Commission des normes du travail c. 9175-0489 Québec inc. (Steak frites Saint-Paul)

2013 QCCQ 3884

JS 1046

 
 COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LONGUEUIL

« Chambre civile »

N° :

505-22-020187-128

 

 

DATE :

Le 30 avril 2013

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

CHANTAL SIROIS, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

COMMISSION DES NORMES DU TRAVAIL

 

Partie demanderesse

c.

 

9175-0489 QUÉBEC INC.

faisant affaire sous le nom Le Steak Frites Saint-Paul

Partie défenderesse et demanderesse reconventionnelle

 

Et

 

REDA SAADHOMM

           Partie défenderesse reconventionnelle

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]            L’employeur défendeur a-t-il le droit de présenter une demande reconventionnelle contre son salarié ou ex-salarié dans une requête introductive d’instance présentée par la Commission des normes du travail (la CNT)?

[2]            Telle est la question à laquelle doit répondre le Tribunal dans le présent jugement, puisque la CNT présente à titre de moyen préliminaire une requête pour rejet de la demande reconventionnelle intentée par l’employeur contre son ex-salarié.

[3]            En 2011, la c our d’appel a autorisé une permission d’appeler sur cette question [1] . Cependant, étant donné que le dossier s’est réglé hors cour, le dossier ne sera jamais entendu.  Dans son jugement autorisant la permission d’appeler, le juge Jacques R. Fournier écrit :

 

[1]  Bien qu'il est de jurisprudence constante de refuser la permission d'appeler d'un jugement qui rejette une requête en irrecevabilité, il y a des exceptions lorsque la question en jeu est d'intérêt public.

 

[2]  Ici, dans le cadre d'une réclamation portée par la Commission des normes du travail, l'employeur intente une demande reconventionnelle et ajoute le salarié comme défendeur reconventionnel alors qu'il n'est pas partie à la demande initiale.

 

[3]  Une certaine jurisprudence conclut que de fait le salarié est partie , de sorte qu'on peut imposer à la Commission les moyens qu'on pourrait opposer au salarié et chercher ainsi à faire rejeter l'action.

 

I[4]  Ici, l'employeur va plus loin, alors que par le biais d'une demande reconventionnelle, il l'adjoint comme défendeur reconventionnel.

 

[5]  Le procédé surprend .  Or, comme il s'agit d'une question qui touche la mise en œuvre d'une loi d'ordre public de protection , l'intérêt public mérite que la Cour se penche sur la question avant d'aller plus loin dans le procès, de sorte que la permission d'appeler est accordée.

 

(soulignements ajoutés)

 

[4]            La Cour d’appel ne semble pas avoir répondu à cette question précise auparavant.

[5]            Cependant, plusieurs décisions de la Cour du Québec se sont penchées sur la question. La jurisprudence majoritaire soutient qu'il n'est pas possible pour un employeur  de présenter une demande reconventionnelle contre son ex-salarié dans une requête introductive présentée par la Commission des normes du travail [2] .

[6]            Dans un premier temps, il faut souligner que le paragraphe 39 (8) de la Loi sur les normes de travail [3] (la LNT) établit que la CNT agit en vertu de ses pouvoirs statutaires, légaux ou corporatifs, lorsqu’elle poursuit un employeur :

 

39.  La Commission peut:

 

(…)

 

 8°  intenter en son propre nom et pour le compte d'un salarié , le cas échéant, une poursuite visant à recouvrer des sommes dues par l'employeur en vertu de la présente loi ou d'un règlement et ce, malgré toute loi à ce contraire, une opposition ou renonciation expresse ou implicite du salarié et sans être tenue de justifier d'une cession de créance du salarié ;

 

(soulignements et caractères gras ajoutés)

 

[7]            Ainsi, selon le texte même de l’article 39 (8) de la LNT, la CNT peut intenter un recours pour le compte du salarié malgré l’absence de volonté de celui-ci. 

[8]            Dans un même ordre d’idées, il a été décidé à quelques reprises que la Commission n’est nullement le mandataire ou l’ayant cause du salarié [4] .

