Québec (Gouvernement du) c. Garant |
2013 QCCS 28 |
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JR 1320
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-070724-128 |
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DATE : |
10 janvier 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
CLAUDINE ROY, J.C.S. |
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GOUVERNEMENT DU QUÉBEC MONIQUE JÉRÔME-FORGET PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC COMITÉ PATRONAL DE NÉGOCIATION DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX COMITÉ PATRONAL DE NÉGOCIATION POUR LES COMMISSIONS SCOLAIRES FRANCOPHONES COMITÉ PATRONAL DE NÉGOCIATION POUR LES COMMISSIONS SCOLAIRES ANGLOPHONES COMITÉ PATRONAL DE NÉGOCIATION DES COLLÈGES |
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Demandeurs
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c.
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ME LOUIS GARANT COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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Défendeurs
et
SYNDICAT DES AGENTS DE LA PAIX EN SERVICES CORRECTIONNELS DU QUÉBEC (SAPSCQ) FRATERNITÉ DES CONSTABLES DU CONTRÔLE ROUTIER DU QUÉBEC (FCCRQ) SYNDICAT DE PROFESSIONNELLES ET PROFESSIONNELS DU GOUVERNEMENT DU QUÉBEC (SPGQ) FÉDÉRATION DES PROFESSIONNELLES ET PROFESSIONNELS DE L’ÉDUCATION (FPPE) SYNDICAT DES EMPLOYÉES ET EMPLOYÉS PROFESSIONNELS-LES ET DE BUREAU - QUÉBEC (SEPB-QUÉBEC) (Sections locales 571, 576, 577, 578 et 579, SIEPB-CTC-FTQ) SYNDICAT DES PROFESSIONNEL(LE)S DE LA RÉGIE RÉGIONALE DE MONTRÉAL-CENTRE ASSOCIATION PROFESSIONNELLE DES INGÉNIEURS DU GOUVERNEMENT DU QUÉBEC (APIGQ) APTS - ALLIANCE DU PERSONNEL PROFESSIONNEL ET TECHNIQUE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX (APTS) SYNDICAT DE LA FONCTION PUBLIQUE DU QUÉBEC (Unité fonctionnaires) CENTRALE DES SYNDICATS DÉMOCRATIQUES (CSD) FÉDÉRATION INDÉPENDANTE DES SYNDICATS AUTONOMES (FISA) SYNDICAT DES CONSTABLES SPÉCIAUX DU GOUVERNEMENT DU QUÉBEC CENTRALE DES SYNDICATS DU QUÉBEC (CSQ) Syndicats-Mis en cause
et
ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC Mise en cause |
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JUGEMENT (requête en révision judiciaire) |
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[1] Les conventions collectives régissant les relations de travail dans la fonction publique québécoise viennent à échéance en juin 2003.
[2] Le gouvernement du Québec (le « Gouvernement ») et les organisations syndicales s’engagent alors dans une période de négociation à laquelle le législateur met fin le 15 décembre 2005, par l’adoption de la Loi concernant les conditions de travail dans le secteur public [1] (la « Loi 43 »).
[3] La Loi 43 prolonge les conventions collectives pour une durée de six ans, fixe la rémunération conformément à la dernière offre du Gouvernement, reconnaît toutes les ententes sectorielles négociées, fixe les conditions de travail pour les organisations qui n’ont pas conclu d’entente sectorielle et adopte certaines dispositions particulières visant à assurer la continuité dans les services publics.
[4]
Après l’adoption de la loi, plusieurs organisations syndicales portent
plainte à la Commission des relations du travail (la « CRT »)
[2]
,
alléguant que le Gouvernement a manqué à son obligation de négocier de bonne
foi prévue à l’article
[5] Parallèlement aux plaintes déposées devant la CRT, certaines organisations syndicales, en partie, mais pas entièrement les mêmes, déposent des requêtes pour jugement déclaratoire devant la Cour supérieure, soulevant essentiellement les mêmes faits mais pour argumenter que le Gouvernement et le législateur ont violé leurs libertés d’association et d’expression [4] . Les organisations y recherchent une déclaration d’inconstitutionnalité de certaines dispositions de la Loi 43 et la reprise des négociations, et ce, même si en 2010, les parties ont signé de nouvelles conventions collectives.
[6] En octobre 2006, statuant sur une requête en exception déclinatoire, la CRT décide d'entendre le volet portant sur la violation de l'obligation de négocier de bonne foi prévue au Code du travail , question sur laquelle elle a compétence exclusive, et de suspendre le volet constitutionnel jusqu'à ce que les tribunaux supérieurs se soient prononcés [5] .
[7] La CRT rend sa décision en janvier 2012 [6] . Le Procureur général du Québec (le « Procureur général [7] ») en demande ici la révision judiciaire.
[8] L’audience a duré 72 jours, mais la CRT résume la preuve en huit pages et motive sa décision dans une dizaine de pages (paragr. 69 à 127).
[9] Elle décide que le Gouvernement a négocié de mauvaise foi sur le volet des offres salariales :
· « […] l’adoption, dès le départ des négociations, d’une position ferme à prendre ou à laisser, et de son maintien tout au long du processus dans les circonstances particulières relatées plus avant, ne constituent pas une négociation de bonne foi. Ce n’est pas un comportement où l’on s’engage « à chercher honnêtement un compromis » ou encore « une attitude démontrant un effort véritable et réel d’entente » » (paragr. 72);
· « […] au cours de la période de négociation, jamais l’employeur n’a suggéré de modifications à son offre du début. Les contre-offres syndicales ont toutes été refusées et l’on est allé jusqu’à dire qu’ on n’était pas sur la même planète » (paragr. 84);
· « […] sur le seul volet des offres salariales, l’employeur a négocié de mauvaise foi » (paragr. 90).
[10] La CRT ajoute que l’inclusion de l’équité salariale dans le cadre budgétaire amène également à conclure que le Gouvernement a négocié de mauvaise foi (paragr. 91 à 104) :
· « […] Bien sûr, les sommes versées pour réaliser l’équité salariale et les augmentations de salaire proviennent du même endroit. Cependant, le fait d’associer l’équité salariale à la négociation en fausse le déroulement et met en péril l’existence de celle-ci. La Commission ne se prononce pas sur l’exercice même de l’équité salariale et de sa validité. La situation fautive réside dans le fait de l’inclusion de cet exercice dans le cadre de la négociation collective en cours » (paragr. 98);
· le législateur n’aurait pas voulu que l’équité salariale devienne un enjeu de négociation et qu’elle contribue à créer de nouvelles iniquités (causées, selon la décision, par le fait que les employés occupant des postes dans des catégories d’emploi à prédominance féminine bénéficieraient d’augmentations de salaire supérieures à celles des employés occupant des postes dans des catégories d’emploi à prédominance masculine) (paragr. 101-102).
