Abadi c. Martinez Garrido |
2013 QCCQ 1439 |
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COUR DU QUÉBEC |
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(Division administrative et d'appel) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre c ivile » |
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N° : |
500-80-020929-114 |
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DATE : |
15 FÉVRIER 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
DAVID L. CAMERON, J.C.Q. |
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Ahmad ABADI
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APPELANT/plaignant |
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c.
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Omar Martinez GARRIDO
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INTIMÉ/intimé
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Régie du Logement de Montréal
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MISE EN CAUSE |
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JUGEMENT |
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[1] Il s’agit d’un appel d’une décision de la Régie du Logement, qui rejette une demande de reprise de possession faite par l'appelant, Monsieur Ahmad Abadi, concernant le […], Montréal, Québec, […].
[2] Au jugement autorisant l'appel, l'Honorable François Bousquet détermine l'objet de l'appel dans les termes suivants :
DÉCLARE que l'appel portera sur les deux questions suivantes :
·
La décision de la Régie du logement doit-elle être infirmée pour
motif que les exigences de l'article
· Si la décision est infirmée, la demande de reprise de possession du logement doit-elle être accordée et, le cas échéant, à quelles conditions ?
[3] À l'audition de l'appel, le Tribunal a entendu les témoignages des parties, ainsi que des deux filles de l'appelant, Azra King-Abadi et Sara King-Abadi.
[4] La preuve a été déclarée close sous la réserve de la lecture par le Tribunal de la copie de la transcription de l'audition devant la Régie du Logement.
[5] Le Tribunal a reçu un enregistrement électronique de l'audition émis par la Régie du Logement, ainsi qu'une transcription non officielle, effectuée par un dénommé Reza Davoudi, portant son sceau de l'ordre des traducteurs homologués du Québec.
[6] En lisant la transcription, le Tribunal s'est référé à l'enregistrement électronique pour s'assurer de bien saisir tout ce qui a été dit et capté par l'enregistrement numérique. À l'occasion, en citant des passages, le Tribunal y a apporté des corrections et ajouts indiqués entre crochets.
[7] Le Tribunal avait fourni aux parties l'occasion de compléter leurs arguments après la lecture de la transcription. Mais ni l'une, ni l'autre n'a présenté d'éléments additionnels après une lettre de rappel du 28 septembre 2012.
ANALYSE
1
er
motif : les exigences de l'article
[8] Cet article se lit comme suit :
63. Au temps fixé pour l'enquête et l'audition, le régisseur appelle la cause, constate la présence ou l'absence des parties et procède à l'enquête et à l'audition.
Le régisseur instruit sommairement les parties des règles de preuve et chaque partie expose ses prétentions et présente ses témoins.
Le régisseur apporte à chacun un secours équitable et impartial de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction . [1]
[9] La première question concerne le refus de la régisseure de considérer l'affidavit du 20 juillet 2011 souscrit par Azra King-Abadi (P1) :
[…] To whom it may concern,
My name is Azra Christina King-Abadi, I am the eldest daughter of Ahmad Abadi. I am writing this letter to show my intention to move into the apartment at 3977 Ross, Verdun.
I am unable to attend this hearing because at the moment I am working in Los Angeles, California and was not able to take of work to fly back home. My job will be over by December at which point I will move back home to Montreal in time to move in to the apartment at 3977 Ross for January 1st, 2012.
Sincerely,
Azra King-Abadi.
[10] Dans sa décision du 4 novembre 2011, paragraphes 9 à 15, la régisseure résume la preuve concernant l'intention d'Azra de revenir à Montréal pour habiter l'appartement dans les termes suivants :
[9] Le locateur explique que sa fille Azra, âgée de 25 ans, habite et travaille présentement aux États-Unis et que son visa prend fin en décembre prochain.
[10] Elle a l'intention, dit-il, de s'installer à Montréal avec sa sœur Sara qui habite présentement avec sa mère depuis leur séparation.
