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TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N o de dépôt : |
2013-1354 |
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Date : |
10 DÉCEMBRE 2012 |
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DEVANT L’ARBITRE : |
Me CAROL JOBIN |
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SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE, COMMUNICATIONS, SECTION LOCALE 2960 |
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- Partie syndicale |
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Et |
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INSTITUT PHILIPPE-PINEL DE MONTRÉAL |
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- Partie patronale |
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Plaignante : |
Mme Sabrina Brousseau |
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Grief : |
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2011-222 |
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Sujet : |
Discrimination, harcèlement |
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SENTENCE ARBITRALE |
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(Code du travail, L.R.Q., c. C-27, a.100) |
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I. LE LITIGE
[1] La présente sentence arbitrale se prononce sur le grief no 2011-222 du 29 septembre 2011 soumis par le Syndicat pour madame Sabrina Brousseau, sociothérapeute.
[2] Ce grief se lit comme suit (S-2) :
Contrairement à la convention collective, les dispositions locales et les lois en vigueur, l’employeur lors d’une rencontre tenue le ou vers le 31 août 2011 avec Nicole Morissette (coordonnatrice du service) et Mme Sabrina Brousseau, Mme Morissette a tenu des propos discriminatoires à mon endroit et imposé des mesures qui peuvent sembler du harcèlement.
Nous réclamons que l’employeur cesse immédiatement cette pratique, une rencontre entre les parties et le rétablissement de tous les droits, bénéfices et privilèges pour toutes personnes lésées par la situation. Nous réclamons enfin une compensation monétaire pour tout préjudice fiscal en découlant. Le tout avec les intérêts et l’indemnité prévus au Code du travail du Québec.
[3] Il est admis que la procédure de grief a été respectée et que l’arbitre est validement saisi du litige.
[4] En argumentation finale, les redressements recherchés ont été amendés et précisés. Le Syndicat réclame qu’il soit déclaré que l’Employeur a commis un abus de pouvoir dans l’exercice de ses droits de direction et qu’il s’est livré à du harcèlement psychologique. La demande d’ordonnance d’une rencontre entre les parties est retirée. On réclame qu’une lettre d’excuses ou de rectification soit déposée au dossier de Mme Brousseau ou qu’elle lui soit remise. Enfin, une somme de 1,000 $ est réclamée à titre de dommages moraux.
II. RÉSUMÉ DE LA PREUVE
[5] Mme Brousseau (ci-après la Plaignante) est à l’emploi à titre de sociothérapeute (ou éducatrice spécialisée) depuis environ 4 1/2 ans. Au moment des événements, elle détenait un poste à temps complet à l’unité D-1 sur le quart de soir. Sa supérieure hiérarchique était madame Nicole Morissette, coordonnatrice (cadre) de programme et responsable des unités D-1 et D-2. Une partie des responsabilités de Mme Morissette à l’unité D-1 était assumée par madame Christiane Tremblay, assistante-coordonnatrice (cadre).
[6] L’unité D-1 accueille en milieu de vie fermé 21 patients. Il s’agit d’une clientèle psychiatrique composée d’hommes ayant commis des délits intrafamiliaux allant de l’agression grave jusqu’à l’homicide. Ces personnes ont été reconnues non responsables et ont été confiées à l’Institut sous la responsabilité du tribunal. Ils y reçoivent des soins et des traitements sous la responsabilité clinique d’un médecin psychiatre. L’équipe soignante est composée, outre la coordonnatrice et son assistante (responsables au volet administratif), de psychologue(s), de criminologue(s), d’infirmières et de sociothérapeutes.
[7] La fonction de sociothérapeute consiste, entre autres, à accompagner les patients dans les activités tout en veillant à leur sécurité ainsi qu’à celle de leur entourage. La sociothérapeute élabore et anime des activités; elle observe les comportements des patients et les rapporte; elle participe à toutes les étapes du processus thérapeutique; elle intervient et aide le patient à atteindre les objectifs du plan de traitement (description de fonction E-3).
[8] Le grief vise une rencontre à caractère professionnel que la coordonnatrice, Mme Morissette, a tenue avec la Plaignante le 31 août 2011 et plus particulièrement la nature des propos tenus par la supérieure hiérarchique à l’endroit de la salariée.
[9] Pour bien comprendre ce qui s’est passé, il est nécessaire de rendre compte d’événements survenus peu avant cette rencontre, qui mettent en cause l’état et les déclarations du patient K de l’unité D-1.
[10] Plusieurs témoins ont décrit ce patient. Il s’agit d’un homme souffrant d’un trouble dépressif majeur avec caractère psychotique et présentant des traits narcissiques importants. Criminologue de profession, il est un ancien intervenant. Il entretient peu de contacts avec son entourage. Il est observateur et il parle peu. Il est souvent en conflit avec ses pairs. On le qualifie de patient très difficile, rigide et souvent irritable, désagréable et suscitant des réactions. Il assume correctement ses activités de vie quotidienne. Il accepte difficilement un refus.
[11] Le 8 août 2011, ce patient a, pour la première fois, décidé d’observer le Ramadan. Les heures de ses repas et une diète (menus) ont été modifiées en conséquence. D’après les notes au dossier (E-1) rédigées par la Plaignante et son témoignage, un événement particulier s’est produit en soirée le 8 août 2011. Vers 20 h 30, présentant des signes d’impatience et d’insatisfaction, le patient s’est présenté à la console pour réclamer son repas (après une journée de jeûne) immédiatement. Les membres de l’équipe lui ont demandé de patienter, le temps de faire chauffer son repas. La Plaignante précise qu’on était alors à régler une autre situation urgente. Le patient, l’air contrarié, est demeuré à la console et a dit qu’il attendait son repas. On lui a remis son cabaret. Il a exigé deux breuvages qu’on lui a donnés. Il est allé manger puis est revenu à la cuisine pour demander une « toast » parce qu’il n’avait pas mangé toute sa portion de macaroni, mets qu’il n’aimait pas. On lui a servi ce qu’il demandait. Vers 21 heures, la Plaignante, avec une autre membre de l’équipe, ont rencontré le patient pour lui expliquer que son attitude avait été désagréable et que l’on tentait de l’accommoder tel que prévu à sa diète. Le patient a nié être désagréable. Je passe certains détails au sujet de l’agencement de ses repas. Un peu plus tard, vers 21 h 30, on a revu le patient pour lui dire que l’on avait mal lu la planification de ses repas durant le Ramadan et qu’en plus de son souper (21 h), on lui offrirait une collation à 3 h 30 (du matin). Le patient s’est montré condescendant et refusait d’écouter. Il a laissé en plan l’intervenante qui lui parlait pour se rendre à la console. On lui a signalé que son attitude était incorrecte et on a appliqué une mesure rééducative et de retrait ponctuel (MRRP), c’est-à-dire un isolement dans sa chambre. Cette mesure est prévue au plan de soins et appliquée lorsque jugée nécessaire. Quinze minutes plus tard, on a cessé cette mesure et on lui a apporté un sandwich et du yogourt. Il est noté qu’il semblait tendu et frustré ainsi que faible physiquement. On a à nouveau tenté de le « recadrer ». Il argumentait et on lui a déclaré « que nous n’avons pas à subir ses sautes d’humeur et que le Ramadan est son choix, que nous reparlerons de la pertinence de cela avec le médecin » (E-1). Le patient a persisté dans son attitude.
[12] La personne-référence de ce patient est madame Nathalie Nault, sociothérapeute de jour. Elle a rencontré K le 20 août suivant et rédigé une note bimensuelle. Lors de cette rencontre, le patient est revenu sur les événements du 8 août précédent. Il a mentionné avoir de la difficulté avec une intervenante du soir (autre que la Plaignante) et déclaré qu’elle lui manquait constamment de respect. Il essayait donc de l’éviter. Il s’est montré très critique à l’égard de cette personne disant qu’il avait bien géré sa colère et qu’elle lui rappelait son « ex-femme contrôlante » (E-1).
[13] À nouveau, le 28 août, alors qu’il jouait au « scrabble », le patient a reparlé devant l’infirmière Marie-Josée Dion de l’autre intervenante de soir. Il a dit qu’il aurait pu la frapper, qu’elle regardait les patients comme s’ils étaient des chiens, qu’il préférait se retirer dans sa chambre quand il la voyait. Il ne désirait pas en parler au médecin. On a tenté d’aborder un autre sujet, il est encore revenu sur la situation (E-1).
