RÉGIE DES ALCOOLS, DES COURSES ET DES JEUX
DÉCISION
[1] Par avis de report du 7 novembre 2012, la Régie des alcools, des courses et des jeux (la Régie) a convoqué en audience la titulaire en vue de procéder à une enquête et déterminer si elle avait commis quelque manquement à ses obligations légales relativement aux événements mentionnés à l’avis de convocation du 24 septembre 2012 et, le cas échéant, aux fins de sanctionner tel manquement.
LES FAITS
[2] Les faits qui ont donné ouverture à la convocation se résument comme suit à l’avis :
[Transcription conforme]
Non respect d'un engagement volontaire / Récidive
Bière ne provenant pas directement du brasseur ou d'une personne autorisée
Contravention à l’article
Le 9 novembre 2001, la Régie décidait de
suspendre le permis de la titulaire pour une période de 3 jours et prenait acte
d’un engagement volontaire suite à des infractions à l’article
Le 11 mars 2008, la Régie décidait de
suspendre le permis de la titulaire pour une période de 3 jours pour avoir
contrevenu à un engagement volontaire et concernant des infractions à l’article
Le 6 juin 2012, vous n’avez pas respecté votre engagement volontaire puisque les policiers ont saisi, dans votre établissement, le(s) contenant(s) de boisson(s) alcoolique(s) suivant(s) (Document 3) :
- 2 bouteille(s) de bière de 341 millilitre(s) de marque Sleeman Light, 4% alc./vol.
Ce(s) contenant(s) n'était(ent) pas marqué(s) (mention CSP ou timbre).
Ce(s) contenant(s) a (ont) été trouvé(s) dans le réfrigérateur derrière le bar principal.
Total en litres du (des) contenant(s) : 0,682 litre(s)
AUTRES INFORMATIONS PERTINENTES :
9038-7655 Québec inc. est autorisé(e) à exploiter cet établissement depuis le 21 décembre 1999.
Le 17 août 2001, la Régie a fait parvenir à 9038-7655 Québec inc. un avis au titulaire pour ne pas avoir affiché la liste de prix de boissons alcooliques.
Le 16 septembre 2009, la Régie a fait parvenir à 9038-7655 Québec inc. un avis au titulaire pour ne pas avoir affiché les permis à la vue du public.
Le 20 décembre 2010, la Régie a fait parvenir à 9038-7655 Québec inc. un avis au titulaire pour avoir toléré dans son établissement des boissons alcooliques contenant des insectes.
La date d'anniversaire du(des) permis est le 3 juin.
L’AUDIENCE
[3] L’audience s’est tenue, au Palais de justice de Montréal, le 29 janvier 2013. Le représentant de la titulaire, M. Manuel Folla, était présent et représenté par M e Matthieu Désilets. La Direction du contentieux de la Régie était représentée par M e Julien Provost.
Preuve de la Direction du contentieux
[4] Le représentant de la Direction du contentieux met en preuve les éléments apparaissant au rapport d’infraction et à l’avis de convocation :
- Le 6 juin 2012, deux bouteilles de bière de 341 ml de marque Sleeman Light non marquées CSP ont été trouvées dans le réfrigérateur derrière le bar principal (document 3);
- Le non-respect d’un engagement volontaire est aussi reproché à la titulaire de même que le fait qu’il s’agit d’une récidive.
[5] L’attention du banc est également attirée sur les antécédents de la titulaire devant la Régie (documents 2 et 3).
Preuve de la titulaire
Témoignage de M. Bernard Carrier
[6] Il est directeur de la logistique à la Brasserie Sleeman. Il produit comme pièce T-1 une lettre d’explication sur l’erreur qui se produisait, à l’époque de cet achat, dans le procédé du timbrage, de même que la facture d’achat. Il explique que le problème a été corrigé par la suite.
Témoignage de M me Isabelle Racette
[7] Elle est directrice du Club de Golf et explique la situation des lieux, salles à manger et entreposage des alcools.
[8] Le Club est fermé de la fin octobre à la mi-avril et les deux bouteilles saisies étaient restées d’une commande faite pour un tournoi l’année précédente.
[9] Habituellement, le Club commande environ caisses chez Labatt et chez Molson. En 2012, il y a eu achat de bouteilles de vin et d’alcool. Les commandes chez Sleeman sont rares et il n’y en a pas eu en 2012.
[10] De manière générale, 95% des caisses sont remisées directement au réfrigérateur par le livreur et, au besoin, chaque serveur remplit le sien.
