Kamco Construction inc. et Excavations Lapointe & Fils inc.

2013 QCCLP 1924

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Gaspé

21 mars 2013

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent

et Côte-Nord

 

Dossier :

473030-01A-1205

 

Dossier CSST :

4163590

 

Commissaire :

Raymond Arseneau, juge administratif

 

Membres :

Aubert Tremblay, associations d’employeurs

 

Jean-Claude Bélanger, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

Kamco Construction inc.

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Excavations Lapointe & Fils inc.

 

C.P.Q.M.C. international

 

C.S.D. - Construction

 

C.S.N. - Construction Montréal

 

F.I.P.O.E.

 

F.T.Q.

 

Syndicat québécois de la construction

 

Parties intéressées

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]            Le 22 mai 2012, l’entreprise Kamco Construction inc. (la requérante) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 14 mai 2012 à la suite d’une révision administrative.

[2]            Par cette décision, la CSST confirme les conclusions de son inspecteur inscrites aux rapports d’intervention RAP9079913 du 14 mars 2012 et RAP0511457 du 23 mars 2012 et aux avis de correction joints à ces rapports. Voici comment :

·            En ce qui a trait au rapport d’intervention et à l’avis de correction RAP9079913, elle confirme que l’inspecteur était justifié d’enjoindre à la requérante de se conformer aux deux dérogations suivantes :

-    dérogation numéro 1 : « Le cabinet d’aisance n’est pas chauffé à 18 degrés Celsius au minimum »;

-    dérogation numéro 2 : « L’employeur n’a pas fourni à ses travailleurs les moyens de se désaltérer, en mettant à leur disposition des fontaines ou des gobelets individuels propres avec une quantité suffisante d’eau potable »;

·            En ce qui a trait au rapport d’intervention et à l’avis de correction RAP0511457, elle confirme que l’inspecteur, lors de son intervention du 22 mars 2012, était justifié :

-      d’ordonner l’arrêt des travaux à l’intérieur d’une excavation sur le chantier situé au 15010, boulevard Lacroix, Saint-Georges;

-      d’enjoindre à la requérante de se conformer à une nouvelle dérogation (la dérogation numéro 3), formulée de la façon suivante : « Le maître d’œuvre n’a pas utilisé les méthodes et techniques visant à identifier, contrôler et éliminer les risques associés aux travaux d’excavation »;

-      de constater ensuite que la requérante s’est conformée aux trois dérogations précédemment identifiées.

[3]            La requérante est représentée à l’audience tenue le 22 janvier 2013 à Rivière-du-Loup.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]            La requérante demande au tribunal de déclarer que l’inspecteur de la CSST n’était pas justifié de lui enjoindre de se conformer à l’une ou l’autre des trois dérogations énumérées dans les avis de correction. De plus, elle demande au tribunal de déclarer que l’inspecteur n’était pas justifié d’ordonner l’arrêt des travaux à l’intérieur de l’excavation effectuée au 15010, boulevard Lacroix, Saint-Georges.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]            Le membre issu des associations d’employeurs et celui issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la requête de la requérante devrait être accueillie en partie.

[6]            Ils estiment que la preuve prépondérante confirme que l’inspecteur de la CSST était justifié d’émettre un avis de correction le 14 mars 2012 pour enjoindre à la requérante de se conformer aux dérogations numéros 1 et 2, puisque les travaux étaient commencés depuis quelques jours et qu’aucune mesure n’avait été prise pour rendre disponible aux travailleurs un cabinet d’aisance chauffé à 18 degrés Celsius au minimum et les moyens pour leur permettre de se désaltérer conformément aux dispositions réglementaires en vigueur. Par contre, ils considèrent que la dérogation numéro 3 n’était pas justifiée, puisque selon la preuve présentée, la requérante a utilisé les méthodes et les techniques requises pour identifier, contrôler et éliminer les risques associés aux travaux d’excavation.

[7]            Finalement, ils soulignent que les témoins entendus à l’audience ont fait la démonstration qu’il n’existait aucun danger le 22 mars 2012 justifiant l’inspecteur d’ordonner un arrêt des travaux d’excavation.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]            Au départ, il paraît opportun de dresser un bref historique des faits à l’origine du litige, et ce, en tenant compte de la preuve testimoniale et documentaire.

[9]            La requérante est une entreprise œuvrant dans le domaine de la construction.

[10]         À l’époque pertinente au présent litige, la requérante agissait comme maître d’œuvre sur un chantier de construction d’un nouveau bâtiment commercial situé au 15010, boulevard Lacroix, Saint-Georges. Des travaux de démolition d’un ancien bâtiment érigé sur le site devaient être effectués préalablement à l’érection de la nouvelle construction.

[11]         Dans la matinée du 14 mars 2012, un inspecteur de la CSST se rend sur le chantier de construction dans le cadre d’une visite de routine. À son arrivée, il constate que des travaux d’excavation et d’arpentage sont exécutés sur le site. Il considère que les installations sur le chantier dérogent à la réglementation en vigueur sous les deux aspects suivants :

-    le cabinet d’aisance qui y est installé n’est pas chauffé à 18 degrés Celsius (il spécifie que la température y est de 2 degrés Celsius);

-    les travailleurs n’ont pas à leur disposition des fontaines d’eau ou des gobelets individuels propres avec une quantité suffisante d’eau potable pour se désaltérer.

