TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N o de dépôt :

2013-2731

 

Date :

6 février 2013

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DEVANT L’ARBITRE :

M FRANÇOIS HAMELIN

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Kruger inc. Trois-Rivières (Division des papiers pour publications),

 

ci-après appelée « l’employeur »

 

Et

 

Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (FTQ), section locale 136,

 

ci-après appelé « le syndicat »

 

 

Griefs collectifs n os 16-2011 et 17-2011

Nature du litige : Licenciement collectif

 

 

Convention collective : 2004-2009

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date du mandat : 16 mars 2012

Dates d’audience : 28 septembre 2012, 21 décembre 2012

Date de la décision : 6 février 2013

 

                                

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SENTENCE ARBITRALE

(Art. 100 et ss. C.t.)

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I-    LE LITIGE

[1]    Le 1 er août 2011, le syndicat a déposé deux griefs collectifs pour contester le licenciement de seize mécaniciens industriels et de quatre électrotechniciens survenu le 29 juillet 2011. En agissant de la sorte, selon le syndicat, l’employeur a violé deux mémoires d’entente.

-        Grief numéro 16-2011 [pièce S-6]

Nature du grief  : L’employeur a violé le mémoire d’entente daté du 31 Octobre 2009 Flexibilité des métiers lorsqu’il a mit à pied le 29 juillet 16 mécaniciens industriels visés par cette entente. Voir les noms en annexe.

Règlement recherché   : Que l’employeur respecte le mémoire d’entente daté du 31 Octobre 2009 Flexibilité des métiers. Qu’il rappelle immédiatement tout les mécaniciens industriels et que l’employeur paie a tout ces employés privés de travail toutes les heures de travail perdues au taux applicable avec tous les droits et privilèges prévus à la convention collective de travail le tout portant intérêts au taux prévu au code du travail.

[ Sic ]

-        Grief numéro 17-2011 [pièce S-7]

-        Nature du grief  : L’employeur a violé le mémoire d’entente daté du 10 juin 2008 Fusion des métiers d’électricien et de préposé à l’instrumentation lorsqu’il a mit à pied le 29 juillet 4 électro-techniciens visés par cette entente. Voir les noms en annexe.

-        Règlement recherché : Que l’employeur respecte le mémoire d’entente daté du 10 juin 2008 Fusion des métiers d’électricien et de préposé à l’instrumentation. Qu’il rappelle immédiatement tout les électro-techniciens et que l’employeur paie a tout ces employés privés de travail toutes les heures de travail perdues au taux applicable avec tous les droits et privilèges prévus à la convention collective de travail le tout portant intérêts au taux prévu au code du travail.

-        [ Sic ]

[2]    Les dispositions relatives à la sécurité d’emploi contenues dans chacun de ces mémoires d’entente sont identiques.

II-   LA PREUVE

[3]    À l’audience, les procureurs ont font entendre les témoins suivants qui, au moment des événements en cause dans la présente affaire, occupaient les fonctions ci-après indiquées :


La preuve du syndicat

—  M. Steve St-Pierre, mécanicien d’entretien et président de la section locale

La défense de l’employeur

—  M. Pierre Dallaire, directeur général de l’usine de Trois-Rivières

—  M. Michel Melançon, directeur général des relations de travail du Groupe Kruger

[4]    Ces témoignages, les documents déposés en preuve et les admissions faites par les parties révèlent les faits pertinents suivants.

[5]    L’usine de Trois-Rivières produit exclusivement du papier journal et est exploitée selon le système de travail continu. L’effectif de l’usine compte environ 400 employés, principalement regroupés dans la section locale des employés de production et des hommes de métier.

[6]    Au cours des vingt-cinq dernières années, l’industrie des pâtes et papiers a connu de nombreuses perturbations. Principalement en raison de la diminution de la demande, de la vive concurrence et des fluctuations de la devise canadienne, ces perturbations ont eu pour effet de faire graduellement passer la main-d’œuvre de l’usine de l’employeur de 1 200 employés en 1986, à 400 en 2012.

A)    Mémoire d’entente du 10 juin 2008

[7]    Ce mémoire d’entente porte sur la fusion des métiers d’électricien et de préposé à l’instrumentation.

[8]    Avant 2008, les électriciens et les préposés à l’instrumentation travaillaient de pair dans l’usine et l’idée de fusionner ces deux métiers semblait être une solution logique pour réduire les coûts de production.