[11] Il indique que Sara est étudiante à Concordia et que celle-ci ne veut plus vivre avec sa mère depuis qu'elle a un conjoint.
[12] Il est propriétaire de trois autres immeubles mais aucun logement n'est libre présentement.
[13] Sara King Abadi témoigne à son tour. Elle explique que sa mère a maintenant un conjoint et elle veut s'installer dans le logement du locataire pour avoir son intimité.
[14] Elle étudie à Concordia et prévoit habiter le logement au moins deux ans, le temps de terminer ses études.
[15] Quant à sa sœur, elle indique qu'elle revient en décembre mais ce n'est pas encore certain qu'elle va habiter avec elle. Elles doivent en discuter à son retour.
[11] Aux termes de son analyse, la régisseure soutient que le locateur n'a pas vraiment rencontré son fardeau de prouver son intention réelle de reprendre possession pour la fin mentionnée dans l'avis et, qu'il ne s'agit que d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. [2]
[27] Le témoignage d'une des filles de locateur permet au tribunal de douter des véritables intentions de ce dernier.
[28] La demande de reprise de logement a été introduite dans un premier temps pour sa fille Azra qui n'a pas témoigné et qui semble aux dires de sa sœur ne pas avoir pris de décision quant à son intention d'emménager dans le logement du locataire.
[29] Il ressort que la demande telle qu'introduite à l'origine n'était fondée sur aucune intention réelle. »
[12] L'appelant définit ainsi l'erreur de droit invoquée sur la démarche de la régisseure. Nous citons le paragraphe 8 de la requête en permission d'appeler en date du 13 décembre 2011 :
8. Le juge administratif, Me Louise Fortin, a erré en droit parce que la partie Requérante n'était pas représentée par un avocat pour cette audition et n'a jamais été informée qu'elle a devait reporter l'audition pour faire témoigner sa fille Azra et en plus la Régisseure a refusé de prendre connaissance de l'affidavit préparé par Azra King-Abadi, signé le 26 juillet 2011.
9. La Régisseure, Me Louise Fortin, avait le devoir d'apporter à chaque partie au litige un recours équitable et impartial de façon à faire apparaître le droit et d'assurer la sanction appropriée.
[13] Nous sommes du même avis que l'Honorable Juge Bousquet, à savoir que l'affidavit ne pouvait tenir lieu de témoignage et que la régisseure avait raison de souligner l'importance de ce témoignage.
[14] Il convient de citer les passages de la transcription où le problème est abordé.
[15] Voici l'échange entre l'appelant et la régisseure concernant Azra King-Abadi. L'échange commence par une question de la régisseure :
- And what she do?
- This is the one I just told you, is student at Concordia
- Ok, and the other one?
- The other one finished student and working
- Ok, where she working?
- She works in United States
- United States?
- Yes
- Mais, Alors, she is not gonna move in this place
- She is gonna move, she come back December
- For all the time?
- Yes, i have… for all the time, yes
- Ok, i just make sure, when your present, you make your first notice? ok?
- Ya, my first notice
- Just a minut, ok? When you sent this notice, you asked for the reprocessing of this willing on for your young…
- No, for both
- Just one!
- I know but i didn't know that, that's why i come back they told me i have to add her
- Then did you send another notice for them?
- Not like that, but i came here i explained the story, they told me you can add and make this also send it
- I understand she is student?
- Yes
- But she works in United States?
- Just for 5 months
- Ok, After that?
- She comes here
- And what she doing here?
- She is gonna study, no more visa, i don't know and this is the place she worked and then finished
- Ok, she is not here today?
- No, she is not here today?
- No, I spoke to the lawyer and they told me you can get in touch with the phone, then my other daughter said you come here and she is come to this place
- I can't accept before the court
- What should I do with that
- She must to came to the court
- If she comes…
- I can't accept that. Ok, the other daughter?
