Cardinal et Leblanc |
2012 QCCS 7074 |
|||||||
JS 1061
|
||||||||
|
||||||||
CANADA |
||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||||
DISTRICT DE |
LONGUEUIL |
|||||||
|
||||||||
N°: |
505-17-004870-103 |
|||||||
|
|
|||||||
|
||||||||
DATE : |
13 décembre 2012 |
|||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
KIRKLAND CASGRAIN, J.C.S. |
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
|
||||||||
GHISLAINE CARDINAL |
||||||||
Demanderesse |
||||||||
et |
||||||||
CLAUDE LEBLANC |
||||||||
Défendeur |
||||||||
|
||||||||
|
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
JUGEMENT |
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
[1] La demanderesse réclame du défendeur une somme de 300 000 $ en dommages et intérêts.
[2] Le défendeur se serait enrichi de cette somme sans raison valable et aux dépens de la demanderesse durant leur vie commune qui s’est échelonnée sur deux périodes distinctes, soit de 1974 à 1977 et de 1991 à 2009.
[3] Le défendeur répond que, bien au contraire, la demanderesse a bénéficié de sa générosité tout au long de leur vie commune et que les actifs qu’il a pu accumuler jusqu’à ce jour ne sont dus qu’à ses seuls efforts.
[4] Il plaide que son patrimoine « (…) serait exactement le même aujourd’hui, indépendamment de sa vie commune avec la demanderesse » [1]
[5] Comme on verra, la preuve favorise la thèse du défendeur.
[6] Le défendeur est avocat.
[7] La demanderesse, secrétaire de formation, a rencontré le défendeur à l’été de 1971 alors qu’elle accompagnait son mari à l’occasion d’une activité sociale.
[8] Le mari de la demanderesse est décédé un an plus tard et elle a fait appel aux services du défendeur pour régler la succession.
[9] Le défendeur était marié. Au bout de quelque temps, la demanderesse et le défendeur sont secrètement devenus amants.
[10] Le défendeur s’est séparé de son épouse et a emménagé avec la demanderesse et ses enfants en 1974.
[11] Cette première période de vie commune a duré environ trois ans.
[12] La demanderesse allègue dans ses procédures qu’ils se sont quittés en 1977 parce qu’ils vivaient « des difficultés matrimoniales » [2] .
[13] Son témoignage à l’enquête est plus précis : elle a expliqué que le défendeur ne s’occupait pas assez d’elle et qu’il consacrait presque tout son temps à sa carrière.
[14] C’est ce manque d’attention qui a incité la demanderesse à mettre fin à sa relation avec le défendeur.
[15] Pendant les dix années qui ont suivi, ils se sont revus occasionnellement sans jamais recommencer à se fréquenter, mais en 1989, la demanderesse a voulu reprendre sa relation avec le défendeur. [3]
[16] De 1989 à 1990, ils ont ainsi débuté une nouvelle relation sans toutefois emménager ensemble.
[17] À l’enquête, la demanderesse qualifie cette période d’idyllique : le défendeur était aux petits soins avec elle, constamment présent et soucieux de lui faire plaisir.
[18] En janvier 1991, elle a perdu l’emploi qu’elle avait comme vendeuse dans une boutique de produits de beauté et au printemps de 1991, sa fille — le dernier de ses enfants qui habitait encore avec elle — lui a annoncé qu’elle déménageait chez son copain.
[19] La demanderesse a alors décidé de vendre sa maison et d’aller vivre avec le défendeur.
[20] Elle allègue dans ses procédures que cette décision fut prise « (…) après diverses promesses du défendeur (…) » [4] .
[21] À l’enquête, elle explique qu’elle s’attendait à poursuivre sa nouvelle relation idyllique avec le défendeur en emménageant avec lui.
[22] La preuve — non contredite — révèle également que les parties se sont entendues sur les responsabilités financières de chacun :
— le défendeur verrait à payer l’hébergement, la nourriture et tous les voyages d’affaires ou d’agrément dans lesquels la demanderesse l’accompagnerait;
— la demanderesse s’occuperait de payer sa voiture, ses vêtements, ses loisirs personnels et les cadeaux qu’elle désirerait faire. [5]
[23] La preuve démontre aussi que la demanderesse bénéficiait d’une certaine indépendance financière, ayant accumulé quelques centaines de milliers de dollars suite au règlement de la succession de son mari.
[24] Par ailleurs n’y a aucune preuve crédible que le défendeur a empêché la demanderesse de retourner sur le marché du travail — bien qu’elle ait prétendu le contraire à l’enquête —. Du reste, à cause des problèmes de dos chroniques de la demanderesse, ses options d’emplois étaient très limitées.
[25] La preuve démontre encore que le défendeur, seul, est responsable de l’accroissement de son patrimoine, composé essentiellement de son régime enregistré d’épargne retraite et de sa résidence (qu’il a choisie et décorée avec la demanderesse, mais qu’il a entièrement payée) : tel que la demanderesse le reconnaît, il a consacré sa vie à ses clients et à son travail.
[26] Quant au patrimoine de la demanderesse, essentiellement constitué de placements, il a été tributaire de la crise économique de 2008 et de la performance boursière qui en est résulté : ses placements ont subi des pertes importantes.
[27] La demanderesse a planifié son départ en secret et a quitté le défendeur de son propre gré et sans le prévenir dans la journée du 4 mars 2009, pendant que le défendeur était à son travail.
[28] Ce que la demanderesse reproche aujourd’hui au défendeur est une redite de ce qu’elle lui reprochait en 1977 : il ne lui aurait pas accordé toute l’attention dont elle avait besoin et il aurait cessé d’être son amant et son compagnon pour se consacrer presque exclusivement à sa carrière — sauf pour une brève période, survenue en 2004, quand le défendeur a dû subir une opération cardiaque et demeurer en convalescence pendant quelques semaines; une période, donc, où le défendeur était constamment avec la demanderesse.
[29] Ce « désintéressement » du défendeur a profondément blessé la demanderesse.
[30] Sans doute est-ce pour cette raison qu’elle a quitté le défendeur comme elle l’a fait, en cachette, sans le prévenir : elle aura voulu l’ébranler ou le choquer, dans l’espoir qu’ils puissent se retrouver comme avant…
[31] Nous sommes bien loin d’un enrichissement sans cause.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE l’action de la demanderesse;
AVEC DÉPENS .
|
||
|
__________________________________ KIRKLAND CASGRAIN, J.C.S. |
|
|
||
Me Chantal Brassard |
||
BÉLIVEAU BRASSARD |
||
Procureurs de la demanderesse |
||
|
||
Me Sylvie Harvey |
||
De Chantal, D’Amour, Fortier |
||
Procureurs du défendeur |
||
|
||
|
|
|
[1] Paragraphe 38 de la défense.
[2] Par. 10 de la déclaration.
[3] Interrogatoire avant défense, p.28, ligne 129 à 130.
[4] Paragraphe 16 de la déclaration.
[5] Sur toute cette question, voir en particulier le témoignage de Christian Leblanc, fils du défendeur, mais témoin assigné et produit par la demanderesse à l’enquête.