B-656-10
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TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N o de dépôt : |
B-656-10 |
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Date : |
8 janvier 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
M e Richard Marcheterre |
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Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP), section locale 6001 |
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Ci-après appelé(e) « le syndicat » |
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Bell Canada |
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Ci-après appelé(e) « l’employeur » |
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Plaignant(e) : |
Madame Sylvie Beaudoin |
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Grief(s) : |
n o du syndicat |
6001-110336 |
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Convention collective : |
En vigueur le 18 juillet 2005 |
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SENTENCE ARBITRALE Code canadien du travail |
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[1] Les parties ont été entendues les 15 février 2011, 21 septembre, 7 octobre et 13 novembre 2012. Aucun moyen de nature juridictionnelle ou intra juridictionnelle n’a été soulevé. Elles ont soumis des notes et autorités dont les dernières, la réplique de l’Employeur, ont été reçues le 11 décembre 2012.
[2] L’Employeur a mis fin à l’emploi de madame Beaudoin le 2 novembre 2009. L’avis suivant lui a été remis (pièce E-4) :
La présente confirme notre discussion en date d’aujourd’hui lors de laquelle nous vous avons informée que votre emploi avec Bell Canada prenait fin immédiatement en raison de vos absences excessives.
Votre fin d’emploi résulte de votre incapacité à maintenir une assiduité normale et régulière vous permettant de fournir une prestation de travail raisonnable pour votre employeur. Le passé étant garant de l’avenir, nous ne pouvons que conclure que vous ne serez jamais en position de remplir adéquatement vos obligations en tant qu’employée.
Vous savez que nous avons eu plusieurs discussions concernant votre dossier d’absences. Or, malgré les avis répétés et le support qui vous a été accordé, vous n’avez pas été en mesure d’améliorer votre assiduité de façon satisfaisante et vos absences continuent de nuire à la bonne marche des activités de votre groupe.
La Compagnie a tout mis en œuvre afin de vos aider à rencontrer les exigences normales de votre emploi, mais il apparaît désormais que ces démarches ont été sans succès.
Nous réitérons que la Compagnie doit pouvoir compter sur l’assiduité et la fiabilité de ses employés afin d’administrer ses effectifs avec efficacité. Face à votre incapacité de rencontrer cette nécessité et en considération de votre dossier antérieur, nous n’avons d’autre alternative que de mettre fin à votre emploi.
[3] Le grief contestant cette décision porte le numéro 6001-11-0336. Il est daté du 4 novembre 2009 et se lit comme suit (pièce E-2) :
GRIEF :
Le congédiement de Sylvie Beaudoin était abusif et sans motif valable.
RÈGLEMENT DEMANDÉ :
Que Sylvie Beaudoin soit réintégrée à son poste chez Bell Canada avec remboursement du salaire perdu et intérêts légaux applicables, sans perte de droits et privilèges, que tout document relatif à cette mesure disciplinaire soit retiré de son dossier et qu’on lui accorde toute autre réparation juste et raisonnable.
LE GRIEF RELÈVE DE L’INTERPÉTATION DES ARTICLES
12, 15 et autres
DE LA CONVENTION COLLECTIVE DU PERSONNEL DE BUREAU ET GROUPE CONNEXE.
A- LE LITIGE
[4] Le litige de fond se résume à une seule question : Est-ce qu’il était raisonnable de considérer que madame Beaudoin n’allait pas être en mesure d’assurer une présence régulièrement ou normalement continue au travail afin de l’accomplir de manière CONTINUE et RÉGULIÈRE, dans un futur prévisible, rapproché et normal?
DÉCISION
[5] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal estime que l’Employeur a soumis une preuve prépondérante sur chacun des éléments allégués dans l’avis de fin d’emploi, assumant ainsi son fardeau de preuve. Conséquemment, le grief est rejeté.
B- PRÉLIMINAIRES
[6] Avant d’étudier les arguments et les autres éléments de la preuve, je relate les différents avis antérieurs qui avaient été remis à madame Beaudoin au sujet de l’assiduité au travail, lesquels n’ont pas été contestés en l’instance. Ils font donc la preuve que madame Beaudoin avait été régulièrement avisée qu’elle devait améliorer sa présence au travail. Déposés sous la cote E-4, j’en fait la liste :
1. 26 février 2004 :
Malgré l’avis verbal reçu le 5 janvier 2004 concernant vos absences, nos dossiers indiquent que votre taux d’absentéisme continu d’être excessif par rapport à la moyenne du groupe auquel vous appartenez .
Soyez assurée que la Compagnie est disposée à vous accorder une période de temps raisonnable et le support professionnel nécessaire, dans le but de vous aider à réduire vos absences .
Cependant, votre taux d’absentéisme actuel nuit à la bonne marche des activités de votre groupe et constitue de votre part un manquement à vos obligations envers la Compagnie.
Il est important que la situation se corrige rapidement, faute de quoi nous devrons malheureusement prendre les mesures qui s’imposent .
2. 22 octobre 2004 :
Malgré les nombreuses discussions que nous avons eues au sujet de vos absences et des avis verbaux et écrits que vous avez reçus (Avis verbal reçu le 5 janvier 2004, avis écrit reçu le 26 février 2004), votre taux d’absentéisme continue d’excéder la moyenne du groupe auquel vous appartenez.
Nous vous avons déjà accordé une période de temps raisonnable afin d’améliorer votre dossier d’absences mais vous manquez tout de même trop fréquemment à votre obligation de présence au travail .
Cette lettre n’est pas de nature disciplinaire; cependant, soyez avisée qu’à moins d’une amélioration satisfaisante et durable de votre dossier d’absences, nous serons dans l’obligation de mettre fin à votre emploi .
3. 1 er novembre 2007 :
Malgré les nombreuses discussions que nous avons eues au sujet de vos absences et des avis verbaux et écrits que vous avez reçus les 22 octobre 2004 et 5 mai 2005, votre taux d’absentéisme continue d’excéder la moyenne du groupe auquel vous appartenez.
Nous vous avons déjà accordé une période de temps raisonnable afin d’améliorer votre dossier d’absences mais vous manquez tout de même trop fréquemment à votre obligation de présence au travail.
Cette lettre n’est pas de nature disciplinaire; cependant, soyez avisée qu’à moins d’une amélioration satisfaisante et durable de votre dossier d’absences, nous serons dans l’obligation de mettre fin à votre emploi .
4. 7 avril 2009 :
Nous avons procédé à la révision complète de votre historique d’absentéisme et nous constatons que depuis 2002, votre taux d’absentéisme est nettement supérieur à la moyenne du groupe auquel vous appartenez . De nombreuses rencontres ont eu lieu à cet égard, plus particulièrement, entre autres, celles des :
2003-12-17 2004-01-05 2004-10-22 2005-06-15 2006-06-09
2007-08-14 2007-10-03 2007-11-01 2007-11-28
Lors de ces rencontres, vous avez été avisée verbalement que votre taux d’absentéisme était excessif et qu’une amélioration satisfaisante et soutenue était nécessaire . De plus, des avis écrits vous ont également été remis à cet égard les :
2004-10-22 2007-11-01 (note du soussigné : l’avis précédent référait également à un avis écrit du 5 mai 2005,lequel n’est pas parmi ceux soumis sous la cote E-4))
Malgré ces avis répétés et le soutien qui vous a été apporté à ce jour, vous n’êtes toujours pas en mesure de maintenir une prestation de travail régulière et soutenue à laquelle nous sommes en droit de nous attendre d’un employé. Vos absences continuent de nuire à la bonne marche des activités dans notre groupe.
En considération de votre dossier d’absences, nous vous enjoignons de remédier à la situation dans les meilleurs délais, à défaut de quoi nous serons dans l’obligation de mettre fin à votre emploi chez Bell Canada.
5. 5 juin 2009 :
Nous vous avons rencontrée le 7 avril 2009 afin de vous informer que nous avions procédé à la révision complète de votre historique d’absentéisme et que nos avions constaté que votre taux d’absentéisme était insatisfaisant.
Suite à cette rencontre, vous avez été absente du travail entre le 19 mai 2009 et le 3 juin 2009.
Malgré les avis répétés et le soutien qui vous a été apporté à ce jour, vous n’êtes toujours pas en mesure de maintenir une prestation de travail régulière et soutenue à laquelle nous sommes en droit de nous attendre d’un employé. Vos absences continuent de nuire à la bonne marche des activités dans notre groupe.
En considération de votre dossier d’absences, nous vous enjoignons de fournir à notre service médical les informations relatives aux traitements que vous recevez afin de remédier à la situation .
Il est donc essentiel que vous nous confirmiez d’ici le 10 juin 2009 votre accord verbal permettant au Groupe de Gestion des Invalidités de revoir votre dossier avec votre médecin traitant afin de valider que les traitements que vous recevez vous permettrons d’assurer une présence au travail de façon continue .
À défaut de nous fournir ces renseignements ou de maintenir une présence au travail assidue , nous serons dans l’obligation de revoir notre lien d’emploi .
6. 15 septembre 2009 :
Nous avons procédé à la révision complète de votre historique d’absentéisme et nous constatons que depuis 2000, votre taux d’absentéisme est excessif comparativement aux employés du groupe auquel vous appartenez.
Entre autres, depuis 2003 et jusqu’à ce jour, vous avez cumulé plus de 800 jours d’absences pour des raisons différentes . Ceci correspond à un taux d’absentéisme de 55% distribué comme suit :
2003 : 77%
2004 : 5%
2005 : 29%
2006 : 59%
2007 : 63%
2008 : 02%
2009 : 45% Par le soussigné : en date du 15 septembre 2009)
Cette information démontre qu’il vous semble impossible de maintenir une assiduité normale et régulière vous permettant de fournir une prestation de travail acceptable pour votre employeur. Le passé étant garant de l’avenir, nous devons conclure que vous ne serez jamais en mesure de remplir adéquatement vos obligations en tant qu’employée. Vous devez savoir que le contrat de travail qui vous lie à votre employeur implique que vous soyez en mesure de fournir une prestation de travail régulière de travail , ce que vous avez fait défaut de faire depuis plusieurs années.
Bien que nous ayons eu de nombreuses rencontres à cet égard, où vous avez été avisée verbalement et par écrit que votre taux d’absentéisme était excessif et qu’une amélioration satisfaisante et soutenue était nécessaire, vous continuez de vous absenter du travail de façon régulière. Vos absences continuent de nuire à la bonne marche des activités de notre groupe. Les avis écrits concernant votre absentéisme excessif vous ont été remis les :
26 février 2004
22 octobre 2004
(5 mai 2005 - ajouté par le soussigné)
1 novembre 2007
7 avril 2009
5 juin 2009
Nous avons vérifié avec le groupe de gestion des invalidités afin de déterminer si vous aviez certaines restrictions médicales et avons reçu confirmation qu’aucune restriction médicale vous empêchait de fournir une prestation de travail régulière . Nous avons également été avisés que vos nombreuses absences éteint reliées à des raisons diverses .
En considération de votre dossier d’absences, nous vous enjoignons de remédier à la situation et de présenter une amélioration significative immédiate que vous devrez maintenir durant les 12 prochains mois. Votre dossier sera révisé sur une base régulière durant cette période et si nous constatons qu’il n’y a pas eu les améliorations attendues, nous serons dans l’obligation de mettre fin à votre emploi à Bell Canada sans autre préavis .
[7] J’ai souligné de nombreux éléments de ces avis pour en mettre en relief l’objet, les démarches de l’Employeur, ses attentes et les conséquences au défaut de remédier à la situation.
[8] Ces avis sont très clairement exprimés. Ils indiquent sans détour que madame Beaudoin ne pouvait pas ne pas savoir que son assiduité continue au travail faisait défaut et qu’elle devait améliorer la situation, au risque de perdre son emploi. Elle savait cela depuis au moins le mois d’octobre 2004. Elle savait aussi que sa performance au travail, lorsqu’elle était présente, n’était pas en cause.
[9] On y constate également que l’Employeur n’a pas limité ses démarches au seul relevé des absences mais qu’il a aussi requis du médecin de l’entreprise, le Dr Demers, qu’il lui soit indiqué si des restrictions médicales empêchaient la plaignante d’assurer une assiduité normale au travail. Devant l’absence de telles restrictions, il a porté son attention sur la présence au travail de la plaignante, ce qui a mené è son congédiement le 2 novembre 2009.
[10] À la suite de ce relevé succinct des démarches écrites de l’Employeur, je procède à l’étude de la preuve et des prétentions des parties.
C- NATURE DU CONGÉDIEMENT :
[11] L’Employeur allègue que le congédiement est de nature administrative. Bien que le grief aborde le sujet sous l’angle disciplinaire (« mesure disciplinaire »), le procureur du Syndicat reconnait dans son plan de plaidoirie daté du 19 novembre 2012, que « Mme Beaudoin a effectivement été congédiée pour absentéisme excessif non fautif dû à des absences maladie, de 2003 à 2009 . »
CONCLUSION
[12] Puisque les parties partagent l’opinion que le congédiement n’a pas été imposé à la suite d’un comportement fautif de madame Beaudoin, il est de nature administrative .
D- RÔLE DU TRIBUNAL DANS LE CAS D’UNE MESURE ADMINISTRATIVE
[13] Tel que les autorités étudiées dont il sera discuté ultérieurement, en présence d’une mesure de nature administrative le Tribunal ne peut intervenir que s’il est d’avis qu’elle est arbitraire, injustement discriminatoire ou abusive, de mauvaise foi ou déraisonnable. Si aucun de ces qualificatifs ne peut être retenu, le Tribunal doit éviter d’intervenir puisque ce n’est pas sa décision sur le fond qui compte mais celle de l’Employeur.
E- FARDEAU DE LA PREUVE ET ÉLÉMENTS DE PREUVE
[14] Le procureur du Syndicat décrit comme suit la position des parties à la page 2 de son plan de plaidoirie du 19 novembre 2012; je le cite :
Position de l’employeur
[…]
Selon l’employeur, il s’agit d’un congédiement administratif où seulement deux éléments doivent être réunis pour le justifier.
1. L’employeur doit démontrer que l’absentéisme de la salariée était excessif;
2. Au moment du congédiement, la salariée n’était pas en mesure de fournir une prestation de travail normale dans un avenir rapproché.
Toutefois, l’employeur prétend qu’il n’a seulement que le premier élément à démontrer puisque les absences maladie sont dues à différents diagnostics. C’est ( Selon l’employeur - ajouté par le soussigné ) sur les épaules du syndicat que repose le fardeau de démontrer qu’au moment du congédiement, il existait un motif de croire que le taux d’absentéisme de la salariée s’abaisserait considérablement dans un avenir rapproché.
Position du syndicat
Mme Beaudoin a effectivement été congédiée pour absentéisme excessif non fautif dû à des absences maladie, de 2003 à 2009.
Le congédiement de Mme Beaudoin est illégal puisqu’il est contraire aux normes suivantes :
a. Loi canadienne sur les droits de la personne, notamment articles 3 et 7;
b. Code canadien du travail, article 239;
c. Convention collective, notamment articles 2.01, 29 et 23.
[15] Bien que l’Employeur reconnaisse qu’il doit supporter le fardeau de la preuve, il estime toutefois que puisque la fin de l’emploi de madame Beaudoin est de nature administrative, il a relevé son fardeau en démontrant que l’absentéisme est excessif. Il prétend donc qu’il y a dès ce moment renversement du fardeau de la preuve et qu’il revient au Syndicat de démontrer que la plaignante était en mesure d’offrir une prestation de travail normale et continue .
[16] Au soutien de sa prétention, l’Employeur renvoie le soussigné à une sentence arbitrale de l’arbitre André Bergeron [1] . Il retenait les conclusions suivantes :
En fait, ce que nous avons constaté, c’est que les arbitres, en général, imposent un fardeau différent selon que les nombreuses absences d’un salarié sont dues à des motifs différents ou selon qu’elles sont dues à un motif unique.
