Bourdeau c. Hamel |
2013 QCCS 752 |
|||||||
JG2098
|
||||||||
|
||||||||
CANADA |
||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||||
DISTRICT DE |
HULL |
|||||||
N° : |
550-17-004371-090 |
|||||||
DATE : |
26 février 2013 |
|||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
DOMINIQUE GOULET, J.C.S. |
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
|
||||||||
CLAUDE BOURDEAU MARYSE RASTELLI |
||||||||
Demandeurs |
||||||||
c. |
||||||||
CHANTAL HAMEL |
||||||||
Défenderesse |
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
JUGEMENT |
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
[1] À l’origine la vie semble si simple entre ces voisins. Ils se côtoient, se confient, s’échangent de la nourriture, leurs clés lors de voyages à l’extérieur afin que la sécurité des lieux soit assurée.
[2] Puis tout bascule. De cette amitié et cette confiance il ne reste que l’amertume, la tristesse et le ressentiment.
[3] Il s’est pour ainsi dire élevé un mur entre ces voisins. C’est de ce mur dont le présent jugement traite.
Les faits :
[4] Les faits peuvent être résumés de la façon suivante.
[5] Les parties sont les propriétaires d’immeubles contigus. Il s’agit de maisons en rangée. La défenderesse y habite depuis 1998 et les demandeurs depuis l’an 2000.
[6] Vers le mois de mai 2007, la défenderesse procède à l’installation d’une piscine hors terre.
[7] Notons dès à présent qu’il existe déjà à cette époque une terrasse [1] à l’arrière de la résidence de la défenderesse.
[8] En vue de bien agencer la terrasse avec sa piscine, elle la prolonge quelque peu et y effectue quelques modifications. [2]
[9] C’est ainsi que la hauteur de celle-ci passe approximativement de 3 pieds de hauteur à 4 pieds et 4 pouces. [3] Il y a donc au plus, 14 pouces de différence soit 35 centimètres.
[10] Il n’aura fallu que de 35 centimètres pour que tout bascule.
[11] Les demandeurs n’acceptent pas cette situation.
[12] Ils consultent alors les autorités municipales et le codemandeur dépose une plainte formelle. À cette époque, la défenderesse ignore le mécontentement de ses voisins.
[13] À la suite de la plainte, un inspecteur de la municipalité se rend sur les lieux et constate que la terrasse est conforme.
[14] Toutefois, la réglementation municipale relative à une habitation contiguë oblige la construction d’un mur opaque d’une hauteur minimale de 1,5 à 2 mètres mesurée à partir du plancher [4] sur la ligne mitoyenne.
[15] Le 25 juillet 2007, un avis d’infraction est transmis à la défenderesse exigeant la mise en place d’un mur opaque.
[16] La défenderesse est très surprise lorsqu’elle reçoit cet avis.
[17] Elle doit quitter cette même journée pour les vacances. Elle contacte alors les autorités municipales et il est convenu que le dossier sera traité à son retour.
[18] C’est ainsi que dès son retour le 2 août, elle rencontre l’inspecteur de la municipalité et se fait confirmer qu’elle doit ériger un mur opaque sur la ligne séparative entre sa propriété et celle des demandeurs.
[19] Elle en est attristée puisque la clôture existante favorise la communication avec ses voisins.
[20] Elle informe la codemanderesse de la situation et lui précise être désolée mais qu’en raison d’une plainte, elle doit ériger un mur opaque.
[21] Elle relate avoir été surprise de la réaction de sa voisine. Cette dernière semble offusquée de cette situation.
[22] Rappelons qu’elle ne sait pas encore que ses voisins sont à l’origine de la plainte.
[23] La défenderesse fait donc construire le mur opaque.
[24] Au préalable, elle fait autoriser par l’inspecteur de la Ville, les matériaux à être utilisés.
[25] Notons à cet égard, qu’elle suggère la mise en place d’un treillis. Cette proposition est refusée, le mur doit être opaque selon la règlementation.
[26] Précisons qu’au moment de la construction, l’inspecteur se rend sur les lieux et approuve les travaux.
[27] La suite des évènements est d’une grande tristesse.
[28] À la suite de la mise en place du mur opaque, la situation entre les parties se détériore à un point tel que les demandeurs déposent une poursuite au montant de 65 000$ contenant des conclusions en injonction visant la terrasse. La défenderesse se porte demanderesse reconventionnelle pour une somme à l’origine de 60 000$ amendée par la suite de 119 312, 64$.
[29] Il convient maintenant de faire état de la position respective des parties.
Prétentions des parties :
[30] Pour les demandeurs, la mise en place d’un mur opaque sur la clôture mitoyenne les prive de leur intimité et leur cause une perte de jouissance de leur propriété.
[31] Pour eux, le mur cause un dommage sérieux et constitue un manquement à leurs droits fondamentaux.
[32] Selon la demande, le mur crée un effet d’isolement injustifié et les prive du soleil pour une partie de la journée.
[33] Ils réclament donc par injonction à la défenderesse d’abaisser la terrasse au niveau du sol et de construire le mur opaque à partir de cette terrasse une fois abaissée.
[34] Par ailleurs, ils réclament 65 000$ en dommages intérêts se détaillant comme suit :
a) troubles et inconvénients : 15 000$
b) dommages exemplaires : 35 000$
c) honoraires extrajudiciaires : 15 000$ [5]
[35] Pour la défense, la situation est tout aussi simple que surprenante.
