TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N o de dépôt : 2013-1465

 

Date: 13 décembre 2012

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :            Me Pierre Laplante

 

 

                                                                  ENTRE

 

 

 

Le syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 2011 (SCEP)

 

Ci-après appelé le syndicat                 

 

ET

 

 

Bathium Canada inc.

 

Ci-après appelé l ’employeur

 

 

 

Griefs : 201172127 et 201172130

 

 

Pour l’employeur :                Me Katherine Poirier

                                               Borden Ladner

                                              

                                              

Pour le syndicat :                  M. Jean-Pierre Gallant

                                               Représentant syndical

                                              

                                              

 

DÉCISION ARBITRALE

(En vertu du code du travail du Québec, art. 100 et ss)

 

 

 

 

 

PRÉLIMINAIRES

 

[1]          Cette décision arbitrale traite du fait que l’employeur ne paie pas une prime de disponibilité prévue à la convention collective.

[2]          Les parties ont reconnu que l’arbitre avait compétence et qu’il avait été régulièrement saisi des griefs.

 

 

 

LES FAITS

 

[3]          Bathium Canada inc. est une compagnie qui se spécialise dans le développement et la commercialisation de la batterie au lithium (LMP).

[4]          La main d’œuvre de l’entreprise  s’élève à quelque 70  salariés. Une dizaine de salariés font partie du service de l’entretien (maintenance) et 6 de ces 19 salariés sont ciblés par les deux griefs sous étude, à savoir les salariés appelés à être en disponibilité alors qu’il n’y a plus personne sur les lieux du travail.

[5]          À cause de la nature des produits utilisés dans la fabrication de ces batteries, un certain degré d’humidité doit constamment être maintenu à l’intérieur de l’entreprise à défaut de quoi certaines composantes des batteries seront perdues. Il en résulterait donc des pertes matérielles et financières pour la compagnie.

[6]          Conséquemment, les lieux doivent être sous constante surveillance, 24 heures sur 24, 7 jours par semaine, à l’année longue.

[7]          Lorsque l’entreprise est en opération, le problème de la surveillance ne se pose pas puisque les employés sur place peuvent intervenir rapidement et régler tout problème qui survient.

[8]          Par ailleurs, lorsque l’entreprise n’opère pas et que l’usine est désertée, alors il devient nécessaire d’assurer autrement la surveillance des lieux.

[9]          Les parties ont prévu ce type de surveillance dans la convention collective.

[10]       À tour de rôle, à chaque semaine, un salarié des salariés du service de l’entretien doit être disponible, sur appel, pour répondre à une alarme.

[11]       En cas de problème, le système d’alarme de l’usine envoie un appel sur un « paget », « paget » qui en tout temps doit être à la portée du salarié de garde.

[12]       Ainsi, la surveillance des lieux, et plus particulièrement le degré d’humidité à l’intérieur de certains endroits, sont assurés.

[13]       Le litige ayant donné naissance aux griefs sous étude survient au printemps 2011.

[14]       Avant la fin du mois de mai 2011, les salariés travaillaient sur deux quarts de travail de 8 heures. Un quart de jour et un quart de soir.

[15]       Les lieux de l’entreprise étaient donc désertés la nuit et les fins de semaine.

[16]       Jusqu’à la fin mai 2011, les salariés en disponibilité recevaient une prime de 425,00 $ par semaine en contrepartie de la disponibilité susmentionnée.

[17]        Le 18 mai 2011, le chef principal « Opération » de l’employeur, M. Simon Laquerre, annonce qu’à compter du 30 mai 2011 un changement dans les horaires de travail sera effectué. Essentiellement, l’entreprise veut instaurer des horaires de travail de 12 heures par jour.

[18]       C’est, de fait, l’horaire qu’établit à cette époque l’employeur, soit  du lundi au vendredi de chaque semaine.

[19]       Il en résulte que l’employeur n’a plus besoin d’employés en disponibilité que la fin de semaine puisque avec ces nouveaux horaires, les salariés travaillent de jour et de nuit durant toute la semaine de travail.

[20]       Dans la foulée de la mise en application des nouveaux horaires, l’employeur a réduit la prime de disponibilité au pro rata des quarts de travail qui doivent continuer d’être sous surveillance, i.e. le prorata de ce que représentent les relèves de fin de semaine  sur la totalité des quarts qui étaient sous surveillance avant l’arrivée des nouveaux horaires, plus spécifiquement : les nuits durant la semaine de travail et la fin de semaine.