Dans le premier cas, parce qu’il est impossible d’exiger de l’employeur de faire la preuve médicale que le plaignant continuera dans l’avenir à être victime de nombreuses maladies ou de nombreux accidents, on aura tendance plus facilement à transférer le fardeau sur les épaules du salarié, une fois que l’employeur aura démontré que sa décision découlait d’une analyse objective du dossier, l’ayant amené à conclure que le salarié ne pourrait dans l’avenir remplir de façon raisonnable ses prestations de travail.
[…]
Si, par contre, la cause des nombreuses absences d’un salarié est unique ou presque, l’employeur devra prendre les moyens à sa disposition pour se convaincre que cette cause persistera et par le fait même, le taux d’absentéisme.
Ce sera le cas, par exemple, d’un salarié victime d’une maladie et amené à s’absenter régulièrement à cause de cette maladie.
Dans un tel cas, l’employeur se devra de fournir lui-même une preuve médicale soutenant son affirmation que le salarié ne puisse, dans un avenir rapproché, fournir une prestation de travail normale, du genre de celle que tout employeur est en droit de s’attendre de ses employés.
Dans le cas de monsieur Hervieux, la preuve a démontré que non seulement ses absences étaient nombreuses, mais également que les motifs de ses absences étaient aussi nombreuses.
C’est la raison pour laquelle nous avons dit un peu plus haut qu’il lui revenait de démontrer qu’il existait un motif de croire que dans un avenir rapproché, son taux d’absentéisme s’abaisserait considérablement pour s’approcher de la moyenne des autres salariés car l’employeur avait fait, en vain, des efforts considérables pour le comprendre et lui venir en aide.
[17] L’Employeur renvoie également le Tribunal aux auteurs Bernier, Blanchet, Gronosik et Séguin [2] :
2.337 Lorsqu’un salarié s’absente pour diverses pathologies, l’employeur n’a pas l’obligation d’obtenir une expertise médicale démontrant l’improbabilité que la situation ne s’améliore dans l’avenir. Par exemple, un tribunal d’arbitrage a conclu qu’étant donné la diversité des pathologies ayant affecté un salarié depuis neuf ans, l’employeur n’avait pas à lui faire subir un examen médical avant de prendre une décision. L’arbitre a précisé qu’il revenait au salarié de convaincre le tribunal que ses problèmes de santé étaient chose du passé et que son état autorisait à croire qu’il offrirait dans l’avenir une prestation de travail normale.
[18] Le Syndicat propose plutôt l’opinion suivante de l’arbitre Pierre St-Arnaud sur le sujet [3] :
[37] La jurisprudence a évolué grandement au cours de la dernière décennie concernant la perte d’emploi pour absentéisme. Avant, il suffisait de prouver que le salarié avait un taux d’absentéisme et qu’il ne pourrait revenir au travail dans un évènement prévisible pour justifier un congédiement administratif.
[38] L’employeur doit maintenant démontrer qu’il a respecté son obligation d’accommodement raisonnable jusqu’à la limite de la contrainte excessive.
[…]
[42] Selon la preuve prépondérante, l’employeur a appliqué la clause de perte d’emploi de façon automatique. La lettre de congédiement est éloquente à ce sujet : « Nous considérons que vous avez mis fin à votre emploi en ayant dépassé le délai tel que prévu à la convention collective article 11.04 e)… »
[…]
[45] À notre avis, l’employeur devait être proactif et faire une analyse sérieuse avant de déterminer la perte du lien d’emploi. Mme souffrait d’un handicap au sens de la Charte et l’employeur devait étudier les accommodements possibles.
[19] Maître Lazure-Bérubé discute des arrêts McGill [4] et Hydro-Québec [5] de la Cour suprême sur le sujet et en tire les prétentions suivantes (plan de plaidoirie page 3):
Depuis les arrêts McGill (…) et Hydro-Québec (…) , de la Cour suprême du Canada, l’employeur qui congédie parce que le salarié n’exécute pas sa prestation de travail avec suffisamment de constance et de régularité, doit prouver les quatre éléments suivants :
1. Le caractère excessif de l’absentéisme;
2. Les avis transmis au salarié afin de corriger la situation et le risque de congédiement en l’absence ( de ) modification;
3. L’impossibilité de fournir une prestation de travail normale dans un avenir rapproché;
4. Qu’il a satisfait à son obligation d’accommodement et il doit démontrer la contrainte excessive.
La jurisprudence de la plus haute Cour du pays est claire à l’effet que l’employeur assume seul et en tout temps le fardeau de prouver ces quatre éléments afin de justifier son congédiement.
Nous sommes d’avis que les arbitres ne doivent plus appliquer le courant jurisprudentiel mentionné par Bell, issu des années 1990 et non repris par la Cour suprême dans McGill et Hydro-Québec .
[20] Le Syndicat ajoute son appréciation des principes qu’il considère avoir été établis par la Cour suprême dans l’arrêt Hydro-Québec (plan de plaidoirie, page 4)
[…] Plus particulièrement, la Cour est appelée à s’interroger sur l’interaction entre l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’accommodement à l’égard d’un employé malade et l’obligation de l’employé de fournir sa prestation de travail.
[…]
Si nous suivons le raisonnement de Bell, la Cour suprême aurait dû renverser le fardeau de preuve et demander au syndicat de démontrer qu’au moment de son congédiement la plaignante était en mesure de fournir une prestation de travail normale dans un avenir rapproché.
Or, une telle approche n’a pas été retenue. La Cour suprême écrit plutôt au paragraphe 17 :
« Cependant, en cas d’absentéisme chronique, si l’employeur démontre que, malgré les accommodements, l’employé ne peut reprendre son travail dans un avenir raisonnablement prévisible, il aura satisfait à son fardeau de preuve et établi l’existence d’une contrainte excessive. » (Soulignements du procureur)
L’application de la théorie du renversement du fardeau de preuve doit donc être écartée, force est de constater que cette théorie ne fait pas partie du test énoncé par la Cour suprême, ni dans McGill , ni dans Hydro-Québec .
[21] Au soutien de sa prétention en regard de l’évolution de la règle de preuve en cette matière, le Syndicat renvoie également le Tribunal aux propos suivants des auteurs Béliveau et Lebel [6] :
La conjonction de l’obligation d’accommodement de l’employeur et de son droit de congédier pour absentéisme : l’arrêt Hydro-Québec
Le salarié visé par une convention collective de
travail qui fait l’objet d’un congédiement pour absentéisme excessif pourra
quant à lui déposer un grief afin de contester le bien-fondé de ce congédiement.
L’employeur devra, à l’instar de la situation qui prévaut en vertu des article
Il importe de noter que la qualification du congédiement du salarié pour absentéisme comme constituant une mesure administrative plutôt que disciplinaire n’aura pas véritablement d’incidence sur le fardeau de la preuve, qui demeurera dans tous les cas à la charge de l’employeur. Cette qualification pourra toutefois avoir une certaine incidence lorsque la mesure fait l’objet d’un grief déposé en vertu d’une convention collective. La jurisprudence arbitrale considère en effet dans un tel cas que, sauf indication contraire dans la convention collective, l’employeur doit établir non pas que le congédiement est survenu pour cause juste et suffisante, mais que la décision à l’égard du salarié n’est pas déraisonnable, arbitraire ou discriminatoire. L’employeur conserve néanmoins, que la mesure soit qualifiée de disciplinaire ou d’administrative, le fardeau de prouver qu’il a raisonnablement tenté d’accommoder le salarié.
L’employeur qui invoque le fait que le salarié n’exécute pas sa prestation de travail avec suffisamment de constance et de régularité doit donc dans tous les cas faire la preuve que sa décision n’est pas discriminatoire en vertu de la Charte québécoise ou de la Loi canadienne . Ainsi, outre le caractère excessif de l’absentéisme du salarié et le fait qu’il s’avère improbable que ce dernier soit en mesure de fournir une prestation de travail normale dans un avenir prévisible, l’employeur devra faire la preuve qu’il a satisfait à l’obligation d’accommodement qui lui incombe jusqu’à la limite d’une contrainte excessive.
[22] Il appert donc de l’avis de ces auteurs que l’Employeur doive supporter le fardeau de démontrer par une preuve prépondérante que la plaignante présentait un profil d’absentéisme excessif et que sa décision de la congédier parce qu’il estimait qu’elle ne pourrait offrir une prestation normale de travail dans un avenir prévisible et rapproché, n’est pas discriminatoire, abusive ou arbitraire, et/ou qu’il a satisfait son obligation d’accommodement raisonnable, sans toutefois reconnaître devoir s’y soumettre.
[23] Le Syndicat renvoie le Tribunal à la décision de l’arbitre Flynn dans une affaire Exposervice Standard Inc. , rendue en 2011, dans laquelle il discute de chacun des points sur le fardeau de la preuve et des éléments qui doivent être démontrer par la partie qui doit le supporter. L’arbitre Flynn s’exprime comme suit [7] :
[…] Tel que résumé par les auteurs Bernier, BLANCHET, Gronosik et Séguin, la jurisprudence est constante. Dans de telles circonstances, l’employeur doit faire la preuve de trois éléments :
« 2.295. L’employeur qui désire mettre fin à l’emploi d’un salarié incapable de fournir une prestation de travail en raison d’une incapacité physique ou psychologique doit démontrer :
- Le taux d’absentéisme du salarié est élevé par rapport au taux d’absentéisme des autres salariés;
- Les probabilités que le salarié fournisse une prestation normale de travail dans un avenir prévisibles sont faibles;
- Aucun accommodement n’est possible sans contrainte excessive ou le maintien d’un accommodement est devenu une contrainte excessive avec le temps;
- L’employeur ne peut donc plus fermer administrativement le dossier d’un salarié en s’appuyant uniquement sur le taux d’absentéisme élevé du salarié et sur un pronostic défavorable, comme le lui permettait la jurisprudence antérieure. Il doit également démontrer qu’il lui est impossible d’accommoder le salarié ou de poursuivre les accommodements déjà consentis sans contrainte excessive.
[24] Sur la seule question du fardeau de la preuve, l’Employeur maintient sa position dans sa réplique reçue le 11 décembre 2012. Il s’attarde de plus aux aspects spécifiques de l’affaire soumise à l’étude du soussigné, par exemple à la présence de multiples pathologies ou causes à la source des absences de madame Beaudoin, dont l’ensemble lui parait constituer un cas d’absentéisme excessif de 2003 à 2009.
[25] Je constate que les absences sont effectivement motivées par différents diagnostics, souvent sans lien, et que certaines le sont plutôt par des circonstances de nature personnelle et familiale, tel un accident d’automobile ou une chute dans le bain.
[26] Il distingue les faits discutés par la Cour suprême dans l’arrêt Hydro-Québec et ceux de la présente affaire, plus particulièrement que dans cette instance il n’y avait qu’une pathologie dont découlaient les absences alors que dans la présente affaire il y a une multitude de pathologies ou motifs à la source des nombreuses absences de la plaignante.
[27] Je prends note de la position patronale sur ce sujet mais je dois faire une distinction qui m’apparaît importante : Il faut distinguer le fardeau de la preuve et la manière de l’assumer. C’est d’ailleurs surtout à ce dernier point que l’Employeur s’attarde dans sa réplique. Je dispose donc de la question de principe sur le fardeau de la preuve et discuterai ensuite de son application à l’espèce.
DISCUSSION sur le fardeau de la preuve - multiples pathologies - preuve par expert
[28] On ne peut que constater que la jurisprudence à laquelle l’Employeur renvoie le soussigné, datée des années 1990, a manifestement évolué. En principe, l’Employeur ne peut plus se contenter de ne faire que la preuve d’un taux excessif d’absentéisme.
[29] Depuis les arrêts McGill et Hydro-Québec , respectivement rendus par la Cour suprême du Canada en 2007 et 2008, la jurisprudence s’est alignée vers un concept plus exigeant pour l’Employeur en regard de son fardeau de preuve.
[30] Sous réserve des faits de la présente affaire en regard de l’applicabilité des critères émis par la Cour suprême dans l’arrêt Hydro-Québec et appliqués par la jurisprudence qui a suivie, je fais miens les propos de principe du Syndicat :
Depuis les arrêts McGill (…) et Hydro-Québec (…) , de la Cour suprême du Canada, l’employeur qui congédie parce que le salarié n’exécute pas sa prestation de travail avec suffisamment de constance et de régularité, doit prouver les quatre éléments suivants :
5. Le caractère excessif de l’absentéisme;
6. Les avis transmis au salarié afin de corriger la situation et le risque de congédiement en l’absence ( de ) modification;
7. L’impossibilité de fournir une prestation de travail normale dans un avenir rapproché;
8. Qu’il a satisfait à son obligation d’accommodement et il doit démontrer la contrainte excessive.
La jurisprudence de la plus haute Cour du pays est claire à l’effet que l’employeur assume seul et en tout temps le fardeau de prouver ces quatre éléments afin de justifier son congédiement.
[31] Les nombreuses absences de madame Beaudoin ont été occasionnées par de multiples pathologies ou autres causes. L’Employeur en compte 25 entre 2003 et 2009 (plan de plaidoirie du 13 novembre 2012). Il fait de plus valoir qu’elles n’avaient souvent rien en commun, par exemple un accident d’automobile, une chute dans un bain, une électrocution, une dépression majeure et des obligations familiales, pour ne nommer que celles-là.
[32] Il prétend donc qu’une preuve par expert médical ne peut être offerte car l’absence de lien entre les pathologies constitue un profil incohérent et discontinu des motifs d’absence, sans compter que le caractère des justifications des absences depuis 2003 à 2009 n’est pas toujours de nature médicale.
[33] L’Employeur soutient que pour cette raison, on ne se saurait raisonnablement tirer une conclusion médicale cohérente de l’ensemble du dossier, car il ne peut être vu que dans son ensemble puisque le congédiement est motivé par l’allégation d’un taux excessif des absences de la plaignante sur une longue période. Considérant cela, il soutient que le Tribunal ne peut exiger une preuve par expertise médicale pour soutenir que la décision de congédier la plaignante, dans les circonstances, n’était pas déraisonnable, de mauvaise foi, injustement discriminatoire, abusive ou arbitraire.
[34] Au soutien de sa prétention il renvoie plus particulièrement le Tribunal aux auteurs Béliveau et Lebel relativement à l’arrêt Hydro-Québec de la Cour suprême [8] , auxquels le syndicat a aussi renvoyé le soussigné. J’en retire l’extrait suivant [9] :
« Tel sera le cas notamment si les causes de l’absentéisme du salarié sont multiples et variées . Ainsi, lorsque l’absentéisme découle non pas d’une cause unique mais de maladies ou d’autres motifs multiples et variés, le salarié pourra se voir imposer le fardeau de prouver sa capacité à livrer dans l’avenir une prestation de travail normale . Le cas échéant, il pourra être conclu que le passé étant garant de l’avenir, l’employeur était justifié de croire que le salarié n’améliorerait pas sa prestation de travail au point de la rendre raisonnable dans un avenir prochain. » (Soulignements ajoutés)
[35] Je partage ce point de vue et j’estime qu’il n’empêche pas de concilier les enseignements de la Cour suprême et les obligations de preuve que les parties doivent partager. En fait, la règle habituelle n’a pas été écartée par la Cour suprême : Dès que la partie qui doit supporter le fardeau de la preuve a satisfait à son obligation, il y a renversement du fardeau sur la partie qui soutient une position différente, sans quoi le décideur n’a pas la possibilité d’écarter la preuve de la partie opposée car il doit rendre une décision fondée sur la preuve qu’il aura déjà jugée prépondérante puisque satisfaisant à l’obligation de la partie qui doit supporter le fardeau de la preuve. Il n’y a rien de nouveau à ce sujet.