[9]    Le syndicat a alors accepté le projet de fusion que lui a présenté l’employeur, à la condition que toute réduction de l’effectif permanent des électrotechniciens se fasse par attrition. L’employeur a accepté cette condition.

[10]         Le mémoire d’entente que les parties ont signé le 10 juin 2008 sur le sujet [pièce S-2] se lit comme suit :

OBJET : Fusion des métiers d’électricien et de préposé à l’instrumentation

1.     Suite aux discussions tenues entre les parties concernant la fusion des métiers d’électricien et de préposé à l’instrumentation en date du 1 er juillet 2008, il a été convenu que :

-        Un nouveau métier identifié « électrotechnicien » remplacera les métiers traditionnels d’électricien et de préposé à l’instrumentation;

-        La présente entente amende la convention collective présentement en vigueur et remplace tout article, entente et/ou pratique existante à l’usine qui restreint ou empêche l’application du but visé par la présente;

-        Nonobstant à ce qui précède, les règles prévues à l’article 32 de la convention collective et plus spécifiquement les paragraphes 9 b) et c) dudit article s’appliqueront aux électrotechniciens.

2.     But recherché

La création du nouveau métier précité a pour principal objet de permettre aux employés visés d’accomplir toute tâche en relation avec leurs aptitudes et leurs compétences, indépendamment de la spécificité de leur métier de base antérieur à la présente entente.

3.     Ancienneté

Les préposés à l’instrumentation et les électriciens seront fusionnés selon les modalités d’ancienneté à être convenues entre les parties.

4.     Sécurité d’emploi

a)     La Compagnie reconnaît que l’introduction de la fusion de ces deux métiers peut avoir un impact sur la main d’œuvre. En conséquence, toute réduction d’effectifs que pourrait entraîner la mise en application de la fusion , telle que décrite par la présente, se fera par attrition. Cette protection s’applique uniquement aux employés réguliers qui figurent sur la liste ci-jointe (voir annexe A si par ancienneté usine, voir annexe B si par ancienneté de service).

b)     Cet engagement ne s’applique pas aux employés réservistes, ainsi qu’à tout nouvel employé embauché après le 1 er juillet 2008, ni à des réductions d’effectifs résultant de d’autres causes que celle de l’application de la fusion, y compris sans s’y restreindre  :

i)       lors de changement technologique et/ou automatisation;

ii)      lors de fermeture totale et/ou partielle de l’usine et/ou d’un département;

iii)     lors de fermeture pour manque de commandes et/ou d’un département;

iv)    lors de cas fortuit ou toutes autres raisons en dehors du contrôle de la compagnie;

v)     lors de renvoi disciplinaire ou administratif;

vi)    lors de départ volontaire ou par attrition;

vii)   Cette sécurité d’emploi n’est pas une garantie d’un minimum d’heures de travail par semaine.

c)     Advenant une réduction de personnel, la formation additionnelle dont bénéficieront les employés afin de faciliter l’intégration de ces deux métiers de base (instrumentiste et électricien), ne pourra être invoquée afin de maintenir à l’emploi un employé junior au détriment d’un employé senior.

[…]

[Numérotation et soulignements ajoutés]

[11]         Les parties ont administré une longue preuve contradictoire concernant l’identité de certains salariés visés par ce mémoire d’entente. Je répondrai d’abord à la question principale soulevée par le grief et si nécessaire, je reviendrai sur cette preuve.

B)    Mémoire d’entente du 31 octobre 2009

[12]         Ce mémoire d’entente porte sur la « flexibilité des métiers ».

[13]         En 2009, le marché du papier s’est beaucoup détérioré, au point d’obliger l’employeur à réduire ses coûts de production.

[14]         Selon l’employeur, il fallait réduire l’effectif de production de 131 à 100 employés et après discussion, les parties ont convenu d’utiliser plusieurs mesures pour y parvenir, dont l’attrition, la mise sur pied d’un programme de préretraite et une plus grande flexibilité parmi les hommes de métiers.

[15]         C’est ainsi que l’employeur a fusionné plusieurs métiers (mécanicien d’entretien, soudeur, tuyauteur, mécanicien automobile, ferblantier, machiniste, peintre, maçon et préposé à l’hydraulique) en un seul métier, appelé « mécanicien industriel ». Un programme de formation d’une durée de deux ans a permis à chaque mécanicien industriel d’apprendre les rudiments des métiers qui n’étaient pas le sien.

