
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PARTIE INTÉRESSÉE |
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TRANSCRIPTION DU JUGEMENT RENDU SÉANCE TENANTE LE 9 NOVEMBRE 2012 [1] |
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1. INTRODUCTION
[1] Mme Elena Kouzmina (« Mme Kouzmina ») demande au Tribunal la révision judiciaire d’une décision rendue le 19 mars 2012 (la « Décision ») par le commissaire Jacques Vignola (le « Juge Administratif ») de la Commission des relations du Travail (la « CRT »).
[2] La Décision rejette la plainte de Mme Kouzmina en vertu de l’article 47.3 du Code du travail [2] qui allègue que le Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada) (le « Syndicat ») a failli à son obligation de représentation.
[3] Elle conclut que le Syndicat n’a pas agi arbitrairement, de façon négligente ou de mauvaise foi.
[4] Le Syndicat et l’employeur de Mme Kouzmina, Bombardier Inc. (« Bombardier ») demandent au Tribunal de rejeter la requête de Mme Kouzmina.
2. LES FAITS
[5] Aux fins du présent dossier, le Tribunal retient les faits suivants.
[6] Mme Kouzmina occupe un poste de rembourreur chez Bombardier depuis l’année 2000.
[7] Dès 2004, elle éprouve des problèmes dermatologiques et d’allergie cutanée qui s’aggravent en 2007.
[8] Elle est convaincue que ses problèmes sont causés par les produits chimiques se retrouvant dans son milieu de travail, puisque ses symptômes disparaissent quand elle ne travaille pas.
[9] En juin 2008, un médecin spécialiste en allergies, Dr. Mélanie Pratt (« Dr. Pratt »), lui fait subir une série de tests. En fait, elle effectue plus de 120 patchs tests . Elle note des réactions fortes à deux produits utilisés dans des cosmétiques ou savons et pommades médicales. [3]
[10] Elle ne peut relier les symptômes de Mme Kouzmina à son milieu de travail. Elle recommande, toutefois, de l’éloigner des produits chimiques :
« I did give her a letter to take to her work, recommending that she be put in a section away from the chemicals, preferably the storage section and I think this would be the best site for her. Apparently, there seems to be a flare-up in the work environment and if indeed she does get any further flares at work, then I will have to re-investigate her in a more extensive fashion and have her bring in some of her chemicals from work to be appropriately diluted and test her to them. I tested her to the commercial series that I have to screen for her possible allergies, but not her own products. This would require some time to prepare.
[…] I think it would be best for the patient to return to work once her foot and depression has cleared and she could hopefully go to the storage section. » [4]
[11] Après un retour de congé de maladie en raison de dermatites, d’une fracture au pied et d’une dépression, elle adresse une lettre, datée du 8 octobre 2008, à son employeur dans laquelle elle demande d’être transférée à un autre lieu de travail pour des raisons de santé. [5]
[12] En octobre 2008, Bombardier affecte Mme Kouzmina à un poste de couturière. Ses problèmes de dermatite surviennent de nouveau à la fin du mois de novembre 2008, au point tel où elle se présente à l’urgence, le 28 novembre.
[13] Après son retour de vacances en décembre 2008, elle écrit une autre lettre à son employeur demandant d’être transférée dans un autre poste de travail respectant ses limitations. [6]
[14] Le 21 janvier 2009, Dr. Khang Nguyen (« Dr. Nguyen ») pose un diagnostic de dermatite de contact. [7] Il signe un formulaire d’assignation temporaire dans lequel il reconnaît que Mme Kouzmina est en mesure d’accomplir un travail de couture sans produits chimiques, dans l’attente de se soumettre à des tests dermatologiques. [8] Il la réfère à un médecin dermatologue, Dr. Denis Sasseville, chef du service de dermatologie du Centre universitaire de santé McGill.
[15] Le 28 janvier, Mme Kouzmina entreprend des démarches afin de faire reconnaître une lésion professionnelle auprès de la Commission de la santé et de la sécurité du Travail (la « CSST »).
[16] À compter du 2 février, elle s’absente de son travail pour maladie dépressive, soit un trouble d’adaptation. Elle est référée par son médecin au psychiatre, Dr. Diane Morissette (« Dr. Morissette »).