[14] Le 30 août suivant, en avant-midi, Mme Morissette, la coordonnatrice, fut avisée par des membres de l’équipe que le patient K désirait la rencontrer pour formuler une plainte. Elle l’a rencontré. Il lui a déclaré que, depuis un certain temps, la Plaignante et l’autre intervenante lui manquaient de respect et se prenaient pour « les boss de Pinel ». Il a déclaré qu’on lui avait crié après à plusieurs reprises et qu’une des deux intervenantes lui avait dit que de pouvoir observer le Ramadan était un privilège. Il ne savait plus quoi faire, il était découragé, il se retenait et il voulait qu’elle fasse quelque chose.
[15] Mme Morissette a demandé que le patient soit évalué par le médecin psychiatre, le Dr Frédéric Millaud, afin de vérifier son état et le degré de crédibilité de ses déclarations.
[16] Ce même jour, le patient a été rencontré par le médecin en présence de Mme Morissette et de Mme Nault, la personne-référence de ce patient. Cette dernière note que la rencontre a lieu au sujet d’une plainte concernant la Plaignante et l’autre intervenant. On désirait vérifier l’ampleur que cette plainte prenait dans l’esprit du patient (E-1).
[17] Selon Mme Morissette, le patient a déclaré devant le médecin qu’il désirait porter plainte en bonne et due forme. Trouvant cette situation anxiogène, le médecin a offert une médication que le patient a refusée catégoriquement en disant que sa démarche ne visait qu’à mettre fin à des attitudes de manque de respect (E-1). Le médecin a statué que son état clinique était stable.
[18] Mme Morissette a dit au médecin qu’elle rencontrerait les deux intervenantes. C’est ainsi que le lendemain, 31 août, la Plaignante fut rencontrée par Mme Morissette en présence de Mme Tremblay, l’assistante-coordonnatrice. La même démarche fut faite séparément avec l’autre intervenante. Mme Morissette déclare (corroboré par Mme Tremblay) que le but de la rencontre avec la Plaignante était de la sensibiliser à la situation concernant le Plaignant K. Elle ajoute que, dans le cas de l’autre intervenante, étant donné les déclarations plus spécifiques du patient à son endroit, le but était d’offrir un plan d’amélioration. Enfin, relevons qu’avant cette rencontre, Mme Morissette n’a pas pris connaissance des notes au dossier du patient (E-1).
La rencontre du 31 août
[19] Il y a eu exclusion des témoins. La Plaignante fut la première à déposer au sujet de cette rencontre, suivie par Mme Morissette. À la seconde journée d’audience, nous avons entendu le témoignage de Mme Tremblay. Comme les témoignages de mesdames Brousseau et Morissette sont passablement divergents, j’en rendrai compte séparément.
Version de la Plaignante
[20] Mme Brousseau déclare que Mme Morissette lui a dit qu’elle avait quelque chose à lui dire. Elle croyait qu’elle lui parlerait du poste qu’elle devait bientôt occuper sur une autre unité. Dans le bureau de Mme Tremblay et en présence de cette dernière, la coordonnatrice, d’entrée, lui a dit : « Toi, assied-toi. Tu vas voir que la rencontre ne sera pas le ‹fun› pour toi aujourd’hui ». La coordonnatrice a ouvert un livre et lui a dit qu’elle avait reçu une plainte du patient K à son sujet, durant les vacances de la Plaignante. Selon le patient, elle l’aurait traité comme un chien, elle l’aurait traité comme de la ‹m…› et elle aurait crié ‹ ta gueule › ainsi qu’à d’autres patients. Mme Brousseau, surprise, a voulu réagir mais la coordonnatrice a enchaîné en disant : « Tu t’asseois et t’écoutes. C’est pas fini ». Elle était mécontente. Son ton était autoritaire. Elle la pointait du doigt. Elle a poursuivi en disant que le médecin avait rencontré le patient pour évaluer si ses propos étaient délirants ou psychotiques et qu’il avait déterminé qu’il était dans un état stable. La coordonnatrice déclara : « Donc, à mon égard, ses propos sont véridiques ».
[21] Selon la Plaignante, Mme Morissette l’a accusée d’avoir parfois trop de plaisir avec les patients et elle a précisé que cela faisait aussi partie de la plainte du patient K. Elle lui a déclaré : « Est-ce que tu te rends compte que quand tu as trop de plaisir avec un patient, ça peut en mettre d’autres en danger autour ? » La Plaignante était sous le choc, elle essayait de réagir. Elle regardait Mme Tremblay qui était mal à l’aise et regardait par terre.
[22] Comme elle essayait de réagir, la coordonnatrice lui a déclaré : « Écoutes, je ne suis pas une patiente psychiatrique et, de la façon dont tu me parles, tu m’agresses actuellement. Je n’ai donc pas de misère à croire que si tu parles comme ça aux patients, il se sentent agressés ».
[23] À un moment, la Plaignante lui a demandé si elle avait vérifié les faits auprès de ses collègues de travail. La coordonnatrice a répondu par la négative. C’était le médecin qui avait vérifié. Et elle a ajouté, avec un sourire : « De toute façon, même tes collègues se sont plaints ».
[24] À l’égard du patient K, Mme Morissette lui a dit qu’à partir de ce moment, elle ne voulait pas qu’il soit mis au courant de ce qui s’était dit durant la rencontre qu’ils avaient. Elle ne voulait plus qu’elle intervienne auprès de ce patient, ni d’ailleurs l’autre intervenante dont s’était plaint le patient. Elle a précisé : « Sous aucun prétexte, ne plus intervenir, même s’il y a lieu, auprès de ce patient ou avoir des contacts avec lui et cela ne doit pas paraître dans ton attitude ». La Plaignante lui a expliqué que c’était impossible parce qu’elle et sa collègue (l’autre intervenante) travaillaient souvent ensemble sur l’unité et qu’il fallait veiller à la sécurité des patients.
[25] En témoignage, la Plaignante déclare qu’elle avait en général un bon contact avec le patient K. Pour preuve, elle dépose une carte de souhaits que ce dernier lui a remise lors de son dernier anniversaire (S-5). C’était durant la semaine du 12 août (donc après les événements du Ramadan), alors qu’elle s’apprêtait à partir en vacances et qu’elle devait, peu après son retour, changer d’unité (ce qui ne s’est pas concrétisé parce qu’elle a changé d’avis). Le patient lui souhaitait un joyeux anniversaire, bonne chance dans son nouveau poste et bonnes vacances. Il a écrit notamment : « Alors, profites-en pour bien t’amuser et continuer de rire à merveille » (S-5).
[26] La Plaignante ajoute que c’était la première fois qu’elle était l’objet d’une plainte d’un patient. À son retour de vacances (vers le 31 août), le patient K était le premier à l’accueillir pour lui parler. Enfin, avant qu’elle quitte l’unité pour une autre, le 9 septembre 2012 (un an après les événements d’août 2011), le patient lui a remis une nouvelle carte (S-6) lui souhaitant bonne chance et la remerciant. Il lui demandait de garder son sourire et lui destinait une citation de Clarice Lispector : « Amuser les autres est une des façons les plus émouvantes d’exister ».
[27] En contre-interrogatoire, au sujet de la rencontre du 31 août, la Plaignante déclare que la coordonnatrice, tout en parlant de la plainte du patient, n’a pas fait référence aux événements du Ramadan. Elle ne lui a parlé que du patient K et d’aucun autre. Vers la fin, la Plaignante a dit à Mme Morissette qu’elle ne comprenait pas cette plainte et que cela ne concordait pas avec l’attitude du patient à son égard lors de son retour de vacances. Elle a probablement déclaré qu’elle avait une personnalité forte et qu’elle « prenait de la place ». Elle n’a pas compris qu’on lui reproche d’avoir tenu des propos vulgaires et insolents et, en même temps, d’avoir trop de plaisir avec les patients. Lorsqu’elle a expliqué qu’il serait impossible de ne pas intervenir auprès du patient, la coordonnatrice lui a répété ses directives.
Version de la coordonnatrice
[28] Mme Morissette déclare qu’elle a expressément mentionné à la Plaignante que le but de la rencontre était de la sensibiliser à la situation. Elle lui a dit, d’entrée, qu’il ne s’agissait pas d’une rencontre agréable. Elle lui a déclaré que le patient K s’était plaint d’attitudes et de manque de respect de sa part à son endroit. Elle a précisé que le patient avait dit qu’à l’occasion du Ramadan, elle lui avait manqué de respect et fait preuve d’intolérance. Elle a déclaré que cette façon d’agir n’était pas souhaitable. Son ton était serein. La Plaignante a alors manifesté vigoureusement son désaccord. Elle a ensuite dit qu’elle ne comprenait pas, qu’elle n’avait pas manqué de respect et que le patient était de bonne humeur avec elle.
