Fonds Keren Habinyan D'Satmar c. Montréal (Ville de) |
2013 QCCQ 3323 |
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COUR DU QUÉBEC |
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Division administrative et d'appel |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
Montréal |
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« Chambre civile » |
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N : |
500-80-019352-112 |
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DATE : |
16 avril 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
JEAN-F. KEABLE |
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LE FONDS KEREN HABINYAN D'SATMAR
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Partie appelante |
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c.
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VILLE DE MONTRÉAL
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Partie intimée |
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC
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Partie intervenante et |
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LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC
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Partie mise en cause
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JUGEMENT EN APPEL D'UNE DÉCISION DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC, SECTION DES AFFAIRES IMMOBILIÈRES ( Loi sur la justice administrative, L.R.Q., c. J-3, art. 159 et ss, et Loi sur la fiscalité municipale, L.R.Q., c. F-2.1, art. 204 (12))
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L'objet de l'appel
[1] Après une première tentative infructueuse [1] suivie d'une décision en révision judiciaire [2] , le Tribunal accorde au Fonds Keren Habinyan D'Satmar (le Fonds) la permission d'appeler [3] de la décision rendue le 10 mai 2011 par le Tribunal administratif du Québec (TAQ) [4] , section des affaires immobilières.
[2] L'objet de l'appel est de répondre à la question suivante:
Le TAQ a-t-il erré en décidant que
le Fonds Keren Habinyan D'Satmar ne pouvait pas se prévaloir de l'article
[3] Selon la Loi sur la justice administrative, le Tribunal doit disposer de l'appel selon la preuve faite devant le TAQ, « sans nouvelle enquête » :
Décision sans appel.
164. La Cour du Québec connaît de l'appel selon la preuve faite devant le Tribunal, sans nouvelle enquête. Sa décision est sans appel. [6]
1996, c. 54, a. 164.
Les conclusions du Tribunal
[4] Pour les raisons qui suivent, le Tribunal rejette l'appel. La décision du TAQ satisfait à la norme de la décision raisonnable élaborée par la Cour suprême. La déférence est de mise devant l'interprétation d'un article de la Loi sur la fiscalité municipale (la LFM ) [7] lorsque la décision du TAQ est « motivée, intelligible et s'appuie sur des éléments pertinents » [8] . L'interprétation du TAQ est l'une de celles qui est raisonnablement possible dans le contexte où le pluralisme juridique est admis.
L'origine du litige et la disposition législative pertinente
[5] Il convient de reproduire les paragraphes 1 à 9 de la décision du TAQ pour cerner l'origine du litige et la disposition législative à interpréter :
[1] Le Tribunal administratif du Québec (le Tribunal) est saisi d’un recours par lequel la partie requérante, Fonds Keren Habinyan D’Satmar (le « Fonds »), demande que l'immeuble dont les caractéristiques sont les suivantes, fasse l’objet d’une exemption en vertu de l’article 204 paragraphe 12 de la Loi sur la fiscalité municipale [9] :
Matricule : |
9742-09-1226-9-000-0000 |
Unité d'évaluation : |
5665-5669, avenue Casgrain, Montréal (Plateau Mont-Royal) |
Rôle d'évaluation contesté : |
Triennal 2007-2008-2009-2010 |
Période effective : |
du 1 er juin 2009 au 31 décembre 2010 |
Valeur inscrite au rôle :
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Terrain : |
256 700 $ |
Bâtiment : |
4 143 300 $ |
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Total : |
4 400 000 $ |
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Proportion médiane : |
100 % |
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Facteur comparatif : |
1,00 |
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Valeur uniformisée : |
4 400 000 $ |
[2] Ce recours fait suite à la demande de révision déposée par la partie requérante demandant une telle exemption, ainsi qu’à la réponse de l’évaluateur rejetant la demande au motif que « L’organisme ne rencontre pas les conditions de l’article 204 » [10] .
[3] Cette demande de révision faisait suite à l’émission d’un certificat pour tenir compte des travaux de rénovation effectués sur l’immeuble en cause, dans le contexte où l’évaluateur municipal n’avait pas déclaré le Fonds exempt pour la période où ce dernier est d’avis qu’il aurait dû l’être.
[4] D’entrée de jeu les parties indiquent au Tribunal que la valeur portée au rôle ne fait pas l’objet du litige.
[5] À la suite des échanges entre les parties, la période sur laquelle porte le présent débat est réduite comme suit : du 12 janvier 2009 au 9 septembre 2010 .
[6] De même, la partie de l’immeuble, occupée par un centre de la petite enfance, ne fait plus l’objet du litige.
[7] La disposition devant
être interprétée pour trancher le présent litige, est l’article
204. Sont exempts de toute taxe foncière, municipale ou scolaire:
12° un immeuble compris dans une unité d'évaluation inscrite au nom d'une institution religieuse ou d'une fabrique, utilisé par elle ou gratuitement par une autre institution religieuse ou une autre fabrique, non en vue d'un revenu mais dans la poursuite immédiate de ses objets constitutifs de nature religieuse ou charitable, de même que ses dépendances immédiates utilisées aux mêmes fins;
[8] La partie intimée reconnaît que la partie requérante satisfait le critère selon lequel l’immeuble doit être utilisé « non en vue d'un revenu », mais elle conteste qu’elle ait pu constituer une institution religieuse pendant la période sur laquelle porte le litige.
