COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

AM-2000-9671

Cas :

CM-2012-1855

 

Référence :

2013 QCCRT 0039

 

Montréal, le

28 janvier 2013

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DEVANT LA COMMISSAIRE :

Esther Plante, juge administrative

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Elaine Hall

 

Plaignante

c.

 

Syndicat québécois des employées et employés de service, section locale 298 (FTQ)

Intimé

et

 

Revera Retirement Genpar inc.

Mise en cause

 

 

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DÉCISION

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[1]            Le 12 avril 2012, Elaine Hall (la plaignante ) dépose une plainte en vertu de l’article 47.2 du Code du travail , L.R.Q., c. C-27 (le Code ) contre le Syndicat québécois des employées et employés de service, section locale 298 (FTQ) (le syndicat ). Elle lui reproche de l’avoir mal représentée lors de l’arbitrage de son grief de congédiement et d’avoir refusé de présenter une requête en révision judiciaire à l’encontre de la sentence arbitrale rendue par l’arbitre André Sylvestre, le 20 septembre 2011.

[2]            Le syndicat soutient que la plaignante a déposé sa plainte en dehors du délai de six mois prévu au Code et, par voie de conséquence, que celle-ci est irrecevable.

[3]            Quant au fond, le syndicat soutient qu’il a bien représenté les intérêts de la plaignante devant l’arbitre et que sa décision de ne pas présenter de requête en révision judiciaire découle d’un examen sérieux de la sentence arbitrale.

[4]            Revera Retirement Genpar inc. (l’ employeur ) n’est pas présent à l’audience.

[5]            La Commission a décidé, avec le consentement des parties, d’entendre la preuve sur le fond et de ne rendre qu’une seule décision sur le moyen préliminaire et le fond du litige, le cas échéant.

le moyen préliminaire

[6]            Le syndicat soutient que la plainte n’a pas été déposée dans le délai de six mois prévu au Code puisque la plaignante a pris connaissance de la décision du syndicat de ne pas se pourvoir en révision judiciaire de la sentence arbitrale, le 11 octobre 2011, lors de sa rencontre avec des officiers syndicaux, et que la plainte n’est déposée que le 12 avril suivant.

[7]            L’article 151.3 du Code prévoit des règles pour computer les délais fixés par le Code :

[…]

1. le jour qui marque le point de départ n'est pas compté, mais celui de l'échéance l'est;

2. les jours non juridiques sont comptés; mais lorsque le dernier jour est non juridique, le délai est prorogé au premier jour juridique suivant;

3. le samedi est assimilé à un jour non juridique, de même que le 2 janvier et le 26 décembre.

[8]            Ainsi, la plainte n’est pas tardive puisque la journée du 11 octobre 2011 n’est pas comptée et que la plainte est déposée le jour de l’échéance du délai de six mois, soit le 12 avril 2012. La même conclusion s’impose en ce qui concerne les reproches liés à la conduite de l’arbitrage du grief. La plaignante est plus à l’aise en anglais. Quoiqu’elle puisse, semble-t-il, lire et comprendre des passages de la sentence arbitrale, le syndicat lui en fournit une copie en langue anglaise qu’elle reçoit le 25 octobre 2011. Dans les circonstances, le délai de six mois prévu au Code ne peut certes courir avant que la plaignante ne prenne connaissance de la sentence arbitrale avec les officiers syndicaux, à l’occasion de la rencontre du 11 octobre 2011.

les faits à l’origine de la plainte

[9]            Le résumé des faits à l’origine de la plainte est tiré des faits rapportés dans la sentence arbitrale.

[10]         L’employeur exploite une résidence privée pour personnes âgées.

[11]         La plaignante était préposée aux bénéficiaires et inscrite à la liste de rappel depuis 2007.

[12]         Au cours de son emploi, elle s’est adressée à l’employeur et au syndicat à de nombreuses reprises parce qu’elle estimait que les heures de travail n’étaient pas attribuées selon l’ancienneté. L’employeur, comme le montre la lettre de congédiement, reproduite plus loin, lui reproche le ton accusateur de ses lettres.

Les plaintes de harcèlement psychologique de la PLAIGNANTE et de ses collègues

[13]         Le 28 mai 2010, elle formule une plainte de harcèlement psychologique contre deux collègues de travail auprès de l’employeur et du syndicat. L’une d’elles de même que plusieurs autres collègues de travail portent plainte contre elle à la même époque.  

