COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

136988

Cas :

CM-2011-6904 et CM-2011-6905

 

Référence :

2013 QCCRT 0141

 

Montréal, le

15 mars 2013

 

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DEVANT LA COMMISSAIRE :

Esther Plante, juge administrative

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Faouzi Derradji

Plaignant

c.

 

A. Viglione & Frère

Intimée

 

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DÉCISION

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[1]            Le 15 septembre 2011, Faouzi Derradji (le plaignant ) dépose une plainte pour pratique interdite contre A. Viglione & Frère ( Viglione ou l’ employeur ) à la suite de son congédiement. Il allègue que Viglione, le 2 août précédent, l’a avisé que son contrat de travail prendrait fin le 19 août 2011 parce qu’il réclamait d’être rémunéré pour un supplément de travail. Il dépose également une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante à cette occasion.

[2]            Viglione conteste le bien-fondé des deux plaintes. Selon l’employeur, le plaignant n’a jamais réclamé de salaire additionnel avant son congédiement. Ensuite, il avait des motifs sérieux de le congédier, soit la qualité insatisfaisante de son travail ainsi que son manque d’intégrité et de loyauté.

LES faits

[3]            Viglione est une société en participation formée des compagnies 9026-2155 Québec inc. et 2857-6726 Québec inc., dont les présidents sont respectivement les frères, Antonio et Alfredo Viglione. Mario Viglione occupe le poste de secrétaire dans chacune des compagnies. Francesco Viglione, le petit-fils d’Antonio Viglione, est avocat et travaille au sein de l’entreprise familiale. Il est le principal dirigeant de la compagnie 2857-6726 Québec inc.

[4]            La société possède et administre l’immeuble à logements où travaille le plaignant comme concierge. Son embauche remonte au 2 juin 2008. L’immeuble (le 7100 ) compte 72 logements répartis sur 8 étages. S’ajoutent une piscine, un garage et un stationnement extérieur.

[5]            Les tâches du plaignant comprennent notamment la location des logements et la perception des loyers. Il s’occupe également du nettoyage, de l’entretien général de l’immeuble, du ramassage des ordures ménagères sur les étages et leur sortie les jours de cueillette, ainsi que des réparations mineures (incluant la plomberie, le plâtre et la réparation des planchers dans les logements). Il doit aussi faire les appels d’urgence, d’entretien pour les ascenseurs et répondre lors du transfert de la ligne téléphonique de location.

[6]            Le contrat de travail prévoit, par ailleurs, que le plaignant doit remplacer le concierge de l’immeuble voisin (le 7150 ), également un immeuble de 72 logements, «  durant sa période de congé et/ou vacances  ». Le plaignant et le concierge du 7150 s’occupent ainsi à tour de rôle des deux immeubles les fins de semaine, ce qui permet à chacun de prendre congé une fin de semaine sur deux.

[7]            Le plaignant travaille du matin au soir. Dès 7 h, il ouvre la buanderie et la piscine. Il ramasse les ordures ménagères sur les étages trois fois par jour et les sort deux fois par semaine pour la cueillette. Il nettoie les aires communes, dont les vitres de l’entrée principale chaque jour, et les deux ascenseurs, au besoin. L’aire de la piscine, incluant deux toilettes, est nettoyée deux fois par semaine. Il mentionne qu’il y a continuellement des logements à faire visiter. Sa journée se termine habituellement vers 20 h, par exemple, il doit attendre le retour des locataires qui travaillent pour effectuer des réparations dans leur logement. Il s’arrête le temps d’une sieste en mi-journée.

[8]            Pour Francesco Viglione, l’exécution des tâches prévues au contrat de travail ne requiert pas que le plaignant exécute autant d’heures.

[9]            En contrepartie, le plaignant reçoit un salaire brut hebdomadaire de 450 $. L’employeur met à sa disposition un logement de quatre pièces et demie incluant le chauffage, l’électricité et une ligne téléphonique. Le plaignant y réside avec son épouse et ses quatre enfants.

