Savoie c. Dubois

2013 QCCQ 1489

JF0978

 
 COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

SAINT-HYACINTHE

LOCALITÉ DE SAINT-HYACINTHE

« Chambre civile »

 

 

 

 

N° :

750-22-004994-111

 

DATE :

7 FÉVRIER 2013

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MARC-NICOLAS FOUCAULT, J.C.Q.

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DENIS SAVOIE ET GHISLAINE LAPIERRE

            Demandeurs

c.

 

DOMINIC DUBOIS ET ANICÉE PELLETIER

 

-et-

 

ME CHRISTIAN DAVIAU, NOTAIRE

            Défendeurs

 

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JUGEMENT

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[1]              M. Savoie et Mme Lapierre (vendeurs) réclament, de M. Dubois et Mme Pelletier (acheteurs), la somme de 38 518,54 $ principalement à titre de remboursement du paiement de taxes à la consommation qu'ils n'ont pas réclamées lors de la vente de leur immeuble.

[2]              Ils réclament solidairement cette somme au notaire Christian Daviau (notaire Daviau) qu'ils tiennent responsable de leur omission de réclamer les taxes lors de la transaction.

[3]              Les acheteurs soutiennent avoir payé le prix d'achat négocié entre les parties et ne pas avoir été avisés de l'assujettissement de la transaction au paiement de taxes au moment de la vente.

[4]              Selon eux, ils ne peuvent être tenus responsables du remboursement des sommes versées par les vendeurs au ministère du Revenu.

[5]              Le notaire Daviau affirme avoir exécuté son mandat avec la prudence et la diligence raisonnable requise, notamment, quant à son devoir de conseil.

LES FAITS PERTINENTS

[6]              Depuis 2008, les vendeurs sont propriétaires d'un immeuble situé sur la rue Ottawa à Granby. Cet immeuble contient deux logements de 4 pièces et demie au premier étage et le rez-de-chaussée est réparti en deux endroits commerciaux dont un espace où on a déjà opéré un restaurant.

[7]              À l'hiver 2010, les acheteurs sont intéressés par l'immeuble, propriété des vendeurs. Ils veulent investir dans un immeuble à multiples logements. Ils contactent l'agente d'immeuble, Mme Lecapitaine, et effectuent quelques visites préalables.

[8]              À la première visite, très sommaire, ils remarquent que c'est un vieil immeuble, qu'il y a deux logements à l'étage et que le rez-de-chaussée, à ce moment, sert en grande partie de lieu d'entreposage.

[9]              Lors de la deuxième visite, l'acheteur, Dubois, explique au vendeur, Savoie, qu'il veut transformer l'immeuble en immeuble résidentiel. Il parle même de procéder à des travaux de réfection importants dans les espaces commerciaux.

[10]         Comme M. Dubois veut lui-même effectuer les travaux de rénovations, M. Savoie lui suggère de retenir les services de son frère pour l'aider.

[11]           Le 20 février 2010, les acheteurs signent une offre d'achat sur un formulaire de vente d'immeubles à usage résidentiel. Ils présentent une offre « ferme et final » (sic) au montant de 265 000 $. Cette offre est conditionnelle à l'obtention d'un financement. La seule modification faite par les vendeurs est que la vente soit faite sans garantie légale.

[12]           Le 2 mars 2010, les parties s'entendent sur les modalités de la vente et conviennent que le contrat sera signé devant notaire le 9 avril 2010.

[13]           Entre-temps, les acheteurs effectuent diverses démarches auprès d'une institution financière et de la ville de Granby. La Ville leur donne, le 17 mars 2010, l'autorisation de transformer l'affectation de l'immeuble en un immeuble à vocation majoritairement résidentielle. Ces démarches ont pour but, notamment, de permettre l'obtention du financement pour l'achat de l'immeuble.

[14]           Comme les acheteurs obtiennent le financement requis, les parties mandatent le notaire Daviau afin de procéder à la rédaction d'un acte de prêt hypothécaire et de l'acte de vente.