[21]       Pour déterminer le montant à être versé aux salariés en fonction de leur nouvelle plage de disponibilité, l’employeur a calculé la moyenne du taux horaire des employés. Cette moyenne  fut la base de calcul utilisée pour verser la prime de disponibilité aux quarts de travail qui demeuraient sans surveillance.

[22]       Le syndicat s’est opposé à cette réduction de la prime de disponibilité. Il réclame le paiement intégral de la prime de disponibilité.

[23]       L’employeur maintient qu’il peut payer la prime de disponibilité au pro rata.

[24]       Le 13 juin 2011, devant cette impasse, le syndicat a déposé un grief réclamant 160,00 $ à l’employeur car, sur sa paye du 9 juin 2011,  l’employé en disponibilité, Mario Chagnon, a reçu 265,00 $ au lieu de 425,00 $.

[25]       Le 27 juin 2011, le syndicat a déposé un deuxième grief réclamant 265,62 $ à l’employeur car, sur la paye du 23 juin 2011, les employés en disponibilité Ahmed Aouchine et Hicham Naim, ont reçu 159,38 $ au lieu de 425,00 $.

 

 

 

 

L’ARGUMENTATION SYNDICALE

 

[26]       Il s’agit d’un texte clair de la convention collective, un texte qui ne nécessite pas d’interprétation.

[27]       La disponibilité est basée sur une semaine et non pas sur le temps consacré à la disponibilité.

[28]       La prime a été négociée et elle fait partie de la convention collective. L’employeur ne peut donc l’amputer à sa guise, selon sa volonté, voire au gré de son humeur.

[29]       Incidemment, l’employeur a inventé le « prorata ». C’est une notion qui n’existe pas dans la convention collective.

[30]       Suivre le raisonnement de l’employeur équivaut à modifier la convention collective sans l’accord du syndicat. Ce qui est totalement illégal.

 

 

 

L’ARGUMENTATION PATRONALE

 

[31]       Si a priori le texte semble clair, il faut néanmoins l’analyser en parallèle avec l’article 4.04 de la convention collective qui prévoit que l’employeur conserve le droit de diriger et d’administrer ses affaires et ses opérations.

[32]       Pour avoir droit à la prime de disponibilité, un employé doit subir un préjudice, un inconvénient. C’est ce qui lui donne droit à la prime de disponibilité.

[33]       Dans le cas sous étude, après le changement d’horaires de travail, les employés en disponibilité ne subissent plus le même préjudice, le même inconvénient. Il est donc logique et normal que la prime de disponibilité corresponde à la partie du préjudice qui subsiste, à la partie de l’inconvénient qui subsiste.

[34]       C’est l’employeur qui décide s’il y a ou non disponibilité et de la plage de disponibilité requise. Il est donc normal que la convention collective s’interprète pour lui permettre de moduler le paiement de la prime de disponibilité en fonction de ce que ce même employeur a décidé comme plage de disponibilité requise.

[35]       De là le fait que, si un salarié ne subit plus de contrainte, il n’a plus à recevoir de prime de disponibilité.

[36]       La prime de disponibilité ne va pas sans l’existence d’un inconvénient.

[37]       Enfin, permettre le paiement de la prime de disponibilité  comme le demande le syndicat équivaut consacrer un enrichissement sans cause, ce qui est illégal.

 

 

 

LA DÉCISION

 

[38]       Avant le 30 mai 2012, l’employeur payait une prime aux employés qui étaient en disponibilité pendant une semaine donnée.

[39]       Ces employés disponibles l’étaient  sur appel de nuit, pendant les jours de la semaine de travail, et tout au long des week-ends également. En fait, il y avait un salarié en disponibilité lorsque l’usine était désertée.

[40]       Cette prime était versée en vertu  de l’annexe « B » de la convention collective, annexe qui, pour la partie pertinente, se lit comme suit :

 

«  Salariés mis en disponibilité

 

Lorsque les besoins de l’entreprise requièrent la mise en disponibilité d’un Salarié à l’extérieur des heures régulières de travail, le Salarié mis en disponibilité reçoit un montant de 425$ par semaine pour porter l’appareil de communication. Une rotation a lieu parmi les Salariés de la maintenance en vue de désigner le Salarié mis en disponibilité.

Le Salarié porteur de l’appareil de communication ne peut refuser ou négliger de répondre à un appel ou de se présenter au travail suite à cet appel si sa présence est requise.

 

[41]       À compter du 30 mai 2011, l’employeur a procédé à un changement dans les horaires de travail.