[10]         Le plaignant désigne Alfredo Viglione comme étant son supérieur immédiat. Celui-ci vient le voir tous les jours. Il ajoute qu’il se réfère aussi à Antonio Viglione et que Francesco Viglione se présente au 7100 de deux à trois fois par semaine.

la réclamation de salaire

[11]         Le plaignant déclare que le concierge du 7150 quitte son emploi le 27 mai 2011 et qu’il s’occupe de cet immeuble jusqu’à l’embauche du nouveau concierge, qu’il situe le 1 er août 2011. Il l’a fait à la demande d’Alfredo Viglione qui lui avait laissé entendre qu’il serait «  récompensé  » pour ce supplément de travail.

[12]         Le plaignant précise que deux candidats prennent la relève du concierge du 7150 au cours des mois de juin et juillet 2011. L’employeur remercie le premier, à la mi-juin 2011, après qu’il eut échoué une période d’essai de deux semaines. Selon le plaignant, le deuxième complète sa période d’essai dans les deux dernières semaines de juillet. Il les forme et les assiste dans leur travail. Il cesse de s’occuper du 7150 au cours de la dernière semaine de juillet.

[13]         L’épouse du plaignant corrobore son témoignage. Elle a elle-même fait visiter des logements et exécuté des travaux de nettoyage au 7150 pendant ces deux mois. Le locataire d’un immeuble voisin témoigne qu’il a vu le couple sortir des sacs d’ordures ménagères du 7150. En contre-interrogatoire, il ne peut donner d’indications supplémentaires.

[14]         De son côté, Antonio Viglione ne conteste pas que le plaignant ait travaillé au 7150 la première fin de semaine suivant le départ du concierge, alors qu’il devait normalement être en congé.

[15]         Francesco Viglione soutient qu’il y a toujours eu un concierge au 7150 au cours des mois de juin et juillet 2011 et que le plaignant n’y a pas, comme il le prétend, effectué de travail. Le nouveau concierge a été embauché le 1 er juillet et non le 1 er août. Il possède de l’expérience et s’initie au travail, avec Alfredo Viglione, dès le départ du premier candidat. Selon Mario Viglione, le premier candidat quitte une semaine avant le 1 er juillet. Il fait signer le contrat de travail au nouveau concierge le 1 er juillet.

le congédiement

[16]         Le 1 er août 2011, le plaignant rappelle à Alfredo Viglione qu’il s’était engagé à lui verser une compensation pour le travail supplémentaire effectué au 7150. Le plaignant s’emporte lorsque celui-ci lui répond qu’il ne lui avait rien promis. Il se souvient qu’il le traite alors de menteur et de voleur. Au terme de cet échange, Alfredo Viglione lui annonce qu’il recevra sa lettre de congédiement le lendemain.

[17]          Alfredo Viglione remet effectivement à l’épouse du plaignant un avis écrit de congédiement le lendemain. Ce dernier ne précise pas le motif du congédiement. Comme prévu au contrat de travail, Viglione accorde au plaignant un délai de 15 jours pour quitter son logement. Le plaignant cesse de travailler le 19 août 2011. Dans les faits, il quittera son logement le 1 er septembre suivant, avec l’autorisation de Viglione.

la cause du congédiement

[18]         Francesco Viglione déclare qu’Antonio, Alfredo, Mario Viglione et lui prennent la décision de congédier le plaignant en juillet. Ils ne sont pas satisfaits de la qualité générale de son travail. Ils estiment, par ailleurs, qu’il a violé son obligation de loyauté, ce qui, selon Francesco Viglione, s’ajoute à une «  accumulation de trop de choses  » et entraîne la rupture définitive du lien de confiance.

[19]         Celui-ci est formel : le plaignant n’a jamais demandé de rémunération additionnelle avant d’être congédié. Les gestionnaires ont pris connaissance de l’existence de sa réclamation de salaire après le dépôt d’une plainte en ce sens à la Commission des normes du travail. L’organisme a procédé à une enquête et n’en a pas reconnu le bien-fondé.

La qualité insatisfaisante du travail

[20]         Voyons d’abord la preuve administrée quant à la qualité insatisfaisante du travail du plaignant.

[21]         Antonio Viglione met l’accent sur le fait que l’épouse du plaignant fait tout le travail pour lui, tout en soulignant que le plaignant ne travaille pas le vendredi pour des motifs religieux. Il mentionne qu’il portait un bermuda et chaussait des sandales. Le plaignant réplique qu’on lui a fait un reproche concernant son habillement en 2010 et qu’il a acheté des vêtements pour corriger la situation.