[29] La coordonnatrice déclare qu’elle lui a dit qu’on voulait discuter avec elle de son attitude et de la perception qui pouvait en découler. La Plaignante a répondu que c’était dans sa personnalité de parler fort et de gesticuler. On lui a dit qu’en psychiatrie, il fallait s’en abstenir car le patient interprète. Ce message ne passait pas. La Plaignante revenait sur ses arguments de personnalité. Elle lui a dit de conserver sa personnalité mais d’être, avec les patients, plus neutre et professionnelle. La Plaignante a dit que c’était dans sa nature de faire des blagues avec eux. On lui a répondu : « Oui, mais les patients interprètent et tu te retrouves dans des situations plates ».
[30] Selon Mme Morissette, le ton ne montait pas. Il était correct mais Mme Brousseau était fougueuse et convaincue en lui disant qu’elle ne la comprenait pas. À un moment, Mme Tremblay est intervenue pour dire à la Plaignante que l’attitude qu’elle avait, consistant à argumenter, pouvait être difficile pour un patient. Mais pour la Plaignante, il s’agissait de transparence.
[31] La rencontre a duré une trentaine de minutes. Mme Morissette déclare qu’on n’arrivait à rien. Elle a alors dit à la Plaignante que son attente était la suivante : « Quand tu traverses l’autre bord, tu deviens pausée, professionnelle et cela procure de la sécurité au patient ». Elle lui a dit que son attitude fougueuse n’était pas la bonne en psychiatrie, qu’il en résultait trop d’émotions à gérer.
[32] Pour Mme Morissette, il ne s’agissait aucunement d’imposer des mesures à la Plaignante mais d’exprimer une attente. Il fallait que la Plaignante fasse attention au patient K parce qu’il manifestait de l’exaspération et qu’il avait fait une plainte. Elle lui a dit qu’il n‘était pas nécessaire que ce soit elle qui intervienne auprès de ce patient. Il fallait le laisser revenir à de meilleures dispositions. On fait cela avec un patient qui cible un intervenant. Il faut laisser passer du temps. Selon la coordonnatrice, la Plaignante a déclaré du bout des lèvres qu’elle était d’accord.
[33] En contre-interrogatoire, la coordonnatrice affirme qu’elle n’avait pas l’intention de blesser ou de culpabiliser la Plaignante. Celle-ci est fougueuse et drôle. Elle est aussi directive. Elle voulait qu’elle soit moins éclatante et un peu plus professionnelle. Le patient ne s’était pas plaint de sa personnalité mais du fait qu’on lui ait manqué de respect dans la façon de contrôler les événements. Lui a-t-elle demandé sa version des faits ? Elle répond qu’elle l’a eue : la Plaignante ne comprenait pas. Selon Mme Morissette, le patient avait-il raison ? Elle répond que sa perception était plus importante que ce qui s’était réellement passé. On devait en tenir compte dans l’approche à adopter avec lui. A-t-elle demandé à la Plaignante de ne plus intervenir auprès du patient K ? Elle répond que cela aurait été impossible mais qu’il fallait que la Plaignante prenne ses distances.
[34] Il s’agissait d’une première plainte d’un patient à l’endroit de Mme Brousseau et c’est entre autres pour cela qu’aucune mesure ne lui a été imposée. Avant cette rencontre, elle n’avait jamais eu de problème avec la Plaignante. Lors d’une conversation, elle lui avait fait remarquer que, depuis son embauche, elle avait un peu perdu son désir d’intervenir, qu’elle était devenue plus « cadrante » (i.e. directive ou contrôlante) et que cela était désolant.
Témoignage de l’assistante-coordonnatrice
[35] Mme Christiane Tremblay, présente lors de la rencontre, déclare que Mme Morissette en fut l’animatrice. Elle a fait part de la plainte du patient. La Plaignante était surprise de cette situation. Elle a répété plusieurs fois qu’elle ne comprenait pas. Elle a expliqué qu’à son retour de vacances, le patient l’avait bien accueillie et que tout semblait bien aller.
[36] À un moment, la Plaignante a semblé décontenancée. On lui disait qu’elle était expansive. La Plaignante était assise sur le bout de sa chaise, elle parlait et gesticulait beaucoup. C’est alors qu’elle (Mme Tremblay) lui a fait remarquer son attitude : « Tu vois là, ce qui se passe, tu deviens exubérante ». La coordonnatrice a abondé dans le même sens. Il était difficile de discuter, la Plaignante répétant qu’elle ne comprenait pas et rappelant que le patient était de bonne humeur avec elle. Le ton est demeuré correct. La rencontre a cessé dans un climat d’incommunicabilité. Aucune mesure n’a été imposée à la Plaignante. On lui a demandé de ne pas parler au patient K de sa plainte et de faire attention dans ses rapports avec lui parce qu’il était fragile dans ses relations avec elle. Pour cela, il y a toujours moyen de s’organiser. Il n’y a pas eu d’interdiction de contacts.
[37] En témoignage, Mme Tremblay ajoute qu’il était nécessaire de vérifier des choses avec la Plaignante et qu’il était important de l’informer que le patient ne se sentait pas bien avec elle parce que cette clientèle est imprévisible dans ses réactions. Il importait donc de sensibiliser la Plaignante à cette situation, peu importe la valeur de la plainte du patient.
Les suites
[38] La Plaignante déclare qu’elle est sortie de la rencontre sous le choc et les larmes aux yeux. Elle a ensuite vu ses collègues de travail auxquels elle a un peu (parce que méfiante) parlé de cette rencontre. Elle en a notamment parlé à Mme Nault (la personne-référence pour le patient K) qui ne comprenait pas les remarques adressées à la Plaignante.
[39] Par la suite, elle a réduit au minimum ses contacts avec le patient K qui, cependant, recherchait ces contacts.
[40] Les gens lui ont suggéré de faire un grief, ce qu’elle fit avec l’aide du Syndicat le 29 septembre suivant (S-2). Elle déclare qu’elle a fait ce grief parce qu’elle n’avait rien compris aux directives que la coordonnatrice lui avait données. Elle a été victime de fausses accusations. Ce n’est pas son genre de dire « ta gueule » à un patient. On aurait dû lui demander sa version des faits.
[41] Elle a tenté à plusieurs reprises de rediscuter de la situation avec Mme Morissette mais celle-ci a refusé étant donné qu’il y avait son grief pendant. Elle a tenté d’en reparler avec Mme Tremblay qui l’a renvoyée à Mme Morissette. Des collègues dont Mme Nault ont tenté la même démarche auprès de la coordonnatrice, sans succès.
[42] La Plaignante n’a subi aucune mesure disciplinaire en rapport avec l’événement du Ramadan, ni par la suite.
[43] Lors d’une rencontre statutaire d’évaluation, elle a su que le patient K n’avait pas déposé de plainte formelle à son endroit en vertu de la procédure existante (S-3). Cela lui a fait revivre le « dénigrement vexatoire » dont elle avait été l’objet.
[44] Il existe une politique institutionnelle concernant le harcèlement en milieu de travail (S-4). Il est admis que la Plaignante n’y a pas eu recours. La Plaignante déclare qu’elle ne connaissait pas le document établissant cette politique. Elle connaissait toutefois le formulaire qui y est joint en annexe.
[45] La Plaignante déclare également qu’elle n’est pas la seule à avoir subi une de ces rencontres autoritaires sans suites (aucune preuve n’a été administrée à ce sujet). Ce fut toutefois sa seule expérience de ce genre.
[46] Enfin, elle déclare que, suite à son grief, aucun membre de la direction ou des ressources humaines ne l’ont contactée pour en discuter.
[47] Le 9 septembre 2012, la Plaignante a quitté son poste à l’unité D-1 pour un autre poste dans une autre unité.
[48] Mme Morissette, la coordonnatrice, confirme que le patient K, malgré son annonce, n’a pas déposé de plainte formelle au sujet de l’événement du Ramadan.
[49] Après le 31 août, la coordonnatrice s’est absentée pendant trois semaines (i.e. vacances). Elle n’a pas rencontré la Plaignante par la suite au sujet de leur rencontre du 31 août. Elle affirme que ses rapports sont demeurés bons avec elle. Elle n’a pas rencontré la Plaignante de nouveau parce qu’il ne s’agissait que d’une rencontre de sensibilisation et qu’aucune mesure de suivi n’était prévue. La Plaignante ne lui en a pas fait la demande. Si elle l’avait fait, elle aurait accepté. Elle l’a d’ailleurs fait avec l’autre intervenante impliquée qui lui en avait fait la demande.