[11] La CRT se prononce ensuite sur la demande du Gouvernement contre les organisations syndicales (paragr. 105-127). Le Procureur général a abandonné sa demande de révision sur cette question [8] .
[12] La CRT avait-elle compétence pour se saisir des plaintes logées par les organisations syndicales, une fois la Loi 43 adoptée (section 4)?
[13] La CRT a-t-elle excédé sa compétence en concluant que le Gouvernement a négocié de mauvaise foi en adoptant un cadre budgétaire ferme (section 5)?
[14] La CRT a-t-elle excédé sa compétence en concluant que le Gouvernement a négocié de mauvaise foi en incluant le coût potentiel de l’équité salariale dans ce cadre budgétaire (section 6)?
[15] Advenant excès de compétence, faut-il retourner le dossier à la CRT (section 7)?
[16] Le Procureur général présente un argument en deux volets.
[17] D’abord, la CRT n’avait pas compétence pour se saisir des plaintes puisqu’elles ont été déposées après l’adoption de la Loi 43. Comme la Loi 43 a mis fin à la négociation et comme l’obligation de négocier de bonne foi n’existe que pendant la période de négociation, la CRT serait sans compétence pour entendre les plaintes, en l’absence de faits générateurs de droit.
[18] Deuxièmement, la CRT n’avait pas compétence pour se saisir des plaintes puisqu’elle ne pouvait accorder aucune réparation :
· la CRT ne pourrait ordonner la reprise des négociations, sous quelque forme que ce soit, puisque le législateur est intervenu et que le remède ne pourrait aller à l’encontre de la Loi 43, sous réserve de l’argument constitutionnel;
· les conclusions subsidiaires en dommages-intérêts compensatoires ne pourraient être accueillies : la CRT ne pourrait condamner l’État-employeur à payer des dommages-intérêts pour avoir négocié de mauvaise foi alors que le législateur a décidé d’intervenir pour prolonger les conventions collectives et fixer les conditions de travail;
· la CRT ne pourrait condamner l’État à des dommages-intérêts punitifs puisque les plaintes devant la CRT ne contiennent aucune conclusion de cette nature, l’argument est soulevé pour la première fois dans le cadre de la révision judiciaire, et puisque, de toute manière, une telle condamnation serait impossible.
[19] Le Procureur général demande au Tribunal d’appliquer la norme de la décision correcte à cet élément du litige. Il estime que la décision est incorrecte.
[20] Les organisations syndicales invoquent, quant à elles, l’application de la norme de la décision raisonnable. Elles considèrent que la décision de la CRT est raisonnable.
[21] Pour statuer sur l’argument soulevé par le Procureur général, il est nécessaire de reprendre le déroulement procédural du dossier.
[22] Tel que déjà mentionné, en 2006, après l’adoption de la Loi 43, certaines organisations syndicales déposent des plaintes à la CRT, d’autres intentent des requêtes en jugement déclaratoire devant la Cour supérieure, d’autres optent pour les deux recours.
[23]
La constitutionnalité de la Loi 43 est soulevée à la fois devant la Cour
supérieure et devant la CRT, mais l’argument basé sur la violation par le
Gouvernement de son obligation de négocier de bonne foi prévue à l’article
[24] En mai 2006, le Procureur général soumet à la CRT une requête en exception déclinatoire, en irrecevabilité et en suspension d’instance [9] invoquant, notamment, l’absence de compétence de la CRT.
[25] La CRT entend la requête et décide en octobre 2006 [10] :
· qu’elle a compétence pour entendre le litige constitutionnel, mais, qu’elle suspendra l’audition de ce volet du recours jusqu’au jugement final du tribunal de droit commun;
·
de procéder à l’audition du volet concernant la violation de
l’obligation de négocier de bonne foi prévue à l’article
[26] Le Procureur général n’a pas recherché la révision judiciaire de cette décision.
[27] En novembre 2006, d’abord par lettre puis au début de l'audience devant la CRT, le Procureur général réitère ses arguments sur l’absence de compétence du tribunal administratif [11] . La CRT refuse d'entendre cette demande de manière préliminaire et suggère au Procureur général de plaider ses arguments à la fin de l’audience [12] .
[28] La Cour supérieure rejette une requête en sursis et décide que la requête en révision judiciaire est prématurée [13] .
[29] En 2007, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Health Services [14] , décide que la liberté d’association inclut une certaine obligation constitutionnelle de négocier de bonne foi.
[30] Craignant des jugements contradictoires, le Procureur général tente à nouveau, et sans succès, de faire suspendre l’audience devant la CRT [15] .
[31] L’audition a lieu et la CRT rend sa décision concluant que le Gouvernement a négocié de mauvaise foi.
[32] La CRT rejette l’argument du Procureur général selon lequel l’obligation de négocier de bonne foi a pris fin avec l’adoption de la Loi 43 et qu’en conséquence, elle serait sans compétence pour entendre les plaintes, en l’absence de faits générateurs de droit [16] :
[124] L’employeur prétend que l’adoption d’une loi fait en sorte que les plaintes sont sans objet. Il n’en est rien. La loi 43 est muette à ce chapitre et jamais les parties n’ont renoncé à faire valoir leurs droits. […]
[33] Quant à l’argument du Procureur général voulant que la CRT soit sans compétence pour accorder des dommages-intérêts, compensatoires ou punitifs, la CRT ne s’est pas encore prononcée puisque, devant la CRT, les parties conviennent de ne pas traiter immédiatement des redressements [17] :
[13] Parmi les autres points où un accord est intervenu, mentionnons celui touchant aux redressements. En effet, si la Commission conclut à la présence de négociation de mauvaise foi, les parties ont demandé à la Commission de ne pas se prononcer sur cet aspect si tant est qu’il soit possible d’en imposer, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire.
[34] Dans sa décision, la CRT convoque les parties pour la tenue de cette audience [18] . Elle n’a pas encore eu lieu.
[35] Tel que déjà mentionné, le Procureur général demande d’appliquer la norme de la décision correcte. Il appuie sa demande notamment sur l’arrêt Royal Oak [19] . Dans ce jugement, rendu en 1996, la Cour suprême du Canada, analysant une décision du Conseil canadien des relations du travail, décide :
· que la question de savoir si un tribunal administratif peut imposer une certaine réparation aux parties en est une de compétence, révisable selon la norme de la décision correcte;
· mais que le choix du remède, dans les faits d’un litige particulier, est une question que le tribunal de révision doit examiner sous la norme de la décision manifestement déraisonnable.
[36]
Ce principe a été appliqué à la CRT par la Cour d’appel, dans
Martin
c. Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’industrie et du commerce,
numéro 705
[20]
.
Dans cette affaire, la CRT a utilisé l’article
[37] Le Tribunal ne peut faire abstraction des développements importants survenus en matière de contrôle judiciaire depuis 2008.