- Yes
- Yes
- Ok,
- Because both of them they go
- Ok
- What she do in United States? What is his job?
- She working with the opera.
- Ok
- Is this anything else?
- No
- No
- And do you have anything to tell?
- Yes, because I'm 100% …, if we go, for example if you reject my daughter because she is united states the we gonna to apply and in two months she is gonna be here, before you. So we don't have to lie for this. She is gonna come back here and stay her for the rest of her life. And no more visa and this job was temporary. Because after student, they finished university in California they have move…
- And she comes back in December?
- Yes, December
- Do you prefer she come back and present the case?
- No, I prefer finish everything
- Today?
- Yes, today, I don't want this guy come and go
- Ok
- But the thing is that my daughter, my younger daughter want to live her too
- Ok
- And, last year finished university and she has only one year work visa, and visa is finished
- That's all for you?
- I don't know what else I have to say, if you have anything to ask me…
- Monsieur, s'il veut poser une question, il peut la poser.
- Ok, thank you
- Sit down, if first of all he has some questions for you
- Ok, thank you.
[16] La régisseure croyait qu'elle indiquait à Monsieur Abadi que le témoignage de sa fille était essentiel, qu'il avait le droit de la faire venir pour continuer l'audition à une autre date et que, malgré cette indication, il a choisi de continuer l'audition en son absence.
[17] La lecture de l'ensemble du témoignage permet cependant de constater que Monsieur Abadi et la régisseure ne pouvaient se comprendre adéquatement sur ce point.
[18] L'appelant n'était pas représenté par un procureur, qui lui aurait expliqué la nature et les conséquences du signalement d'une lacune par un décideur. Il aurait compris que sans la présence de sa fille, il avait peu de chance de succès.
[19] En effet, la régisseure continue de questionner l'appelant. Ce dernier donne donc son propre témoignage sur ce que sa fille prévoit de faire.
[20] Il est probable qu'il a compris que son témoignage à la place de sa fille était acceptable et, que sa demande de ne pas exiger la présence de sa fille avait été acceptée.
[21] La régisseure avait signalé une lacune, mais il est peu probable que l'appelant a correctement compris ce qui lui était offert, et les conséquences en cas de son refus.
[22] Le fait qu'il ait continué à faire sa preuve y compris par le témoignage de son autre fille, Sara, indique qu'il ne comprenait pas la nécessité du témoignage et que la seule façon logique de procéder était d'accepter une remise du dossier.
[23] Le Tribunal répondrait donc à la première question en disant que l'appelant n'a pas eu le bénéfice du secours équitable et impartial prévu à l'article 63 (L.R.L.), même si la régissseure a fait ce qu'elle pouvait afin de le lui apporter. L'audition impartiale était donc viciée malgré ces bons efforts.
[24] Le Tribunal doit réévaluer la preuve telle que complétée afin de décider du bien-fondé de la demande de reprise de possession.
2 ème motif : la régisseure a accordé trop d'importance du fait que l'habitation projetée semble ne pas dépasser deux ans
[25] Les passages clefs du jugement du 4 novembre 2011 sont les suivants :
[14] Elle étudie à Concordia et prévoit habiter le logement au moins deux ans, le temps de terminer ses études.
[30] Quant à Sara, son témoignage n'a pas convaincu le tribunal sur le caractère permanent d'habitation qui semble ne pas dépasser deux ans.
[26] Avant de considérer le critère juridique applicable à cette question, il opportun de réviser la preuve faite devant la Régie constituée de l'échange suivant, page 14, 15 et 16 de la transcription :
- Your address is?
- 99 real
- Your occupation?
- Student
- Where you study?
- Concordia
- Concordia, and your, which old you have?
- I'm 23
- 23, ok?
- Do you have question for her?
- Tell me why you want to move to this house?
- What is you intention to move at this place? What is your intention for a long term?