[16]         En 2009 et 2010, l’employeur a effectivement dû réduire son effectif de production à 100 mécaniciens industriels et il est parvenu à le faire sans en licencier aucun.

[17]         Le 31 octobre 2009, les parties ont signé un mémoire d’entente portant sur la « flexibilité des métiers », similaire à celle de juin 2008 [pièce S-2] et dont les dispositions relatives à la sécurité d’emploi sont identiques.

[18]         Les extraits pertinents de ce mémoire d’entente [pièce S-3] sont les suivants :

OBJET : Flexibilité des métiers

Suite aux discussions tenues entre les parties concernant la fusion des métiers d’entretien (à l’exception du métier électrotechnique, lequel est déjà fusionné) en date du 1 er lundi suivant la ratification du présent mémoire d’entente par l’assemblée générale , il a été convenu que :

-        Un nouveau métier identifié « mécanicien industriel » remplacera les métiers de mécanicien, mécanicien auto, tuyauteur, machiniste et soudeur.

-        La présente entente amende la convention collective présentement en vigueur et remplace tout article, entente et/ou pratique existante à l’usine qui restreint ou empêche l’application du but visé par la flexibilité des métiers.

-        Nonobstant à ce qui précède les règles prévues à l’article 32 de la convention collective et plus spécifiquement les paragraphes 9 b) et c) dudit article s’appliqueront aux mécaniciens industriels.

But recherché

La création du nouveau métier de mécanicien industriel précité a pour principal objet de permettre aux employés visés d’accomplir toutes tâches en relation avec leurs aptitudes et leurs compétences, indépendamment de la spécificité de leur métier de base antérieur à la présente entente.

D’autre part, la création de la nouvelle classification de ″préposé à l’amélioration des lieux″ a pour objet de dédier une équipe devant mettre en place des pratiques visant à assurer un milieu de travail propre et bien organiser. Il est entendu que cette classification sera abolie par attrition des titulaires, lesquels ne sont pas remplacés.

Ancienneté

Suite à l’annonce de réduction des opérations, la Compagnie a déterminé le nombre d’employés requis par métier pour assurer l’entretien et la réparation de ses équipements. Ce nombre prend en considération le non remplacement de ces derniers lors d’absence et tient aussi compte du fait que les employés n’ont pas la flexibilité voulue à court terme pour optimiser la productivité de l’équipe d’entretien.

Les soudeurs, mécaniciens, machinistes, tuyauteurs et mécaniciens auto seront fusionnés une fois la réduction de main-d’œuvre réalisée par métier selon les modalités d’ancienneté prévues et seront fusionnées selon l’ancienneté de département. À cet effet, des corrections ont été apportées afin de respecter l’article 26.04 de la convention collective. (voir annexe si-jointe).

Mesures transitoires

Les parties reconnaissent que pour assurer une pleine flexibilité des compétences de l’équipe d’entretien, le plan de formation mis sur pied devra être complété.

Ainsi d’ici là, il sera tenu compte dans les affectations de travail, des connaissances et de l’expertise de chacun, tout en assurant leur développement dans leurs nouvelles qualifications dans l’autre métier.

[…]


Sécurité d’emploi

La Compagnie reconnaît que l’introduction de la fusion de ces métiers peut avoir un impact sur la main d’œuvre. En conséquence, toute réduction d’effectifs que pourrait entraîner la mise en application de la fusion, telle que décrite par la présente, se fera par attrition. Cette protection s’appliquera uniquement aux employés réguliers qui figurent sur la liste ci-jointe (voir annexe A)

Cet engagement ne s’applique pas aux employés réservistes, ainsi qu’à tout nouvel employé embauché après le 1 er octobre 2009, ni à des réductions d’effectifs résultant de d’autres causes que celle de l’application de la fusion y compris sans s’y restreindre :

-        lors de changement technologique et/ou automatisation

-        lors de fermeture totale et/ou partielle de l’usine et/ou d’un département;

-        lors de la fermeture pour manque de commandes et/ou de conditions de marché;

-        lors de cas fortuit ou toutes autres raisons en dehors du contrôle de la compagnie;

-        lors de renvoi disciplinaire ou administratif;

-        lors de départ volontaire ou par attrition,

-        Cette sécurité d’emploi n’est pas une garantie d’un minimum d’heures de travail par semaine.