[12]         Le même jour, l’inspecteur rédige un rapport d’intervention (le rapport RAP9079913). Il indique avoir rencontré différentes personnes, dont des contremaîtres et quatre travailleurs à leur poste de travail. Il indique également que les travaux de démolition du bâtiment existant « ont débuté le lundi 12 mars 2012 et sont terminés ». Il précise que la démolition de ce bâtiment a été effectuée à l’aide d’une pelle hydraulique par Excavations Lapointe & Fils inc. (le sous-traitant).

[13]         L’inspecteur joint au rapport un avis de correction enjoignant la requérante à apporter dans un délai de 24 heures les corrections aux deux dérogations constatées, la première concernant la température du cabinet d’aisance et la seconde portant sur le manque de disponibilité d’eau potable. Ces dérogations font référence aux articles 3.2.6 et 3.2.7 (g) du Code de sécurité pour les travaux de construction [1] (le code de sécurité), qui énoncent ce qui suit :

3.2.6. Eau potable :

 

1. L'employeur doit fournir à ses travailleurs les moyens de se désaltérer, en mettant à leur disposition des fontaines ou des gobelets individuels propres avec une quantité suffisante d'eau potable.

 

2. Si l'eau ne provient pas d'un service d'eau municipal, elle doit être analysée au début du chantier et au moins à tous les 3 mois par la suite.

 

R.R.Q., 1981, c. S-2.1, r. 6, a. 3.1.6; D. 329-94, a. 29.

 

3.2.7. Cabinets d'aisance:

 

Dès le début des travaux, il doit y avoir au moins un cabinet d'aisance pour chaque tranche de 30 travailleurs ou moins jusqu'à concurrence de 7 cabinets. Ces cabinets d'aisance doivent être:

[…]

g) chauffés à 18 ºC au minimum;

[…]

R.R.Q., 1981, c. S-2.1, r. 6, a. 3.1.7; D. 329-94, a. 28 et 29.

 

 

[14]         Le 22 mars 2012, l’inspecteur intervient de nouveau sur le chantier. À ce moment-là, aucun interlocuteur de la requérante n’est sur place. Les seules personnes qu’il rencontre sont des employés du sous-traitant. Il constate que la requérante s’est conformée aux dérogations identifiées dans son avis de correction du 14 mars 2012. Par ailleurs, il estime que des travaux à l’intérieur d’une excavation effectuée pour la mise en place des services d’égouts et d’aqueduc ne sont pas conformes aux normes réglementaires applicables. Il fait alors référence à l’article 3.15.3.1 du code de sécurité, lequel édicte ce qui suit :

3.15.3. 1 . L'employeur doit s'assurer que les parois d'une excavation ou d'une tranchée sont étançonnées solidement, avec des matériaux de qualité et conformément aux plans et devis d'un ingénieur. Aucun étançonnement n'est exigé dans les cas suivants:

 

1° lorsque la tranchée ou l'excavation est faite à même du roc sain ou lorsqu'aucun travailleur n'est tenu d'y descendre;

2° lorsque les parois de la tranchée ou de l'excavation ne présentent pas de danger de glissement de terrain et que leur pente est inférieure à 45º à partir de moins de 1,2 m du fond;

 

3° lorsque les parois de la tranchée ou de l'excavation ne présentent pas de danger de glissement de terrain et qu'un ingénieur atteste qu'il n'est pas nécessaire d'étançonner, compte tenu de la pente, de la nature du sol et de sa stabilité. Une copie de l'attestation de l'ingénieur doit être disponible en tout temps sur le chantier de construction.

 

On entend par roc sain, un roc qui ne peut être excavé autrement qu'à l'aide d'explosifs.

 

2. L'étançonnement doit se prolonger de 300 mm en dehors de l'excavation, sauf dans le cas d'une tranchée creusée sur une voie publique lorsque cette tranchée doit être recouverte pour rétablir la circulation lors des périodes où il ne s'y fait pas de travaux. Lorsque le blindage de l'étançonnement est constitué d'éléments non jointifs, la prolongation de 300 mm en dehors de l'excavation doit être munie d'une plinthe de 300 mm de largeur.

 

3. L'étançonnement des parois doit être effectué au fur et à mesure de l'avancement des travaux à moins qu'il puisse se faire avant le début du creusage.

 

4. Au cours des travaux, l'employeur doit s'assurer que les parois sont inspectées et entretenues de façon à ce qu'il n'y ait jamais:

 

a) de pierre ou de matériaux susceptibles de s'en détacher; et

 

b) de masse surplombante.

 

Lorsque les parois ont subi des contraintes environnementales ou climatiques, les inspections doivent être plus fréquentes.

 

5. Il est interdit:

 

a) de déposer des matériaux à moins de 1,2 m du sommet des parois;

 

b) de circuler ou de stationner des véhicules ou des machines à moins de 3 m du sommet des parois, à moins qu'un étançonnement renforcé n'ait été prévu en conséquence;

 

c) de laisser les parois se détériorer.

 

6. Les étançons doivent être enlevés par une personne expérimentée ou sous sa surveillance:

 

a) de bas en haut; et

 

b) seulement aux endroits où les travailleurs n'ont plus accès.