[17] Le 18 février, Dr. Nguyen signe un nouveau formulaire d’assignation temporaire dans lequel il atteste que Mme Kouzmina peut travailler comme couturière et qu’un tel travail, est sans danger pour elle, pourvu qu’elle n’utilise pas de produits chimiques. [9]
[18] Le 5 mars, Dr. Morissette signe un rapport qui conclut que Mme Kouzmina est apte au travail depuis le 26 février 2009 et qu’elle :
« […] avait refusé un retour progressif sous prétexte de tests dermatologiques à venir autour du 20 mars (voir avec omni si cela la rend inapte au travail). Elle accepterait retour au travail si tests étaient négatifs et qu’elle travaille sur le même shift que son mari. Sinon, elle aimerait avoir document lui permettant d’avoir du chômage […] » [10]
[texte intégral]
[19] Le 29 mars, Dr. Sasseville signe un rapport dans lequel il mentionne que Mme Kouzmina a été référée au Dr. Pratt et que, suite à l’application de 120 patchs tests , elle n’a montré aucune réaction à des produits susceptibles de se retrouver dans le milieu du travail. [11] Il note que le Dr. Pratt avait souligné qu’elle avait eu deux réactions fortes à deux produits utilisés dans les cosmétiques ou savons et pommades médicales.
[20] Dr. Sasseville n’a pas l’impression que la dermatite de Mme Kouzmina est d’origine professionnelle :
« Seules l’apparition des lésions lors du travail et leur disparition au retrait du travail militent en faveur d’un étiologie professionnelle. La distribution des lésions ne favorise pas le diagnostic de dermatite de contact d’origine professionnelle, étant donné l’absence d’atteinte des mains, avant-bras, visage et cou. Il en va de même de la négativité des patch tests, effectuées de manière tout à fait exhaustive. » [12]
[21] Il ne croit pas pertinent de poursuivre l’investigation :
« […] il m’est impossible de porter un diagnostic précis à ce stade, mais je n’ai pas l’impression que ces lésions, quelles qu’elles soient, sont d’origine professionnelle, et je n’ai pas l’intention de rédiger d’attestation en ce sens pour la CSST. Je ne crois pas pertinent, de mon côté, de reprendre ou de poursuivre l’investigation au moyen de patch tests. S’il y avait réapparition des lésions, Mme Kouzmina devrait être revue, par le Dr. Shaffer, Pratt ou moi-même, et elles devraient être re-biopsiées pour histopathologie conventionnelle et immunofluorescence. Il faut garder à l’esprit la possibilité d’une dermatite auto-induite. » [13]
[texte intégral]
[22] Suite à la réception de ce rapport, Bombardier somme Mme Kouzmina de se présenter au travail, par lettre datée du 31 mars :
« […]
Vous êtes donc absente de votre travail sans autorisation et sans motif raisonnable depuis le 6 mars 2009. Vous êtes donc requise de vous présenter au travail le jeudi 2 avril 2009 à 14h30. Lors de votre arrivée, veuillez demande M. Claude Trudel à la sécurité. À défaut de vous présenter, nous considérerons que vous avez démissionné. […] ». [14]
[23] Bombardier en informe le Syndicat. Monsieur Daniel Verdon (« M. Verdon »), président du comité syndicat, tente de contacter Mme Kouzmina par téléphone ainsi que son conjoint et son fils, sans succès.
[24] Mme Kouzmina prend connaissance de la lettre le 2 avril, vers 20h00.
[25] Le même jour, elle informe Bombardier par lettre (qui sera reçue le 7 avril), qu’elle se présentera au travail le 13 avril 2009 seulement. Sa lettre ne comporte aucune référence à la mise en demeure du 31 mars :
« Monsieur!
J’ai vous laissee quelqe messages a Votre boite vocal, mais sans réponse.
Je vous inform, que je planifie mon retour au travaill 13 avril 2009 et je Vous prie de organiser reunion avec tout les person qui et responsable pour discuter les resultats de test allergic reiteratif que ete organisee par Vous,
Je suis pas encore recu le compensation de mes depenses : frais de visit au Clinic CMI et mes depenses de transport pour trois visites.
