Groupe Bocenor inc. c. GMB International Distribution (GID) inc. |
2013 QCCS 677 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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N° : |
200-17-006358-055 |
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DATE : |
22 février 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE YVES ALAIN, J.C.S. |
(JA 0593) |
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GROUPE BOCENOR INC. et MULTIVER (2006) LTÉE Demanderesses
c.
GMB INTERNATIONAL DISTRIBUTION (G.I.D.) INC. et INDUSTRIES COVER INC. et ROYAL GROUP INC. Défenderesses
et
INDUSTRIES COVER INC. Demanderesse en garantie
c.
GMB INTERNATIONAL DISTRIBUTION (G.I.D.) INC. et ROYAL GROUP INC. Défenderesses en garantie
et
GMB INTERNATIONAL DISTRIBUTION (G.I.D.) INC. Demanderesse en garantie et en arrière-garantie
c.
ROYAL GROUP INC. et LOMBARD CANADA et GEORGIA GULF CORPORATION Défenderesses en garantie et en arrière-garantie
c.
MULTIVER (2006) LTÉE et GROUPE BOCENOR INC. et INDUSTRIES COVER INC. Mises en cause forcées
et
CREWCUT INVESTMENTS INC. Demanderesse en reprise d’instance |
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JUGEMENT sur la responsabilité |
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Introduction
[1] Groupe Bocenor inc. (« Bocenor ») [1] et Multiver (2006) ltée (« Multiver ») tiennent conjointement responsables GMB International Distribution (G.I.D.) inc. (« GMB ») et Royal Group inc. (« Royal ») des problèmes de jaunissement des intercalaires Inex ainsi que de l'apparition de buée chimique sur les surfaces internes des unités de verre scellé, fabriquées ou vendues par elles. Bocenor ajoute comme partie défenderesse Industries Cover inc. (« Cover ») de qui elle a acquis pendant un certain nombre d'années des unités de verre scellé contenant des intercalaires Inex fabriqués par Royal et vendus par GMB.
[2]
Bocenor et Multiver tiennent les défenderesses solidairement
responsables des pertes subies par elles invoquant la présence de vices cachés
aux intercalaires de marque
Inex
vendus, distribués ou fabriqués par les
défenderesses. Elles invoquent les présomptions prévues aux articles
[3] L'instance a été scindée. Le Tribunal doit d'abord se prononcer sur la responsabilité.
Les parties
[4] Durant la période en litige:
· Multiver fabrique des fenêtres et des unités de verre scellé. Elle achète de GMB, entre 1997 et 2000, l'intercalaire de marque Inex ;
· Bocenor oeuvre dans le domaine de la fabrication des portes et fenêtres. Pour ce faire, elle utilise, entre 1996 et 2000, des unités de verre scellé contenant des intercalaires Inex vendues par Cover;
· Cover fabrique et vend des unités de verre scellé. C'est une concurrente de Multiver. Elle est poursuivie uniquement par Bocenor concernant les unités de verre scellé vendues contenant des barres intercalaires Inex ;
· GMB a été créée pour mettre en marché et vendre l'intercalaire en PVC de couleur blanche de marque Inex . À l'origine, la compagnie était liée à Cover par son actionnariat. Ce sont deux de ses actionnaires, MM. France Delisle et James Boudreault, qui ont obtenu les brevets canadiens et américains concernant le produit Inex ;
· Royal est une entreprise œuvrant dans le domaine de l'extrusion de plastique qui fabrique en exclusivité, durant la période en litige, l'intercalaire Inex pour le compte de GMB;
· Georgia Gulf Corporation (« Georgia Gulf »), défenderesse en garantie et en arrière-garantie, fabrique les granules de polymère de marque Tuf-Stif utilisées dans la fabrication de l'intercalaire Inex . C'est le fournisseur exclusif de Royal. Elle fait maintenant partie du groupe Royal, suite à une acquisition effectuée en 2006.
Chronologie
[5] Au milieu des années 1990, GMB commence à commercialiser un nouveau produit désigné sous le vocable Inex destiné à servir de barre d'espacement entre deux panneaux de verre avec lesquels des entreprises spécialisées fabriquent des unités de verre scellé à être incorporées dans des portes ou des fenêtres. Il s'agit d'un produit fabriqué à base de résine de vinyle, de couleur blanche, teinte naturelle des unités incorporées dans les portes et fenêtres. Ce nouveau produit a l'avantage de concurrencer les intercalaires en aluminium ou en acier inoxydable, mais en ajoutant un facteur d'isolation thermique très appréciable.
[6] En fait, l' Inex allie à la fois des qualités techniques et esthétiques permettant d'en faire un argument de vente appréciable. Ce produit suscite l'intérêt de Bocenor et Multiver.
[7] Chacune de ces deux compagnies a cependant une approche différente à l'égard du nouvel intercalaire. Cover fabrique les unités contenant l'intercalaire Inex vendues par Bocenor. Multiver assemble elle-même les unités de verre scellé qu'elle incorpore dans ses produits.
[8] La preuve révèle que Multiver et Cover sont des concurrentes sur le marché.
[9] L' Inex est un nouveau produit dont la mise en marché de manière commerciale s'effectue en 1996. Au moment du développement du produit, tous les intervenants, tant Georgia Gulf que Royal et GMB savent que l'intercalaire est un produit destiné à être incorporé à l'intérieur d'une unité scellée qui sera évidemment exposée à la lumière du soleil.
[10] Au cours d'interrogatoires après défense effectués le 15 juin 2007, M. André Touchette, président régional de Royal à l'époque des événements, raconte que le développement du produit Inex a été effectué de concert par GMB, Royal et Georgia Gulf. Les spécifications techniques et l'utilisation qui devait être faite avec le produit Inex ont été discutées par les trois intervenants dès le début et en cours de progression.