[15]           Le 9 avril 2010, il rencontre les parties et fait la lecture de l'acte de vente incluant une clause concernant les taxes à la consommation :

«  DÉCLARATION DES PARTIES RELATIVEMENT À LA TAXE SUR LES PRODUITS ET LES SERVICES ET À LA TAXE DE
VENTE DU QUÉBEC

Le vendeur déclare, conformément aux dispositions de l'annexe V, partie 1, article 2 de la Loi sur la taxe d'accises , et de l'article 94 de la Loi sur la taxe de vente du Québec , que l'immeuble faisant l'objet de la présente vente est un immeuble "non-neuf" occupé principalement à titre résidentiel, qu'il n'a effectué aucune rénovation majeure et n'a pas réclamé et ne réclamera pas de crédit de taxe sur les intrants et remboursement de taxe sur les intrants relativement à l'acquisition ou à des améliorations apportées à l'immeuble.

En conséquence, la présente vente est exonérée selon les dispositions de la Loi sur la taxe d'accises et de la Loi sur la taxe de vente du Québec. »

[16]           L'acte de vente est signé séance tenante.

[17]           Suite à cette vente, les vendeurs reçoivent, en janvier 2011, des avis de cotisation concernant les taxes à la consommation qu'ils auraient dû percevoir lors de la vente de leur immeuble. Les sommes réclamées par les autorités sont les suivantes :

§      TVQ : 10 130,87 $

§      TPS :  7 083,16 $

[18]           Au printemps 2012, ils paient aux organismes gouvernementaux une somme totale d'environ 25 000 $.

ANALYSE ET DÉCISION

La responsabilité des acheteurs :

[19]           Les parties doivent respecter les obligations prévues aux lois fiscales. En vertu de ces lois, il revient au vendeur, d'une fourniture taxable, de percevoir les taxes applicables. L'acheteur, lui, doit les payer. Les lois prévoient un mécanisme de divulgation notamment en identifiant clairement sur la facture ou dans la convention écrite le montant des taxes payables [1] .

[20]           La jurisprudence établit que les obligations du vendeur d'une fourniture taxable doivent être exécutées au moment du contrat [2] .

[21]           En l'espèce, la preuve prépondérante démontre que les parties ont conclu une entente pour la vente de l'immeuble pour une somme totale et finale de 265 000 $.

[22]           En aucun temps, les vendeurs n'ont fait part, ni aux acheteurs, ni à l'agente d'immeuble et ni au notaire Daviau qu'une taxe devait être payée en plus du prix de vente convenu.

[23]           Les vendeurs devaient, pour pouvoir réclamer le paiement des taxes, se conformer aux prescriptions des lois lors de la signature du contrat de vente. Comme ils ne s'y sont pas conformés, le Tribunal conclut qu'ils ne peuvent réclamer, aux acheteurs, le remboursement de ce qui a été versé aux différents organismes gouvernementaux.

[24]           Accepter cette réclamation équivaudrait à fixer un prix de vente différent de ce que les parties ont convenu.

[25]           Par conséquent, le recours contre les acheteurs est rejeté.

La responsabilité du notaire Daviau :

[26]         Le notaire a un devoir de vérification et de conseil qui fait en sorte qu'il doit éclairer les parties suivant leurs besoins respectifs et les circonstances particulières de chaque cas [3] . Il doit leur donner des avis sages et judicieux sur la nature et les conséquences juridiques et économiques de leur convention [4] .

[27]         Le notaire doit moduler ses conseils et ses explications selon le degré des connaissances, d'expérience et d'instruction des parties [5] .

[28]         Enfin, il doit y avoir un lien de causalité suffisant entre la faute du notaire et les dommages subis par le client. En cas contraire, le notaire ne peut être tenu responsable.

[29]         Les acheteurs doivent donc démontrer, par une preuve prépondérante, que le notaire Daviau a failli à son devoir de conseil et qu'en conséquence, ils ont subi des dommages.

[30]         La preuve démontre que le notaire Daviau n'a donné aucune information et n'a aucunement conseillé les vendeurs sur les conséquences d'une vente pour fins résidentielles dans le contexte de la présente vente.

[31]         Toutefois, la preuve démontre également que le notaire Daviau a lu le contrat aux parties. Aussi, les vendeurs ne pouvaient ignorer que la transaction était exonérée du paiement d'une taxe à la consommation mais qu'elle pouvait y être assujettie.