[11] Depuis la suspension des permis en 2008, chaque employé s’assure que ce qui sort du réfrigérateur est timbré. Un exemplaire de la Note aux employés (pièce T-2) sur les consignes relatives aux alcools, dont notamment le timbrage, est affiché à quatre endroits.
[12] À chaque début de saison et avec chaque nouvel employé, une rencontre de formation est faite sur les alcools.
[13] Dans toutes les voiturettes, une vignette est collée informant les clients qu’aucune boisson alcoolique provenant de l’extérieur ne sera tolérée sur la propriété, sous peine d’expulsion (pièce T-3)
[14] Une carte de pointage (pièce T-4) inclut, dans les Règlements du jeu , le fait qu’il est interdit de consommer des boissons alcoolisées autres que celles achetées au Club de Golf.
[15] M me Racette explique que, le 6 juin 2012, lors de la saisie, elle n’était pas présente, mais que dès le lendemain, elle a immédiatement contacté la Brasserie Sleeman pour leur faire part du problème. Elle avait alors appris que ce n’était pas la première fois que cela arrivait et qu’ils enverraient une lettre explicative à cet effet.
[16] Le Club de Golf est sujet à une inspection annuelle et, des fois, même deux.
Témoignage de M. Miguel Briand
[17] Il travaille au Club depuis 2006 et il est, aujourd’hui, sous-chef. Il s’occupe des employés et du restaurant dans la cuisine.
[18] Il était là, le 6 juin 2012, lors de la saisie et la serveuse Roxane Fortin a sorti la deuxième bouteille pour faire voir que l’inscription s’effaçait sur le timbre.
[19] Il explique de quelle manière les employés sont sensibilisés à leurs obligations relativement aux alcools chaque saison. Il mentionne également les affiches.
Témoignage de M. Manuel Folla
[20] Il est président et propriétaire du Club de Golf Atlantide depuis 3 ans.
[21] Il explique que, lors de la saisie, il ne comprenait pas ce qui arrivait car il essaie, en tout temps, de respecter la loi. Il produit, comme pièce T-5, la preuve de paiement pour ces bouteilles.
[22] Après la saisie, le même jour, ils ont vérifié toutes les bouteilles de Sleeman et ils en ont trouvé quatre autres pendant qu’ils communiquaient avec la Brasserie. Celles-ci ont été retirées de l’inventaire.
[23] Depuis la sanction de 2008, ils ont modifié le contrat pour les tournois, lequel avait causé la dernière infraction (pièce T-6). Une nouvelle page a été ajoutée qui mentionne, entre autres, que toute boisson alcoolisée doit porter le timbre de la SAQ. De plus, les employés sont sensibilisés aux règles concernant les alcools.
[24] Le témoin ajoute qu’ils vivent des revenus des tournois, qu’une suspension est grave, et ce, autant au niveau financier qu’au niveau réputation. Il est responsable de plus de 100 employés et ne veut pas avoir un dossier entaché.
Plaidoiries
[25] La Direction du contentieux de la Régie, vu les représentations, ne fait aucune recommandation.
[26] M e Désilets demande au Tribunal de ne pas intervenir contre la titulaire dans le présent dossier vu l’erreur prouvée du Brasseur. Il fait même remarquer que la deuxième bouteille a été trouvée par le responsable et que la titulaire ne devrait pas faire les frais de l’erreur du Brasseur.
[27] Au soutien de sa plaidoirie, il dépose sept décisions de non-intervention par le Tribunal de la Régie :
1) Café Passion [1]
2) Le Golf du Boisé de Lachenaie-Ouest enr. [2]
3) Le Relais des Hautes Gorges enr. [3]
4) Café de la Voûte [4]
5) Bar Octane [5]
6) Clydes [6]
7) Restaurant-pub Sunny’s [7]
LE DROIT
[28] Les dispositions légales qui s'appliquent dans le présent dossier sont les suivantes :
Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques [8] (LIMBA)
82.1. Sous réserve des droits qui lui sont conférés par la Loi sur la Société des alcools du Québec (chapitre S-13), à titre de titulaire de permis de production artisanale ou de producteur artisanal de bière, un titulaire de permis ne peut garder, posséder ou vendre dans son établissement:
[…]
3° de la bière qui n'a pas été achetée directement de la Société, d'un titulaire d'un permis de brasseur ou de distributeur de bière délivré en vertu de la Loi sur la Société des alcools du Québec ou d'un agent d'un titulaire de permis de brasseur ou de distributeur de bière.