[11] Ainsi, particulièrement dans l'interrogatoire conduit par Me Annie Labrecque, procureure de Bocenor et Multiver, M. Touchette fait part des démarches effectuées de la façon suivante:
[…]
Et après ça, ils nous ont dit : « Ça serait bon qu'il soit blanc », parce que le gros vendeur sur le marché, c'est les fenêtres de PVC blanches.
Q Jusque-là, il était pas question de couleur?
R Ben, on est au stage de développement, là ; on est…
Q Non, non, mais…
R … on a la pièce échantillonnée, là, puis ils ont dit : « Y a-tu moyen de l'avoir blanc? ».
Q O.K.
R Bon. Blanc, O.K. ; mais ils ont dit : « C'est pour la fenêtre, un blanc comme la fenêtre de PVC » ; ça fait qu'on a dit à Georgia Gulf : « Tu peux-tu nous le faire avec le même système de pigment que tu fais pour tes PVC de fenêtres blanches? »; c'est ce qu'ils ont fait, ils ont pris le même système de pigment qu'ils utilisent pour leurs fenêtres de PVC blanches, et ils l'ont mis dans le produit Tuf-Stif.
Par la suite, ils sont revenus, on a soumis la couleur; la couleur a été acceptée. Ils sont revenus, ils nous ont dit : « Est-ce qu'il y a moyen de rajouter un « primer », parce que l'adhésion est bonne avec les dents, mais on voudrait s'assurer qu'elle soit meilleure ? ». Donc, là, on a … oui, ils nous ont fourni … ils nous ont dit quel « primer » ils voulaient utiliser.
On a fait … on a regardé pour l'installer en ligne, comme j'ai dit tantôt, en tenant compte de l'environnement, le fait qu'on voulait pas rajouter une étape, tout ça, et on est arrivé avec un produit qui avait un « primer » dessus… - dessous, je devrais dire, des trous sur le dessus, des dimensions acceptables et une matière première stabilisée, comme les fenêtres de PVC blanches, avec l'expansion thermique se rapprochant de l'aluminium et du verre, et qu'une énergie… un coefficient d'isolation thermique est exactement le même que le PVC. Ça fait qu'en gros, on est rendu là.
[…]
R Quatre-vingt-dix pour cent (90 %) de nos clients, c'est les portes et fenêtres ; il y a un dix pour cent (10 %) qui peut être des clients de piscines, des meubles de bureaux, un genre de bordures, et ainsi de suite, là ; mais c'est principalement des portes et fenêtres, oui.
[…]
Q Est-ce que vous avez mentionné à Georgia Gulf, au départ ou à quelque moment par la suite - et je présume que oui, là - quelle était l'utilisation projetée du Tuf-Stif et de l'autre matériel?
R Ben, on l'a fait, oui, quand on leur a demandé d'utiliser le même système de pigment que pour les fenêtres blanches, parce que c'était … eux ont dit : « Oui, mais c'est pour quelle application ? »; « C'est pour un espaceur puis on veut que ça « matche » le blanc avec la fenêtre de PVC».
Ça fait qu'à ce moment-là, ils étaient au courant, oui.
[12] Toujours au cours de l'interrogatoire du même témoin par Me Jacques Larochelle, procureur de Cover, M. Touchette indique que dès 1996-1997, les mêmes trois intervenants sont au courant que dans certaines circonstances un jaunissement de l'intercalaire peut se produire:
R Ben, ils ont dit que c'était du vieillissement.
Q C'est évident, hein, le jaunisse…
R Non, c'est pas…
Q C'est pas évident ? Qu'est-ce que ça peut être d'autre ?
R C'est pas évident.
Q Ça peut être de la teinture jaune ?
R Ça peut être beaucoup de choses, mais dans ce cas-là, c'était du vieillissement.
Q O.K. Qu'est-ce qu'on attend précisément dans votre métier par du vieillissement ?
R Ben, du vieillissement dans les polymères, c'est de l'oxydation ; donc, s'il y a de l'oxydation des molécules, il se crée des liaisons doubles puis ça reflète dans le jaune, là - je veux pas aller dans le détail - mais c'est ça que ça fait. Ça fait que plus que t'as de liaisons doubles, plus t'as d'éléments récléchissants jaunes ; ça fait que plus t'en as, plus il est jaune. Donc, c'est relié à de l'oxydation du produit qui peut être causée par différents…
Q Phénomènes?
R Oui, ça peut être lumière du jour, les ultraviolets, ça peut être un corps chimique, un solvant; ça peut être de la chaleur extrême, ça peut être tout ça mis ensemble, oui.
[…]
Q Alors, quand on a été interrompu un peu brusquement, là, on parlait, si je me rappelle bien, des échantillons qui vous ont été donnés en quatre-vingt-seize quatre-vingt-dix-sept (96-97), que vous avez envoyés aux Etats-Unis et qui sont revenus, et que vous avez redonnés à Inex.
Vous avez fait le message à Inex que selon Georgia, sa formule était bonne, puis qu'il fallait voir ce qui se passait à l'autre bout de la chaîne, c'est ça?
R En résumé.
Q En résumé, c'est ça que je fais d'ailleurs. Vous m'avez dit que Inex a pas protesté à cette réponse-là; ils vous ont pas écrit de lettre, ils ont pas… ils ont continué de commander le produit, c'est ça?
R Oui.
Q. Bon. À part ça, est-ce qu'il y a eu d'autres plaintes ou d'autres représentations de la part d'Inex sur la qualité de votre produit, jusqu'à deux mille (2000)?
R À part le jaunissement?
Q Non, à part cet événement dont on a parlé, là, où monsieur Bohdan ou quelqu'un d'autre vous a donné des échantillons, etc., et il se plaignait du jaunissement, effectivement; mais à part cet épisode, est-ce qu'il y a eu d'autres plaintes par Inex, à votre connaissance, sur la qualité du produit?