[9]            Dans l’affaire Maltais c. Corporation du parc régional du Mont Grand-Fonds inc. [5] , jugement du 5 avril 2002, la Cour d’appel écrit :

 

[10]  Le 20 avril 2001, l'appelant dépose une requête en intervention. Il requiert l'autorisation d'intervenir dans le litige mû entre la CNT et Grand-Fonds pour obtenir, sur la base du Code civil du Québec, une indemnité de cessation d'emploi supérieure à celle accordée par la LNT…

 

(…)

 

5 - L'ANALYSE

 

La CNT est-elle mandataire de l'appelant ?

 

[15]  Le mandat est défini à l'article 2130 C.c.Q. comme un « contrat par lequel une personne, le mandant, donne le pouvoir de la représenter dans l'accomplissement d'un acte juridique avec un tiers qui, par le fait de son acceptation, s'oblige à l'exercer ».

 

[16]  Sur la foi de cette définition, il me paraît difficile de qualifier la relation entre l'appelant et la CNT de mandat. En effet, la CNT ne tire pas l'autorité de poursuivre Grand-Fonds de la volonté de l'appelant, mais bien des dispositions de la LNT. Je note, à cet égard, que les termes de l'article 39 LNT opposent un argument dirimant à la proposition qui suggère l'existence d'un mandat entre l'appelant et la CNT. Cette disposition accorde à la CNT le pouvoir « en son propre nom et pour le compte d'un salarié » d'intenter « une poursuite visant à recouvrer des sommes dues par l'employeur et ce, malgré une opposition ou renonciation expresse et implicite du salarié ».

 

[17]  En l'espèce, la CNT tire son pouvoir d'agir pour le compte de l'appelant non pas de ce dernier, mais bien de la Loi .

 

(…)

 

[23]  La jurisprudence de la Cour conclut que le salarié est partie à l’action civile intentée par la CNT pour assurer le respect de la LNT en raison des termes « agit pour le compte du salarié » que l’on retrouve aux articles 39 et 98 LNT .

 

[24]  Dans Liberty Mutual Insurance Co . c. Commission des normes du travail du Québec [6] , la Cour devait trancher un moyen fondé sur l'autorité de la chose jugée entre un recours du salarié contre son employeur en vertu de l'article 124 LNT et une action civile en réclamation d'indemnité de congédiement intentée par la CNT contre ce même employeur :

 

Pour qu'il y ait chose jugée, il faut qu'il y ait identité de cause, de parties et d'objet. Le premier juge a conclu qu'il y avait identité de cause (congédiement) et identité de parties dans ces deux recours. Cette conclusion est bien fondée. En vertu de l'article 98 de la Loi, la Commission a exercé le présent recours en réclamation d'indemnité de congédiement pour le compte du salarié, monsieur Bouchard.

 

Bien qu'il soit reconnu que la Commission tienne ses pouvoirs de la Loi et qu'elle puisse agir en qualité statuaire nonobstant toute opposition ou renonciation des salariés puisqu'elle n'est pas leur ayant cause, Transport Tilly Inc., c. Commission du salaire minimum, le texte même de l'article 98 de la Loi indique qu'elle agit ici pour le compte du salarié, suite au refus de l'employeur de payer à ce dernier l'indemnité prévue aux articles 82 et 83 de la Loi.

 

La Commission exerce un droit pour autrui, le salarié, et c'est en cette qualité juridique qu'elle réclame l'indemnité du préavis. Comme la qualité dont parle l'article 1241 C.c.B.C. est la qualité juridique par opposition à une identité physique, Buchanan c. CAT, on ne saurait conclure qu'il n'y a pas, en l'espèce, identité des parties parce que le plaignant est dans un cas la victime même du congédiement et dans l'autre cas la Commission réclamant pour le compte de cette même victime. [Citations volontairement omises.]

 

[25]  Compte tenu des termes de la LNT et de l'arrêt précité, je suis d'avis que l'appelant est partie à l'action intentée par la CNT et que, en conséquence, il doit bénéficier de l'interruption de la prescription civile .

 

L'autorisation d'intervenir est-elle fondée en droit ?