- Long term? Well, minimum 3 [3] years, or more. Like how long I gonna be there because I gonna go to school for at least three years and why I gonna move there you mean, is, there is not any space for live now with my mom, because her boyfriend and my sister will be coming back eventually there is not enough room for me so I'm not comfortable
[27] La question demeure si l'intention du législateur était d'imposer une intention pour le membre de la famille de rester de façon permanente dans les lieux.
[28]
La lecture du texte pertinent de l'article
[29] Pour résumer, la durée de l'habitation projetée n'est pas un élément essentiel à la cause, mais un manque de clarté sur les intentions d'un témoin pourrait être un facteur que le régisseur considère parmi d'autres.
[30] En lisant les motifs de la régisseure, le Tribunal a l'impression que, pour elle, le caractère permanent d'habitation était un élément déterminant.
[31] Du fait de l'absence de commentaires de la part de la régisseure sur les autres éléments que le témoin Azra Abadi a soulevé pour justifier son intention de résider dans l'appartement, on a l'impression que ces deux facteurs de doute (la durée et la présence ou non de sa sœur), provenant du témoignage de Sara King-Abadi, étaient capitaux pour la régisseure.
Analyse de la preuve
[32] Le Tribunal a permis aux parties de présenter des preuves pertinentes de la question de la reprise de possession.
[33] Il a également demandé aux parties de fournir la transcription de l'audition devant la régisseure. Cette demande résultait des réponses du témoin, Sara King-Abadi, à des questions posées par l'avocat de l'appelant sur ce qu'elle a voulu dire devant la régisseure.
[34] L'une des complexités du dossier réside dans le fait que l'avis de reprise de possession ne mentionnait que la reprise pour la fille aînée Azra King-Abadi. La Régie a accepté un amendement de la demande initiale pour ajouter le nom de la fille cadette, Sara King-Abadi, précisant que cette dernière voudrait reprendre le logement avec sa sœur.
Témoignage de Sara
[35] Sara a témoigné sur les questions normalement pertinentes comme la proximité du logement au métro, les raisons qui la motivent pour quitter le logement où elle résidait avec sa mère et la possibilité pour le père de loger ses filles ailleurs.
[36] Cependant, la régisseure s'est attardée sur la compréhension qu'avait Sara King-Abadi des intentions de sa sœur Azra, absente lors de l'audition. La régisseure conclut ainsi sur la demande de reprise de logement :
[28] La demande de reprise de logement a été introduite dans un premier temps pour sa fille Azra qui n'a pas témoigné et qui semble aux dires de sa sœur ne pas avoir pris de décision quant à son intention d'emménager dans le logement du locataire.
[37] Les passages cités au paragraphe 25 démontrent une certaine hésitation de la part du témoin. Une fois qu'elle comprend la question, elle semble indiquer que, bien que sa propre décision soit arrêtée, elle attendra de voir sa sœur pour connaître les intentions de celle-ci.
[38] À l'audition de l'appel, Sara déclarait :
- qu'elle s'était sentie mal comprise par la régisseure,
- qu'elle voulait dire qu'elle attendait le retour de sa sœur pour discuter des détails du déménagement, comme la couleur de la peinture et la répartition des chambres entre elles,
- mais qu'elle n'a jamais dit à la régisseure qu'elle n'avait pas l'intention d'habiter avec sa sœur, qu'elle avait toujours eu l'intention d'emménager dans le logement avec elle.
[39] En revanche, lorsqu'on lit la transcription (et lorsqu'on l'écoute l'enregistrement numérique), on voit que le témoignage en appel n'est pas conforme au contenu du témoignage plus spontané devant la régisseure.
[40] Notons particulièrement le passage suivant :
[…] there is not any space for live now with my mom, because her boyfriend and my sister will be coming back eventually there is not enough room for me so I'm not comfortable.
- And you a déjà live with your daughter?
- Sorry?
- To move with your daughter? Your sister sorry!
