Commission de la santé et de la sécurité du travail c. 141517 Canada ltée |
2013 QCCQ 3691 |
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JR1387
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT D'IBERVILLE |
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« Chambre criminelle et pénale » |
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N° : |
755-63-001076-121 |
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DATE : |
Le 19 avril 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
M. LE JUGE MARC RENAUD, J.P.M. |
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COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL |
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Poursuivante |
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c. |
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141517 CANADA LTÉE |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] On reproche à la défenderesse l'infraction suivante :
Le ou vers le 27 septembre 2011, en tant
qu'employeur sur un chantier de construction situé au 150, rue Amanda à
Saint-Rémi, a contrevenu à l'article 2.9.1, al.
LES FAITS :
[2] Le 27 septembre 2011, dans le cadre d'un blitz résidentiel, deux inspecteurs, soit M. Louis Verville et Mme Paola Eleana Diaz Salinas, se rendent au chantier de construction situé au 150, rue Amanda à Saint-Rémi et voient un travailleur s'affairant à poser du revêtement extérieur sur une maison de deux étages à l'aide d'une plate-forme élévatrice à environ 4.5 mètres du sol sans moyen de protection.
[3] Dès son arrivée, l'inspectrice prend des photos [1] du travailleur Jean-Vincent Pelletier, lequel porte un harnais de sécurité, mais son câble de sécurité ne semble pas relié à un ancrage réglementaire.
[4] Compte tenu du danger de chute en hauteur, un arrêt des travaux est alors ordonné. Dès après, les inspecteurs ordonnent au travailleur de descendre à l'aide de la plate-forme élévatrice.
[5] Après discussion avec le travailleur, la C.S.S.T. autorise la reprise des travaux, car ce dernier avait avec lui le garde-corps avant de la plate-forme élévatrice ainsi que son câble d'ancrage.
PREUVE DE LA DÉFENDERESSE :
[6] La défenderesse fait entendre le travailleur, M. Jean-Vincent Pelletier. Voici principalement ce qui ressort de son témoignage.
[7] Il travaille chez la défenderesse depuis environ 11 ans.
[8] À l'arrivée des inspecteurs, il était à la finition de la corniche sur l'immeuble en construction.
[9] Durant la durée des travaux, il a toujours été attaché et à l'arrivée des inspecteurs de la C.S.S.T., son harnais était dûment attaché avec son câble d'ancrage sur la partie latérale du garde-corps de la plate-forme élévatrice.
[10] À la demande de la C.S.S.T., il a descendu la plate-forme élévatrice. Il s'est détaché qu'après avoir redescendu complètement la plate-forme élévatrice au niveau du sol.
[11] Questionné quant à savoir pourquoi le Tribunal ne pouvait voir son câble d'ancrage, sur les photos déposées en preuve par la C.S.S.T., ce dernier prétend que la photo a été mal prise.
[12] La défenderesse a fait témoigner également Mme Carole Dubé, contrôleur chez la défenderesse depuis 28 ans. Principalement, elle relate ce qui suit :
[13] Son entreprise fabrique et pose des panneaux de revêtement extérieur.
[14] Ils ont un programme de prévention en santé et sécurité qu'ils remettent à chaque employé lors de l'embauche.
[15] Lorsqu'il y a engagement d'un nouveau travailleur, ce dernier doit signer ce programme de prévention. De plus, les fournisseurs de plate-forme élévatrice offrent une formation à ses employés.
[16] En plus d'avoir le programme de prévention affiché dans les roulottes de chantier, le chef d'équipe organise régulièrement des pauses de sécurité.
[17] Elle ajoute que c'est la responsabilité de chaque travailleur d'être conscient des dangers de ne pas être attaché et son entreprise tente de plus en plus d'impliquer les travailleurs dans le processus de sécurité.
[18] Par contre, dans les chantiers résidentiels, comme c'est le cas en l'espèce, elle admet qu'il n'y avait pas de roulotte de chantier, car ses travailleurs peuvent y travailler que deux à trois jours seulement.
[19] Pour elle, son entreprise ne peut pas être blâmée pour les gestes de ses employés.
[20] Au surplus, l'entreprise a un journal mensuel appelé L'Informateur où toutes sortes d'informations sont données aux employés y compris de l'information quant à la sécurité.
PRÉTENTIONS DE LA DÉFENDERESSE :
[21] Concernant les éléments essentiels de l'infraction, la défenderesse prétend que son travailleur était dûment attaché lors de la visite de la C.S.S.T., d'ailleurs elle allègue qu'autant dans les notes manuscrites de l'inspectrice Salinas que dans le rapport d'intervention des deux inspecteurs de la C.S.S.T., il n'est spécifié que le travailleur n'était pas attaché.