 

[26]  À mon avis, les termes mêmes de l'article 208 C.p.c. font obstacle à la réception de l'intervention de l'appelant puisque celui-ci est partie au litige .

 

(soulignements ajoutés)

 

[10]         On constate dans cette affaire que même si la Cour d’appel écrit que la CNT n’est nullement le mandataire ou l’ayant cause du salarié, le salarié est néanmoins une partie au recours intenté par la CNT [7] .

[11]         On constate aussi que la Cour d’appel ne précise pas la qualité juridique du salarié partie au recours intenté par la CNT.

[12]         Bien qu'on considère le salarié comme une partie à l'instance, il faut également qu'il puisse être qualifié de demandeur en vertu de l'article 172 C.p.c. pour que le défendeur puisse se porter demandeur reconventionnel contre lui :

 

172.  Le défendeur peut faire valoir par sa défense tous moyens de droit ou de fait qui s'opposent au maintien, total ou partiel, des conclusions de la demande.

 

Il peut aussi, et dans le même acte, se porter demandeur reconventionnel pour faire valoir contre le demandeur toute réclamation lui résultant de la même source que la demande principale, ou d'une source connexe. Le tribunal reste saisi de la demande reconventionnelle, nonobstant un désistement de la demande principale.

 

(soulignement et caractères gras ajoutés)

 

[13]         Plusieurs jugements de la Cour du Québec mentionnent que la LNT est d’ordre public de protection [8] et que son objectif fait obstacle à la possibilité pour le défendeur de se porter demandeur reconventionnel contre son ex-salarié [9]  :

 

[11]  En fait, comme le souligne la Cour d'appel dans l'arrêt cité par le procureur de la défenderesse, les tribunaux ont conclu que le salarié était partie à l'action civile intentée par la Commission des normes du travail en raison de l'utilisation dans la législation des termes "agit pour le compte du salarié".

 

 [12]   Le but du législateur est toutefois d'utiliser le bras de l'état au bénéfice des salariés et il serait contraire à l'intention du législateur de le forcer à se défendre personnellement comme le souhaite présentement la défenderesse [10] .

 

(soulignements et caractères gras ajoutés)

 

[14]         Ainsi, la demande reconventionnelle contre un salarié a comme effet de court-circuiter l'objectif de la loi . En effet, la loi prévoit un mécanisme de protection du salarié et permet à la CNT de plaider pour autrui en exerçant le droit dont bénéficie le salarié à l'encontre de son employeur. Cependant, si on permet la demande reconventionnelle contre le salarié, celui-ci devra se défendre et ne pourra plus jouir de cette protection.

[15]         Les seules décisions [11] qui ont permis à un employeur de présenter une demande reconventionnelle contre un salarié se basent sur le fait que le salarié est partie au litige et qu’au surplus le salarié est une partie assimilable à un demandeur :

 

[11]  Selon la Cour d'appel, on ne peut qualifier la relation entre le salarié et la CNT de "mandat".  La CNT ne tire pas l'autorité de poursuivre l'employeur de la volonté du salarié, mais plutôt des dispositions de la loi.  La CNT agit pour le compte du salarié qui est partie au litige.

 

[12]  Ces principes établis par la Cour d'appel sont applicables en l'espèce. Le Tribunal juge que le salarié Manuel Victoria est partie au litige, il s'agit d'une partie assimilable à la partie demanderesse .

 

[13] Selon le Tribunal, dans ce contexte, la défenderesse peut se porter demanderesse reconventionnelle contre le salarié pour le compte de qui la CNT agit comme partie demanderesse, dans la mesure où la réclamation résulte de la même source que la demande principale ou d'une source connexe.

 

(soulignement et caractères gras ajoutés)

 

[16]         Le Tribunal insiste sur le fait que même dans cette décision minoritaire, la Cour du Québec précise que le salarié est une partie assimilable à une partie demanderesse et non une partie demanderesse à part entière .