R Il y a pas eu de plainte… il y a jamais eu de plainte.
[13] Malgré cette connaissance du problème ou du risque de jaunissement de la barre intercalaire Inex , GMB ne fait aucune mise en garde à ses clients Multiver et Cover.
[14] À partir de 1996, Bocenor vend à ses différents clients des portes et fenêtres incorporant des unités de verre scellé, fabriquées par Cover et contenant l'intercalaire Inex .
[15] Pour ce qui est de Multiver, c'est à compter de 1997 qu'elle vend à ses clients des unités de verre scellé fabriquées par elle qui incorporent l'intercalaire Inex qu'elle achète de GMB.
[16] Au début des années 2000, Bocenor et Multiver commencent à recevoir des plaintes de clients qui mentionnent une décoloration ou un jaunissement de l'intercalaire. Cette décoloration n'est pas uniforme sur le pourtour des unités; elle est plus marquée aux endroits les plus exposés aux rayons du soleil. On constatera également plus tard que les fenêtres installées sur les faces les plus exposées au soleil sont plus affectées.
[17] Pour les années 2001, 2002 et 2003, Multiver estime à 27 000,00 $ au total le coût de remplacement des unités scellées affectées du problème de jaunissement. Le chiffre d'affaires annuel de Multiver s'élève alors à environ 35 millions de dollars.
[18] Les problèmes surgissent un peu plus tard chez Bocenor. Elle prétend que cela est dû au fait que le type d'unité scellée qu'elle installe contient des panneaux de verre dont le traitement est différent de celui des unités installées par Multiver, ce qui entraîne un phénomène de vieillissement plus lent pour les barres d'intercalaires Inex .
[19] Selon Multiver, les plaintes concernant le jaunissement ont atteint un taux anormal significatif vers 2004 alors que pour Bocenor, cela se serait produit en 2005.
[20] Multiver affirme, qu'au moment où elle dénonce le problème aux représentants de GMB, ces derniers nient responsabilité.
[21] M. Boudreault, à la fois impliqué dans GMB et Cover, affirme que seule Multiver a des problèmes de jaunissement.
[22] Pour ce qui est de M. Bohdan Zubchinsky, autre représentant de GMB, il prétend aussi que Multiver est la seule à avoir des problèmes de jaunissement.
[23] M. Sylvain Dubé, pour sa part, admet qu'il y a un problème au niveau du jaunissement. Il dit que la compagnie cherche une solution.
[24] Pour ce qui est de M. Gaston Bélanger, il attribue le problème de jaunissement à un phénomène de buée chimique ( out gazing ) dans les unités scellées. Selon lui, le jaunissement serait dû à une réaction chimique, la source n'a rien à voir avec la qualité de l'intercalaire.
[25] Pour ce qui est de M. Marc Hoffman, il ne fait aucun commentaire particulier.
[26] C'est au printemps 2004 que Multiver avise GMB du problème. D'ailleurs, un représentant de GMB, M. Hoffman se rend avec des représentants de Multiver sur la rue Mondelet à Beloeil afin de constater certains problèmes de décoloration affectant les intercalaires. Ne connaissant pas la position qu'entend adopter GMB pour régler le problème, Multiver lui fait parvenir, par l'intermédiaire de ses procureurs, une mise en demeure, le 25 octobre 2004 (pièce P-3).
[27] Pour ce qui est de Bocenor, les procureurs font parvenir une mise en demeure à Cover le 7 juin 2005 (pièce P-4).
[28] La preuve révèle cependant que certains rapports d'analyses effectuées par le laboratoire Polymer diagnostics inc . en 2001 montrent que Georgia Gulf, Royal et GMB ont connaissance de la problématique dès le début des années 2000. Voici d'ailleurs quelques remarques qu'on retrouve aux rapports d'analyses produits sous la cote P-16:
Unfortunately, the results of these analyses do not show a reason for why certain sections of the window discolored, while others remained white. Since the requestor deemed these results sufficient, none of the other samples, described at the beginning of this report, were examined.
[…]
The PVC compound part is extruded into a variety of shapes for the intended application as a thermal or warm edge spacer bar between panes of glass. The product application is a relatively new end use and one that provides a fairly unique environment for the plastics material. The designed environment is for the part to be positioned sandwiched between panes of glass, exposed to ultra violet light indirectly through the glass in a sealed and completely dry atmosphere. It is believed the extruded part comes into contact with an adhesive/sealant material, a plastic plug system for securing the corners, the glass panes of the window unit and any surface treatment placed on their surface as well as a chemical desiccant.
[…]
The mechanism for the discolouration appears to be a result of photo-degradation and not a result of thermal degradation according to the testing conducted as this point.
[…]
We recommend removal of additional window units from the homeowners site showing colour change as well as units which show no colour change. The parts removed from the units would then be fully tested for composition, surface residue, thermal history, artificial weathering performance comparisons as per earlier testing.
[…]
Based upon the present difficulty in providing a conclusive explanation for the reported colour change phenomena, coupled with the fact that discoloured parts were correctly formulated by our tests we are potentially dealing with a new untested, service and exposure mechanism and one we cannot predict by it's apparent randomness. This mechanism might be related to the particular environment used in the application, an environment we have limited historical data or background knowledge about and how it relates to PVC. We would therefore recommend placing the project on indefinite hold until we can fully understand the mechanism involved and the material performance requirements necessary to meet them.