[38] Dans Dunsmuir [21] , la Cour suprême du Canada décide que la norme de la décision correcte s’applique :
· aux questions constitutionnelles;
· aux questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur;
· aux questions portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents;
· aux questions touchant véritablement à la compétence.
[39] Dans sa décision de janvier 2012, la CRT ne tranche aucune question constitutionnelle, aucune question de droit qui revêtirait une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui serait étrangère à son domaine d’expertise ni aucune question portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents. Seule la dernière catégorie portant sur les questions touchant véritablement à la compétence doit être discutée.
[40] Quant à celle-ci, la Cour suprême du Canada précise qu’il faut considérer la notion de compétence avec rigueur : une question en est une de compétence si le tribunal est appelé à décider si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question. La Cour précise également qu’elle n’entend pas revenir à la théorie de la compétence ou de la condition préalable ayant longtemps prévalu en droit administratif.
[41] Il appert que la notion de « question touchant véritablement à la compétence » fait couler beaucoup d’encre [22] depuis et sème une certaine confusion.
[42] La Cour suprême du Canada s’est rapidement aperçue de la difficulté de cerner cette notion et est revenue sur le sujet en 2011 dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général) [23] .
[43] La Loi canadienne sur les droits de la personne [24] permet à la Commission canadienne des droits de la personne d’indemniser une victime des dépenses entraînées par l’acte discriminatoire. Il s’agissait de déterminer si ce pouvoir permettait d’ordonner le paiement de dépens.
[44] Après avoir résumé les principes qui se dégagent de Dunsmuir et la difficulté de les appliquer à un tribunal des droits de la personne [25] , la Cour suprême du Canada conclut que, généralement, la norme de la décision raisonnable s’applique lorsqu’un tribunal administratif interprète sa loi constitutive :
[24] […] En somme, lorsqu’il s’agit d’interpréter et d’appliquer sa propre loi, dans son domaine d’expertise et sans que soit soulevée une question de droit générale, la norme de la décision raisonnable s’applique habituellement , et le Tribunal a droit à la déférence.
(soulignement ajouté)
[45] En l’occurrence, elle considère que la question des dépens constitue une question de droit qui relève essentiellement du mandat et de l’expertise du tribunal administratif, liée à l’interprétation et à l’application de sa loi constitutive. Elle applique la norme de la décision raisonnable.
[46] La Cour suprême du Canada revient à nouveau sur la difficulté de cerner la « question touchant véritablement à la compétence » dans Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association [26] .
[47] Il s’agissait de décider si le commissaire à la vie privée avait perdu compétence en prorogeant une enquête plus de 90 jours après la réception d’une plainte, contrairement à la loi.
[48] Tous les juges s’entendent pour appliquer la norme de la décision raisonnable à la question en litige, mais ils y parviennent par trois analyses différentes, illustrant qu’il existe encore aujourd’hui des embûches conceptuelles.
[49] Six juges, sous la plume du juge Rothstein, concluent que :
· « […] sauf situation exceptionnelle - et aucune ne s’est présentée depuis Dunsmuir -, il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de « sa propre loi constitutive ou [d]’une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire » [27] ;
· « […] [l]es véritables questions de compétence ont une portée étroite et se présentent rarement. Il convient de présumer que la norme de contrôle à laquelle est assujettie la décision d’un tribunal administratif qui interprète sa loi constitutive ou qui l’applique est celle de la décision raisonnable » [28] .
[50] Les autres juges n’élèveraient pas l’énoncé au rang de « présomption ».
[51]
Ici, la CRT était saisie de plaintes alléguant violation de l’obligation
de négocier de bonne foi prévue à l’article
[52] Pour statuer sur les plaintes, la CRT interprète et applique sa propre loi constitutive. Elle agit au cœur de sa compétence et est protégée par une clause privative. Le Tribunal, appliquant la présomption énoncée par la Cour suprême du Canada, considère qu’il faut appliquer la norme de la décision raisonnable.
[53] De toute manière, le sort du litige serait le même si la norme de la décision correcte trouvait application.
[54] Premièrement, le Procureur général soulève que :
· l’obligation de négocier de bonne foi n’existe que pendant la période de négociation;
· la Loi 43 a mis fin à la négociation;
·
en conséquence, la CRT était sans compétence pour entendre les
plaintes concernant la violation de l’obligation de négocier de bonne foi
prévue à l’article
[55] Le Procureur général appuie sa thèse sur un passage des motifs rédigés par le juge Major, dans Royal Oak [29] : « […] [c]’est uniquement lorsque la mauvaise foi manifestée antérieurement continue d’avoir des effets sur le processus de négociation collective que le Conseil peut légitimement intervenir au sujet de la négociation de mauvaise foi qui a cessé ». Comme ici, la mauvaise foi, même si elle existait, n’a plus d’effet sur le processus de négociation, la CRT aurait perdu compétence.
[56] Il est important de remettre les propos du juge Major dans leur contexte. Outre le fait que le juge Major est dissident, il écrit ce passage dans le but d’expliquer pourquoi il n’allait se prononcer que sur un seul des arguments soulevés par le syndicat comme indicatif de la mauvaise foi de l’employeur. Il ne lui apparaissait pas nécessaire d’examiner les autres arguments puisque, dans ces autres cas, l’employeur avait modifié son comportement ultérieurement.
[57] Les juges majoritaires, quant à eux, n’abordent pas la question directement. Ils concluent que les trois motifs ayant amené le Conseil à conclure à mauvaise foi ne sont pas déraisonnables.
[58] Ici, la CRT rejette l’argument du Procureur général sans grande explication [30] , mais le Tribunal considère que la décision est correcte.
[59] En fait, sans employer ces termes, la CRT distingue les gestes posés par l’État-employeur pendant la période de négociation (de juin 2003 au 15 décembre 2005) de celui posé par l’État-législateur en adoptant la Loi 43.
[60] Il est erroné pour le Procureur général de prétendre qu’il n’y a plus de faits générateurs de droit. Tous les gestes posés pendant les deux ans et demi de négociations demeurent [31] .
[61] Il était donc raisonnable, et même correct, de conclure que, en soi, l’adoption de la Loi 43 n’a pas fait perdre compétence à la CRT.
[62] Le deuxième volet de l’argument du Procureur général est la vraie question : savoir si la CRT peut accorder un remède, même en cas de mauvaise foi du Gouvernement pendant la négociation alors que le législateur a fixé dans une loi les conditions de travail et prolongé les conventions collectives.
[63] Généralement, en cas de négociation de mauvaise foi, les tribunaux canadiens de relations de travail tentent, à titre de remède, de mettre en place un mécanisme permettant une reprise efficace des négociations. Une condamnation en dommages-intérêts est théoriquement possible, mais serait exceptionnelle [32] .
