TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

(Partie I du Code canadien du travail , L.R.C. (1985), ch. L-2)

 

 

CANADA

 

QUÉBEC

 

Dossier : YM 2718-3513

 

N o de dépôt :

 

 

 

 

Date : 14 novembre 2012

 

 

Audition tenue à Rimouski devant

Bruno Leclerc, avocat, agissant en qualité d’arbitre

 

 

 

Telus Communications Inc.

 

Employeur

 

-et-

 

Syndicat québécois des employés de Telus, section locale 5044 - SCFP

 

Syndicat

 

 

 

Grief collectif #11-03 portant sur la détermination du salaire utilisé pour fins de prestations d’invalidité payables aux salariés hors échelle.

 

_________________________________________________________________________

 

 

 

Décision arbitrale

 

_________________________________________________________________________

 

LE GRIEF

[1]            La convention collective S-3, intervenue entre Telus Communications Inc., l’Employeur, et le Syndicat québécois des employés de Telus, section locale 5044 - SCFP, le Syndicat, entrée en vigueur le 5 avril 2010 et expirant le 31 décembre 2014, prévoit à l’article 42 relatif aux Assurances que :

«  ARTICLE 21   ASSURANCES

42.1                  De la date de signature de la convention collective au 31 décembre 2010, les modalités applicables sont celles prévues à la lettre d’entente SQET C-2010-12.

42.2                  À compter du 1 er janvier 2011, les conditions d’assurance sont celles prévues au régime d’avantages sociaux flexibles de TELUS.

[…] »

[2]            Le lettre d’entente SQET C-2010-12, Résumé du régime d’assurance salaire, se retrouve à l’annexe F de la convention collective en vigueur du 10 septembre 2006 au 31 décembre 2009, pièce S-5. Cette lettre d’entente, incorporée à la convention collective, définit le salaire de base utilisé pour déterminer le montant des prestations d’assurance salaire payable au salarié au cours d’une période d’invalidité causée par une maladie ou un accident.

[3]            Le régime d’avantages sociaux flexible de Telus se retrouve dans un document daté du 1 er janvier 2011 intitulé «  Flex Équipe TELUS - Guide des avantages sociaux  » produit comme pièce S-4.

[4]            Ce guide des avantages sociaux vise à la fois les employés non régis par une convention collective, ceux qui sont régis par les annexes E, F, G et H de la convention collective du Syndicat des travailleurs en télécommunications et ceux régis par les conventions collectives du SAMT (Syndicat des agents de maîtrise de Telus) et du SQET (Syndicat québécois des employés de Telus).

[5]            L’information contenue dans ce guide S-4 est une description générale « des régimes d’avantages sociaux et de retraite payés par l’employeur » [1] . On y traite notamment d’assurance santé, des vacances et congés, d’assurance vie, d’assurance accidents et, bien sûr, de protection du revenu, c’est-à-dire d’assurances invalidité de courte et de longue durée.

[6]            Alors que l’annexe F de la convention collective S-5 définissait le salaire de base et déterminait le taux utilisé pour déterminer le montant des prestations d’invalidité, le guide S-4 détermine en termes plus généraux le montant des prestations de l’assurance invalidité de courte durée et la notion de salaire pour les fins de calcul de la prestation d’assurance invalidité de longue durée. De plus, le guide S-4 définit le « salaire de base annuel » applicable dans le cadre de l’assurance vie et des assurances invalidité en ces termes :

«  Salaire de base annuel

On entend par salaire de base annuel le salaire annuel régulier avant toute retenue ou déduction. Dans le cadre de l’assurance vie et des assurances invalidité, le salaire est le salaire annuel régulier avant les retenues et additionné des commissions de vente habituelles gagnées au cours des douze mois précédents. » [2]

[7]            Ces dispositions de S-4 sont, à première vue, suffisantes et suffisamment claires pour déterminer les prestations d’invalidité payables à un employé absent pour cause de maladie ou d’accident, à moins que la convention collective contienne des dispositions particulières pour déterminer la rémunération d’un groupe d’employés, comme c’est le cas dans le présent dossier pour les employés « hors échelle » assujettis à la convention collective S-3.

[8]            C’est ce qui a amené le Syndicat à présenter le grief qui suit :

«SYNDICAT QUÉBÉCOIS DES EMPLOYÉS DE TELUS

SECTION LOCALE 5044 - S.C.F.P.