[29] Le Tribunal note que déjà lors d'une réunion tenue chez Inex le 5 décembre 2000, des problèmes de jaunissement ont été soulevés, tel que mentionné au document produit sous la cote P-13:
Testing
We are addressing some Lab reports and customer complaints of our spacer yellowing. We are now working with Cover , Vinyl Windows Designs, Sunview Windows, Multiver , TC Glass, Prelco and Bastherm. All have been talked to and the units and complaints are in process of being tested by Bodycote, Canbest and Reagans. We should have results in the coming three to four weeks. Primary report on yellowing as per Plastiques Industriels is primer being on the top of the profile causing yellowing. The balance of the problem is now in the process of being analyzed. Dollar values on these complaints are not confirmed but we have told our customers to take action to correct the end user.
[30] Il est à noter qu'il apparaît au document P-13 que des copies conformes ont été remises à Mme Diane Fradet et à MM. Boudreault, Bélanger, Dubé, Zubchinsky et Yuan Boudreault. C'est donc dire que les actionnaires et vendeurs du produit sont au courant du problème.
[31] Le texte apparaissant aux minutes de la rencontre du 5 décembre (P-13) démontre clairement qu'au moment de sa rédaction, plusieurs clients se sont déjà plaints d'un problème de jaunissement.
[32] Invoquant un taux de retour largement supérieur à la normale, attribuable au jaunissement des intercalaires Inex , Multiver et Bocenor poursuivent solidairement les différents intervenants pour vices cachés s'appuyant sur la garantie de qualité à l'égard des vendeur-fabriquant-distributeur de l'intercalaire Inex ou des composantes entrant dans la fabrication du produit.
[33] Selon Multiver et Bocenor, le taux de retour dû à la décoloration de l'intercalaire serait supérieur à cinq fois le taux normal de retour pour ce type de produit à compter de l'année 2004. Ce n'est qu'à compter de 2004-2005 qu'elles ont été en mesure d'apprécier l'ampleur du problème.
[34] Elles invoquent les présomptions prévues au Code civil du Québec et demandent d'être indemnisées pour les dommages subis.
[35] Pour leur part, les défenderesses invoquent plusieurs moyens de défense. Elles nient la présence de vices cachés, plaident la tardivité du recours, nient l'existence de solidarité entre elles et soutiennent que le problème, s'il en est, serait la conséquence de défauts de fabrication [mauvais assemblage] attribuables à la fois à Multiver et à Bocenor. Royal ajoute le défaut d'intérêt ou de qualité des demanderesses puisqu'elles ont revendu le produit acheté.
[36] Cover soulève un moyen additionnel à l'égard de Bocenor, soit une entente d'escompte de 2 % qui, selon elle, aurait pour effet d'annuler la réclamation soumise par Bocenor [2] .
[37] Vu la scission d'instance, le Tribunal doit d'abord se prononcer sur la responsabilité des défenderesses à l'égard de la réclamation telle que formulée.
DISPOSITIONS DU CODE CIVIL DU QUÉBEC APPLICABLES
[38] Le Tribunal reproduit quelques-unes des dispositions invoquées par les procureurs:
1440. Le contrat n'a d'effet qu'entre les parties contractantes; il n'en a point quant aux tiers, excepté dans les cas prévus par la loi.
1442. Les droits des parties à un contrat sont transmis à leurs ayants cause à titre particulier s'ils constituent l'accessoire d'un bien qui leur est transmis ou s'ils lui sont intimement liés.
(…)
1595. La demande extrajudiciaire par laquelle le créancier met son débiteur en demeure doit être faite par écrit.
Elle doit accorder au débiteur un délai d'exécution suffisant, eu égard à la nature de l'obligation et aux circonstances; autrement, le débiteur peut toujours l'exécuter dans un délai raisonnable à compter de la demande
(…)
1690. La remise expresse accordée à l'un des débiteurs solidaires ne libère les autres codébiteurs que pour la part de celui qu'il a déchargé; et si l'un ou plusieurs des autres codébiteurs deviennent insolvables, les portions des insolvables sont réparties par contribution entre tous les autres codébiteurs, excepté celui à qui il a été fait remise, dont la part contributive est supportée par le créancier.
La remise expresse accordée par l'un des créanciers solidaires ne libère le débiteur que pour la part de ce créancier.
(…)
1726. Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.
Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.
1727. Lorsque le bien périt en raison d'un vice caché qui existait lors de la vente, la perte échoit au vendeur, lequel est tenu à la restitution du prix; si la perte résulte d'une force majeure ou est due à la faute de l'acheteur, ce dernier doit déduire, du montant de sa réclamation, la valeur du bien, dans l'état où il se trouvait lors de la perte.
1728. Si le vendeur connaissait le vice caché ou ne pouvait l'ignorer, il est tenu, outre la restitution du prix, de tous les dommages-intérêts soufferts par l'acheteur.
1729. En cas de vente par un vendeur professionnel, l'existence d'un vice au moment de la vente est présumée, lorsque le mauvais fonctionnement du bien ou sa détérioration survient prématurément par rapport à des biens identiques ou de même espèce; cette présomption est repoussée si le défaut est dû à une mauvaise utilisation du bien par l'acheteur.
1730. Sont également tenus à la garantie du vendeur, le fabricant, toute personne qui fait la distribution du bien sous son nom ou comme étant son bien et tout fournisseur du bien, notamment le grossiste et l'importateur.
(…)
1732. Les parties peuvent, dans leur contrat, ajouter aux obligations de la garantie légale, en diminuer les effets, ou l'exclure entièrement, mais le vendeur ne peut, en aucun cas, se dégager de ses faits personnels.
1733. Le vendeur ne peut exclure ni limiter sa responsabilité s'il n'a pas révélé les vices qu'il connaissait ou ne pouvait ignorer et qui affectent le droit de propriété ou la qualité du bien.
Cette règle reçoit exception lorsque l'acheteur achète à ses risques et périls d'un vendeur non professionnel.
(…)
1738. L'acheteur qui découvre un risque d'atteinte à son droit de propriété doit, par écrit et dans un délai raisonnable depuis sa découverte, dénoncer au vendeur le droit ou la prétention du tiers, en précisant la nature de ce droit ou de cette prétention.