 

R.R.Q., 1981, c. S-2.1, r. 6, a. 3.15.3; D. 807-92, a. 11.

 

 

[15]         L’inspecteur estime que la situation constatée constitue un danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique des travailleurs. Il décide donc d’ordonner un arrêt des travaux à l’intérieur de l’excavation. L’ordonnance vise la requérante et le sous-traitant.

[16]         Le même jour, l’inspecteur autorise la reprise des travaux à l’intérieur de l’excavation.

[17]         Le 23 mars 2012, l’inspecteur rédige un second rapport d’intervention (le rapport RAP0511457) en lien avec son intervention de la veille. Il y fait mention de ses observations et des motifs au soutien de sa décision d’ordonner un arrêt des travaux à l’intérieur de l’excavation et la reprise subséquente des travaux « suite aux correctifs apportés ». Voici précisément ce qu’il écrit sous ces aspects :

Description des observations et informations recueillies

 

Des travaux d’égouts et d’aqueduc sont exécutés par le sous-traitant Excavations Lapointe & Fils inc. et ceci dans le but de raccorder le nouveau bâtiment commercial. Concernant l’excavation faite pour les travaux d’égouts et aqueduc, je constate

- qu’elle n’est pas étançonnée;

- qu’elle a une profondeur d’environ 8’;

- que la pente des parois varie de 60º à 70º à partir de 1,2 mètre du fond;

- que les matériaux sont déposés à moins de 1,2 mètre du sommet de la paroi

- que les véhiculent circulent à moins de 3 mètres du sommet des parois;

- qu’une machine (compacteur) est stationnée à moins de 3 mètres de la paroi;

- que le travailleur, René Poulin, exécute des travaux dans l’excavation.

Compte tenu de ceci, j’ordonne l’arrêt des travaux à l’intérieur de l’excavation (voir décision émise). Les normes du CSTC concernant les excavations/tranchées sont mentionnées (voir la section 3.15 du CSTC).

 

Les correctifs sont apportés et l’excavation est conforme aux normes du CSTC. Compte tenu de ceci, j’autorise la reprise des travaux à l’intérieur de l’excavation (voir décision levée).

[…]

Décision émise

 

En vertu des pouvoirs qui me sont conférés par la LSST, article 186, j’ordonne l’arrêt des travaux à l’intérieur de l’excavation pour les motifs suivants :

- la pente des parois est supérieure à 45° à partir de 1,2 mètre du fond;

- les véhicules circulent à moins de 3 mètres du sommet des parois;

- une machine est stationnée à moins de 3 mètres du sommet de la paroi;

- les matériaux sont déposés à moins de 1,2 mètre du sommet de la paroi.

 

Afin d’éliminer le danger de glissement de terrain, l’employeur devra s’assurer que l’excavation est conforme aux notre du CSTC. L’employeur peut soumettre toute autre mesure à l’inspecteur qui en évaluera l’équivalence.

Les travaux à l’intérieur de l’excavation ne peuvent reprendre avant qu’un inspecteur ne l’ait autorisé en vertu de l’article 189 de la LSST.

Cette décision a été rendue le 22 mars 2012 en présence de M. André Boucher et les travailleurs.

 

Décision levée

 

En vertu des pouvoirs qui me sont conférés par la LSST, article 189, j’autorise la reprise des travaux à l’intérieur de l’excavation pour le motif suivant :

- suite aux correctifs apportés, l’excavation est conforme aux normes du CSTC.

 

Cette décision a été rendue le 22 mars 2012 en présence de M. Pascal Fortin et les travailleurs.

[ sic ]

 

 

[18]         L’inspecteur joint à ce second rapport un avis de correction enjoignant la requérante à apporter dans un délai de 24 heures les corrections nécessaires pour se conformer à une nouvelle dérogation (la dérogation numéro 3), formulée de la façon suivante : « Le maître d’œuvre n’a pas utilisé les méthodes et techniques visant à identifier, contrôler et éliminer les risques associés aux travaux d’excavation » [2] . Il spécifie cependant dans le même document que la requérante a effectué les correctifs requis.

[19]         Le 2 avril 2012, la requérante transmet à la CSST une demande de révision à l’encontre des décisions de l’inspecteur contenues aux rapports d’intervention RAP9079913 du 14 mars 2012 et RAP0511457 du 23 mars 2012 et aux avis de correction joints à ces rapports. Ces décisions sont ultérieurement confirmées à la suite d’une révision administrative [3] , d’où le présent litige.

[20]         À l’audience, deux témoins sont entendus, en l’occurrence, monsieur Marc Talbot, chargé de projet de la requérante et monsieur André Boucher, contremaître du sous-traitant. Des photos prises par l’inspecteur de la CSST lors de son intervention du 22 mars 2012 sont également déposées au dossier du tribunal en cours d’audience.