[36] En l’instance, comme c’est le cas dans toutes les autorités depuis 2007 soumises à mon étude, l’Employeur doit supporter le fardeau initial de démontrer qu’il était justifié de croire que la plaignante ne pourrait fournir une prestation de travail normale régulière ou continue dans un avenir prévisible et rapproché. Dès lors qu’il rencontre son fardeau, il revient au Syndicat de démontrer, lui aussi par une preuve prépondérante qui fait donc perdre ce caractère à celle de l’Employeur, que madame Beaudoin pouvait effectivement offrir une telle prestation normale de travail.
[37] Quant à l’obligation de soumettre une preuve par expertise médicale, il me faut ajouter que l’Employeur n’a pas cette obligation car il ne s’agit que d’un moyen de preuve comme tout autre. Il n’y a aucune règle qui impose une telle preuve. Toutefois, il revient finalement à l’arbitre de peser la preuve qui lui a été soumise, soit de décider si elle démontre de manière prépondérante que la décision de l’Employeur était ou non déraisonnable, injustement discriminatoire, de mauvaise foi, arbitraire ou abusive. L’exercice d’analyse d’une preuve contradictoire résulte toujours comme suit : parfois l’expertise médicale sera déterminante, parfois elle sera impossible et la décision devra être rendue sur la base des autres preuves au dossier.
[38] Cela n’est pas étranger au raisonnement de l’arbitre Denis Gagnon dans une affaire Banque Laurentienne [10] , que l’arbitre Moro a suivi dans un litige concernant le Centre hospitalier de l’Université de Montréal [11] :
[54] Le dossier d’absences de la salariée laisse voir des pathologies multiples, sans lien démontré les unes par rapport aux autres. La jurisprudence fait certaines distinctions en matière d’absentéisme selon qu’il s’agit d’un motif d’absence unique ou de plusieurs motifs indépendants. D’abord, on n’exige pas nécessairement une preuve par expert du pronostic de retour au travail dans les cas de pathologies multiples alors qu’elle sera généralement nécessaire si le problème de santé du salarié repose sur un diagnostic unique. Ensuite, certains arbitres ont établi que, lorsqu’il s’agit de pathologies multiples, le fardeau de la preuve est renversé et il revient au salarié de démontrer sa capacité de fournir sa prestation de travail.
[55] Quant au fardeau de la preuve, je suis d’avis qu’il n’est pas tout à fait juste de dire que lorsqu’il s’agit de pathologies multiples, le fardeau de la preuve est renversé et qu’il devient celui de la salariée. Je suis plutôt d’avis qu’il faut aborder la situation de la façon suivante.
[56] En matière de congédiement, le fardeau de la preuve appartient à l’employeur. Celui-ci doit démontrer les faits qui supportent les motifs de sa décision. En plus du taux d’absentéisme passé, le motif de la décision de congédier est le pronostic d’une assiduité insuffisante. La question qui se pose est celle de savoir si les faits mis en preuve et qui étaient à la connaissance de l’employeur le 15 juin 1999 justifiaient sa conclusion selon laquelle Danielle Jacques ne serait pas en mesure d’améliorer son assiduité d’une façon significative dans un avenir rapproché.
[54] En résumé, si l’employeur ne réussit pas à présenter une preuve convaincante du bien-fondé des motifs de sa décision, le grief sera accueilli. S’il réussit à produire une preuve convaincante, le syndicat pourra en défense produire une preuve contraire dans le but de démontrer la capacité de la salariée de répondre à ses obligations.
[39] Il faut d’abord noter que les arbitres Gagnon et Moro n’ont pas énoncé une règle automatique ou obligatoire de la soumission d’une preuve d’expert. Ce partage ce point de vue car la seule règle obligatoire est plutôt celle-ci : Quand le fardeau de la preuve que doit supporter un employeur est renversé sur les épaules du Syndicat? La réponse est la même chaque fois : Dès que la preuve de l’employeur est jugée prépondérante en regard de son objet. Dans le cas de diagnostics différents et nombreux, la chose n’est pas différente.
[40] Il n’y a pas un renversement automatique du fardeau de preuve car il faut d’abord que l’Employeur présente une preuve et que l’arbitre détermine s’il a rencontré son fardeau, suivant les faits mis en preuve, dont le taux d’absentéisme pour des motifs différents et souvent indépendants.
[41] Selon le soussigné, c’est une erreur que de parler d’un renversement automatique du fardeau de preuve car il peut bien arriver que malgré un taux d’absence important l’arbitre ne le juge pas excessif, ou que malgré des motifs d’absences indépendants l’arbitre arrive aussi à la conclusion que l’ensemble du dossier ne soutient pas l’argument patronal, à savoir que le salarié concerné ne pourra offrir une prestation de travail normale dans un avenir prévisible et rapproché, de manière régulière et continue. C’est pour cette raison que l’arbitre doit d’abord peser la preuve patronale, quelle qu’elle soit, afin de déterminer si elle rencontre le niveau du fardeau que l’Employeur doit supporter.
[42] Ce n’est que s’il arrive à la conclusion qu’elle est prépondérante en regard de son objet qu’il y a véritablement renversement du fardeau.
[43] Affirmer le contraire suppose, avec respect pour l’opinion différente, que l’Employeur n’aurait pas à faire la preuve de la justesse de sa décision au-delà du taux d’absentéisme et qu’il reviendrait automatiquement au salarié de démontrer qu’elle n’est pas juste. Ce ne serait plus un renversement du fardeau de preuve mais l’imposition initial d’un fardeau de preuve au Syndicat dans une situation de fin d’emploi. Cela me parait abusif et incohérent avec l’esprit des règles de preuve habituelles.
[44] Il en est ainsi même si, dans un cas d’espèce, il puisse être initialement évident qu’il y a absentéisme excessif, ce que l’arbitre doit d’abord constater et déterminer suivant la preuve, avant d’imposer le renversement du fardeau sur le syndicat ou le salarié.
CONCLUSION
[45] Après avoir constaté que la preuve soumise par l’Employeur illustre qu’il y a un taux d’absentéisme excessif, l’arbitre doit s’interroger sur les causes des absences. S’il conclut qu’elles sont causées par un diagnostic unique ou par des diagnostics différents mais de nature semblable formant un tout médicalement cohérent, il pourra être souhaitable qu’il y ait une preuve par expertise médicale à l’effet que le salarié dont il a été mis fin à l’emploi en raison de son taux excessif d’absentéisme, pourra ou ne pourra pas fournir dans un avenir rapproché, une prestation de travail raisonnable, dont une présence normale au travail fait partie.
[46] La chose est différente lorsque les motifs d’absences sont différents et souvent sans lien entre eux, voire même lorsqu’ils ne sont pas tous de nature médicale, offrant ainsi un profil qui n’a pas une cohérence ou une continuité médicale suffisante pour qu’une expertise médicale puisse être envisagée. Dans un tel cas, parce que la preuve pas expert n’est pas possible, le Tribunal ne pourra l’exiger d’un employeur pour qu’il démontre que le salarié ne pourra fournir une telle prestation de travail dans un avenir rapproché, au-delà de ses considérations fondées sur le taux même de l’absentéisme et de la multitude de ses motifs ou causes.
[47] En l’espèce, en raison de la variété et de la multitude des motifs d’absences de la plaignante de 2003 à 2009, souvent sans rapport entre eux, le Tribunal ne peut imposer à l’Employeur de prouver par une preuve d’expert que sa décision est justifiée, qu’elle n’est pas injustement discriminatoire, arbitraire ou abusive.
F- ABSENTÉISME EXCESSIF?
[48] Le procureur du Syndicat ne conteste pas le tableau des absences soumis par l’Employeur mais il ajoute « Le Syndicat désire préciser que le tableau d’absentéisme de Mme Beaudoin n’a pas été excessif pendant toute la durée d’emploi chez Bell . » (plan de plaidoirie du 19 novembre 2012, page 8).
[49] L’Employeur a dressé le tableau comparatif suivant entre les absences de la plaignante et celles de son groupe de travail, lequel fait l’objet d’une admission :
Les journées d’absences de la plaignante pour les années 2003 à 2009 sont détaillées comme suit :
2003
· 1 er janvier 2003 au 12 Septembre 2003 (MSB). Diagnostic : syndrome anxieux important et symptomatologie dépressive.
· 5, 6, 13, 27, 28 novembre 2003 (MSP). Retour progressif au travail.
· 17 décembre (PCU)
· 29 décembre (MSP)
Taux d’absentéisme de la plaignante : 77%
Taux d’absentéisme moyen du groupe : 6.0%
2004
· 3 février (PCU) : personnel
· 18 au 20 février (MSP)
· 25 février (MSP)
· 8 mars (PCU) : personnel
· 6 mai (PCU)
· 12 mai (PCU)
· 25 mai (PCU)
· 31 mai (PCU)
· 6 août (MSP)
· 13 et 13 octobre (MSP)
Taux d’absentéisme de la plaignante : 5%
Taux d’absentéisme moyen pour le groupe : 6.1%
2005
· 12 au 14 janvier (MSP)
· 29 mars au 29 avril (MSP/MSB). Diagnostic : bronchite
· 14 juin (MSP) : Plaignante malade
· 27 octobre au 11 novembre (MSP/MSB). Diagnostic : tendinite à l’épaule droite et au poignet droit, trouble d’adaptation et fibromyalgie.
Taux d’absentéisme de la plaignante : 29%
Taux d’absentéisme moyen du groupe : 6.5%
2006
· 2 janvier au 28 avril (MSB). Diagnostic : tendinite à l’épaule droite et au poignet droit, trouble d’adaptation et fibromyalgie.
· 1 mai (MSB)
· 6 juillet (MSP)
· 31 août (MSP)
· 30 octobre au 29 décembre (MSB/MSP). Diagnostic : entorse lombaire, trouble d’adaptation en lien avec le décès du père de la plaignante, hernie discale et antécédents récents de sinusite, bronchite et pneumonie.
Taux d’absentéisme : 59%
Taux d’absentéisme moyen pour le groupe : 5.1%
2007
1 er janvier au 25 mai 2007 (MSB). Diagnostic : entorse lombaire, trouble d’adaptation en lien avec le décès du père de la plaignante;
· Retour progressif au travail. La plaignante est absente les 28 et 30 mai, 1 er , 5, 7,11,14 juin (MSB);
· 18 au 20 juin (MSB), Diagnostic : stress post-traumatique suite à un accident de la route;
· 1 er août (MSB) : Plaignante malade;
· 8 août (MSP) : Plaignante malade;
· 20 et 21 août (MSB) : Plaignante malade;
· 10-11 septembre (MSB) : Plaignante malade;
· 28 septembre (MSB) : Plaignante malade;
· 1 er octobre (MSB) : Plaignante malade;
· 28 novembre (MSP) : Plaignante malade. Maux de tête;
· 10 et 12 décembre (PCU) : Plaignante malade;
· 17 décembre PCU) : tempête;
· 27 décembre (MSP) : Plaignante malade;
Taux d’absentéisme de la plaignante : 63%
Taux d’absentéisme moyen du groupe : 5.7%
2008
· 2 janvier au 15 août (MSB/MSP). Diagnostic : dépression majeure en lien avec le rôle parental ainsi que labyrinthite;
· Retour progressif au travail du 18 août au 26 septembre. La plaignante est absente les 18, 20, 21, 22, 25, 27, 28, 29 août, 1 er , 3, 4, 8, 10, 11, 12, 15, 16, 23, et 24 septembre;
· 7 novembre au 31 décembre (MSB). Diagnostic : Trouble d’adaptation en lien avec son rôle parental.
Taux d’absentéisme de la plaignante : 92%
Taux d’absentéisme moyen du groupe : 9,9%
2009
· 1 er janvier au 6 février (MSB). Diagnostic : Trouble d’adaptation en lien avec son rôle parental;
· Retour progressif au travail du 9 février au 27 février. La plaignante est absente les 9, 10, 11, 16, 17, 19, 24 et 26 février;
· 19 mai au 3 juin (MSB). Diagnostic : sinusite et céphalées;
· 22 juin au 1 er juillet (MSB). Diagnostic : Trachéite aiguë;
· 8 juillet (MSB). Diagnostic : bronchite;
· 10 juillet (MSB). Diagnostic : Trachéo-bronchite;
· 13 au 15 juillet (MSB). Diagnostic : Trachéo-bronchite;
· 7 août au 29 août (MSB). Diagnostic : bronchite;
· 8 septembre (MSB). Diagnostic : syndrome côlon irritable;
· 5 au 12 octobre (MSB). Diagnostic : Trachéite;
· 28 au 30 novembre (MSB). Diagnostic : migraine.
Taux d’absentéisme de la plaignante : 43%
Taux d’absentéisme moyen du groupe : 10.4%
[50] La précision du Syndicat à l’effet que le taux d’absentéisme n’a pas toujours été excessif durant « toute la durée d’emploi » de madame Beaudoin, est significative en regard de la façon qu’il demande au Tribunal d’aborder ce sujet. Au contraire, on aura compris que pour l’Employeur la situation est globale et qu’elle a couru au moins depuis 2003 jusqu’à 2009.
[51] Le Syndicat soutient qu’on ne peut isoler les 7 dernières années de travail de madame Beaudoin chez l’Employeur, car elle y est une employée depuis 22 ans, dont les 16 premières sans offrir un tel portrait d’absence.
[52] À ce sujet le procureur du Syndicat renvoie le Tribunal à l’opinion suivante de l’arbitre Maureen Flynn dans l’affaire Exposervice Standard Inc . [12] :
Enfin, le pronostic de l’employeur est peu convaincant alors que l’accumulation de plus d’une vingtaine d’années au sein de l’entreprise crée dans une certaine mesure une présomption de capacité de fournir une prestation de travail régulière. Capacité que le plaignant a effectivement retrouvé suite au dernier traitement qu’il a subi et qui s’est avéré concluant et ce dans les mois qui ont suivi la date prévue pour son retour au travail.
[53] Je ne saurais exclure l’idée que la durée totale du service chez un même employeur illustre une certaine capacité à effectuer le travail sur une base régulière. Toutefois, de là à dire qu’il y a présomption de capacité il y a une marge qui ne peut être franchie que cas par cas. Dans l’affaire Exposervice le salarié comptait environ 20 années de service. Dans la présente, madame Beaudoin en comptait 22. Toutefois, dans l’affaire Exposervice le salarié avait connu des problèmes de présence au travail au cours des 3 dernières années alors que la plaignante en connaît sur une période de 7 ans, dont une seule année positive, la seconde (2004).
[54] J’ai donc plutôt tendance à dire que dans le cas de madame Beaudoin, qu’au moins les 5 dernières de ses 7 dernières années soulèvent plutôt une présomption d’incapacité, si tant est que l’on puisse réellement parler de présomption, sachant que la vie se charge parfois de dévier les gens d’un parcours qui, jusque-là, semblait régulier et immuable. Cela touche particulièrement les cas des absences pour des motifs ponctuels et non répétitifs, par exemple le décès du conjoint.
[55] D’autre part, le Syndicat soumet que la dernière absence de la plaignante n’a été que de trois jours, soit du 28 au 30 octobre 2009, en raison d’une migraine confirmée par un billet médical. Rappelons que l’Employeur ne conteste pas les motivations des absences, incluant la dernière.
[56] Le Syndicat reproche toutefois à l’Employeur d’avoir négligé de s’attarder au dernier motif de la dernière absence, et aux précédentes, ce qui, selon lui, aurait permis de mieux évaluer la capacité de madame Beaudoin à offrir une prestation normale et continue de travail dans un avenir prévisible et rapproché.