NUMÉRO DU GRIEF :      11-03                                    CATÉGORIE :     TOUTES

SALARIÉ QUI SOUMET LE GRIEF :                             SYNDICAT                             

NOM DU SUPÉRIEUR IMMÉDIAT DU SALARIÉ :                                                       

PARAGRAPHE (S) VIOLÉ (S) :                                     Article 42 et autres pertinents

NATURE DU GRIEF :

Depuis le 1 er janvier 2011, l’employeur ne respecte pas les conditions d’assurance prévues au régime d’avantages sociaux flexibles de TELUS aux fins de prestations d’invalidité de courte durée et longue durée pour les salariés dont le taux de salaire normal se situe au-delà du maximum de leur nouvelle échelle salariale.

RÉCLAMATION DEMANDÉE :

Nous réclamons que l’employeur corrige le salaire utilisé pour fins de prestations d’invalidité de courte durée, et longue durée s’il y a lieu, et ce rétroactivement au 1 er janvier 2011.

DATE :  2 juin 2011

                                                                                             (S) Diane Gagné              

                             Salarié                                                     Délégué ou officier

                                                                                      ou responsable des griefs » [3]

[9]            En annexe au grief, le Syndicat ajoute la liste des salariés visés par ce dernier, pièce S-1.2. On en dénombre 92 dans la liste fournie par le Syndicat. Selon la preuve, à l’entrée en vigueur de la convention collective, ils étaient 113 et représentaient 10 % des employés visés par l’unité de négociation.

LES POSITIONS DES PARTIES

[10]         Les positions des parties reposent sur l’analyse qu’elles font de la lettre d’entente 4 de la convention collective S-3 qui établit le salaire des salariés qui y sont assujettis.

[11]         Cette lettre d’entente, qui fait partie intégrante de la convention collective comme le prévoit l’article 51.1 de S-3, établit ce qui suit :

«  TRAITEMENT SALARIAL

Le Syndicat québécois des employés de TELUS, section locale 5044 du S.C.F.P. et TELUS Communications Inc., parties signataires de la convention collective intervenue entre elles le 5 août 2010, conviennent de l’entente suivante.

1.      Généralités

         1.1    Salarié régi

                  Le salarié qui est régi par la présente convention collective reçoit le traitement salarial prévu ci-après.

         1.2    Établissement du salaire normal

                  L’établissement du salaire du salarié régi par la présente convention collective s’effectue selon les modalités décrites aux paragraphes 2 et suivants.

         1.3    Heure normale

                  Signifie chaque heure normale travaillée excluant toute heure supplémentaire.

         […]

2.      Traitement salarial du 1 er janvier 2010 au 31 décembre 2010

         […]

3.      Traitement salarial du 1 er janvier 2011 au 31 décembre 2011

         3.1    Augmentation d’échelles

                  Le 1 er janvier 2011, les échelles salariales prenant fin le 31 décembre 2010 sont majorées de 2 % tel qu’il appert à l’annexe A.

         3.2    Augmentation générale

                  Le 1 er janvier 2011, le salarié régi par la présente convention collective se voit accorder sur son taux de salaire normal et ce, jusqu’à concurrence du maximum de son échelle salariale, une augmentation correspondant à celle obtenue au paragraphe 3.1.

                  Toutefois, le salarié dont le taux de salaire normal de situe au-delà du maximum de sa nouvelle échelle salariale reçoit, en autant qu’il soit salarié actif au moment du versement, au cours du mois suivant la fin d’un trimestre, un montant forfaitaire représentant 2 % des gains pour les heures normales travaillées par le salarié au cours du trimestre précédent. Pour le dernier trimestre de l’année, le calcul s’effectue sur les gains pour les heures normales travaillées par le salarié entre le mois d’octobre et la mi-décembre, en considérant le calendrier de paie en vigueur, afin de verser le montant au salarié sur la dernière paie de l’année 2011.

                  Le montant forfaitaire est assujetti au régime de retraite ainsi qu’au prélèvement de la cotisation syndicale et aux retenues en vigueur, le tout conformément aux lois applicables dans la province de Québec au moment où il est versé.

         3.3    Avancement d’échelon du 1 er janvier 2011 au 31 décembre 2011

                  Le salarié régi par la présente convention collective dont la date de révision de salaire se situe entre le 1 er janvier 2011 et le 31 décembre 2011 inclusivement et dont le taux de salaire normal ne se situe pas au maximum de l’échelle salariale de son occupation en vigueur le 1 er janvier 2011 progresse à l’échelon immédiatement supérieur à sa date de révision de salaire et ce, selon les modalités prévues à l’article 35 « Avancement d’échelon » de la convention collective.