[22] Elle ajoute que lors de son témoignage le travailleur était très crédible.
[23] Quant à la présentation d'une preuve de diligence raisonnable, elle affirme avoir démontré que l'entreprise fonctionne depuis de nombreuses années et cette dernière prend tous les moyens afin de s'assurer que la législation soit respectée.
[24] La défenderesse est convaincue d'avoir présenté, via la balance des probabilités, une preuve de diligence raisonnable.
PRÉTENTIONS DE LA POURSUITE :
[25] La poursuite prétend que ce n'est pas parce que l'inspectrice n'a pas indiqué de façon précise dans ses notes manuscrites que le travailleur n'était pas attaché que cela signifie qu'il ne l'était pas.
[26] L'inspectrice a témoigné à l'effet qu'elle n'a jamais vu le travailleur attaché sur la plate-forme élévatrice. Elle indique à son rapport d'intervention que le travailleur n'était pas protégé contre les chutes. Il est clair qu'il n'avait pas de garde-corps réglementaire sur la plate-forme élévatrice et qu'au surplus le travailleur n'était pas attaché.
[27] D'ailleurs, les photos sont éloquentes, le travailleur n'est pas attaché sur les clichés.
[28] Qui plus est, les deux inspecteurs n'ont aucun intérêt à mentir.
[29] Pour la C.S.S.T., le témoignage contradictoire du travailleur ne peut soulever un doute raisonnable dans l'esprit du Tribunal.
[30] Concernant la diligence raisonnable, la poursuite allègue que la défenderesse n'a pas rempli son fardeau de preuve.
[31] Le travailleur a 11 ans d'expérience chez la défenderesse et la preuve a démontré qu'il a appris la façon réglementaire de s'attacher lors de l'intervention de l'inspecteur Louis Verville.
[32] Aucun programme de prévention de la défenderesse n'a été déposé au Tribunal. De plus, les documents déposés par la défenderesse quant au respect de la réglementation de la C.S.S.T. sont postérieurs à la date de l'infraction.
[33] Pour cette dernière, la diligence raisonnable doit être prouvée par la défenderesse avant l'infraction reprochée et non après celle-ci.
QUESTIONS EN LITIGE :
1) La poursuivante a-t-elle prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l'infraction ?
2) Si oui, la défenderesse a-t-elle présenté une défense de diligence raisonnable, soit une défense qui peut être recevable lorsque l'infraction en est une de responsabilité stricte comme c'est le cas en l'espèce ?
ANALYSE :
[34]
L'article
239. Dans une poursuite visée dans le présent chapitre, la preuve qu'une infraction a été commise par un représentant, un mandataire ou un travailleur à l'emploi d'un employeur suffit à établir qu'elle a été commise par cet employeur à moins qu'il n'établisse que cette infraction a été commise à son insu sans son consentement et malgré les dispositions prises pour prévenir sa commission .
[35] En l'espèce, le Tribunal fait face à des témoignages contradictoires.
[36] Deux inspecteurs de la C.S.S.T. mentionnent que le travailleur n'était pas protégé contre les chutes en hauteur, par contre ce dernier nie cette infraction.
[37] Dans ces circonstances, le Tribunal doit appliquer le test développé par la Cour suprême dans l'arrêt R. c. W.(D.) [2] .
[38] Dans cette décision, la Cour suprême du Canada établit les directives qui doivent guider le jury et la Cour au sujet de la crédibilité des témoignages en matières criminelle et pénale et mentionne ce qui suit :
Premièrement, si vous croyez la déposition de l'accusé, manifestement vous devez prononcer son acquittement. Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l'accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement. Troisièmement, même si vous n'avez pas de doute à la suite de la déposition de l'accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincu hors de tout doute raisonnable par la preuve de culpabilité de l'accusé.
[39] Quant au témoignage du travailleur, ce dernier affirme qu'il est sur la plate-forme élévatrice et qu'il est dûment attaché avec un câble d'ancrage fixé sur le garde-corps latéral de cette dernière.
[40] Or, sur les photos soumises en preuve, on ne peut voir ce câble auquel le travailleur prétend avoir été attaché.
[41] Pour le Tribunal, la version du travailleur est invraisemblable.
[42] Comment le travailleur peut-il affirmer au Tribunal qu'il a vu les deux inspecteurs de la C.S.S.T. alors qu'il était dûment attaché, qu'à la demande de ces derniers, il a descendu sa plate-forme élévatrice et pour ce faire, il devait tourner le dos aux inspecteurs pour activer le mécanisme de descente par un bouton poussoir et il est arrivé au niveau du sol toujours attaché au su et au vu de ces derniers.