[14]         Le 5 juillet 2010, le syndicat dépose deux griefs.

[15]         Le grief que le syndicat dépose au nom de la collègue de travail dont la plaignante dénonce la conduite se lit comme suit :

NATURE DU GRIEF :

Je conteste le fait d’être soumis à du harcèlement au travail, notamment en relation avec le ou les faits survenus depuis le ou vers le 1 er juillet 2010 et impliquant Elaine Hall, notamment :

-          des menaces de nature physique (elle me demande de sortir de l’établissement pour me battre) ;

-          des gestes et des paroles hostiles (elle me traite de « putain » devant mes collègues de travail) ;

-          en plus des gestes qu’elle pose contre toutes les personnes salariées du Waldorf, à savoir les appels téléphoniques injustifiés, la filature afin de savoir si je suis au travail, de même que le fait d’être filmée par elle.

Je demande que l’employeur prenne tous les moyens nécessaires pour faire cesser ces pratiques et m’assurer un climat de travail exempt de toute forme de harcèlement.

Je demande pleine compensation monétaire, rétroactivement, avec majoration des intérêts prévus au code du travail; pour toutes sommes d’argent ainsi perdues et tous les droits, bénéfices et privilèges de la convention collective.

Je demande compensation monétaire pour dommages et intérêts moraux et punitifs.

[…]

(Reproduit tel quel)

[16]         Le syndicat dépose aussi un grief collectif :

NATURE DU GRIEF :

Le syndicat conteste le fait que les personnes salariées sont soumises à du harcèlement au travail, notamment en relation avec le ou les faits survenus depuis le ou vers le 1 er avril 2009 et impliquant Elaine Hall, notamment :

-          des menaces de nature physique (elle demande aux personnes salariées de sortir de l’établissement pour se battre) ;

-          des gestes et des paroles hostiles (elle intimide régulièrement ses collègues de travail qui ont accès à plus d’heures de travail qu’elle) ;

-          des appels téléphoniques injustifiés, chez l’employeur et parfois même à la résidence des personnes salariées, de même que la filature directe afin de savoir qui est au travail;

-          le fait qu’elle filme les personnes salariées arrivant au travail, toujours afin de savoir qui est au travail;

-          des plaintes répétées à la police pour du harcèlement dont elle dit être victime.

Le syndicat demande que l’employeur prenne tous les moyens nécessaires pour faire cesser ces pratiques et assurer un climat de travail exempt de toute forme de harcèlement.

Le syndicat demande pleine compensation monétaire, rétroactivement, avec majoration des intérêts prévus au code du travail pour toutes sommes d’argent ainsi perdues et tous les droits, bénéfices et privilèges de la convention collective.

Le syndicat demande compensation monétaire pour dommages et intérêts moraux et punitifs.

[…]

(Reproduit tel quel)

[17]         Le 15 juillet 2010, le directeur de la résidence et le responsable des Ressources humaines chez l’employeur mènent une enquête conjointement avec la conseillère syndicale et trois représentants du syndicat local. Ils rencontrent la plaignante ainsi que les collègues de travail concernées. Ils rencontrent aussi deux infirmières auxiliaires. Le directeur de la résidence fait état des témoignages qu’ils ont recueillis devant l’arbitre.

l’incident de la scie à chaîne

[18]         Le 28 août 2010, un samedi, la plaignante travaille sur le quart de soir. Elle apporte avec elle une scie à chaîne.

[19]         Lors de son témoignage devant la Commission, elle reprend les mêmes explications qu’on peut lire dans le résumé des faits de l’arbitre en insistant sur le fait qu’elle n’a jamais eu l'intention de se servir de la scie pour effrayer ses collègues de travail. Elle mentionne qu’elle devait couper des arbres chez elle et qu’elle n’a pas sorti la scie de son sac. Elle a agi ainsi parce qu’elle n’avait pas le temps de retourner chez elle après qu’elle l’eut louée et que le commerce de location d’outils n’était pas ouvert le dimanche.

le congédiement

[20]         Le 3 septembre, l’employeur la congédie au motif que son comportement, et cela depuis plusieurs mois, est inadéquat à l’endroit de la direction et de ses collègues de travail. Il convient de reproduire le texte de la lettre de congédiement signée par le directeur de la résidence :

Re : Discipline

Dear Mrs. Hall:

We have received grievances and complaints from employees alleging that you are harassing them. Following these grievances and complaints, we have conducted an inquiry and have met with several of your colleagues and yourself to better understand the situation.