4.      Traitement salarial du 1 er janvier 2012 au 31 décembre 2012

          […] » [4]

[12]         Il ressort de la lecture du paragraphe 3 de la lettre d’entente sur le traitement salarial que le taux de salaire du salarié hors échelle n’est pas augmenté pour la période du 1 er janvier au 31 décembre 2011 puisque son taux de salaire normal se situe au-delà du maximum de sa nouvelle échelle salariale. Il reçoit cependant un montant forfaitaire représentant 2 % des gains pour les heures normales travaillées au cours du trimestre précédent.

[13]         Selon l’Employeur, le montant forfaitaire ne faisant pas partie de la rémunération de base de l’employé, il ne doit pas être inclus dans le calcul des prestations d’assurances invalidité. De son côté, le Syndicat soutient que le forfaitaire étant l’équivalent de l’augmentation générale appliquée aux échelles salariales, il doit être inclus dans le calcul des prestations d’invalidité. C’est ainsi que les parties décrivent l’objet du litige.

LA PREUVE

[14]         M me  Diane Gagné, présidente du Syndicat québécois des employés de Telus (SQET), et M. Gilles Lavoie, directeur principal des Relations de travail de Telus, témoignent à l’audition. Ils déclarent qu’ils ont participé aux négociations en vue du renouvellement de la convention collective S-3 entrée en vigueur le 5 août 2010 et à celles relatives au renouvellement de la convention collective antérieure, pièce S-5. Leur témoignage porte principalement sur le contenu des clauses de la convention collective S-3 applicables à l’espèce et sur les modifications que cette convention S-3 apportait à la convention antérieure S-5 en matière d’assurances invalidité.

[15]         En fait, suivant les témoignages, à la lecture de l’article 42 de la convention collective S-3, les clauses 42.1 et 42.2 précitées renvoient à deux régimes d’assurance salaire distincts. La clause 42.1 renvoie au régime prévu à la lettre d’entente SQET C-2010-12 apparaissant à l’annexe F de la pièce S-5, la convention antérieure. Ce régime prend fin au 31 décembre 2010. À compter du 1 er janvier 2011, c’est le régime de protection du revenu traitant d’assurances invalidité de courte et de longue durée, contenu au guide des avantages sociaux flexibles de Telus, pièce S-4, qui doit s’appliquer suivant 42.2 de S-3. Les témoins, dans leur témoignage, expliquent les éléments essentiels de S-4 qui s’appliquent à l’espèce.

[16]         Pour compléter la preuve du Syndicat, M me  Gagné présente les pièces S-6.1 à S-6.6 et S-7.1 à S-7.4 qui représentent les bulletins de paie de dix salariés hors échelle afin d’illustrer la méthode utilisée par l’Employeur pour établir la rémunération de base d’un salarié hors échelle.

[17]         L’Employeur s’objecte au dépôt des pièces S-7.1, S-7.2 et S-7.4 parce que les périodes de paie visées par ces bulletins sont postérieures à la date du dépôt du grief S-1. Le Syndicat répond que ces pièces sont déposées pour démontrer l’application de l’augmentation générale à un salarié hors échelle. J’accepte le dépôt de ces pièces sous réserve.

[18]         M me  Gagné, présidente du Syndicat, après cette objection, reprend son témoignage et présente les pièces S-6 et S-7 déposées en liasse pour démontrer la méthode d’établissement de la rémunération de base pour un salarié hors échelle. Ainsi, aux bulletins de paie S-6.1 à S-6.5, un employé régulier temps plein reçoit un montant de 37,73 $ à titre de « forfaitaire aug. gén. », ce qui correspond à 2 % du taux horaire hors échelle de 25,15 $ multiplié par 75 heures pour la période couverte par le bulletin de paie. Au bulletin de paie S-6.6, un employé régulier temps plein reçoit un montant de 37,10 $ à titre de forfaitaire et au poste « aug. gén. », pour augmentation générale, ce qui correspond à 2 % du taux horaire hors échelle de 25,15 $ multiplié par 73.75 heures. Les bulletins de paie S-7.1 à S-7.4 accordent un montant de 37,73 $ à titre de « forfaitaire aug. gén. », soit 2 % de 25,15 $ multiplié par 75 heures.

[19]         M me  Gagné termine son témoignage en revenant à la pièce S-4 pour souligner les éléments de l’assurance invalidité de courte durée et de longue durée applicables à l’espèce, notamment les définitions ou notions permettant de déterminer le montant des prestations d’invalidité.