Communiquez avec mois par la post SVP. […] » [15]
[texte intégral]
[26] Le 13 avril, Mme Kouzmina se présente au travail. On l’informe alors que son emploi a pris fin vu son défaut de se présenter au travail, tel que requis.
[27] Les représentants du Syndicat son incapables de la rejoindre. Malgré cela, le 16 avril, il soumet un grief contestant son congédiement afin d’éviter la prescription.
[28] Le 20 avril, Bombardier confirme la fin d’emploi de Mme Kouzmina conformément à l’article 9.09 c) de la convention collective puisqu’elle s’est absentée de son travail pendant cinq jours consécutifs sans motif raisonnable. [16] Cet article se lit comme suit :
« Un employé perd ses droits d’ancienneté :
[…]
c) Lorsqu’il est absent du travail pendant cinq (5) jours ouvrables consécutifs sans avis, sans autorisation ou sans motif raisonnable. Dans un tel cas, l’Employeur avisera un représentant du comité syndical d’usine et, le jour suivant, l’Employeur notifiera l’employé de sa cessation d’emploi par écrit, à la dernière adresse apparaissant dans les dossiers du Service des ressources humaines, à moins qu’il puisse démontrer de façon satisfaisante qu’il était dans l’impossibilité d’aviser son leader d’unité d’affaires. » [17]
[29] Le 4 mai, la CSST refuse la réclamation de Mme Kouzmina puisqu’il ne s’agit pas d’une maladie professionnelle. [18]
[30] Le 7 mai, avec l’assistance d’un représentant syndical, Mme Kouzmina entreprend une demande de révision auprès de la Commission des lésions professionnelles (la « CLP »). [19]
[31] Des rencontres ont lieu en juin et juillet 2009 entre Mme Kouzmina, son conjoint et Monsieur Verdon et Benoît Dubreuil (« M. Dubreuil ») du Syndicat, pour discuter de son grief et de sa réclamation auprès de la CSST (portée en appel devant la CLP). A la suite des rencontres, il est convenu que Mme Kouzmina se soumettra à de nouveaux tests d’allergies auprès du Dr. Pratt dans le but d’établir un lien entre ses allergies et son milieu de travail afin de justifier son absence du travail entre les 26 février et le 13 avril 2009.
[32] Durant l’été 2010, M. Dubreuil procède donc à répertorier toutes les fiches des produits chimiques utilisés dans le département où Mme Kouzmina travaille.
[33] En octobre 2010, Mme Kouzmina subit d’autres tests d’allergies. Cette fois, avec certains des produits chimiques utilisés au travail.
[34] Le 10 octobre, Dr. Pratt rapporte que les résultats des tests se sont révélés négatifs et conclut qu’il n’est pas possible de prouver que la dermatite dont souffre Mme Kouzmina est reliée à son travail.
[35] En novembre 2010, Mme Kouzmina se désiste de ses procédures devant la CLP. [20]
[36] Au début janvier 2011, le comité syndical analyse le dossier de Mme Kouzmina et détermine que cette affaire a très peu de chance de succès, vu le manque de justification médicale de l’absence de Mme Kouzmina à compter du 5 mars 2009.
[37] Le comité syndical conclut que le recours de Mme Kouzmina est voué à l’échec, car elle s’est absentée pendant plus de cinq jours consécutifs sans motif valable.
[38] Le 10 janvier, Mme Kouzmina communique avec M. Verdon. Elle conclut de sa conversation avec lui, que le Syndicat ne veut plus la défendre. Elle lui transmet une mise en demeure le jour même. [21]
[39] M. Verdon lui répond le 17 janvier pour l’aviser que le grief est retiré :
« […] soyez avisée qu’à cause de votre manque de collaboration et parce que vous ne nous avez pas fait parvenir tous les documents requis dans votre dossier de grief n o 2009-055 nous nous voyons dans l’obligation de retirer le présent grief. […] » [22]
[40] Le 24 janvier, Mme Kouzmina répond. [23] Elle demande qu’on lui explique en quoi elle n’a pas collaborée :
« […] Pendant cette rencontre je vous ai remis des 26 documents se rapportant au fait de mon licenciement.