[9] Ainsi, le débat devant le Tribunal se limite à déterminer si la partie requérante, pour tout ou partie de la période du 12 janvier 2009 au 9 septembre 2010, constituait une institution religieuse au sens de la LFM. [11]
La norme de contrôle
Un véritable droit d'appel?
[6] Le Procureur général du Québec (le Procureur général) invite le Tribunal à ne pas appliquer « le test de l'analyse relative à la norme de contrôle » qui caractérise la révision proposée dans l'arrêt Dunsmuir [12] .
[7]
Pour le Procureur général, les articles
[8] Cette prétention du Procureur général est, à la connaissance du Tribunal, constante depuis l'arrêt Dunsmuir . Maintes fois réitérée, elle n'a pas été retenue par les tribunaux, soucieux de respecter plusieurs arrêts de la Cour suprême; celle-ci assimile en effet l'appel à la révision judiciaire, voyant dans la création de tribunaux spécialisés une volonté du législateur d'accorder préséance à leur expérience spécifique.
[9] Si le Procureur général croit vraiment que sa volonté est toujours celle d'accorder un véritable droit d'appel à la Cour du Québec, comme le souhaitent notamment les policiers sanctionnés par le Comité de déontologie policière [13] , il lui appartient d'apporter les correctifs législatifs nécessaires.
Les arrêts phares de la Cour suprême et la norme de la décision raisonnable applicable
[10] Au fil des années, la norme de la décision raisonnable est précisée et, dans une certaine mesure, ramifiée. Une revue des arrêts phares le démontre bien.
[11] Dans Dunsmuir , discutant des assises de la norme de contrôle de la décision raisonnable, les juges Bastarache et LeBel indiquent, le 27 mars 2008, que cette norme commande le respect de la volonté du législateur de s'en remettre, pour certains domaines, à des décideurs administratifs. Il importe donc de respecter les raisonnements et les décisions fondées sur une expertise dans un domaine particulier.
[12] Concernant le pluralisme juridique, la Cour mentionne:
[41] Comme le
juge LeBel en fait longuement état dans l’arrêt
Toronto (Ville) c. S.C.F.P.
,
malgré les éclaircissements de la Cour dans l’arrêt
Ryan,
notamment au
chapitre des différences théoriques entre la norme du manifestement
déraisonnable et celle de la décision raisonnable
simpliciter
, il appert
de la jurisprudence que toute différence réelle sur le plan de l’application se
révèle illusoire (voir également les remarques de la juge Abella dans l’arrêt
Conseil
des Canadiens avec déficiences c. Via Rail Canada Inc.
,
[47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[48] […] À
cet égard, les décisions judiciaires n’ont peut-être pas exploré suffisamment
la notion de déférence, si fondamentale au contrôle judiciaire en droit
administratif. Que faut-il entendre par déférence dans ce contexte? C’est à la
fois une attitude de la cour et une exigence du droit régissant le contrôle
judiciaire. Il ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner
devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément
leurs interprétations. Elles ne peuvent pas non plus invoquer la notion de
raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues.
La déférence
suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du
droit. Elle « repose en partie sur le respect des décisions du gouvernement de
constituer des organismes administratifs assortis de pouvoirs délégués »
:
Canada
(Procureur général) c. Mossop
,
[49] La déférence inhérente à la norme de la raisonnabilité implique donc que la cour de révision tienne dûment compte des conclusions du décideur . Comme l’explique Mullan, le principe de la déférence [ TRADUCTION ] « reconnaît que dans beaucoup de cas, les personnes qui se consacrent quotidiennement à l’application de régimes administratifs souvent complexes possèdent ou acquièrent une grande connaissance ou sensibilité à l’égard des impératifs et des subtilités des régimes législatifs en cause » : D. J. Mullan, « Establishing the Standard of Review : The Struggle for Complexity? » (2004), 17 C.J.A.L.P. 59, p. 93. La déférence commande en somme le respect de la volonté du législateur de s’en remettre, pour certaines choses, à des décideurs administratifs, de même que des raisonnements et des décisions fondés sur une expertise et une expérience dans un domaine particulier, ainsi que de la différence entre les fonctions d’une cour de justice et celles d’un organisme administratif dans le système constitutionnel canadien . [14]
(nos soulignés)
[13] Dans Canada (Citoyenneté et immigration), le juge Binnie, rédigeant les motifs pour la majorité, rappelle, le 6 mars 2009, que le pluralisme juridique est maintenant bien reconnu en droit canadien et commande de la déférence de la part du tribunal d'appel:
[25] Je ne partage pas l’opinion du juge Rothstein selon laquelle, en l’absence d’une directive législative expresse ou nécessairement implicite, la cour de révision n’a pas à faire preuve de déférence à l’endroit d’un décideur administratif dans les affaires ayant trait au rôle, à la fonction et à l’expertise propres à ce décideur. Dans Dunsmuir , notre Cour a reconnu que, sans égard à l’existence d’une clause privative, il est maintenant admis qu’une certaine déférence s’impose lorsqu’une décision particulière a été confiée à un décideur administratif plutôt qu’aux tribunaux judiciaires. Cette déférence s’étend non seulement aux questions touchant aux faits et à la politique, mais aussi à l’interprétation, par le tribunal administratif, de sa loi constitutive et des dispositions législatives connexes étant donné « qu’une disposition législative peut donner lieu à plus d’une interprétation valable, et un litige, à plus d’une solution, et que la cour de révision doit se garder d’intervenir lorsque la décision administrative a un fondement rationnel » ( Dunsmuir , par. 41). Le principe de la déférence « reconnaît que dans beaucoup de cas, les personnes qui se consacrent quotidiennement à l’application de régimes administratifs souvent complexes possèdent ou acquièrent une grande connaissance ou sensibilité à l’égard des impératifs et des subtilités des régimes législatifs en cause » ( Dunsmuir , par. 49, citant le professeur David J. Mullan, « Establishing the Standard of Review : The Struggle for Complexity? » (2004), 17 C.J.A.L.P. 59, p. 93). En outre, la déférence « peut également s’imposer lorsque le tribunal administratif a acquis une expertise dans l’application d’une règle générale de common law ou de droit civil dans son domaine spécialisé » ( Dunsmuir , par. 54).