[64] Ici, les parties ont convenu en début d’audience, que la CRT ne statuerait pas sur les redressements avant d’avoir rendu sa décision sur l’existence ou non de négociation de mauvaise foi [33] .
[65] Comme la CRT, à la demande des parties, n’a pas encore répondu à la question de savoir si, dans les circonstances, il est possible ou non d’obtenir un remède en cas de violation par le Gouvernement de l’obligation de négocier de bonne foi, il serait prématuré pour la Cour supérieure de trancher cette question ici.
[66] Mais la CRT n’a pas perdu compétence du simple fait d’avoir accédé à la demande des parties de reporter à plus tard la question des remèdes possibles ou appropriés dans les circonstances. Elle était donc compétente pour disposer des plaintes et, sur cette question, n’a commis aucune erreur.
[67] Le Procureur général reconnaît qu’il faut appliquer la norme de la décision raisonnable à la conclusion portant sur la mauvaise foi. Il considère que la décision de la CRT est déraisonnable parce que son raisonnement est défectueux et parce que l’issue choisie n’était pas l’une des issues possibles.
[68] Le raisonnement de la CRT serait défectueux en fait et en droit.
[69] La CRT conclut que l’employeur a violé son obligation de négocier de bonne foi au motif que, pendant la période de négociation, il aurait toujours refusé de modifier son offre [34] .
[70] D’abord, la CRT confond le cadre budgétaire et les offres d’augmentation de la rémunération. Il n’y a eu qu’un seul cadre budgétaire, mais il y a eu deux offres concernant les augmentations de la rémunération [35] . La CRT n’étudie pas les deux offres d’augmentations de la rémunération, les bonifications obtenues aux tables sectorielles sur le « normatif à incidence monétaire », ni ne discute des ententes sectorielles.
[71] Mais surtout, la CRT omet complètement d’analyser si l’adoption et le maintien du même cadre budgétaire tout au long des négociations étaient justifiés. En bref, le Procureur général a prouvé, de manière détaillée, que le cadre budgétaire a été adopté en raison des prévisions économiques et de l’état des finances publiques. Le Gouvernement a prouvé que sa proposition se justifiait par les limites à sa capacité de payer. Cette preuve n’a pas été contredite et n’a pas été écartée par la CRT. En fait, elle ne l’étudie même pas.
[72] En droit, une position inflexible peut démontrer de l’hostilité et de la mauvaise foi, mais si et seulement si la position est objectivement déraisonnable et injustifiée. Or, la CRT n’a pas entrepris l’exercice nécessaire pour arriver à la conclusion que les propositions du Gouvernement étaient objectivement déraisonnables et injustifiées. En plus, elle a refusé d’examiner si les demandes syndicales étaient irréalistes, jugeant qu’il s’agissait « d’une question trop complexe pour laquelle personne n’a de réponse infaillible » [36] .
[73] Les organisations syndicales, quant à elles, considèrent que la décision de la CRT sur ce point est raisonnable. Il s’agissait de l’une des issues possibles et il n’appartient pas à la Cour supérieure de substituer son opinion à celle de la CRT.
[74] Les parties conviennent que la norme de la décision raisonnable s’applique à cette question. Le Tribunal est d’accord. Il s’agit d’une question qui est au cœur de la compétence de la CRT.
[75] Au Québec, le législateur oblige les parties à négocier avec diligence et bonne foi. Au niveau fédéral [37] , en Ontario [38] et en Colombie-Britannique [39] , les lois prévoient une obligation de négocier de bonne foi et de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective. L’esprit et l’objectif de toutes ces dispositions sont les mêmes, malgré les différences terminologiques [40] .
[76] L’obligation de négocier avec diligence et bonne foi est une obligation de moyen et non de résultat. Elle n’oblige pas les parties à s’entendre, elle les oblige à tenter de s’entendre.
[77] Les principes sont bien établis et énoncés de manière répétitive et constante en jurisprudence :
· la diligence et la bonne foi n’imposent pas de stratégie ou méthodologie précise de négocier [41] ;
· les parties ne sont pas nécessairement obligées de céder quelque point que ce soit; l’échec des négociations ne doit pas nécessairement être assimilé à une négociation de mauvaise foi [42] ;
· les parties peuvent négocier de manière serrée, mais pas de manière fermée [43] .
[78] Ces énoncés se retrouvent un peu partout dans la décision sous examen et ne posent pas problème ici.
[79] Les tribunaux canadiens de droit du travail évitent de se prononcer sur le bien-fondé d’offres ou de demandes, préférant encourager la reprise du processus de négociation [44] .
[80] L’obligation de négocier avec diligence ou de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective doit être appréciée à la fois selon une norme subjective et selon une norme objective [45] .
[81] Comme les parties affirment généralement qu’elles ont une réelle intention de conclure une convention collective - partie subjective du test - l’analyse objective de leur comportement est d’autant plus importante.
[82] Pour analyser objectivement les gestes posés par une partie, il faut prendre en considération les normes et pratiques comparables dans le secteur d’activités.
[83] On ne peut reprocher à une partie de maintenir une position ferme que si cette position est injustifiée et objectivement déraisonnable, permettant alors de conclure à la mauvaise foi et à l’intention de miner le processus de négociation collective.
[84] Pour déterminer si une partie a négocié de mauvaise foi, il faut analyser globalement les circonstances de la négociation, le contexte, l’historique des relations entre les parties, la justification de la prise de position, le comportement de la partie adverse, et tout autre facteur pertinent. [46] En particulier ici, il est important de tenir compte du fait que l’employeur est l’État et que l’exercice comporte inévitablement un certain volet politique. Il s’agit d’un contexte particulier [47] .
[85] Lorsque l’impasse dans la négociation touche des questions monétaires, en particulier lorsque l’employeur invoque son incapacité à augmenter ses offres en raison de la situation économique de l’entreprise, les tribunaux de droit du travail examinent avec soin les prétentions de l’employeur, en analysant la situation économique de l’entreprise et les propositions salariales et en s’assurant que les informations invoquées par une partie ont été communiquées à l’autre [48] . Ce n’est qu’après avoir complété cet exercice, qu’ils pourront alors décider si une partie a négocié de bonne ou de mauvaise foi.
[86] Tout au long de sa décision, la CRT utilise indistinctement les termes « cadre budgétaire » ou « augmentations salariales » et crée ainsi une certaine confusion. Strictement parlant, il est inexact de dire que le Gouvernement n’a jamais bonifié ses offres initiales.