[…]
Pendant la deuxième rencontre à mon initiative de juin 2010 les documents indiqués ci-dessus étaient étudiés par nous, en raison de quoi vous m’avez demandé de trouver les documents et l’information supplementaires, y compris.
1. 5-em page de rapport de dr.Morissette de 5 mars 2009.
2. Lettre des explications de secretaire de dr.Morissette.
3. Rapport médicale de dr.Morissette a dr.Dytlewski.
[…]
Maintenant je vous demande de m’informer dans les deux semaines :
1. Quels demarches étaient entrepris par vous pour la resolution de mon probleme.
2. Pourquoi on ne m’accordait pas la rencontre avec plaideur.
3. Que vous avez en vue quand on parle du manque de la collaboration.
4. Quels documents requis ne vous étaient pas accordés. […] » [24]
[texte intégral]
[41] Le Syndicat ne répond pas à cette lettre.
[42]
Le 24 janvier, Mme Kouzmina dépose une plainte en vertu de
l’article
3. LA DÉCISION
[43] Dans la Décision, le Juge Administratif rejette la plainte de Mme Kouzmina en concluant que le Syndicat n’avait pas agi arbitrairement, de façon négligente ou de mauvaise foi.
[44] Après avoir relaté les faits de cette affaire, le Juge dresse ses motifs de la façon succincte suivante :
« DÉCISION
[23] Le
recours s’appuie sur l’article
47.2. Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l'endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu'elle représente, peu importe qu'ils soient ses membres ou non.
[24] Dans le présent dossier, après analyse, le syndicat s’est désisté du grief contestant le congédiement de la plaignante. L’employeur invoque une disposition de la convention collective qui prévoit la perte d’ancienneté lors d’une absence de 5 jours sans avis, autorisation ou motif raisonnable.
[25] Il faut rappeler que le 31 mars 2009, l’employeur a mis en demeure la plaignante de se présenter au travail, le 2 avril. Elle a choisi de ne pas obtempérer sans même consulter ou aviser son syndicat d’aucune façon. Elle s’est plutôt présentée au travail le 13 avril suivant, après l’expiration du délai.
[26] Rien dans la preuve ne permet de conclure que le syndicat a agi arbitrairement, de façon négligente ou de mauvaise foi. Au contraire, c’est après une analyse sérieuse du dossier qu’il conclut, à bon droit, que le grief est voué à l’échec puisque la plaignante n’a pu fournir aucune justification, malgré qu’on lui ait souligné que le dossier n’en comportait aucune pour expliquer son absence.
[27] À cet égard, la plaignante plaide que son médecin traitant, dans son rapport du 6 mars 2009, fixe sa prochaine visite au 9 avril suivant. Or, le fait pour son médecin de lui fixer un rendez-vous le 9 avril ne constitue aucunement une prescription de cesser le travail, surtout quand le même médecin la déclare apte à reprendre le travail à cette même date, soit le 6 mars 2009.
[28] La plaignante dit avoir fourni tous les documents et toute l’information nécessaire à la défense de son grief, mais, c’est sur la foi de ce dossier, avec les lacunes qu’il comporte, que le syndicat a été amené à conclure qu’il était voué à l’échec.
[29] Enfin, la plaignante invoque une obligation d’accommodement en raison de sa condition médicale. Or, le grief et la plainte ne portent aucunement sur cette question, mais exclusivement sur le fait qu’elle s’est absentée sans motif pendant une période de 5 jours. »
[45]
Le 18 avril 2012, Mme Kouzmina demande la révision de cette
décision selon l’article
[46] Le 24 juillet, de façon unanime, les trois commissaires rejettent la demande de révision. [27]
[47]
Ils déterminent que le Juge Administratif n’a pas commis d’erreur dans
l’appréciation de l’ensemble de la preuve. Selon eux, il n’y a aucune preuve
démontrant que le Syndicat a mal évalué le dossier de Mme Kouzmina en
contravention de l’article
4. QUESTION EN LITIGE
[48] Après avoir défini la norme de contrôle applicable en l’espèce, le Tribunal devra faire l’analyse de la Décision en fonction de la norme.