III. ARGUMENTATIONS
Partie syndicale
[50] Il y a deux versions contradictoires de la rencontre du 31 août. Celle de la Plaignante qui a témoigné avec justesse et aplomb, en fournissant des détails et sans exagération, est plus crédible (à l’appui JS-8). Dès le début, le ton de la coordonnatrice fut direct et arrogant. On a interdit à la Plaignante d’intervenir auprès du patient K sans lui dire que c’était en lien avec l’événement du Ramadan. La Plaignante, bouleversée, n’a pu s’expliquer. Elle a eu l’impression qu’il y avait erreur sur la personne. Elle a ressenti une injustice. Les commentaires étaient incompréhensibles étant donné ses bons rapports avec le patient K.
[51] D’autre part, la coordonnatrice n’a fait aucune enquête autre que de recueillir les propos du patient K. Elle n’a consulté ni les notes au dossier (E-1), ni les autres membres de l’équipe soignante. Se basant sur l’incident somme toute banal du Ramadan, la coordonnatrice a sauté aux conclusions et a généralisé ses reproches au sujet des patients et même mis en cause les collègues de la Plaignante alors qu’il n’y a aucune trace de plainte, autre que celle, non formelle, du patient K. On a induit la Plaignante en erreur. De fait, les notes au dossier au sujet des allégations du patient concernent l’autre intervenante et non pas la Plaignante.
[52] Dans son témoignage, la Plaignante s’en est tenue aux faits. Elle ne travaille plus à l’unité D-1, sous la direction de Mme Morissette. Elle n’entretient pas d’animosité. Elle désire, par son grief, faire rectifier la situation.
[53]
Pour la partie syndicale, il y a eu discrimination au sens large en ce
sens qu’on a manqué de respect et agi avec iniquité. Une forme d’exclusion a
été exercée à l’égard de la Plaignante. On ne se fonde pas sur les motifs de
discrimination prévus à l’article
[54] Ce comportement constitue un manquement à l’article 14.01 des dispositions locales de la convention collective stipulant (S-1A) :
14.01 L’Employeur traite les personnes salariées avec justice, et le Syndicat les encourage à fournir un travail adéquat.
[55] Ce même comportement correspond à la définition que la Politique sur le harcèlement en milieu de travail donne de l’abus de pouvoir (S-4) :
Abus de pouvoir : Une conduite, réalisée par une personne détenant un pouvoir ou une autorité sur une personne ou un groupe, qui se manifeste par des paroles, des menaces, des actes ou des gestes qui sont injustifiés ou excessifs et qui est susceptible de résulter en une perte d’estime de soi, de biens ou de droits pour la personne abusée.
[56] La représentante de l’Employeur a agi avec iniquité et arbitrairement, sans enquête et employant un ton accusatoire à l’endroit d’une personne ayant un dossier vierge (à l’appui, JS-9, cas de traitement inéquitable).
[57]
Subsidiairement, la procureure plaide qu’il y a eu harcèlement
psychologique au sens de l’article
[58] L’Employeur, tant en vertu de la L.n.t. que de la convention collective (art. 31.04), cela étant confirmé par la politique institutionnelle (S-4), a l’obligation de garantir un milieu de travail sain. En vertu de la Politique , la salariée avait droit de recourir au grief plutôt que de déposer une plainte interne (S-4, art. 5.6). L’Employeur ne peut se retrancher derrière le défaut de loger une plainte interne pour justifier son inaction (à l’appui, JS-7). Il se devait d’agir une fois informé d’une allégation de harcèlement, ce qu’il n’a pas fait.
[59] En somme, il y a eu abus de pouvoir en ce que les droits de direction ont été outrepassés. L’arbitre déterminera si cet abus équivaut à du harcèlement psychologique. Une lettre d’excuses à la Plaignante ou déposée à son dossier et rectifiant la situation est réclamée ainsi que 1,000 $ à titre de dommages moraux pour le bouleversement et l’angoisse éprouvés durant les semaines suivant la rencontre du 31 août.
Partie patronale
[60] Après avoir rappelé que la clientèle de l’unité est caractérisée par sa dangerosité et ses réactions imprévisibles, le procureur récapitule les événements qui ont mené à la rencontre du 31 août.
[61] Il retient de la preuve au sujet de cette rencontre qu’il y a eu absence de rencontre des idées. La Plaignante ne comprenait pas qu’il y ait eu une plainte d’un patient avec lequel elle avait de bonnes relations. Cette attitude dénote une méconnaissance de l’imprévisibilité et de la variabilité des émotions du patient. Les commentaires visant à corriger cette attitude ont été réfutés et refusés par la Plaignante.
[62] La rencontre avait pour but de la sensibiliser. Sa perception fut fort différente. Elle y a vu de l’intimidation. Cependant, aucun élément de preuve n’est de nature à faire croire que l’Employeur entretenait un grief à l’égard de la Plaignante. Il est difficile, ayant entendu le témoignage de Mme Morissette, de croire qu’elle ait pu tenir le langage abusif et adopté l’attitude autoritaire que lui prête la Plaignante. Sa perception est déformée. Qu’elle se soit sentie insultée ou incomprise est une chose, mais de là à croire qu’on voulait l’humilier, il y a une marge. Elle a été traitée avec respect. Le message était certes déplaisant, mais cela faisait partie du mandat de la gestionnaire de le livrer.
[63] Par ailleurs, s’il était vrai qu’on accusait la Plaignante, on s’explique difficilement qu’aucune mesure n’ait été imposée ou qu’aucune remontrance n’ait été faite par la suite.
[64] Il n’y a aucun témoignage au sujet d’un stress subi entre cette rencontre et la date du grief (29 septembre),
[65] La rencontre visait à corriger des attitudes et à inciter à la prudence avec le patient, d’où la consigne de ne pas parler à ce dernier de la rencontre et de limiter les contacts avec lui, ce qui est fort différent d’interdire tout contact.
[66] La conduite de Mme Morissette ne constitue pas un abus de pouvoir au sens de la Politique anti-harcèlement (S-4).
[67] Sur le fait qu’il n’y ait pas eu d’autre rencontre après le grief, le procureur rappelle que la Politique S-4 procure les moyens de régler ce genre de situation à l’amiable et que la Plaignante ne s’en est pas prévalue.
[68] Par rapport aux éléments constitutifs d’une situation de harcèlement (JE-1), on rappelle, entre autres, que la rencontre du 31 août n’était pas la manifestation d’un comportement hostile. La coordonnatrice se voulait aidante et misait sur une introspection. Ce fut mal perçu. Il n’y a pas de preuve d’atteinte à la dignité ou à l’intégrité. Le tout fut sans effet sur le milieu de travail et les relations interpersonnelles ont continué, pendant un (1) an, sans ostracisation ou nuisance.
[69] On doit appliquer le critère de ce qu’éprouverait la personne raisonnable dans les mêmes circonstances. Or, le témoignage de la Plaignante dénote une perception très subjective de la rencontre.
[70] Pour qu’il y ait abus du droit de direction, il faut que l’on excède une norme. Or, ici, il s’agissait d’une simple rencontre de gestion sans abus de langage, sans intimidation, menée sur un ton serein, face à une salariée un peu exubérante que l’on voulait faire cheminer vers une meilleure approche, le tout hors de tout contexte disciplinaire.
[71] Il est difficile de qualifier la situation de discriminatoire. Il n’y a pas eu exclusion, distinction ou préférence reliée à des caractéristiques personnelles ou à des motifs prévus à la Charte ou qui aurait eu pour effet d’empêcher l’exercice d’un droit.
[72] Sur le harcèlement, on rappelle le libellé incertain du grief (i.e. « des mesures qui peuvent sembler [être] du harcèlement », S-2). Cette allégation ne repose sur aucun élément factuel. Le comportement postérieur de la Plaignante ne démontre pas que la rencontre ait eu des effets nocifs. S’il y a eu blessure d’amour-propre, elle vient de l’incompréhension de la Plaignante face à la plainte du patient.
[73] On demande donc le rejet du grief.