[36] Tout d’abord, la construction du mur opaque résulte directement de la plainte déposée par les demandeurs.
[37] La défense insiste sur le caractère obligatoire de cette mesure.
[38] La défenderesse ne veut pas de ce mur, elle se fait imposer cette construction. Elle subit également les effets de ce mur opaque.
[39] Voilà pourquoi, elle est si surprise d’être l’objet de poursuite en raison de la mise en place d’une mesure imposée par la municipalité suite à la plainte des demandeurs.
[40] Cette surprise est accentuée par les conclusions recherchées en dommages et intérêts contre elle. Pour la défenderesse, ce dernier élément de l’action a un impact substantiel. Il s’agit d’une situation stressante, laquelle en outre, affecte son crédit.
[41] Par ailleurs, depuis que le litige a éclaté, la défenderesse se dit victime de vandalisme qu’elle décrit comme suit :
- à plusieurs reprises, la clochette installée sur la porte arrière mitoyenne et servant à la prévenir de toute tentative de son jeune enfant de quitter la propriété a été arrachée;
- à deux reprises, le contenu de ses gouttières a été déversé sur la galerie avant de sa résidence;
- en décembre 2007, un amas de neige qui semblait provenir de l’entrée charnière des demandeurs/défendeurs reconventionnels a été déversé du côté de celle de la défenderesse/demanderesse reconventionnelle;
- également en décembre 2007, des injures ont été écrites sur le véhicule de la défenderesse/demanderesse reconventionnelle et de la neige a été placée sous et derrière celle-ci;
- en juin 2008, les demandeurs/défendeurs reconventionnels, sans autorisation ni avis préalable, ont procédé à l’extension du toit arrière de leur immeuble dont la structure fut ancrée à l’immeuble de la défenderesse/demanderesse reconventionnelle et les débris de construction furent déversés sur la propriété avant de la défenderesse/demanderesse reconventionnelle;
- à plusieurs reprises la poubelle des demandeurs/défendeurs reconventionnels fut mise sur la voiture de la défenderesse/demanderesse reconventionnelle;
- le ou vers le 25 juin 2008, le filet de la piscine a été retrouvé déchiré;
- le ou vers le 3 juillet 2008, un court-circuit a été causé au filtreur de la piscine de la défenderesse/demanderesse reconventionnelle;
- à trois reprises les pneus du véhicule de la défenderesse/demanderesse reconventionnelle ont fait l’objet de crevaison;
- à plusieurs reprises, Monsieur Bourdeau a proféré des menaces envers la défenderesse et son conjoint et ce, devant témoins.
[42] Voilà pourquoi, elle dépose une demande reconventionnelle, laquelle une fois amendée se détaille comme suit :
Pertes non pécuniaires :
- Dommages pour séquelles psychologiques : 20 000$
- Dommages pour pertes de jouissance, troubles,
et inconvénients : 15 000$
Pertes pécuniaires :
- Dommages pour pertes de revenus
(sauf à parfaire) : 25 200$
- Dommages aux biens et autres déboursés : 3 750$
- Condamnation des honoraires extrajudiciaires
(sauf à parfaire) : 51 963,40$ [6]
Dommages punitifs : 10 000$
TOTAL : 125 913,40$ [7]
[43] Il convient maintenant de procéder à l’analyse de la preuve et de traiter du droit applicable.
Analyse et discussion :
[44] Il convient de traiter d’abord de la demande principale quant aux troubles de voisinage et abus de droit de même que la réclamation en dommages et intérêts (Partie I). Ensuite, le Tribunal disposera de la réclamation contenue à la demande reconventionnelle (Partie II).
Partie I : troubles de voisinage et abus de droit
[45] La nature juridique de la responsabilité civile pour cause de troubles de voisinage a été clarifiée en 2008 par la Cour suprême du Canada dans le dossier Ciment du St-Laurent Inc. c. Barrette [8] (ci-après «Ciment»).
[46] À l’occasion de cette décision, la Cour suprême du Canada confirme l’existence d’un régime de responsabilité indépendant de la faute en matière de troubles de voisinage.
[47] C’est ainsi, à la différence du régime de responsabilité fondé sur la faute, que l’emphase est mise sur les inconvénients subis et non sur le comportement fautif.
[48] Voici ce que la Cour écrit sur le sujet [9] :
Malgré son caractère apparemment absolu, le droit de
propriété comporte néanmoins des limites. Par exemple, l’art.
[49] Précisons que la Cour suprême par cette décision n’a pas aboli le régime de responsabilité basé sur la faute.
[50] L’auteur Pierre-Claude Lafond écrit d’ailleurs sur le sujet ce qui suit [10] :
(…) La décision de la Cour suprême n’a pas eu pour effet d’abolir le régime général de responsabilité civile, ni en général, ni dans le contexte particulier des troubles de voisinage. En conséquence, il existe toujours deux régimes de responsabilité en cette matière : le régime traditionnel avec faute et un régime sans faute. Dans le premier cas, on parle d’«abus de droit», tandis que, dans le second, l’usage d’expression trouble de voisinage» se veut mieux indiqué.
[51] Les demandeurs sont d’avis qu’il y a en l’instance une responsabilité tant avec que sans faute. Il convient donc de procéder à l’analyse sous ces deux angles.
a) Responsabilité fondée sur la faute :
[52]
Le principe est bien connu et énoncé à l’article
Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.