[20]         M. Gilles Lavoie, porte-parole de l’Employeur à la table de négociation pour le renouvellement de la convention collective, aborde, au début de son témoignage, la lettre d’entente 4 - Traitement salarial de la convention collective S-3. Il explique que 10 % de la main-d’œuvre assujettie à la convention collective ne pouvait avoir d’augmentation de leur échelle de salaire parce qu’ils avaient déjà atteint le maximum de l’échelle. C’est pourquoi l’Employeur a accordé un montant forfaitaire qui leur permettait de bénéficier de l’augmentation générale. Selon l’opinion du témoin, il était clair entre les parties qu’on voulait accorder un dédommagement aux salariés hors échelle. On a alors convenu d’ajouter au 3 e alinéa de 2.2 et 3.2 de la lettre d’entente [5] que le montant forfaitaire était assujetti au régime de retraite, sans stipuler sur son assujettissement aux assurances.

[21]         Il présente ensuite la pièce E-1, une lettre d’entente intitulée S.Q.E.T. collective 2010-15 du 5 août 2010 prévoyant l’évaluation par l’Employeur de « la possibilité de procéder au paiement des montants forfaitaires aux salariés dont le taux de salaire dépasse le maximum de l’échelle salariale, à chaque période de paie plutôt que sur une base trimestrielle » comme le prévoit le 2 e alinéa de 2.2 ou 3.2 de la lettre d’entente 4. Cette fréquence de paiement est confirmée par le message du 5 novembre 2010, pièce E-2, transmis au Syndicat et indiquant que l’Employeur était en mesure de payer le forfaitaire à chaque période de paie, plutôt que trimestriellement. C’est cette méthode de paiement qu’on retrouve aux pièces S-6 et S-7 produites en liasse.

[22]         Le témoin poursuit son témoignage en donnant ses observations sur les dispositions de la convention collective S-3 du régime d’avantages sociaux S-4 applicables à l’espèce.

[23]         En contre-interrogatoire, il reconnaît que c’est l’Employeur qui détermine le salaire de base devant servir au calcul et au paiement des prestations d’assurances invalidité. Questionné sur le concept des heures normales travaillées que l’on retrouve à 3.2 de la lettre d’entente 4 de S-3, il répond que dans la pratique courante, les fériés, les vacances et toute absence payée et reprise de temps entrent dans le calcul du salaire de base.

ARGUMENTATION DES PARTIES

Argumentation du Syndicat

[24]         Est-ce que l’augmentation générale consentie en 2011 et pour les années subséquentes fait partie du salaire de base des salariés hors échelle au sens du guide des avantages sociaux S-4? C’est la question soulevée par le présent grief selon la représentante du Syndicat.

[25]         Pour répondre à cette question, il faut rechercher le salaire régulier d’un salarié hors échelle.

[26]         Dans les bulletins de paie S-6 et S-7 des salariés hors échelle, on retrouve le taux horaire de ce salarié, le nombre d’heures travaillées et son augmentation de 2 % qui est multipliée par les heures travaillées. Le tout donne son salaire de base ou sa rémunération régulière. C’est ce qu’il reçoit à chaque période de paie.

[27]         Selon la représentante du Syndicat, l’augmentation de 2 % ne peut être qualifiée de supplément, ni traitée ainsi pour déterminer la couverture des prestations d’invalidité qui sont le remplacement du salaire lorsqu’on est malade. On l’a vu dans le régime des journées rémunérées à 100 % ou à 70 %.

[28]         Bien qu’il soit prévu dans la convention collective que l’Employeur inclut l’augmentation générale dans le calcul du revenu pour fin de retraite, les employés cotisent sur ces sommes, mais ils ne cotisent pas pour les suppléments de prime comme l’allocation côte-nord.

[29]         Suivant son libellé, le grief vise les prestations d’invalidité de courte durée et de longue durée. En juin 2011, il n’y avait aucun cas d’invalidité de longue durée, mais la détermination du salaire de base par l’Employeur lors de la période de courte durée fait partie des données transmises à l’assurance pour le paiement des prestations d’invalidité de longue durée.

[30]         Le mandat de l’arbitre est d’interpréter à la lecture de la convention collective le régime d’assurance et déterminer si la rémunération prévue pour chaque année doit être prise en compte. Pour les salariés visés par la convention collective et qui ne sont pas hors échelle, le taux horaire comprend l’augmentation générale qui est incluse dans son taux horaire. Cela constitue son taux de salaire normal, selon 3.2 de la lettre d’entente 4 S-3, et correspond au salaire de base d’un tel salarié. Il ne pourrait en être autrement pour l’augmentation générale consentie aux salariés hors échelle. Elle fait partie de leur salaire de base. C’est pourquoi elle demande de faire droit au grief.