[17]         L’une de ces décisions minoritaires [12] appuie son raisonnement sur les propos suivants de la Cour d’appel dans l’affaire Commission des normes du travail c. Motos Daytona inc. [13] , jugement du 24 septembre 2009 :

 

[14]  En second lieu, il est inexact de prétendre que Monsieur Succès n'est pas présent au litige. La Cour s’est déjà penchée sur le problème dans l'affaire Maltais c. Corporation du parc régional du Mont Grand-Fonds inc. et, sous la plume de la juge Thibault, elle a conclu dans les termes que voici[4] :

 

L'appelant est-il partie à l'action intentée par la CNT ? À mon avis, c'est le cas. En effet, suivant les termes exprès de l'article 39 LNT, la CNT réclame de Grand-Fonds tant pour elle-même - je réfère ici à la somme forfaitaire de 20 % - que pour le compte de l'appelant.

 

[15] La doctrine reconnaît la justesse de cet enseignement comme en témoignent ces énoncés des auteurs Robert P. Gagnon, d’une part, et  Morin Brière et Roux, d’autre part :

 

La C.N.T. agit alors en son propre nom en vertu d'une subrogation légale sui generis dans les droits du salarié. Le salarié est considéré partie à cette action, avec les conséquences usuelles qui s'ensuivent. L'employeur peut opposer à l'action de la C.N.T. tout moyen qu'il pourrait faire valoir contre le salarié lui-même. [5]

 

Rien n'empêche l'employeur, dans la même procédure, de se porter demandeur reconventionnel contre le salarié personnellement, celui-ci devant être considéré comme une partie au litige. [6]

 

[16]  La Cour est d’avis qu’il n'y a pas lieu de revoir la question.

 

[17]  Ainsi donc, au terme du procès en première instance, l’intimée a établi que, avant que la Commission n’entreprenne son recours, elle détenait une créance certaine liquide et exigible. L’existence simultanée de cette créance et de celle de M. Succès  a eu un effet d’extinction jusqu’à hauteur de la moindre des deux. En l’espèce, ce constat réduit à néant le fondement même du recours entrepris par la Commission.

 

[18]  Le dispositif du jugement entrepris étant bien fondé, il y a lieu de le confirmer.

 

[18]         Dans Daytona , décision précitée au paragraphe précédent, la Cour d’appel a permis une défense de compensation légale d’une créance certaine, liquide et exigible, plaidée par l’employeur. Il s’agissait toutefois d’une simple défense, sans demande reconventionnelle.

[19]         La doctrine citée au paragraphe 15 de Daytona selon laquelle « rien n'empêche l'employeur, dans la même procédure, de se porter demandeur reconventionnel contre le salarié personnellement, celui-ci devant être considéré comme une partie au litige » appuie son opinion sur la seule décision de la Cour d’appel dans Maltais c. Corporation du parc régional du Mont Grand-Fonds inc. [14] , comme en fait foi la note des auteurs associée à cette affirmation.

[20]         Or dans Maltais , la Cour d’appel n’a  jamais décidé que l’employeur pouvait se porter demandeur reconventionnel contre le salarié personnellement. La Cour d’appel n’était pas saisie de cette question.

[21]         Pour comprendre ces nuances et survoler les principes établis par la jurisprudence, le Tribunal réfère à l’une des plus récentes décisions de la Cour du Québec sur le sujet, qui procède à une excellente analyse de tout ce qui s’est écrit jusqu’à maintenant concernant la problématique sous étude.  Considérant la pertinence de cette analyse, le Tribunal estime utile d’en citer de larges extraits.

[22]         Dans l’affaire Comité paritaire de l’industrie des services automobiles de la région de Montréal c. Hewitt équipement limitée [15] , jugement du 2 mars 2012, la Cour du Québec écrit, sous la plume du juge David L. Cameron :

 

[107]  La sagesse conventionnelle et le Code de procédure civile nous informent que seule une partie au litige peut se faire opposer une demande reconventionnelle.  C'était donc pertinent, dans les dossiers où les réclamations d'un salarié sont proposées pour lui par un tiers, comme c'est le cas dans les affaires de la Commission des normes du travail (« CNT »), de savoir si ce salarié est partie au litige.