[53] Dans l’arrêt «Ciment», la Cour suprême définit la faute civile en matière de droit de propriété de la façon suivante :
En matière de troubles de voisinage, la faute civile peut refléter soit l’exercice abusif d’un droit de propriété, soit la violation de normes de comportement qui sont souvent inscrites dans des normes législatives ou règlementaires concernant l’usage des propriétés. [11]
[54]
L’abus de droit est codifié à l’article
Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.
[55] Appliquons ces principes au cas sous étude en vue de déterminer si une faute a été commise.
[56] Pour la demande, il y a exercice abusif d’un droit lorsque la défenderesse décide d’élever sa terrasse derrière sa propriété lui permettant de se rendre à sa piscine hors terre.
[57] D’emblée, précisons que la terrasse d’origine existe lorsque la défenderesse achète sa résidence en 1988 [12] .
[58] L’exercice abusif résulte selon les demandeurs de l’augmentation de la hauteur du patio de 35 centimètres.
[59] Peut-on vraiment conclure qu’un propriétaire désirant circuler de sa résidence à sa piscine hors terre via une terrasse abuse de son droit de propriété ?
[60] Si tel est le cas, l’on devrait assurément conclure qu’il y a beaucoup d’abus dans notre société.
[61] Nul besoin de discourir trop longuement sur cet aspect. Qu’il suffise de préciser que le Tribunal conclut que la preuve ne démontre pas qu’il y ait eu exercice d’un droit dans l’intention de nuire ni d’une manière excessive et déraisonnable. [13]
[62] En définitive, la preuve d’une faute n’étant nullement établie, le régime de responsabilité général ne peut être d’aucune utilité pour les demandeurs.
[63] Il convient maintenant de déterminer s’il y a une responsabilité sans faute.
b) Responsabilité sans faute :
[64] Selon la Cour suprême, ce régime de responsabilité s’applique lorsque des voisins subissent des inconvénients anormaux sans que le propriétaire à l’origine des dommages n’ait commis de faute.
[65] Cette responsabilité survient donc en fonction d’un résultat plutôt que d’un comportement.
[66] La véritable question en la matière est de déterminer ce qui constitue des inconvénients anormaux.
[67]
En vue d’aider le Tribunal lors de cette
analyse, le législateur édicte à l’article
[68]
En effet, l’article
Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux.
[69] Selon l’auteur Lafond, la nature des fonds correspond à leur composition (terrain rocailleux, montagneux, situé au pied d’une falaise, longeant une rivière, enclavé etc…) et à leur location ou utilisation effective (par exemple, location résidentielle, commerciale, industrielle ou agricole) (…). [14]
[70] Quant à la situation des fonds, le législateur réfère à l’environnement dans lequel se trouvent les fonds (secteur résidentiel, commercial, industriel, etc.) [15]
[71] Finalement les usages locaux réfèrent toujours aux codes de vie de la communauté environnante. [16]
[72] À l’égard de ces principes et de leurs critères d’analyse, l’auteur Lafond [17] écrit :
«Évidemment, même si les critères se veulent objectifs, les juges de première instance disposent d’un très large pouvoir discrétionnaire pour les apprécier, ce qui peut paraître tolérable pour un ne l’est pas nécessairement pour l’autre (…)».
[73] Il convient maintenant d’appliquer ces principes au cas sous étude.
[74] La preuve révèle que la défenderesse et sa famille utilisent leur terrasse d’une façon tout à fait normale.
[75] Dans les faits, depuis l’achat de la résidence en 1998 jusqu’en 2007, il n’y a jamais eu de difficultés ou de discussion entre les parties quant à cette utilisation.
[76] La seule exception à cet énoncé, a lieu au printemps 2001 lorsque les demandeurs emménagent dans leur résidence.
[77] Lors de leur premier contact, le codemandeur M. Bourdeau indique à la défenderesse qu’il serait préférable d’enlever la clôture située sur la ligne mitoyenne et la terrasse.
[78] Il justifie ses propos en déclarant qu’il possédait une grande propriété auparavant et est d’avis qu’il est préférable d’enlever la clôture et la terrasse.
[79] Toutefois selon la demanderesse, il n’a plus jamais été question de cet élément par la suite jusqu’aux faits générateurs du litige en 2007.
[80] La preuve démontre qu’il existe jusqu’en 2007 une bonne entente entre les parties. Selon la défenderesse, elle s’est liée d’amitié avec la codemanderesse.
[81] Les demandeurs étant plus âgés, la défenderesse et son conjoint les aidaient à entretenir leurs fleurs, à déblayer la neige dans leur entrée et autres menus travaux.
[82] Pour illustrer ses propos, la défenderesse indique que pendant un certain temps elles s’échangeaient de la nourriture par-dessus la clôture mitoyenne et à l’arrivée de sa petite fille pour paraphraser ses propos, ce n’est plus la nourriture que l’on s’échangeait mais l’enfant.
[83] De plus, les parties se faisaient suffisamment confiance pour se confier la responsabilité de leurs résidences respectives lors des vacances de l’autre.
[84] Voilà pourquoi la défenderesse est si surprise lorsqu’elle apprend qu’une plainte est déposée par les demandeurs.
[85] Cette surprise est sans doute accentuée par le fait que lors d’une partie des travaux, le codemandeur est présent et prête même certains de ses outils.