[57] À cet égard, le procureur du Syndicat affirme que l’Employeur a admis que la raison du congédiement était la maladie de la plaignante (plan de plaidoirie du 19 novembre 2012). Je cite :
En avant-midi, Mme Beaudoin est congédiée en raison de maladie (Admission de Bell lors de l’audience du 7 octobre 2011 : Véracité du contenu du courriel du 3 novembre 2009 de Mme Bacari, dernier document de la pièce E-6).
[58] Ce courriel a été soumis avec l’ensemble des autres documents relatifs à l’année 2009, sous la cote E-6. Il en est le dernier. Il se lit comme suit :
De : Bacari Franca
Envoyé : novembre/03/2009 10 :48
À : Base de données
Cc : Multiples
Objet : Départ
Prénom : Sylvie
Nom : Beaudoin
NIP : XXX
Code de structuration : XXX
SL-1 : XXX
Groupe : CCC CORP BDI
DRS :XXX
Statut : Permanent temps plein
Date de départ : 2009-11-03
Raison du départ : licenciement
Cause : maladie (Soulignement et caractères gras ajoutés)
Réembauchable : non
Remarques : À compter du 28 octobre au 30 octobre : agente était en « MSP… Retour au travail le 2 novembre.
[59] Le procureur du Syndicat reconnaît toutefois que madame Bacari n’a pas participé à la prise de la décision de congédier la plaignante et que la personne qui l’a prise, madame Tahtadjian, n’a jamais soutenu un autre motif que celui de l’absentéisme excessif de 2003 à 2009.
[60] Avant d’aborder la question de l’obligation que l’Employeur d’évaluer de nouveau l’état de santé de la plaignante, selon le Syndicat, afin de déterminer si elle était en mesure d’offrir une prestation de travail normale et continue, dans un avenir rapproché et prévisible, il faut déterminer si nous sommes en présence d’un absentéisme excessif.
[61] À cet égard, le tableau indique ce qui suit :
2003
Taux d’absentéisme de la plaignante : 77%
Taux d’absentéisme moyen du groupe : 6.0%
2004
Taux d’absentéisme de la plaignante : 5%
Taux d’absentéisme moyen pour le groupe : 6.1%
2005
Taux d’absentéisme de la plaignante : 29%
Taux d’absentéisme moyen du groupe : 6.5%
2006
Taux d’absentéisme : 59%
Taux d’absentéisme moyen pour le groupe : 5.1%
2007
Taux d’absentéisme de la plaignante : 63%
Taux d’absentéisme moyen du groupe : 5.7%
2008
Taux d’absentéisme de la plaignante : 92%
Taux d’absentéisme moyen du groupe : 9,9%
2009
Taux d’absentéisme de la plaignante : 43%
Taux d’absentéisme moyen du groupe : 10.4%
[62] On peut voir dans ce tableau qui s’échelonne sur 7 années, qu’il n’y a qu’en 2004 que le taux des absences de madame Beaudoin s’apparente à celui du groupe, voire même qu’il y est inférieur : 5% pour madame Beaudoin versus 6.1% pour le groupe. Il faut toutefois aussi noter que le taux d’absentéisme de madame Beaudoin a été manifestement supérieur à celui du groupe pendant 6 des 7 années de la période de 2003 à 2009. Au mieux il a été de 29% versus 6.5% en 2005 et au pire de 92% versus 9.9% en 2008.
[63] Je ne peux donc considérer que la seule période de 2004 ait une incidence telle qu’il me faudrait avaliser l’idée que le taux des absences de la plaignante n’a pas été excessif durant toute la période de 2003 à 2009. Le fait est plutôt que durant l’ensemble de celle-ci, incluant l’année 2004, son taux moyen a été de 55% alors que celui du groupe a été de 8.4%, avec une importance marquée de 2005 à 2009 inclusivement, s’élevant à 57%.
[64] Cela signifie que madame Beaudoin a été absente au moins 6.5 fois plus souvent que les employés du groupe, l’ayant été 57% du temps de travail de 2005 à 2009 alors que le groupe l’a été à raison de 11%, soit 5.2 fois plus souvent que le groupe. Il me faut aussi dire que le taux du groupe est logiquement haussé par celui de la plaignante, ce qui signifie que le taux réel du groupe sans la plaignante, est manifestement plus bas. Nous n’avons toutefois pas les chiffres pouvant le déterminer de manière précise.
[65] Devant un tel tableau, comment ne pas conclure qu’au moins au cours des 5 dernières années (2005 à 2009) le taux des absences de madame Beaudoin était tel qu’il ne pourrait être qualifié d’excessif? Selon le soussigné, ce serait fermer les yeux sur la réalité.
CONCLUSION sur le caractère excessif des absences de madame Beaudoin
[66] Le tableau soumis par l’Employeur et reconnu par le Syndicat dans la liste des admissions, fait objectivement état d’un taux excessif des absences de la plaignante.
[67] J’ajoute que même si madame Beaudoin aurait eu avant 2003 seize années de présence normale au travail, ce que l’Employeur n’admet pas, on ne peut ignorer le taux manifestement excessif au cours des 7 années suivantes, plus particulièrement au cours des 5 dernières, pour une multitude de motifs.
G- PREUVE DE FAITS POSTÉRIEURS
[68] J’ai, le 18 octobre 2012, transmis aux procureurs une lettre qui devait servir de guide dans leurs notes et autorités à venir, au sujet de l’admissibilité d’une preuve postérieure. Je rappelle que comme il y était indiqué, il ne s’agissait pas d’une décision du soussigné. Je la reproduis :
Tel que discuté lors de l’audience du 7 octobre 2011, je vous transmets uniquement à des fins d’éclaircissement et de guide pour la poursuite de l’audition du grief 6001-11336 concernant madame Sylvie Beaudoin, ce que j’espère être une précision en regard de l’admissibilité en preuve de faits postérieurs à la date de la décision de l’Employeur contestée par ce grief.
J’ai, le 7 octobre, rendu séance tenante ma décision à la suite de l’objection patronale à la preuve de faits postérieurs. À ce moment, cette preuve concernait l’état de santé de la plaignante puisque le Syndicat entendait soumettre une preuve sur ce sujet, mais élaborée postérieurement à la fin de l’emploi de madame Beaudoin.
J’ai aussi fait déterminer certains éléments du litige. Notamment, la procureure de l’Employeur a reconnu que sa cliente ne contestait pas les rapports médicaux ou opinions médicales au soutien des absences de la plaignante avant la fin de son emploi. Cela permet d’écarter une preuve contradictoire à leur sujet. Elle a aussi confirmé que le seul élément du litige, du moins selon l’Employeur, concerne l’expectative au moment de la fin de l’emploi de madame Beaudoin, qu’elle puisse offrir une prestation de travail acceptable dans un avenir raisonnable, notamment sans arrêts répétés en raison de problèmes de santé.
Les nombreuses absences de madame Beaudoin ont notamment été justifiées par des épisodes de dépression alors que le Syndicat veut établir que leurs causes sont d’ordre situationnel et qu’il n’est pas raisonnablement envisageable qu’ils puissent normalement se répéter. Il m’a semblé et il me semble encore, que la position de l’Employeur est plutôt que le lourd dossier d’absence de la plaignante durant les dernières années, suffit pour conclure qu’il ne puisse raisonnablement croire qu’elle fournira dans un avenir rapproché, une prestation de travail acceptable et continue, au-delà même des motifs de ses absences antérieures, ne faisant plutôt reposer sa décision que sur le nombre d’absences et d’épisodes d’absences de la plaignante, mettant d’ailleurs fin à son emploi le jour même de son retour au travail, sans réellement contester sa capacité de travailler à ce moment.
Veuillez noter que cet énoncé n’est que partiel et peut donc ne pas représenter parfaitement ou complétement la position de chaque partie. Il n’est exprimé que pour identifier le cadre de la preuve en ne cherchant à ce stade qu’à assurer à chaque partie le droit à un procès équitable et une défense pleine et entière.
Le Tribunal a alors fait le point en acceptant qu’une preuve de faits postérieurs ou connus postérieurement, soit admise. Toutefois, une réserve a été énoncée : Une telle preuve ne peut faire état de nouveaux éléments inconnus par l’Employeur lors de la prise de sa décision, et qu’il n’aurait pu raisonnablement connaître. Ainsi, si un médecin offre une opinion médicale, qu’il soit un expert ou non, à l’effet que madame Beaudoin est maintenant guérie, elle ne peut constituer une preuve pertinente et admissible que dans la mesure où il sera démontré qu’au moment de l’étude de la capacité de la plaignante à offrir une prestation acceptable dans un avenir raisonnablement rapproché, une telle conclusion pouvait déjà être retenue ou ne pouvait être écartée, en raison des informations que l’Employeur détenait déjà ou qu’il aurait pu détenir par le biais d’une analyse rigoureuse de la capacité de la plaignante dans l’avenir.
En d’autre mots, l’Employeur doit démontrer qu’il avait raison de conclure au moment où il a mis fin à l’emploi de madame Beaudoin, à l’absence raisonnable d’une telle expectative alors que le Syndicat doit démontrer le contraire, tous les deux par une preuve prépondérante.
Si un expert a postérieurement étudié le dossier médical de la plaignante tel qu’il était au moment de la fin de son emploi, ou qu’il aurait dû être, et qu’il en a conclu qu’à ce moment il reflétait ou aurait reflété l’existence d’une telle expectative, ou le contraire, son témoignage sera admissible.
Se peut-il que la notion même d’expectative ou de pronostic impose une vision de l’avenir? Évidemment et puisque c’est le cas, une preuve de certains faits postérieurs à la date de la décision de l’Employeur est admissible si elle contribue à démontrer que la décision de mettre fin à l’emploi était raisonnable ou non, selon la position défendue, au moment où elle a été prise ou à celui où elle aurait dû être prise, dans chaque cas au mérite d’une étude rigoureuse et complète de l’Employeur de la situation de l’employé concerné en regard de son avenir.
Comment une partie peut donc faire la démonstration que des informations pertinentes mais postérieures à l’imposition de la décision de mettre fin à l’emploi, auraient pu ou dû être considérées, si ce n’est en soumettant en preuve les éléments connus postérieurement ou survenus postérieurement mais que l’Employeur a négligé de considérer ou négligé d’obtenir, alors qu’ils étaient raisonnablement accessibles?
De manière plus illustrative, si au moment où un employeur conclut qu’un salarié ne présente pas le profil d’une capacité permettant de croire qu’il offrira une prestation de travail acceptable dans un avenir raisonnable, certains diront rapproché, alors qu’il sait ou devrait savoir, ou qu’il a un doute ou devrait en avoir un, que cette situation peut changer dans un avenir raisonnable, il se devra de reporter sa décision afin d’obtenir les informations qui lui permettront de conclure de manière raisonnable que le salarié ne peut être maintenu au travail, une fois le doute écarté, sans quoi il risque qu’un tribunal puisse conclure que son étude n’était pas rigoureuse et que sa décision était prématurée.
En d’autres mots, sa conclusion doit être fondée sur les faits qui ressortent d’une analyse rigoureuse de la situation de l’employé concerné, et non pas être à l’enseigne de la facilité en la prenant rapidement et négligemment, sans rigueur. La chose importe car la question est des plus sérieuses : Il s’agit du maintien ou de l’exclusion d’une personne de son emploi pour des motifs qui ne relèvent pas d’un comportement fautif.
Ces faits postérieurs à la date de la décision contestée sont ceux, pertinents à la capacité de l’employé dans l’avenir, qui étaient déjà connus ou prévisibles, ou qui l’auraient été, en effectuant une étude rigoureuse qui les aurait fait ressortir. Il me faut faire une nuance sur ce sujet: Il ne s’agit pas, par exemple, de démontrer qu’un an plus tard la personne est guérie mais de démontrer qu’au moment où la décision de mettre fin à l’emploi au motif que le pronostic de la capacité de la personne à offrir une prestation de travail dans un avenir raisonnable a été prise ou à celui où elle aurait dû l’être si l’étude de cet employeur avait été rigoureuse, elle était ou non raisonnablement fondée.
Je m’attarde à la notion de « raisonnablement connu ». Cela concerne la qualité même de l’exercice décisionnel de l’Employeur. En effet, ce dernier ne peut mettre fin à un emploi sans effectuer une étude rigoureuse du dossier de la personne concernée. Ainsi, s’il pouvait obtenir de manière raisonnable des informations d’ordre médical qui l’auraient mené à confirmer sa décision, la nuancer ou l’infirmer, et qu’il a négligé de les obtenir et/ou de les prendre en considération, il peut se voir sanctionner par la cassation de sa décision.
Cela m’apparaît encore plus le cas lorsque la défense repose sur une allégation de dépression situationnelle car l’état de santé est alors tributaire de faits qui existent à un moment dans la vie d’une personne et dont la répétition est susceptible de ne pas se présenter. Évidemment, ce n’est pas une opinion sur le fond que j’exprime ici mais une réflexion qui ne concerne que l’admissibilité de preuves postérieures au soutien de cette allégation de nature prospective.
Ainsi donc, c’est en négligeant d’obtenir certaines informations par une étude sérieuse et rigoureuse visant l’évaluation du pronostic en regard de la capacité de la salariée à fournir une prestation de travail acceptable dans un avenir raisonnable, que la décision d’un employeur peut être prématurée puisqu’elle ne repose pas sur tous les faits pertinents qui pouvaient être raisonnablement connus, alors que c’est la prématurité même de la décision qui rend ces faits postérieurs à sa décision. Dans un tel cas, ces faits ne seront postérieurs à la décision contestée que parce que l’Employeur les aura ignorés ou n’aura pas fait l’étude rigoureuse qui lui aurait permis de les connaître et de les considérer dans son analyse.
Un employeur ne peut prétendre que des faits sont postérieurs et conséquemment inadmissibles en preuve s’il a lui-même créé une situation qui les rend postérieurs à sa décision prise prématurément, parce que prise avant qu’une étude sérieuse et rigoureuse de la capacité de l’employé concerné ne soit complétée.
C’est donc chaque fois un cas d’espèce et dans celui où le Tribunal arriverait à la conclusion que l’Employeur pouvait et devait considérer des faits qu’il a négligé de considérer en n’effectuant pas une étude rigoureuse, le moment ou la date de la décision de mettre fin à l’emploi ne peut plus être le terme qui détermine ce qui est postérieur et ce qui ne l’est pas. En effet, maintenir une telle approche restrictive en regard de l’admissibilité d’une preuve au seul motif que la survenance de l’événement est postérieure à une date précise, celle de la décision, peut causer un préjudice irréversible.
Sans statuer à ce stade sur ce sujet, j’ajoute que permettre une telle façon de faire constituerait aussi une invitation à un employeur peu respectueux de son employé de prendre une décision rapide et peu éclairée afin d’écarter par la suite de la preuve du salarié remercié, des faits que cet employeur savait ou aurait dû savoir être de nature à invalider sa décision de mettre fin à l’emploi de son employé. Le droit prime sur la procédure et favorise une conclusion juste pour les parties dont le salarié concerné.
Il faut aussi dire que la possibilité de soumettre des faits postérieurs n’est pas exclusive au salarié ou au syndicat, un employeur pourrait aussi vouloir en soumettre pour soutenir la justesse de sa décision, par exemple dans le cas où il découvrirait par la suite des faits qui lui auraient été cachés.
En conclusion et succinctement, la règle est la suivante : L’Employeur ne doit prendre une décision qu’à la suite d’une étude rigoureuse du dossier d’un employé, tant à la lumière des informations qu’il détient que de celles qu’il pouvait raisonnablement obtenir, particulièrement lorsque sa décision repose sur une conclusion prospective, soit sur la capacité ou l’incapacité de l’employé de fournir une prestation de travail acceptable dans un avenir raisonnable.