Advenant une réduction de personnel, la formation additionnelle dont bénéficieront les employés afin de faciliter l’intégration de ces métiers, ne pourra être invoquée afin de maintenir à l’emploi un employé junior au détriment d’un employé sénior.

[…]

[ Sic ]

[19]         Les parties ont administré une longue preuve contradictoire concernant l’identité de certains salariés visés par ce mémoire d’entente. Je répondrai d’abord à la question principale soulevée par le grief et si nécessaire, je reviendrai sur cette preuve.

C)    La réduction des coûts

1)     Les années 2009 et 2010

[20]         En 2009, afin de permettre à l’employeur de réduire ses coûts d’exploitation, le syndicat a consenti à une baisse de salaire de l’ordre de 10%.

[21]         En 2010, l’employeur a dû procéder à la fermeture d’un département. Il en a résulté la mise à pied d’une dizaine d’hommes de métiers permanents, protégés par les clauses sur la sécurité d’emploi contenues aux mémoires d’entente de 2008 et 2009.

[22]         Dans son témoignage, M. St-Pierre a expliqué qu’à l’époque, le syndicat n’a pas contesté ces mises à pied, puisque cette réduction d’effectif découlait de l’une des sept exceptions prévues au mémoire d’entente, à savoir «  lors de fermeture totale et/ou partielle de l’usine et/ou d’un département  ».

2)     Le licenciement de 2011

[23]         Au printemps de 2011, M. Dallaire est devenu le directeur général de l’usine de Trois-Rivières et a notamment obtenu le mandat de redresser la situation financière difficile de l’usine le plus rapidement possible.

[24]         En consultant diverses études de marché et certains consultants spécialisés dans l’industrie des pâtes et papiers, M. Dallaire a constaté que depuis l’arrivée des médias électroniques et d’Internet haute vitesse, ce secteur vivait une crise majeure.

[25]         Ainsi, l’avènement des médias électroniques a eu pour conséquence de réduire considérablement le nombre de lecteurs de journaux et de ce fait, de voir les revenus publicitaires des journaux passer aux médias électroniques. Depuis 2007, a-t-il ajouté, la consommation de papier journal a chuté de moitié.

[26]         De plus, de poursuivre le témoin, le retour progressif à la parité entre la devise canadienne et la devise américaine a entraîné une perte graduelle de l’avantage concurrentiel des papeteries canadiennes qui vendent la majorité de leur production aux États-Unis.

[27]         M. Dallaire a ajouté que sur 23 usines de pâtes et papiers, l’usine de Trois-Rivières se situe maintenant au 21 e rang quant au coût de fabrication d’une tonne de papier, et au 20 e rang quant au coût de main-d’œuvre, rangs qu’elle n’avait jamais occupés par le passé.

[28]         Selon M. Dallaire, il fallait donc rationaliser la production afin de réduire ses coûts, exercice qui s’est soldé par le licenciement d’une vingtaine d’employés, le 29 juillet 2011. À l’époque, l’employeur a rencontré les représentants syndicaux afin de leur faire part de la situation et leur remettre un document qui l’explique en détail.

[29]         En contre-interrogatoire, M. Dallaire a précisé que la réduction de salaire de 2009 et les mises à pied de 2010 n’avaient pas été suffisantes pour enrayer l’hémorragie.

[30]         M. Dallaire a reconnu que la situation financière de l’usine s’était stabilisée en 2010 et 2011 — voire même légèrement améliorée —, mais, à son dire, pas suffisamment pour faire face à la concurrence mondiale. Selon lui, la situation financière de l’usine était alors trop vulnérable et la moindre secousse risquait d’être catastrophique. Pour l’améliorer, l’usine n’avait d’autre choix que de réduire ses coûts de fabrication et de main-d’œuvre.

[31]         C’est ainsi qu’afin de rationaliser sa production, l’employeur a licencié seize mécaniciens industriels et quatre électrotechniciens, tous des employés permanents bénéficiant de la sécurité d’emploi prévue aux mémoires d’entente précités.

[32]         Dans son témoignage, M. Melançon a expliqué que la sécurité d’emploi offerte par ces mémoires d’entente ne protégeait les employés que contre tout licenciement découlant directement de la fusion ou de la flexibilité des emplois, visées par lesdits mémoires.

III-  LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

A)    La plaidoirie syndicale

[33]         Le procureur syndical rappelle d’abord qu’en 2008, afin de permettre à l’employeur de réduire ses coûts de production, le syndicat a de bonne foi accepté de convenir d’un mémoire d’entente portant sur la fusion des métiers d’électricien et de préposé à l’instrumentation, à la condition expresse qu’il n’en résulte aucune mise à pied pour les employés permanents identifiés à la liste annexée audit mémoire d’entente.