[86] À l’occasion des travaux, la défenderesse installe même un treillis en forme de demi-lune sur la clôture afin de s’assurer que la vue des demandeurs demeure la même. Ce faisant la défenderesse veut dissiper la légère augmentation de la terrasse.
[87] La défenderesse désirait également y planter des vignes.
[88] Or répétons-le, tout bascule lorsqu’elle reçoit la visite de l’inspecteur de la Ville.
[89] Le constat est simple, la législation municipale exige la mise en place d’un écran opaque sur la clôture mitoyenne.
[90] Il est intéressant de reproduire la disposition concernée.
[91] Règlement de zonage numéro 502-2005 :
147. Dispositions particulières applicables à une habitation jumelée, contiguë ou à marge latérale zéro.
Malgré l’article 146, dans le cas d’un bâtiment jumelé, contigu ou à marge latérale zéro, un perron, un balcon, une galerie, une terrasse, un escalier extérieur, une rampe d’accès extérieure ouverte ou un ascenseur extérieur pour personne handicapée faisant corps avec le bâtiment principal, peut lorsque la saillie est située dans la cour arrière, être situé à moins de 1 m d’une ligne latérale. Dans ce cas, un écran opaque d’une hauteur d’au moins 1,5 m et d’au plus 2 m, mesurée à partir du niveau du plancher de la saillie, doit être installé sur toute la profondeur de la saillie, du côté du mur mitoyen ou du mur d’un bâtiment érigé avec une marge latérale égale à zéro.
[92] C’est ainsi que la Ville exige de la défenderesse, la mise en place d’un mur opaque.
[93] La défenderesse suggère alors un treillis afin de laisser filtrer la lumière.
[94] Cette suggestion est refusée par l’inspecteur.
[95] C’est ainsi que la défenderesse soumet une esquisse des travaux et des matériaux utilisés avant de les accomplir. L’inspecteur les approuve et un délai de 3 semaines est donné afin de compléter les travaux.
[96] Ceux-ci ont été effectués dans le délai imparti et approuvés une fois complétés par l’inspecteur (D-8).
[97] À l’audience, la défenderesse insiste sur le fait qu’elle ne voulait pas mettre d’écran opaque en place. Toutefois suivant la plainte déposée, elle s’est soumise à la mesure exigée.
[98] Malheureusement, une fois les travaux complétés, soit le ou vers le 22 août 2007, la situation s’est radicalement dégradée.
[99] C’est ainsi que dans la semaine suivante, le codemandeur Bourdeau rencontre la défenderesse il veut discuter du mur opaque.
[100] De toute évidence, la conversation ne se déroule pas comme l’aimerait le codemandeur. Il se laisse emporter, injure la défenderesse, devient déplacé et vulgaire dans ses propos, le tout en présence de la fille de celle-ci.
[101] Dans les mois suivant cet incident, la défenderesse se dit victime de plusieurs incidents décrits ci-avant. [18]
[102] Ces derniers événements seront plus amplement traités ci-après lors de la partie de l’analyse sur la demande reconventionnelle.
[103] Revenons maintenant sur l’analyse de la responsabilité sans faute eu égard à la preuve.
[104] Il paraît pour le moins difficile de conclure de cette trame factuelle à un trouble de voisinage.
[105] Il s’agit d’immeubles résidentiels (nature du fonds) dont la situation (maison en rangée) emporte inévitablement des inconvénients en raison de leur proximité.
[106] Dans les faits, la mesure exigée par la Ville découle justement de cette proximité. Il est permis de construire une terrasse jusqu’à la ligne mitoyenne seulement s’il y a un écran opaque et ce, en vue de protéger l’intimité.
[107] On peut certes être en désaccord avec cette mesure mais de là à conclure qu’en se conformant à la réglementation, il en découle des inconvénients anormaux, il y a là un pas que la preuve ne permet pas de franchir.
[108] Il est évident que la mise en place d’un écran opaque sur la ligne mitoyenne comporte des inconvénients, notamment au niveau de la vue.
[109] Malheureusement, le comportement des demandeurs empêche toute possibilité d’améliorer la situation. Par exemple, intégrer des vignes au mur etc…
[110] En choisissant la confrontation plutôt que la conciliation, les demandeurs limitent énormément la marge de manœuvre en vue d’améliorer les choses.
[111] Au sujet des inconvénients résultant de la situation des lieux, l’auteur Lafond écrit [19] :
«De manière générale, la jurisprudence admet que l’érection d’un ouvrage ou de plantations (clôture, patio, arbres, haie de cèdres, thermopompe) près de la ligne de division constitue un inconvénient normal du voisinage urbain ou de banlieue, même si elle emporte certains désagréments (ombre, limitation de la vue, chute de feuilles, fréquentation d’oiseaux)» (Citations omises)
[112] Un extrait d’un jugement rendu par l’Honorable Robert Mongeon en 2008 s’applique à la situation de l’espèce.
«Avec égards pour l’opinion contraire du procureur de la demanderesse, le soussigné ne peut voir de commune mesure factuelle entre la pollution causée par CSL [20] (même sans faute!...) et le fait que madame Raymond perdra une partie de sa vue.
Vivre en société, même (et peut-être surtout) à Westmount nécessite un juste équilibre des droits et libertés entre voisins et entre concitoyens. Raymond et Golberg ont tous deux le droit de jouir de leur propriété. Le soussigné est loin d’être convaincu que les faits de la présente cause constituent un trouble anormal ou excessif de voisinage susceptible d’engendrer l’application de l’article 976 C.c.Q. [21]
[113] En conclusion, le Tribunal est d’avis que les demandeurs n’ont pas réussi à s’acquitter de leur fardeau de preuve tant en regard d’une responsabilité avec que sans faute.