Il s’agit donc d’une vision tournée vers l’avenir. Une preuve pertinente est donc admissible si elle contribue à démontrer la justesse ou non de la décision de l’Employeur, fondée sur les informations qu’il détenait déjà au moment de sa décision et, le cas échéant, sur celles qu’il aurait dû obtenir en effectuant rigoureusement son étude, donc en repoussant sa décision parce que le dossier n’était pas complet ou ne résultait que d’une vue partielle de la situation de la personne. Il devenait dès lors déraisonnable de ne pas regarder plus loin pour déterminer l’expectative de la capacité du salarié. On ne peut donc en prenant prestement une décision, rendre une preuve inadmissible du seul fait qu’elle soit postérieure à la date de l’imposition de ladite décision, il faut aussi que l’étude sur laquelle cette décision repose, soit rigoureuse et complète.
Je me permets un dernier commentaire qui porte sur l’affirmation de l’Employeur à l’effet qu’il serait déraisonnable d’exiger d’un employeur qu’il fasse une preuve par expert. Je ne partage cette prétention que si le cas sous étude le justifie. En effet, s’il se peut que dans une situation donnée une telle expertise ne soit pas nécessaire, il se peut aussi que dans une autre un employeur ne puisse soutenir une conclusion de nature médicale que sur la foi de sa propre perception des choses. Dans un tel cas, il ne s’agit pas de lui imposer de soumettre une expertise en preuve mais de déterminer si sa preuve est prépondérante ou non. J’ajoute qu’il faut admettre que généralement, il est utile en matière médicale de faire reposer sa décision sur l’opinion d’un médecin plutôt que sur celle d’un néophyte, telle celle d’un arbitre dont l’expertise n’est pas la médecine.
C’est donc une question de qualité ou de poids de la preuve dans une affaire donnée et non pas de l’imposition d’un moyen de preuve, soit une opinion d’expert. Il revient à la partie de déterminer si elle doit recourir à une telle preuve et au Tribunal de déterminer si la preuve qui lui est finalement soumise soutient ou non la position de l’une et l’autre partie, de manière prépondérante. Pour cela, il peut toutefois arriver qu’il soit d’avis qu’une preuve d’expert aurait été un moyen de preuve déterminant. Il revient donc à la partie de déterminer les moyens de preuve qu’elle entend utiliser en jugeant notamment à l’avance si celle qu’elle offrira sera prépondérante sans une telle expertise.
[…]
[69] Depuis cette lettre, les parties ont soumis des notes et autorités relatives à leurs prétentions respectives sur l’admissibilité d’une preuve de faits postérieurs. Aux fins de la présente, je dois notamment préciser les points suivants.
[70] Si, l’Employeur a clairement fait reposer sa décision sur le taux d’absentéisme de la plaignante qu’il a jugé excessif, il a aussi démontré que les motifs de ces absences étaient multiples, souvent sans lien les uns les autres. L’Employeur a aussi déclaré qu’il n’a pas contesté les billets médicaux ou toute allégation de motifs soumis par la plaignante pour justifier ses absences, incluant la dernière, celle de 3 jours, du 28 au 30 octobre 2009 inclusivement.
[71] Cela signifie qu’aux yeux de l’Employeur le litige ne porte que sur la présence d’un lourd dossier d’absences pour des motifs multiples et que l’incapacité de la plaignante à faire une prestation de travail normale et prévisible dans un avenir rapproché de manière régulière et continue, ne découle pas de sa condition médicale au moment de son retour au travail à la suite de sa dernière absence.
[72] Pour sa part, le Syndicat soutient que l’Employeur, au moment du retour de madame Beaudoin au travail, a négligé d’apprécier la capacité réelle et actuelle de celle-ci en regard de l’expectative de fournir une prestation de travail prévisible et normale dans un avenir rapproché. Il soutient que s’il s’était attardé à cette question il n’aurait pu conclure que la plaignante était incapable de fournir cette prestation et dans ces conditions. Il affirme donc que l’Employeur a fait preuve d’abus et que sa décision était injustifiée puisque fondée sur une seule partie des éléments dont il pouvait et devait tenir compte. C’est la raison pour laquelle, principalement, il veut soumettre une preuve de faits postérieurs, dont une opinion médicale.
[73] La Cour suprême du Canada a, dans deux arrêts déterminants, élargi les règles concernant l’admissibilité d’une preuve postérieure, mais à certaines conditions.
[74] Le premier arrêt est celui rendu en 1995 dans Cie Minière Québec Cartier c. Métallurgistes Unis d’Amérique, section locale 6889 [13] , lequel détermine les conditions d’admissibilité d’une preuve postérieure.
[75] La Cour suprême s’attardait d’abord à la question de la pertinence d’une preuve, la pertinence étant l’un des facteurs dont il faut tenir compte pour juger de l’admissibilité d’une preuve postérieure comme de toute autre preuve. Je cite :
[7] La question principale que soulève la présente affaire est de savoir si la décision arbitrale devrait être annulée pour le motif que l’arbitre a pris en considération la preuve d’événements subséquents dans sa décision d’accueillir le grief et d’annuler le congédiement de M. Beaudin.
[12] En règle générale, l’arbitre qui examine une décision de congédier un employé devrait confirmer le congédiement lorsqu’il est convaincu qu’il y avait cause juste et suffisante de congédiement au moment où la compagnie a pris cette décision . Par contre, l’arbitre devrait annuler le congédiement lorsqu’il conclut que la compagnie n’avait aucune cause juste et suffisante pour congédier l’employé au moment où elle l’a fait .
[13] Ceci m’amène à la question que j’ai soulevée plus tôt à savoir si un arbitre peut prendre en considération la preuve d’évènements subséquents lorsqu’il statue sur un grief relatif au congédiement d’un employé par la compagnie. À mon avis, un arbitre peut se fonder sur une telle preuve, mais seulement lorsqu’elle est pertinente relativement à la question dont il est saisi . En d’autres termes, une telle preuve ne sera admissible que si elle aide à clarifier si le congédiement en question était raisonnable et approprié au moment où il a été ordonné . Par conséquent, dès qu’un arbitre conclut que la décision de la compagnie de congédier un employé était justifiée au moment où elle a été prise , il ne peut plus annuler le congédiement pour le seul motif que des évènements subséquents rendent, à son avis, cette annulation juste et équitable. Dans ces circonstances, un arbitre excèderait sa compétence s’il se fondait sur une preuve d’évènements subséquents pour annuler le congédiement . Conclure le contraire équivaudrait à accepter que l’issue d’un grief relatif au congédiement d’un employé puisse dépendre du moment où il a été déposé et du délai écoulé entre le dépôt initial et la dernière audience de l’arbitre. En outre, cela mènerait à la conclusion absurde que la décision de la compagnie de congédier un employé alcoolique peut être infirmée dès que cet employé, sous le choc de son congédiement, décide de se réhabiliter même si une telle réhabilitation n’aurait jamais eu lieu en l’absence de la décision de le congédier.
[15] Sur ce point, je partage également l’avis du juge Gendreau, dissident en Cour d’appel, selon lequel la décision de l’arbitre a eu pour effet d’imposer à l’employeur une obligation à laquelle il n’est pas tenu par la convention collective.
(Soulignements ajoutés)
[76] Cet arrêt pose clairement le cadre de l’intervention d’un arbitre : Généralement, il ne peut déterminer si la décision de l’Employeur était raisonnable ou pour cause juste et suffisante que sur la base des faits antérieurs à la décision contestée et, dans le même objectif, il ne peut qu’exceptionnellement considérer une preuve de faits postérieurs que si elle est pertinente à la décision en litige et qu’elle aide à clarifier si elle était raisonnable et appropriée au moment où elle a été prise .
[77] L’arrêt de la Cour suprême du Canada Conseil de l’éducation de la cité de Toronto [14] a toutefois apporté dès 1997 une nuance importante. Je reprends les commentaires que j’ai récemment exprimés au sujet de cet arrêt [15] :
[34] Dans cet arrêt de 1997, la Cour suprême devait déterminer si le Tribunal avait eu raison de ne pas considérer une troisième lettre d’un salarié, au motif qu’elle avait été écrite postérieurement à la décision de l’Employeur, que le salarié contestait. Bien que la Cour suprême ait reconnu que ce document était postérieur, elle a considéré qu’il aurait dû en être tenu compte par le Conseil arbitral, même s’il était impossible que l’Employeur pouvait avoir connaissance de ladite lettre au moment où il a congédié le travailleur.
[35] Sommairement, la Cour suprême a reproché au Conseil arbitral de ne pas avoir tenu compte de cette lettre postérieure, puisque le Conseil en avait connaissance, contrairement à l’Employeur, lorsqu’il a rendu sa décision fondée sur le caractère temporaire ou permanent du comportement du salarié, sur la base des deux lettres antérieures à la décision de l’Employeur de mettre fin à son emploi, dont ce dernier avait tenu compte. J’en reproduis l’extrait suivant :
[par. 47] Pour déterminer si la décision d’un tribunal administratif est manifestement déraisonnable, une cour de justice peut examiner le dossier afin de découvrir le fondement des conclusions de fait et de droit qu’a tirées le tribunal et qui sont contestées.
[36] Le soussigné constitue un Tribunal au sens de la loi. Il doit donc rendre une décision qui ne doit pas être manifestement déraisonnable. Conséquemment, un arbitre doit s’assurer de connaitre et d’apprécier tout fait pertinent au litige. C’est ce que la Cour suprême a estimé dans l’arrêt Le Conseil de l’éducation de la cité de Toronto lorsqu’elle a conclu que le Conseil arbitral avait commis une erreur grave en ne considérant pas une preuve postérieure, pertinente parce qu’elle lui aurait permis de mieux juger si le comportement du salarié concerné était temporaire ou permanent.
[par. 72] La troisième lettre est le dernier élément de preuve important qui mène à la conclusion que la conduite du plaignant n’était pas temporaire. Cette lettre a été rédigée plusieurs mois après la décision de la commission d‘enquête, et un mois et demi après la date fixée pour le début de l’audience… Curieusement, les membres de la majorité (du Conseil arbitral) n’ont même pas fait mention de cette lettre.»
[par. 73] […] La troisième lettre faisait partie de la preuve dont disposait le conseil d’arbitrage. En conséquence, il convient d’en tenir compte pour décider si l’inférence des membres de la majorité du conseil d’arbitrage que la conduite de M. X était temporaire était fondée.
[37] Un tel raisonnement et une telle conclusion obligent le Tribunal à user de prudence avant d’écarter le rapport Cousineau pour la seule raison qu’il a été élaboré postérieurement à la décision de l’Employeur en l’espèce. Il faut s’attarder à son contenu et vérifier s’il rencontre les critères d’admissibilité élaborés par la Cour suprême, en regard de la preuve de faits postérieurs, depuis l’arrêt Compagnie minière Cartier , dont l’arrêt Le Conseil de l’éducation de la cité de Toronto qui déclarait admissible une preuve manifestement postérieure dont l’Employeur ne pouvait pourtant pas avoir connaissance au moment où il a pris sa décision.
[78] Le Syndicat soutient que le seul motif sur lequel l’Employeur fait reposer sa décision de mettre un terme à l’emploi de madame Beaudoin est le profil de ses absences du travail (Notes et autorités du 19 novembre 2012 - page 10) : « Bell n’a pas évalué l’aptitude ou non au travail de Mme Beaudoin avant de la congédier. Il s’agit d’un vice fatal pour lequel le congédiement doit entre autres être annulé. » Il rappelle avec raison l’avis de congédiement du 2 novembre 2009 (E-4):
« Le passé étant garant de l’avenir, nous ne pouvons que conclure que vous ne serez jamais en position de remplir adéquatement vos obligations en tant qu’employée. »
[79] Bien que l’Employeur soutienne que l’opinion du docteur Cocle à laquelle le Syndicat réfère n’est pas une preuve fiable en raison de la variation de celle-ci, il faut à ce stade rappeler que le Tribunal n’a pas à peser la preuve mais uniquement à déterminer si, dans les circonstances de la présente affaire, les opinions médicales postérieures à la décision de l’Employeur et le témoignage du docteur Cocle à leur sujet, sont admissibles en preuve.
[80] Pour le déterminer il me faut revenir à la décision de l’Employeur où loge clairement sa vision de l’avenir, fondée sur le passé : « Le passé est garant de l’avenir… » Cela signifie que quel que soit l’état de santé de madame Beaudoin au moment de son retour au travail, il n’était plus question pour l’Employeur de la maintenir à l’emploi, considérant le passé ou le lourd dossier de ses absences, qu’il qualifie avec raison d’excessives.
[81] Puisque cette position est fondée sur le dossier de la plaignante et constitue un jugement sur l’avenir, l’Employeur avait le droit de prendre une décision sur la base d’une vision prospective de la capacité ou de la fiabilité de la plaignante dans l’avenir, au moment où il a pris sa décision. Conséquemment, la salariée a aussi le droit d’offrir sa vision de l’avenir afin de contrer celle de son Employeur. C’est ce qui est permis au Syndicat de faire en l’instance, même par le biais de faits postérieurs.
[82] Cela écarte par contre tout nouveau diagnostic ou nouveau bilan de santé qui n’aurait pu raisonnablement être à la connaissance de l’Employeur au moment où il a pris sa décision .
[83] Je me dois donc de permettre au Syndicat de soumettre une telle preuve sur la base du dossier de la plaignante avant son congédiement et non pas sur une appréciation de son état de santé postérieurement, tout délai à cet égard étant de plus un facteur jouant contre sa valeur probante. Cette preuve doit être pertinente à la décision de l’Employeur de mettre fin à l’emploi au moment où il l’a prise et être utile à son évaluation.
[84] Le Syndicat ne peut donc soumettre que des éléments de preuve postérieurs qui soutiennent sa position à l’effet que le 2 novembre 2009 (E-4) l’Employeur ne pouvait conclure comme il l’a fait en regard de l’avenir, au motif que le passé serait garant de l’avenir, bien que parfois, selon les circonstances, cette maxime puisse être raisonnablement indicative du futur.
CONCLUSION SUR LA PREUVE POSTÉRIEURE
[85] Afin de rendre une décision fondée sur l’ensemble des éléments pertinents à la question du caractère raisonnable, injustement discriminatoire, arbitraire, de mauvaise foi ou abusif de la décision de l’Employeur de mettre fin à l’emploi de madame Beaudoin, il est permis au Syndicat de soumettre une preuve postérieure qui respecte les critères d’admissibilité énoncés par la Cour suprême dans les arrêts discutés précédemment, soit :
- Que cette preuve soit pertinente au caractère prospectif de la décision de l’Employeur sur la capacité de la plaignante à offrir dans un avenir rapproché, une prestation normale et continue de travail, fondée sur le dossier des absences de celle-ci de 2003 à 2009;
- Qu’elle soit utile afin de décider de sa validité;
- Qu’elle repose sur les faits, médicaux ou autres, connus par l’Employeur au moment de sa décision ou qu’il aurait dû connaître et considérer.
H- APPLICATION DU DEVOIR D’ACCOMMODEMENT?
[86] Le Syndicat soutient que l’Employeur avait le devoir de démontrer par une preuve prépondérante qu’il a satisfait à son devoir d’accommodement à l’endroit de madame Beaudoin.
[87] Il faut faire une distinction qui me parait déterminante : Le motif du congédiement repose sur l’état de son dossier d’absentéisme au cours des années 2003 à 2009. La dernière absence d’une durée de 3 jours n’en est qu’une autre s’ajoutant aux nombreuses durant cette période. De plus, elle n’a pas perdu son emploi parce qu’elle s’est absentée durant ces trois journées ou parce qu’elle était malade, quelle qu’en soit la raison, laquelle n’est d’ailleurs pas contestée.
[88] Il faut aussi faire la précision suivante : Si le Syndicat prétend que madame Bacari a reconnu dans un courriel que madame Beaudoin avait été congédiée pour maladie, il apparait plutôt clairement de la preuve, comme il en a été antérieurement discuté, que tel n’en n’était pas le motif, d’autant plus que madame Bacari n’a pas participé à la décision de mettre fin à l’emploi de la plaignante.
