TRIBUNAL D’ARBITRAGE
(article
C A N A D A
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT D’IBERVILLE
No. de dépôt: 2013-1902
DEVANT L’ARBITRE ME ROBERT CHOQUETTE
SYNDICAT DES EMPLOYÉ-E-S DE MÉTIERS D’HYDRO-QUÉBEC, SECTION LOCALE 1500 SCFP-FTQ
ET
HYDRO-QUÉBEC
Grief no STL-2010-E-45
(Yvon Salesse)
Comparutions : Madame Sylvie Pépin, pour la partie syndicale Me Stéphane Desmarais, pour la partie patronale
Date d’audition : 14 novembre 2012
Date de la décision : 7 janvier 2013
SENTENCE ARBITRALE
[1] J’ai été nommé par les parties pour décider du grief mentionné en titre.
[2] Les parties n’ont soulevé aucun moyen préliminaire quant à ma compétence pour entendre et disposer du grief ni quant à la procédure de grief et d’arbitrage.
[3] Le grief STL-2010-E-45 conteste la décision de l’Employeur datée du 30 mars 2010 par laquelle le plaignant, monsieur Yvon Salesse, a été suspendu sans solde pour une durée de 4 jours et réclame le retrait de la lettre de mesure disciplinaire de son dossier ainsi que le remboursement du salaire perdu avec tous les droits et privilèges prévus à la convention et une compensation pour les préjudices et dommages subis (S-2).
[4] La lettre de suspension contestée se lit comme suit (S-3) :
«Montréal, le 30 mars 2010
Monsieur Yvon Salesse
Chef monteur distribution
Objet : Mesure disciplinaire
Monsieur Salesse,
Le 17 mars 2010 lors d’une mission aux États-Unis vous avez eu un accident de la route avec un camion nacelle appartenant à l’entreprise. Ainsi, vous avez heurté un viaduc dont la hauteur était inférieure à celle de la nacelle. Ce manquement a occasionné des dommages sur le véhicule évalués à plus de 75 000,00$.
De ce fait, je tiens à vous rappeler que vous avez la responsabilité; dans le cadre de l’exercice de vos fonctions comme Chef monteur, de conduire les véhicules d’Hydro-Québec avec prudence tout en respectant les différents lois et règlements à l’égard de la sécurité routière. De plus, conformément au Code de conduite, vous avez le devoir d’agir avec diligence dans votre travail. En ne respectant pas la hauteur permise du viaduc, vous n’avez pas rencontré votre devoir de diligence et n’avez pas assumé les responsabilités qui vous étaient imputées.
Considérant votre dossier disciplinaire antérieur et le manquement ci-haut mentionné, nous vous informons que vous êtes suspendu sans solde pour une durée de 4 jours, du 6 avril au 9 avril 2010. Vous reprendrez le travail le 13 avril 2010.
Nous espérons que cette mesure vous incitera à réfléchir et à modifier votre comportement. S’il y avait récidive de votre part, la Direction sera dans l’obligation de prendre des mesures plus sévères à votre égard.
Réjean Rivard
Chef réalisation travaux aériens et souterrains
c.c. Dossier de l’employé
Syndicat local 1500»
II - LA PREUVE
1. Preuve de l’Employeur :
Témoin : monsieur Yvon Salesse (plaignant)
[5] Monsieur Salesse est à l’emploi d’Hydro-Québec depuis 1990. Il a été jointeur temporaire jusqu’en 1993. Il est devenu monteur distribution permanent à partir de janvier 1993. À partir de juillet 2002, il est devenu chef monteur distribution en remplacement pendant 1 ½ année, monteur pendant 2 ½ ans et à partir de juin 2006, chef monteur dans un poste.
[6] En mars 2010, il était chef monteur distribution au secteur Montréal-Est. Il y a entre 20 et 24 monteurs et chef monteurs dans ce secteur. Le monteur est compagnon du chef monteur, le rapport est un pour un.
[7] Le chef monteur voit à ce que le camion ait les outils et le matériel nécessaires pour faire les travaux. Il transmet les consignes au compagnon (monteur). Il voit le contremaître (un gestionnaire) à tous les matins pour recevoir les instructions.
[8] Comme monteur et chef monteur, il a à se déplacer plusieurs fois (jusqu’à dix) par jour. Il utilise un camion-nacelle de dix (10) roues le plus souvent. À l’occasion, il prend un camion nacelle de six (6) roues. Ils sont deux à se déplacer avec le camion (i.e. chef monteur et compagnon (monteur).
[9] Lors des événements de mars 2010, il utilisait le camion-nacelle (10 roues) numéro 50676 (H-6). Il est toujours attitré à ce modèle de camion depuis 1993. Il a utilisé le camion 50676 seulement pour la mission aux États-Unis parce que son camion habituel #50119 était trop vieux pour la mission. Il était semblable mais un peu plus petit (différence de quelques pouces de hauteur).
[10] Il déclare qu’il est familier avec l’utilisation d’un GPS.
[11] Le plaignant reconnaît qu’il faut respecter le Code de la sécurité routière et la signalisation.
[12] Il admet que sur le tableau de bord du camion-nacelle qu’il conduisait, il y avait une étiquette rouge indiquant la hauteur libre de la nacelle à savoir 13’4’’ (4.06 m). Il comprend ce que cela veut dire et admet que ce n’est pas nouveau.