[21]         Monsieur Talbot commente les faits relevés par l’inspecteur de la CSST. Essentiellement, voici ce qu’il relate :

-         la requérante avait dûment avisé les autorités concernées de l’ouverture du chantier;

-         le sous-traitant avait procédé à la démolition du bâtiment existant sur le site du chantier dans les jours précédant la première visite effectuée par l’inspecteur, c’est-à-dire dans les jours précédant le 14 mars 2012;

-         lors de cette visite de l’inspecteur, le chantier était encore en phase d’aménagement;

-         à ce moment-là, la roulotte de chantier de la requérante n’était pas arrivée sur les lieux et c’est celle du sous-traitant qui servait à l’ensemble des employés;

-         le cabinet de toilette avait possiblement été livré sur le chantier la veille, ce qui explique que la température à l’intérieur ne respectait pas la norme réglementaire;

-         ce genre de cabinet est habituellement chauffé au moyen d’une chaufferette électrique;

-         la dérogation de l’inspecteur émise au sujet du manque de disponibilité d’eau potable s’explique également par le fait que le chantier était toujours en phase d’aménagement;

-         dans l’après-midi du 14 mars, la température à l’intérieur du cabinet était redevenue conforme à la norme et la dérogation émise pour le manque de disponibilité d’eau potable avait également fait l’objet des correctifs requis;

-         l’excavation dont il est fait état au second rapport d’intervention avait été effectuée pour raccorder les services d’eau et d’égouts sur le chantier;

-         l’excavation était faite à même une partie du terrain qui servait de stationnement au bâtiment érigé sur le site avant le début des travaux;

-         le sol à cet endroit était « compacté et stable »;

-         le sous-traitant avait planifié les travaux d’excavation (« il y avait un plan d’exécution des travaux »);

-         le sous-traitant effectuait les travaux d’excavation selon les règles de l’art.

[22]         Pour sa part, monsieur Boucher s’attarde de manière plus particulière sur l’intervention de l’inspecteur du 22 mars 2012, et ce, notamment en commentant les photos prises à cette occasion. Auparavant, il fait état de son expérience dans le domaine de la construction, soulignant y travailler depuis plus de 40 ans et être contremaître pour le sous-traitant depuis une dizaine d’années. Voici ce que le tribunal retient de son témoignage à propos de l’excavation :

-      il était présent sur le chantier lors des deux interventions de l’inspecteur;

-      lors de la seconde intervention, la requérante et le sous-traitant avaient tous deux dans une roulotte sur le chantier les livres et registres requis, incluant un programme de prévention, pour assurer une saine gestion des mesures de santé et sécurité;

-      l’excavation dont l’inspecteur fait mention était dans les faits une tranchée [4] d’une douzaine de pieds de longueur, d’une profondeur de 7 ou 8 pieds et d’une largeur de 6 pieds et demi à la base et entre 12 et 14 pieds au haut, c’est-à-dire au niveau du sol;

-      la pente des deux parois et de l’une des extrémités de la tranchée était, selon son estimation, de 45 degrés ou un peu moins à partir de 1,2 mètre du fond (probablement un peu moins, puisqu’il indique en cours de témoignage qu’elle était, à son avis, conforme aux normes);

-      la pente de l’autre extrémité était plus douce sur toute sa longueur (40 degrés selon son estimation), puisqu’elle servait de chemin d’accès pour permettre au compacteur de descendre dans l’excavation;

-      l’inspecteur n’a pas mesuré l’angle des pentes au moyen d’un instrument, ni avant d’ordonner l’arrêt des travaux à l’intérieur de l’excavation ni après;

-      le sol à cet endroit était « très solide », « très dur » et stable;

-      s’agissant d’un ancien stationnement, le sol était constitué de pavage à la surface, de deux pieds de gravier et de matériel de remplissage pour la strate la plus basse;

-      il n’y avait pas de danger de glissement de terrain;

-      il y avait un compacteur stationné près de la descente (le chemin d’accès) de la tranchée, qui servait à compacter le matériel de remplissage à l’intérieur de la tranchée;

-      l’utilisation d’un compacteur dans de telles circonstances est une méthode de travail usuelle;

-      ce compacteur était alors immobilisé;

-      à l’exception du compacteur, aucun autre véhicule ne se trouvait dans un rayon de moins de trois mètres de la tranchée;

-      le véhicule le plus près était un camion qui était immobilisé à environ 12 ou 14 pieds de l’une des parois;

-      ce camion servait d’atelier et il restait immobilisé sur place à longueur de journée;

-      il n’y avait aucune circulation de véhicules dans un rayon de moins de trois mètres de la tranchée;

-      le matériel excavé était déposé près de l’excavation;

-      ce matériel formait un amoncellement d’environ huit pieds de largeur;

-      le bord de l’amoncellement le plus près de la tranchée était, selon son estimation, à un mètre ou un peu plus d’un mètre;

-      ni lui ni l’inspecteur n’ont mesuré les distances à l’aide d’un instrument de mesure;

-      lorsque l’inspecteur l’a avisé qu’il ordonnait un arrêt des travaux à l’intérieur de l’excavation, il n’était pas d’accord avec la décision, mais a constaté qu’il était très facile de se conformer aux demandes de l’inspecteur sans perdre de temps (voici ce qu’il mentionne à ce sujet : « Moi dans ma tête c’était correct, mais on ne s’est pas obstiné avec çà… il n’y avait rien [dans le sens de peu de choses] à faire » [ sic ]);