[26] L’arrêt Dunsmuir contredit la thèse selon laquelle il faut, en l’absence d’une disposition législative expresse ou nécessairement implicite, que la cour de révision « applique la norme de la décision correcte, comme elle le fait normalement en appel » (le juge Rothstein, par. 117). L’arrêt Pezim a été cité et appliqué dans de nombreuses décisions au cours des 15 dernières années. Ce qu’il nous enseigne se reflète dans Dunsmuir . Avec égard, je suis d’avis de rejeter la tentative de mon collègue de retourner à l’époque où certains tribunaux judiciaires s’attribuaient, en matière administrative, certaines compétences et connaissances qu’ils se sont en fait avérés ne pas posséder. [15]
(nos soulignés)
[14] Dans Smith, appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable, le 11 février 2011, la Cour suprême est d'avis que la décision du comité d'arbitrage répond aux exigences de celle-ci. Le raisonnement suivi par le comité pour interpréter et appliquer la disposition pertinente était cohérent. La Cour résume les préceptes préalablement établis dans Dunsmuir et fait référence à la prise en considération de la pluralité des solutions juridiques lors de l'application de la norme de contrôle de la décision raisonnable:
[5] À mon avis, la décision du second comité devrait être rétablie. Comme nous le verrons, cette décision ne pouvait être révisée dans le cadre d’un contrôle judiciaire que si elle était jugée déraisonnable.
[6] J’estime
au contraire que le comité a exposé sa décision de façon cohérente et que ses
conclusions sont tout à fait compatibles avec les dispositions législatives
qu’il était tenu d’appliquer, notamment l’art. 75 et le par.
[…]
[25] En conséquence, le juge qui procède au contrôle judiciaire peut utilement commencer son analyse en se demandant si l’objet de la décision soumise à son examen appartient à l’une des catégories mentionnées dans la liste non exhaustive figurant dans l’arrêt Dunsmuir . Suivant cette approche, la première étape suffira pour déterminer la norme de contrôle applicable en l’espèce.
[26] Selon
l’arrêt
Dunsmuir
, les catégories énumérées ci-après sont susceptibles de
contrôle judiciaire soit selon la norme de la décision correcte soit selon
celle de la décision raisonnable. La norme de la décision correcte s’applique :
(1) aux questions constitutionnelles; (2) aux questions de « droit générales
[qui sont] “à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans
son ensemble et étrangère[s] au domaine d’expertise de l’arbitre” » (
Dunsmuir
,
par. 60, citant l’arrêt
Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79
,
[…]
[38] Sur cet aspect de l’affaire, Alliance soutient enfin que l’adoption de la norme de la décision raisonnable irait à l’encontre du principe de la primauté du droit, en mettant à l’abri du contrôle judiciaire les décisions contradictoires des comités d’arbitrage quant à l’interprétation appropriée du par. 99(1) de la LONE . Je ne partage pas les craintes de l’intimée . Dans l’arrêt Dunsmuir , la Cour a affirmé qu’une question de droit qui ne revêt pas une importance capitale pour le système juridique « peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité » (par. 55), ajoutant qu’« [i]l n’y a rien d’incohérent dans le fait de trancher certaines questions de droit [en fonction de cette norme] » (par. 56; voir également l’arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P. , par. 71).
[39] D’ailleurs, même avant l’arrêt Dunsmuir , la norme de la décision raisonnable a toujours « [reposé] sur l’idée qu’une disposition législative peut donner lieu à plus d’une interprétation valable, et un litige, à plus d’une solution », de telle sorte que « la cour de révision doit se garder d’intervenir lorsque la décision administrative a un fondement rationnel » ( Dunsmuir , par. 41).