[13] Il admet que normalement, il y a un panneau près d’un viaduc qui indique la hauteur du viaduc.
[14] Il admet que c’est sa responsabilité de s’assurer que le véhicule passe sous le viaduc. Il dit qu’il s’en assure en regardant les hauteurs libres sur les panneaux de signalisation. S’il ne voit pas le panneau, il arrête le véhicule et il fait monter le monteur compagnon sur la grille du camion qui va indiquer si ça passe ou pas.
[15] Le plaignant déclare que les viaducs, au Québec, n’ont pas toujours la même hauteur et il y a des endroits où les nacelles ne passent pas. Il dit avoir été confronté à cette situation avant mars 2010. Il est alors reparti en reculant.
[16] Il admet avoir reçu les différentes éditions du Code de conduite d’Hydro-Québec et avoir reçu une présentation au moment de sa remise notamment son devoir d’agir avec diligence, de conduire avec prudence et son devoir de diligence à l’égard des biens de l’Entreprise.
[17] Il est allé plusieurs fois en mission aux États-Unis et il connaît le document «Consignes lors de déplacement hors Québec pour une intervention dans le cadre du projet UNIHHQ». Il admet qu’Hydro-Québec applique ces consignes (H-10).
[18] Monsieur Salesse est allé en mission aux Etats-Unis du 14 mars au 18 mars 2010 à titre de chef monteur. Son compagnon était monsieur Éric Therrien. Il y avait cinq équipes (2 personnes : monteur et chef monteur), des mécaniciens, des personnes en santé sécurité et la direction i.e. Denis Dumond, Jacques Germain et Richard Vallée.
[19] Il est allé aux Etats-Unis avec le camion-nacelle #50676 qui avait l’étiquette rouge sur le tableau de bord. Il déclare qu’il l’a remarqué (H-7). Il n’a pas conduit en partant de Montréal. Il a conduit le lendemain. Avec son compagnon, ils conduisent une journée à la fois, à tour de rôle.
[20] Lundi matin (15 mars 2010), le chef de mission, Denis Dumond, a présenté le guide américain George Escobar pour l’explication des travaux et le fonctionnement. Monsieur Salesse a déterminé avec monsieur Escobar les travaux à faire pour la journée (parce que monsieur Vallée ne parle pas anglais). Monsieur Escobar les a accompagnés aux lieux de travail et cela, à tous les jours car ils ne partent jamais seuls.
[21] À la fin de la journée de travail lundi, les cinq (5) équipes s’attendent en ligne et attendent quelqu’un parmi les chefs monteurs prend l’initiative de guider le groupe pour retourner à l’hôtel.
[22] Monsieur Salesse avait son GPS dans le camion-nacelle contenant l’adresse de l’hôtel. Il n’a pas utilisé le GPS à tous les jours parce qu’il était au milieu du convoi.
[23] Il déclare qu’il ne sait pas si le lieu de travail était loin de l’hôtel; il parle de 20, 30 ou 40 minutes.
[24] Mardi le 16 mars 2010, il ne sait pas qui escorte pour se rendre aux travaux. À la fin de la journée, c’est un des cinq (5) chefs monteurs qui a escorté. C’est pratiquement toujours le même chemin qui a été suivi bien qu’il est arrivé que le convoi ne passe pas au même endroit que la veille.
[25] Mercredi le 17 mars 2010, monsieur Salesse et deux (2) autres équipes ont terminé vers 19 :15 heures. Les deux (2) autres équipes étaient parties ailleurs. Les trois (3) véhicules se sont placés en convoi. Monsieur Salesse était le premier à l’avant, quelqu’un a donné le signal de départ par téléphone. Monsieur Salesse a utilisé son GPS et a guidé le retour. Il déclare qu’il avait utilisé le GPS pour la mission avant le soir du 17 mars 2010.
[26] Il admet que le soir du 17 mars 2010, il est entré en collision avec un viaduc de train et il l’a endommagé. Il admet que la hauteur libre du viaduc ne permettait pas le passage du camion-nacelle. Il déclare qu’il est exact qu’il y avait un panneau indiquant la hauteur permise pour passer sous le viaduc (H-11 photo).
[27] Monsieur Salesse croit que le panneau était situé plus à droite que l’indique la photo (H-11). Il croit que les marques de peintures sur le viaduc ne sont pas celles de son camion. Il reconnaît que c’est bien à cet endroit qu’il a tenté de passer sous le viaduc.
[28] Il déclare qu’il n’a pas vu le panneau de signalisation parce qu’il commençait à faire noir. Il dit qu’il ne s’est pas assuré de la hauteur libre du viaduc. Il ne s’est pas questionné en voyant le viaduc. Il affirme que les deux (2) jours précédents, il n’était pas passé par cet endroit.
[29] Il déclare qu’il roulait à 25 kilomètres/heure après s’être arrêté au feu de circulation juste avant.
[30] Il reconnaît qu’il voyait le viaduc, arrêté aux feux de circulation. Il ne faisait pas assez noir pour ne pas voir le viaduc. Il commençait à faire noir, nous dit-il, mais il regardait son GPS.
[31] Il admet une part de responsabilité. Selon lui, il a fait une erreur mais il n’a pas été négligent de ne pas s’assurer de vérifier si la hauteur du viaduc permettait de passer.