[114] Il convient maintenant de traiter de la demande reconventionnelle.
Partie II : Demande reconventionnelle
[115] Madame Hamel se porte demanderesse reconventionnelle alléguant que les demandeurs tentent d’exercer un droit non existant et ainsi obtenir des dommages non fondés. Elle est d’avis que le recours exercé est abusif, frivole et empreint de malice.
[116] Elle se sent victime d’harcèlement et de menaces de la part du demandeur Bourdeau.
[117] Finalement, elle énonce une série d’évènements dont elle se dit victime et pour lesquels elle tient les demandeurs responsables. Voilà pourquoi, elle poursuit pour des dommages pécuniaires et non pécuniaires.
[118] Le Tribunal se propose de traiter des pertes non pécuniaires (section A) et ensuite des pertes pécuniaires (section B).
Section A : pertes non pécuniaires :
[119] Les pertes non pécuniaires réclamées totalisent 35 000$ et se détaillent comme suit :
1) séquelles psychologiques : 20 000$
2) pertes de jouissance, troubles et
Inconvénients : 15 000$
[120] Tel que mentionné, l’assise de la réclamation repose sur une série d’événements dont la défenderesse se prétend victime. Le Tribunal a déjà énuméré ceux-ci et n’entend pas les décrire plus en détails.
[121] Toutefois certains commentaires généraux s’imposent à l’égard de ces événements.
[122] Tout d’abord, l’on doit dissocier les éléments de reproche donnant une preuve directe et ceux pour lesquels la défenderesse invite le Tribunal à déduire de faits connus.
[123] À titre d’éléments de faits que le Tribunal considère prouvés, il y a l’attitude déplacée, menaçante et grossière que le demandeur a eue à l’égard de la défenderesse.
[124] Le Tribunal ne peut que s’étonner d’un tel comportement. La défenderesse s’est d’ailleurs sentie menacée par le demandeur.
[125] Il va sans dire que les propos tels «tu vas le regretter» ou les jurons utilisés n’ont certainement rien pour atténuer le sentiment d’insécurité vécu par la défenderesse.
[126] Précisons par ailleurs, qu’à plus d’une reprise, ses propos sont prononcés devant la fille de la défenderesse.
[127] Autre élément préoccupant, la poursuite elle-même.
[128] Il est surprenant que les gens à l’origine de l’obligation d’ériger un écran opaque se plaignent désormais de l’effet d’un tel écran sur leur vie.
[129] Il y a plus. À la limite, la poursuite aurait pu se restreindre aux conclusions en injonction visant à démolir la terrasse mais les demandeurs y ajoutent des conclusions en dommages et intérêts au montant de 65 000$. Ils réclament même les honoraires extra judiciaires. Ce n’est qu’à l’audition que l’on informe le Tribunal d’un désistement à l’égard de cette partie de la réclamation.
[130] La réclamation en dommages et intérêts a eu un impact considérable sur la défenderesse. Elle a été une source de stress substantielle.
[131] Pour le Tribunal, cette poursuite relève d’une stratégie visant à mettre de la pression sur la défenderesse et force est de constater que de ce point de vue, la poursuite a atteint ses objectifs.
[132] La preuve révèle que suite à la poursuite, la défenderesse a dû consulter un psychothérapeute et est encore aujourd’hui sous médication.
[133] Il est également triste de constater que la condamnation en dommages et intérêts a également eu un impact déterminant sur le litige.
[134] En effet, voyant les proportions que prenait le litige, la défenderesse déclare avoir tenté de déménager.
[135] Or, il lui était tout simplement impossible de se qualifier pour un nouveau prêt en raison de la poursuite judiciaire la visant. Par ailleurs, comment vendre une propriété qui est au centre de procédures judiciaires ?
[136] La défenderesse était pour ainsi dire prisonnière de la situation.
[137] Sans reprendre la totalité des divers éléments ayant contribué à envenimer les relations, certains méritent tout de même d’être énoncés.
[138] À une occasion la défenderesse arrive plus tôt chez elle et aperçoit la codemanderesse déblayant son entrée et poussant la neige chez la défenderesse.
[139] À plus d’une reprise, les poubelles du voisin sont placées tellement près de la voiture que certains débris sont en contact avec celle-ci.
[140] Une photographie démontre clairement qu’à une occasion une personne a uriné sur la voiture de la défenderesse. De toute évidence, le demandeur n’a pas réalisé qu’en raison de la neige, on peut très bien voir les traces de pas se rendant de sa résidence à la voiture.
[141] Autre élément à la source des inconvénients subis; la dénonciation aux médias.
[142] La défenderesse raconte qu’un matin elle est contactée par plusieurs voisins et amis l’informant qu’un quotidien raconte la version des codemandeurs. La défenderesse se sent attaquée et humiliée puisque ses problèmes avec ses voisins sont étalés au grand jour.
[143] L’on notera que nulle part dans le reportage, n’est-il noté que l’écran opaque est construit suite à une plainte des demandeurs.
[144] Encore une fois, sans reprendre tous les éléments qu’il suffise de préciser que la défenderesse a été pour le moins malmenée par ses voisins et qu’en outre, elle a dû subir cette situation jusqu’à ce jour en raison de la condamnation en dommages et intérêts recherchée contre elle.