[40] Pour les motifs qui ont été exposés, la norme applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable et non celle de la décision correcte. Je vais maintenant examiner sous cet éclairage la question de savoir si la décision contestée du second comité satisfait à cette norme. [16]
(nos soulignés)
[15] Le 23 février 2011, le juge Dalphond de la Cour d'appel rejette une requête pour permission d'appeler et expose les limites du rôle de la Cour du Québec vis-à-vis une décision du TAQ, section des affaires immobilières, lorsqu'il s'agit d'interpréter certaines dispositions de la LFM :
[1] La question en litige devant le Tribunal administratif du Québec, section des affaires immobilières, en était une essentiellement de droit, soit l'interprétation de certaines dispositions de la Loi sur la fiscalité municipale , L.R.Q., c. F-2.1 (LFM), notamment son article 244.36.
[2] La Cour Suprême enseigne
que l'appel devant un tribunal à vocation élargie, non spécialisé, de la
décision d'un décideur spécialisé constitue une forme de contrôle judiciaire et
est assujettie aux principes énoncés dans
Dunsmuir
c. Nouveau-Brunswick,
[3] La LFM est intimement
liée au mandat confié à la section des affaires immobilières, dont les affaires
sont entendues par deux personnes, un évaluateur et un juriste (art.
32
et
[4] Il ne fait aucun doute à la lumière de l'arrêt tout récent de la Cour Suprême, Smith , qu’il s'agit d'une question de droit pour laquelle une cour de contrôle judiciaire, comme la Cour du Québec siégeant en appel du TAQ, doit faire preuve de déférence .
[5] La norme de la décision raisonnable était donc applicable à la décision de la section, et ce, par la Cour du Québec, siégeant en appel. C'est d'ailleurs une situation similaire à celle décrite dans l'affaire Smith , où la Cour fédérale siégeait en appel de la décision du comité arbitral formé en vertu de la Loi sur l'office national de l'énergie , L.R.C., 1985, c. N-7 .
[6] En l'espèce, le juge de la Cour du Québec mentionne, à bon droit, qu'il ne peut intervenir que si l'interprétation retenue par la section du TAQ des dispositions en cause est déraisonnable. Puis, après avoir procédé à une analyse de la LFM, il écarte l’interprétation du TAQ, qu’il trouve erronée.
[7] Saisie d'une requête en révision judiciaire, la juge Le Bel de la Cour supérieure retient, elle aussi, que la norme de la décision raisonnable s’applique, comme le juge de la Cour du Québec l'a mentionné. Cependant, elle lui fait grief d’avoir mal appliqué cette norme, d'avis qu'il a simplement substitué son interprétation de la LMF à celle du TAQ, sans démontrer le caractère déraisonnable de cette dernière.
[8] Je suis d'accord avec la juge Le Bel.
[9]
L’art.
[10] En l'espèce, le juge de la Cour du Québec n'aurait pas dû intervenir. La juge de la Cour supérieure a eu raison de conclure qu'il avait excédé sa compétence et, par voie de conséquence, d’annuler le jugement de la Cour du Québec et de rétablir la décision du TAQ. [17]
[…]
(nos soulignés)
[16] Dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne), traitant du caractère raisonnable d'une décision, la Cour, sous la plume des juges LeBel et Cromwell, précise, le 28 octobre 2011 :
C. Caractère raisonnable de la décision
[28] Dans l’arrêt Dunsmuir, les juges majoritaires définissent comme suit la norme du caractère raisonnable :
La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. [par. 47]
[29] La norme
du caractère raisonnable constitue donc une norme déférente qui se veut
respectueuse de l’expérience et de l’expertise du décideur administratif. La
notion de déférence joue un rôle fondamental en matière de contrôle judiciaire,
comme le conclut la Cour dans l’arrêt charnière
Syndicat canadien de la
Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du
Nouveau-Brunswick
,
[30] La notion de déférence permet également de distinguer le contrôle judiciaire de l’appel. Bien que les deux tiennent compte du principe de déférence, il faut se garder de les confondre. Dans le cas du contrôle judiciaire, la déférence peut protéger le décideur administratif d’une immixtion judiciaire trop poussée, même à l’égard de certaines questions de droit dès lors que celles-ci touchent au coeur même du mandat et du domaine d’expertise du décideur. En pareil cas, la déférence a pour effet de protéger toute une gamme d’interprétations raisonnables possibles de sa loi constitutive par le tribunal (voir R. E. Hawkins, « Whither Judicial Review? » (2010), 88 R. du B. can. 603).
[31] En
revanche, suivant les principes régissant l’appel qu’a posés l’arrêt
Housen
c. Nikolaisen
,
(nos soulignés)
[17] Dans Newfoundland and Labrador Nurses' Union, sans discuter du pluralisme juridique à proprement parler, ce récent arrêt de la Cour suprême élargit la notion de rationalité. Le 15 décembre 2011, la Cour précise que l'insuffisance des motifs ne permet pas, à elle seule, de casser la décision d'un tribunal administratif. Dans le cadre du contrôle judiciaire, il importe d'analyser les motifs et le résultat d'ensemble, c'est-à-dire, comme un tout. Afin de satisfaire aux critères énoncés dans Dunsmuir , les motifs doivent permettre au tribunal de comprendre le fondement de la décision attaquée et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles et raisonnables:
Analyse
[11] Il convient de reprendre les passages clés de l’arrêt Dunsmuir qui établissent le cadre de cette analyse :
La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel , ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
. . . Que faut-il entendre par déférence dans ce contexte? C’est à la fois une attitude de la cour et une exigence du droit régissant le contrôle judiciaire. Il ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations. Elles ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues. La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit. Elle « repose en partie sur le respect des décisions du gouvernement de constituer des organismes administratifs assortis de pouvoirs délégués » [. . .] Nous convenons avec David Dyzenhaus que la notion de [ traduction ] « retenue au sens de respect » n’exige pas de la cour de révision [ traduction ] « la soumission, mais une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » . . . [Je souligne.]