IV. ANALYSE ET DÉCISION
[74] Le grief a deux fondements. Premièrement, on soutient que l’Employeur a, par sa représentante Mme Morissette, manqué à son obligation de traiter la Plaignante avec justice comme le prévoit l’article 14.01 des dispositions locales de la convention collective (S-1A). Plus précisément, il y aurait eu abus du droit de direction ou exercice excessif et arbitraire de l’autorité patronale par la coordonnatrice. Celle-ci aurait commis un abus de pouvoir en usant de paroles et de gestes injustifiés ou excessifs à l’endroit de la Plaignante. Elle aurait agi arbitrairement en faisant des fausses allégations, sans enquête et sur un ton accusatoire. Il s’agirait d’un traitement inéquitable et nuisible.
[75]
En second lieu, on soutient qu’il y a eu harcèlement psychologique au
sens de l’article 31.03 de la convention collective nationale (S-1) qui
reproduit la définition qu’en donne l’article
(…) Une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou de gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique de la personne salariée et qui entraîne, pour celle-ci, un milieu de travail néfaste.
[76] Cette même définition ajoute (ibid.) :
Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour la personne salariée.
[77] On convient qu’en l’espèce, nous sommes dans le cas d’une seule conduite ou, autrement dit, d’un seul événement, à savoir la rencontre du 31 août 2011.
[78] Il importe de reconnaître que les notions d’abus de l’autorité patronale et de harcèlement psychologique se recoupent, dans le présent dossier du moins. La partie syndicale, invoquant l’abus de droit de direction, considère que la conduite visée correspond à un « abus de pouvoir » au sens de la Politique de l’Employeur en matière de harcèlement psychologique (S-4). Je répète cette définition de l’abus de pouvoir :
Une conduite réalisée par une personne détenant un pouvoir ou une autorité sur une personne ou un groupe, qui se manifeste par des paroles, des menaces, des actes ou des gestes qui sont injustifiés ou excessifs et qui est susceptible de résulter en une perte d’estime de soi, de biens ou de droits pour la personne abusée.
[79] Cette politique, de fait, constitue une concrétisation de l’obligation faite, à l’Employeur, par la convention collective (art. 31.04 al. 2) et par la L.n.t. (art. 81.19, al. 2, textes identiques) : « …de prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser ».
[80] Si cette obligation fait partie de la convention collective, la Politique comme telle n’en fait pas partie. En ce sens, elle ne lie pas l’arbitre qui n’a pas à décider du grief sur la base de ses dispositions sauf dans la mesure où elle reproduit la L.n.t..
[81] Néanmoins et sous cette réserve, il m’apparaît utile d’en citer certains extraits qui élaborent sur la notion d’abus de pouvoir à laquelle se réfère explicitement l’argumentation syndicale. Notons au surplus que la doctrine considère que l’exercice abusif du droit de direction ou de l’autorité patronale constitue une des formes du harcèlement psychologique (voir notamment JS-4 annexe).
[82] Ainsi, on retrouve à la Politique sur le harcèlement psychologique les extraits suivants où il est question de l’abus de pouvoir. À l’article 7.1 traitant du cadre administratif dans lequel la politique s’applique, on peut lire (S-4) :
Les gestionnaires ont le droit et la responsabilité :
Ø de fixer des objectifs, d’attribuer des tâches, d’évaluer le rendement, de donner des conseils et de faire respecter la discipline. Il importe de préciser que l’exercice légitime par les représentants de l’employeur de leur responsabilité de gestionnaire (évaluation de rendement, mesure disciplinaire, affectation de travail, etc.) ne constitue pas de l’abus de pouvoir . Il faut savoir distinguer le simple exercice de ces pouvoirs de leur utilisation abusive. À des fins d’illustration seulement, l’annexe 2 de la présente politique énumère de façon non limitative des comportements qui peuvent ou non être qualifiés de harcèlement ;
Ø d’exercer leur autorité (de façon non abusive et non discriminatoire) ;
Ø d’instaurer toute mesure nécessaire au bon fonctionnement du ou des services dont ils ont la responsabilité ;
Ø d’intervenir lors de situations problématiques.
[83] Quant à l’annexe 2, elle comporte certains exemples de situations pouvant ou ne pouvant pas être associées à du harcèlement et ce, à titre purement indicatif (S-4) :
Guide pour déterminer ce qui constitue du harcèlement
Note : il s’agit d’une liste non exhaustive
Ce qui constitue clairement du harcèlement |
Ce qui en général ne constitue pas du harcèlement
|
§ Remarques grossières dégradantes ou offensantes, concernant des caractéristiques physiques d’une personne ou son apparence
§ Affichage de photos ou envoi de courriel de nature sexiste ou raciale |
§ Répartition de la charge de travail
§ Suivi des absences
§ Exigence d’un rendement conforme aux normes de travail déterminées par l’employeur
§ Imposition de mesures disciplinaires
§ Incident unique ou isolé comme une remarque déplacée ou des manières abruptes (sous réserve des cas graves) |
§ Confier de façon répétée à un employé des tâches sans intérêt ou ingrates qui ne font pas partie de ses fonctions normales |
§ Refuser l’octroi d’un emploi en raison d’exigences professionnelles légitimes visant à s’assurer de l’exécution du travail de façon sûre et efficace
§ Évaluation de rendement |
§ Menaces, intimidation ou représailles contre un employé |
|
§ Invitations importunes à des activités sociales ou flirt importun
§ Contacts physiques non sollicités
|
§ Geste amicaux entre collègues de travail |
§ Remarques suggestives à connotation sexuelle |
|
[84] Je retiens de ces extraits qu’ils tentent pertinemment de distinguer l’exercice normal et légitime des droits de direction de leur exercice ou utilisation abusive dans le contexte des rapports de travail lorsqu’ils impliquent des relations interpersonnelles hiérarchisées.
[85] Ce qui est fondamentalement en cause ici, c’est le traitement possiblement vexatoire et inéquitable de la Plaignante par sa supérieure hiérarchique à l’occasion de la rencontre du 31 août. Il s’agit de déterminer si cette conduite équivaut (a) à un exercice abusif de l’autorité patronale et, partant des droits de direction et/ou (b) à du harcèlement psychologique au sens de la convention collective et de la L.n.t .. Dans ce dernier cas, je me référerai à la décision-phare qu’est la sentence de l’arbitre François Hamelin (produite par les deux parties) dans Centre hospitalier régional de Trois-Rivières -et- Syndicat professionnel des infirmières et infirmiers de Trois-Rivières (JS-6 et JE-3).
[86] Avant d’en venir à cette étape, il y a lieu d’évaluer la preuve au sujet des propos et attitudes qui, de part et d’autre, ont marqué la rencontre du 31 août. La qualification de ces propos et attitudes déterminera s’il y a eu excès dans l’exercice de l’autorité et/ou s’il y a eu harcèlement psychologique. Une difficulté de taille nous attend cependant ici. En effet, les versions de la Plaignante et de la coordonnatrice sont, sur des aspects essentiels ou critiques, largement contradictoires comme on l’aura constaté de mon résumé de la preuve.
[87] Pour apprécier équitablement chaque version, il m’apparaît approprié d’examiner d’abord l’état d’esprit dans lequel la coordonnatrice et la Plaignante se trouvaient avant que la rencontre ne débute.
Les états d’esprit pré-existants
[88] Mme Morissette, à titre de coordonnatrice responsable de l’unité D-1, a pris la décision de convoquer la Plaignante à cette rencontre. La veille, le patient K avait requis d’elle qu’elle vienne le rencontrer. Il s’est alors plaint de deux sociothérapeutes, dont la Plaignante, disant qu’elles lui avaient manqué de respect et qu’elles se prenaient pour « les boss de Pinel ». On lui aurait crié après. À l’occasion du Ramadan, on l’aurait fait attendre pour lui servir son repas et l’une des sociothérapeutes en cause lui aurait dit que les aménagements lui permettant d’observer le Ramadan constituaient un privilège. Il manifestait du désarroi et disait « se retenir ». Envisageant la possibilité que ces propos soient délirants, la coordonnatrice a fait voir le patient par le médecin attitré à l’unité, en présence de la personne-ressource de ce patient (Mme Nault) et d’elle-même. Le patient a répété ses griefs à l’égard des deux intervenantes (E-1) et annoncé qu’il porterait plainte formellement. Le médecin a considéré son état mental comme stable tout en trouvant la situation anxiogène. Une médication fut proposée et refusée. Mme Morissette a conclu de cela qu’il lui fallait rencontrer les deux sociothérapeutes, séparément. Dans le cas de la Plaignante, la situation était moins grave. C’est pourquoi elle affirme que le but de la rencontre était de la sensibiliser à la situation et de discuter de ses attitudes. Il n’était pas question d’user de discipline. Elle a demandé la présence de Mme Tremblay, l’assistante coordonnatrice, qu’elle a sommairement informée des plaintes et de l’état d’esprit du patient K.