-      il a donc demandé aux employés sous ses ordres de donner suite aux demandes de l’inspecteur, ce qui a été fait de la façon suivante : un opérateur de pelle mécanique n’a fait que « nettoyer » avec le « bucket » de sa machine les parois de la tranchée et le bord de l’amoncellement (sans déplacer l’amoncellement) et le compacteur a été déplacé de quelques pieds;

-      à propos du travail effectué par l’opérateur de pelle mécanique sur les cloisons de la tranchée, il spécifie que le résultat de cette opération, au plan esthétique, en améliorait l’apparence, commentant la situation dans les termes suivants : « […] on l’a nettoyé […] ça regardait mieux […] »;

-      l’ensemble des opérations effectuées pour se conformer aux demandes de l’inspecteur n’a pris que quelques minutes;

-      entre-temps, l’inspecteur s’en est allé dans son véhicule et lorsqu’il est revenu, il l’a avisé qu’il autorisait la reprise des travaux, et ce, sans mesurer quoi que ce soit.

[23]         Ce résumé des faits étant présenté, il y a lieu de faire un survol des principales dispositions législatives devant être considérées au regard du contexte global de la présente affaire.

[24]         L’objet de la Loi sur la santé et la sécurité du travail [5] (la LSST) est énoncé à son article 2 dans les termes suivants :

2.  La présente loi a pour objet l'élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs.

 

Elle établit les mécanismes de participation des travailleurs et de leurs associations, ainsi que des employeurs et de leurs associations à la réalisation de cet objet.

__________

1979, c. 63, a. 2.

 

 

[25]         L’article 9 de la LSST prévoit que les travailleurs ont droit à des conditions de travail qui respectent leur santé, leur sécurité et leur intégrité physique.

[26]         Les obligations générales des employeurs pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique de leurs travailleurs sont énoncées aux articles 51 et suivants de la LSST, notamment au paragraphe 5 de l’article 51 qui se lit comme suit :

51.  L'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l'intégrité physique du travailleur. Il doit notamment :

[…]

5° utiliser les méthodes et techniques visant à identifier, contrôler et éliminer les risques pouvant affecter la santé et la sécurité du travailleur;

[…]

__________

1979, c. 63, a. 51; 1992, c. 21, a. 303; 2001, c. 60, a. 167; 2005, c. 32, a. 308.

[27]         Il convient de souligner dès à présent que la LSST fait parfois référence à la notion de danger, par exemple à l’article 2, parfois à la notion de risque, par exemple au paragraphe 5 de l’article 51.

[28]         Dans l’affaire Centre hospitalier de Sainte-Mary et Iracani [6] , un banc de trois juges administratifs s’est attardé sur les distinctions à faire entre ces deux notions. Voici certains extraits de cette décision :

[56]     […] la Commission des lésions professionnelle s constate qu’il y a une distinction à faire entre les deux notions de « danger » et de « risque », même si dans certains dictionnaires il y a renvoi d’une notion à l’autre.

[…]

[84]      Il ressort de ces différentes dispositions que, bien que le législateur demande aux employeurs et aux travailleurs de prendre des mesures visant à réduire ou éliminer les risques, seule la présence de « danger », et non la présence de « risques », donne ouverture à l’exercice d’un droit de refus de travailler ou d’être réaffecté, selon le cas.

 

[85]     L’utilisation par le législateur du terme « danger » rejoint donc son sens usuel, soit une menace réelle par opposition à la notion de « risque » qui réfère plutôt à un événement possible mais dont la survenance est incertaine.

 

[86]     […] Par ailleurs, les deux notions sont inter-reliées puisque, plus les risques identifiés sont susceptibles de se concrétiser, plus la menace de danger apparaît réelle.

[…]

[88]      Les experts qui ont témoigné à l’audience ont confirmé l’impossibilité d’éliminer tous les risques dans un milieu de travail ou ailleurs. De l’avis du tribunal, même les activités de la vie quotidienne génèrent des risques. […]

 

 

[29]         Bien que le litige dans l’affaire Centre hospitalier de Sainte-Mary et Iracani [7] porte sur l’interprétation de la notion de danger dans le cadre d’un retrait préventif de la travailleuse enceinte en vertu de l’article 40 de la LSST, les principes qui s’en dégagent sont applicables à d’autres dispositions de la loi dans lesquelles il est aussi question de « danger », en y faisant les adaptations nécessaires et en tenant compte du contexte particulier de chaque litige.

[30]         D’ailleurs, cette décision est régulièrement citée et suivie dans des litiges devant le tribunal où il est question de la notion de danger, quel que soit l’article de loi évoqué. C’est ce que rappelait récemment le tribunal dans l’affaire Institut Philippe Pinel de Montréal et Comtois [8] dans les termes suivants :

[300]    Dans cette décision rendue par un banc de trois juges administratifs, les notions de « danger » et de « risques » ont fait l'objet d'une analyse approfondie, mais dans le cadre du retrait préventif de la femme enceinte prévu à l'article 40 de la loi. Cette décision a fait l'analyse d'une volumineuse jurisprudence du tribunal et a retenu certains principes de base qui sont, depuis, repris par la majorité des juges administratifs en matière d'inspection, de droit de refus d'un travailleur ou du droit à un retrait préventif, tous prévus à la loi.