4.1 La norme de contrôle
[49] Le Tribunal doit d’abord établir la norme de contrôle applicable à la Décision attaquée afin d’identifier le degré de retenue judiciaire ou de déférence dont il doit faire preuve à l’égard de la Décision.
[50] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable, en l’espèce, est la norme de la décision raisonnable, soit celle qui exige le plus de retenue de la part du juge de révision.
[51] Le Tribunal en arrive à la même conclusion.
[52] Le processus de contrôle judiciaire comporte potentiellement deux étapes. Premièrement, tel qu'il est souligné dans l'arrêt Dunsmuir [28] , « il n'est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle ». Il y a donc lieu d'examiner si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence : « l'analyse requise est réputée avoir déjà eu lieu ».
[53] Dans la Décision, le Syndicat de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada), sections locales 187, 728 et 1163 c. Brideau [29] , la Cour d’appel a déterminé que la norme de la décision raisonnable doit être privilégiée dans le cadre d’une révision judiciaire à l’égard d’une décision de la CRT.
[54] Le Tribunal est donc justifié d’analyser la Décision sous le spectre de la décision raisonnable.
[55] Comme l'indique la Cour suprême dans l'arrêt Dunsmuir , la déférence qu'impose la norme de décision raisonnable commande en somme le respect de la volonté du législateur de s'en remettre, pour certaines choses, au tribunal choisi par ce dernier dans un domaine en particulier. Elle définit cette norme de révision en indiquant qu'il :
« […] est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » [30]
[56] De plus, tel que souligné par monsieur le juge Gilles Blanchet de la Cour supérieure, dans l’affaire Syndicat des producteurs de bois de la Gaspésie c. Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec [31] , la barre à franchir est haute avant qu’une cour de révision puisse juger une décision déraisonnable :
« [44] En définitive, pour commander l’intervention exceptionnelle de la Cour supérieure en révision judiciaire, il aurait fallu se trouver ici en présence d’une décision « clairement abusive, manifestement injuste, absurde, contraire au sens commun, et sans aucun fondement dans l’ensemble de la preuve », ce qui n’est pas le cas en l’espèce. »
[nos soulignés]
4.2 Application à l’espèce - La Décision doit-elle être révisée?
[57] Essentiellement, Mme Kouzmina soulève une demi-douzaine de points pour démontrer que la Décision est déraisonnable. Notamment, elle reproche au Juge Administratif les erreurs suivantes :
i) avoir « occulté » le motif de non collaboration invoqué par le Syndicat dans sa lettre datée du 17 janvier 2011;
ii) avoir invoqué le fait que le Syndicat n’a pas répondu à la lettre de Mme Kouzmina daté du 24 janvier 2011 [32] à la suite de sa décision de se désister du grief [33] ;
iii) avoir omis de considérer l’impact de l’état de santé de Mme Kouzmina et l’obligation d’accommodement de Bombardier sur le devoir de représentation du Syndicat;
iv) avoir accordé de la crédibilité aux témoins du Syndicat au détriment de ceux de Mme Kouzmina;
v) avoir conclu que le Syndicat avait effectué une analyse sérieuse du dossier de Mme Kouzmina avant de se désister de son grief; et
vi) avoir décidé que la preuve présentée ne lui permettait pas de conclure que le Syndicat avait agi arbitrairement, de façon négligente ou de mauvaise foi.
[58] Examinons maintenant chacun de ses motifs de révision allégués par Mme Kouzmina.
4.2.1 Avoir « occulté » le motif de non collaboration invoqué par le Syndicat dans sa lettre datée du 17 janvier 2011
[59] Mme Kouzmina invoque comme erreurs graves et déterminantes que le Juge Administratif a erré en rejetant la plainte alors que selon elle, la preuve établit qu’elle a pleinement collaboré en fournissant quelques 33 documents et à avoir fait plus de 1 500 km pour aller et revenir dans le cadre du dossier.
[60] Le Tribunal estime que cet argument est mal fondé. Lors de son témoignage devant le Juge Administratif, M. Verdon a expliqué la signification des termes « manque de collaboration » dans la lettre du 17 janvier 2011.