Argumentation de l’Employeur

[31]         En début de son argumentation, le procureur de l’Employeur, alléguant qu’au moment du dépôt du grief le 2 juin 2011 aucun cas d’invalidité de longue durée n’existait, ce qui est admis, invoque l’article 14.3 de la convention collective qui prévoit que le Syndicat ne peut recourir à la procédure du grief collectif pour soumettre « un grief préventif et pour lequel aucun salarié n’est visé ». Par conséquent, selon le procureur, le grief S-1.1 peut porter uniquement sur le salaire utilisé pour les fins de prestation d’invalidité de courte durée seulement. Il n’est pas contesté, cependant, qu’en date du 2 juin 2011, il existait un cas d’invalidité de courte durée.

[32]         Dans le présent dossier, suivant le procureur de l’Employeur, on doit se demander si le forfaitaire doit être inclus ou non dans le salaire utilisé pour déterminer la prestation d’invalidité.

[33]         Le guide des avantages sociaux, pièce S-4, définit à la page 109 le « salaire de base annuel ». Il traite à la page 94 du montant des prestations versées en cas d’invalidité de courte durée en prévoyant que « les prestations sont fondées sur la rémunération de base ». Pour l’Employeur, le salaire de base du salarié hors échelle ne comprend pas le forfaitaire parce que, suivant les définitions des auteurs Gérard Dion [6] et Gérard Hébert [7] , le montant forfaitaire accordé à un « employé étoilé » ou « hors échelle » lui est accordé uniquement pour compenser « le manque à gagner ». Il ne peut donc pas faire partie de son salaire de base.

[34]         Les salaires, on les retrouve à l’annexe A de la convention collective S-3 qui détermine les échelles de salaire des salariés régis par la convention collective. En se basant sur la jurisprudence arbitrale qu’il cite [8] , il soumet que le montant forfaitaire, n’étant pas une augmentation de salaire, il ne peut être inclus dans le salaire de base d’un salarié hors échelle. De plus, si c’était la volonté des parties de considérer le forfaitaire comme du salaire pour les fins de l’assurance invalidité, la convention l’aurait prévu, comme elle le fait au 3 e alinéa de 3.2 de la lettre d’entente 4 en stipulant que « le montant forfaitaire est assujetti au régime de retraite ».

[35]         Pourquoi la convention collective est-elle muette sur l’application du montant forfaitaire au régime d’avantages sociaux? Parce que, selon le procureur de l’Employeur, c’était la volonté des parties de ne pas considérer ce forfaitaire comme du salaire. Si on veut l’inclure dans les avantages sociaux, il faudrait ajouter à la convention collective, ce que l’arbitre ne peut se permettre de faire suivant 15.3 de la convention collective. C’est pourquoi il demande le rejet du grief.


ANALYSE ET DÉCISION

Les positions des parties

[36]         Il se dégage de la preuve présentée et de l’argumentation des parties que le litige, qui les oppose, repose sur l’interprétation qu’elles donnent à la lettre d’entente 4 - Traitement salarial de la convention collective S-3.

[37]         La lettre d’entente 4 - Traitement salarial [9] prévoit à son paragraphe 3 que, du 1 er  janvier 2011 au 31 décembre 2011, les échelles salariales apparaissant à l’annexe A de la convention collective sont majorées de 2 % suivant 3.1 et que, suivant le 1 er alinéa de 3.2, le salarié régi par la convention se voit accorder une augmentation correspondant à l’augmentation de son échelle salariale, c’est-à-dire une augmentation de 2 %. Toutefois, le salarié « dont le taux de salaire normal se situe au-delà du maximum de sa nouvelle échelle salariale reçoit », suivant le 2 e alinéa de 3.2, « un montant forfaitaire représentant 2 % des gains pour les heures normales travaillées » par lui au cours d’une période de paie. Ce montant forfaitaire lui est versé à chaque période de paie. La convention prévoit le versement trimestriel du forfaitaire comme il apparaît du texte de 3.2, mais la périodicité du paiement a été modifiée par la lettre d’entente intervenue le 5 novembre 2010 apparaissant aux pièces E-1 et E-2, ce que démontrent également les bulletins de paie déposés en liasse comme pièces S-6 et S-7.

[38]         Le Syndicat soutient que l’augmentation générale accordée à tous les salariés par la lettre d’entente 4, convenue pour 2011 et pour les années subséquentes, fait partie du salaire de base des salariés hors échelle suivant les termes du guide des avantages sociaux S-4.