[32] Après l’accident, il a déplacé le camion-nacelle pour libérer la circulation. La police ferroviaire l’a amené au poste de police. Monsieur Bourdages et Alain…l’ont accompagné. Ils ont payé la caution de 146$ pour la comparution du lendemain.
[33] Le lendemain, il s’est présenté à la cour. Ce serait monsieur Bourdages qui a plaidé coupable pour lui. Il affirme qu’il ne savait pas qu’il avait plaidé coupable.
[34] Il reconnaît avoir reçu une réprimande le 22 décembre 2009 qui se lui comme suit (H-12) :
« Objet : Lettre de réprimande
Monsieur Salesse,
Le 11 décembre 2009, on vous avait assigné comme travail le remplacement d’un transformateur 100KVA pour un transformateur 100KVA 7.2/14.1. Or, la prise n’a pas été enclenchée correctement sur la tension de 7.2 KV. Tel que spécifié dans les encadrements, une vérification de tension aurait dû être faite, ce qui aurait permis d’identifier la problématique. Ce manquement a provoqué une mauvaise tension pour les abonnés et a eu comme résultante de prolonger indûment la panne.
De plus, un rappel vous avait été fait le 10 décembre lors d’une réunion d’équipe afin de porter une attention particulière à ce type d’intervention.
De ce fait, je tiens à vous rappeler que vous avez la responsabilité comme Chef monteur de diriger les travaux de votre équipe tout en leur transmettant les règles et les méthodes de travail pertinentes à l’exécution des manœuvres. De plus, conformément au Code de conduite, vous avez le devoir d’agir avec diligence dans votre travail. En ne respectant pas les méthodes, vous n’avez pas rencontré votre devoir de diligence et n’avez pas assumé les responsabilités qui vous étaient imputées.
Nous espérons que cette mesure vous incitera à réfléchir et à modifier votre comportement. S’il y avait récidive de votre part, la Direction sera dans l’obligation de prendre des mesures plus sévères à votre égard.»
[35] Monsieur Salesse désire changer sa réponse à la question posée par le procureur patronal à l’effet qu’Hydro-Québec applique les consignes (document H-10). Il déclare maintenant qu’Hydro-Québec n’a pas respecté la consigne «Arrivé sur place, des guides vous prendront en charge et vous dirigeront, soit vers votre lieu de rassemblement, soit vers votre lieu d’hébergement ou soit vers tout autre lieu désigné» (H-10).
Témoin : monsieur Réjean Rivard
[36] Monsieur Rivard est chef réalisation travaux aériens et souterrains. Il a été engagé chez Hydro-Québec en 1985 comme jointeur. En 1993, il est devenu contremaître de jointeurs. En 2006, il a été nommé chef des opérations de l’unité Sud Est et en 2008, il gère des contremaîtres et certains jointeurs de l’unité. En 2009, il devient responsable de l’unité aérien soit tous les monteurs de ligne de l’île de Montréal (100 à 105 personnes) et dix (10) contremaîtres.
[37] En mars 2010, il était responsable des travaux aériens. Il était le patron de Luc Morin, le patron de monsieur Salesse.
[38] L’organisation du travail se fait comme suit : le contremaître remet le bulletin des travaux à faire au chef monteur (ou chef d’équipe) qui a la responsabilité de guider le monteur sur comment faire, sur la sécurité, etc.
[39] Les camions-nacelles se déplacent plusieurs fois par jour et le conducteur est responsable de respecter les lois notamment le Code de sécurité routière, la Loi sur l’assurance automobile du Québec et les règlements tel que le nombre d’heures de conduite à respecter (H-13 et H-14). Toute infraction au Code de la sécurité routière est à la charge pleine et entière du conducteur impliqué (point 2.1 de H-13 et 2.2 de H-14).
[40] Monsieur Rivard dit qu’il y a une étiquette indiquant la hauteur libre dans tous les véhicules lourds. La hauteur libre des camions-nacelles plus anciens est de 12 pieds 10 pouces alors que celle des nouveaux est de 13 pieds et 4 pouces.
[41] Il rappelle que le Code de conduite demande de respecter les biens de l’entreprise, de conduire les véhicules avec prudence. Faire preuve de négligence à l’égard des biens de l’entreprise et risquer ainsi de provoquer leur détérioration mettent en péril le lien de confiance qui doit exister entre l’employeur et l’employé (H-9, pages 10 et 11).
[42] Les consignes aux USA ont été écrites suite à des événements qui se sont passés. Le but des consignes est d’encadrer les opérations.
[43] Monsieur Rivard a appris le soir du 17 mars 2010 l’accident avec le camion-nacelle qui avait frappé un viaduc et que monsieur Salesse était au volant. Il a conclu que lors du retour à la fin de la journée vers l’hôtel, des équipes ont quitté sans attendre le guide et l’accident est arrivé.
[44] On lui a expliqué que les policiers n’étaient pas contents parce que monsieur Salesse avait reculé le camion de 300 ou 400 pieds au lieu de ne pas bouger. Il a été amené au poste de police et on a exigé une caution pour qu’il sorte de prison et garantir sa comparution à la cour le lendemain. Monsieur Dubé, chef de mission, a payé la caution. Lors de la comparution, monsieur Salesse a plaidé coupable accompagné par monsieur Roland Bourdage. On a garanti qu’Hydro-Québec assumerait les frais de réparation du viaduc.