[22]         Francesco Viglione vérifie l’entretien de l’immeuble chaque semaine. Le travail du plaignant, dit-il, laissait à désirer. Par exemple, en hiver, les locataires rentrent du gravier dans l’immeuble avec leurs bottes. Il a pu constater lors d’une visite qu’il y avait toujours du gravier dans l’entrée, même après qu’il en ait avisé le plaignant et que celui-ci se soit engagé à l’enlever. Il ajoute que les locataires se plaignaient au sujet de l’entretien de la piscine et du déneigement des entrées. Aviser le plaignant n’y changeait rien sur une base régulière. Le plaignant nie qu’il ait reçu des plaintes des locataires.

[23]         Les deux gestionnaires rappellent, par ailleurs, que le plaignant a reçu des avis de résiliation du contrat de travail à quelques reprises pendant la durée de son emploi. Le contrat prévoit, en effet, qu’une partie peut y mettre fin en donnant un avis écrit de 15 jours à l’autre partie. Le plaignant n’a pas su, selon eux, tirer profit des chances qu’ils lui ont accordées de s’améliorer.

[24]         Aucun d’eux, cependant, ne décrit les circonstances réelles entourant la remise et le retrait de ces avis si ce n’est que l’épouse du plaignant aurait intercédé pour lui auprès d’Antonio Viglione. Le plaignant réplique qu’il a reçu des avis simplement en raison du tempérament impulsif d’Antonio Viglione. Il ajoute que, pendant toute la durée de son emploi, on lui répétait qu’il serait congédié s’il ne faisait pas telle et telle chose ou, encore, qu’il serait congédié la prochaine fois.

[25]         Plus spécifiquement, les deux gestionnaires reprochent au plaignant d’avoir jeté sans autorisation les meubles d’un locataire et d’avoir utilisé un logement à des fins personnelles.

La disposition des meubles du logement 405

[26]         En avril 2011, le locataire du logement 405 déguerpit sans payer le loyer dû. Le plaignant nettoie et prépare le logement pour location à compter du 1 er mai suivant. Les gestionnaires lui tiennent rigueur d’avoir jeté les meubles du locataire, dont une cuisinière et un réfrigérateur, sans avoir préalablement obtenu l’autorisation d’en disposer. Antonio Viglione témoigne qu’il lui avait demandé de remiser les meubles de ce locataire dans l’espace de rangement.

[27]         Le plaignant répond qu’il n’y avait pas de réfrigérateur et que la cuisinière était irrécupérable. Il précise qu’on ne lui fait aucun reproche à ce sujet pendant la durée de son emploi. Il se souvient qu’Antonio Viglione lui a demandé s’il pouvait l’aider à localiser le locataire et qu’il lui a fourni les coordonnées du lieu de travail de ce dernier.

L’utilisation de l’espace de rangement

[28]         Le logement 100 est situé au sous-sol. Viglione s’en sert déjà comme espace de rangement depuis plusieurs années au moment de l’embauche du plaignant. Les compteurs d’Hydro-Québec ainsi que du matériel divers, tels de vieux meubles ayant appartenu à des locataires et des petits outils, y sont entreposés.

[29]         Viglione reproche au plaignant d’avoir utilisé ce logement de quatre pièces et demie à des fins personnelles, sans autorisation, et d’avoir changé la serrure.

[30]         Francesco Viglione y surprend le plaignant en juin-juillet 2011. Il s’interrogeait depuis quelque temps déjà sur ce que celui-ci pouvait faire là. Lors d’une visite, la porte du logement 100 est ouverte et il décide d’aller à la rencontre du plaignant. Il remarque la présence d’un réfrigérateur, d’une laveuse, d’une sécheuse, d’un lit, des vêtements et deux oiseaux en cage. Le lit sert, selon lui, puisqu’il est défait. Le plaignant lui répond qu’il vient faire des siestes. À l’audience, celui-ci ajoute qu’il utilise aussi l’espace pour avoir des moments d’intimité avec son épouse. Francesco Viglione lui indique qu’il ne peut vivre dans l’espace de rangement, ce que le plaignant nie, et qu’il ne peut avoir d’animaux dans son logement, selon son contrat de travail.