[39]         L’Employeur, de son côté, soutient que le montant forfaitaire accordé par la lettre d’entente 4 n’est pas, par définition, du salaire et ne doit pas être inclus dans le salaire utilisé pour déterminer les prestations d’invalidité. Il soutient également que ce n’était pas la volonté des parties de considérer le forfaitaire comme du salaire puisque les parties n’ont pas stipulé sur le sujet à la lettre d’entente 4, comme elles l’ont fait pour le régime de retraite au 3 e alinéa de 3.2, en spécifiant que « le montant forfaitaire est assujetti au régime de retraite ». De plus, l’Employeur, se fondant sur le fait admis qu’à la date du dépôt du grief le 2 juin 2011 aucun cas d’invalidité de longue durée n’existait, il soutient en évoquant 14.3 de la convention collective S-3 que le grief S-1 peut porter uniquement sur le salaire utilisé pour fins de prestation d’invalidité de courte durée.

[40]         Comme on peut le constater, la lecture que font les parties et l’interprétation qu’elles donnent à la lettre d’entente 4 - Traitement salarial les opposent. Mais quelle que soit la formulation de leur position respective, pour décider de la question que soulève le grief, il faut d’abord s’en remettre au libellé du grief et en dégager l’objet pour ensuite décider du litige.

L’OBJET DU GRIEF

[41]         Dans le formulaire de grief S-1, le Syndicat allègue que « depuis le 1 er janvier 2011, l’Employeur ne respecte pas les conditions d’assurances prévues au régime d’avantages sociaux flexibles de Telus aux fins de prestations d’invalidité de courte durée et longue durée pour les salariés dont le taux de salaire normal se situe au-delà du maximum de leur nouvelle échelle salariale ». Ce qui, selon le Syndicat, contrevient à l’article 42 et autres pertinents de la convention collective. Il réclame « que l’employeur corrige le salaire utilisé pour fins de prestations d’invalidité de courte durée, et longue durée s’il y a lieu, et ce rétroactivement au 1 er janvier 2011 » [10] .

[42]         Le grief qui, suivant sa formulation, allègue le non-respect des conditions d’assurances invalidité à l’égard des salariés hors échelle, a pour objet de faire déterminer les droits que 42.2 de la convention collective S-3 accorde, sans distinction, aux salariés assujettis à la convention collective.

[43]         Cette disposition, 42.2 de S-3, prévoit qu’à compter du 1 er janvier 2011, les conditions d’assurance sont celles prévues au guide des avantages sociaux S-4. Et ces conditions d’assurances auxquelles renvoie la convention collective lient les parties suivant l’article 1435 du Code civil du Québec [11] . C’est donc le guide S-4 qui permet d’établir le montant des prestations d’invalidité auquel a droit le salarié hors échelle, en cas de maladie ou de blessure non professionnelle.

DISCUSSION

[44]         Tout d’abord, il faut retenir que le guide S-4 s’applique non seulement aux salariés régis par la convention collective S-3, mais aussi à des employés régis par d’autres conventions collectives ainsi qu’à des employés non syndiqués.

[45]         L’examen de ce guide S-4 démontre que les stipulations essentielles du régime d’avantages sociaux flexibles de Telus ont été rédigées par Telus pour son compte ou suivant ses instructions pour couvrir les employés syndiqués ou non syndiqués visés par le régime. Les stipulations essentielles du guide S-4 ne pouvaient donc pas être librement discutées à une table de négociation pour le renouvellement de la convention collective S-3. Ce qui, à mon avis, en fait un contrat de la nature d’un contrat d’adhésion au sens de 1379 du Code civil du Québec .

[46]         Les conditions d’assurances invalidité auxquelles 42.2 de la convention collective S-3 renvoie doivent, par conséquent, s’interpréter en faveur de l’adhérent, comme le prévoit l’article 1432 du Code civil du Québec , bien entendu s’il est nécessaire d’interpréter quelque disposition du guide S-4. Mais ces dispositions m’apparaissent à première vue claires, de telle sorte que je n’ai pas à les interpréter.

[47]         Voyons ces dispositions :

-       Au chapitre de l’assurance invalidité de courte durée, le guide S-4 établit que :

« Les prestations sont fondées sur la rémunération de base .