[45] Monsieur Salesse a rédigé le rapport d’enquête et d’analyse de l’accident le 24 mars 2010 et a décrit l’événement comme suit (SIC) (H-16) :
«Après la journée de travail pour le retour à l’hotel j’étais arreter sur une lumière. Ont regardais le G.P.S. qui nous disait qu’il restait 200 m pour tourner à droite une fois la lumère qui était rouge qui est devenu verte ont es parti. On a vu le viaduc mais pas la Pancarte qui indiquait la hauteur de 10’4’’. Il fesait sombre et quant j’ai constaté qu’on ne passait pas il était trop tard.
Yvon Salesse»
[46] Monsieur Rivard, à la lumière des photos prises sur les lieux, constate que la différence entre la hauteur du viaduc et celle du camion-nacelle est énorme à savoir 2 pieds et demi. Il ajoute que si on ne voit pas la pancarte indiquant la hauteur, on a l’obligation d’arrêter et de vérifier. Il dit que même si la pancarte avait indiqué 13 pieds, le conducteur devait s’arrêter quand même parce qu’il est possible que la route ait été réparée et pavée.
[47] Quant à l’argument de monsieur Salesse qu’i faisait «sombre», monsieur Rivard nous dit qu’il s’agit d’une excuse parce qu’il doit y avoir un peu d’éclairage et les camions sont équipés de lumières pour cela. De plus, dans sa déclaration d’accident, monsieur Salesse écrit qu’il a vu le viaduc et il avait l’obligation de s’arrêter. Il aurait dû voir que ça ne passait pas, il manquait 2 pieds et demi de hauteur. Les pancartes sont réflectantes et donc visibles le soir.
[48] Il déclare que les photos montrent que le camion était dans un état piteux le soir du 17 mars 2010. Comme l’équipement est hydraulique, il fallait faire une inspection avant de l’utiliser.
[49] L’accident a eu comme impact que l’équipe ne pouvait plus travailler et il y avait état d’urgence ce qui pouvait affecter l’image d’Hydro-Québec aux USA. Il y a eu des coûts importants pour envoyer un autre camion-nacelle là-bas.
[50] Quant aux dommages au camion-nacelle, il y a eu des réparations majeures, la nacelle arrachée et les mâts endommagés. De plus, le camion a été hors d’usage pendant 6 à 8 semaines et donc du temps improductif. La facture totale des réparations de l’entreprise Posit +, le fabricant, est de 105 706$ payée par Hydro-Québec Distribution Montréal (H-20).
[51] Lorsqu’il a écrit la mesure disciplinaire du 30 mars 2010, monsieur Rivard avait toutes les photos et le rapport du plaignant. Il a retenu qu’il s’agissait d’un accident très important avec des dommages importants estimés à l’époque à 75 000$. Il a aussi retenu qu’en tant que chef monteur, le plaignant devait assurer la responsabilité de l’équipe et il avait le devoir d’agir avec diligence et prudence. Selon le Code de conduite, il devait s’arrêter au viaduc s’il n’était pas certain.
[52] Il a pris en considération l’avis disciplinaire du 22 décembre 1999 imposé au plaignant, pour négligence à l’occasion d’un changement de transformateur. Ce dernier n’a pas fait la vérification de tension après le travail pour s’assurer que tout était correct. Il a manqué à son devoir d’agir avec diligence.
[53] Il a rencontré monsieur Salesse avec un représentant syndical avant le 30 mars 2010. Il déclare qu’il aurait pu changer d’idée si le Syndicat ou le plaignant avait apporté des éléments nouveaux.
[54] En contre-interrogatoire , monsieur Rivard déclare que c’est la responsabilité de tout conducteur avec un permis québécois de respecter les lois en vigueur aux USA.
[55] Questionné sur la signalisation routière aux USA, monsieur Rivard répond que la vitesse peut être différente, les tournages à droite sont permis presque partout. Il y a différence entre les milles et les kilomètres ainsi que les pouces et les mètres, rien d’autre.
[56] Il dit qu’en mission au Québec, il y a toujours un briefing le matin avant le début des travaux pour des choses particulières tel qu’un viaduc un peu plus bas.
[57] Questionné sur les consignes hors Québec (H-10) concernant des guides sur place, monsieur Rivard répond que oui, il y a des guides et cela dépend aussi des endroits mais ce n’est pas une obligation. Le contremaître peut agir comme guide sur les lieux de travail. Si c’est compliqué, on veut s’assurer que les gens se rendent le plus rapidement possible sur les lieux. Mais la responsabilité relève de celui qui est derrière le volant.
[58] Monsieur Rivard nous dit que le chef de mission s’occupe des guides. Le contremaître peut guider. Il déclare que la plupart du temps, Hydro-Québec fournit un GPS aux employés et tous les LCL (Lettre, Chiffre, Lettre) sont programmés mais pas la hauteur des viaducs. Le GPS est un outil de support, rien d’autre. Le conducteur doit s’assurer de la sécurité de sa conduite.
[59] Monsieur Salesse a plaidé coupable à l’infraction d’avoir frappé un viaduc. Hydro-Québec n’a pas reçu de réclamation pour les égratignures au viaduc.
[60] Concernant l’affirmation de monsieur Salesse qu’il faisait «sombre» dans son rapport d’accident (H-16), monsieur Rivard répond que ça ne se passait pas en campagne (les photos H-11 le confirment), que le viaduc était à 200 mètres des feux de circulation et que le camion a des lumières appropriées. Monsieur Salesse a décollé suite à son arrêt au feu rouge à 200 mètres du viaduc. Pour lui, c’est évident qu’il voyait le viaduc et que ça ne passait pas. C’est aussi évident, pour lui, que la pancarte est réfléchissante (H-11).