- No
- No, mais your intention is to move at this place with your sister
- No?
[Interjetée par l'appelant] - You don't wanna live with your sister?
- You live alone at this place?
- Well, she can come back the we talk about when she comes back
- Ok, is not sure?
- Ya, [for sure, me one hundred percent]
[interjetée par l'appelant] - I hope they don't fight when they come
- I just make sure, is not sure your [sister] move with you?
- Yes
- Is not sure?
- Yes
- It's possible, [only] you are sure?
- Me, for [sure] one hundred percent, her…
- Your never discussed?
- We are gonna discuss
- With her for that?
- Ya, we have, she is interested but she wants to come back [she'll decide in December]
- To discuss
- Ya,
- Do you have another question for her?
[questionnée par l'appelant] - Yes, because I remember before the sister go to United States what was her decision? Come to this house and now he changes because you go there?
- I don't know what do you mean?
- When you sister decided to come to this house, and she filled the application, did you talk to her that she wanna to go to this house?
- Yes, I just gonna to talk to her when she comes back
- Do you understand why she changes her mind now?
- No, she is gonna just discuss more, I mean she is in another country right now she is coming back for Christmas and we talk together
[la régisseure] - That's it for the question?
- Yes
- Do you have some question for her
- No
- No?
- Thank you
- Thank you.
[Nous avons ajouté des corrections en écoutant l'enregistrement]
[41] Logiquement, si la présence de sa sœur dans l'appartement de sa mère la gêne, cela signifie qu'elle va rester chez sa mère lors de son retour des États-Unis. Sara croit donc qu'elle vivra peut-être seule dans l'appartement et que sa sœur Azra ira de nouveau chez sa mère.
[42] La régisseure a posé la question plusieurs fois pour en être certaine. Même en répondant à des questions suggestives de son père, Sara n'arrive pas à dire qu'elle est certaine qu'elle va cohabiter avec sa sœur. Sa sœur va en décider lors de son retour en décembre.
[43] Quant à sa propre intention de demeurer dans l'appartement, Sara mentionne qu'elle sera diplômée du programme de premier cycle en littérature anglaise en 2013 et, qu'elle a l'intention de postuler pour le programme de maîtrise à Concordia.
Témoignage d'Azra
[44] Devant le Tribunal, Azra Abadi a témoigné qu'elle a reçu comme conseil du service d'information de la Régie du logement, de produire un affidavit si elle ne pouvait assister à l'audition du mois d'octobre.
[45] Elle prétend que son intention, à l'époque, était d'emménager le 1 er juin 2011, que son intention actuelle est d'emménager le 1 er août 2012.
[46] Elle aime l'appartement parce que c'est un 3ème étage près du métro Lasalle. Elle préfère vivre avec sa sœur dans cet appartement plutôt que de demeurer avec sa sœur, sa mère et son conjoint. Elle a maintenant 26 ans et elle désire rester ailleurs que chez sa mère.
Témoignage de l'appelant
[47] Dans la décision de la Régie, on lit :
[31] De plus, le fait que le locateur ait manifesté l'intention de vendre son immeuble constitue un autre élément qui ne milite pas en sa faveur, et qui laisse présager que la demande vise un tout autre motif.
[48] Le témoignage devant la régisseure démontre que l'appelant avait déjà donné un mandat à un agent pour vendre l'immeuble, que le mandat n'était plus en vigueur, mais que si son agent, un ami, venait avec une bonne offre, il vendrait, dans l'année. Dans un tel cas sa fille (noter le singulier) emménagerait quand même et elle y resterait aux termes d'un nouveau bail.
[49] Durant l'audition en appel, l'appelant offre une autre explication : il dit qu'il n'a jamais mis l'immeuble en vente. Il a fait des démarches pour obtenir une évaluation de l'édifice pour un refinancement. Il n'a jamais mis une pancarte à vendre.