 

[108]  Dans l'affaire Maltais, un employé a fait une demande d'intervention pour ajouter une réclamation d'un délai de congé prévu à l'article 2091 C.c.Q. dans le cadre d'une action prise en sa faveur par la CNT pour salaire impayé suivant l'article 111 de la LNT.  Il cherchait des déclarations qu'il était le « seul et unique demandeur » et que le recours entrepris par la CNT, en son nom et pour son compte, a eu l'effet d'interrompre la prescription en sa faveur.

 

[109]  La Cour d'appel lui a donné raison sur la question de la prescription, s'appuyant sur Liberty Mutual où il était question d'une chose jugée entre un recours du salarié contre son employeur en vertu de l'article 124 LNT et une action civile en réclamation d'indemnité de congédiement intentée par la CNT contre le même employeur.  Logiquement, s'il y avait identité des parties dans l'affaire Liberty Mutual, c'est que le salarié est partie au litige intenté au nom de la CNT pour son compte.

 

[110]  Étant partie au litige, le salarié ne pouvait intervenir, les termes mêmes de l'article 208 C.p.c y faisant obstacle.

 

[111]  Étant partie, il avait le bénéfice de l'interruption de la prescription, mais, paradoxalement, il ne pouvait ajouter sa réclamation au dossier existant et on l'a invité à « présenter son recours, selon les formes habituelles », c'est-à-dire dans une procédure distincte.  Ce paradoxe provient du fait que la CNT n'a pas le rôle d'entreprendre un recours de cette nature.  Ce rôle limité appartient également au Comité paritaire, bien que les termes employés dans la législation soient légèrement différents.

 

[112]  Dans une première décision appliquant ce principe à une demande reconventionnelle, l'honorable Daniel Dortélus J.C.Q. rejette une requête en rejet d'une demande reconventionnelle pour des honoraires professionnels que l'employeur alléguait avoir dépensé pour recouvrer des créances dues par les clients du salarié, lorsqu'il était à son emploi comme vendeur, ainsi que des dommages-intérêts.

 

[113]  S'appuyant sur la décision de la Cour d'appel dans Maltais, le juge Dortélus vient à la conclusion que l'employeur peut se porter demandeur reconventionnel contre le salarié pour une réclamation connexe.

 

[114]  Un juge de la Cour d'appel a accordé la permission d'en appeler de la décision, le 14 janvier 2005, mais l'appel n'a pas procédé, vu le désistement du jugement et le règlement hors cour du dossier.

 

[115]  En 2009, la Cour d'appel a confirmé, dans un contexte qui s'approche de notre cas, que l'employeur peut opposer à la réclamation de la CNT pour salaires une défense de compensation légale d'une dette liquide et exigible due par l'employé provenant d'une clause pénale.  Notons qu'il n'y avait pas de demande reconventionnelle pour le surplus.

 

[116]  En confirmant le jugement de première instance sur ce point, la Cour d'appel écarte l'argument selon lequel le salarié n'est pas partie à l'action et que la CNT ne peut répondre sur une question n'ayant pas trait aux normes du travail, citant la décision dans Maltais, et s'appuyant, de plus, sur des auteurs.

 

[117]  L'une des citations, celle tirée d'un livre de référence Le droit de l'emploi au Québec, fait office d' obiter dictum dans le jugement, car il va plus loin que la question de la défense de compensation :

 

Rien n'empêche l'employeur, dans la même procédure, de se porter demandeur reconventionnel contre le salarié personnellement, celui-ci devant être considéré comme une partie au litige.

 

[118] La Cour d'appel n'était pas saisie de la question d'une demande reconventionnelle, mais seulement celle de la défense de compensation légale .

 

[119]  Finalement, dans une décision récente, le juge Dortélus, s'appuyant sur Motos Daytona a de nouveau écarté l'argument voulant que le salarié ne soit pas partie au litige refusant ainsi de rejeter une demande reconventionnelle en dommages-intérêts et honoraires extrajudiciaires basée sur les articles 54.1 et suivants du Code de procédure civile dirigés contre le salarié. 