[61] Le lendemain de l’accident, l’Employeur a ramené monsieur Salesse à Montréal et a envoyé un autre monteur aux USA et ils ont reconfiguré les équipes.
2. Preuve du Syndicat :
Témoin : monsieur Éric Therrien
[62] Monsieur Therrien est monteur de ligne chez Hydro-Québec depuis 10 ans. C’était sa première mission à l’étranger.
[63] Il affirme que les deux (2) premiers jours, les équipes ont eu un guide (George Escobar) qui les amenait au lieu de travail et les ramenait le soir à l’hôtel.
[64] Le 17 mars 2010, le guide a amené l’équipe le matin au lieu de travail. Le soir, monsieur Therrien ne l’a pas vu. Les équipes se sont réunies vers 8h00 PM à 500 pieds avant le feu de circulation. Le guide n’était pas là. Monsieur Salesse et lui étaient les premiers en avant du convoi. La noirceur s’en venait. Ils ont parlé aux autres équipes sur radio C.B. et ont demandé s’ils pouvaient partir. Quelqu’un a répondu OK.
[65] Il déclare qu’il a été distrait par le GPS. Il n’a pas vu la pancarte. Au contact avec le viaduc, il est descendu du camion pour ramasser les outils. Il a reculé le camion jusqu’à la lumière de circulation et il a tourné à droite pour attendre la police (20 minutes). Le mécanicien est arrivé pour réparer les tuyaux hydrauliques qui coulaient.
[66] Monsieur Therrien répète qu’il n’a pas vu le panneau de signalisation mais il a vu le viaduc pendant qu’il était arrêté à la lumière rouge. Il estime qu’ils étaient à 300 ou 400 pieds du viaduc. Ils roulaient à peu près 35 kilomètres à l’heure lorsqu’ils ont frappé le viaduc. Monsieur Salesse était au volant.
[67] En contre-interrogatoire , monsieur Therrien déclare que le 17 mars 2010, les six camions (12 personnes plus le contremaître Richard Vallée) étaient dans ce secteur.
[68] Richard Vallée était à l’arrière du convoi à 500 pieds du feu de circulation. Monsieur Therrien ne peut pas identifier qui a dit d’y aller Ok. Il déclare qu’habituellement, c’est le contremaître.
[69] Il affirme que monsieur Salesse avait programmé l’adresse de l’hôtel dans son GPS. Le GPS était toujours en fonction (allumé) dans les jours précédents.
[70] Le GPS, à l’arrêt au feu rouge, indiquait de tourner après le viaduc et donc il savait qu’il fallait passer sous le viaduc.
[71] Il dit que le passager porte moins attention à la vitesse que le conducteur. Il s’implique plus pour les feux de circulation.
[72] Il n’a pas vu le panneau de signalisation. Il ne s’est pas posé la question à savoir si le camion pouvait passer ou pas sous le viaduc.
Témoin : monsieur Yvon Salesse (plaignant)
[73] Il conduit depuis 23 ans des camions d’Hydro-Québec et n’a jamais eu d’accident avec un camion sauf un accrochage non responsable il y a cinq ans. Il n’a pas eu de mesure disciplinaire.
[74] Ce n’était pas la première fois qu’il allait en mission au Connecticut. Il a fait de 15 à 20 missions aux USA.
[75] Il déclare qu’il y a toujours des guides pour les missions. Au secteur Est de Montréal, c’est un contremaître.
[76] Le 17 mars 2010, à la fin de la journée, quelqu’un leur a dit de partir. Arrivé au feu rouge, il voyait le viaduc. Il vérifiait sur le GPS le chemin pour aller à l’hôtel. Il faisait sombre. Quand il a vu la hauteur du viaduc, il a freiné mais il était trop tard. Il a frappé le viaduc à 30 ou 35 kilomètres à l’heure.
[77] Il n’a pas été rencontré pour l’accident. Il a été rencontré par monsieur Rivard pour la mesure disciplinaire accompagné de son représentant syndical.
[78] En contre-interrogatoire , monsieur Salesse déclare qu’il a toujours eu un guide de l’hôtel pour aller et revenir des travaux. Il reconnaît qu’il y a eu des exceptions.
[79] Le 17 mars 2010, il n’a pas demandé par C.B. (radio mobile) pourquoi il n’y avait pas de guide ou de contremaître.
[80] Il reconnaît qu’il n’avait pas d’obligation d’assumer le rôle de guide du convoi. Il a décidé de le faire parce qu’il était à l’avant du convoi.
[81] Au départ de St-Jean-sur-Richelieu, Richard Vallée, le guide, a dit aux équipes de partir en avant et qu’il allait les suivre. Aux USA, monsieur Salesse aurait dit à monsieur Vallée qu’il ne ferait pas le guide.
[82] Monsieur George Escobar était le guide au travail. Il allait chez lui le soir et non pas à l’hôtel.