[89] On a relevé que la coordonnatrice n’avait pas poussé son enquête au-delà de recueillir les propos du patient et l’avis du médecin. Elle n’a ni consulté les notes au dossier du patient ni les membres du personnel en fonction lors d’un incident ayant marqué le début du Ramadan.
[90] Je ne crois pas, avec respect pour l’opinion contraire, que ces abstentions aient constitué, à ce stade, un exercice arbitraire du droit de direction et cela pour deux raisons. Tout d’abord, la coordonnatrice n’envisageait pas une approche disciplinaire qui, si cela avait été le cas, aurait nécessité un processus d’enquête préalable à l’énonciation de reproches précis. Ensuite, ce qui importait était l’état d’esprit actuel du patient bien davantage que les faits générateurs de cet état qui remontaient à plusieurs semaines. Cet état d’esprit manifestait non pas la réalité de l’événement du Ramadan mais celle de la perception qu’en avait conservé le patient. C’est cette perception qui était la cause première de la décision de rencontrer la Plaignante et qui allait au premier chef lui être reflétée.
[91] Il était de la responsabilité de la coordonnatrice d’entreprendre cette démarche. Il lui revenait et il était légitime d’intervenir lors d’une situation problématique et de prendre toute mesure raisonnablement nécessaire au bon fonctionnement du service et au traitement adéquat du patient par les intervenantes sous sa responsabilité. On peut même ajouter que la Plaignante était en droit d’être informée de tout élément pertinent à l’accomplissement de ses tâches, ce qui incluait la perception de ses interventions auprès du patient K.
[92] Qu’en est-il par ailleurs de l’état d’esprit de la Plaignante au moment où elle apprend sa convocation à cette rencontre ? Elle revient de vacances. Elle suppose qu’on veut lui parler du nouveau poste qu’elle occupera bientôt. Quant au patient K, il lui a déjà récemment manifesté une empathie sinon un attachement authentique (carte de vœux). Il sera le premier à l’accueillir à son retour de vacances. Pour la Plaignante, ses rapports avec lui sont bons. Il n’y a donc pas à s’étonner que la rencontre aura, pour elle, un effet de surprise désagréable.
La rencontre
[93] La rencontre s’engage donc et entrent en jeu les versions plutôt inconciliables des deux personnes centralement en cause, Mme Tremblay étant dans un rôle d’observatrice. Il est particulièrement difficile de départager ces versions. Le faire à l’aulne des critères classiques de crédibilité en matière d’appréciation de témoignages contradictoires m’apparaît périlleux et potentiellement injuste. Ce fut une conversation menée, en bonne partie, à bâtons rompus. Personne n’a pris de notes. Rien ne garantit la chronologie du déroulement. Il n’y a pas d’ordre du jour précis. Aucun écrit n’est remis. Dans les témoignages, il y a - et les frontières sont difficiles à tracer - les paroles qui se sont dites, les motivations derrière ces paroles, la perception qu’on en a eues alors et l’interprétation que l’on en fait ensuite, puis au moment de témoigner. Il serait vain d’analyser chaque bout de phrase ou terme rapporté dans la perspective de prendre un témoin en défaut. Les deux témoins se sont exprimés franchement, sans animosité et avec cohérence. À certains égards cependant, le témoignage de Mme Tremblay, moins impliquée dans la discussion, fournira des repères utiles.
[94] En révisant et en comparant les témoignages, il est possible de se faire une représentation vraisemblable du déroulement de cette rencontre. Elle a débuté par une mise en situation de la part de la coordonnatrice concernant des sujets de plainte du patient K qui a donné lieu à une certaine discussion. Puis cette discussion s’est élargie et a porté sur des traits de personnalité de la Plaignante. Elle s’est conclue par des directives. Je traiterai distinctement des suites immédiates et plus lointaines de cette rencontre. En analysant ces différentes étapes, je m’en tiendrai aux éléments qui m’apparaissent essentiels, c’est-à-dire à ceux qui dénoteraient des abus et/ou des vexations.
La mise en situation
[95] Les témoignages concordent sur le fait que la coordonnatrice a débuté la rencontre en prévenant la Plaignante qu’elle ne serait pas agréable et en faisant état des déclarations que lui avait fait le patient K à son sujet. Il est vraisemblable qu’elle ait rapporté des propos exprimés dans un langage « cru » et accusatoire (i.e. « me traiter comme un chien », « comme de la m… », « se prendre pour un boss de Pinel », etc.). Il est plausible que la Plaignante se soit sentie accusée et dévalorisée par cette entrée en matière. Il ne faut toutefois pas confondre le message et la messagère. Il m’apparaît que de faire état de propos vexatoires et ressentis comme injustes émanant d’un tiers (le patient) doit être distingué du fait de rapporter, en tant que supérieure hiérarchique, ces mêmes propos en s’adressant directement à la Plaignante.
[96] La discussion qui a suivi a d’abord porté sur les griefs du patient. La Plaignante déclare qu’elle a voulu réagir mais que la coordonnatrice l’a rabrouée, lui imposant le silence, mécontente, sur un ton autoritaire et la pointant du doigt. Elle a poursuivi en disant que le patient avait été évalué par le médecin, que son état était stable et que, pour elle (la coordonnatrice), les propos du patient étaient véridiques.
[97] Cette version est contredite par la coordonnatrice et par Mme Tremblay. Dans des termes différents, toutes deux ont déclaré que le ton était serein, qu’il fut question de l’incident du Ramadan et que, dès l’entrée en matière, la Plaignante a exprimé son désaccord et son incompréhension face aux propos rapportés du patient. Elle a fait état de ses bonnes relations avec lui qui l’avait bien accueillie à son retour de vacances. Elle niait qu’elle lui ait manqué de respect. Selon Mme Tremblay, la Plaignante est revenue sur ces arguments à plusieurs reprises en s’exprimant vigoureusement, c’est-à-dire avec conviction. En contre-interrogatoire, la Plaignante a reconnu avoir soutenu ces arguments.
[98] Cela m’amène à préférer la version de mesdames Morissette et Tremblay. Je considère qu’il n’y a pas de preuve prépondérante qu’on ait imposé le silence à la Plaignante ou qu’elle fut empêchée de s’exprimer, ce qui, autrement, aurait été une attitude hostile, vexatoire et abusive.
L’élargissement de la discussion
[99] Témoignant la première (en l’absence de mesdames Morissette et Tremblay), la Plaignante déclare qu’on l’a accusée d’avoir « trop de plaisir » avec les patients. Alors qu’elle tentait de réagir, la coordonnatrice lui a dit de ne pas la prendre pour une patiente psychiatrisée et que sa façon de parler était agressante. Elle n’avait pas de difficulté à croire que « si tu parles comme ça aux patients, ils se sentent agressés ».
[100] Il y a lieu de constater ici une bifurcation dans la conversation qui prend une tournure plus généralisatrice ayant pour objet l’attitude de la Plaignante à l’égard des patients. En contre-interrogatoire, celle-ci reconnaît d’ailleurs qu’elle a probablement déclaré qu’elle avait une forte personnalité et qu’elle « prenait de la place ».
[101] Les témoignages de ses deux interlocutrices sont plus explicites sur ce sujet. Selon la coordonnatrice, c’est lorsqu’elle a tenté d’expliquer qu’on voulait regarder avec elle son attitude et la perception qu’en avait le patient K, que la Plaignante a mis de l’avant qu’il était dans sa personnalité de parler fort, de gesticuler et d’être enjouée. Elle lui a alors indiqué qu’avec les patients, les attitudes sont interprétées et que cela pouvait lui causer des difficultés. Sans changer sa personnalité, elle devrait être plus neutre et professionnelle avec les patients. La Plaignante continuait d’argumenter avec conviction en invoquant sa personnalité.
[102] Le témoignage de Mme Tremblay m’apparaît révélateur sur cette phase de la discussion. Selon elle, la Plaignante semblait décontenancée par ce qui avait été dit de ses rapports avec le patient K. On lui a fait remarquer qu’elle était trop expansive avec les patients. La Plaignante, fébrile, parlait et gesticulait beaucoup. Elle argumentait fermement. C’est alors que Mme Tremblay, qui n’était pas intervenue jusque là, lui a fait la remarque que si elle adoptait une attitude aussi expansive et argumentative avec les patients, cela pouvait être difficile pour ceux-ci.