 

[120] Il est intéressant de noter que le rédacteur de la demande reconventionnelle a ajouté le nom du salarié à la demande reconventionnelle.  C'est d'ailleurs le seul cas que nous connaissons où un procureur a comparu pour le salarié et a produit une contestation pour lui.  C'est la requête pour rejet de la CNT qui fait l'objet de la décision interlocutoire du juge Dortélus.

 

[121] Accueillant une requête pour permission d'en appeler de la décision, l'honorable Jacques Fournier J.C.A. énonce les motifs suivants:

 

[2] Ici, dans le cadre d'une réclamation portée par la Commission des normes du travail, l'employeur intente une demande reconventionnelle et ajoute le salarié comme défendeur reconventionnel alors qu'il n'est pas partie à la demande initiale.

 

[3] Une certaine jurisprudence conclut que de fait le salarié est partie, de sorte qu'on peut imposer à la Commission les moyens qu'on pourrait opposer au salarié et chercher ainsi à faire rejeter l'action.

 

[4] Ici, l'employeur va plus loin, alors que par le biais d'une demande reconventionnelle, il l'adjoint comme défendeur reconventionnel.

 

[5] Le procédé surprend. Or, comme il s'agit d'une question qui touche la mise en oeuvre d'une loi d'ordre public de protection, l'intérêt public mérite que la Cour se penche sur la question avant d'aller plus loin dans le procès, de sorte que la permission d'appeler est accordée.

 

[122]   Voici donc le contexte jurisprudentiel actuel.  Il est établi qu’aux fins de la chose jugée et l'interruption de la prescription, le salarié est considéré comme étant l'équivalent d'une partie au litige, bien que son nom ne figure parmi les parties formellement listées.  Et, la défense de compensation légale d'une dette due par le salarié figure parmi les motifs qu'un employeur peut opposer à une action pour salaires intentée par la CNT pour le compte du salarié .

 

[123]  Toutefois, aucun banc de la Cour d'appel n'a encore statué, à notre connaissance, spécifiquement sur le problème de la demande reconventionnelle qui porte sur des sommes réclamées en sus de la défense de compensation.  Vu la permission accordée par le juge Fournier, la question demeure ouverte.

 

[124]     La procédure n'est pas une fin en soi.  Il faut dans tous les cas qu'elle réponde aux intérêts de la justice dont elle est l'auxiliaire.

 

(…)

 

[132]  Il y a dans l'état actuel de la jurisprudence, paradoxalement, l'impossibilité pour un salarié, qui est, pourtant, « partie au litige » d'y joindre un recours civil connexe qui dépasse le champ de compétence de l'entité qui peut ester en justice pour lui.  Il ne peut intervenir dans une cause où il est, pour d'autres fins, déjà partie et, en même temps, il est exposé à une poursuite pour quelque chose de connexe sans la possibilité d'y être représenté par « son » procureur; il est sans recours, sans défense et sans procureur.

 

[133]  La nature très limitée en droit du rôle de la CNT et des Comités paritaires rend tout à fait légitime la réticence de ces entités à s'immiscer, de quelque façon que ce soit, dans les recours qui dépassent leur champ de compétence.

 

(…)

 

 [140]  Le dossier actuel en est un où il y aurait des avantages procéduraux à joindre la demande reconventionnelle, dont les défenses possibles sont identiques aux motifs que l'on pourrait s'opposer à la défense de compensation légale.

 

(…)

 

 [142]  De l'avis du Tribunal, l'état actuel du droit procédural ne permet pas l'ajout d'une demande reconventionnelle outre la défense de compensation , et, de plus, dans le présent dossier, le Tribunal ne peut procéder sur une demande reconventionnelle qui n’a pas été signifiée au salarié par un mode fonctionnel et reconnu au Code de procédure civile .

 

(références omises, soulignements et caractères gras ajoutés)

 

[23]         Dans le présent dossier, contrairement au dossier dont était saisi le juge Cameron, la demande reconventionnelle a été dûment signifiée à l’ex-salarié, qui a personnellement comparu.

[24]         Au terme de sa réflexion, le Tribunal retient que même si le salarié est partie au litige entre la CNT et son employeur et qu’il est une partie assimilable à un demandeur , il est en quelque sorte une partie sui generis , puisqu’il n’est pas complètement et parfaitement un demandeur. En effet, il ne possède pas tous les attributs d’un demandeur.