[61] De plus, il a détaillé les raisons de retrait du grief, soit l’absence de justification à l’absence de Mme Kouzmina pendant plus de cinq jours consécutifs.
[62] Malgré les quelque 33 documents remis par Mme Kouzmina, aucun n’émane d’un médecin qui pourrait justifier son absence de son travail entre les 26 mars et 13 avril 2009.
[63] Aucun desdits documents n’explique sa désobéissance de se présenter au travail le 2 avril 2009.
[64] Il est vrai, comme l’a souligné la CRT dans sa décision du 24 juillet 2012, que la rédaction de la lettre de M. Verdon n’est sans doute pas heureuse, mais l’ensemble de la preuve devant le Juge Administratif montre que Mme Kouzmina était bien au fait de la nature du grief et des informations que le Syndicat avait besoin pour assurer sa défense.
4.2.2 Avoir invoqué le fait que le Syndicat n’a pas répondu à la lettre de Mme Kouzmina daté du 24 janvier 2011, ce qui selon cette dernière, prouve la négligence et la mauvaise foi du Syndicat
[65] Lors de l’audition devant le Juge Administratif, M. Verdon a témoigné voulant qu’il eût déjà avisé Mme Kouzmina des lacunes dans son dossier médical aux fins du grief.
[66] Il apparaît au Tribunal que l’importance à accorder au fait que le Syndicat n’ait pas répondu cette lettre, relève de l’appréciation de la preuve et de la crédibilité des témoins sur cette question.
[67] Lors de l’exercice du contrôle judiciaire, le tribunal de révision doit faire preuve d’une grande déférence sur les conclusions que le tribunal administratif a tirées de son évaluation de la preuve. Il est très bien reconnu que le tribunal ne doit pas se livrer à une réévaluation de la preuve soumise au tribunal administratif à moins d’une erreur manifeste.
4.2.3 Avoir omis de considérer l’impact de l’état de santé de Mme Kouzmina et l’obligation d’accommodement de Bombardier sur le devoir de représentation du Syndicat
[68]
Mme Kouzmina soumet que le Juge Administratif n’a pas tenu compte de sa
plaidoirie voulant que la présomption que l’article
[69] Selon elle, le Syndicat aurait donc dû être encore plus prudent et vigilant avant de retirer le grief.
[70] Le Tribunal estime que cet argument ne peut valoir puisque le congédiement de Mme Kouzmina a été administré en vertu de l’article 9.09 c) de la convention collective.
[71] De plus, Mme Kouzmina a tort de plaider que ses problèmes de santé étaient connus par Bombardier et le Syndicat au moment du congédiement puisque tous les rapports médicaux de cette dernière, faisaient état qu’elle était apte au travail plus d’un mois avant son congédiement et que ses tests d’allergies aux produits utilisés au travail étaient négatifs.
[72] Mme Kouzmina n’a jamais soumis quelconque preuve selon laquelle ses problèmes de santé n’étaient pas réglés.
[73] Par ailleurs, si Mme Kouzmina voulait discuter des résultats de ses tests d’allergies, tel qu’elle l’indique dans sa lettre du 2 avril à Bombardier, pourquoi pas le faire le lendemain? Pourquoi attendre le 13 avril? Aucune preuve n’a été présentée à ce sujet.
4.2.4 Avoir accordé de la crédibilité aux témoins du Syndicat au détriment de ceux de Mme Kouzmina
[74] Le Tribunal est d’avis que cet argument est mal fondé. La question de crédibilité des témoins est l’apanage du Juge Administratif.
[75] Le Tribunal ne peut intervenir que si les inférences qu’il a tirées de la preuve ne peuvent étayer des conclusions, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[76] Comme le souligne madame la juge Marie-France Bich dans l’affaire TCA Canada c. Brideau [35] , la Cour supérieure ne doit pas se livrer à une réévaluation de la preuve soumise au tribunal administratif, qui conserve le « privilège de se tromper ».
4.2.5 Avoir conclu que le Syndicat avait effectué une analyse sérieuse du dossier de Mme Kouzmina avant de se désister de son grief
[77] Le Tribunal estime que cet argument est mal fondé. La preuve démontre que quelque 26 documents, incluant plusieurs rapports médicaux, avaient été soumis au Syndicat avant qu’il prenne sa décision.