Le vendeur qui connaissait ou ne pouvait ignorer ce droit ou cette prétention ne peut, toutefois, se prévaloir d'une dénonciation tardive de l'acheteur.
1739. L'acheteur qui constate que le bien est atteint d'un vice doit, par écrit, le dénoncer au vendeur dans un délai raisonnable depuis sa découverte. Ce délai commence à courir, lorsque le vice apparaît graduellement, du jour où l'acheteur a pu en soupçonner la gravité et l'étendue.
Le vendeur ne peut se prévaloir d'une dénonciation tardive de l'acheteur s'il connaissait ou ne pouvait ignorer le vice.
(…)
2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
(…)
2847. La présomption légale est celle qui est spécialement attachée par la loi à certains faits; elle dispense de toute autre preuve celui en faveur de qui elle existe.
Celle qui concerne des faits présumés est simple et peut être repoussée par une preuve contraire; celle qui concerne des faits réputés est absolue et aucune preuve ne peut lui être opposée.
ANALYSE ET DÉCISION
[39] La preuve révèle qu'entre 1996 et 2000, Bocenor achète de Cover 834 316 unités de verre scellé avec des intercalaires Inex qu'elle utilise dans la fabrication de fenêtres (pièce DC-10).
[40] Selon Bocenor, plus de 50 000 unités ont présenté de graves problèmes de jaunissement des intercalaires Inex et de buée chimique sur les surfaces en verre. Cela ressort de l'interrogatoire de M. François Chevarie au procès qui indique que le taux de retour des unités vendues a grimpé à 5.9 % alors qu'il se situe normalement à moins de 1 % (pièce P-6A).
[41] Pour sa part, Multiver achète de GMB entre 1997 et 2000 l'intercalaire Inex qu'elle incorpore dans des unités scellées qu'elle vend à ses clients. À compter de 2001, certains de ses clients se plaignent de problèmes de jaunissement de l'intercalaire et de buée chimique . Le problème devient majeur à compter de 2004 ce qu'elle dénonce à GMB en octobre (pièce P-3). Multiver dit avoir remplacé plus de 18 % des unités contenant l'intercalaire Inex vendues à ses clients alors que son taux de retour normal avec d'autres intercalaires se situe entre 0,1 % et 0,5 %.
[42] Avant l'arrivée de l'intercalaire Inex , les barres d'espacement utilisées dans les unités de verre scellé sont fabriquées en aluminium ou en acier galvanisé. Leur couleur est généralement métallisée. Ces barres d'espacement causent parfois des problèmes de condensation. Il s'agit cependant de produits qui durent longtemps et bénéficient de garanties conventionnelles allant jusqu'à 20 ans.
[43] Au début des années 1990, MM. Delisle et Boudreault travaillent au développement d'une barre d'espacement en PVC dont le taux d'expansion thermique se rapproche de celui du verre. L'utilisation du PVC permet d'éliminer la condensation.
[44] Les deux inventeurs n'ayant aucune formation scientifique particulière travaillent de concert avec des compagnies, maintenant parties de Royal, connues à l'époque sous le nom de Plastiques Industriels ou Plastibec.
[45] Le 1 er mai 1994 intervient un contrat (pièce DGR-1) pour le développement, la production et la vente des nouvelles barres d'espacement en polymère. Royal obtient l'exclusivité mondiale pour la production et la fabrication et GMB en est l'exclusif acheteur.
[46] MM. Delisle et Boudreault détiennent les brevets canadiens et américains concernant le produit. La demande de brevet américain est déposée le 2 décembre 1993, le brevet est accordé le 5 mars 1996. Pour ce qui est du brevet canadien, le dépôt est effectué le 2 septembre 1993 et le brevet est accordé et délivré le 15 octobre 1996 (pièce DGR-8).
[47] À l'audience, M. Boudreault indique avoir développé le concept de la barre Inex avec M. Delisle et avoir ensuite fait des approches auprès de Royal pour obtenir le brevet et la faire fabriquer en exclusivité. La matière première, soit des granules de polymère, a été proposée par Royal qui l'a acquise de Georgia Gulf. Les parties se sont entendues sur la méthode et la forme de l'extrusion et des trous moulés afin de permettre un remplissage de dessicant. GMB voulait un PVC avec coefficient d'extension thermique se rapprochant du verre. Le matériel choisi a été le Tuf-Stif de Georgia Gulf numéro 2802-191. Il s'agit à l'origine d'un composé de base de couleur jaune. Les inventeurs désirant obtenir un produit fini de couleur blanche pour que la barre intercalaire puisse se marier avec la couleur naturelle des fenêtres, il a été nécessaire d'ajouter des pigments afin d'obtenir la teinte requise.
[48] La preuve révèle de façon claire qu'au moment du développement du produit, tous les intervenants, soit GMB, Royal et Georgia Gulf savent que l'intercalaire est destiné à être intégré dans une unité de verre scellé, que le produit doit avoir une durée de vie minimale de 20 ans et qu'il ne doit pas jaunir.
[49] Il appert aussi du témoignage de M. Touchette qu'au début des années 2000, M. Boudreault lui a demandé de travailler à une nouvelle formule pour améliorer le produit afin qu'il soit plus facilement utilisable avec le verre énergétique Low-E . Selon la preuve, Royal et GMB ont travaillé en collaboration pour créer une deuxième génération d'intercalaire à meilleur coût et qui résiste mieux aux rayons UV et à la chaleur.
[50] Selon les témoignages entendus à l'audience et la preuve documentaire déposée, aucune analyse particulière n'a été effectuée pour vérifier si le produit remplissait les qualités requises et s'il était apte à remplir la fonction recherchée. Or, le Tribunal est d'avis que cette responsabilité revient aux fabricants ou vendeurs professionnels.