[43] Le Tribunal ne croit pas cette version du défendeur.
[44] En l'espèce, la C.S.S.T. s'est déchargée de son fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels de l'infraction reprochée.
[45] Maintenant, est-ce que la défenderesse a prouvé, via la balance des probabilités, sa diligence raisonnable ?
[46] Les principes pertinents à la diligence raisonnable sont bien résumés dans la décision Lévis (Ville) c. Tétreault [3] :
(…) Dans l'approche qui a été adoptée par notre cour, il s'agit en réalité de laisser au prévenu la possibilité et le fardeau de démontrer une diligence raisonnable. On applique à ce moment une norme objective, qui apprécie son comportement par rapport à celui d'une personne raisonnable, placée dans un contexte similaire. Le juge Dixon décrivait ainsi les infractions de responsabilité stricte :
2. Les infractions dans lesquelles il n'est pas nécessaire que la poursuite prouve l'existence de la mens rea ; l'accomplissement de l'acte comporte une présomption d'infraction, laissant à l'accusé la possibilité d'écarter sa responsabilité en prouvant qu'il a pris toutes les précautions nécessaires. Ceci comporte l'examen de ce qu'une personne raisonnable aurait fait dans les circonstances. La défense sera recevable si l'accusé croyait pour des motifs raisonnables à un état de fait inexistant qui, s'il avait existé, aurait rendu l'acte ou l'omission innocent, ou si l'accusé a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l'événement en question. Ces infractions peuvent être à juste titre appelées des infractions de responsabilité stricte. C'est ainsi que le juge Estey les a appelées dans l'affaire Hickey.
(Sault Ste-Marie, page 1326)
[47] Le fardeau de preuve de la défenderesse quant à sa diligence raisonnable ne consiste pas seulement à soulever un doute raisonnable à ce sujet, il lui incombe plutôt d'établir par prépondérance sa diligence raisonnable [4] .
[48] En l'espèce, le Tribunal est de l'avis de la poursuivante à savoir que la défenderesse n'a pas démontré, entre autres, que le travailleur avait reçu une formation adéquate sur la sécurité des plates-formes élévatrices et que les documents concernant la sécurité sur ce type de plate-forme lui avaient été remis.
[49] La défenderesse croyait pouvoir se fier sur ses contremaîtres pour promouvoir la sécurité sur les chantiers de la construction.
[50] Ces prétentions ne remplissent pas les conditions de ce moyen de défense.
[51] Au surplus, dans l'arrêt CSST c. Marc Filiatreault Couvreurs inc. du 24 mai 2001, la juge Handman mentionne ce qui suit aux paragraphes 16 et 17 :
[16] En effet, l'objectif de la Loi sur la santé et la sécurité du travail est de prévenir les accidents de travail en protégeant les travailleurs qui peuvent, potentiellement, être victimes d'accident en commettant des erreurs humaines. C'est ainsi qu'il faut les protéger contre leurs propres erreurs et celui qui détient ce pouvoir de protection c'est l'employeur. C'est ce dernier qui contrôle la gestion et l'encadrement des employés ainsi que l'équipement et les méthodes de travail. Il a alors l'obligation de prendre tous les moyens raisonnables afin de s'assurer que ses employés travaillent en sécurité.
[17] C'est ainsi que l'employeur a un devoir de surveillance du respect par les employés des règles de sécurité ainsi que de l'utilisation de l'équipement de sécurité. Ceci implique qu'il doit s'assurer non seulement que l'équipement requis est disponible, mais que celui-ci est également utilisé par les travailleurs et que les directives émises quant à la façon de faire le travail soient respectées.
[52] De l'ensemble de la preuve, la défenderesse n'a pas démontré qu'elle avait fait preuve de diligence raisonnable.
[53] Dans le présent cas, le Tribunal est d'opinion que la défenderesse a failli à ses obligations légales d'employeur.
[54] Sans aucun doute, la poursuivante a alors établi hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l'infraction.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
DÉCLARE la défenderesse coupable de l'infraction reprochée.
CONVOQUE les parties le 30 mai 2013 , à la salle 1.03 du palais de justice de St-Jean-sur-Richelieu pour les argumentations sur la peine à imposer.
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______________________________________ MARC RENAUD, JUGE DE PAIX MAGISTRAT |
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Me Josée Picard |
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Procureur de la poursuivante |
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Me Grace Di Pace |
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Procureur de la défenderesse |
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Date d’audience : |
11 avril 2013 |
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