[12] Il importe de souligner que la Cour a souscrit à l’observation du professeur Dyzenhaus selon laquelle la notion de retenue envers les décisions des tribunaux administratifs commande [ TRADUCTION ] « une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision ». Dans son article cité par la Cour, le professeur Dyzenhaus explique en ces termes comment le caractère raisonnable se rapporte aux motifs :
[ TRADUCTION ] Le « caractère raisonnable » s’entend ici du fait que les motifs étayent, effectivement ou en principe, la conclusion. Autrement dit, même si les motifs qui ont en fait été donnés ne semblent pas tout à fait convenables pour étayer la décision, la cour de justice doit d’abord chercher à les compléter avant de tenter de les contrecarrer . Car s’il est vrai que parmi les motifs pour lesquels il y a lieu de faire preuve de retenue on compte le fait que c’est le tribunal, et non la cour de justice, qui a été désigné comme décideur de première ligne, la connaissance directe qu’a le tribunal du différend, son expertise, etc., il est aussi vrai qu’on doit présumer du bien-fondé de sa décision même si ses motifs sont lacunaires à certains égards. […] [Je souligne.]
[13] C’est
dans cette optique, selon moi, qu’il faut interpréter ce que la Cour voulait
dire dans
Dunsmuir
lorsqu’elle a parlé de « la justification de la décision
[ainsi que de] la transparence et [de] l’intelligibilité du processus
décisionnel ».
À mon avis, ces propos témoignent d’une reconnaissance
respectueuse du vaste éventail de décideurs spécialisés qui rendent couramment
des décisions — qui paraissent souvent contre-intuitives aux yeux d’un
généraliste — dans leurs sphères d’expertise, et ce en ayant recours à des
concepts et des termes souvent propres à leurs champs d’activité.
C’est sur
ce fondement que notre Cour a changé d’orientation dans
Syndicat canadien de
la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du
Nouveau-Brunswick
,
[14] Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §§12:5330 et 12:5510). Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).
[15] La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit » ( Dunsmuir , par. 48). Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.
[16]
Il se
peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions
législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision
aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du
résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision
. Le
décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément
constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion
finale (
Union internationale des employés des services, local n
o
333 c. Nipawin District Staff Nurses
Assn.
,
(nos soulignés)
(références omises)
L'examen des prémisses de l'analyse du TAQ
[18] Le Fonds et la Ville de Montréal (la Ville) n'observent pas d'erreur ou omission dans les passages de la décision du TAQ qui résument :
- la preuve (par. 10 à 18);
- leurs arguments respectifs (par. 29 à 47); ou encore
- la jurisprudence soumise (par. 48 à 60) avec les distinctions pertinentes (par. 53 à 58).
L'évolution des lettres patentes du Fonds
[19] Au cours des années, les lettres patentes du Fonds ont subi des modifications dont le sens et la portée n'échappent pas à l'analyse du TAQ.
[20] Le tableau suivant, extrait du mémoire de la Ville, permet de bien comprendre la nature des changements apportés :
Avant le 13-01-2009 |
Du 14-01-2009 au 08-09-2010 |
Du 09-09-2010 à aujourd’hui |
The objects of the Corporation are :
(a) to provide no interest loans primarily by way of mortgage loans to other registered charities of the Orthodox Jewish community;
(b) to provide facilities for such charities to conduct their charitable activities;
(c) to acquire or construct facilities and :
(i) rent such facilities for below market rent; (ii) provide such facilities for no rent on revocable licenses or occupancy agreements; and/or
(iii) alienate such facilities for such consideration as is deemed appropriate or for no consideration to other registered charities of the Orthodox Jewish community to conduct their charitable activities.
|
The objects of the Corporation are :
(a) to promote the efficiency and
effectiveness of the charitable programs of Académie Yeshiva Toras Moshe de
Montréal’s or any similar educational organizations that are also qualified
donees, as defined in subsection
|
1. Subject to confirmation by Supplemen-tary Letters Patent, Part III of the letters Patent concerning the provisions, is amended by the addition of the following which reads as follows :
(b) To achieve this object notably by allowing such facilities to be used not to derive income, but gratuitously and in the immediate pursuit of their religious or charitable objects;
(c) To support, promote, encourage and help the Académie Yeshiva Toras Moshe de Montréal in the realization of their religious and charitable programs, such as teaching and promoting the Hassidic Jewich religion, the integration of Hassidic jews in the community and the general well being of the Hassidic Jewich community in general;
(d)
To support, promote,
encourage and help any similar and/or complementary educational
organizations, that are also qualified donees, as defined in subsection
(e) To support private or public institutions promoting Judaism;
(f) To preserve and promote the Hassidic Jewich religion and contribute to the integration of Hassidic jews in the community.