III - ARGUMENTATION DES PARTIES
1. La partie patronale :
[83] Le procureur rappelle que monsieur Salesse conduit des camions depuis 1993 et chaque jour, il se déplace de 10 à 12 fois avec un camion-nacelle 10 roues ou 6 roues. Les modèles n’ont pas vraiment changé. Il a 20 ans d’expérience comme conducteur de nacelle. Il est familier avec l’utilisation de son GPS personnel. Il est d’accord qu’il est responsable de respecter la signalisation et la vitesse dans le respect des lois et règlements.
[84] Il y a un autocollant dans son camion indiquant la hauteur libre de 13 pieds 4 pouces ou 4.06 mètres. L’ancien camion nacelle indiquait 12 pieds 10 pouces. Le plaignant reconnaît qu’il a la responsabilité de s’assurer que le camion nacelle passe sous le viaduc. Le panneau de signalisation est clair (universel) indique 10 pieds et 9 pouces. Il devait donc se questionner à la vue du viaduc. Dans le passé, en Estrie, il avait reculé à un viaduc après avoir vérifié s’il pouvait passer.
[85] Dans les jours précédant l’accident, le plaignant rentrait l’adresse de l’hôtel dans son GPS. Le chemin des jours précédents n’était pas le même que celui qu’il a pris le 17 mars 2010. Il devait se questionner si ça passe ou pas en voyant le viaduc. Il sait par le GPS qu’il doit passer sous le viaduc.
[86] Monsieur Salesse a reconnu que c’était sa responsabilité en tant que conducteur de vérifier la hauteur du viaduc, de trouver le panneau et s’assurer que le véhicule va passer. Il ne l’a pas fait malgré que la différence importante de 2 pieds et demi de hauteur manquante.
[87] Monsieur Salesse plaide qu’il n’a pas été négligent mais qu’il a commis une erreur. Le procureur me soumet qu’il s’agit d’une négligence grave en ce qu’il n’a pas respecté les règles de sécurité en ne vérifiant pas la hauteur du viaduc. Les dommages sont élevés (105 000$) et sont pris en considération selon la jurisprudence.
[88] Le plaignant avait une réprimande au dossier pour non respect des règles de sécurité. L’Employeur a appliqué le principe de la progression des sanctions.
[89] Le plaignant a manqué à son devoir de diligence.
[90] À l’appui de ses prétentions, le procureur me soumet les décisions suivantes :
Ø HERVÉ MATTE ET FILS LTÉE c. SYNDICAT DES TRAVAILLEURS DE L’ÉNERGIE ET DE LA CHIMIE, SECTION LOCALE 105, Cour d’Appel, 8 janvier 1993;
Ø MÉTRO RICHELIEU INC. et SYNDICAT DES TRAVAILLEURS(EUSES) DES ÉPICIERS UNIS MÉTRO RICHELIEU (CSN), 21 décembre 2009, monsieur Paul Charlebois, arbitre;
Ø HYDRO-QUÉBEC et SYNDICAT DES EMPLOYÉ-E-S DE TECHNIQUES PROFESSIONNELLES DE BUR4AU D’HYDRO-QUÉBEC, SECTION LOCALE 2000, 25 juin 2003, Me Marc Gravel, arbitre;
Ø DÉMIX BÉTON, DIVISION COMENT ST-LAURENT INC. ÉTABLISSEMENT DE LA RIVE-SUD ET DE VILLE LASALLE et L’ASSOCIATION DES EMPLOYÉS DE DÉMIX BÉTON, 5 mai 1997, Me François Hamelin, arbitre;
Ø NOVA P.B. INC. et MÉTALLURGISTES UNIS D’AMÉRIQUE, LOCAL 7625, 13 août 1996, Me Guy Dulude, arbitre;
Ø SYNDICAT DES EMPLOYÉS MUNICIPAUX DE JONQUIÈRE, LOCAL 2466 (SCFP) et VILLE DE JONQUIÈRE, 1 er septembre 1999, Me Gabriel-M. Côté, arbitre;
2. La partie syndicale :
[91] La procureure du Syndicat me souligne que la mesure disciplinaire du 30 mars 2010 reproche au plaignant d’avoir manqué à son devoir de diligence en étant négligent à l’égard des biens de l’entreprise selon le Code de conduite de l’Employeur (H-9). Il s’agit de décider si le plaignant a été négligent dans sa conduite du véhicule.
[92] La procureure me soumet que le plaignant a peut-être été imprévoyant mais pas téméraire. La négligence est définie comme étant un laisser-aller, une inattention.
[93] Elle soulève les circonstances particulières dans lesquelles le plaignant s’est trouvé lors des événements :
Ø il n’était pas familier avec les routes aux USA;
Ø il s’attendait à un guide (contremaître) pour le retour à l’hôtel;
Ø il n’était pas obligé de guider le convoi mais il l’a fait avec son GPS personnel;
Ø ça se passait à la tombée du soir;
Ø le panneau de signalisation était assez près du viaduc;
Ø son compagnon Therrien n’a pas vu le panneau;
Ø le plaignant dit qu’il l’a vu mais pas assez rapidement pour freiner.
[94] Elle plaide qu’il faut tenir compte de son dossier de 20 ans d’expérience. Il a eu un seul accident où il n’était pas responsable. Il n’avait aucune intention de causer des dommages. Bref, il s’agit d’un malheureux accident et non d’un manquement à son devoir de diligence.
[95] À l’appui de ses prétentions, la procureure cite l’affaire SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE, SECTION LOCALE 1500 et HYDRO-QUÉBEC rendue le 16 novembre 1992 par l’arbitre Me Jean-Jacques Turcotte. L’arbitre Turcotte a conclu que la preuve n’a pas démontré une faute commise par le salarié que ce soit intentionnel ou par voie de négligence, d’insouciance, de distraction.