[…] » [12]

-       Au chapitre de l’assurance invalidité de longue durée, le guide S-4 prévoit le régime de base en établissant que :

« Après une période d’invalidité totale de 130 jours, vous pouvez présenter une demande d’indemnisation au titre de l’assurance invalidité de longue durée, qui paie 40 % de votre rémunération mensuelle normale au moment où vous êtes devenu invalide, incluant toute commission de vente […] » [13]

         et le guide y définit le salaire comme suit :

« Salaire

On entend par salaire la paie régulière que vous touchiez avant de devenir invalide. Le salaire comprend toute commission de vente habituelle gagnée au cours des 12 mois qui précèdent le début de votre invalidité. » [14]

-       Le glossaire - Avantages sociaux (autres que le régime de retraite), définit le « salaire de base annuel » comme suit :

« On entend par salaire de base annuel le salaire annuel régulier avant toute retenue ou déduction. Dans le cadre de l’assurance vie et des assurances invalidité, le salaire est le salaire annuel régulier avant les retenues et additionné des commissions de vente habituelles gagnées au cours des douze mois précédents. » [15]

[48]         Ces dispositions du guide S-4 établissent que les prestations d’invalidité sont fondées sur « la rémunération de base » ou « la rémunération mensuelle normale » et que le salaire utilisé pour établir les prestations est la « paie régulière » ou le « salaire annuelle régulier ».

[49]         Le guide S-4 ne fait aucune distinction relative à la classification ou à l’échelle de salaire du salarié visé par le régime d’avantages sociaux. Je ne saurais en faire. Il définit plutôt le salaire comme étant la paie régulière d’un employé et fonde la prestation sur la rémunération de base. Et, la rémunération de base d’un salarié hors échelle, c’est le montant qu’il reçoit à chaque période de paie pour les heures normales travaillées, c’est-à-dire son taux horaire multiplié par le nombre d’heures normales travaillées ainsi que 2 % des gains pour ces heures normales travaillées. C’est bien là la paie régulière d’un salarié hors échelle comme le démontrent les bulletins de paie déposés en liasse comme pièces S-6 et S-7.

[50]         Le concept des heures normales travaillées étant bien connu des parties et faisant l’objet d’aucune contestation, je n’ai pas à discuter de ce concept.

[51]         Mais, pour se rapprocher de l’argumentation des parties portant sur le portée de la lettre d’entente 4 - Traitement salarial de la convention collective S-3, il n’apparaît clair qu’au sens des stipulations du guide des avantages sociaux S-4, l’augmentation générale consentie en 2001 et pour les années subséquentes fait partie intégrante de la rémunération de base des salariés hors échelle. Cette augmentation générale doit donc être utilisée pour déterminer les prestations d’invalidité de courte durée et longue durée, s’il y a lieu, et ce, rétroactivement au 1 er janvier 2011.

[52]         De plus, suivant l’article 2404 du Code civil du Québec  :

« En matière d’assurance de personne, l’assureur ne peut invoquer que les exclussions ou les clauses de réduction de la garantie qui sont clairement indiquées sous un titre appropriée. »

Par conséquent, avec respect pour l’opinion contraire, le fait de ne pas spécifier à 3.2 de la lettre d’entente 4 de S-3 que « le montant forfaitaire est assujetti aux conditions d’assurances », comme le convention le fait pour le régime de retraite, n’a aucune portée sur l’application du régime d’avantages sociaux S-4 aux personnes couvertes par ce régime, notamment les salariés hors échelle visés par le grief. La volonté des parties suivant 42.2 de la convention collective est de déterminer que, à compter du 1 er  janvier 2011, les conditions d’assurances des salariés visés par la convention S-3 « sont celles prévues au régime d’avantages sociaux flexibles de Telus », pièce S-4.

Portée du grief

[53]         Enfin, 14.3 de la convention collective S-3 accorde au Syndicat le droit de soumettre un grief collectif qui conteste une décision de portée générale ou qui vise plusieurs salariés. Le Syndicat ne peut cependant pas utiliser cette procédure pour soumettre un grief préventif et pour lequel aucun salarié n’est visé, suivant cette disposition.

[54]         L’Employeur, évoquant cette disposition de la convention collective, soutient que le grief S-1 peut porter uniquement sur le salaire utilisé pour fins de prestation d’invalidité de courte durée, puisqu’à la date du dépôt du grief, le 2 juin 2011, aucun salarié hors échelle ne bénéficiait de l’assurance invalidité de longue durée. L’Employeur reconnaît cependant qu’à la date du dépôt du grief, un salarié bénéficiait des prestations de l’assurance invalidité de courte durée.

[55]         Dès ce moment, le Syndicat avait l’intérêt, sinon le devoir, à faire déterminer les droits pouvant résulter du régime d’avantages sociaux de Telus, afin de trouver une solution à la difficulté réelle causée par la décision de portée générale de l’Employeur, de ne pas inclure l’augmentation générale consentie aux salariés hors échelle dans le salaire utilisé pour fins de prestations d’invalidité payables à ce groupe de salariés.