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[21] Pour la période antérieure au 14 janvier 2009, le Fonds reconnaît qu'il n'était pas une institution religieuse alors que la Ville reconnaît que le Fonds est devenu une institution religieuse à compter du 9 septembre 2010.
[22] Le Fonds prétend être devenu une institution religieuse à compter du 14 janvier 2009.
L'analyse du TAQ
[23] L'analyse du TAQ se retrouve aux paragraphes 61 à 76 de sa décision :
[61] L’examen des critères
d’application de l’article
[62] Ainsi, aucun loyer n’étant chargé à l’Académie pour la location de la partie de l’immeuble qu’elle occupe, ceux de l’utilisation gratuite et de l’utilisation sans vue d’un revenu ne posent aucune difficulté.
[63] De plus, il est clair que l’utilisation se fait dans la poursuite immédiate des objets constitutifs de son propriétaire, le caractère philanthropique tant du Fonds que de ses objets ne faisant aucun doute à quelque moment que ce soit, tel que l’admet d’ailleurs la partie intimée. Ce sont la nature religieuse de ses objets ainsi que la possibilité de qualifier le Fonds d’institution religieuse qui se révèlent moins claires.
[64] La nature du Fonds s’avérant décisive, c’est donc la première question à laquelle il faut répondre.
[65] Cette réponse doit se donner en fonction d’une interprétation large et libérale de la notion d’institution religieuse selon la jurisprudence analysée.
[66] C’est la combinaison des objets du Fonds avec ses activités qui permettra d’y arriver. Le Tribunal est d’ailleurs d’accord avec les parties quand elles s’entendent sur le fait que les lettres patentes supplémentaires du 9 septembre 2010 permettent de conclure que le Fonds était alors une institution religieuse.
[67] Il est aussi d’avis que, préalablement aux lettres patentes émises le 3 février 2009, les objets du Fonds ne démontraient ni caractère religieux, ni lien particulier avec l’Académie, et que l’évolution des faits ne permettait pas encore, malgré l’effet rétroactif du jugement R-3, d’identifier de lien clair entre le Fonds et l’Académie.
[68] Ces nouvelles lettres patentes, tel que mentionné plus tôt, remplaçaient les objets du Fonds par ce qui suit :
« The objects of the Corporation are :
to
promote the efficiency and effectiveness of the charitable programs of Académie
Yeshiva Toras Moshe de Montréal’s or any similar educational organizations that
are also qualified donees, as defined in subsection
[69] Ces nouveaux objets ne font aucune mention de l’aspect religieux des activités de l’Académie ni des objectifs de favoriser l’éducation religieuse des enfants qu’aurait alors partagé le Fonds avec l’Académie selon la partie requérante.
[70] Bien que ce nouveau libellé rende dès lors le lien entre l’Académie et le Fonds plus évident, bien que non exclusif, le caractère religieux du Fonds n’en découle pas clairement. Il faut donc se pencher sur ce que révèle l’ensemble de la preuve.
[71] En effet, alors qu’il ressort de la manière dont monsieur Friedman réfère à l’Académie, tant lorsqu’il parle d’éléments relatifs à Casgrain que lorsqu’il réfère véritablement à l’Académie, une étroitesse de lien qui, combinée aux administrateurs et siège social communs aurait peut-être pu permettre de conclure à l’existence d’un alter ego entre Casgrain et l’Académie, cette caractéristique n’est pas aussi évidente quand il s’agit d’établir un lien entre le Fonds et l’Académie.
[72] Ces deux corporations n’ont qu’un seul administrateur en commun, et ne partagent pas le même siège social. Quand monsieur Friedman en parle, on comprend qu’au départ, le Fonds était un tiers qui venait prendre la place de Casgrain en raison des difficultés financières affectant le projet de rénovation de l’immeuble en cause pour les besoins de l’Académie.
[73] Ce remplacement, et le resserrement du lien entre le Fonds et l’Académie ne se sont faits que graduellement, pour atteindre un niveau suffisant pour convaincre la partie intimée de la nature d’institution religieuse du Fonds à partir des lettres patentes supplémentaires du 9 septembre 2010. [21]
[74] Même en essayant d’élargir le plus possible l’application de la notion d’institution religieuse, les faits suivants amènent le Tribunal à rejeter la demande d’exemption de la partie requérante :
· La construction graduelle du lien entre le Fonds et l’Académie;
· le fait que le Fonds n’émane aucunement de l’Académie, étant plutôt un tiers qui s’est généreusement offert pour éviter l’échec financier du projet d’école auquel la Communauté tenait;
· le fait que la Communauté corresponde simplement à un groupe de croyants partageant des valeurs, règles de vie et convictions religieuses communes, mais non à un ordre religieux; ainsi, le fait que le Fonds émane de la Communauté ne suffit pas à lui conférer des objectifs religieux nécessaires à le qualifier d’institution religieuse;
· l’absence de connotation religieuse des objets philanthropiques du Fonds, avant septembre 2010, de nature à permettre d’y relier les objets religieux de l’Académie.