[96] La procureure commente la jurisprudence soumise par l’Employeur notamment l’affaire HYDRO-QUÉBEC rendue par Me Marc Gravel où le plaignant avait vu le bloc de béton en se rendant au poteau où il devait prendre le relevé du compteur mais il ne s’en est pas soucié et il l’a accroché.
3. Réplique de la partie patronale :
[97] Les photos déposées (sous réserve) par le Syndicat datent d’avril 2012 et n’indiquent pas l’aménagement des lieux le 17 mars 2010.
[98] L’expérience de 20 ans de conduite du plaignant est un facteur aggravant selon la jurisprudence.
[99] Dans l’affaire décidée par l’arbitre Jean-Jacques Turcotte, il s’agissait de décider si l’accident était évitable et l’arbitre a décidé que c’était inévitable.
[100] Dans l’affaire MÉTRO-RICHELIEU rendue par l’arbitre Charlebois, le plaignant rate ou ne voit pas les panneaux indicateurs et l’arbitre conclut à des erreurs d’inattention ou de négligence. Il me soumet que c’est la même situation avec le cas de monsieur Salesse.
IV - DÉCISION
[101] Monsieur Salesse conduit des camions d’Hydro-Québec depuis vingt (20) ans. Il se déplace avec un camion-nacelle une dizaine de fois par jour depuis tout ce temps.
[102] Il reconnaît qu’il doit respecter le Code de sécurité routière et la signalisation tant au Québec qu’à l’étranger. Il est allé en mission 15 à 20 fois aux USA avec un camion-nacelle de 10 roues semblable à celui qu’il conduit au Québec mais ayant une différence de hauteur de quelques pouces. Le camion qu’il conduit aux USA était 6 pouces plus haut que celui qu’il conduit au Québec.
[103] Un autocollant sur le tableau de bord du camion-nacelle qu’il conduisait indique la hauteur libre de 13 pieds 4 pouces ou 4.06 mètres.
[104] Le plaignant admet avoir reçu et avoir pris connaissance du Code de conduite d’Hydro-Québec. Il admet avoir reçu une présentation lors de la remise du document qui a porté notamment sur son devoir d’agir avec diligence, de conduire avec prudence et d’utiliser les équipements de façon appropriée et prudemment.
[105] Monsieur Salesse a aussi reconnu que c’est sa responsabilité de s’assurer que le véhicule passe sous les viaducs. Il déclare qu’il s’en assure en regardant les hauteurs libres indiquées sur les panneaux de signalisation. S’il ne voit pas le panneau, il arrête le véhicule et il fait monter le compagnon (monteur) sur la grille avant du camion pour vérifier si la nacelle va passer ou pas sous le viaduc.
[106] Il a déjà été confronté à cette situation dans le passé et il a alors dû repartir en reculant, la hauteur du viaduc ne permettant pas le passage du camion-nacelle.
[107] Le 17 mars 2010, vers 7h15 pm, le plaignant est entré en collision avec un viaduc lors d’une mission d’urgence au Connecticut (USA). Selon la preuve testimoniale et les photos prises le lendemain matin, le panneau de signalisation près du viaduc indiquait la hauteur libre de 10 pieds et 9 pouces. Il manquait donc au moins 2 pieds et 7 pouces pour permettre le passage sans heurt du camion-nacelle.
[108] Le plaignant a déclaré qu’il a vu le viaduc alors qu’il était arrêté à un feu de circulation à 200 mètres (monsieur Therrien a dit 300 ou 400 pieds) du viaduc mais qu’il n’a pas vu le panneau de signalisation parce qu’il regardait son GPS pour tourner à droite après avoir passé le viaduc et parce qu’il faisait «sombre».
[109] Malgré qu’il faisait sombre et qu’il n’a pas vu le panneau de signalisation, selon ses dires, monsieur Salesse admet qu’il ne s’est pas assuré de la hauteur libre du viaduc.
[110] Dans de telles circonstances monsieur Salesse, avec toute son expérience de chauffeur, aurait dû doubler de prudence en portant toute son attention sur la hauteur du viaduc et en s’arrêtant pour vérifier si le camion-nacelle pouvait franchir le viaduc. De toute évidence, s’il s’était arrêté comme il devait le faire avant le viaduc pour vérifier, il aurait invraisemblablement vu le panneau de signalisation indiquant 10 pieds 9 pouces de hauteur libre.
[111] J’estime que monsieur Salesse a été gravement négligent en portant son attention uniquement sur son GPS alors qu’il avait vu le viaduc devant lui et qu’il n’a pas mis la priorité sur la vérification nécessaire pour s’assurer que le véhicule pouvait passer sous le viaduc en toute sécurité.
[112] Il a gravement manqué à son devoir de diligence en ne s’arrêtant pas pour vérifier la hauteur du viaduc tout en sachant que c’était sa responsabilité de le faire et d’autant plus qu’il a affirmé qu’il n’avait pas vu le panneau de signalisation. Dans le passé, monsieur Salesse avait dû reculer son camion-nacelle à un viaduc après avoir vérifié qu’il ne pouvait pas passer.