[32]         Leur expérience dans diverses transactions immobilières auxquelles ils ont participé, notamment celle concernant l'immeuble en l'espèce, démontre que les vendeurs connaissaient les tenants et aboutissants du mécanisme de perception et/ou d'exemption de taxes.

[33]         De plus, les vendeurs ne se sont pas inscrits en faux contre le contrat de vente. C'est donc dire que la déclaration à l'effet que l'immeuble est occupé principalement à titre résidentiel et que, par conséquent, la vente est exonérée en vertu des lois concernant les taxes de vente, doit être tenue pour avérée.

[34]         Leur inaction tant avant, pendant ou après la signature de l'acte de vente démontre qu'ils n'avaient pas une préoccupation à ce que les acheteurs paient, en sus du prix convenu, les taxes applicables.

[35]         En effet, la preuve prépondérante est plutôt à l'effet que les vendeurs sont demeurés silencieux tout au cours de la transaction. Leur silence leur aura permis de procéder à la vente d'un immeuble dont ils étaient incapables de soutenir les coûts.

[36]         Soulever, après coup, que le notaire Daviau a commis une faute dans son devoir de conseil et d'information serait pousser trop loin les devoirs d'un notaire procédant à la vente d'un immeuble.

[37]         Le Tribunal souligne que dans un autre contexte, en présence d'une personne non initiée et sans connaissance apparente des mécanismes concernant les taxes à la consommation, le notaire pourrait être blâmé de ne pas avoir conseillé la partie concernée. Ce n'est pas le cas en l'espèce.

[38]         Le Tribunal conclut que les vendeurs n'ont pas démontré par une preuve prépondérante que le notaire Daviau a failli à son devoir de conseil dans le présent dossier.

Les dommages

[39]         Compte tenu de la conclusion du Tribunal quant à la responsabilité des acheteurs et du notaire Daviau, il devient académique de traiter la question des dommages.

[40]         Toutefois, le Tribunal souligne que même si la responsabilité de quelqu'un avait été retenue, les dommages réclamés n'ont pas été prouvés par une preuve prépondérante.

[41]         En effet, bien que la preuve démontre qu'une somme a été versée aux organismes gouvernementaux, les vendeurs n'ont pas établi la somme versée des suites de la transaction de l'immeuble de la rue Ottawa.

[42]         De plus, les réclamations pour stress, inconvénients et honoraires extrajudiciaires n'ont pas fait l'objet d'une preuve.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE la requête introductive d'instance;

LE TOUT avec dépens.

 

 

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MARC-NICOLAS FOUCAULT, J.C.Q.

 

 

BASTIEN MORAND & ASSOCIÉS

Me Marie-Claude Duval

Avocate des demandeurs

 

Grégoire Poitras Payette Rhéaume Messier

Me Yannick Messier

Avocat des défendeurs Dominique Dubois et Anicée Pelletier

 

LAPOINTE ROSENSTEIN MARCHAND MELANÇON

Me Hélène B. Tessier

Avocate du défendeur Me Christian Daviau, notaire

 

 

Date d’audience :

Le 22 et 23 octobre 2012

 



[1] Loi sur la taxe de vente, L.R.Q., c. T-0.1, art. 422 et 425 ; Loi sur la taxe d’accise , L.R. 1985, ch. E-15, art 221 et 223; Règlement sur la divulgation de la taxe d’accise, art. 2

[2] 9070-2945 Québec inc. c. Patenaude , CanLII 2007 QCCA 447 , par. 47 ; Diotte c. Gagnon , CanLII 2009 QCCQ 196 ; Industries André inc. c. Potvin , CanLII 2009 QCCQ 17680 ; Romaniuk c. Broderies Pena s.e.n.c ., CanLII 2011 QCCS 1941 , par. 54; 130099 Canada inc. c. Lamontagne , CanLII 2009 QCCQ 7158 , par. 25 à 33

[3] Bouchard c. Boucher , CanLII 2007 QCCA 1559

[4] Fonds d'assurance-responsabilité professionnelle de la Chambre des notaires du Québec, service des sinistres c. Couture , CanLII 2012 QCCA 70

[5] Pneus Gaumond ltée c. Prévost , CanLII 2009 QCCS 4032