Section des affaires sociales

En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière

 

 

Date : 14 décembre 2012

Référence neutre : 2012 QCTAQ 12183

Dossier  : SAS-M-197608-1203

Devant les juges administratifs :

CLAUDE TURPIN

SOLANGE TARDY

 

A… L…

Partie requérante

c.

SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC

Partie intimée

 

 


DÉCISION



 


[1]               Le Tribunal est saisi de la contestation de la décision du 7 mars 2012 rendue par l’intimée, la Société de l’assurance automobile du Québec (la « Société).

[2]               Par cette décision, la Société exige que le requérant se soumette à une évaluation initiale par l’Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec (ACRDQ) et remette le rapport avant le 26 mars 2012 à défaut de quoi, le permis de conduire du requérant sera suspendu.

[3]               Le requérant conteste le pouvoir de la Société de suspendre son permis de conduire.

Faits au dossier 

[4]               C’est le 8 mars 2011 que la démarche est initiée par la Société alors qu’elle demande au requérant de fournir un rapport médical avant le 2 juin 2011. Cette demande est justifiée par la Société du fait que le dossier médical du requérant fait mention d’une maladie ou d’un déficit que la Société doit contrôler régulièrement.

[5]               Le rapport d’examen médical signé par la Dre Manon Paquette le 10 mai 2011 est produit à la Société [1] .

[6]               À l’item 7 de ce rapport, elle indique une habitude de consommation de 6 bières par jour depuis plusieurs années mais indique qu’il n’y a pas abus chronique, ni une dépendance à une substance selon le DSM-IV [2] .

[7]               À la suite de ce rapport, la Société a présenté une demande de renseignements additionnels au médecin. Dans le document signé le 21 juillet 2011, Dre Paquette répète qu’il y a consommation de 6 bières par jour depuis plusieurs années et qu’il n’y a pas de diagnostic d’abus ou de dépendance. Elle dit être le médecin du requérant depuis 17 ans. [3]

[8]               Un rapport médical du Dr Stéphane Lanctôt, optométriste, est signé le 14 juillet 2011 et produit au dossier pour compléter l’information médicale requise.

[9]               Le 17 août 2011, la Société écrit au requérant [4] pour lui demander de compléter son dossier médical en produisant, avant le 10 février 2012, un rapport d’évaluation initiale effectué par l’ACRDQ. Il est précisé que ce rapport doit démontrer, à la satisfaction de la Société, que son comportement lié à sa consommation d’alcool ou de drogue ne contrevient pas à la sécurité routière.

[10]            Le 24 août 2011, le requérant écrit au service de l’évaluation médicale de la Société afin d’obtenir la justification de la demande d’évaluation initiale par l’ACRDQ. Ayant obtenu une réponse insatisfaisante de la part de la Société [5] , il a de nouveau émis son opinion à la Société par une lettre du 29 septembre 2011 [6] .

[11]            Le 21 octobre 2011, la Société a fourni au requérant des explications plus détaillées concernant sa demande d’évaluation initiale par l’ACRDQ et son pouvoir de suspension du permis. [7] Elle a accordé un nouveau délai au requérant pour fournir le rapport demandé, soit jusqu’au 10 février 2012.

[12]            Finalement, n’ayant pas reçu le rapport demandé, la Société a rendu la décision du 7 mars 2012 qu’il est utile de reproduire :

« Objet : Suspension de votre permis de conduire

Monsieur,

Dans une lettre précédente, la Société vous demandait une évaluation initiale par l’ACRDQ. À ce jour, nous n’avons pas encore reçu les renseignements demandés.

Par conséquent, si vous ne donnez pas suite à notre demande avant le 26 mars 2012, nous suspendrons votre permis de conduire à compter de cette date.

Dès que nous recevrons les renseignements demandés, nous mettrons fin à la suspension de votre permis de conduire. Par la suite, nous analyserons votre dossier et nous nous aviserons de notre décision par écrit.

Vous pouvez contester cette décision en vous adressant au Tribunal administratif du Québec (TAQ). Vous avez 60 jours pour le faire après le 26 mars 2012..

Recevez, Monsieur, nos salutations distinguées. » [8]

[13]            La contestation de cette décision par le requérant a été reçue au Tribunal le 29 mars 2012 et elle fait l’objet du présent litige.