[…]
Loi sur les permis d'alcool [9] (LPA)
72.1. Un titulaire de permis autorisant la vente ou le service de boissons alcooliques ne doit tolérer dans son établissement que la présence de boissons alcooliques acquises, conformément à son permis, de la Société ou d'un titulaire de permis de production artisanale, de brasseur, de distributeur de bière ou de fabricant de cidre, délivrés en vertu de la Loi sur la Société des alcools du Québec (chapitre S-13), ou d'un agent d'un tel titulaire de permis.
[…]
86. […]
La Régie doit révoquer ou suspendre un permis si:
[…]
4° le titulaire du permis a contrevenu à l'article 72.1;
5° le titulaire du permis ne se conforme pas à un engagement volontaire souscrit en vertu de l'article 89.
La Régie, dans la détermination de la sanction administrative pour contravention à l'article 72.1, tient compte notamment des facteurs aggravants suivants:
a) la quantité de boissons alcooliques ou d'appareils de loterie vidéo;
b) le fait que les boissons alcooliques sont de mauvaise qualité ou impropres à la consommation;
c) le fait que les boissons alcooliques sont fabriquées frauduleusement ou falsifiées;
d) le fait que le titulaire du permis a contrevenu à l'article 72.1 dans les cinq dernières années;
e) le fait que les boissons alcooliques ne sont pas commercialisées par la Société des alcools du Québec et qu'elles ne sont pas fabriquées, embouteillées ou livrées conformément à un permis délivré en vertu de la Loi sur la Société des alcools du Québec (chapitre S-13).
89. La Régie peut, si elle a un motif raisonnable de croire qu'un titulaire de permis enfreint une loi ou un règlement visé dans le paragraphe 9° du premier alinéa de l'article 86, accepter de ce titulaire un engagement volontaire de respecter cette loi ou ce règlement.
ANALYSE
[29] Le 6 juin 2012, deux bouteilles de bière de marque Sleeman Light de 341 ml chaque, sans mention CSP, ont été saisies dans l’établissement (document 3)
[30]
Cela crée une
présomption d’achat non conforme aux permis d’alcool détenus par la titulaire,
car l’article
[31] On notera tout d’abord que le rapport d’infraction au dossier (document 3) comporte la note suivante, laquelle milite immédiatement en faveur de la thèse de conformité d’achat des bouteilles saisies :
[Transcription conforme]
Note : Avant notre départ une serveuse a pris possession d’une bouteille de bière marque Sleeman et nous a montré comment il était facile d’effacer l’indication "CSP". Elle a passé son doigt sur la bouteille et d’un coup a éffacé l’indication "CSP". Nous avons avisé les employés d’informer le brasseur de la situation car ce n’est pas normale que l’inscription s’éfface aussi facilement.
[32] De plus, les témoignages des employés du Club de Golf, du représentant de la Brasserie Sleeman, de même que les pièces déposées à l’audience, ont démontré que l’achat desdites bières avait été fait en conformité avec les permis et que l’erreur provenait du Brasseur.
[33] Le témoignage de M. Bernard Carrier a confirmé l’erreur de la Brasserie Sleeman et, même, le fait que celle-ci avait eu plusieurs incidents du même genre, mais que le problème avait été corrigé subséquemment.
[34] D’ailleurs, les décisions précitées, Le Golf du Boisé de Lachenaie-Ouest enr., Café de la Voûte, Bar Octane et Clydes, sont des exemples de décisions sur des faits similaires impliquant la Brasserie Sleeman et dans lesquelles le Tribunal de la Régie n’est pas intervenu.
[35] Dans la décision Le Golf du Boisé de Lachenaie-Ouest enr. , le Tribunal a apprécié des faits similaires comme suit :
[Transcription conforme]
[10]
La Régie estime
qu’il y a cohérence dans l’ensemble du témoignage et de la preuve documentaire
de la titulaire et est d’avis que cette dernière a démontré que les bouteilles
de bière avaient été achetées conformément à ses permis, mais qu’elle s’est
trouvée face à une situation hors de son contrôle. Deux lettres (T-1 et T-3),
ainsi que des factures (T-2 en liasse) démontrent une preuve qui renverse la
présomption créée par l’article
[36] Dans la décision Boston Pizza St-Bruno [10] , sur la question qui nous préoccupe, le Tribunal administratif du Québec (TAQ) s’exprime en ces termes :
[Transcription conforme]
[32]
Ce n’est pas l’absence de timbre sur un contenant que vise l’article
[33] Tout au plus, l’absence de timbre sur un contenant peut permettre de présumer que la provenance de ce dernier est illégale, mais la force probante de cette présomption doit être jaugée à la lumière de l’ensemble des circonstances et peut être réfutée par toute preuve pertinente.