[87] Le cadre budgétaire est annoncé le 16 juin 2004 en conférence de presse. Le Gouvernement entend limiter à 12,6 % le redressement de la rémunération unitaire dans l’ensemble des secteurs publics et parapublics au cours des six années suivantes, s’appuyant notamment sur les données du Conference Board du Canada qui prévoyait une croissance des prix d’environ 2 % par année jusqu’en 2008 [49] . Le cadre budgétaire inclut à la fois les augmentations de la rémunération qui seraient prévues dans de nouvelles conventions collectives et le règlement du dossier de l’équité salariale.
[88] Le Gouvernement a ensuite présenté deux offres monétaires dans le cadre des négociations des conventions collectives.
[89] La première proposition monétaire relative à la rémunération et aux régimes de retraite est présentée au Front commun [50] le 18 juin 2004 [51] . Le Gouvernement offre des augmentations des traitements et échelles de traitement de 2 % pour les années 3, 4 et 5 de conventions collectives d’une durée de six ans. Les trois autres années sont « à déterminer ». Le Gouvernement y annonce également son intention de réviser les primes de disponibilités et autres primes, de revoir le régime de disparités régionales, d’effectuer des ajustements nécessaires pour atteindre la relativité salariale et d’apporter des modifications au régime de retraite.
[90] À l’automne 2005, le Gouvernement présente une deuxième offre : il ajoute un 2 % additionnel pour la sixième année des conventions collectives et offre certains autres montants pour régler d’autres sujets de négociation comportant une incidence monétaire (par exemple le 100 M$ pour financer les étudiants en difficulté d’apprentissage) [52] .
[91] Il y a donc eu plus d’une offre, mais il est exact de dire que le Gouvernement n’a jamais modifié son cadre budgétaire. La CRT eut mieux fait d’analyser les offres présentées aux organisations syndicales plutôt que le cadre budgétaire.
[92] La CRT considère qu’il serait « inutile et fastidieux » de relater toute la preuve [53] . Sa décision ne révèle pas l’envergure de la preuve déposée et entendue à l’audience.
[93] Par exemple, la CRT mentionne que les négociations se déroulent à l’une ou l’autre de deux tables centrales et à 56 tables sectorielles (paragr. 14-16). La décision ne donne aucune information sur la preuve entendue quant au nombre de réunions tenues tant aux deux tables centrales qu’aux tables sectorielles, ni sur le contenu des discussions ni sur les gains, pertes ou concessions de part et d’autre.
[94] Également, la CRT rapporte certains extraits de trois conférences de presse (du 15 juin 2004, 9 février 2005 et 29 septembre 2005) de Mme Jérôme-Forget, alors présidente du Conseil du trésor, et certaines questions posées par des journalistes, sans en préciser le contexte (paragr. 54 à 68) [54] . La preuve contient 14 communiqués de presse des organisations syndicales et 24 communiqués ou conférences de presse de l’employeur et la CRT n’explique pas pourquoi elle réfère uniquement à ces passages.
[95] De façon plus fondamentale, la CRT omet d’analyser si l’offre du Gouvernement était injustifiée et objectivement déraisonnable.
[96] Elle n’examine d’ailleurs pas plus si les demandes syndicales étaient objectivement injustifiées et déraisonnables lors de son analyse de la plainte déposée par le Procureur général. Elle considère qu’il s’agit là d’une question trop complexe pour laquelle personne n’a de réponse infaillible. […] » [55] .
[97] La CRT isole deux éléments, le maintien du même cadre budgétaire tout au long des négociations et l’inclusion du coût du règlement du dossier d’équité salariale à l’intérieur de ce cadre. D’après elle, la présence de ces deux éléments emportait conclusion que le Gouvernement avait négocié de mauvaise foi.
[98] Pour les motifs qui suivent, il s’agit là d’une erreur déraisonnable justifiant d’annuler la décision.
[99] La CRT fait abstraction d’une grande partie de la preuve [56] sans expliquer pourquoi et sans donner son appréciation sur cette preuve.
[100] La décision ne fait pas état de l’ampleur des négociations ni de leur déroulement : le nombre important de personnes visées par les conventions collectives, le nombre de personnes impliquées dans les négociations, le déroulement des rencontres, tant aux tables centrales qu’aux tables sectorielles. Elle ne fait pas état des résultats obtenus aux tables sectorielles.
[101] Elle n’analyse pas la justification proposée par le Gouvernement pour adopter le cadre budgétaire ni le caractère raisonnable ou non de ses offres. Elle ne discute pas, notamment, de [57] :
· l’importance de la rémunération des employés de l’État dans le budget de dépenses du Gouvernement;
· l’état des finances publiques;
· la Loi sur l’équilibre budgétaire [58] ;
· les cotes des agences de crédit;
· les choix politiques à propos de certains programmes sociaux,
· la croissance des dépenses,
· la croissance économique anticipée.
[102] Le Gouvernement a déposé une preuve non contredite démontrant les considérations ayant mené à l’adoption du cadre budgétaire :
· le rapport Breton publié le 30 avril 2003 et l’impasse budgétaire anticipée pour les deux exercices financiers à venir;
· le fait que le dossier d’équité salariale n’était pas encore réglé, bien que les conventions collectives aient été prolongées de juin 2002 à juin 2003 pour tenter de régler l’équité salariale;
· le jugement de la Cour supérieure déclarant inconstitutionnelle une partie de la Loi sur l’équité salariale [59] ;
· le fait que les coûts reliés au règlement du dossier d’équité salariale seraient payés pendant la durée des conventions collectives à venir et que l’écart entre les positions des parties était immense (les demandes salariales pouvaient signifier une augmentation annuelle récurrente de la masse salariale de 2 à 4 G$);
· les prévisions économiques et le piètre état des finances publiques.
[103] Le Procureur général a expliqué la démarche de la présidente du Conseil du Trésor : elle a choisi d’agir ouvertement et, contrairement à l’habitude, de dévoiler le cadre budgétaire du Gouvernement dès le début des négociations.
[104] Toute l’information financière et économique expliquant la position de l’employeur a été communiquée aux organisations syndicales, à maintes reprises, tout au long de la négociation [60] .
[105] Aucune des données économiques et financières n’est contestée. Si les données sont exactes, l’on ne comprend pas pourquoi la CRT conclut à la mauvaise foi du Gouvernement pour ne pas avoir modifié le cadre budgétaire pendant les négociations.
[106] Les organisations syndicales reprochent également au Gouvernement d’avoir fait fi des conclusions de l’Institut de la statistique du Québec montrant l’écart entre les salaires du secteur privé et ceux du secteur public. M. Fortin a témoigné sur les carences de ces études. La CRT ne décide pas s’il faut retenir l’étude ou plutôt les critiques formulées par M. Fortin. Elle ne les explique même pas.
[107] La CRT reproche au Gouvernement de ne pas avoir modifié son cadre budgétaire en cours de négociation. Une partie de la preuve porte sur les nombreuses tentatives du Gouvernement d’accélérer le règlement du dossier d’équité salariale, justement pour tenter de dégager une marge de manœuvre et ainsi offrir de meilleures augmentations de rémunération. La CRT n’analyse pas cette preuve.