[103] La coordonnatrice déclare que la Plaignante a alors répondu que son attitude avec les patients en était une de transparence.
[104] Il est donc avéré qu’à partir du cas du patient K, la discussion a évolué vers un sujet plus général, à savoir les attitudes de la Plaignante envers les patients. C’est dans ce cadre que la Plaignante a invoqué certains traits de sa personnalité. Il faut noter que c’est elle qui a placé la discussion sur ce registre plus personnel. Face à cela, ses interlocutrices ont plutôt insisté sur le champ plus limité et objectif de ses attitudes dans ses relations avec les patients en soulignant le caractère réel de leurs perceptions et leurs possibles effets défavorables. En un mot, elles ont conseillé moins d’exubérance et de contrôle et plus de neutralité et de professionnalisme.
[105] Avec respect, dans un semblable contexte et dans la dynamique de cette discussion, il m’est difficile de considérer les propos tenus par mesdames Morissette et Tremblay comme abusifs. Il est normal et légitime pour des supérieurs hiérarchiques de préconiser des attitudes reliées aux caractéristiques de la clientèle que le personnel a pour mission d’encadrer.
[106] J’estime également que les remarques adressées à la Plaignante n’avaient rien d’hostile ou de vexatoire dans la mesure où elles ne visaient pas tant des caractéristiques personnelles que des attitudes professionnelles. Je comprends par ailleurs qu’on puisse éprouver certains sentiments de dévalorisation ou des blessures d’amour-propre en pareille circonstance. Cela ne suffit pas cependant à qualifier les remarques à caractère professionnel d’atteinte à la dignité de la personne. Il semble que la Plaignante ait éprouvé certaines difficultés à accepter ou assimiler cette distinction.
Les directives
[107] Selon la Plaignante, la coordonnatrice lui aurait donné les ordres ou directives suivantes : (1) que le patient K ne soit pas informé de la teneur de leur discussion, (2) que, même s’il y avait lieu de le faire, elle n’intervienne plus auprès du patient K ni qu’elle ait des contacts avec lui et (3) que cela ne paraisse pas dans son attitude. Ces mêmes directives, lui a-t-on dit, s’appliquaient à l’autre intervenante dont s’était plaint le patient. La Plaignante déclare qu’elle a représenté qu’il serait impossible d’appliquer l’interdiction d’intervention et de contact étant donné qu’elle et l’autre intervenante travaillaient souvent de pair à l’unité et qu’il leur fallait veiller à la sécurité des patients. La coordonnatrice lui a néanmoins réitéré ses directives.
[108] La version de la coordonnatrice et de son assistante, Mme Tremblay, est toute autre.
[109] Mme Morissette déclare que la discussion ne menait nulle part. Elle a exposé à la Plaignante une « attente », à savoir de faire attention dans ses contacts avec le patient K parce qu’il était exaspéré et qu’il s’était plaint. Elle lui a dit qu’il n’était pas nécessaire qu’elle intervienne auprès de lui, le temps qu’il revienne à de meilleures dispositions. Elle lui demandait de prendre ses distances. Elle ne se souvient pas d’avoir interdit toute intervention. Cela aurait été impossible à réaliser selon elle.
[110] Mme Tremblay déclare qu’il y avait manque de communication et que c’est ce qui a causé la fin de la rencontre. La coordonnatrice a demandé à la Plaignante de ne pas parler de sa plainte au patient K et de faire attention dans ses rapports avec lui étant donné sa fragilité. Il n’y a pas eu d’interdiction de contact.
[111] Mme Morissette déclare que la Plaignante s’est déclarée d’accord du « bout des lèvres » avec la limitation de ses rapports avec le patient K. La Plaignante déclare qu’elle a limité ses contacts avec le patient à ce qui était inévitable.
[112] J’en retiens que la coordonnatrice a émis des directives à la Plaignante. Elle lui a demandé de ne pas discuter avec le patient K de sa plainte et de leur rencontre. Compte tenu du motif (fragilité du patient et sujet anxiogène selon l’avis du médecin), cette directive n’avait rien d’abusif ou de déraisonnable.
[113] J’estime qu’il n’y a pas de preuve prépondérante que la coordonnatrice ait interdit tout contact et toute intervention de la Plaignante auprès du patient. D’avoir prêté à la coordonnatrice que cet ordre fut donné « même s’il y avait lieu d’intervenir » m’apparaît excessif et peu crédible. Par contre, il y a bel et bien eu directive de limiter les contacts et les interventions pour un certain temps afin de ne pas stimuler les perceptions négatives du Plaignant. Encore ici, compte tenu du motif, pareille directive n’avait rien de déraisonnable ou d’abusif.
[114] L’interdiction de toute intervention et de tout contact m’apparaît d’autant plus improbable que tous s’entendent pour dire que cela eût été impossible. Ajoutons que pareil ordre aurait normalement fait l’objet d’un suivi, d’une note au dossier, d’un contrôle ou d’une surveillance, ce qui ne fut pas le cas d’après la preuve qui traite pourtant des suites de la rencontre.
Les suites
[115] Dernière contradiction majeure : la Plaignante déclare qu’elle, ainsi que des collègues, ont tenté à plusieurs reprises, après son grief, d’obtenir que la coordonnatrice rencontre à nouveau la Plaignante afin que l’on s’explique. La coordonnatrice aurait refusé dans tous les cas en invoquant comme motif qu’il y avait un grief pendant.
[116] Aucun témoin autre que la Plaignante ne corrobore ces tentatives auprès de la coordonnatrice.
[117] Cette dernière déclare ne pas avoir reçu une telle demande et qu’elle l’aurait acceptée puisqu’elle l’a fait dans le cas de l’autre intervenante.
[118] Malgré cette absence de rencontre et le grief, la Plaignante ainsi que Mme Morissette déclarent que leurs rapports sont demeurés et sont encore cordiaux.
[119] J’estime qu’il n’y a aucune conclusion à tirer de ces suites tant au plan d’un exercice abusif des droits de direction qu’au plan d’un indice de harcèlement psychologique. Ces suites confirment toutefois que nous sommes face à un (1) événement isolé (la rencontre du 31 août).
[120] Au plan des séquelles, la Plaignante déclare qu’elle est sortie de la rencontre les larmes aux yeux et sous le choc. Elle a décidé dans les semaines suivantes de renoncer à un autre poste qu’elle avait obtenu et de demeurer au D-1. Elle a su que le patient n’avait finalement pas porté plainte formellement selon la procédure à cet effet (S-3). Cela lui a fait revivre le dénigrement vexatoire et les fausses accusations dont elle avait été l’objet.
Synthèse
[121] Après avoir révisé la preuve, j’en viens à la conclusion qu’elle n’établit pas un exercice abusif, arbitraire, déraisonnable ou discriminatoire des droits de direction. J’estime qu’il n’y a pas eu un traitement inéquitable ou injuste de la Plaignante. L’Employeur, représenté par la supérieure hiérarchique de la Plaignante, a exercé son autorité de façon mesurée en informant la Plaignante d’une situation problématique avec un patient et dans l’intérêt de ces deux personnes. Il a fait de même en conseillant la Plaignante sur des attitudes professionnelles justifiées à adopter au travail et il n’a commenté certains de ses traits de personnalité que parce qu’ils ont été invoqués par la Plaignante elle-même. Ce faisant, il s’en est tenu à des attitudes requises en relation avec la prestation de travail. Enfin, les directives données étaient fondées sur des motifs réels et raisonnables et n’avaient rien d’excessif dans les circonstances.
[122] Vu sous l’angle de l’abus de pouvoir défini à la Politique en matière de harcèlement en milieu de travail (S-4), définition invoquée par la partie syndicale, je considère que la preuve ne démontre pas qu’il y ait eu des paroles, menaces, actes ou gestes qui aient été injustifiés ou excessifs.
[123] J’en arrive à la même conclusion quant à l’autre fondement du grief, alléguant une conduite constituant du harcèlement psychologique.
[124] À ce sujet, je me réfère à la sentence arbitrale dans le dossier Centre hospitalier régional de Trois-Rivières (JS-6 et JE-3) déjà mentionnée précédemment. L’arbitre Hamelin y dissèque le concept de harcèlement psychologique en cinq éléments : (1) une conduite vexatoire, (2) répétitive et qui s’étale dans le temps (à l’exception d’une « seule conduite grave », j’y reviendrai), (3) qui est hostile ou non désirée, (4) portant atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique et (5) qui entraîne pour la victime un milieu de travail néfaste.