[31]         Francesco Viglione témoigne, par ailleurs, qu’Antonio Viglione avait déjà demandé au plaignant d’enlever ses affaires personnelles, en mai. Celui-ci a profité du fait que les gestionnaires étaient pris par la construction d’un nouvel immeuble pour accaparer le logement et changer la serrure.

[32]         Le plaignant déclare qu’Alfredo Viglione lui avait donné l’autorisation d’utiliser l’espace de rangement, par exemple pour y installer un ensemble de laveuse et sécheuse. Il n’a jamais reçu l’ordre de se départir des oiseaux et d’enlever ses affaires personnelles. Autrement, il s’y serait conformé. Il n’a pas changé la serrure comme l’employeur le prétend.

L’analyse et les motifs

la plainte pour pratique interdite

[33]         L’article 122 de la Loi sur les normes du travail , L.R.Q., c. N-1.1 (la LNT ) énonce :

Il est interdit à un employeur ou à son agent de congédier, de suspendre ou de déplacer un salarié, d’exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou des représailles ou de lui imposer toute autre sanction :

1° à cause de l’exercice par ce salarié d’un droit, autre que celui visé à l’article 84.1, qui lui résulte de la présente loi ou d’un règlement;

(…)

[34]         L’article 40 de la LNT précise :

Le gouvernement fixe par règlement le salaire minimum payable à un salarié.

 

Un salarié a droit de recevoir un salaire au moins équivalent à ce salaire minimum.

(Soulignement ajouté)

La présomption

[35]         Le salarié peut exercer un recours contre son employeur lorsque celui-ci lui impose une sanction, tel un congédiement, à cause de l’exercice d’un droit en vertu de la LNT, tel le fait de demander d’être rémunéré.

[36]         Comme il est difficile pour un salarié de prouver que la sanction résulte de l’exercice d’un droit prévu à la LNT, cette loi prévoit un mécanisme permettant d’établir une présomption que son employeur l’a congédié pour ce motif illégal.

[37]          Pour bénéficier de la présomption, le salarié doit satisfaire certaines conditions. Il doit prouver qu’il était un salarié au sens de la LNT et qu’il a exercé un droit y prévu. De plus, selon la jurisprudence, il doit y avoir une certaine concomitance entre la sanction et l’exercice du droit.

[38]         Ici, Viglione plaide essentiellement que le plaignant n’a pas réussi à établir qu’il avait exercé un tel droit dans la période précédant son congédiement. Il soutient que le plaignant n’a réclamé un supplément de salaire qu’après son congédiement et que sa réclamation n’était pas fondée, prenant appui sur la décision de la Commission des normes du travail de ne pas réclamer de salaire en sa faveur au terme de son enquête.

[39]         Or, il ressort de la jurisprudence que la réclamation opposée à l’employeur n’a pas obligatoirement à être fondée pour constituer l’exercice d’un droit lui résultant de la LNT. Dans l’affaire Lizotte c. Solutions Mindready inc ., 2007 QCCRT 0265 , la Commission écrit :

 

[55]      […] L’employeur prétend que le plaignant n’a pas exercé un droit selon la loi parce que sa réclamation est jugée sans fondement par la Cour du Québec environ deux ans après sa fin d’emploi. Or, pour déterminer l’établissement de la présomption, il faut nécessairement se reporter au moment de l’exercice du droit allégué, sinon la nature protectrice du recours serait bafouée.

[56]      Le juge Lesage écrit dans Investissements Tsatas Ltée c. Sagues , T.T. Montréal 500-28-000839-837, à la page sept :

« Il n’est pas essentiel pour prétendre exercer un droit que celui-ci soit effectivement fondé. Il suffit que la prétention des salariés ne soit pas frivole, qu’elle soit à première vue plausible. »

Il écrit aussi dans Perzow c. Dunkley , T.T. Montréal 500-28-000107-821, à la page 3, que le plaignant doit avoir :

[…] de bonne foi, avec apparence de droit, demandé le bénéfice d’une disposition légale pertinente à ses conditions de travail. Si la demande est fantaisiste ou bien de pure forme ou encore insignifiante, on n’y verrait pas là l’exercice d’un droit accordé par la loi.

[40]         Dans les circonstances révélées par la preuve, il est plus probable qu’Alfredo Viglione ait demandé au plaignant de travailler au 7150 jusqu’à l’embauche d’un nouveau concierge qu’il ne l’ait pas fait. Réciproquement, il est plus probable que le plaignant se soit adressé à son supérieur immédiat pour être rémunéré qu’il ne l’ait pas fait.