In the course of our inquiry of the events, we have reviewed the multiple letters you have written to the management of the Waldorf and to certain of your colleagues. We have found that your letters contain insults, accusations and threats of all kinds made against the management of the Waldorf and your colleagues.

For instance, in several letters addressed to Mrs. [ L. C. ] or Mr.  [ M. G. ] , you persistently complained about other employees being attributed more working hours than you and you accused Mrs.  [L. C. ] of intentionally doing this to deny you your benefits and to harass you, which is completely false (see letters from February 26 th , March 15 th and July 4 th 2010). You have also addressed multiple letters to the management of the Waldorf and to your colleagues in which you insult the management of the Waldorf, your Union and your colleagues.

Here are a few examples of the accusations and insults that you wrote in your letters:

-          On February 9 th 2010, you wrote a letter to Mrs. [ P. W. ] in which you claimed that Mrs. C. was lazy;

-          On February 26 th 2010, you wrote a letter to Mrs. [ L. C. ] in which you accused her of torturing you;

-          On May 20 th 2010, you wrote a letter to Mrs. [ L. C. ] in which you claimed that Mrs. [ C. T. ] often does not show up for her night shift and is often late;

-          On May 24 th 2010, you wrote a letter to Mrs. [ L. C. ] in which you claimed that you had an aggressive altercation with Mrs. [ W. B. ] and Mrs. [ A. G. ] and that a “war” was being waged against you;

-          On July 4 th , 2010, you wrote a long letter to Mr. [ M. G. ] in which, amongst other things, you accused the Union and the management of forming a coalition against you, which is untrue. You also accused Mr. [ M. G. ] of discriminating against people of different ethnic origin, which is not only untrue but utterly insulting;

Furthermore, management had requested that you stop writing letters of complaints. Nonetheless, on July 18 th , you wrote another letter complaining about a co-worker.

Most recently, on August 28 th 2010, you were called in to work the 3pm — 11pm shift and you came to work with an electric chainsaw. You brought the tool into the elevator at which point the saw touched the back of another employee and a vernal dialogue ensued. You were asked to leave the tool at the front desk. As a healthcare professional, you should know that this type of equipment should not be brought into a retirement residence specifically onto a floor of a residence where there are elderly and infirmed residents who would be frightened by this type of apparatus.

We find that your behaviour over the past several months has contributed to a hostile, offensive and intimidating working environment and we feel measures need to be taken to end this type of behaviour. As an employer, it is our obligation to ensure that our establishment is free of such harassment.

[…]

(Reproduit tel quel, à l’exception des caractères gras qui ont été ajoutés)

le grief de congédiement

[21]         Le 7 octobre 2010, le syndicat dépose un grief à l’encontre du congédiement.

[22]         Le syndicat confie à M e Lavoie le mandat de représenter la plaignante lors de l’arbitrage. Celui-ci travaille pour le syndicat depuis plusieurs années.

[23]         Le 31 août 2011, M e Lavoie et la plaignante se rencontrent pour préparer l’arbitrage. Il témoigne que la rencontre dure deux heures et qu’ils passent en revue tous les éléments signalés dans la lettre de congédiement. Il ajoute qu’il avait déjà rencontrée la plaignante auparavant, dans le cadre de l’enquête qu’il avait menée avec une conseillère syndicale préalablement au dépôt du grief de congédiement. De son côté, la plaignante souligne qu’ils se sont brièvement rencontrés et qu’elle n’a pas été préparée adéquatement sans donner davantage d’explications.

[24]         L’audience se tient le 8 septembre 2011. L’employeur fait entendre le directeur de la résidence; la plaignante témoigne pour le syndicat.

[25]         La plaignante se plaint de ne pas avoir disposé de suffisamment de temps pour donner sa version des faits. Elle ne comprend pas que l’arbitre soit intervenu pour lui rappeler qu’elle est représentée par un procureur. Elle reproche au syndicat d’avoir laissé l’employeur faire la preuve des faits au soutien des plaintes de harcèlement psychologique formulées par ses collègues de travail sans qu’elle puisse faire valoir les faits au soutien de la plainte qu’elle avait elle-même formulée.