[37]
L’interprétation
du mot « tolérer » de l’article
[ Transcription conforme ]
[8] La requête plaide que pour « tolérer » quelque chose, il faut avoir une intention de le faire ou, du moins, commettre une faute par négligence. À mon avis, elle a tort.
[9] Selon le Petit Robert que la requérante nous a cité, le mot « tolérer » ne signifie pas simplement « autoriser », ou « permettre », mais aussi « laisser se produire ». De même, en langue anglaise, « to tolerate » s’entend ( et je cite le « Random House Dictionary » ) ….« to allow the existence, presence, practice or act of without prohibition or hindrance ».
[10] Il n’était donc pas manifestement déraisonnable pour les deux instances administratives de donner une interprétation stricte et objective au mot en question et d’exclure toute intention coupable.
[38] Le Tribunal de la Régie, satisfait des témoignages clairs, crédibles, fiables et cohérents avec la preuve documentaire, conclut que l’ensemble de la preuve ne permet pas de conclure que la titulaire a toléré, dans son établissement, la présence de boissons alcooliques qui n’ont pas été acquises conformément à ses permis et que la présomption d’achat non conforme aux permis a été renversée.
[39] On notera, par surcroît, les mesures mises en place par le Club de Golf pour faire respecter les règles imposées par la LPA : instructions régulières aux employés, affichage des règles à quatre endroits dans l’établissement et dans les voiturettes pour le public ainsi que les inscriptions aux contrats pour les tournois.
[40] Par ailleurs, la décision Quillorama Huntingdon [12] apporte des précisions sur les devoirs d’un détenteur de permis dont les représentants des titulaires se doivent de noter, de mémoriser et d’observer, sous peine de sanctions ultérieures :
[ Transcription conforme ]
[30] Le témoignage de M. Allaire est très éloquent. Malgré ses 14 années d’expérience dans le domaine des bars, il affirme avec conviction qu’il n’a pas besoin de vérifier la réception des boissons alcooliques puisqu’il transige avec des entreprises réputées et responsables.
[31] M. Allaire se trompe, il y va de son intérêt et de ses obligations de mettre sur pied une série de mesures efficaces pour s’assurer que les boissons alcooliques commandées sont, d’une part, conformes à ce qu’il a commandées et, d’autre part, qu’elles portent la mention CSP.
[41] Tel que mentionné précédemment, le Club de Golf Atlantide a mis sur pied une série de mesures concrètes pour s’assurer que les boissons alcooliques consommées dans son établissement sont timbrées ou portent la mention CSP, mais il doit en tout temps voir à ce qu’elles demeurent efficaces, sous peine d’être à nouveau convoqué pour contrôle d’exploitation de ses permis.
[42] Dans les circonstances et considérant l’ensemble de la preuve, le Tribunal de la Régie n’interviendra pas contre la titulaire.
PAR CES MOTIFS, |
N'INTERVIENT PAS contre la titulaire dans le présent dossier.
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Régisseur |
[1] RACJ, décision du 16 décembre 2011, n o 40-0004527.
[2] RACJ, décision du 7 juillet 2008, n o 40-0002680.
[3] RACJ, décision du 11 janvier 2012, n o 40-0004541.
[4] RACJ, décision du 20 janvier 2010, n o 40-0003451.
[5] RACJ, décision du 5 février 2010, n o 40-0003480.
[6] RACJ, décision du 14 janvier 2010, n o 40-0003410.
[7] RACJ, décision du 7 mars 2006, n o 40-0001206.
[8] L.R.Q., c. I-8.1.
[9] L.R.Q., c. P-9.1.
[10] TAQ, décision du 28 février 2011 , d ossier n o SAE-M-172834-1007.
[11] 134677 Canada inc. (Reubens) c. Tribunal administratif du Québec et Régie des alcools, des courses et des jeux. C.A. n o 500-09-014332-043, j. Jean-Louis Baudouin, 24 mars 2004.
[12] RACJ, décision du 20 juillet 2011, n o 40-0004274.