[145] Voilà pourquoi, une somme globale de 15 000$ pour les pertes non pécuniaires sera octroyée.
[146] Cette somme englobe le stress, l’angoisse et l’insécurité vécus par la défenderesse ayant eu des séquelles psychologiques.
[147] Cette somme compensera également les troubles et inconvénients dont a été victime la défenderesse.
[148] Traitons maintenant des pertes non pécuniaires.
Section B : Pertes pécuniaires
[149] Le montant de réclamation recherché se répartit en quatre volets. Tout d’abord, les pertes et revenus (i), dommages aux biens et autres déboursés (ii), ensuite une condamnation au paiement des honoraires extrajudiciaires (iii) et finalement des dommages punitifs (iv).
(i) Pertes de revenus
[150] La défenderesse est travailleuse autonome. Elle est interprète de conférence. Elle déclare avoir à maintes occasions dû se faire remplacer le matin même où elle devait se rendre au travail en raison d’une mauvaise nuit de sommeil découlant du stress vécu avec ses voisins.
[151] Voilà pourquoi elle réclame 25 200$ à titre de perte de revenus.
[152] À l’appui de sa réclamation, elle dépose en pièce un document qu’elle a préparé et intitulé manque à gagner (D-24), où elle note des dates et des informations sommaires pour justifier sa réclamation. Par exemple, elle note «congé insomnie nerveuse : 600$».
[153] Avec égards, le Tribunal ne peut accepter cette réclamation.
[154]
Il
appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui
soutiennent sa prétention (art.
[155]
Cette
preuve doit rendre l’existence d’un fait plus probable que son inexistence
(art.
[156] En l’espèce, la preuve est pour le moins ténue et repose pour l’essentiel sur le dépôt d’un document préparé par la défenderesse elle-même.
[157] Avec respect, le tout ressemble beaucoup plus à une preuve préparée en vue de l’audition dont la valeur probante n’est pas démontrée.
[158] Il aurait certes pu être intéressant de comparer les revenus sur une base annuelle afin de constater s’il y a effectivement eu une baisse de revenus d’une année à l’autre.
[159] Le Tribunal est d’avis que la preuve prépondérante de cette réclamation n’a pas été faite.
(ii) Dommages aux biens
[160] Cette réclamation résulte des dommages causés à certains biens de la défenderesse et à l’installation de caméras sur sa propriété. La défenderesse en impute la responsabilité aux codemandeurs.
[161] Le raisonnement proposé est simple. Au cours de la période postérieure à la mise en place d’un écran opaque, certains de ses biens ont été endommagés. À titre d’exemple, la toile de la piscine, une clochette installée sur la porte arrière mitoyenne etc…
[162] Elle a donc acheté des caméras de surveillance et un détecteur de mouvement afin que cessent les actes de vandalisme.
[163] Elle relie les incidents directement à la dispute avec ses voisins. Elle demande donc au tribunal par déduction de conclure qu’ils sont les auteurs de ses dommages.
[164] En définitive, la défenderesse souhaite que par présomption de faits, le Tribunal conclut à une responsabilité.
[165]
Il est
approprié de reproduire les articles
2846. La présomption est une conséquence que la loi ou le tribunal tire d'un fait connu à un fait inconnu.
2849. Les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont laissées à l'appréciation du tribunal qui ne doit prendre en considération que celles qui sont graves, précises et concordantes.
[166] Les auteurs Pierre Tessier et Monique Dupuis traitent des présomptions légales dans la Collection de droit 2012-2013, de l’école du Barreau. [22]
[167] Voici ce qu’ils écrivent sur les présomptions de faits.
Le Tribunal jouit d’une latitude semblable, quoique
plus restreinte, à celle dont il dispose dans l’appréciation de la crédibilité
des témoins. Il doit apprécier la force probante de certains faits, desquels il
peut tirer une conclusion; le juge au procès possède un large pouvoir
discrétionnaire dans son appréciation des présomptions et des indices requis.
Par un processus de déduction, le tribunal à partir de prémisses connues,
c’est-à-dire de faits établis par la preuve, en arrive à une conclusion. Ces
faits, toutefois doivent être suffisamment «précis, graves et concordants» pour
établir la probabilité du fait à prouver, comme le confirme l’article
[168] En l’espèce, le Tribunal ne peut conclure que des faits suffisamment «précis, graves et concordants» lui permettent d’arriver à la déduction recherchée.
[169] Cette réclamation est rejetée.
(iii) Réclamation quant aux honoraires extrajudiciaires
[170] Ce chef de réclamation vise à compenser l’ensemble des honoraires encourus par la défenderesse en l’instance.
[171] Selon elle, la poursuite était totalement vouée à l’échec, de mauvaise foi et abusive à son égard.
[172] Elle est d’avis que la véritable problématique pour les demandeurs résulte de l’application d’un règlement municipal. Ainsi donc, leur véritable recours aurait dû être de la nature d’une demande en annulation du règlement.
[173] Voilà pourquoi s’autorisant de l’arrêt Viel rendu par la Cour d’appel [23] , elle réclame les honoraires extrajudiciaires.
[174] Dans l’arrêt Viel, la Cour d’appel a établi qu’une partie qui abuse de son droit d’ester en justice cause un dommage à la partie adverse qui pour combattre cet abus doit payer des honoraires.