[25]         Un demandeur peut se désister de sa demande, l’amender de son propre gré, et peut lui-même conclure une transaction avec le défendeur aux fins de régler son dossier. Un demandeur peut aussi décider seul de la conduite de son dossier .

[26]         Or, un salarié ne le peut pas, l’article 39 (8) de la LNT le privant de ces pouvoirs .

[27]         On note d’ailleurs que la Cour d’appel a répété à plusieurs reprises que le salarié était partie au litige sans jamais écrire qu’il était demandeur au litige . On comprend maintenant pourquoi.

[28]         Si la Cour d’appel avait considéré le salarié comme un demandeur à tous égards, elle l’aurait certainement écrit plutôt que de laisser subsister une situation équivoque.

[29]         Cette impossibilité pour le salarié d’exercer tous les pouvoirs inhérents au statut habituel d’un demandeur et le caractère d’ordre public de protection de la LNT font obstacle à la présentation d’une demande reconventionnelle d’un employeur contre son salarié ou ex-salarié .

[30]         La seule exception à cette règle serait peut-être le cas d’une défense de compensation légale d’une dette due par le salarié.

[31]         Il faut alors que cette dette soit certaine, liquide et exigible, en raison des dispositions du Code civil du Québec relatives à la compensation, qui se lisent ainsi :

 

1672.  Lorsque deux personnes se trouvent réciproquement débitrices et créancières l'une de l'autre, les dettes auxquelles elles sont tenues s'éteignent par compensation jusqu'à concurrence de la moindre.

 

La compensation ne peut être invoquée contre l'État, mais celui-ci peut s'en prévaloir.

 

1673.   La compensation s'opère de plein droit dès que coexistent des dettes qui sont l'une et l'autre certaines, liquides et exigibles et qui ont pour objet une somme d'argent ou une certaine quantité de biens fongibles de même espèce.

 

Une partie peut demander la liquidation judiciaire d'une dette afin de l'opposer en compensation.

 

(soulignement et caractères gras ajoutés)

 

[32]         En effet, la compensation a lieu de plein droit dès qu’il y a coexistence de deux dettes qui remplissent les conditions imposées par la loi : certitude, liquidité et exigibilité [16] .

[33]         La dette qui fait l’objet d’une contestation raisonnable et sérieuse perd son caractère certain et exigible [17] .

[34]         Lorsque les conditions sont respectées, la compensation légale se produit par le simple effet de la loi sans qu’il soit nécessaire qu’un tribunal la décide ou même que les parties y consentent [18] .

[35]         Les règles de la compensation légale s’appliquent en matière de paiement de salaire par l’employeur.  L’employeur peut donc opposer son effet extinctif sans avoir à présenter de demande reconventionnelle en ce sens.  Cette règle est applicable, peu importe que la réclamation de salaire soit présentée par le salarié lui-même, ou encore par la CNT pour le compte de celui-ci [19]

[36]         Dans Commission des normes du travail c. Cayer [20] , le juge Virgile Buffoni écrit :

 

[19]    Quoi qu’il en soit, le Tribunal retient des enseignements de la doctrine et de la jurisprudence que l’employeur peut opposer à la Commission une compensation légale mais non judiciaire et ce, dans la mesure où la compensation légale a lieu au moment d’effectuer le paiement du salaire ou au plus tard au moment de prendre action .

 

[20]    En effet, et avec égard pour l’opinion contraire, permettre la défense de compensation judiciaire à l’encontre d’une réclamation de la Commission violerait l’interdiction faite à l’employeur de ne pas effectuer de retenue sur le salaire, sauf à certaines conditions précises, inapplicables ici, stipulées à l’article 49 de la Loi sur les normes du travail :

 

49.  Un employeur peut effectuer une retenue sur le salaire uniquement s'il y est contraint par une loi, un règlement, une ordonnance d'un tribunal, une convention collective, un décret ou un régime complémentaire de retraite à adhésion obligatoire.

 

Retenue.