[89] Il appert plutôt qu’elle a perdu son emploi pour une seule raison : Le dossier de ses absences entre 2003 et 2009, pour de multiples motifs qui ne sont pas tous d’ordre médical, laissant l’Employeur conclure qu’elle ne pouvait offrir dans le futur une prestation de travail normale, régulière et continue, sans égard aux motifs de ses absences, dont la maladie. C’est plutôt sur le cumul de toutes ces situations que la décision de l’Employeur repose.
[90] Il ne l’a pas congédiée parce qu’elle était malade ou parce qu’elle souffrait d’un handicap l’empêchant de fournir sa prestation normale de travail. De plus, le Syndicat affirme que madame Beaudoin était capable d’offrir une telle prestation de travail, sans limitation, d’ailleurs le médecin traitant de la plaignante, le Dr Cocle, n’en détermine aucune.
[91] Il n’y a accommodement raisonnable que si la situation l’impose, par exemple dans le cas d’un employé qui ne peut en raison de sa maladie ou de son handicap, poursuivre le travail qu’il effectuait mais qui pourrait, avec certains accommodements n’entraînant pas une contrainte excessive pour l’employeur, occuper une autre fonction ou celle qu’il occupait, mais avec certains aménagements.
[92] La décision de l’Employeur de mettre fin à l’emploi de la salariée repose sur taux excessif de ses absences. D’autre part, comment aurait-il pu concevoir un accommodement raisonnable quand il n’y a ni maladie, ni handicap, ni aucune raison démontrant l’incapacité de la personne à effectuer son travail régulier, ou tout autre, puisque c’est sa présence au travail, tous motifs confondus, qui fait problème?
CONCLUSION sur l’obligation d’accommodement
[93] Aucun accommodement ne pouvait réduire la conséquence de l’absentéisme excessif de madame Beaudoin, ni en sa faveur, ni en faveur de l’Employeur.
[94] Il appartenait donc à la salariée de changer les choses, ce qu’elle a eu l’occasion de faire au cours des années 2003 à 2009, comme elle a été invitée régulièrement à le faire, mais sans succès, d’où la prétention de l’Employeur à l’effet que le passé est garant de l’avenir. On ne peut donc pas parler de contrainte excessive car il n’y a pas et ne peut y avoir accommodement.
I- ARGUMENTS DU SYNDICAT S’APPUYANT SUR DES DISPOSITIONS LÉGALES ET CONVENTIONNELLES
[95]
Le Syndicat demande au Tribunal d’appliquer les articles
I.1 Loi canadienne sur les droits de la personne
[96]
Le Syndicat renvoie le Tribunal aux articles
Art. 3 : Motifs de distinction illicite
(1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.
Art. 7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :
a) De refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;
b) De le défavoriser en cours d’emploi.
[97] Il soutient que madame Beaudoin a été congédiée en contravention à cette loi d’ordre public, l’ayant été pour un motif illicite. Il reproche à l’Employeur de ne pas avoir respecté les éléments du test imposé par les Tribunaux à cet égard. Il réfère à ce sujet à un ouvrage des auteurs Béliveau et Lebel, précité, à la page 13 :
L’employeur qui invoque le fait que le salarié n’exécute pas sa prestation de travail avec suffisamment de constance et de régularité doit donc dans tous les cas faire la preuve que sa décision n’est pas discriminatoire en vertu de la Charte québécoise ou de la Loi canadienne . Ainsi, outre le caractère excessif de l’absentéisme du salarié et le fait qu’il s’avère improbable que ce dernier soit en mesure de fournir une prestation de travail normale dans un avenir prévisible, l’employeur devra faire la preuve qu’il a satisfait l’obligation d’accommodement qui lui incombe jusqu’à la limite d’une contrainte excessive.
[98] Selon ces auteurs, les éléments devant être prouvés par l’Employeur seraient les suivants :
1- que la salariée n’exécute pas sa prestation de travail avec suffisamment de constance et de régularité …
2- le caractère excessif de l’absentéisme de la salariée …
3- que cette dernière soit en mesure de fournir une prestation de travail normale dans un avenir prévisible …
4- que l’employeur a satisfait à l’obligation d’accommodement qui lui incombe jusqu’à la limite d’une contrainte excessive.
[99] Quant au premier élément , la preuve de l’Employeur montre sans l’ombre d’un doute par les nombreuses et très longues absences de la plaignante entre 2003 et 2009, qu’elle n’a pu effectuer son travail de manière constante et régulière.
[100] En ce qui a trait au second élément , le caractère excessif de l’absentéisme de la plaignante entre 2003 et 2009 (7 ans), plus particulièrement entre 2005 et 2009 (5 ans), a été démontré par l’Employeur. Il est tel qu’il serait déraisonnable de ne pas l’admettre.
[101] En regard du troisième élément , soit la prévisibilité, ce sujet est étudié au chapitre sur le fond.
[102] Quant au quatrième élément , le devoir d’accommodement, avec respect pour les auteurs, je suis en désaccord avec eux lorsqu’ils disent qu’il s’applique « dans tous les cas ». Cela dépend des circonstances, tel qu’il en est discuté au chapitre précédent. En l’espèce, j’ai déjà conclu que l’Employeur n’était pas lié par cette obligation.
[103] Il faut d’autre part ajouter que l’Employeur a le pouvoir d’établir les exigences visant l’accomplissement de tâches régulières d’un emploi. Les auteurs Béliveau et Lebel en font état avec raison [16] . L’un des éléments du test proposé se lit comme suit :
(3) que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime relié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnable et nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.
[104] Qu’en est-il de la présence au travail? S’agit-il d’une norme déraisonnable? Évidemment que non. La présence au travail n’a pas à être écrite dans une description de tâches, elle découle naturellement de l’obligation d’offrir une prestation de travail normale et régulière en échange d’une rémunération : « No work, no pay ».
[105] Traitant de l’obligation d’accommodement, les auteurs citent la Cour suprême dans l’arrêt Hydro-Québec précité :
Les mesures d’accommodement ont pour but de permettre à l’employé capable de travailler de le faire. En pratique, cela signifie que l’employeur doit offrir des mesures d’accommodement qui, tout en n’imposant pas à ce dernier de contrainte excessive, permettront à l’employé concerné de fournir sa prestation de travail. L’obligation d’accommodement a pour objet d’empêcher que des personnes par ailleurs aptes ne soient injustement exclues, alors que les conditions de travail pourraient être adaptées sans créer de contrainte excessive.
L’obligation d’accommodement n’a toutefois pas, selon la Cour suprême, dans l’arrêt Hydro-Québec , pour objet de dénaturer le contrat de travail.
[106] Ce dernier élément de cet extrait met en relief le fondement même du travail ou d’un emploi. En effet, il est nécessaire que le salarié fournisse une prestation de travail et pour cela, il est essentiel qu’il assure sa présence au travail . Cela est vrai pour tous, que ce soit sous l’aspect disciplinaire ou administratif. Sous ce dernier volet, il faut être en mesure de déterminer les éléments qui permettent d’identifier un accommodement raisonnable, sans contrainte excessive pour l’employeur. Qu’en est-il lorsque la difficulté repose sur une présence au travail insuffisante pour plusieurs motifs souvent non reliés, médicaux et autres. Comment peut-on déterminer un accommodement raisonnable quand la cause de la situation est l’absence répétée ou fréquente de la personne salariée, pour toutes sortes de raisons?
[107] L’Employeur a déjà rencontré son obligation d’accommodement au cours des années 2003 à 2009 face aux nombreuses absences de la plaignante, sans contestation, même lorsqu’elles n’étaient pas reliées à un motif médical. Il lui a permis, notamment en raison de ses années de service, de cheminer en dehors du travail même si sa présence au travail est un élément essentiel de son obligation de travailleuse et qu’il découlait de ses absences des difficultés parmi son groupe de travail. Or, il s’est écoulé 7 années ainsi.
[108] Il a aussi pris le temps de permettre à madame Beaudoin de corriger la situation et il l’a fréquemment invitée à le faire. Les avis de l’Employeur depuis 2003 reproduits au début de la présente, le montrent clairement. Il a respecté l’état de santé de la plaignante à chaque absence et ce n’est que lorsqu’il a acquis la certitude qu’elle n’avait pas de limitation ou restriction médicale à l’exécution de ses tâches régulières, qu’il a définitivement focalisé sur la présence d’un absentéisme excessif, sans égard aux motifs de chaque absence.
[109] Bien qu’il n’avait pas l’obligation de satisfaire à l’obligation d’accommodement qui s’applique dans le cas d’une personne affligée de limitations ou de restrictions fonctionnelles, l’Employeur a accordé à madame Beaudoin une longue période afin de corriger les choses. C’est ainsi qu’il a, en quelque sorte, assumé un devoir d’accommodement, bien qu’il n’y était pas obligé.
[110] La preuve démontre qu’au 2 novembre 2009 aucun accommodement ne pouvait permettre à madame Beaudoin d’avoir une présence normale, régulière et surtout continue au travail. Conséquemment, même si l’Employeur était en principe soumis à une telle obligation, les faits de la présente affaire ne lui permettaient pas raisonnablement de l’assumer. D’ailleurs, la preuve ne démontre aucune proposition en ce sens de la part du Syndicat, du Dr Cocle et de la plaignante.
DÉCISION en regard de la Loi Canadienne des droits de la personne
[111] Conséquemment, le quatrième élément relatif au devoir d’accommodement ne s’applique donc pas.
[112] Pour ces motifs, le Tribunal conclut que l’Employeur n’a pas contrevenu à la Loi Canadienne des droits de la personne en mettant fin à l’emploi de madame Beaudoin.
I.2- Code canadien du travail - art. 239
[113] La discussion qui précède dispose également de la prétention syndicale en regard de l’article 239 (1) - (1.1) du Code du travail du Canada . Il se lit comme suit :
(1) Sous réserve du paragraphe 1.1, l’employeur ne peut congédier, suspendre, mettre à pied ni rétrograder un employé, ni prendre des mesures disciplinaires contre lui, pour absence en raison de maladie ou d’accident si celui-ci remplit par ailleurs les conditions suivantes :
a) Il travaille sans interruption pour lui depuis au moins trois mois;
b) Il n’est pas absent pendant plus de douze semaines;
c) Il fournit à l’employeur, sur demande de celui-ci par écrit dans les quinze jours du retour au travail, un certificat d’un médecin qualifié attestant qu’il était, pour cause de maladie ou d’accident, incapable de travailler pendant la période qui y est précisée, celle-ci devant correspondre à celle de l’absence.
Exception
(1.1) L’employeur peut affecter à un poste différent, comportant des conditions d’emploi différentes, l’employé qui, à son retour d’un congé pour maladie ou accident, n’est pas en mesure de remplir les fonctions qu’il occupait auparavant.
[114] Cette disposition ne s’applique pas à la présente affaire puisque madame Beaudoin n’a pas été remerciée parce qu’elle était malade ou handicapée, mais simplement parce que le cumul de ses absences pour de nombreux motifs convainquait l’Employeur que dans un avenir rapproché et prévisible, elle ne pourrait fournir une prestation de travail normale, régulière et continue, ne l’ayant jamais fait au cours des années 2003 à 2009, à l’exclusion de l’année 2004.
[115] Dans la présente affaire il ne s’agit pas d’un cas où l’absence doit être justifiée, chacune l’étant aux yeux de l’Employeur, même la dernière, puisqu’il n’en a contesté aucune. La problématique se situe plutôt dans l’insuffisance de la présence globale de la plaignante au travail au cours de nombreuses années, pour une multitude de motifs de natures différentes et souvent sans lien.
DÉCISION en regard de l’article
[116]
L’Employeur n’a pas contrevenu à l’article
La convention collective.
[117] Le Syndicat soutient que l’Employeur a contrevenu aux articles 2.01, 23 et 29 de la convention collective.
Article 2.01
La Compagnie s’engage à ne pas faire de mesures disciplinaires conte une employée parce qu’elle est membre du Syndicat ou parce qu’elle s’occupe, au nom du Syndicat, d’activités autorisées aux présentes.
[118] Pour que l’article 2.01 reçoive application il faut qu’il y ait discrimination envers un salarié en raison de ses activités de représentation syndicale ou du fait d’être membre du Syndicat. Ce n’est certes pas le cas sous étude.
Article 23
La Compagnie reconnait sa responsabilité envers une employée qui compte de nombreuses années de service et convient de prendre en considération l’ancienneté acquise dans les questions qui la concernent, dans la mesure où elle juge que les circonstances le permettent, compte tenu des exigences de l’exploitation.
[119] Quant à l’article 23, aucun élément de la preuve ne permet de considérer que madame Beaudoin ait été préjudiciée malgré son ancienneté. Je dirais plutôt que ses années de service lui ont permis de bénéficier de la longue attente de l’Employeur à son égard.
[120] Cette disposition n’accorde pas une garantie d’emploi en raison de l’ancienneté accumulée. Le Syndicat ne le prétend pas non plus. Toutefois, la réserve qui s’y retrouve, montre que l’ancienneté n’accorder pas non plus une immunité totale.
[121] En l’instance, la preuve démontre que les besoins d’exploitation demandaient que la plaignante soit au travail de manière normalement continue. Devant une présence au contraire, l’Employeur avait le droit d’ignorer son ancienneté, ce qu’il n’a pourtant pas fait en lui accordant de nombreuses occasions de corriger la situation et en se montrant patient pendant plusieurs année. De plus, la preuve ne démontre pas que son ancienneté ait été écartée des démarches de l’Employeur.
[122] Conséquemment, l’Employeur n’a pas contrevenu à l’article 23 de la convention collective.
Article 29
[123] L’article 29, il n’a pour seul objet que d’établir le droit à une rémunération pour un employé absent à la suite d’une maladie ou d’un accident. En l’instance, il n’y a aucune réclamation à cet égard et aucune prétention à l’effet que madame Beaudoin en aurait été privée.
[124] L’Employeur n’a donc pas contrevenu à l’article 29 de la convention collective.
J- CARACTÈRE PROSPECTIF DE LA DÉCSION DE L’EMPOYEUR
[125] Cette partie ne traite que du caractère prospectif de la décision de l’Employeur de mettre fin à l’emploi de madame Beaudoin.
[126] Il convient d’abord de déterminer ce que la preuve patronale a établi de manière prépondérante à ce sujet:
1. Que madame Beaudoin a connu un taux excessif d’absences entre l’année 2003 et l’année 2009, inclusivement;
2. Que ses nombreuses absences étaient justifiées chaque fois;
3. Que l’Employeur n’a pas contesté les justifications fournies par la salariée, incluant la dernière absence de 3 jours, du 28 au 30 octobre 2009;
4. Que ses absences étaient justifiées par des diagnostics multiples, souvent sans lien entre eux, ou par des motifs n’ayant aucun caractère médical;
5. Que la fin de l’emploi est de nature administrative et tient compte du niveau, de la fréquence et de la variété des absences de la plaignante de 2003 à 2009;
6. Que la preuve atteste du caractère excessif de l’absentéisme et constitue, compte tenu de son niveau très élevé, une preuve prépondérante à l’effet qu’il était raisonnable, non abusif, arbitraire, de mauvaise foi ou injustement discriminatoire, de considérer que le passé était, dans le cas de madame Beaudoin , garant de l’avenir;
7. Conséquemment, que madame Beaudoin ne pouvait offrir une prestation normale, régulièrement constante ou continue de travail, à un niveau acceptable par l’Employeur, se rapprochant de celui de la moyenne de ses employés.