[113] Je conclus, de ce qui précède, que monsieur Salesse a manqué à son devoir de diligence en ne s’assurant pas de la hauteur du viaduc. Il devait être doublement attentif dans les circonstances à savoir qu’il n’a pas vu le panneau et qu’il faisait sombre. Or, selon son propre aveu, il a été distrait par son GPS au lieu de se concentrer prioritairement sur le passage du viaduc devant lui. Il a commis une faute qui a causé des dommages importants susceptibles d’une sanction disciplinaire.
[114] Je partage entièrement le point de vue de l’arbitre François Hamelin exprimé dans l’affaire DÉMIS BÉTON/AGRÉGATS, DIVISION CIMENT ST-LAURENT INC., citée par la partie patronale. Dans cette affaire, le chauffeur avait oublié de baisser sa benne après avoir lavé les vitres du camion et avait omis de vérifier si la benne était en position avant de se mettre en marche. L’arbitre Hamelin écrit ce qui suit (page 5) :
«De quelle faute s’agit-il? Il s’agit d’une erreur de conduite commise par un chauffeur professionnel. Il ne s’agit pas d’une faute légère, puisque la principale obligation d’un chauffeur professionnel est de faire preuve de diligence et de prudence. Dans le cas d’un chauffeur de camion à benne, il doit notamment s’assurer que cette benne est bien baissée avant de se mettre en route.
Cette obligation s’imposait d’autant plus au réclamant qu’il devait passer sous des convoyeurs, dont la distance à la benne du camion était d’à peine six pouces, selon sa version, et d’environ trois pieds, selon celle de M. Daigneault. Comme les chemins de la carrière sont faits de terre et de gravier et que leur niveau n’est pas parfait, l’obligation de diligence du réclamant s’imposait avec plus d’intensité.
Toutes ces circonstances permettent de conclure que l’obligation du réclamant de s’assurer que la benne de son camion était baissée avant de se déplacer était importante et qu’une omission de la remplir l’est de la même manière et dans la même mesure.»
[115] Je partage aussi l’avis de l’arbitre Me Jean-Pierre Lussier cité par l’arbitre Hamelin dans l’affaire DÉMIX BÉTON (ci-haut) à l’effet qu’il s’agit d’un accident évitable parce qu’il est dû à une erreur ou à une négligence du chauffeur (pages 5 et 6) :
«Lorsqu’on parle d’accident évitable, on veut, règle générale, référer à un accident imputable à une manœuvre de pilotage erronée ou au défaut d’effectuer une manœuvre appropriée ou enfin à la transgression de certaines règles de sécurité.
Le cas qui nous intéresse ici est certainement un accident évitable en ce sens qu’il est dû à une erreur de pilotage de la part du chauffeur concerné. Il est vrai que la distance entre les deux viaducs était restreinte, mais la première règle de conduite exige qu’on dirige son regard dans la direction où roule le véhicule. Le plaignant n’a pas suivi cette règle, de sorte qu’il n’a pas vu la pancarte indiquant la hauteur du second viaduc. S’il avait respecté cette norme élémentaire de conduite, il est probable qu’il aurait vu cette indication et qu’il n’u aurait pas eu d’accident.
(…)
J’ai le plus grand respect pour l’opinion émise par Me Tremblay mais je crois, quant à moi, que lorsqu’un accident est causé par une distraction du chauffeur, il s’agit d’une erreur de pilotage qui rend le chauffeur susceptible d’une sanction parce que l’employeur est en droit de s’attendre à ce qu’un chauffeur d’un camion remorque soit suffisamment attentif à la hauteur des viaducs pour éviter des dommages souvent considérables à la remorque. Si le chauffeur est distrait, il commet une faute et s’il commet une faute, il est susceptible de se voir imposer une mesure disciplinaire. Et quoiqu’on puisse soutenir qu’une erreur de pilotage soit excusable chez un conducteur ordinaire, elle ne l’est plus lorsque commise par un chauffeur professionnel. L’employeur est certes en droit de s’attendre de la part de ce dernier à une qualité de conduite supérieure.(1)»
(mon soulignement)
[116] Pour moi, c’est clair que si le plaignant avait porté son attention sur le viaduc et ainsi respecté son devoir de conduire avec diligence, il aurait vu la pancarte et il aurait pu vérifier facilement la hauteur. S’il n’a pas vu la pancarte, comme il l’a soutenu, son devoir de diligence et de prudence commandait a fortiori qu’il s’arrête et qu’il vérifie.
[117] L’Employeur est en droit de s’attendre à ce qu’un chauffeur de camion-nacelle porte suffisamment attention à la hauteur d’un viaduc pour éviter des dommages à la nacelle. S’il ne le fait pas, il commet une faute punissable par une mesure disciplinaire.
[118] En l’espèce, le plaignant avait un avis disciplinaire de même nature à son dossier (négligence, devoir de diligence) et donc la règle de la progression des sanctions est respectée. Les dommages causés estimés à 75 000$ ont coûté finalement 105 000$. J’estime, dans les circonstances, que la suspension de quatre (4) jours imposée au plaignant n’est ni injuste, ni disproportionnelle à la gravité de la faute et qu’il n’y a donc pas lieu d’intervenir dans la décision de l’Employeur.
[119] Pour tous ces motifs,
Ø je REJETTE le grief STL-2010-E-45 de monsieur Yvon Salesse.
St-Jean-sur-Richelieu
Le 7 janvier 2013
ME ROBERT CHOQUETTE, arbitre