[75] En effet, la preuve ne convainc pas le Tribunal que l’implication généreuse du Fonds en faveur de l’Académie suffit à créer un lien assez intense pour permettre l’application de la théorie de l’ alter ego , ni à faire du Fonds une institution religieuse en soit.
[76] Cependant, en raison de la manière efficace et proactive dont les parties ont géré le dossier et limité le débat, ainsi que de la difficulté réelle que posait la question de qualifier la partie requérante ou non d’institution religieuse pour la période du 12 janvier 2009 au 9 septembre 2010, le Tribunal n’imposera pas le fardeau des dépens à la partie requérante. [22]
La théorie de la déraisonnabilité du Fonds
[24] De multiples manières, le Fonds adresse des reproches au TAQ pour tenter de démontrer que sa décision est déraisonnable. Mais sa théorie est fort simple: ce sont les « activités réelles du Fonds », pendant la période débutant le 14 janvier 2009, qui l'emportent sur les « activités inscrites aux lettres patentes » et déterminent la nature religieuse du Fonds à titre d'institution religieuse [23] .
[25] Pour soutenir sa théorie et prétendant s'appuyer sur la preuve, le Fonds soutient être l' alter ego de l'Académie, elle-même une institution religieuse vouée à l'enseignement [24] .
[26] Ces prétentions sont bien fragiles. D'une part, le Tribunal n'a pas accès à la preuve recueillie par le TAQ et doit s'en remettre à son appréciation factuelle (par. 71 à 76). D'autre part, le Fonds ne conteste pas l'exactitude des faits sur lesquels s'appuie le TAQ mais se contente de les interpréter autrement, tout en ne produisant pas la transcription de la preuve présentée au TAQ.
[27] Outre le fardeau de démonstration qui incombe au Fonds pour démontrer la déraisonnabilité de la décision du TAQ, le Tribunal ne possède pas les instruments essentiels pour s'interroger sur l'exactitude de la compréhension de la preuve par le TAQ.
La théorie de la raisonnabilité de Ville de Montréal
[28] La Ville souligne avec insistance que les lettres patentes en vigueur entre le 14 janvier 2009 et le 9 septembre 2010 ne réfèrent qu'à des programmes de bienfaisance, sans inclure spécifiquement les programmes religieux. Des dons substantiels sont d'ailleurs versés à trois organismes de charité pendant cette période.
[29] Quant à la théorie de l' alter ego invoquée par le Fonds, la Ville y voit une absurdité juridique [25] car la preuve ne révèle aucun élément de contrôle entre le Fonds et l'Académie:
[34] La preuve ne révèle aucunement cet élément de contrôle entre les deux corporations et au contraire, on constate qu’une seule personne occupe un poste d’administrateur aux deux places et que les sièges sociaux des deux entités sont à des endroits différents.
[30] L'élément de contrôle est pourtant essentiel; en effet, dans Buanderie centrale de Montréal, la Cour suprême insiste sur la nécessité du contrôle réel d'une corporation par une autre pour que cette dernière soit considérée comme son alter ego :
« À la lumière des décisions précitées, une corporation peut être considérée comme l’alter ego d’une autre lorsqu’on retrouve entre celles-ci une relation si intime que ce qui, en apparence, relève des affaires de l’une appartient, en réalité, aux activités de l’autre. Un nombre important de facteurs peut certes être identifié pour déterminer l’existence d’une telle relation ; à mon sens, toutefois, l’élément le plus explicite et le plus susceptible d’englober la réalité du concept est le contrôle . [26] »
L'intervention du Procureur général
[31] Le 22 janvier 2013, le Procureur général se prévaut de l'article 99 du Code de procédure civile [27] et intervient pour participer à la contestation de l'appel, « notamment quant à la notion d'institution religieuse en vertu de la LFM et l'application de la théorie de l' alter ego ».
[32]
Le Procureur général rappelle que l'exemption de taxes prévue à
l'article
[33] Après une longue analyse de la jurisprudence, le Procureur général trouve appropriée la considération que le TAQ apporte aux objets corporatifs et aux activités du Fonds, lequel ne conduit lui-même aucune activité religieuse.
[34]
Le Procureur général ne conçoit pas que l'article
L'analyse et les observations du Tribunal
[35] Le Tribunal n'estime pas nécessaire de commenter chacune des décisions jurisprudentielles soumises par les parties avant l'introduction du critère de la norme de la décision raisonnable. Son rôle actuel est dicté par l'application des principes énumérés par la Cour suprême et appliqués par la Cour d'appel dans l'arrêt Crystal de la Montagne (voir le paragraphe 15 du présent jugement).
[36] La décision du TAQ se situe au cœur de sa compétence spécialisée. Le TAQ résume correctement l'origine du litige et les faits mis en preuve.
[37] Le raisonnement est clair, logique et cohérent.
[38] Ainsi, le TAQ s'intéresse d'abord à la nature du Fonds et l'apprécie en fonction d'une interprétation large et libérale de la notion d'institution religieuse (par. 61 à 65).