[108] La CRT n’est pas tenue d’être d’accord avec la position du Gouvernement, mais elle doit l’analyser et, si elle conclut à mauvaise foi, elle doit expliquer pourquoi elle écarte cette preuve, surtout dans le contexte où une grande partie de la preuve n’était pas contestée.
[109] La CRT conclut à mauvaise foi sur la base de l’adoption d’un cadre budgétaire ferme et sur l’inclusion de l’équité salariale dans ce cadre budgétaire. Pourtant, le cadre budgétaire remonte à juin 2004 et les organisations syndicales n’ont déposé leurs plaintes à la CRT qu’en 2006, après l’adoption de la Loi 43. On peut se demander si l’absence de plainte avant 2006 signifie que les organisations syndicales ne voyaient pas dans l’adoption du cadre budgétaire un indice de mauvaise foi. La CRT n’aborde pas la question.
[110] En somme, la CRT n’a pas complété l’exercice nécessaire avant de pouvoir conclure que le Gouvernement négociait de mauvaise foi. L’analyse tronquée de la CRT ne correspond pas à l’exercice auquel elle aurait dû se prêter. Elle a écarté de son raisonnement l’évaluation du caractère objectivement raisonnable et justifié ou non des positions des parties.
[111] La décision ne reflète pas la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel auquel les parties sont en droit de s’attendre.
[112] Le Procureur général présente un argument en deux volets.
[113]
Dans un
premier temps, la CRT aurait conclu qu’en incluant le coût de l’équité
salariale dans le cadre budgétaire, le Gouvernement contrevenait à l’article
[114] Il demande au Tribunal d’appliquer la norme de la révision correcte à cette décision puisque la CRT n’était saisie d’aucune demande en vertu de la Loi sur l’équité salariale .
[115] Dans un deuxième temps, la CRT aurait conclu, de manière déraisonnable, que le Gouvernement a négocié de mauvaise foi en incluant le coût du règlement du dossier d’équité salariale dans le cadre budgétaire.
[116] En réalité, il n’y a qu’une seule question : la CRT a-t-elle erré lorsqu’elle conclut que le Gouvernement a négocié de mauvaise foi en incluant le coût du règlement du dossier d’équité salariale dans le cadre budgétaire?
[117]
Cette
décision est soumise à la norme de contrôle de l’erreur déraisonnable
puisqu’elle se situe au cœur même de l’analyse des plaintes déposées en vertu
de l’article
[118]
Certes, la
CRT, dans son analyse, émet certains commentaires sur l’article
[119] Il faut rappeler minimalement la chronologie du dossier d’équité salariale pour en comprendre l’impact sur la négociation des conventions collectives.
[120] Les parties ont d’abord entrepris un exercice de relativité salariale. Puis, avec l’entrée en vigueur de la Loi sur l’équité salariale , elles concentrent leurs travaux sur l’équité salariale. En juin 2002, elles prolongent les conventions collectives d’un an pour permettre de compléter l’exercice.
[121] En décembre 2003, le Front commun dépose ses offres en vue du renouvellement des conventions collectives [63] .
[122] Alors que les parties croyaient l’exercice d’équité salariale pratiquement terminé, la Cour supérieure, en janvier 2004, déclare inconstitutionnelle une partie de la Loi sur l’équité salariale et les parties doivent retourner à leur table de travail.
[123] La Commission sur l’équité salariale presse le Gouvernement de régler ce dossier le plus rapidement possible [64] . Même les leaders syndicaux pressent la présidente du Conseil du trésor d’accélérer le règlement du dossier [65] .
[124] Les négociations des conventions collectives commencent donc alors que le dossier d’équité salariale n’est pas réglé.
[125] Personne ne sait exactement combien va coûter le règlement du dossier d’équité salariale (jusqu’à 4 G$ selon l’hypothèse la plus coûteuse alors en cours), mais le Gouvernement sait qu’il devra ajuster les salaires et payer d’importantes sommes d’argent à titre de correctifs pendant la durée des prochaines conventions collectives.
[126] Le Gouvernement connaît également les perspectives économiques pour les années à venir et le piètre état des finances publiques.
[127] En juin 2004, le Gouvernement décide d’adopter un cadre budgétaire prévoyant que la rémunération unitaire ne pourra augmenter de plus de 12,6 % durant les six années à venir. Ce montant, pour lui, doit inclure à la fois le coût de l’équité salariale et celui des augmentations de la rémunération en vertu des conventions collectives.
[128]
La CRT
considère que d’inclure l’équité salariale dans le cadre budgétaire équivaut à
négocier l’équité salariale et, dans le cadre de cette analyse, discute de
l’article
[98] […] Cependant, le fait d’associer l’équité salariale à la négociation en fausse le déroulement et met en péril l’existence de celle-ci. La Commission ne se prononce pas sur l’exercice même de l’équité salariale et de sa validité. La situation fautive réside dans le fait de l’inclusion de cet exercice dans le cadre de la négociation collective en cours.
[99] Cet effet pervers risque de créer un mécontentement vis-à-vis d’autres groupes qui n’ont pas reçu le même correctif et qui, par conséquent, auront en bout de course une augmentation salariale moindre. Cela peut entraîner une rivalité entre les hommes et les femmes lors de la négociation de la convention collective, ce qui n’est sûrement pas l’objectif de la loi.
[100] Rappelons que la Loi sur l’équité salariale prévoit à son article 73 :
Un employeur ne peut, pour atteindre l’équité salariale, diminuer la rémunération des salariés qui occupent des emplois dans l’entreprise. (…)
[101] Le législateur prévoit donc que l’équité salariale doit se faire sans diminuer les salaires. Soit! Mais ici, le Conseil du trésor propose que l’équité salariale doive se faire à même le 12,6 %. Techniquement, il n’y aura pas de diminution de salaire, mais pour des groupes comme les ingénieurs [corps d’emploi à prédominance masculine], où il n’y a pas de rattrapage salarial cela signifie qu’ils auront un enrichissement moindre, y compris pour leurs membres de sexe féminin. Étrange résultat.
[102] L’équité salariale devient, dans la présente affaire, un enjeu de négociation, contrairement à l’intention du législateur qui a voulu que cette anomalie systémique soit réglée et corrigée, et sûrement pas en créant de nouvelles iniquités parmi les salariés féminins ou masculins.
[103] Cette vision de l’employeur plombe la négociation collective et l’empêche de progresser à son propre rythme. Par son attitude, ses propos et son intransigeance, il a donc négocié de mauvaise foi en ce qui concerne le volet salarial de la négociation collective.