[175] C’est ainsi que selon la Cour d’appel en application des règles de responsabilité civile, il y a faute par cet abus d’ester en justice, dommages en raison des honoraires payés pour se défendre et lien de causalité entre la faute et le dommage.
[176] Y a-t-il en l’instance abus du droit d’ester en justice ?
[177] Le Tribunal est de cet avis.
[178] Les demandeurs sont à l’origine de la mise en place d’un écran opaque par leurs plaintes déposées à la Municipalité.
[179] Ils ont été informés à plusieurs reprises par les représentants de la Municipalité que la défenderesse se voyait imposer la construction de cet écran. Le représentant de la Ville a très clairement confirmé ce fait.
[180] Malgré cette connaissance, ils déposent une poursuite à l’encontre de la défenderesse. Dès lors, ils abusent de leur droit d’ester en justice.
[181] La défenderesse n’est en fait que la victime de leurs comportements et la décision de poursuivre dans ce contexte constitue une conduite sanctionnable.
[182] Ajoutons à cela, la réclamation en dommages intérêts pour troubles et inconvénients, dommages exemplaires et en remboursement des honoraires extrajudiciaires. Il y a là de quoi étonner.
[183] Concluant qu’il y a eu abus du droit d’ester en justice, il y a lieu de fixer l’indemnisation appropriée.
[184] Tout d’abord précisons que le Tribunal ne traitera que de la partie honoraires extrajudiciaires, ne voulant pas faire double emploi entre certains déboursés pouvant être inclus dans les dépens et ceux apparaissant sur les états de comptes produits.
[185] Ensuite la réclamation doit respecter les règles de raisonnabilité et de proportionnalité eu égard aux faits de l’espèce.
[186] La réclamation totale en honoraires seulement s’élève à la somme de 51 963,40$ [24]
[187] L’audition a duré 5 jours.
[188] D’emblée, spécifions qu’une bonne partie de l’audition a porté sur les éléments de la demande reconventionnelle. Il va de soi que seuls les honoraires encourus en défense peuvent faire l’objet de la réclamation en conservant à l’esprit les normes de raisonnabilité et de proportionnalité applicable ainsi que la nature du litige. Le Tribunal fixe à 15 000$ cette partie de la réclamation.
[189] Reste maintenant à traiter de la réclamation de 10 000$ pour les dommages punitifs.
(iv) dommages punitifs
[190] La défenderesse réclame 10 000$ pour atteinte à ses droits fondamentaux, au respect de sa vie privée et au respect de sa propriété.
[191]
En
conformité de l’article
[192] Voilà sans doute pourquoi la défenderesse réfère aux dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne .
[193] Rappelons l’article 1 : «tout être humain a droit (…), à l’intégrité (…) de sa personne», l’article 4 «toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité (…)» et finalement l’article 6 «toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la Loi.»
[194] Notons de plus que l’article 49 prévoit à son deuxième alinéa :
49(2) «En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le Tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs».
[195] Au sujet des dommages punitifs, le juge Jean-Pierre Sénécal résume bien le droit applicable dans l’affaire Markarian [25] . Le Tribunal se permet de citer au long un passage de sa décision sur cet élément.
«Le droit québécois ne permet les dommages punitifs que dans les cas où leur octroi est spécifiquement prévu. C’est le cas de la Charte des droits québécoise. Mais au risque de banaliser les droits protégés par celle-ci, tout ne constitue pas une violation des droits fondamentaux. C’est dire que même en droit québécois, l’octroi de dommages punitifs n’est pas la règle et demeure, tout au moins dans les faits, relativement exceptionnel.
Cela dit, les dommages punitifs n’ont rien d’exceptionnels en eux-mêmes et sont possibles lorsque la loi autorise leur octroi et que les circonstances sont réunies pour qu’ils soient accordés. Par ailleurs, la Charte doit recevoir une interprétation large et libérale visant à assurer que les citoyens bénéficient pleinement de sa protection.
Il ne peut y avoir octroi de dommages punitifs en vertu de la Charte que si l’atteinte aux droits fondamentaux a été «illicite et intentionnelle» . La Cour suprême définit comme suit l’atteinte «illicite et intentionnelle» dans Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand :
Pour conclure à l’existence d’une atteinte illicite, il doit être démontré qu’un droit protégé par la Charte a été violé et que cette violation résulte d’un comportement fautif. Un comportement sera qualifié de fautif si, ce faisant, son auteur transgresse une norme de conduite jugée raisonnable dans les circonstances selon le droit commun ou, comme c’est le cas pour certains droits protégés, une norme dictée par la Charte elle-même.
Pour ce qui est du caractère «intentionnel» de l’atteinte, la Cour suprême écrit :
[P]our qu’une atteinte illicite soit qualifiée d’«intentionnelle», l’auteur de cette atteinte doit avoir voulu les conséquences que son comportement fautif produira.
[…][C’]est l’atteinte illicite-et non la faute-qui doit être intentionnelle. En conséquence, bien que certaines analogies soient possibles, je crois qu’il faille néanmoins résister à la tentation d’assimiler la notion d’«atteinte illicite et intentionnelle» propre à la Charte aux concepts traditionnellement reconnus de «faute lourde», «faute dolosive» ou même «faute intentionnelle».»
[I]l y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l’art. 49 de la Charte lorsque l’auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera.» Citations omises.