[39] Le TAQ énonce ensuite une évidence: la combinaison des objets du Fonds avec ses activités réelles est liée à l'interprétation de la notion d'institution religieuse (par. 66 à 68). En l'absence de trace du caractère religieux du Fonds dans les lettres patentes en vigueur du 14 janvier 2009 au 8 septembre 2010, le TAQ procède à l'examen de l'ensemble de la preuve (par. 69 et 70).
[40] Le TAQ démontre enfin pourquoi il ne croit pas à l'existence d'un alter ego entre le Fonds et l'Académie (par. 71 à 76).
[41] Le Tribunal ne peut que constater que l'analyse du TAQ « est motivée, intelligible et s'appuie sur des éléments pertinents ». Le Fonds est tout simplement en désaccord avec l'interprétation du TAQ et sa tentative de démonstration de la déraisonnabilité est un échec.
[42] Tout au long de ses recours à compter de sa première tentative pour obtenir la permission d'appeler [29] , le Fonds titre des analogies qui lui seraient favorables en référant à des décisions antérieures du TAQ rendues en 2002 ( Reine de la paix [30] ) et 2009 ( Frères de Ste-Croix [31] ). Ces précédents ont été considérés, analysés et distingués par le TAQ dans sa décision (par. 53 à 58 et 70 à 75).
[43] Même si la cohérence des décisions d'un tribunal administratif demeure souhaitable, cela n'est pas un dogme. Si les tribunaux d'appel sont maintenant assimilés à des tribunaux de révision et que le pluralisme juridique est à l'ordre du jour, on serait bien mal venu de l'interdire au niveau des tribunaux administratifs. Bien des interprétations font partie de ce qui est « rationnellement possible » et constituent une « des issues raisonnablement possibles » [32] . La Cour du Québec, comme cela a été maintes fois dit par la Cour d'appel, ne doit plus se demander si l'interprétation retenue par le tribunal administratif est moins bonne que la sienne. Le champ d'intervention « en appel » s'est passablement modifié et rétréci avec les années.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
REJETTE l'appel, avec dépens.
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__________________________________ Jean-F. Keable, J.C.Q. |
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Date d’audience : 6 mars 2013 |
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Me Sébastien Dorion |
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DUNTON RAINVILLE |
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Tour de la Bourse - 800 Place Victoria |
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C.P. 303 - 43 e étage |
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Montréal (QC) H4Z 1H1 |
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Avocat de l'appelante |
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Me Sébastien Caron |
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CHAREST GAGNIER BIRON DAGENAIS |
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775, rue Gosford est, 4 e étage |
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Montréal (QC) H2Y 3B9 |
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Avocat de l'intimée |
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Me Stéphan Nadeau |
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BERNARD ROY (JUSTICE QUÉBEC) |
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1 est, rue Notre-Dame, bureau 8.00 |
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Montréal (QC) H2Y 1B6 |
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Avocat de l'intervenante |
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[1]
Fonds Keren Habinyan D'satmar
c.
Montréal (Ville de)
,
[2] Fonds Keren Habinyan D'satmar c. Montréal (Ville de) , dossier no 500-17-066876-114, j. Claude Dallaire, 22 mai 2012.
[3]
Fonds Keren Habinyan D'satmar
c.
Montréal (Ville de)
,
[4]
Le Fonds Keren Habinyan D'Satmar
c.
Montréal (Ville de)
,
[5] Supra note 3.
[6] L.R.Q., c. J-3.
[7] L.R.Q., c. F-2.1.
[8]
Montréal (Ville de)
c.
Crystal de la montagne, s.e.c.
,
[9] Supra note 7.
[10] Pièce R-10.
[11] Supra note 4.
[12]
Dunsmuir
c.
Nouveau-Brunswick
,
[13]
Morin
c.
Simard
,
[14]
Dunsmuir
c.
Nouveau-Brunswick
,
[15]
Canada (Citoyenneté et Immigration)
c.
Khosa
,
[16]
Smith
c.
Alliance Pipeline limitée
,
[17] Supra note 8.
[18]
Canada (Commission canadienne des droits de la personne)
c.
Canada
(Procureur général)
,
[19]
Newfoundland and Labrador Nurses' Union
c.
Terre-Neuve-et-Labrador
(Conseil du Trésor)
,
[20] Pièce R-7.
[21] Pièce I-2.
[22] Supra note 4.
[23] Plan des observations du Fonds utilisé à l'audience, 6 mars 2013, par. 83; Mémoire de l'appelante, 20 décembre 2012, par. 45, 54 et 59.
[24] Mémoire de l'appelante, par. 60-61.
[25] Mémoire de Ville de Montréal, 8 février 2013, par. 35.
[26]
Buanderie centrale de Montréal
c.
Ville de Montréal
,
[27] 99. Dans toute instance touchant l'application d'une disposition d'ordre public, le procureur général peut, d'office et sans avis, participer à l'enquête et à l'audition comme s'il y était partie.
[28] Mémoire de l'intervenant, 8 février 2013, par. 102.
[29] Voir le paragraphe 1 de ce jugement.
[30]
Société Reine de la paix
c.
Lefebvre (Municipalité de),
[31]
Les Frères de Ste-Croix
c.
Montréal (Ville de),
[32] Voir le paragraphe 15 de ce jugement reproduisant l'arrêt Crystal de la montagne.