[26]         Maître Lavoie souligne que le directeur de la résidence a déposé les lettres de la plaignante et qu’il a expliqué les rencontres qu’il a eues avec elle. Il ajoute que la plaignante a témoigné pendant environ deux heures et qu’elle a eu la possibilité de donner sa version des faits. L’arbitre reprend l’essentiel de son témoignage aux paragraphes 24 à 34 de la sentence arbitrale, notamment ce dont elle a témoigné devant la Commission concernant l’incident de la scie à chaîne.

la sentence arbitrale

[27]         Le 20 septembre 2011, l’arbitre André Sylvestre rejette le grief au motif que le comportement de la plaignante dans son milieu de travail n’est généralement pas acceptable et qu’il n’est pas prévisible qu’il s’améliore dans un avenir prochain.

[28]         Il convient de reproduire les motifs de sa décision :

[41]      La preuve a révélé qu’en septembre et depuis presqu’un an, madame Hall affichait un comportement tout à fait inadapté dans son milieu de travail. Face à la direction, elle n’avait cesse de se plaindre que ses supérieurs refusaient de respecter son ancienneté. De la sorte, elle réclamait des heures de travail qu’on avait accordées à des employées moins anciennes qu’elle-même en alléguant la contravention des dispositions de la convention collective. Or elle n’a produit aucune preuve démontrant le bien-fondé de ses reproches. En définitive, comme les deux procureurs l’ont reconnu, toute cette attitude négative découlait du fait qu’elle ne comprenait rien aux droits et obligations de son statut. N’étant pas détentrice d’un poste, car elle était seulement inscrite à la liste de rappel, elle ne pouvait réclamer les heures garanties à un détenteur de poste.

[42]      Pour ces raisons, madame Hall en voulait à ses consoeurs de travail. Par exemple, elle ne craignait pas de les tancer vertement et, à l’occasion, d’inviter une d’entre elles à régler leur litige aux poings, à l’extérieur de l’établissement. De plus, même si elle a nié l’avoir traitée de prostituée, elle a dénigré le comportement d’une collègue auprès des sages de leur congrégation. Comme l’a démontré la décision de la CRT rendue en novembre 2009, madame Hall était à couteaux tirés avec son syndicat. Son comportement conflictuel était tel que celui-ci, le 5 juillet, a logé un grief le dénonçant et demandant à l’employeur d’intervenir. Bref, si la preuve a démontré les malaises ressentis par madame Hall, elle a aussi établi qu’il lui était impossible de vivre en bonne harmonie avec ses collègues de travail, l’employeur et même son syndicat.

[43]      Un incident culminant n’a pas à être sérieux au point de pouvoir, en lui-même, justifier l’imposition d’une mesure disciplinaire très sévère. En effet, un geste de cette nature peut n’être que d’une faible importance mais devenir la goutte qui fait déborder le vase: En l’espèce, et même si la plaignante n’avait, comme elle l’a affirmé, aucune intention malicieuse en se rendant au travail munie d’une scie à chaîne enfouie dans un sac, elle a quand même démontré, à cette occasion, un sérieux manque de jugement. En effet, quelques semaines plus tôt, les autorités patronales et syndicales avaient procédé à une enquête sur son comportement. Elle ne pouvait qu’être devenue consciente de la précarité de son emploi. Malgré tout, et de façon consciente, elle est arrivée avec cet outil au travail. Elle aurait dû savoir que ce geste était de nature à effrayer les membres du personnel et même les résidents. L’arbitre ne peut comprendre la raison de. ce comportement. Le 29 août, elle a terminé son quart de travail à 7h00 et est arrivée à la maison à 8h00. Elle aurait facilement pu se rendre chercher la scie chez le locateur situé, par bus, à cinq minutes de son domicile et revenir à la maison y déposer cet outil. Mais elle a préféré en prendre possession à 13h00 et l’apporter dans son lieu de travail. Pourquoi s’est-elle ainsi compliquée la vie si ce n’était pour créer une réaction chez ses collègues de travail?