Conclusions sur l'ensemble de la preuve
[50] Le Tribunal, en entendant les témoignages des deux sœurs, avait l'impression que l'intention de l'appelant, de reprendre l'immeuble pour qu'elles puissent s'y loger, était sincère.
[51] Cependant, en écoutant les témoignages de Sara et de l'appelant, donnés devant la régisseure, le Tribunal a la conviction que, au moment de l'avis de reprise pour Azra et l'amendement à la procédure pour ajouter Sara comme co-occupante, une audition de l'ensemble de la preuve, y compris la preuve devant le Tribunal, aurait laissé le décideur, que ce soit la régisseure ou le Tribunal, perplexe.
[52] Une des filles, Azra, dit clairement qu'elle veut occuper l'appartement avec sa sœur et donne des motifs cohérents.
[53] Sara donne sensiblement les mêmes raisons pour s'y loger. Elle est à 100% certaine qu'elle va y loger. Mais elle croit que sa sœur Azra n'a pas encore pris une décision. En appel, elle révise son témoignage, dit qu'elle a toujours voulu emménager avec Azra, et que la régisseure ne l'a pas comprise.
[54] Le Tribunal constate qu'il y a eu des problèmes de compréhension linguistique durant l'audition. Cependant, sur ce point précis, la régisseure a répété la question à plusieurs reprises afin d'être certaine de la réponse. Même l'appelant, par suggestion, ne réussit pas à faire dire à sa fille Sara, que Azra est certaine d'emménager avec elle : le point est en discussion.
[55] La durée projetée de l'occupation n'est pas nécessairement très longue pour Sara, peut-être deux ans. La question n'est pas vraiment abordée avec Azra lors de son témoignage devant le Tribunal.
[56] Selon son témoignage devant la Régie, l'appelant a déjà donné mandat, il y a quelques temps, à un courtier immobilier, pour trouver un acheteur, mais l'immeuble n'est pas présentement sur le marché. Il ne cherche pas à vendre pour l'instant, mais si le courtier lui apporte une offre au bon prix il vendra. Cependant, la recherche d'un acheteur n'est pas très active. En cas d'une vente, sa fille ("she has to move up there") aura un nouveau bail avec l'acheteur.
[57] On peut s'interroger sur le sérieux du propos selon lequel Sara aura un bail avec le nouveau propriétaire. Celui-ci pourrait, à son tour, exercer un droit de reprise.
[58] Cependant, dans notre analyse de la preuve, l'élément de la durée de l'occupation n'est pas dominant. C'est un facteur parmi les autres que le décideur peut prendre en considération pour juger de la cohérence et de la sincérité de l'intention manifestée par le locateur.
[59] En appel, l'appelant essaie de dire qu'il ne veut pas vendre, qu'un évaluateur a visité l'immeuble car il voulait seulement refinancer la dette sur l'immeuble. Pourquoi tenter de refaire cette preuve, déjà complète devant la régisseure ?
[60] Le locataire se plaint que l'appartement est en mauvais état. Cette question n'était pas l'objet du litige, mais, de façon palpable, les relations entre locateur et locataire ne sont pas bonnes.
[61] Le Tribunal, ayant pris connaissance de cette preuve, aurait la conviction que l'appelant veut reprendre l'immeuble, mais que ses motifs pour la reprise ne sont pas clairement établis par la preuve. Cette preuve ne permet pas d'établir, à l'encontre de la présomption légale, que l'appelant entend réellement reprendre le logement pour la fin invoquée selon la requête amendée c'est à dire pour y loger ses deux filles .
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__________________________________ DAVID L. CAMERON, J.C.Q. |
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Me Angelo CAPUTO |
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CAPUTO & ASSOCIÉS, avocats |
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Procureurs de l'APPELANT/plaignant |
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Omar Martinez GARRIDO |
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INTIMÉ/intimé |
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Date d’audience : |
15 juin 2012 |
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