[51] Par leur recours, Bocenor et Multiver recherchent la responsabilité solidaire des vendeur-fabricant-distributeur de l'intercalaire Inex ou des composantes entrant dans la fabrication du produit. Le recours de Multiver vise GMB, vendeur et distributeur du produit ainsi que Royal, fabricant-extrudeur et producteur ou distributeur des granules de polymère. Pour ce qui est de Bocenor, elle vise les mêmes parties tout en ajoutant Cover qui lui a livré les unités scellées contenant l'intercalaire Inex .
[52]
C'est l'article
[53] Selon la loi, la doctrine et la jurisprudence [3] , le vice doit être caché, antérieur à la vente, grave et inconnu de l'acheteur. Cette disposition s'applique entre le vendeur et l'acheteur, soit dans le présent cas, Multiver-GMB et Bocenor-Cover.
[54]
De plus, le législateur a étendu la garantie de qualité au fabricant et
au vendeur professionnel tel que prévu aux articles
[55] Depuis l'arrêt Kravitz [4] et les amendements au Code civil du Québec , il ne fait plus aucun doute que l'obligation qui unit tous les responsables du vice est de nature solidaire.
[56] Les auteurs Baudoin et Deslauriers affirment d'ailleurs:
Que ce soit sous le régime de la
Loi sur la
protection du consommateur
ou sous celui du
Code civil
, le fabricant
est désormais tenu à la même responsabilité que le vendeur. Cette assimilation,
conforme à l’évolution jurisprudentielle, est la rançon du rôle prépondérant
que joue aujourd’hui le fabricant dans la mise en marché de ses propres
produits.
Elle obéit à une logique de protection accrue du consommateur, qui
ne doit pas se retrouver uniquement face à un intermédiaire au statut juridique
et à la solvabilité généralement plus incertains. Leur responsabilité solidaire
vis-à-vis du consommateur ou de l’utilisateur est maintenant bien acceptée tant
par la jurisprudence que par la loi
. […]
[5]
[Nos soulignements]
[57] Dans le cas qui nous occupe, la qualification du fabricant comme vendeur professionnel joue un rôle important dans la détermination de sa connaissance présumée des défauts du bien offert en vente. Généralement, le fabricant est considéré comme l'expert ultime [6] . C'est le fabriquant qui doit se porter garant de la qualité du produit qu'il conçoit et met en marché. En conséquence, il est assujetti à la présomption de connaissance la plus rigoureuse et à l'obligation la plus exigeante de dénoncer les vices cachés [7] . C'est le fabricant qui doit être en mesure de déterminer si le bien peut être utilisé à la fin à laquelle il est destiné, et ce, pour une durée raisonnable à laquelle l'acheteur est en droit de s'attendre. Il ne peut se contenter de mettre en marché un produit et d'attendre simplement les réactions qui se produiront par la suite.
[58] Ici, c'est la barre intercalaire Inex qui est visée par le recours. L'argument de Royal, qui avance que le bien vendu par Bocenor et Multiver est une unité de verre scellé et qu'elle ne peut être visée par le recours, ne tient pas. Ce qui fait l'objet d'un vice de qualité dans le présent dossier s'attache uniquement à la barre intercalaire Inex et à son comportement lorsqu'incorporée à l'intérieur d'une unité de verre scellé. C'est cela que les concepteurs et fabricants ou fournisseurs des granules de polymère devaient ou auraient dû prendre en considération au moment de la mise en marché du produit.
[59] La preuve démontre de façon non-équivoque que GMB, Royal et Georgia Gulf connaissaient l'utilisation qui devait être faite du produit intercalaire Inex ainsi que les conditions de son utilisation.
[60] L'insistance de GMB pour que le produit soit de couleur blanche alors que les granules étaient de couleur jaune et ont nécessité des additifs aurait dû être pris en considération. Les conséquences auraient dû en être analysées.
[61] Il ne fait aucun doute pour le Tribunal que GMB et Royal doivent être considérées comme des vendeurs professionnels et fabricants vu leur implication dans le développement du produit.
[62] Pour ce qui est de Cover, face à Bocenor, elle doit être considérée comme vendeur professionnel à qui doit également s'appliquer les présomptions prévues au Code civil du Québec .
[63] Le Tribunal est d'avis que tant Bocenor que Multiver ont réussi à démontrer que l'intercalaire Inex était affecté d'un vice caché antérieur à la vente. Il s'agit-là d'un problème grave puisque le taux de retour, selon la prépondérance de la preuve, est très largement supérieur à la normale. Le vice était inconnu des acheteurs au moment de l'acquisition du bien.
[64] Étant donné que nous sommes en présence de vendeurs professionnels et de fabricants, il y a renversement du fardeau de la preuve. Comme l'indiquent la doctrine et la jurisprudence, ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles que les vendeurs professionnels, les distributeurs et les fabricants réussissent à se décharger de ce lourd fardeau [8] . Selon les auteurs Baudoin et Deslauriers, les vendeurs professionnels et les fabricants assument une obligation proche d'une véritable obligation de résultat. Ils ne peuvent plus plaider leur ignorance du défaut, leur innocence totale à propos de l'origine du défaut. Il ne leur reste donc fort peu de moyens de défense, soit la faute de l'acheteur, sa connaissance du vice ou son caractère mineur [9] .
[65]
Dans l'arrêt
ABB
c.
Domtar
, la Cour suprême indique qu'il
existe très peu de moyens permettant de réfuter la présomption de l'article
[66]
Pour réfuter la présomption de connaissance prévue à l'article
[67] Malgré la grande qualité des experts produits par la défense, le Tribunal en vient à la conclusion que ces témoins n'ont fait que soulever des hypothèses et cela n'est pas suffisant.