[31]         Les articles 177 et suivants de la LSST traitent plus spécifiquement de l’inspection. Voici ce qui est mentionné au paragraphe 1 de l’article 180, à l’article 182 et aux paragraphes 1 et 2 de l’article 186 :

180.  En outre des pouvoirs généraux qui lui sont dévolus, l'inspecteur peut :

1° enquêter sur toute matière relevant de sa compétence;

[…]

__________

1979, c. 63, a. 180.

 

182.  L'inspecteur peut, s'il l'estime opportun, émettre un avis de correction enjoignant une personne de se conformer à la présente loi ou aux règlements et fixer un délai pour y parvenir.

__________

1979, c. 63, a. 182.

 

186.  Un inspecteur peut ordonner la suspension des travaux ou la fermeture, en tout ou en partie, d'un lieu de travail et, s'il y a lieu, apposer les scellés lorsqu'il juge qu'il y a danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique des travailleurs.

 

Il doit alors motiver sa décision par écrit dans les plus brefs délais et indiquer les mesures à prendre pour éliminer le danger.

[…]

__________

1979, c. 63, a. 186.

 

 

[32]         À partir d’ici, nous traiterons séparément les questions en litige, en commençant par les diverses dérogations identifiées dans les deux avis de correction émis.

Dérogation numéro 1 : Température du cabinet d’aisance

[33]         Selon la preuve, les travaux sur le chantier étaient commencés depuis au moins quelques jours lors de l’intervention initiale de l’inspecteur.

[34]         En effet, l’inspecteur indique dans son rapport d’intervention RAP9079913 que les travaux de démolition du bâtiment existant « ont débuté le lundi 12 mars 2012 et sont terminés ».

[35]         Or, cette information n’a pas été contredite par les témoins entendus à l’audience.

[36]         Cette prémisse étant établie, l’article 3.2.7 du code de sécurité est clair : «  Dès le début des travaux , il doit y avoir au moins un cabinet d'aisance pour chaque tranche de 30 travailleurs […]. » [nos soulignements].

[37]         À l’évidence, la requérante, à titre de maître d’œuvre sur le chantier de construction, ne s’était pas conformée à cette obligation lors de l’intervention initiale de l’inspecteur.

[38]         L’inspecteur était donc justifié d’enjoindre à la requérante de se conformer à cette dérogation.

Dérogation numéro 2 : Manque de disponibilité d’eau potable

[39]         Contrairement à l’article 3.2.7 , l’article 3.2.6 du code de sécurité ne spécifie pas textuellement que les travailleurs doivent avoir les moyens de se désaltérer dès le début des travaux.

[40]         En réalité, l’article 3.2.6 ne fait pas mention d’un délai particulier.

[41]         Cela étant dit, lors de l’intervention initiale de l’inspecteur, les travaux sur le chantier étaient commencés depuis au moins quelques jours et les travailleurs du sous-traitant avaient même eu le temps de procéder à la démolition du bâtiment existant sur le site.

[42]         Dans ce contexte, même si la requérante estime que le chantier était encore en phase d’aménagement lors de l’intervention initiale de l’inspecteur, elle aurait facilement pu ― et aurait dû ― s’assurer que les travailleurs, dans l’intervalle, aient les moyens de se désaltérer. Il faut ici souligner que ce genre d’obligation peut être respectée sans long délai. Il suffit de mettre à la disposition des travailleurs des fontaines ou des gobelets individuels propres avec une quantité suffisante d’eau potable. D’ailleurs, la preuve présentée confirme que la situation a été régularisée le jour même de l’intervention initiale de l’inspecteur.

[43]         Vu ce qui précède, l’inspecteur était justifié d’enjoindre à la requérante de se conformer à cette dérogation.

Dérogation numéro 3 : Référence aux obligations de l’article 51 (5) de la LSST

[44]         Le tribunal présume que l’inspecteur, en rédigeant le texte de la dérogation numéro 3, faisait référence aux motifs inscrits dans son rapport d’intervention RAP0511457 au regard des travaux d’excavation.

[45]         Sur ce, rappelons que l’inspecteur n’était pas présent à l’audience et que la CSST n’est pas intervenue devant le tribunal.

[46]         Dans son rapport d’intervention RAP0511457, l’inspecteur écrit que l’excavation n’est pas conforme aux normes de l’article 3.15.3.1 du code de sécurité, puisque :

-    la pente des parois est supérieure à 45 degrés à partir de 1,2 mètre du fond;

-    les véhicules circulent à moins de 3 mètres du sommet des parois;

-    une machine est stationnée à moins de 3 mètres du sommet de la paroi;

-    les matériaux sont déposés à moins de 1,2  mètre du sommet de la paroi.

[47]         S’il s’en remettait uniquement au contenu de ce rapport d’intervention, le tribunal avaliserait les conclusions de l’inspecteur à propos de l’excavation.

[48]         En revanche, en tenant compte de l’ensemble de la preuve, en particulier du témoignage de monsieur Boucher, le tribunal fait une lecture très différente de la situation évoquée. C’est ce qui résulte du cumul des éléments de preuve énoncés dans les prochains paragraphes.

[49]         Premièrement, le témoignage de monsieur Boucher est apparu hautement crédible et empreint d’une grande clarté.