[127] Le Syndicat a soulevé plusieurs arguments visant l’annulation de la fin de l’emploi. Nous en avons discuté précédemment et, sommairement, nous avons conclu comme suit à leur égard :
1. La fin de l’emploi de madame Beaudoin ne contrevient pas à la Charte canadienne des droits de la personne ;
2. La fin de l’emploi de madame Beaudoin ne contrevient pas au Code canadien du travail ;
3. La fin de l’emploi de madame Beaudoin ne contrevient pas à la convention collective;
4. L’Employeur n’avait pas, compte tenu de la multitude des diagnostics, souvent non liés entre eux, ou de la variété des justifications des absences, souvent non médicales, l’obligation de soumettre madame Beaudoin à une expertise médicale lors de son retour au travail le 2 novembre 2009;
5. Madame Beaudoin n’était affligée d’aucune restriction ou limitation fonctionnelle;
L’Employeur n’était pas tenu d’accorder un accommodement raisonnable à la plaignante, notamment parce qu’aucun accommodement raisonnable ne pouvait assurer la réduction des absences, il n’en n’a d’ailleurs été proposé aucun par le Syndicat et/ou la salariée, afin de lui permettre de fournir une prestation normale de travail dans un tel cadre, de manière régulière et constante.
6. Seule la plaignante pouvait agir pour satisfaire à son obligation d’être suffisamment présente au travail afin de fournir une telle prestation, soit le pendant normal de sa rémunération.
[128] Le Tribunal n’a pas à imposer sa propre vision des choses mais à déterminer si la décision de l’Employeur est déraisonnable, arbitraire, injustement discriminatoire, abusive ou de mauvaise foi. Conséquemment, une autre façon de voir les choses que celle de l’Employeur, que ce soit de la part du Syndicat, de la salariée ou même du Tribunal, doit être écartée dès qu’il ne peut être déterminé que celle de l’Employeur rencontre l’une ou l’autre de ces qualifications.
[129] Cela signifie qu’à moins de soumettre une preuve qui aurait pour effet de qualifier ainsi la décision de l’Employeur, en regard de son caractère prospectif, le Tribunal devra éviter d’intervenir.
[130] À cet effet, le Syndicat a notamment soumis une preuve postérieure. Elle a été reçue mais uniquement à l’intérieur des limites imposées au chapitre pertinent, notamment dans la mesure où elle répond aux critères d’admissibilité énoncés par la Cour suprême du Canada, notamment dans les arrêts Compagnie minière Cartier et Conseil de l’éducation de l’Ontario , précités [17] .
[131] La seule question à laquelle il faut donc maintenant répondre est la suivante : Est-ce que la conclusion de l’Employeur fondée sur le niveau excessif des absences de madame Beaudoin, était déraisonnable, injustement discriminatoire, abusive, arbitraire ou de mauvaise foi? En d’autres mots, est-ce que la preuve du Syndicat l’établit, considérant que le Tribunal a déjà estimé que celle de l’Employeur établissait le contraire.
[132] En ce qui a trait aux éléments déjà connus de l’Employeur lors de la prise de sa décision, le Syndicat soutient principalement que le dossier de madame Beaudoin ne permettait pas de considérer qu’elle ne pourrait offrir une prestation de travail normalement continue dans un avenir rapproché et prévisible, car elle l’avait fait pendant 16 ans, soit jusqu’en 2002, et qu’en 2004 son niveau d’absence était inférieur à celui du groupe. J’ai déjà écarté cette prétention.
[133] Il a aussi soumis que le caractère souvent ponctuel des absences de madame Beaudoin, par exemple en regard de ses obligations familiales ou d’un décès, permettait de plutôt considérer qu’elle allait dorénavant offrir une prestation normale de travail. Je ne partage pas ce point de vue car, quelle que soit la raison de son absence, chacune est rapidement suivie d’une autre, souvent pour un autre motif, sans rapport avec le précédent.
[134] Il arrive un moment où une telle situation prive l’Employeur de son droit à une prestation normale et régulière de travail sans pouvoir y apporter un correctif, qu’il soit de l’ordre de l’accommodement ou non. En l’espèce, la preuve démontre qu’un tel correctif reposait sur l’action de la plaignante, ce qui ne s’est pas traduit de manière significative dans la réalité. Le Tribunal ne peut donc arriver à la conclusion que la décision de l’Employeur doive être annulée pour un tel motif.
[135] Demeure donc l’opinion du docteur Cocle quant à la possibilité que madame Beaudoin puisse dorénavant offrir une telle prestation de travail à l’Employeur. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal estime que son opinion ne peut le convaincre du caractère déraisonnable, arbitraire, abusif, injustement discriminatoire ou de mauvaise foi de la décision de l’Employeur.
[136] Rappelons d’abord que le docteur Cocle est médecin et que son opinion traite de la santé de madame Beaudoin. Or le dossier des absences de madame Beaudoin, au risque de me répéter, n’est pas que médical. Conséquemment, si le docteur Cocle pouvait écarter l’appréciation patronale de la partie médicale du dossier, celle, non médicale, ne le serait pas pour autant. À cet égard, je dois rappeler que la position patronale ne repose pas sur les motifs des absences mais sur leur fréquence et la variété de leurs justifications, parfois médicales et parfois non médicales, sur une longue période.
[137] La preuve démontre que mesdames Bacari et Tahtadjian n’avaient aucune connaissance du dossier médical de la plaignante, sans compter qu’il soumet que madame Bacari n’a pas participé à la prise de la décision, n’ayant plus joué un rôle dans cette affaire au-delà du 15 septembre 2009, soit plus d’un mois et demi avant le congédiement, le 2 novembre 2009. Je cite (plan de la plaidoirie syndicale, page 9):
Il ressort des témoignages entendus lors de l’audience que la décision de congédier Mme Beaudoin a été prise par Mme Silva Tahtadjian, directrice de 2 e niveau, vers la fin octobre 2009. Mme France Bacari, qui était directrice de 1 er niveau, a participé à certains échanges avec Mme Tahtadjian entourant la plaignante mais son rôle s’est terminé, dont le dernier étant le 15 septembre 2009, avant que la décision de congédier ne soit prise.
Il ressort clairement des contre-interrogatoires de Mme Bacari et Tahtadjian que la décision de congédier se base uniquement sur le nombre excessif d’absences (taux) pour la période de 2003 à 2009.
[138] Il reproche par contre à l’Employeur de ne pas avoir tenté de déterminer un pronostic médical futur avant de congédier madame Beaudoin (plan de plaidoirie, page 9):
En aucun temps, Bell n’a tenté de déterminer le pronostic futur avant de congédier. Bell ne s’est pas posé la question, à savoir si Mme Beaudoin était apte à fournir une prestation de travail normale dans l’avenir.
[139] Même si on réduisait l’aptitude (être apte) à la seule question médicale, il appert que l’Employeur n’en a pas que jugé en ne se fondant que sur un dossier d’absences dont le taux est excessif, sur une longue période (2003 à 2009), pour de multiples motifs médicaux et non médicaux, souvent sans lien entre eux.
[140] En effet, la preuve montre sans l’ombre d’un doute que l’Employeur a cherché à connaître l’état de la condition médicale de madame Beaudoin avant de ne focaliser que sur son absentéisme excessif. Il a en effet requis et obtenu une étude du dossier médical et il a même consulté le médecin traitant de celle-ci afin de savoir si elle souffrait de limitations ou de restrictions en regard de l’exécution régulièrement continue de son travail. Or, la conclusion unanime était qu’il n’y en avait pas.
[141] On ne peut donc affirmer que l’Employeur n’a pas évalué que « Mme Beaudoin était apte à fournir une prestation de travail normale dans l’avenir ». Il a plutôt conclut qu’elle était immédiatement apte à accomplir son travail mais qu’elle ne l’était pas en regard de la continuité de sa prestation de travail.
[142] Maître Lazure Bérubé rappelle que l’assureur a fait appel aux services du Dr Cocle au mois de septembre 2009, lui demandant si madame Beaudoin était en mesure d’accomplir les tâches de son emploi. Rappelons que l’Employeur, pour sa part et alors qu’il est celui qui a pris la décision de mettre fin à l’emploi de la plaignante, n’a pas soutenu qu’elle en était incapable au moment de son retour au travail. Il a mis de côté cet aspect pour plutôt focaliser sur la perspective d’une prestation régulière, constante ou normalement continue dans l’avenir, donc sur une assurance raisonnable qu’elle allait dorénavant offrir une présence lui permettant d’accomplir de manière régulièrement continue les tâches de son emploi. C’est là et uniquement là que le débat se situe.
[143] Le Syndicat soutient que l’Employeur ne pouvait mettre fin à l’emploi de madame Beaudoin sans faire une évaluation médicale (plan de plaidoirie, page 10):
Nous sommes d’avis qu’il était impossible pour madame Tahtadjian de prendre une décision éclairée et de justifier le congédiement de Mme Beaudoin si elle n’avait pas accès aux informations médicales ni aux motifs d’absences de la salariée.
[144] Le Syndicat, par le biais de l’opinion du docteur Cocle, prétend que l’Employeur aurait dû déterminer que madame Beaudoin allait dorénavant fournir une prestation de travail normale et régulièrement continue dans un avenir rapproché, s’il avait pris le soin d’analyser le dossier médical de madame Beaudoin. Il soumet à cet égard les faits suivants (plan de plaidoirie, pages 11 et 12) :
Pendant 16 ans, il n’y a eu aucun problème d’absentéisme ou de maladie avant 2003 (admission E-7).
En 2004, le niveau d’absence de Mme Beaudoin est moins élevé que la moyenne du groupe d’employés;
De 2003 à 2006, les causes des absences sont : dépression et trouble d’adaptation lié à des problèmes physiques : tendinite à l’épaule et au poignet, entorse lombaire.
De 2006 à février 2009, la cause des absences : dépression et trouble d’adaptation liés aux troubles de comportement du fils et également en raison du décès du père.
Chacune des longues périodes d’absence de 2003 à 2009 est due à la maladie psychologique, soit à des épisodes anxio-dépressifs (dépression ou trouble d’adaptation). (Témoignage du Dr Cocle)
En février 2009, soit 9 mois avant le congédiement, il s’agit de la dernière fois où Mme Beaudoin s’absente du travail en raison d’une maladie psychologique (dépression ou trouble d’adaptation).
Entre février 2009 et le 2 novembre 2009, l’ensemble des absences de Mme Beaudoin est dû à des troubles physiques spontanés. Par exemple, infections respiratoires, bronchite, sinusite ou céphalée.
Dès mars 2009, Mme Beaudoin est en rémission de sa condition psychologique (Dr Cocle) Le Dr. Cocle note que :
- Sa condition est maintenue stable à partir de ce moment et pour l’avenir (pas d’augmentation de la médication).
- Mme Beaudoin ne manifeste aucun trouble psychologique à partir de février 2009 et pour l’avenir (rencontre avec médecin. Aucune plainte psychologique.
- Elle s’est bien améliorée au niveau psychologique. Aucun empêchement de faire les activités de la vie courante.
- Elle va mieux durant cette période, aucune raison de croire qu’elle va moins bien (Témoignage Dr. Cocle et Mme Beaudoin).
Le Dr Cocle cesse de prescrire des antidépresseurs à Mme Beaudoin à partir du 31 octobre 2009. Le sevrage est de 6 à 9 mois (E-10).
Selon le Dr. Cocle, le 2 novembre 2009, Mme Beaudoin présente un fonctionnement normal. Elle maintient un état mental stable.
Selon le Dr. Cocle, le 2 novembre 2009, le pronostic de Mme Beaudoin est très bon. Pas d’exacerbation de la symptomatologie. Elle a résolu les stresseurs à la base de sa maladie psychologique. Elle est en rémission de sa maladie et tout à fait apte au travail (Lettre du Dr. Cocle S-1).
Mme Beaudoin a témoigné à l’effet qu’au 2 novembre 2009, elle a fait le deuil de la mort de son père. Son fils le plus jeune a vieilli et a réglé ses troubles de comportement. Elle a appris à composer avec son rôle parental.
Mme Beaudoin ne subit pas de rechute de maladie psychologique suite à son congédiement bien qu’il s’agisse d’un évènement qui puisse être extrêmement stressant. Elle ne consulte aucun professionnel de la santé au niveau psychologique.
En mars 2010, Mme Beaudoin complète un sevrage complet de la médication, soit quatre mois après son congédiement.
Mme Beaudoin ne consulte sa clinique médicale que trois fois entre novembre 2009 et décembre 2010 (14 mois) et que 3 fois en 2011. Aucun diagnostic ou problème postérieur à son congédiement (E-10).
Depuis 2010, elle est complétement guérie de maladie chronique. Pas de signe de récidive de la maladie.
Depuis le 25 mai 2011, elle travaille à temps plein chez Simplex, elle ne s’est absentée qu’une fois, 2 journées de maladie (bronchite).
[145] Le procureur du Syndicat tire de ces éléments la conclusion que « Mme Beaudoin est apte à fournir une prestation de travail soutenue en date du 2 novembre 2009. » Il ajoute « Il s’agit d’une preuve non contredite puisque l’employeur n’a pas évalué ces éléments. » (plan de plaidoirie, page 12)
[146] Avant de poursuivre, il faut dire qu’il est évident que le 2 novembre 2009 l’Employeur ne pouvait savoir et ne savait pas que madame Beaudoin n’allait faire aucune rechute après son congédiement, que son sevrage allait être complet au mois de mars 2010, le nombre de fois qu’elle allait consulter un médecin en 2010 et 2011, qu’elle allait travailler chez Simplex à compter du 25 mai 2011 ou qu’elle n’allait s’absenter que 2 jours. Ces éléments postérieurs ne sont donc pas admissibles en preuve.
[147] Il faut ajouter que l’obligation d’un employeur ne va pas jusqu’à celle de ne pas faire erreur, mais uniquement celle de prendre une décision qui n’est pas déraisonnable, abusive, arbitraire, injustement discriminatoire ou de mauvaise foi, au moment où il la prend .
[148] Il se peut donc que des faits postérieurs puissent indiquer qu’il a eu tort mais sans pourtant affliger la décision d’un des qualificatifs précédents, au moment où elle a été prise. C’est notamment pour cette raison que l’admissibilité en preuve de faits postérieurs est encadrée étroitement par la Cour suprême, sans quoi un employeur serait pris en otage, étant sujet à constamment revoir sa décision en raison de nouveaux faits postérieurs.
[149] L’Employeur ne partage pas la lecture syndicale de la preuve.
[150] Il soutient d’abord que l’affirmation syndicale à l’effet que pendant ses 16 années de travail avant 2003, madame Beaudoin n’a eu un problème d’absentéisme, n’est pas appuyée par la preuve. Je dois reconnaître avec lui qu’elle n’en fait pas état, ni par le biais des admissions, ni par celui de la documentation. S’il fallait être tatillon, il faudrait au contraire de ce que le Syndicat affirme, au moins prendre en considération que pour L’Employeur, déjà en 2000, il y avait un tel problème, puisqu’il y fait allusion dans sa lettre du 15 septembre 2009 (pièce E-4), sans compter que la preuve ne démontre pas qu’elle ait fait l’objet d’un grief.
[151] Toutefois, cela est de bien peu d’importance car l’Employeur a aussi fait son lit dans cette même lettre en limitant son appréciation de l’absentéisme de madame Beaudoin aux années 2003 à 2009, au total 800 jours d’absence, afin d’établir qu’il était excessif. Cette période suffit certainement pour s’en faire une opinion, tel que je l’ai déjà conclu.