[125] Je ne reviens pas sur l’élément conduite vexatoire dont j’ai traité plus haut. Je rappelle simplement que les propos tenus par la coordonnatrice, selon mon appréciation de la preuve, ne constituaient pas du dénigrement et de l’humiliation.
[126] La conduite ou le comportement visé se limitait à un événement. Elle peut constituer néanmoins du harcèlement si, portant atteinte à la dignité ou à l’intégrité, elle produit un effet nocif continu pour la personne salariée. Comme l’indique la Cour d’appel dans l’arrêt Habachi c. Commission des droits de la personne et al. (JS-3, p. 10, juge Jean-Louis Baudouin citant la Commission des droits de la personne dans un document intitulé « Politique visant à contrer le harcèlement sexuel au travail », 1987, D.L.Q. 491, p. 495) :
En général un acte isolé ne constitue pas du harcèlement au sens de la Charte. Toutefois, il arrive qu’un seul acte soit susceptible d’engendrer une crainte raisonnable d’une détérioration des conditions de travail. Il arrive aussi qu’un acte isolé s’accompagne de menaces directes ou implicites. Dans ce cas, l’acte reproché n’est pas vraiment isolé puisque ses effets nocifs continuent de se perpétrer et de se répéter dans le temps. C’est pourquoi un seul acte grave qui engendre un effet nocif continu pourra exceptionnellement être qualifié de harcèlement.
[127] La conduite ou l’acte grave dont il est question ici est celui qui cause un traumatisme qui se répercutera de façon continue ou durant une certaine période. D’après la preuve, la Plaignante est sortie de la rencontre ébranlée et perturbée. Toutefois, on ne discerne pas que cet état se soit prolongé dans le temps, ni que les propos tenus aient eu des effets nocifs ou délétères dans son milieu de travail. La Plaignante déclare de plus que ses rapports avec la coordonnatrice sont demeurés cordiaux. Il en fut de même pour cette dernière.
[128] Le comportement hostile est décrit comme agressif, antagoniste ou menaçant. Dans l’appréciation d’une situation, l’arbitre Hamelin fait la distinction suivante (JS-6, para. [227] ) :
Dans une situation conflictuelle, la conduite des deux parties en litige est centrée sur l’objet même du litige à résoudre, tandis que dans une situation de harcèlement, la conduite de l’une des parties est centrée sur l’autre, de manière répétitive, et met en cause sa dignité ou son intégrité.
[129] Si l’on tente d’appliquer cette distinction en l’espèce, on constate que la rencontre était essentiellement centrée sur la plainte du patient K et sur l’attitude à adopter vis-à-vis celui-ci. C’est au fil de la discussion, la Plaignante mettant elle-même en cause certains de traits de sa personnalité, que la discussion a porté non pas tant sur ces traits que sur l’attitude à maintenir en général avec les patients. La coordonnatrice a tenté, sans grand succès semble-t-il, d’insister sur les perceptions du patient et sur la nécessité d’adopter un profil plus neutre. En cela on ne peut dire qu’elle ait attaqué la dignité ou l’intégrité de la Plaignante.
[130] Toujours selon l’analyse de l’arbitre Hamelin, citant l’arrêt Hôpital Saint-Ferdinand de la Cour suprême en matière d’atteinte à l’intégrité, on peut lire (JS-6, para. [177]) :
L’atteinte doit affecter de façon plus que fugace l’équilibre physique, psychologique ou émotif de la victime.
[131] En regard de la dignité, l’atteinte doit avoir un effet dégradant et laisser des marques ou des séquelles.
[132] De plus, pour qu’il s’agisse de harcèlement psychologique, semblable atteinte doit entraîner pour la victime un milieu de travail néfaste. Dans son cadre ou environnement de travail, la victime doit subir un contrecoup nuisible, défavorable, dommageable.
[133] Comme je l’ai mentionné plus haut à l’égard d’autres éléments, la preuve ne démontre pas de telles répercussions.
[134] C’est pourquoi j’en viens à la conclusion qu’il n’y a pas eu démonstration d’un acte ou d’une conduite constituant du harcèlement psychologique au sens de la convention collective et de la L.n.t..
[135] Enfin, je ne tire aucune conclusion particulière du fait que la Plaignante ait opté pour un grief plutôt que pour une plainte interne en vertu de la Politique anti-harcèlement de l’institution (S-4). C’était son droit et rien n’aurait empêché qu’elle exerce les deux recours (S-4, art. 5.6). Le recours à la plainte interne aurait possiblement eu pour effet de provoquer une explication dans un cadre autre qu’un arbitrage qui demeure inévitablement contradictoire, parfois antagonisant. On ne peut que souhaiter que la Plaignante et son ex-coordonnatrice qui affirment maintenir des rapports cordiaux aient, avec l’aide de l’Employeur et du Syndicat ou de leur propre initiative, une telle rencontre d’explication tout en espérant que la présente sentence arbitrale ne constitue pas une entrave ou une nuisance à une discussion profitable.
V. DISPOSITIF
POUR TOUS CES MOTIFS, L’ARBITRE REJETTE LE GRIEF No 2011-222 DE MADAME SABRINA BROUSSEAU.
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_____________ _________ Me Carol Jobin, arbitre |
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Pour la partie syndicale : |
Me Sara Poisson (Lamoureux, Morin) |
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Pour la partie patronale : |
Me Claude Turcotte (Loranger, Marcoux) |
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Nomination : |
par les parties, 21 décembre 2011 |
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Audiences : |
Montréal, 2 octobre et 13 novembre 2012 |
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ANNEXE : COMPOSITION DU DOSSIER
A) Pièces
S-1 Convention collective 2010-2015
S-1A Dispositions locales (10-01-07)
S-2 Grief 2011-222, Sabrina Brousseau (29-09-11)
S-3 IPPM, Procédure d’examen des plaintes : affichage et devoirs des intervenants (07-04-98)
S-4 IPPM, Harcèlement en milieu de travail (mod. 08-12-11)
S-5 Patient K, Carte de vœux à S. Brousseau
S-6 Patient K, Carte de vœux à S. Brousseau
E-1 IPPM (divers intervenants), Observations du soignant, Patient K (08-08-11 au 11-09-11)
E-2 Nicole Morissette, Curriculum vitae
E-3 Description de fonction, Sociothérapeute (rév. 07-04-08)
B) Témoins
Mme Sabrina Brousseau, sociothérapeute et plaignante
Mme Marion Boutin, commis d’unité
Mme Nicole Morissette, coordonnatrice de programme
Mme Christiane Tremblay, assistante-coordonnatrice d’unité
C) Autorités soumises
- Partie syndicale
JS-1 Palmer, G. et Rivest, R.L., « Les nouvelles normes de protection en cas de harcèlement psychologique au travail », in : SFPBQ, Développements récents en droit du travail, vol. 205, Éditions Yvon Blais, 2004 (extraits)
JS-2 Bangia c. Nadler Danino, 2006 QCCR 0419
JS-3 Habachi c. Commission des
droits de la personne du Québec et al., C.A.,
JS-4 Lamy, F., « Définir le harcèlement et la violence psychologique en milieu syndiqué : les hésitations des uns, les difficultés des autres », in : SFPBQ, Développements récents en droit du travail, vol. 190, Éditions Yvon Blais, 2003 (extrait)
JS-5 Dumont c. Matériaux Blanchet
inc.,
JS-6 Centre hospitalier régional de
Trois-Rivières (Pavillon Saint-Joseph) -et- Syndicat professionnel des
infirmières et infirmiers de Trois-Rivières,
JS-7 Collège Beauce-Appalaches -et- Syndicat des enseignantes et enseignants du Collège Beauce-Appalaches, SAET 7952 (J.-M. Morency, arb.)
JS-8 Casavant Frères ltée -et- Syndicat des employés de Casavant Frères limitée (CSD), grief #8, 26 juin 1986 (R. Marcheterre, arb.)
JS-9 Magasin Coop de Rivière-du-Loup -et- Travailleurs et Travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, s.l. 503, grief no 33259, 20 janvier 2005 (G. Filion, arb.)
- Partie patronale
JE-1 Long c. Héma-Québec,
JE-2 Matton c. Pfizer Canada inc.,
JE-3 Centre hospitalier régional de
Trois-Rivières (Pavillon Saint-Joseph) -et- Syndicat professionnel des
infirmières et infirmiers de Trois-Rivières,
JE-4 Syndicat de la Fonction
publique du Québec -et- La Bibliothèque nationale du Québec,
JE-5 Béliveau, N.-A., Les normes du travail, 2 e éd., Éditions Yvon Blais (extraits)