[50]         Deuxièmement, et il s’agit ici d’un élément important, monsieur Boucher affirme que l’inspecteur n’a pas mesuré l’angle des pentes des parois au moyen d’un instrument, pas plus que les distances, et ce, ni avant d’ordonner l’arrêt des travaux à l’intérieur de l’excavation ni après.

[51]         Troisièmement, au-delà du haut degré de crédibilité accordé au témoignage de monsieur Boucher, rien dans le rapport d’intervention RAP0511457 ne suggère que l’inspecteur a utilisé des instruments de mesure.

[52]         Quatrièmement, monsieur Boucher a une longue expérience dans le domaine de la construction et il n’y a aucune raison de douter de la justesse de son évaluation, que ce soit pour évaluer la distance entre deux points ou pour estimer l’angle des pentes des parois d’une excavation ou tranchée.

[53]         Cinquièmement, en ce qui a trait aux aspects plus techniques des normes de l’article 3.15.3.1 du code de sécurité, le tribunal retient ce qui suit du témoignage de monsieur Boucher :

-    ce que l’inspecteur désigne comme une excavation était dans les faits une tranchée constituée de trois parois et d’un chemin d’accès;

-      en raison de sa configuration (pente sur toute sa longueur) et de l’angle peu prononcé de sa pente, le côté de la tranchée utilisé comme chemin d’accès pour le compacteur n’était pas une paroi au sens que l’on donne habituellement à ce terme;

-      la pente des trois parois de la tranchée n’était pas supérieure ― plutôt probablement inférieure ― à 45 degrés à partir de 1,2 mètre du fond;

-      la pente du chemin d’accès était quant à elle plus douce sur toute sa longueur;

-      il n’y avait aucune circulation de véhicules dans un rayon de moins de 3 mètres de la tranchée;

-      le véhicule le plus près de la tranchée était un camion qui servait d’atelier et il était immobilisé à longueur de journée à environ 12 ou 14 pieds de la paroi la plus près;

-      le compacteur était la seule machine stationnée aux abords du chemin d’accès de la tranchée;

-      aucun véhicule ni aucune machine n’étaient stationnés à moins de 3 mètres du sommet d’une des trois parois;

-      il n’y avait probablement pas de matériaux déposés à moins de 1,2 mètre du sommet de l’une des trois parois.

[54]         Sixièmement, rappelons que selon les explications de monsieur Boucher, pour se conformer volontairement aux demandes de l’inspecteur, peu de choses ont été faites. Par exemple, par rapport aux angles de la pente des parois, un opérateur de pelle mécanique n’a fait que « nettoyer » avec le « bucket » de sa machine les parois de la tranchée. Monsieur Boucher spécifie que l’ensemble des opérations demandées n’a d’ailleurs pris que quelques minutes. Le tout ne prouve évidemment pas que les normes de l’article 3.15.3.1 du code de sécurité étaient respectées au départ. Néanmoins, si les mesures évoquées par l’inspecteur dans son rapport d’intervention RAP0511457 étaient exactes (« […] profondeur [de l’excavation] d’environ 8’ […] la pente des parois varie de 60º à 70º à partir de 1,2 mètre du fond […] les matériaux sont déposés à moins de 1,2 mètre du sommet de la paroi […] » [ sic ]), il serait surprenant que les travaux correctifs aient pu être exécutés aussi rapidement.

[55]         Somme toute, en fonction de la preuve présentée, l’inspecteur n’était probablement pas justifié d’enjoindre à la requérante de se conformer à la dérogation numéro 3.

Ordonnance d’arrêt des travaux d’excavation

[56]         Récemment, dans l’affaire 9182-9119 Québec inc. et C.P.Q.M.C. international C.S.D. - Construction [9] , le tribunal a effectué une revue jurisprudentielle sur l’interprétation de l’article 186 de la LSST. Partant de cette décision et des enseignements sur la notion de « danger » découlant de la décision rendue dans l’affaire Centre hospitalier de Sainte-Mary et Iracani [10] , le soussigné résumerait ainsi les principes applicables au regard de l’article 186 :

-      la première condition permettant à un inspecteur de la CSST de rendre une ordonnance en vertu de l’article 186 est l’existence d’un danger;

-      le danger est plus qu’un risque en ce qu’il fait appel à une menace réelle alors que la notion de risque réfère à un événement dont la survenance, bien que possible, est moins certaine; autrement dit, pour être qualifiée de danger, la menace doit être plus que virtuelle et constituer davantage qu’une simple crainte, inquiétude ou appréhension;

-      ce danger n’a pas à être qualifié, l’article 186 faisant simplement référence à un « danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique des travailleurs », sans aucune autre exigence à cet égard;

-      l'ordonnance prévue à l'article 186 est une mesure d’exception, c’est-à-dire la mesure ultime mise à la disposition de l'inspecteur pour remédier à la présence d'un danger;

-      conséquemment, le pouvoir conféré par cet article doit être exercé, « avec discernement par l’inspecteur lorsqu’aucune autre mesure ne permet d’éliminer ce danger » [11] .