[42]       Avant le 30 mai 2011, l’horaire de travail était le suivant : des quarts de 8 heures, de jour et de soir, du lundi au vendredi.

[43]       Ce qui faisait en sorte que l’usine était déserte la nuit, du lundi au vendredi et toutes les journées du samedi et du dimanche.

[44]       Avec l’avènement des quarts de travail de 12 heures, l’entreprise ne connait pas de période déserte du lundi au vendredi. Seuls demeurent donc les samedis et dimanches comme étant des journées où il y a nécessité de surveillance à distance, où il y a nécessité d’avoir des salariés en disponibilité.

[45]       La question qui se pose alors est de savoir si l’employeur est justifié de verser la prime de disponibilité au prorata de la nouvelle disponibilité requise.

[46]       D’entrée de jeu, il convient de constater que le texte de la convention collective «  Salariés mis en disponibilité », apparaissant à l’annexe « B », est très clair et qu’il ne souffre d’aucune ambiguïté : «  Lorsque les besoins de l’entreprise requièrent la mise en disponibilité  d’un Salarié à l’extérieur des heures régulières de travail, le Salarié mis en disponibilité reçoit un montant de 425$ par semaine… »

[47]       Il n’est pas question d’horaires de travail.

[48]       Il n’est pas question de prorata possible.

[49]       Il n’est pas question d’une quelconque mécanique pour déterminer le taux horaire moyen des salariés de la « maintenance ».

[50]       Il n’est pas question que l’employeur puisse moduler la prime en fonction de la plage de disponibilité requise.

[51]       Certes, c’est l’employeur qui décide s’il y a ou non besoin de disponibilité, mais à partir du moment où il requiert une disponibilité, ses obligations prévues à la convention collective sont précisées et non-nuancées.

[52]       En fait, d’aucuns pourraient dire que le texte susmentionné a été strictement façonné pour couvrir des blocs hebdomadaires de disponibilité et non pas des heures de disponibilité. La notion d’heures disponibles n’existe pas.

[53]       Ce que dit la convention collective c’est que dès qu’un salarié est requis d’offrir une disponibilité pour effectuer de la surveillance à distance pendant une semaine donnée, il reçoit 425 $.

[54]       C’est ce que les parties ont convenu.

[55]       L’article 4.04 de la convention collective, qui énonce le droit de gérance, doit être compris comme étant le pouvoir résiduaire d’un employeur d’administrer son entreprise comme bon  lui semble, dans le respect des lois et des ententes qu’il a conclues avec le syndicat. C’est d’ailleurs ce qui se comprend de l’article 4.04 in fine  (nos soulignements):

 

4.04 Droits de la direction

 

L’Employeur conserve le droit de diriger et d’administrer ses affaires et opérations, de décider des équipements à être utilisés et de leur emplacement, de diriger son personnel, d’établir et de modifier des règlements  à être observés par les Salariés, l e tout en conformité avec les dispositions de la convention collective.

 

[56]       Je comprends fort bien mon collègue Me François Hamelin ( voir SITBCT, local 55 et Weston ltée - D.T.E. 84T-718 ) lorsque celui-ci déclare qu’un tribunal d’arbitrage doit découvrir l’intention réelle des parties, qu’il doit rechercher le but poursuivi par les parties. J’y souscris entièrement, lorsque nécessaire par ailleurs. Avant même d’utiliser ce pouvoir d’interpréter un texte d’une convention collective, les arbitres sont investis d’une toute première mission qui consiste à appliquer les articles contenus dans une convention collective et ce, tel que l’ont convenu les deux parties signataires.

[57]        Les arbitres interpréteront un texte d’une convention collective uniquement lorsque celui-ci sera ambigu. Encore là, il s’agit de la volonté express des parties telles que prévu à la convention collective :

 

20.05 Juridiction de l’arbitre

 

a) L’arbitre n’a aucune juridiction pour modifier ou amender la Convention collective de quelque façon que ce soit, ni d’en soustraire quelque disposition que ce soit :

 

b)  

 

[58]       Incidemment, il n’est pas inutile de rappeler qu’une convention collective est le résultat de la volonté exprimée par les deux parties.

[59]       Conséquemment, il en découle également que les arbitres vont écarter les règles d’interprétation en présence d’un texte clair.

[60]       De plus, dans la présente affaire  nous ne sommes pas en présence d’un pyramidage de bénéfices. Dès qu’il y a demande de disponibilité pour une semaine donnée, il y a, en contrepartie, la prime de disponibilité. Peu importe la durée de la disponibilité requise, laquelle ne saurait cependant excéder une semaine puisque l’annexe B définit la période de disponibilité comme étant une semaine.