[129]
Même si la
CRT indique qu’elle ne se prononce pas sur l’exercice même de l’équité
salariale, en fait, sa vision de l’article
[130]
La CRT
n’avait pas à décider si un gel de salaire pouvait contrevenir à l’article
[131] Encore une fois, la CRT isole cet élément du reste de la preuve alors que l’exercice qui devait être complété consistait plutôt à se demander si, selon l’ensemble de la preuve, la proposition du Gouvernement était objectivement déraisonnable et injustifiée.
[132] Le Gouvernement a soumis une preuve détaillée expliquant pourquoi il devait inclure le coût du règlement de l’équité salariale dans son cadre budgétaire :
· il est bien conscient qu’il ne peut « négocier » l’équité salariale et n’a jamais voulu la négocier;
· néanmoins, il doit tenir compte de ces coûts importants à venir pour estimer l’offre monétaire qu’il peut déposer dans le cadre de la négociation des conventions collectives;
· en fin de compte, tant les sommes versées aux employés à titre d’augmentations salariales que celles versées à titre de correctifs d’équité salariale représentent de la rémunération pour les employés de l’État et doivent être prévues au budget de dépenses du Gouvernement;
· ne pas tenir compte de cet élément dans le cadre de la négociation aurait, au contraire, été irresponsable.
[133] Le Gouvernement a également soumis en preuve plusieurs témoignages expliquant ses efforts pour tenter d’arriver à un règlement du dossier d’équité salariale et voir s’il pouvait dégager des sommes supplémentaires pour la négociation des conventions collectives.
[134]
Il a
soutenu que les organisations syndicales ont tout fait pour ralentir le dossier
d’équité salariale pendant les négociations, espérant obtenir de meilleures
augmentations de la rémunération. Une fois les conventions collectives
réglées, tout montant obtenu au titre d’équité salariale se serait ajouté
puisque l’article
[135] La CRT devait analyser cette preuve et décider s’il était objectivement déraisonnable d’agir ainsi.
[136] Il était déraisonnable pour la CRT de conclure que le simple fait d’inclure dans son cadre budgétaire une prévision pour régler l’équité salariale équivalait à négocier de mauvaise foi. Constater que l’équité salariale était un enjeu important des négociations 2003-2005 est une chose, en déduire que le Gouvernement négociait de mauvaise foi en est une autre.
[137] Le Procureur général n’a pas soulevé l’argument sous cet angle, mais on peut également conclure que la CRT a omis de tenir compte de facteurs pertinents, contrairement aux enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt réputé Union internationale des employés des services, local no. 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn. [67]
[138] Le Procureur général demande au Tribunal, s’il casse la décision de la CRT, de ne pas retourner le dossier à la CRT, mais de rendre la décision qui aurait dû être rendue. Subsidiairement, si le dossier doit être retourné à la CRT, le Procureur général voudrait que le Tribunal ordonne qu’un autre commissaire soit saisi du dossier puisque l’idée du commissaire Garant serait déjà arrêtée.
[139] Les organisations syndicales invoquent plutôt qu’en cas d’intervention du Tribunal, il faut retourner le dossier à la CRT et qu’il lui appartiendra de gérer le dossier, notamment en raison du départ du commissaire Garant.
[140] Généralement, lorsqu’un tribunal judiciaire casse la décision d’un tribunal administratif, il lui retourne le dossier.
[141] Exceptionnellement, le tribunal judiciaire rend la décision qui aurait dû être rendue. Ce serait le cas, par exemple, s’il n’y a plus rien à décider [68] . Ce n’est pas le cas ici. Le Tribunal conclut que la CRT n’a pas suivi la démarche appropriée. Il lui appartient de reprendre l’exercice. D’ailleurs, le dossier déposé en Cour supérieure ne contient pas l’entièreté de la preuve présentée à la CRT et l’exercice à compléter consiste précisément à tenir compte de l’ensemble de la preuve.
[142] Le Tribunal croit cependant qu’il est souhaitable que l’affaire soit entendue par un commissaire qui ne s’est pas déjà prononcé et à qui on ne pourrait reprocher d’avoir des idées préconçues sur le litige [69] . De plus, les parties informent le Tribunal que le commissaire Garant n’est plus à la CRT. La transcription de l’audience est néanmoins disponible.
[143] En terminant et même si le sujet n’a pas été discuté à l’audience, le Tribunal ajoute une recommandation, dans l’espoir que les parties la prendront en considération dans la poursuite du dossier.
[144] Le morcellement du dossier entraîne l’utilisation importante de ressources tant à la CRT qu’à la Cour supérieure et, encore aujourd’hui, sept ans après l’adoption de la Loi 43, les organisations syndicales n’ont pas annoncé avec précision les remèdes recherchés. Peut-être que la formulation précise des remèdes recherchés pour une possible violation de l’obligation d’agir de bonne foi prévue au Code du travail et leur analyse par la CRT permettrait aux parties de mieux connaître les enjeux et d’agir en conséquence.
[145] Puisque la CRT doit reprendre l’analyse, les parties pourraient lui demander d’entendre la preuve additionnelle nécessaire et de statuer, en même temps sur les remèdes « si tant est qu’il soit possible d’en imposer, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire » [70] , comme l’écrit elle-même la CRT dans sa décision.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[146] ACCUEILLE la requête en révision judiciaire;
[147] ANNULE la décision rendue le 30 janvier 2012 par la CRT;
[148] RETOURNE le dossier à la CRT pour qu’un nouveau commissaire dispose des plaintes;
[149] AVEC DÉPENS.
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__________________________________ CLAUDINE ROY, J.C.S. |
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Me Louis Bernier Me Benoit Turmel |
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fasken martineau dumoulin |
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Avocats des demandeurs |
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Me Robert Dury |
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trudel nadeau |
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Avocat du SPGQ |
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Me Amy Nguyen |
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barabé casavant |
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Avocate de la CSQ |
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Me Éric Germain |
|
asselin sabourin et germain |
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Avocat du Syndicat des constables spéciaux du gouvernement du Québec |
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Me Marc Hurtubise |
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poudrier bradet |
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Avocat du SAPSCQ, FCCRQ, APIGQ, APTS, SFPQ, CSD et FISA |
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Dates d’audience : |
20, 21, 27 et 28 novembre 2012 |
[1] L.Q. 2005, c. 43.
[2] R-4.
[3] L.R.Q., c. C-27.
[4] C.S. 500-17-029791-061, C.S. 500-17-030025-061 et C.S. 500-17-030041-068. Le jugement dans ces dossiers est également rendu ce jour.
[5] R-6.
[6] R-1.
[7] Le Procureur général représente ici tous les Demandeurs.
[8] Procès-verbal du 21 novembre 2012.
[9] R-5.
[10] R-6.
[11] R-7, p. 9-13.
[12] R-7, p. 86-88.