[41]         Premièrement, il n’est pas contesté qu’Alfredo Viglione lui ait demandé de s’occuper des deux immeubles pendant la première fin de semaine suivant le départ du concierge alors qu’il devait normalement être en congé.

[42]         Deuxièmement, il est difficile de croire que l’employeur ait pu laisser un immeuble de 72 logements entre les mains du deuxième candidat pendant la période plus ou moins longue, selon que l’on retienne la version du plaignant ou de l’employeur, qui s’écoule avant son embauche. En effet, l’employeur prévoit expressément dans le contrat de travail de ses concierges qu’ils doivent remplacer le concierge de l’immeuble voisin en cas d’absence et de congé. Rappelons que le premier candidat travaille au 7150 pendant les deux premières semaines de juin 2011, ce que tous reconnaissent, et que son successeur est embauché, au plus tôt, deux semaines plus tard, le 1 er juillet.

[43]         Sans préjuger du bien-fondé de la réclamation du plaignant, ce n’est pas le rôle de la Commission de déterminer la quantité de travail et le salaire qui pouvait lui être dû le cas échéant, il est vraisemblable qu’il ait montré le travail de concierge et assisté chacun des deux candidats pendant une certaine période, comme son épouse et lui en témoignent, donc qu’il ait accompli des tâches au 7150, avec l’assistance de son épouse.

[44]         Dans les circonstances, le plaignant a établi qu’il avait des motifs raisonnables et probables de croire que l’employeur pouvait lui devoir du salaire pour l’exécution de ce travail qui s’ajoute à celui prévu à son contrat de travail. C’est effectivement le cas dans la mesure où son salaire hebdomadaire de 450 $ ne couvre pas le taux du salaire minimum pour toutes les heures travaillées. D’entrée de jeu, sa réclamation n’apparaît pas futile ou dilatoire, du moins pas au point de ne pas pouvoir constituer l’exercice d’un droit.

[45]         Le témoignage non contredit du plaignant établit que le congédiement survient le lendemain d’un échange avec Alfredo Viglione concernant la rémunération qu’il réclame pour le travail exécuté au 7150. Le fait que les trois autres gestionnaires aient pu n’en rien savoir au moment où la décision de le congédier fut prise, comme en témoigne Francesco Viglione, n’est pas pertinent au stade de la présomption. Cet élément pourrait l’être dans l’établissement d’une autre cause.

[46]         Par conséquent, la présomption est établie et la Commission doit présumer que le plaignant a été congédié parce qu’il a demandé d’être rémunéré. Dans ce contexte, Viglione doit convaincre la Commission qu’elle a congédié le plaignant pour une autre cause juste et suffisante.

L’autre cause juste et suffisante

[47]         Cette expression signifie, comme il a maintes fois été écrit, notamment par la Cour suprême dans l’affaire Lafrance c. Commercial Photo [1980] 1 R.C.S. 536 , que les motifs invoqués sont réels et sérieux, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de prétextes, mais de la cause véritable du congédiement du plaignant.

[48]         La décision de l’employeur repose essentiellement sur deux motifs : la qualité insatisfaisante de son travail ainsi que le manque de loyauté découlant de sa conduite en regard des logements 405 et 100.

La qualité insatisfaisante de son travail

[49]         L’employeur invoque que l’épouse du plaignant faisait tout le travail, qu’il portait des vêtements inappropriés, que l’immeuble n’était pas bien entretenu et que les locataires s’en plaignaient.

[50]         Or, il semble invraisemblable que l’employeur ait payé le plaignant à ne rien faire pendant trois ans, comme en témoigne Antonio Viglione, compte tenu de la nature et de la variété des tâches à accomplir ainsi que du nombre de logements.

[51]         Par ailleurs, la seule affirmation générale selon laquelle l’immeuble est mal entretenu et que les locataires s’en plaignent n’est pas suffisante. L’employeur a pu manifester son insatisfaction en donnant quelques avis de 15 jours pour mettre fin au contrat de travail, mais la preuve établit aussi qu’il les a retirés. En l’absence d’explications, il faut conclure qu’il jugeait lui-même la sanction disproportionnée en regard du manquement commis.