[152] Maître Boissonneault s’attarde aussi dans sa réplique reçue le 11 décembre 2012, à la description syndicale des démarches de l’Employeur avant de mettre fin à l’emploi de madame Beaudoin. Je cite maître Boissonneault (réplique, page 2 et 3) :
La partie syndicale soutient dans son argumentation écrite que le Dr Demers «(…) a confirmé dans son témoignage qu’on ne lui a pas demandé d’évaluer la condition médicale sur la capacité de Mme Beaudoin ni même d’évaluer un pronostic ou de se prononcer sur la capacité de fournir une prestation de travail normale dans le futur. » La partie syndicale prétend de plus que la question de la condition médicale de la plaignante et de sa capacité à fournir une prestation de travail dans l’avenir n’est absolument pas évaluée par Bell avant de congédier. Finalement, la partie syndicale mentionne que monsieur Thibault n’a pas participé à la décision de congédier. Nous soumettons que la preuve testimoniale et documentaire administrée lors de l’audition est tout à fait à l’opposé des affirmations de la partie syndicale.
En effet, lors de la dernière journée d’audience, le Dr Demers a témoigné à l’effet qu’on lui avait demandé de réviser le dossier médical de la plaignante non pas une mais bien de trois à quatre reprises en 2008 et 2009 avant la fin d’emploi de la plaignante et ce, à la demande du service des relations de travail de l’employeur. Elle a mentionné à cet égard que c’était un dossier qui « roulait depuis longtemps ». Contrairement à ce que mentionne la partie syndicale, le Dr Demers n’a pas mentionné avoir eu seulement deux conversations au sujet de la plaignante dans l’année précédant son congédiement mais elle a plutôt mentionné avoir révisé deux fois le dossier de Mme Beaudoin en 2009. Elle a aussi mentionné avoir été impliquée dans le contexte d’une « 1807 » (le formulaire permettant d’obtenir de l’information médicale dans un contexte d’accommodement). Elle a mentionné que son rôle avait été de s’assurer que le médecin traitant de la plaignante, le Dr Cocle, bénéficiait de l’information pertinente dans le cadre d’une vérification de la possibilité d’accommoder la plaignante dans son emploi afin que celle-ci soit en mesure de fournir une prestation de travail soutenue.
Par ailleurs, le Dr Demers a témoigné à l’effet qu’après révision du dossier médical de la plaignante, elle avait communiqué à M. Serge Thibault du département des relations de travail, les éléments suivants :
Ø La plaignante s’était absentée en raison de plusieurs conditions médicales différentes au cours des dernières années;
Ø Il y avait plusieurs expertises médicales au dossier du Groupe de gestion de l’invalidité (ci-après CGI ») particulièrement de nature psychiatrique et musculo- squelettique;
Ø Qu’il y avait d’autres conditions médicales notamment au niveau pulmonaire et des diagnostics de colo irritable, de migraines et fibromyalgie;
Ø Qu’il était impossible qu’un spécialiste ayant une connaissance à la fois de la médecine interne, de la rhumatologie et de la neurologie pour se prononcer sur l’état de santé global de la plaignante et d’établir un pronostic.
Le Dr Demers a poursuivi son témoignage en mentionnant que M. Thibault transmettait ensuite l’information à la direction locale. Incidemment, lorsque que partie syndicale affirme que la direction locale n’avait pas accès à l’information médicale au sujet de la plaignante, elle confond la notion de dossier médical (que le Dr Demers a mentionné ne pas transmettre à la direction locale) et la notion d’information médicale que l’employeur a bel et bien reçue par le biais de M. Thibault. Bien que le Dr Demers ait mentionné ne pas donner les détails de la condition médicale pour des motifs de confidentialité, elle a mentionné résumer l’information pertinente quant à ces différentes conditions. Ainsi, contrairement à ce que prétend la partie syndicale à la page 10 de son argumentation, la direction locale avait bel et bien accès à l’information médicale et pouvait ainsi prendre une décision éclairée sur la base d’un résumé effectué par un médecin, en l’occurrence le Dr Demers.
(…)
En ré-interrogatoire, le Dr Demers a ajouté que le Dr Cocle n’avait identifié aucune nécessité d’accommoder la plaignante dans le document rempli par le Dr Cocle et transmis au CGI le 9 octobre 2009 (Pièce E-6…). De plus, aucune restriction n’y était identifiée. Il est à noter que la lettre transmise au Dr Cocle par Manuvie le 3 septembre 2009 invitait explicitement le Dr Cocle à faire part des accommodements qui pourraient être rendus nécessaires en raison de l’état de santé de la plaignante (pièce E-6…)
Ainsi, comme l’indiquait l’information que l’employeur détenait au dossier médical de la plaignante, le Dr Cocle confirmait qu’il n’y avait aucune restriction médicale empêchant la plaignante de fournir une prestation de travail soutenue. Incidemment, cette lettre contient le nombre des absences de la plaignante du moins jusqu’au 3 septembre 2009. Ainsi et contrairement à ce qu’a affirmé le Dr Cocle lors de son contre-interrogatoire, il était parfaitement au courant des absences subséquentes de la plaignante, et des causes de celles-ci après son retour de février 2009.
[153] J’ai revu la preuve et je constate que le résumé que l’Employeur en fait est celui qui la rapporte le plus fidèlement et surtout, le plus complètement.
[154] Il appert en effet que le Dr Demers a eu à étudier le dossier de madame Beaudoin à quelques reprises. Il en découle que l’Employeur, par le biais de son médecin, s’est attardé à répondre à des questions qui prenaient en considération la condition médicale de madame Beaudoin, même peu avant de la congédier.
[155] Puisque les gestionnaires n’ont pas accès directement au dossier médical d’un employé, ils doivent obtenir les informations pertinentes à la condition médicale du salarié par le biais d’une source autorisée à connaître ce dossier et en faire l’étude, en l’instance le Dr Demers.
[156] Le rôle de ce médecin était donc de transmettre aux gestionnaires des informations qui leur permettraient de répondre à LA question qui s’imposait : Est-ce que la condition médicale de la salariée était de nature à la maintenir au travail dans sa fonction habituelle, ou de lui accorder un accommodement raisonnable visant à la maintenir au travail, ou à mettre fin à son emploi.
[157] Pour y répondre le gestionnaire n’a pas à connaître les diagnostics ni les détails médicaux au sujet du salarié car ce n’est pas lui mais la compétence médicale qui peut en faire l’étude. À cet égard, le Dr Demers était un élément normal et essentiel du processus d’analyse du dossier de Mme Beaudoin, comme de tout autre employé lorsque la condition médicale peut être au cœur de la réflexion menant à une décision de la direction.
[158] Sans me répéter, qu’il me soit permis de rappeler succinctement que l’Employeur a pris la décision de congédier la plaignante sur la base de son dossier d’absentéisme jugé excessif après une étude de son dossier médical.
[159] Je ne partage donc pas l’affirmation syndicale à l’effet que l’Employeur a évacué la question médicale de son analyse. Il a au contraire cherché à la connaître et ce n’est qu’une fois cette démarche effectuée que la décision a été prise. Comme maître Boissonneault le fait valoir, l’Employeur a effectué plusieurs démarches dans ce but, que ce soit auprès du docteur Demers, du Dr Cocle (pièce E-6) et même de la plaignante. L’avis administratif du 5 juin 2009 le montre clairement dans le cas de la plaignante (pièce E-4).
[160] Le Dr Demers a transmis à la direction locale toutes les informations qu’elle a tirées de son analyse du dossier de la plaignante et ce n’est qu’à la suite et uniquement à la suite de rapport, qu’elle a pris sa décision.
[161] Il faut aussi noter que le docteur Demers ne s’est pas contentée de sa propre analyse car elle a aussi, comme cela doit être fait, requis du médecin traitant, le Dr Cocle, qu’il donne son opinion sur les sujets pertinents à la décision de l’entreprise :
1- Est-ce que la condition médicale de Mme Beaudoin lui permettait de travailler dans sa fonction?
2- Est-ce que sa condition imposait de lui accorder un accommodement raisonnable? Si oui, quelle est sa suggestion?
3- Que pronostic peut-on retenir pour le futur de madame Beaudoin dans l’entreprise?
[162] Qu’en est-il des conclusions du Dr Demers? Elle a déterminé qu’il ne pouvait être fait recours à une expertise médicale concernant la condition globale de la santé de la plaignante en raison des nombreux diagnostics relevés dans son dossier, de natures différentes et souvent sans rapport. Elle a aussi déterminé qu’il n’y avait pas lieu à un accommodement raisonnable dans son cas et qu’il ne pouvait y avoir un pronostic pour l’avenir fondé sur les informations médicales au dossier pour les mêmes raisons.
[163] Il est donc faux de prétendre que le témoignage du Dr Cocle est non contredit au sujet d’un pronostic favorable pour l’avenir et que pour cette raison il devait être retenu. Sur ce seul point, le témoignage du Dr Cocle n’est pas fiable.
[164] Le Dr Cocle n’a émis aucune suggestion en regard d’un accommodement raisonnable afin de favoriser le retour au travail de madame Beaudoin chez qui, à titre de médecin traitant, il n’avait identifié aucune limitation fonctionnelle ou restriction à l’accomplissement de son travail régulier. Il était donc logique qu’il ne propose aucun accommodement.
[165] Fort de ces informations, la direction locale a conclu qu’il ne restait qu’un élément significatif ou fiable en vue d’une décision: celui de l’absentéisme excessif, garant de l’avenir selon lui, avec raison selon le Tribunal.
[166] Le Syndicat a aussi prétendu que l’Employeur aurait dû soumettre madame Beaudoin à une expertise psychiatrique avant de rendre une décision en regard de son avenir dans l’entreprise. Or, comme le souligne avec raison l’Employeur, une telle expertise effectuée au mois de décembre 2008, concluait déjà que madame Beaudoin était apte à effectuer son travail. D’autre part, pourquoi l’Employeur, déjà fort de cette expertise, aurait dû resoumettre la plaignante à une telle expertise en 2009 puisque non seulement le médecin traitant, le Dr Cocle, n’a pas envisagé cette démarche, mais il a aussi affirmé à l’automne 2009 et ensuite lors de son témoignage en 2011 et 2012, que madame Beaudoin était apte au travail sans restriction ou limitation fonctionnelle, et qu’il n’a pas abordé la question d’un possible accommodement, bien qu’elle lui était posée.
[167] Comme le souligne également l’Employeur, le témoignage du Dr Cocle n’est pas entièrement recevable, notamment en regard de ses démarches postérieures au congédiement, notamment le fait qu’il ait évalué l’état de santé de madame Beaudoin au mois de février 2011, donc près d’un an et demi après la fin de l’emploi.
[168] De plus, il a reconnu avoir modifié ses conclusions en préparant son interrogatoire en 2011 et ensuite son contre-interrogatoire en 2012. Cela affecte grandement la fiabilité de ses conclusions au moment du congédiement.
[169] D’autre part, du nombre réduit des visites chez un médecin que la plaignante a effectuées après son congédiement, le Syndicat conclut qu’il s’agit d’un indice que madame Beaudoin fonctionnait normalement, malgré la perte de son emploi, un tel évènement étant pourtant un facteur de haut stress chez toute personne.
[170] L’Employeur soutient pour sa part que cette preuve est inadmissible. Je partage son point de vue. En effet, non seulement cela est postérieur au congédiement mais la preuve ne permet pas de tirer une telle inférence car le nombre et les conditions de ces visites ne sont pas suffisamment détaillées.
[171] Je partage également l’opinion de l’Employeur lorsqu’il soutient qu’au moment du congédiement le dossier des absences variées de la plaignante et de ses nombreuses consultations auprès de médecins ne pouvaient laisser raisonnablement envisager qu’elle n’allait plus, après le 2 novembre 2009, consulter aussi souvent un médecin. Une telle considération était, au moment du congédiement, nullement envisageable car l’historique des dernières années montrait le contraire, sans compter que tous étaient d’avis que madame Beaudoin était capable d’effectuer son travail sans restriction ou accommodement.
[172] La conclusion de l’Employeur à cet égard au moment où il l’a prise, n’était certes pas déraisonnable en regard de l’avenir : Allait-elle maintenir une prestation de travail régulièrement continue par une présence normale? Son dossier montrait le contraire.
[173] Quant au fait que madame Beaudoin a occupé un autre emploi depuis le mois de mai 2011, n’est pas une preuve admissible car non seulement ce fait est largement postérieur au 2 novembre 2009, mais de plus, s’il fallait le considérer, force serait de constater que les deux emplois et les lieux de travail ne sont pas suffisamment comparables pour tirer une conclusion assurée, faute de preuve. Pour ces raisons, dont le long délai entre le 2 novembre 2009 et le mois de mai 2011, une telle preuve n’est pas fiable ou concluante en faveur de la plaignante.
[174] Le Syndicat, par le biais du Dr Cocle, notamment, n’a donc apporté aucun élément permettant de considérer que la démarche de l’Employeur et sa décision sont déraisonnables, arbitraires, abusives, injustement discriminatoires ou de mauvaise foi.
[175] Je me dois d’ajouter, finalement, que le témoignage de madame Beaudoin à l’effet qu’elle se croyait capable d’offrir une prestation de travail normalement continue dans un avenir rapproché, n’est pas supporté par la preuve prépondérante des faits au moment de la décision de la congédier. Son affirmation ne peut écarter cette preuve.
DÉCISION
Pour tous ces motifs, le Tribunal n’intervient pas car il ne peut conclure que la décision de l’Employeur de congédier madame Beaudoin était, dans les circonstances, déraisonnable, arbitraire, abusive, injustement discriminatoire ou de mauvaise foi.
EN CONSÉQUENCE :
[176] Le grief 6001-110336 contestant le congédiement de Mme Sylvie Beaudoin le 2 novembre 2009, est REJETÉ.
Fait à Sherbrooke, ce 8 janvier 2013
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Richard Marcheterre, arbitre
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Pour le syndicat : |
Maître Maxime Lazure-Bérubé |
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Pour l’employeur : |
Maître Yan Boissonneault |
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Date(s) d’audience : |
15 février 2011, 21 septembre, 7 octobre et 13 novembre 2012 - dernières notes et autorités reçues le 11 décembre 2012 |
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Date(s) de délibéré : |
27 décembre 2012, 2, 3, 4, 5, 7 et 8 janvier 2013 |
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[1]
Produits Forestiers Canadien Pacifique Ltée et Syndicat canadien des
travailleurs du papier, local 530
, La Tuque,
[2] BERNIER, Linda, BLANCHET, Guy, GRONOSIK, Lukasz, SÉGUIN, Éric, Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs du travail , 2 e édition, Éditions Yvon Blais, 2010
[3] Teamsters Québec, section locale 31 et Québec Linge Co., Service d’uniformes , 2010, CanLII33556, sentence rendue par l’arbitre Pierre St-Arnaud le 22 juin 2010
[4]
McGill
,
[5]
Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau
d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ)
,
[6] BÉLIVEAU, Nathalie-Anne, LEBEL, Sébastien. Développements récents en droit du travail (2009), Service de la formation continue du Barreau du Québec , Thompson Reuters limitée, page 13
[7]
Le syndicat des travailleurs d’Exposervice Standard (CSN) et
Exposervice Standard Inc.
,
[8] Supra, note 5
[9] Supra note 6, page 15 :
[10]
Syndicat des employées et employés professionnels et de bureau,
section locale 434 et Banque Laurentienne du Canada
,
[11] Syndicat des employés du CHUM - (CSN) et Centre hospitalier de l’Université de Montréal , 2012 CanII 3957 (QC SAT), sentence rendue par l’arbitre Suzanne Moro, le 25 janvier 2012, par. 38
[12] Supra, note 7, par. 68
[13] Compagnie minière Québec Cartier et Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 6869 , [1995] 2 R.C.S. 1995, paragraphes 7, 12, 13 et 15
[14]
Conseil de l’éducation de Toronto (Cie) c. F.E.E.E.S.O., district 15
,
[15] Le Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatial et du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada, (section locale no 62, TCA-Québec) et Centre de finition Global (Bombardier) , sentence rendue le 14 décembre 2012 par le soussigné.
[16] Supra, note 6, page 18
[17] Supra, notes 13 et 14