[44]      L’arbitre en arrive à la conclusion que madame Hall, depuis les quelques mois précédant septembre 2010, affichait un comportement hostile vis-à-vis l’ensemble de son milieu de travail, non seulement ses collègues de travail mais, aussi, le personnel de direction et les responsables syndicaux. Aucun élément de la preuve ne permet de présumer qu’elle pourrait changer son attitude si elle demeurait en poste. Compte tenu de l’ensemble de la preuve, l’arbitre conclut que l’employeur a pu, à bon droit, mettre un terme à l’emploi de la plaignante.

(Reproduit tel quel)

le refus de se pourvoir en révision judiciaire

[29]         Le 27 septembre 2011, la plaignante écrit à M e Lavoie pour lui demander de présenter une requête en révision judiciaire. Elle désire également obtenir copie d’une version anglaise de la sentence arbitrale, chose faite le 25 octobre suivant.

[30]         Maître Lavoie est d’opinion que l’arbitre a bien rapporté les faits mis en preuve, que sa décision est fondée sur la preuve et la crédibilité des témoins. Il conseille au syndicat de ne pas se pourvoir en révision judiciaire.

[31]         Le 11 octobre 2011, Richard Belhumeur et Danielle Legault, respectivement vice-président au Service aux membres et vice-présidente aux Communications et aux questions régionales, rencontrent la plaignante pour l’informer que le syndicat a consulté M e Lavoie et qu’il a pris la décision de ne pas présenter une requête en révision judiciaire.

[32]         Madame Legault témoigne qu’ils ont revu la sentence arbitrale avec la plaignante et qu’ils lui ont expliqué les motifs au soutien de leur décision.

[33]          Le 12 octobre 2011, la plaignante écrit à nouveau à M e Lavoie pour qu’il la renseigne sur le délai pour se pourvoir en révision judiciaire de la sentence arbitrale. Monsieur Belhumeur lui répond, le 21 octobre suivant, que le syndicat ne présentera pas de requête en révision judiciaire tel qu’il l’en avait informée lors de la rencontre du 11 octobre.

[34]         Le 21 novembre 2011, la plaignante dépose une requête en révision judiciaire. Elle allègue dans la déclaration assermentée qu’elle communique au soutien de sa requête que l’arbitre a fait preuve de partialité pendant l’audition d’arbitrage et qu’il n’a pas considéré son témoignage.

[35]         Le 2 mars 2012, la juge Guylène Beaugé accueille la requête en irrecevabilité présentée par l’employeur et rejette la requête en révision judiciaire au motif qu’il appartient au syndicat de déposer un grief et de se pourvoir en révision judiciaire d’une sentence arbitrale rejetant le grief. Elle indique, dans sa décision, que le salarié a un recours en vertu des articles 47.2 et 47.3 du Code en cas de désaccord avec son syndicat.

[36]         La plaignante affirme qu’elle a communiqué par la suite avec la Commission et qu’on lui a répondu qu’elle avait six mois, à partir du jugement rejetant la requête en révision judiciaire, pour déposer une plainte contre le syndicat.

les reproches formulés par la plaignante

[37]         La plaignante estime que le syndicat a mal représenté ses intérêts.

[38]         En ce qui concerne l’arbitrage du grief, elle reproche au syndicat d’avoir laissé l’employeur faire la preuve des faits que ses collègues allèguent au soutien de leurs plaintes de harcèlement psychologique et des griefs du syndicat, et de ne pas avoir présenté de preuve concernant le harcèlement qu’elle dit avoir subi de celles-ci. Elle ne comprend pas que l’employeur ait pu lui reprocher des comportements, dont il a pris connaissance plus de trente jours avant son congédiement et, pour lesquels il ne lui a pas imposé de sanctions.

[39]         La plaignante reproche, par ailleurs, au syndicat de ne pas avoir procédé à un examen sérieux de la sentence arbitrale avant de prendre la décision de ne pas présenter de requête en révision judiciaire. Elle souligne que l’arbitre n’a aucunement tenu compte des explications qu’elle a fournies concernant l’incident de la scie à chaîne.

analyse et motifs

[40]         Le devoir de représentation est défini à l’article 47.2 du Code :

47.2 Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l’endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu’elle représente, peu importe qu’ils soient ses membres ou non.