Argumentations 

[14]            Le requérant a formulé sa contestation par écrit de la façon suivante :

« La SAAQ suspend mon permis de conduire en vertu de l’article 190 du Code de la sécurité sociale (on comprend routière) alors qu’aucune demande d’examen ou d’évaluation ne m’a été demandé en vertu des articles 64, 73, 76.1.2 ou 76.1.4. La demande d’évaluation m’a été adressée en vertu de l’article 109, alinéa 4. La SAAQ argue que l’article 109 s’applique quelle que soit la situation du titulaire de permis sans égard aux articles 67 ou 73.

Je conteste cette interprétation et maintient que l’article 109 ne peut être appliqué que lors d’une demande, d’un renouvellement ou d’une demande de modification du permis de conduire.

Je demande donc que la SAAQ annule la suspension et la demande d’évaluation. » [9]

[15]            Lors de l’audience, le requérant reprend essentiellement cette position. Il explique que la suspension en vertu de l’article 190 du Code de la sécurité routière [10] (CSR) vise 4 articles précis, à savoir les articles 64, 73, 76.1.2 ou 76.1.4. et qu’il n’est visé par aucune de ces dispositions. Il conclut que l’article 109 ne peut être utilisé que dans le cas prévu à l’article 73 ou à l’article 67 que dans les 5 circonstances qui y sont énumérées.  Ainsi, sa position est à l’effet que la Société ne pouvait lui appliquer la suspension prévue à l’article 190 CSR.

[16]            La procureure de la Société soulève que le recours du requérant est irrecevable puisque d’une part, ce n’est pas un recours prévu à l’article 560 CSR et d’autre part, que le Tribunal a compétence concernant la décision de suspendre le permis mais non sur le pouvoir discrétionnaire de la Société pour requérir une évaluation initiale.

Analyse et décision 

[17]            Après étude des preuves au dossier et des arguments exprimés par les parties, le Tribunal conclut que cette contestation doit être rejetée pour les motifs qui suivent.

[18]            Avant de poursuivre sur le fond de la contestation, le Tribunal tient à répondre à l’argument à l’effet qu’il n’aurait pas compétence pour entendre le présent litige.

[19]            Le Tribunal convient qu’il n’a pas compétence en ce qui concerne une demande d’évaluation ou d’examen faite par la Société en vertu de l’article 109 CSR.

[20]            Mais, ce qui est contesté dans le présent dossier, ce n’est pas la communication demandant au requérant de présenter un rapport initial de l’ACRDQ mais bien la décision de suspension du permis du 7 mars 2012. D’une part, cette lettre indique comme objet : « suspension de votre permis de conduire ».  De plus, elle prévoit la date de prise d’effet de la suspension du permis et le délai de contestation pour le bénéfice du requérant. D’ailleurs, le requérant a attendu après l’expiration du délai indiqué pour contester cette décision et a même indiqué dans son formulaire de contestation, que la décision contestée était du 26 mars 2012. Il a donc contesté la suspension du permis.

[21]            Or, la décision de suspension du 7 mars 2012 a été prise sur la base de l’article 190 (1) CSR et il s’agit d’un des recours énumérés au premier paragraphe de l’article 560 CSR [11] pour lesquels le Tribunal a compétence.

[22]            Ainsi, le Tribunal poursuivra sur le fond de la contestation en précisant qu’il ne peut se rallier à la lecture que fait le requérant de l’article 109 CSR par lequel l’évaluation initiale a été demandée.

[23]            Cet article se lit comme suit :

« 109. La Société peut exiger que le titulaire d’un permis se soumette à un examen ou à une évaluation visés aux articles 67 ou 73 dans les cas suivant :

(…)

4°  elle a des motifs raisonnables de vérifier son état de santé ou son comportement de conducteur;

(…) »

[24]            Le Tribunal retient de cette disposition que la Société peut exiger du requérant qu’il se soumette à un examen ou à une évaluation selon les articles 67 ou 73 lorsqu’elle a des motifs raisonnables de vérifier l’état de santé ou le comportement de conducteur d’un détenteur de permis. On réfère à l’article 67 lorsqu’un examen de compétence est requis et à l’article 73 lorsqu’un examen médical ou une évaluation sur la santé est requise.