[56]         Or, comme le prévoit le guide des avantages sociaux S-4, un salarié ne peut bénéficier du régime de longue durée qu’après une période d’invalidité de 130 jours [16] . Il y a là, en quelque sorte, une continuité et une complémentarité entre les deux régimes. De plus, comme l’a déclaré M. Lavoie, sans son témoignage, c’est Telus qui intervient pour déterminer et fournir le salaire de base annuel qui sert au calcul des prestations d’invalidité de longue durée. Ce serait, à mon avis, un non-sens de briser cette continuité et cette complémentarité, ainsi que d’ignorer le salaire utilisé pour fins de prestations d’invalidité de courte durée pour déterminer les prestations d’invalidité de longue durée.

[57]         Dans les deux régimes d’assurances invalidité, il m’apparaît clair que les notions de salaire et de rémunération de base sont les mêmes, à plus forte raison lorsque le glossaire (S-4, à la page 109) [17] ne distingue pas les assurances invalidité. En toute logique, modifier l’objet du grief, réduire sa portée et limiter la réclamation du Syndicat aux seuls cas d’invalidité de courte durée apporteraient une solution incomplète et équivoque du litige qui oppose les parties.

[58]         En ce sens « la réclamation demandée » par le Syndicat dans le grief S-1, comme formulée, est pleinement justifiée par les faits et les dispositions du régime applicables au cas soumis. Elle a aussi le mérite d’apporter une solution complète du litige qui oppose les parties et de couvrir l’objet principal du grief qui est la détermination des droits des salariés hors échelle relativement aux droits qui leur résultent du régime d’assurances invalidité. Ainsi, lorsque le Syndicat réclame de corriger le salaire utilisé pour fins de prestations d’invalidité de longue durée s’il y a lieu , il présente une réclamation accessoire qui suit nécessairement la réclamation principale, comme le veut l’adage qui prévoit que « l’accessoire suit le principal ».


[59]         POUR CES MOTIFS , je, en qualité d’arbitre :

ACCUEILLE le grief 11-03 du Syndicat des employés québécois de Telus;

ORDONNE à l’Employeur de corriger le salaire utilisé pour fins de prestations d’invalidité de courte durée, et longue durée s’il y a lieu, afin d’inclure, dans le calcul des prestations d’invalidité visant les salariés hors échelle, l’augmentation générale de salaire consentie en 2011 et pour les années subséquentes de la convention collective, et ce, rétroactivement au 1 er janvier 2011.

 

Québec, ce 14 novembre 2012.

 

 

 

 

 

_________________________________

M e Bruno Leclerc, arbitre

 

Pour l’Employeur :                           M e Jean Martel

Pour le Syndicat :                            M me Madeleine B. Hudon

Date d’audience :                            27 septembre 2012

 

N/D :   60-710

 

BL/cb



[1]     Pièce S-4, page 3.

[2]     Guide des avantages sociaux , pièce S-4, à la page 109.

[3]     Grief 11-03, pièce S-1.1.

[4]     Lettre d’entente 4, Traitement salarial, pièce S-3, pages 121 à 128, extraits, pages 121 et 123.

[5]     Note 4 supra , précitée au paragraphe [11] de la présente.

[6]     DION, Gérard, Dictionnaire canadien des relations du travail , 2 e édition, P.U.L. 1986.

[7]     HÉBERT, Gérard, Traité de négociation collective , Gaëtan Morin éditeur.

[8]     Syndicat des professionnelles et professionnels de l’éducation de Montréal et Commission des écoles catholiques de Montréal , T.A., M e  Jean-Pierre Tremblay, arbitre, 16 septembre 1994; Syndicat québécois des employées et employés de service, section locale 298 (FTQ) et Coopérative de solidarité Novaide , T.A., Jacques Doré, arbitre, 16.06.2009; Imprimerie Québécor Magog et Syndicat des communications graphiques, locale 41 M , T.A., M e Francis Léger, arbitre, 1 er juin 2009.

[9]     Note 4 supra , Extraits de la lettre d’entente 4 cités au paragraphe [11] de la présente.

[10]    Note 3 supra , grief 11-03, pièce S-1.1 citée au paragraphe [8] de la présente.

[11]    Code civil du Québec , L.Q. 1991, c. 64, article 1435 : «Article 1435. La clause externe à laquelle renvoie le contrat lie les parties. Toutefois […] ».

[12]    Guide des avantages sociaux S-4, à la page 94.

[13]    Guide des avantages sociaux S-4, à la page 96.

[14]    Guide des avantages sociaux S-4, à la page 100.

[15]    Guide des avantages sociaux S-4, à la page 109.

[16]    Guide des avantages sociaux S-4, à la page 96.

[17]    Note 15 supra .