[41]         Le syndicat doit exercer son pouvoir exclusif de représentation en tenant compte de ses obligations.

[42]         Dans son recours intenté sous l’article 47.3 du Code, le fardeau de prouver que le syndicat a violé son obligation de juste représentation syndicale incombe au salarié.

[43]         Il s’agit d’un fardeau exigeant : «  Il faut bien admettre que les vocables : mauvaise foi, arbitraire, discrimination et négligence grave, sont exorbitants eu égard à notre régime général de responsabilité civile extracontractuelle . » (Jean-Yves BRIÈRE, L’obligation d’une juste et loyale représentation : analyse, perspective et prospective , Développements récents en droit du travail (2005), volume 224, Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, p. 153 à 164).

[44]         À la lumière de ces considérations, il est clair que le syndicat possède une discrétion appréciable dans le cadre de l’administration de la convention collective.

[45]          Ainsi, le rôle de la Commission est ni de décider du bien-fondé de la réclamation du salarié ni de substituer son opinion à celle du syndicat en regard de la décision à prendre dans un cas donné, mais bien d’examiner le comportement syndical à l’aune de son obligation de juste représentation, dans le but de déterminer si le manquement reproché au syndicat résulte d’un acte arbitraire, de mauvaise foi, de discrimination ou de négligence grave ( Syndicat national des employés(e)s du Centre de soins prolongés Grace Dart (CSN) c. Holligin-Richards , 2006 QCCA 158 , paragr. 31).

La conduite de l’arbitrage

[46]         Dans l’affaire McKinnon c. Union des agents de sécurité du Québec Syndicat des Métallos, section locale 8922, 2007 QCCRT 0561 , la Commission rappelle les principes applicables dans un cas où le salarié se plaint, comme en l’espèce, qu’il a mal été représenté dans le cadre de l’audition de son grief :

[18]      Il y a lieu de rappeler que le devoir de représentation n’oblige pas une association accréditée, dans notre cas l’Union, de livrer un résultat. Elle a plutôt l’obligation de prendre les moyens raisonnables, compte tenu de l’ensemble des circonstances, pour bien représenter le salarié.

[19]      En ce qui concerne la défense d’un salarié pendant l’audition d’un grief, la Commission refusera le plus souvent d’intervenir (voir par exemple Ascenzio c. Teamsters, employés de laiterie, boulangerie, produits alimentaires, ouvriers du meuble, employés de stations-service, employés de parcs de stationnement, mécaniciens d'auto et aides, province Québec; camionneurs de la construction et d'approvisionnement et salariés divers, Montréal et environs, local 973 , 2007 QCCRT 0426 , Maher c. Union des chauffeurs de camions, hommes d’entrepôts et autres ouvriers, Teamsters Québec, section locale 106 (FTQ) , 2007 QCCRT 0026 et Boucher c. Association de l’enseignement du Nouveau-Québec (CSQ) , 2006 QCCRT 0443 ).

[20]      Ce refus d’intervention s’explique en premier lieu par le fait qu’une sentence arbitrale est finale. L’article 101 du Code est clair : « La sentence arbitrale est sans appel, lie les parties et, le cas échéant, tout salarié concerné . (…) » . La Commission n’a aucun pouvoir de révision sur un tribunal d’arbitrage .

[21]      Par ailleurs, dans la pratique, les représentants syndicaux sont « sur le terrain » . Ils connaissent les données factuelles de chacun des dossiers, l’historique des relations de travail dans l’entreprise, l’application de la convention collective, etc. Ce sont eux qui agissent pendant l’audition et qui doivent réagir à la preuve adverse. Lorsqu’elle examine une plainte en vertu des articles 47.2 et suivants du Code, la Commission n’agit pas en appel des décisions syndicales, ni en « gérant d’estrade » . Elle ne doit pas décider, à la place de l’association accréditée et après l’audition, quelle stratégie aurait été la plus appropriée. Autrement dit, un salarié qui entend contester le travail d’un représentant syndical pendant l’audition de son grief doit apporter des éléments convaincants de fautes importantes , ce qui n’a pas été démontré dans le présent dossier.

(Caractères gras ajoutés)

[47]         La plainte vise le traitement du grief que le syndicat a déposé à l’encontre du congédiement de la plaignante.