[78] Il s’agit, encore une fois, d’une question d’application de la preuve et de la crédibilité des témoins, qui sont le ressort du tribunal administratif, à moins d’une erreur clairement et manifestement contraire à l’ensemble de la preuve soumise devant lui.
4.2.6 Avoir décidé que la preuve présentée ne lui permettait pas de conclure que le Syndicat avait agi arbitrairement, de façon négligente ou de mauvaise foi
[79] Le Tribunal estime que les questions soulevées à cet égard relèvent de l’appréciation de la preuve du Juge Administratif.
4.2.7 Conclusion
[80] Le Tribunal en vient donc à la conclusion que la Décision est raisonnable en ce qu’elle expose une démarche et un processus décisionnel transparent et intelligible.
[81] La CRT a évalué la plainte de Mme Kouzmina en examinant la preuve et le cadre dans lequel le tout s’inscrit.
[82] Il appartient à la CRT d’apprécier cette preuve et c’est ce qu’elle a fait.
[83] Il était raisonnable pour le Juge Administratif de déterminer que le Syndicat n’a pas manqué a son devoir de représentation en considérant que le grief contestant le congédiement comportait des faiblesses importantes, soit le manque de justification pour l’absence de Mme Kouzmina au travail, en contravention de l’article 9.09 c) de la convention collective.
[84] Les propres médecins de Mme Kouzmina la déclaraient apte au travail depuis plusieurs mois.
[85] Les motifs du Juge Administratif sont intelligibles et sa conclusion fait partie des solutions possibles acceptables qui peuvent se justifier en regard des faits et du droit. Il a conclu justement que le Syndicat n’a pas agi de façon négligente ou de mauvaise foi.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[86] REJETTE la requête en révision judiciaire de la Requérante.
[87] LE TOUT AVEC DÉPENS.
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__________________________________ Paul Mayer, j.c.s. |
M e Hélène Bergeron |
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Droit du Travail Inc. |
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Procureurs de la requérante |
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M e Catherine Saint-Germain |
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TCA-Canada Services Juridiques |
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Procureurs du mis en cause |
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M e Marie-André Larouche |
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Norton Rose Canada, s.e.n.c.r.l., s.r.l. |
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Procureurs de la partie intéressée |
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Date d’audience : Le 9 novembre 2012 |
[1]
Le jugement a été rendu séance tenante. Comme le permet
Kellogg's
Company of Canada c. P.G. du Québec
,
[2]
«
47.3
Si un
salarié qui a subi un renvoi ou une mesure disciplinaire, ou qui croit avoir
été victime de harcèlement psychologique, selon les articles
[3] Pièce R-5.
[4] Id.
[5] Pièce MC-1.
[6] Pièce R-8.
[7] Pièce R-9.
[8] Ibid note 5.
[9] Pièce MC-3.
[10] Pièce MC-2
[11] Pièce R-9.
[12] Id.
[13] Id.
[14] Pièce R-13.
[15] Pièce R-15.
[16] Pièce R-16.
[17] Id .
[18] Pièce R-12.
[19] Pièce R-17.
[20] Pièce MC-4.
[21] Pièce R-18.
[22] Pièce R-2.
[23] Pièce R-3.
[24] Id.
[25] Pièce R-4.
[26] « 127. La Commission peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie intéressée n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, présenter ses observations ou se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à l'invalider.
Formation de trois commissaires.
Dans le cas visé au paragraphe 3° du premier alinéa, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu. Une telle décision, un tel ordre ou une telle ordonnance ne peut être révisé ou révoqué que par une formation de trois commissaires, dont au moins un est avocat ou notaire et la préside. »
[27] 2012 QCCRT 0365 .
[28]
Dunsmuir
c.
Nouveau-Brunswick
,
[29] 2008 QCCA 2204 .
[30] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick , préc., note 28, par. 47.
[31]
[32] Pièce R-3.
[33] Pièce R-17.
[34] L.R.Q., c. A-3.001.
[35] Ibid note 29.