[57]         À ce stade-ci, il y a lieu de rappeler qu’un inspecteur peut conclure à la présence d’une situation dangereuse même si la réglementation en vigueur est respectée. Le même raisonnement vaut lorsqu’une situation donnée n’est couverte par aucune norme. Ces principes s’expliquent par le fait qu’au-delà des normes réglementaires, toutes les situations ne peuvent être prévues. C’est ce que soulignait le juge Monet de la Cour d’appel dans l’affaire Domtar inc. c. C.A.L.P. [12] , et ce, dans les termes suivants : « […] les situations sont trop variées et trop variables pour que le rédacteur de loi puisse les dénombrer à l'avance, compte tenu notamment des changements rapides de la technologie ».

[58]         En l’instance, le tribunal considère que l’existence d’un tel danger n’a pas été démontrée.

[59]         D’une part, la question ayant trait au respect des normes réglementaires (dans ce cas-ci, les normes de l’article 3.15.3.1 du code de sécurité) a été traitée dans la sous-section portant sur la dérogation numéro 3.

[60]         Il est inutile de revenir sous ce dernier aspect, si ce n’est pour rappeler qu’un inspecteur ne peut rendre une ordonnance en vertu de l’article 186 de la LSST sur simple constatation du non-respect d’une norme réglementaire. Dans tous les cas, comme mentionné au paragraphe 56, une telle ordonnance ne peut être émise qu’en présence d’un danger. C’est ce que réitérait le tribunal dans l’affaire TGC inc. et 9123-7511 Québec inc. (Forage et dynamitage Leblanc inc.) [13] dans les termes suivants :

[123]    Le tribunal est d’avis que même si une portion des pentes de cette tranchée pouvait ne pas respecter une norme réglementaire, les constatations faites par l’inspecteur et mentionnées dans son rapport ne pouvaient justifier la suspension des travaux. L’inspecteur aurait pu utiliser son pouvoir prévu à l’article 182 pour exiger une modification à la tranchée avant la poursuite des travaux. Cependant, les constatations qu’il rapporte dans son avis de suspension n’établissent pas qu’il y avait danger à cette date, justifiant l’émission d’une ordonnance de suspension des travaux dans la tranchée de la chambre de drainage. […].

 

 

[61]         Or, la preuve présentée en l’espèce ne pourrait soutenir la thèse voulant qu’il y ait eu un danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique des travailleurs œuvrant sur le chantier.

[62]         D’autre part, à l’exception de ce qu’il écrit à propos des normes de l’article 3.15.3.1 du code de sécurité, l’inspecteur ne soulève aucun autre motif pour justifier son ordonnance d’arrêt des travaux.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la requête de Kamco Construction inc.;

MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 14 mai 2012 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’inspecteur de la Commission de la santé et de la sécurité du travail était justifié le 14 mars 2012 d’enjoindre à Kamco Construction inc. de se conformer aux dérogations numéros 1 et 2 inscrites à l’avis de correction RAP9079913;

DÉCLARE que l’inspecteur de la Commission de la santé et de la sécurité du travail n’était pas justifié le 22 mars 2012 d’enjoindre à Kamco Construction inc. de se conformer à la dérogation numéro 3 inscrite à l’avis de correction RAP0511457;

DÉCLARE que l’inspecteur de la Commission de la santé et de la sécurité du travail n’était pas justifié le 22 mars 2012 d’ordonner l’arrêt des travaux à l’intérieur de l’excavation située au 15010, boulevard Lacroix, Saint-Georges.

 

 

 

 

Raymond Arseneau

 

 

 

 

M e Anne-Valérie Lamontagne

LEBLANC LAMONTAGNE ET ASSOCIÉS

Représentante de la partie requérante

 



[1]     L.R.Q., S-2.1, r.6.

[2]     L’inspecteur ne donne pas de détails additionnels à cet égard. Voici ce que le réviseur de la CSST écrit à propos de la teneur de la dérogation émise : « Pour la dérogation n 0 3, la Révision administrative comprend que l’inspecteur a émis cette dérogation pour que l’employeur s’assure dorénavant d’utiliser une procédure pour bien identifier, contrôler et éliminer les risques reliés aux travaux d’excavation. »

[3]     Le réviseur de la CSST spécifie que la demande de révision portant sur les conclusions du rapport d’intervention et sur l’avis de correction du 14 mars 2012 est recevable, « compte tenu des délais postaux ».

[4]     Cette explication est conforme à la définition de « tranchée » que l’on retrouve à l’article 1.1.34 du code de sécurité, dont voici le texte dans son intégralité : « “tranchée” : partie de terrain creusée à une profondeur d'au moins 1,2 m et dont la largeur de la base est égale ou inférieure à la profondeur. La largeur de la base se mesure entre les parois excavées ou entre une paroi excavée et une structure; ».

[5]      L.R.Q., c. S-2.1.

[6]     [2007] C.L.P. 395 (formation de trois juges administratifs).

[7]     Précitée, note 6.

[8]     2012 QCCLP 4254 .

[9]     2012 QCCLP 5797 .

[10]    Précitée, note 6.

[11]    Il s’agit des termes du tribunal dans l’affaire 9182-9119 Québec inc. et C.P.Q.M.C. international C.S.D. - Construction , précitée, note 9 .

[12]    [1990] C.A.L.P. 989 (C.A.).

[13]    2012 QCCLP 762 (décision invoquée par la représentante de la requérante lors de son argumentation).