[196] Revenons aux faits de l’espèce. Le Tribunal désire sanctionner le comportement inacceptable du demandeur Bourdeau.
[197] Son manque de respect et mépris à l’égard de la défenderesse ont porté atteinte à son intégrité et sa dignité.
[198] L’on ne peut avoir un comportement dégradant envers quelqu’un du seul fait que l’on soit en désaccord avec elle.
[199] Les faits mis en preuve dénotent que les demandeurs et particulièrement le codemandeur semblaient prêt à tout pour atteindre leurs fins.
[200] Il a eu des propos déplacés, a injurié la défenderesse devant sa fille à plus d’une reprise. Il lui a rendu la vie difficile.
[201] Il semble bien que la situation l’exaspérait tellement que le responsable en bâtiments de la Ville de Gatineau a qualifié le codemandeur de «personne désagréable et frustrée de la situation».
[202] Ces propos corroborent ceux de la défenderesse. Elle a été la victime du codemandeur, de ses propos menaçants et intimidants et il convient de sanctionner ce comportement.
[203] Une somme de 5 000$ sera octroyée à titre de dommages punitifs à l’encontre du codemandeur.
[204] En terminant, le Tribunal ne peut s’empêcher de noter qu’il est certes surprenant de constater qu’un litige ayant pour origine un déplacement de 35 centimètres ait pu dégénérer de la sorte. C’est pourtant le triste constat au terme de la preuve entendue.
POUR CES MOTIFS, LA COUR:
[205] ACCUEILLE en partie la défense et demande reconventionnelle amendée;
[206] REJETTE la requête introductive d’instance;
[207] CONDAMNE les demandeurs à payer solidairement la somme de 30 000$ avec intérêts et indemnité additionnelle calculés de la façon suivante :
- à compter de la signification de la défense et demande reconventionnelle quant à la somme de 15 000$;
- à compter du jugement quant à la somme de 15 000$;
[208] CONDAMNE le demandeur Claude Bourdeau à payer la somme de 5 000$ avec intérêts au taux légal et majorés de l’indemnité additionnelle;
[209] LE TOUT avec dépens tant sur le rejet de l’action principale que sur la demande reconventionnelle.
|
||
|
____________________ DOMINIQUE GOULET , J.C.S. |
|
|
||
Me Nancy-Line St-Amour |
||
Procureure des demandeurs |
||
|
||
Me Guy Bélanger |
||
Procureur de la défenderesse |
||
|
||
Date d’audience : |
22, 23, 24, 25 et 26 octobre 2012 |
|
[1] Le Tribunal utilise le terme terrasse afin de décrire cette structure de bois communément appelée par les parties «deck» ou «patio».
[2] Voir croquis D-34.
[3] Les parties ont utilisé le système impérial plutôt que le système métrique.
[4] Règlement de la Ville de Gatineau 502-2005, selon l’art. 147 la construction d’un mur opaque est obligatoire si la terrasse est située à moins d’un mètre de la ligne mitoyenne.
[5] À l’audience, les demandeurs se désistent de cette conclusion.
[6] Montant calculé sans déboursés et incluant les taxes sur honoraires : 7 334,06$ (D-10.1) + 3 911,12$ (D-10.2) + 6 711,32$ (D-10.3) + 5 961,45$ (D-10.4) + 9 436,75$ (D-10.5) + 18 608,70$ (D-10.6) = 51 963,40$
[7] Notons que selon le dernier amendement proposé, la défenderesse indique que la réclamation totale est de 119 312,64$ (voir lettre 6-11-2012) et non 125 913,40$. Il s’agit de toute évidence d’une erreur de calcul. Toutefois, en raison des conclusions du jugement, cet élément n’a pas d’impact sur le résultat final.
[8]
Ciment du St-Laurent Inc.
c.
Huguette Barrette et al.
[9] Ciment para. 86.
[10] Lafond, Pierre-Claude, « L’Heureuse alliance des troubles du voisinage et du recours collectifs : portée et effet de l’arrêt Ciment St-Laurent Inc. », Revue du Barreau 2009 EYB 2009, RDB 97, p.12.
[11] Ciment , para 221.
[12] Il apparaît sur le certificat de localisation produit lors de l’achat (D-2).
[13] Le Tribunal réfère à la citation de la Cour suprême dans l’arrêt Ciment para. 25.
[14] Lafond, Pierre-Claude, « L’Heureuse alliance des troubles du voisinage et du recours collectifs : portée et effet de l’arrêt Ciment St-Laurent Inc. », Revue du Barreau 2009 EYB 2009, RDB 97, p.10.
[15] Idem , p. 11.
[16] Idem p. 12
[17] Idem p.12
[18] Voir paragraphe 41.
[19] Lafond p.11
[20] Ciment du Saint Laurent
[21]
Raymond
c.
Goldberg
,
[22] Pierre Tessier et Monique Dupuis, «Les qualités et les moyens de preuve - Les présomptions » vol. 2, Preuve et Procédures, Cowansville, Edtions Yvon Blais, 2012 - 2013; p. 5.
[23]
Viel
c.
Les entreprises immobilières du terroir
[24] D-10.1 : 7 334,06$; D-10.2 : 3 911,12$; D-10.3 : 6 711,32$; D-10.4 : 5 961,45$; D-10.5 : 9 436,75$; D-10.6 : 18 608,70$.
[25]
Markarian et al.
c.
Marché Mondiaux CIBC Inc.