[34]         C’est ainsi que, de poursuivre le procureur, les parties ont convenu, dans le mémoire d’entente, de dispositions expresses accordant cette protection aux employés en question. Au paragraphe 4.b), selon lui, le mémoire d’entente précise clairement que cette protection ne s’applique pas dans sept situations, dont l’énumération est précédée de l’expression «  y compris sans s’y restreindre  ».

[35]         Il est évident que seule la survenance de l’une ou l’autre des sept situations y énumérées - ou autres cas semblables - autorise l’employeur à ne plus offrir aux employés permanents identifiés en annexe la protection prévue par le mémoire d’entente.

[36]         Or, selon le procureur, les licenciements contestés par le grief à l’étude n’étaient destinés qu’à permettre à l’employeur de réduire ses coûts de production, ce qui, soutient-il, ne constitue pas une des situations énumérées au paragraphe 4.b) du mémoire d’entente de 2008, ni même une situation qui leur est apparentée.

[37]         Le procureur syndical ajoute que le raisonnement qui précède s’applique également au cas des mécaniciens industriels visés par le mémoire d’entente du 31 octobre 2009, puisque les deux mémoires d’entente contiennent les mêmes dispositions sur la sécurité d’emploi.


B)    La plaidoirie patronale

[38]         La procureure patronale soutient pour sa part que les licenciements visés par les griefs à l’étude découlent d’une nette dégradation de la situation de l’usine de Trois-Rivières sur le marché des pâtes et papiers, et respectent intégralement les dispositions des deux mémoires d’entente.

[39]         Au dire de la procureure, les deux mémoires d’entente — qui portaient respectivement, l’un sur la fusion de deux métiers, et l’autre sur la flexibilité des métiers - contenaient une clause qui interdisait à l’employeur, lors de la mise en application de cette « fusion » ou de cette « flexibilité », de licencier les employés qui étaient identifiés auxdits mémoires. Or, d’ajouter la procureure, il est évident que les licenciements contestés par le syndicat découlaient d’une situation tout autre.

[40]         Sur le sujet, la procureure rappelle d’abord que le paragraphe 4.a) du mémoire d’entente de 2008 - celui portant sur la fusion de deux métiers - stipule clairement que «  toute réduction d’effectifs que pourrait entraîner la mise en application de la fusion […] se fera par attrition  ».

[41]         Quant au paragraphe 4.b), de poursuivre la procureure, il précise expressément que «  cet engagement ne s’applique pas […] à des réductions d’effectifs résultant de d’autres causes que celle de l’application de la fusion  », ce qui, selon elle, est le cas en l’espèce.

[42]         Cet énoncé, ajoute-t-elle, qui exclut toute autre cause, est suive de l’expression «  y compris sans s’y restreindre  » qui précède l’énumération de sept situations. Selon la procureure, cette énumération n’est donc pas restrictive et ne se limite pas à d’autres situations du même genre, comme l’a prétendu le syndicat.

[43]         La procureure en conclut donc que l’article 4 des deux mémoires d’entente protège les employés permanents contre tout licenciement résultant de la « fusion » ou de la « flexibilité des métiers », mais contre rien d’autre. Dans tous les autres cas, insiste-t-elle, les dispositions relatives à la protection des emplois ne s’appliquent pas.

[44]         Subsidiairement, la procureure plaide que de toute façon, les licenciements visés par les griefs à l’étude découlaient de la dégradation de la position de l’usine dans l’industrie des pâtes et papiers, situation qui est prévue dans au moins trois des sept exceptions prévues aux mémoires d’entente, soit fermeture partielle d’un département, conditions de marché et raison en dehors du contrôle de l’employeur.

IV- DÉCISION ET MOTIFS

[45]         Dans la présente affaire, le syndicat allègue qu’en procédant au licenciement de seize mécaniciens industriels et de quatre électrotechniciens, le 29 juillet 2011, l’employeur a violé le mémoire d’entente du 31 octobre 2009 dans le premier cas, et celui du 10 juin 2008 dans le second. Les griefs que le syndicat a déposés à cet effet réclament le rappel au travail de ces salariés, avec pleine compensation pour les pertes subies.