[13]
Québec (Procureur général)
c. Commission des relations du travail
,
[14]
Health Services and Support - Facilities Subsector Bargaining
Assn. c. Colombie-Britannique
,
[15] R-9.
[16] R-1.
[17] R-1.
[18] R-1, p. 23.
[19]
Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail)
,
[20] 2007 QCCA 899 .
[21]
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick
,
[22]
À titre d’illustrations, on peut référer à quatre exemples récents dans la
jurisprudence de la Cour d’appel du Québec :
Compagnie de taxi
Laurentides inc. c. Commission des transports du
Québec,
[23] 2011 CSC 53 .
[24] L.R.C. 1985, c. H-6.
[25] Précité, note 23, paragr. 18-21.
[26]
2011 CSC 61
; voir également
Nor-Man Regional Health Authority
Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals
,
[27] Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association , précité, note 26 , paragr. 34.
[28] Id. , paragr. 39.
[29] Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail) , précité, note 19, paragr. 160.
[30] R-1, paragr. 77, 78 et 124.
[31]
Wells c. Terre-Neuve
,
[32] Voir par exemple, Syndicat uni du transport, section locale 1374 et Brewster Transport Company Limited, Banff (Alberta) , (1986) 66 di 1 (CLRB).
[33] R-1, p. 23.
[34] R-1, paragr. 72-75, 79-80, 83-84, 90 et 130.
[35] R-3, S-7 et S-10, Témoignage de Me Munn, R-2, onglets 15-16.
[36] R-1, paragr. 118.
[37] Code canadien du travail , L.R.C. 1985, c. L-2, art. 50.
[38] Loi de 1995 sur les Relations de travail , L.O. 1995, c. 1, annexe A, art. 17.
[39] Labour Relations Code , R.S.B.C. 1996, c. 244, art. 11.
[40]
Nexans Canada inc. et Syndicat des métallos, section locale 6687
,
[41]
Alimentation Sylvain Bissonnette inc. et Syndicat des travailleuses et
des travailleurs du Marché d’alimentation Saint-Constant (CSN)
,
[42]
N. DI IORIO, « La négociation collective et l’arbitrage de
différends », dans Collection de droit 2010-2011, École du Barreau du
Québec, vol. 8,
Droit du travail
, Cowansville, Éd. Yvon Blais, 2010, p.
172; F. MORIN, J.-Y. BRIÈRE, D. ROUX et J.-P. VILLAGGI,
Le droit de l’emploi
au Québec
, 4
e
éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, p.
1171;
Association internationale des machinistes et des travailleurs de
l’aérospatiale, section locale 2133 et Compagnie d’appareils électriques
Peerless ltée
,
[43]
S.C.F.P. c. Conseil des relations du travail (N.-É.)
,
[44] B.F.C.S.D., Local 304 v. Canada Trustco Mortgage Co. , [1984] O.L.R.B. Rep. 1356, paragr. 30-34; Canadian Association of Industrial, Mechanical and Allied Workers and Noranda Metal Industries Limited , [1974] B.C.L.R.B.D. No. 149, p. 15.
[45] Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail) , précité, note 19, paragr. 42.
[46]
3033-09-U United Steel, Paper and Forestry, Rubber, Manufacturing,
Energy, Allied Industrial and Service Workers International Union (United
Steelworkers), Local 6500 and Local 6200 v. Vale Inco Limited
, 2012 CanLII
8468 (ONLRB);
Vale Inco Ltd.
, [2010] O.L.R.D. No. 3253, paragr. 38;
Kwantlen
Polytechnic University
(Re)
, [2010] B.C.L.R.B.D. No. 199,
paragr. 17;
Construction Labour Relations Assocation of British Columbia
(Re)
, [2010] B.C.L.R.B.D. No. 171, paragr. 47;
La Guilde
des employés de journaux de Montréal (Montreal Newspaper Guild) T.N.G. -
C.W.A., local 30111 (C.L.C. - A.F.L. - C.I.O.) c. Montréal Gazette Group inc.,
a division of Southam Publications, a Can West Company
,
[47] F. MORIN, J.-Y. BRIÈRE, D. ROUX ET J.-P. VILLAGGI, précité, note 42 , p. 1331-1332; C.U.P.E., Local 87 v. Thunder Bay (City) , [1995] O.L.R.B. Rep. 1355.
[48]
National Labor Relations Board v. Truitt Manufacturing Co.
,
(1956) 351 U.S. 149 (S.C.);
Syndicat des Métallos, section locale 7016 et
Systèmes et cables d’alimentation Prysmian Canada Ltée
, 2011 QCCRT 116;
Best Facilities Services Ltd.
(Re)
, [2010] B.C.L.R.B.D. No.
143;
Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du
Trésor
, [2009] C.R.T.F.P.C. no 102 (appel rejeté,
[49] R-3, S-7.
[50] R-3, SISP-25. Le Front commun regroupe la CSN, la FTQ et la CSQ (jusqu’au printemps 2005).
[51] R-3, S-10.
[52] Témoignage de Me Munn, R-2, onglets 15-16.
[53] R-1, paragr. 11.
[54] R-3, E-171 et E-172.
[55] R-1, paragr. 118.
[56] Les résumés de la preuve, préparés tant par les organisations syndicales (voir les mémoires déposés devant la CRT) que par le Gouvernement, illustrent de manière éloquente l’ampleur de la preuve et l’omission de la CRT d’en tenir compte ou d’expliquer pourquoi elle voudrait l’écarter.
[57] R-3, E-167, Témoignage de Me Munn, R-2, onglets 15 et 16.
[58] L.R.Q., c. E-12.00001, telle qu'en vigueur entre le 20 décembre 2001 et le 31 décembre 2006.
[59] L.R.Q., c. E-12.001.
[60] Voir par exemple R-3, E-166 et E-167.
[61] R-1, paragr. 98.
[62] R-1, paragr. 17-28, E-167, Témoignage de M. Gilbert, R-2, onglets 12-13, Témoignage de Me Munn, R-2, onglets 15-16, S-7.
[63] R-3, SISP-25; le Front commun regroupe la CSN, la FTQ et la CSQ (jusqu’au printemps 2005).
[64] R-3, E-160 et E-161.
[65] Témoignage de Me Munn, R-2, onglet 15, p. 102-115.
[66] Les débats parlementaires concernant l’étude de l’adoption de la Loi sur l’équité salariale démontrent abondamment que la réalisation de l’équité salariale est susceptible de ralentir les augmentations salariales, de provoquer des gels salariaux et que la seule interdiction de l’article 73 est de diminuer les salaires, R-11.
[67] [1975] 1 R.C.S. 382 , paragr. 8.
[68]
Commission de protection du territoire agricole du Québec
c.
Turmel
,
[69]
Syndicat des professeures et professeurs du Collège Édouard-Montpetit c.
Collège Édouard-Montpetit
,
[70] R-1, paragr. 13.