[68] Mme Ella Rabinovitch, experte en sciences et techniques des polymères avec spécialisation en PVC, fait une analyse du mélange fourni par Georgia Gulf. Elle conclut que ce mélange était adéquat au moment de son utilisation et que le problème n'est pas dû à l'extrusion. Selon elle, le problème de jaunissement est dû à l'exposition aux rayons UV et à la chaleur excessive à l'intérieur de l'unité. Il est évident que l'intercalaire Inex devait, dès sa conception, être exposé aux rayons UV ainsi qu'à une chaleur excessive étant donné son rôle à l'intérieur d'une unité de verre scellé.
[69] Dans le texte de la garantie limité 20 ans de Plastiques industriels RGP ltée (pièce DGR-27), on retrouve ceci:
Plastiques Industriels garantis [sic], pour une période de vingt (20) ans de la date d'achat, que les extrusions, lorsque celles-ci sont fabriquées en fenêtres de CPV selon les recommandations et spécifications de Plastiques Industriels, selon le cas, et les standards de l'industrie, ne pourriront pas, ne rouilleront pas, ne craqueront pas, ne se déformeront pas, ne cloqueront pas, ne corroderont pas et ne décoloreront pas de façon non-uniforme ; Sachant que la décoloration non-uniforme résultant d'une exposition inégale des surfaces au soleil ou aux éléments n'est pas couverte par cette garantie .
[Nos soulignés]
[70] Il est curieux de voir ce dernier membre de phrase excluant la garantie au cas de décoloration non-uniforme résultant d'une exposition inégale aux rayons du soleil alors qu'effectivement, le bien vendu doit nécessairement être exposé de façon inégale aux rayons du soleil. Autant dire qu'on exclut complètement la garantie au cas de jaunissement ; ce que défend le Code civil du Québec .
[71] Dans le cas de Mme Maureen Reitman, experte en sciences des polymères et en analyse des défaillances, elle attribue le jaunissement et la buée chimique à un mauvais assemblage des unités scellées. Elle évoque des hypothèses comme le fait que le dessicant avait atteint une saturation maximale ou un problème de scellant. Ce ne sont là encore que des hypothèses puisque Mme Reitman qui a examiné en tout 128 unités chez Bocenor et Multiver ne les a pas défaites, elle n'a pas vérifié le dessicant. Cette experte n'est pas en mesure d'expliquer non plus la raison du jaunissement de l'intercalaire Inex ni la buée chimique , ce qui ne permet pas d'exonérer les défenderesses de leur responsabilité.
[72] En fait, la preuve en défense démontre que l'intercalaire Inex en polymère se dégrade rapidement lorsqu'utilisé dans une unité scellée exposée aux rayons UV et à la chaleur. Or, tant Georgia Gulf que Royal, GMB et Cover savent pertinemment que la seule utilisation qu'on fera de l'intercalaire Inex sera de l'incorporer à l'intérieur d'unités scellées qui seront, évidemment, exposées au phénomène. Ce fait est connu dès la mise en marché du produit et tous les défendeurs incluant Cover sont ou devaient être conscients du problème.
[73] Il ne faut pas oublier que M. Boudreault est détenteur du brevet et qu'il a participé aux prises de décisions qui ont conduit à la mise en marché du produit. Il l'a lui-même utilisé en tant qu'actionnaire principal de Cover.
[74] D'ailleurs, à l'audience, tant M. Touchette de Royal que M. Boudreault de Cover affirment que selon eux le problème est dû à la couche d'apprêt ( primer ) appliquée sur une face de l'intercalaire. Ce choix a été effectué à la demande de GMB avec l'approbation de Royal. Tant l'extrudeur que le fournisseur des granules de polymère a été mis au courant et il y a eu approbation de leur part. Aucun test n'a été fait sur le produit.
[75] La preuve révèle également que GMB et Cover étaient au courant que la compagnie Cardinal ne voulait pas que l'intercalaire Inex soit utilisé avec son verre Low-E . Ce fait n'a jamais été dénoncé à Multiver ni à Bocenor.
[76] GMB et Cover invoquent comme moyens de défense la tardivité des mises en demeure P-3 et P-4. Selon elles, Multiver et Bocenor ont appris dès le début des années 2000 que certaines fenêtres vendues par elles ont été retournées en raison de problèmes de jaunissement ou de buée chimique .
[77] Or, la preuve révèle que, dans le cas de Multiver, ce n'est qu'en 2004 qu'elle a pris conscience de l'importance du vice. Elle en a immédiatement avisé GMB qui a envoyé des représentants pour effectuer des vérifications le 20 juillet 2004 (pièce DGR-26). La mise en demeure P-3 date du 25 octobre 2004, soit quelques mois plus tard.
[78] Pour ce qui est de Bocenor, ce n'est que quelques mois plus tard qu'elle prend conscience de l'importance du problème. Les explications fournies à l'audience tendent à démontrer que le type de verre utilisé dans les unités vendues par Cover ( hard coat ) a retardé la dégradation de l'intercalaire Inex . Ce serait-là l'explication. Tout comme Multiver, dès la prise de connaissance de l'importance du problème, Bocenor a expédié la mise en demeure P-4.
[79] Les deux mises en demeure ont été envoyées aux vendeurs immédiats dans un délai raisonnable après la découverte de la gravité et de l'étendue du vice [10] . Étant donné que la responsabilité des défenderesses est solidaire, aucun autre avis n'était nécessaire [11] .
[80] Royal oppose une fin de non-recevoir au recours de Multiver et Bocenor alléguant l'inexistence du recours puisqu'elles ont revendu le bien affecté du vice de qualité perdant ainsi leur intérêt ou qualité pour poursuivre.