[52]         L’employeur en convient lui-même lorsqu’il allègue avoir congédié le plaignant, à qui il reprochait «  une accumulation de trop de choses  », pour son manque de loyauté. Qu’en est-il?

Le manque de loyauté

[53]         L’employeur soutient que le plaignant ne pouvait pas jeter l’ameublement du 405 sans préalablement obtenir son autorisation. Le plaignant souligne que rien n’était récupérable, mais il aurait dû en parler avant de procéder comme il l’a fait. Le manquement revêtait-il en avril pour l’employeur l’importance qu’il y attache à l’audience pour justifier le congédiement du plaignant? Il ne le démontre pas lorsqu’il sanctionne sa conduite trois mois après qu’il ait nettoyé et préparé ce logement.

[54]         L’utilisation de l’espace de rangement à des fins personnelles semble une autre situation que l’employeur monte en épingle pour justifier le congédiement. Il est vrai qu’il y a installé un lit de fortune et gardé deux oiseaux au milieu d’un bazar d’objets ne lui appartenant pas. Or, le plaignant n’a jamais été informé qu’il serait congédié s’il continuait de «  squatter  » l’espace où l’employeur range des outils et des meubles depuis de nombreuses années. De plus, la preuve n’établit pas que l’employeur envisageait de louer ce logement à court terme ni que le plaignant ait négligé de le préparer pour location au détriment des intérêts de son employeur.

[55]         De tout ce qui précède, la Commission conclut que Viglione n’a pas prouvé les reproches qu’elle formule à l’égard du plaignant ni le lien entre ces reproches et l’annonce, qui lui est faite le 2 août 2011, de son congédiement. Elle n’a pas renversé la présomption établissant que le plaignant a vu son emploi se terminer à cause de l’exercice d’un droit lui résultant de la LNT. Celui-ci a donc été congédié pour un motif illégal.

la plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante

[56]         L’article 124 de la LNT édicte :

Le salarié qui justifie de deux ans de service continu dans une même entreprise et qui croit avoir été congédié sans une cause juste et suffisante peut soumettre sa plainte par écrit à la Commission des normes du travail ou la mettre à la poste à l'adresse de la Commission des normes du travail dans les 45 jours de son congédiement, sauf si une procédure de réparation, autre que le recours en dommages-intérêts, est prévue ailleurs dans la présente loi, dans une autre loi ou dans une convention.

(…)

[57]         Le plaignant réunit les conditions de recevabilité de cette plainte. Puisque sa plainte pour pratique interdite est accueillie, la plainte en vertu de l’article 124 de la LNT l’est également. Un motif illégal ne peut, en effet, constituer une cause juste et suffisante de congédier.

Les remèdes

[58]         En matière de plainte sous l’article 122 de la LNT, l’article 123.4 de cette loi renvoie à l’article 15 du Code du travail, L.R.Q., c. C-27. La Commission doit replacer le plaignant dans l’état où il serait si le geste illégal n’avait pas été posé. Elle doit ordonner la réintégration de celui-ci dans son emploi avec compensation pour le salaire et les avantages perdus.

[59]         Ici, la Commission prend acte que le plaignant ne demande pas d’être réintégré et réserve sa compétence pour déterminer les autres remèdes appropriés dans le contexte de la plainte sous l’article 124 de la LNT.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

ACCUEILLE                  la plainte de congédiement à l’encontre d’une pratique interdite (CM-2011-6905) et la plainte de congédiement sans cause juste et suffisante (CM-2011-6904);

ANNULE                        le congédiement imposé à Faouzi Derradji ;

PREND ACTE              que Faouzi Derradji ne demande pas à être réintégré dans son emploi;

ORDONNE                    à A. Viglione & Frère de verser à Faouzi Derradji à titre d’indemnité, dans les huit (8) jours de la signification de la présente décision, l’équivalent du salaire et des autres avantages dont l’a privé son congédiement;

RÉSERVE                     sa compétence pour déterminer, le cas échéant, les mesures de réparation prévues à l’article 128 de la LNT.

 

 

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Esther Plante

M e Marie Cajazzo

RIVEST, TELLIER, PARADIS

Représentante du plaignant

 

M e Francesco Viglione

Représentant de l’intimée

 

Date de réception des dernières notes :

21 décembre 2012

/ls