[46]         Les deux mémoires d’entente contiennent des dispositions similaires sur la sécurité d'emploi, si bien que je n’étudierai que celles du mémoire d’entente portant sur la fusion des métiers d’électricien et de préposé à l’instrumentation, pour ensuite appliquer les conclusions auxquelles j’en serai venu aux deux griefs.

[47]         Avant d’analyser le mémoire d’entente en question, il est utile de rappeler ce que prévoit l’article 5 de la convention collective sur les « droits de l’employeur ».

[48]         Au paragraphe 5.01, le syndicat «  reconnaît que c’est la fonction exclusive et le droit de la direction de gérer et d’administrer les affaires de l’Employeur dans tous les rapports y compris la limitation, la réduction ou la cessation des opérations, sauf quand ce droit d’agir ainsi est restreint d’une façon spécifique d’après les termes de cette convention  ».

[49]         La convention collective reconnaît donc le droit discrétionnaire de l’employeur de gérer ses affaires comme il l’entend, pourvu qu’il ne fasse évidemment pas preuve d’abus, de malice ou de discrimination, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, puisque la preuve révèle que c’est parce que l’employeur n’était plus en mesure de faire face à la concurrence, en raison de ses coûts de production et de main-d’œuvre trop élevés, qu’il a décidé de procéder aux licenciements visés par les griefs à l’étude.

[50]         Le paragraphe 5.01 restreint toutefois le droit discrétionnaire de l’employeur d’administrer son entreprise comme il l’entend, en stipulant qu’il peut exercer ce droit, sauf lorsqu’il est « restreint d’une façon spécifique d’après les termes de cette convention  ».

[51]         Résoudre le présent litige revient donc à déterminer si certaines dispositions de la convention collective interdisaient à l’employeur de procéder au licenciement du 29 juillet 2011. Plus spécifiquement, il faut décider si ces licenciements contrevenaient à la clause 4.b) du mémoire d’entente du 10 juin 2008 [pièce S-2] et aux dispositions similaires du mémoire d’entente du 31 octobre 2009 [pièce S-3].

[52]         Comme je l’ai dit précédemment, je ne me servirai toutefois que du mémoire d’entente de 2008 pour étudier la présente affaire.

[53]         Comme son titre l’indique, ce mémoire d’entente porte sur la fusion des métiers d’électricien et de préposé à l’instrumentation.

[54]         L’article 1 de ce mémoire d’entente prévoit la création d’un nouveau métier d’électrotechnicien, résultant de la fusion des métiers d’électricien et de préposé à l’instrumentation.


[55]         L’article 2 précise que la création de ce nouveau métier est destinée à «  permettre aux employés visés d’accomplir toute tâche en relation avec leurs aptitudes et leurs compétences, indépendamment de la spécificité de leur métier de base antérieur à la présente entente  ».

[56]         L’article 3 n’est pas pertinent en l’espèce, alors que l’article 4, intitulé « Sécurité d’emploi », contient les dispositions directement visées par le présent litige.

[57]         Au paragraphe 4.a), après avoir reconnu que «  l’introduction de la fusion de ces deux métiers peut avoir un impact sur la main-d’œuvre  », les parties précisent que «  toute réduction d’effectifs que pourrait entraîner la mise en application de la fusion […] se fera par attrition  ». La clause précise ensuite que «  cette protection s’applique uniquement aux employés réguliers qui figurent sur la liste ci-jointe  ». La liste en question est annexée au mémoire d’entente.

[58]         Autrement dit, le paragraphe 4.a) stipule qu’aucune mise à pied ou licenciement des employés « réguliers » identifiés au mémoire ne peut résulter de la fusion des deux métiers et que si ladite fusion doit entraîner une réduction d’effectif, celle-ci ne pourra se faire que par attrition ou, si l’on préfère, que les employés identifiés au mémoire jouissent d’une protection d’emploi si la fusion en question devait se solder par une réduction de l’effectif.

[59]         Le paragraphe 4.b) qui suit précise et circonscrit l’étendue de la protection offerte au paragraphe précédent. Il précise en effet que «  cet engagement ne s’applique pas aux employés réservistes, ainsi qu’à tout nouvel employé embauché après le 1 er juillet 2008, ni à des réductions d’effectifs résultant de d’autres causes que celle de l’application de la fusion  » [soulignement ajouté].