[81] Le Tribunal ne retient pas ce moyen. Cette proposition est rejetée par l'auteur Pierre-Gabriel Jobin [12] qui écrit:
En ce qui concerne la réduction de prix et les dommages-intérêts, normalement l'acheteur conserve, malgré la revente, la qualité et l'intérêt requis (que ce soit par action directe ou par appel en garantie). Il en est ainsi notamment quand il a dû consentir à un rabais sur le prix en raison justement du vice, quand il est poursuivi en réduction du prix ou en dommages-intérêts par le sous-acquéreur, ou encore quand il a lui-même subi un préjudice qui n'est toujours pas compensé (coût de réparations qu'il a effectuées avant la revente, perte d'usage).
[Nos soulignés]
[82] Cover plaide aussi que Bocenor a renoncé à tout recours contre elle étant donné l'escompte de 2 % consenti faisant l'objet d'une entente entre deux parties.
[83]
Vu les articles
[84] Selon la preuve, l'escompte de 2 % a été négocié pour pallier aux défectuosités normales des unités scellées vu le volume de vente de Bocenor à l'époque et le coût attribuable pour y pallier tant pour Cover que pour Bocenor.
[85] Il faudra cependant, au moment de la détermination des dommages, tenir compte de cet escompte. Seule Cover pourra en bénéficier puisqu'elle s'applique à une partie du vice de qualité reproché par Bocenor.
[86] Le recours de Multiver et Bocenor doit être accueilli. Cover, GMB et Royal sont solidairement responsables des dommages causés à Bocenor en raison du vice de qualité de l'intercalaire Inex . GMB et Royal sont solidairement responsables des dommages causés à Multiver en raison du vice de qualité du produit intercalaire Inex.
[87] Vu la scission du recours, une audience devra être tenue à une date qui conviendra à toutes les parties laquelle sera déterminée lors d'une conférence téléphonique présidée par le juge soussigné, et ce, dans les 30 jours suivant le dépôt du présent jugement.
[88] La détermination de la part de chacune des parties défenderesses dans la condamnation solidaire sera déterminée pour valoir entre elles seulement au moment de l'audience sur le quantum. Le Tribunal statuera également sur le sort des appels en garantie, après les plaidoiries des avocats en défense sur ce dernier point mais sans nécessité de preuve additionnelle.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[89] Accueille la demande en justice de Multiver(2006) ltée et Groupe Bocenor inc. maintenant Crewcut Investments inc. en reprise d'instance;
[90] RETIENT la responsabilité solidaire d'Industries Cover inc., GMB International Distribution (G.I.D.) inc. et Royal Group pour les dommages causés à Groupe Bocenor inc. maintenant Crewcut Investments inc. en reprise d'instance en raison du vice de qualité du produit intercalaire Inex et dont le quantum sera déterminé dans une seconde étape;
[91] RETIENT la responsabilité solidaire de GMB International Distribution (G.I.D.) inc. et Royal Group pour les dommages causés à Multiver (2006) inc. en raison du vice de qualité du produit intercalaire Inex et dont le quantum sera déterminé dans une seconde étape;
[92] DÉTERMINE que la date d'audience du recours concernant les dommages sera établie au cours d'une conférence téléphonique présidée par le juge soussigné qui se tiendra dans les 30 jours de la date du présent jugement;
[93] LE TOUT frais à suivre.
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__________________________________ YVES ALAIN, J.C.S. |
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Me Daniel Dumais |
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Norton Rose ( casier 92) Me Annie Labrecque Heenan Blaikie ( casier 130) |
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Procureurs de Multiver (2006) ltée |
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Me Sylvain Chouinard |
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Langlois Kronström Desjardins (casier 115) |
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Procureurs de Crewcut Investments |
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Me Pierre Gourdeau |
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Carter Gourdeau ( casier 124) |
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Procureurs de GMB International Distribution (G.I.D.) inc. |
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Me Jacques Larochelle |
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Jacques Larochelle Avocat (casier 139) |
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Procureurs d'Industries Cover inc. |
Me Francis Rouleau Me Caroline Dion Blake Cassels & Graydon
600, boulevard de Maisonneuve Ouest, bureau 2200
Procureurs de Royal Group inc. et Georgia Gulf Corporation |
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Me Marc Lemaire Tremblay Bois Mignault Lemay (casier 4) Procureurs de Lombard Canada |
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Dates d’audience : |
6, 7, 8, 9,10, 14, 15, 16, 17, 22 et 23 février 2012 |
Nature: |
Responsabilité - vices cachés |
[1] Crewcut Investments inc. a repris l'instance suite à la faillite de Groupe Bocenor inc.
[2] Dans l'entente mise à jour du 2 mars 2001 (DC-1 en liasse), le texte se lit comme suit: - le 2 % d'allocation pour garantie des produits COVER, calculé sur la base de 769 673,45 $ sera déduit des paiements. Cette allocation est un escompte offert pour couvrir tous les frais encourus par le Groupe Bocenor pour produits défectueux. Selon M. Jean-Claude Kirouac, l'escompte a été appliqué à compter du 1 janvier 1996.
[3]
ABB inc
. c.
Domtar inc
.,
[4]
General Motors Products of Canada
c.
Kravitz
,
[5] Jean-Louis BAUDOIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 7 e éd., vol. 2, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, par. 2-360.
[6]
ABB inc
. c.
Domtar inc
.,
[7] Idem 5, par. 41.
[8]
Jean-Louis BAUDOIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 7
e
éd., vol. 2, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, par. 2-411 ;
ABB inc
.
c.
Domtar inc
.,
[9] Jean-Louis BAUDOIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 7 e éd., vol. 2, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, par. 2-411.
[10]
Article
[11]
Royal and Sun Alliance
c.
Hewitt Équipement ltée
,
[12] Pierre-Gabriel JOBIN, La vente, 3 e éd., Éditions, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, par. 176.