[61]       L’annexe « B » ne distingue pas en fonction du temps de disponibilité au cours d’une semaine donnée. Cette annexe impose comme exigence au paiement de la prime qu’un salarié soit mis en disponibilité à l’extérieur de ses heures régulières de travail. Le seul « inconvénient » que les parties ont retenu pour le versement de la prime est une disponibilité à l’extérieur  des heures régulières de travail.

[62]       Enfin, la position patronale invoquant le « prorata » m’apparaît irréconciliable avec le fait que les parties avaient déjà prévu des horaires de 12 heures dans cette même convention collective. Pour être encore plus précis, les parties ont négocié et conclu une entente qui prévoit la possibilité pour l’employeur d’implanter des horaires de 8 heures et de 10 heures, mais aussi la possibilité d’implanter des horaires de 12 heures.

[63]       Dès le 21 mars 2011, l’employeur a signé une convention collective dans laquelle étaient balisés d’éventuels horaires de travail de 8 heures sur 5 jours, de 10 heures sur 4 jours et, très clairement, des horaires de travail de 12 heures sur 4 jours (voir Annexe « A » de la convention collective) .

[64]       De toute évidence, l’employeur savait que la mise en application de ces éventuels horaires de travail modifierait le nombre d’heures où des salariés seraient sur les lieux du travail. De toute évidence également, l’employeur savait que la mise en application de ces éventuels horaires de travail modifierait le nombre d’heures où les lieux de l’entreprise seraient déserts. Or, malgré cette connaissance de l’employeur quant à la possibilité d’avoir des horaires de travail journalier de 8, 10 et 12 heures, ce même  employeur a néanmoins convenu que la prime de disponibilité trouverait application dès qu’il y aurait demande de disponibilité et ce, indépendamment du temps de disponibilité requis. Il aurait été tout à fait « logique et normal », pour reprendre l’expression utilisée par la partie patronale, que la prime corresponde  à la partie du préjudice qui subsiste après modification des horaires de travail, mais ce n’est pas ce que les parties ont voulu, ce n’est pas ce que les parties ont convenu.

[65]       Si tel avait été la volonté des parties, ayant déjà prévu la possibilité d’implanter des horaires de 12 heures, ces dernières auraient prévu dans la convention collective une modulation de la prime de disponibilité  selon la disponibilité horaire requise. Elles ne l’ont pas fait préférant ne retenir comme seule exigence du droit à la prime le critère de disponibilité selon les besoins déterminés par l’employeur

[66]       Pour tous ces motifs, après avoir étudié la preuve, la jurisprudence et sur le tout délibéré, le tribunal d’arbitrage

 

 

 

ACCUEILLE les griefs;

 

ORDONNE à l’employeur de verser aux salariés visés par les griefs la différence entre le montant qu’ils ont reçu à titre de prime de disponibilité et la prime de disponibilité de 425$, le tout avec intérêts;

 

CONSERVE compétence pour toute question relative au quantum dû aux salariés visés par les griefs.

 

 

 

 

Blainville, ce   13 décembre 2012

 

 

 

 

                                                                  Me Pierre Laplante

                                                                  Arbitre

                                                                  Conférence des arbitres du Québec

 


 

DESCRIPTIF

 

 

Date d’audience :

 

12 novembre  2012

 

 

 

Lieu d’audience :

 

Longueuil

 

 

 

 

Les témoins :

 

-       M. Sylvain Roy, chef fabrication

 

-       Mme Édith Bradet, conseillère en ressources humaines

 

 

 


 

AUTORITÉS PATRONALES

 

1.     DION, Gérard, Dictionnaire canadien des relations du travail. Deuxième édition, Les Presses de l’Université Laval, Québec, 1986

 

2.     Syndicat international des travailleurs de la boulangerie, confiserie et du tabac, section locale 55 et Boulangeries Weston Ltée

(T.A.) 27 juillet 1984, Me François Hamelin

 

3.     Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 1202 (FTQ) et Technocell inc.

(T.A.) 24 juillet 2009, Me Denis Provençal

 

4.     Estampages I.S.E. Inc. et Syndicat des travailleurs d’Éstampages I.S.E. (C.S.N.)

(T.A.) 15 mai 2002, Me Richard Marcheterre

 

 

 

 

 

AUTORITÉ SYNDICALE

 

1.     Praxair Canada Inc. et Métallurgistes unis d’Amérique, local 9324

(T.A.) 15 novembre 2007, Me Harvey Frumkin