[25]            Puisque cet article ne précise pas à quel moment la Société peut exiger un examen ou une évaluation, elle peut le faire en tout temps en autant qu’elle ait des motifs raisonnables de croire qu’elle se retrouve dans une des situations énumérés aux paragraphes 1 à 5 de l’article 109.

[26]            Dans le cas qui nous occupe et selon les informations aux dossiers, la Société a déjà requis du requérant qu’il fournisse un rapport d’examen médical en application de l’article 109 de la Loi. C’est à la suite de tels rapports que son permis a été maintenu en vigueur le 15 mars 2002, le 13 juillet 2007 et le 5 mars 2009 [12] .

[27]            Toujours dans le cadre de ces vérifications, la Société a requis de nouveau un rapport médical au requérant le 8 mars 2011. Un  rapport a été préparé par Dre Manon Paquette le 10 mai 2011. Or, à la section 7 du rapport, elle a indiqué comme habitude de consommation que le requérant consomme 6 bières par jour depuis plusieurs années sans indiquer un diagnostic d’abus chronique ou de dépendance à une substance. Elle réitère ces informations dans un document du 7 juillet 2011.

[28]            C’est en lien avec ces informations de consommation que la Société a obtenu les commentaires du Dr Mario Rousseau qui ont été produits au Tribunal par la Société [13] . Sur la base de ces commentaires, la Société a jugé nécessaire d’obtenir une évaluation initiale auprès de l’ACRDQ telle que prévue à l’article 73 CSR, malgré qu’il n’y ait aucun diagnostic d’abus chronique ou de dépendance à l’alcool.

[29]            Tel que mentionné, cette évaluation vise à déterminer, à la satisfaction de la Société, que le comportement du requérant lié à sa consommation d’alcool ne contrevient pas à la sécurité routière.

[30]            Le requérant a refusé de se soumettre à cette évaluation initiale malgré les délais accordés et explications fournies. Ainsi, a été rendue la décision du 7 mars 2012 prévoyant la suspension du permis à compter du 26 mars 2012 si le rapport demandé à plusieurs reprises n’était pas fourni à cette date.

[31]            Le Tribunal rappelle que la suspension est possible dans le présent dossier en vertu du premier paragraphe de l’article 190 qui se lit comme suit :

« 190. La Société peut suspendre un permis d’apprenti-conducteur et un permis probatoire ou un permis de conduire ou une classe de ceux-ci lorsque le titulaire de l’un ou plusieurs de ces permis :

1˚ refuse de soumettre à un examen ou à une évaluation sur sa santé visé aux articles 64,73,76.1.2 ou 76.1.4 ou omet de lui remettre le rapport d’un tel examen ou d’une telle évaluation;

(…) »

[32]            La preuve démontre que le requérant a refusé de se soumettre à l’évaluation requise à maintes reprises. Il a tenté de justifier son refus en exposant son interprétation des dispositions législatives applicables mais tel que précédemment mentionné, le Tribunal ne peut se rallier à sa lecture et compréhension des articles pertinents.

[33]            Non seulement la Société avait elle le pouvoir d’exiger cette évaluation mais elle avait également celui de suspendre le permis de conduire du requérant à défaut de la fournir.

[34]            La décision de la Société était donc bien fondée.

[35]            POUR CES MOTIFS , le Tribunal :

REJETTE le recours du requérant;

MAINTIENT la décision du 7 mars 2012 à l’effet de suspendre le permis de conduire à compter du 26 mars 2012.


 

CLAUDE TURPIN, j.a.t.a.q.

 

 

SOLANGE TARDY, j.a.t.a.q.


 

Me Myrna Germanos

Procureure de la partie intimée


 



[1] Page 15 du dossier

[2] Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM)

[3] Page 23 du dossier

[4] Page 27 du dossier

[5] Réponse qui n’est pas au dossier du Tribunal

[6] Page 29 du dossier

[7] Page 35 du dossier

[8] Page 31 du dossier

[9] Page 33 du dossier.

[10] L.R.Q., c. C-24.2

[11] « Art.560 Peut être contestée devant le Tribunal administratif du Québec : 1˚ une décision prise par la Société en vertu des paragraphes 1˚, 2˚et 3˚de l’article 81, des paragraphes 1˚et 2˚ de l’article 82, du paragraphe 2. De l’article 83, des paragraphes , 2˚et 3˚de l’article 190 (…) »

 

[12] Pages 3, 9 et 13 du dossier

[13] Pièce cotée  I-1