[48]         La décision de l’employeur, comme le montre la lettre de congédiement, se basait, non seulement sur l’incident de la scie à chaîne, mais aussi, entre autres éléments, sur le dépôt par le syndicat de griefs de harcèlement psychologique dans les mois précédant le congédiement. La plaignante savait donc, à la lecture de la lettre, que le syndicat avait sanctionné sa conduite.

[49]         En de telles circonstances, la représentation de ses intérêts imposait certes au syndicat un devoir de prudence et d’objectivité considérable dans l’exercice de la discrétion que lui confère l’article 47.2 du Code.

[50]         La plaignante ne peut présumer que le syndicat a manqué à son obligation de juste représentation du fait que le directeur de la résidence a pu témoigner devant l’arbitre de la situation de harcèlement psychologique dont ses collègues de travail se sont plaintes et que le syndicat n’a pas présenté de preuve concernant le harcèlement qu’elle dit avoir subi.

[51]         En effet, il ne faut pas oublier qu’à l’origine le syndicat n’a pas déposé de grief de harcèlement psychologique au nom de la plaignante et que celle-ci n’a pas contesté cette décision.

[52]         Par ailleurs, la plaignante ne peut guère reprocher au syndicat d’avoir laissé l’employeur faire la preuve de comportements survenus plus de 30 jours avant son congédiement et pour lesquels celui-ci ne lui avait pas imposé de sanction. La disposition conventionnelle, le cas échéant, ne peut trouver application, car les dispositions de la Loi sur les normes du travail , L.R.Q., c. N-1.1 concernant le harcèlement psychologique font partie intégrante de la convention collective et, selon la définition prévue à la Loi, une accumulation de gestes, même bénins ou anodins, peut, selon les circonstances, constituer du harcèlement psychologique.

[53]         Enfin, il ressort de la décision qu’elle a eu l’occasion de présenter sa version des faits devant l’arbitre. Par exemple, l’argumentation du syndicat concernant l’incident de la scie à chaîne va dans le sens des explications qu’elle reprend devant la Commission.

[54]         Bref, elle n’a pas apporté dans son témoignage «  des éléments convaincants de fautes importantes  » que le syndicat aurait pu commettre.

la révision judiciaire

[55]         Dans la présente affaire, la plaignante diverge d’opinion avec le syndicat sur le caractère raisonnable de la décision arbitrale et en appelle en quelque sorte de la décision du syndicat. Ce n’est pas le rôle de la Commission.

[56]         Au risque de répéter, la Commission n’est pas là pour substituer son opinion à la décision syndicale ou siéger en appel de celle-ci, ni réviser ou contrôler la légalité de la décision arbitrale, mais pour apprécier la conduite du syndicat selon les critères généraux de l’article 47.2 du Code.

[57]         Le syndicat n’a pas l’obligation de se pourvoir en révision judiciaire à la demande du salarié qu’il représente, même en cas de congédiement, dans la mesure où il exerce sa discrétion de façon raisonnable ( Gagnon c. Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre de réadaptation en déficience intellectuelle Gabrielles-Major-CSN , 2010 QCCRT 0113 , paragr. 94).

[58]         Maître Lavoie représentait la plaignante devant l’arbitre. Il pratique depuis plusieurs années en relations du travail. Son analyse de la décision l’amène à conclure que l’arbitre a bien rapporté les faits mis en preuve, que sa décision est fondée sur cette preuve et la crédibilité des témoins. Le syndicat ne commet aucune faute en lui confiant l’analyse de la décision et en suivant sa recommandation. Dans le présent dossier, le syndicat a valablement exercé sa discrétion.

[59]         Bref, de tout ce qui précède, la Commission conclut que la plaignante n’a pas démontré que le syndicat avait exercé la discrétion que lui confère l’article 47.2 du Code de façon déraisonnable à aucune des étapes de l’arbitrage de son grief.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE                             la plainte.      

 

 

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Esther Plante

 

M e Farzad Bigdeli-Azari

Représentant de la plaignante

 

M e Louis Ménard

Lavoie & Ménard, Avocats

Représentant de l’intimé

 

M e Julie Cuddihy

CUDDIHY INC.

Représentante de la mise en cause

 

Date de l’audience :

16 octobre 2012

Réception des documents :

30 octobre 2012

 

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