[60]         Cet énoncé édicte donc clairement que la protection consentie au paragraphe 4.a) ne s’applique qu’aux réductions de l’effectif qui découlent expressément de la fusion des métiers, à l’exclusion de toute autre cause.

[61]         En d’autres termes, le mémoire d’entente ne confère aucune protection aux salariés si une situation autre que la fusion entraîne une réduction de l’effectif.

[62]         Le texte du paragraphe 4.b) est on ne peut plus clair sur le sujet en stipulant que «  cet engagement ne s’applique pas […] à des réductions d’effectifs résultant de d’autres causes que celle de l’application de la fusion  ».

[63]         Dans les circonstances, il n’était pas nécessaire de procéder à une énumération de situations où la sécurité d’emploi ne serait pas assurée, puisque la règle posée était générale et les prévoyait toutes. Manifestement par souci de clarté, les parties ont néanmoins préféré énumérer certaines situations où la sécurité d’emploi n’est pas assurée.


[64]         C’est ainsi que les parties ont ajouté à la règle générale une énumération de situations pouvant potentiellement entraîner une réduction de l’effectif non couverte par la garantie d’emploi offerte par le mémoire d’entente, tout en prenant soin d’ajouter, avant ladite énumération, l’expression «  y compris sans s’y restreindre  ».

[65]         Il est utile de préciser que puisqu’il s’agit d’exemples auxquels il ne faut pas se restreindre, l’énumération qui suit n’est ni limitative, ni générique.

[66]         Il faut bien comprendre que si, sur un sujet aussi important que la sécurité d’emploi, les parties avaient eu l’intention de ne pas accorder la protection prévue au mémoire d’entente dans certains types particuliers de situations, elles se seraient exprimées bien différemment et de manière beaucoup plus claire afin d’éviter toute confusion.

[67]         Ainsi, plutôt que de dire que la sécurité d’emploi «  ne s’applique pas […] à des réductions d’effectifs résultant de d’autres causes que celle de l’application de la fusion  », elles auraient manifestement dit que la sécurité d’emploi «  ne s’applique pas à des réductions d’effectifs résultant des causes suivantes  », à savoir les six causes énumérées par la suite.

[68]         Il est également intéressant de noter que l’énumération en question couvre pratiquement toutes les situations possibles où une réduction de l’effectif est rendue nécessaire :

i)       lors de changement technologique et/ou automatisation;

ii)      lors de fermeture totale et/ou partielle de l’usine et/ou d’un département;

iii)   lors de fermeture pour manque de commandes et/ou d’un département;

iv)    lors de cas fortuit ou toutes autres raisons en dehors du contrôle de la compagnie;

v)     lors de renvoi disciplinaire ou administratif;

vi)    lors de départ volontaire ou par attrition;

[69]         Indépendamment des conclusions auxquelles j’en suis venu sur le sens à donner aux dispositions de ce mémoire d’entente portant sur la sécurité d’emploi, il est intéressant de noter que les situations évoquées aux alinéas iii) et iv) sont en quelque sorte celles auxquelles renvoie l’employeur pour justifier les licenciements, à savoir «  manque de commandes  » en raison d’une position concurrentielle désastreuse, et «  toute raison en dehors du contrôle de la compagnie  », à savoir, encore une fois, la position désastreuse de l’employeur en raison de ses coûts de production trop élevés.

[70]         Il résulte de ce qui précède que la décision de l’employeur de licencier quatre électrotechniciens le 29 juillet 2011 ne contrevient pas à l’article 4 de la lettre d’entente du 10 juin 2008, parce que les licenciements en question ne découlent pas de l’application de la fusion des métiers, mais des conditions du marché.

[71]         Les commentaires et conclusions qui précèdent s’appliquent mutatis mutandis au mémoire d’entente du 31 octobre 2009 portant sur la flexibilité des métiers, et au licenciement des seize mécaniciens industriels.

V-  DISPOSITIF

[72]         Pour toutes les raisons qui précèdent, après avoir examiné la preuve et les plaidoiries, vérifié le droit et la jurisprudence applicables et sur le tout délibéré, je rejette les griefs collectifs numéros 16-2011 et 17-2011.

 

 

 

 

 

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François Hamelin, arbitre

 

 

Pour le syndicat :

Pour l’employeur :

M e Richard Bertrand

M e Marie-Hélène Jetté

 

Date du mandat :

Dates d’audience :

Date de la décision :

16 mars 2012

28 septembre 2012, 21 décembre 2012

6 février 2013

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Réf. : 6960-G