 

L'employeur peut également effectuer une retenue sur le salaire si le salarié y consent par écrit et pour une fin spécifique mentionnée dans cet écrit.

 

Retenue révoquée.

 

Le salarié peut révoquer cette autorisation en tout temps, sauf lorsqu'elle concerne une adhésion à un régime d'assurance collective ou à un régime complémentaire de retraite. L'employeur verse à leur destinataire les sommes ainsi retenues.

 

[21]     Cette disposition, rappelons-le, est d’ordre public :

 

93.  Sous réserve d'une dérogation permise par la présente loi, les normes du travail contenues dans la présente loi et les règlements sont d'ordre public .

 

[22]     Le Tribunal cite avec approbation l'opinion des auteurs Baudouin et Jobin à ce sujet [21] :

 

L'application des règles de la compensation mérite certaines précisions au sujet du paiement de salaire par l'employeur. En effet, bien que le salaire présente un certain caractère alimentaire et que la Loi sur les normes du travail impose des restrictions en matière de retenue de salaire, la jurisprudence considère que les règles du droit commun de la compensation légale demeurent applicables. L'employeur peut donc effectuer une retenue sur le salaire sur le fondement de la compensation que lorsque celle-ci s'opère de plein droit, plaçant l'employeur devant la nécessité de réduire sa prestation - le versement du salaire - dans la mesure de l'effet extinctif de la compensation survenue par le seul effet de la loi (articles 1672 et 1673). Si les conditions de la compensation légale étaient présentes au moment d'effectuer le paiement du salaire, l'employeur pourra opposer son effet extinctif dans ses moyens de défense, sans avoir à présenter de demande reconventionnelle en ce sens. À l'inverse, l'employeur ne saurait effectuer une telle retenue pour une créance qui ne satisfait pas aux conditions de la compensation légale, notamment lorsqu'il lui est nécessaire de recourir aux tribunaux pour conférer un caractère certain, liquide et exigible à sa créance; cette règle est applicable peu importe que la réclamation en salaire soit présentée par le salarié lui-même, ou encore par la Commission des normes du travail pour le compte du salarié . Enfin, rappelons que la compensation, même lorsqu'elle est permise par la loi, ne peut affecter la partie déclarée insaisissable du salaire.

 

[Soulignement ajouté]

 

[23]    En conséquence, la demande reconventionnelle fondée sur la compensation judiciaire n’est pas admissible dans le cadre de la présente action et doit être rejetée.

 

(soulignements et caractères gras ajoutés)

 

[37]         Lorsque les conditions de la compensation légale existent au moment d’effectuer le paiement du salaire, l’effet extinctif de cette compensation sur la dette jusqu’à concurrence du montant de la réclamation fait donc consensus dans la jurisprudence et la doctrine.

[38]         Qu’en est-il pour l’excédent, le cas échéant? L’employeur peut-il dans ce cas présenter une demande reconventionnelle pour l’excédent?

[39]         La question demeure ouverte pour l’instant.

[40]         Le fait que cette compensation légale s’opère de plein droit quand les conditions sont remplies devrait-il permettre à l’employeur de présenter une demande reconventionnelle pour recouvrer l’excédent qui lui est dû?

[41]         Le caractère d’ordre public de protection de la LNT fait-il obstacle à la présentation d’une demande reconventionnelle d’un employeur contre son salarié même au cas de compensation légale?

[42]         Le fait que le salarié ne possède pas tous les attributs d’un demandeur dans une instance introduite par la CNT et qu’il ne puisse pas décider de la conduite du dossier devrait-il obliger l’employeur à procéder par voie de recours distinct contre le salarié et à demander une réunion d’actions [22] ?

[43]         La règle de proportionnalité de l’article 4.2 C.p.c. devrait-elle ou non avoir un impact déterminant sur le choix procédural à être permis par le Tribunal en pareil cas?

[44]         Ces questions s’avèrent certes fort intéressantes, mais le Tribunal n’a pas à y répondre dans le cadre du présent jugement.

[45]         En effet, ici, l’employeur ne cherche pas à faire reconnaître un motif de compensation légale, mais demande plutôt la liquidation judiciaire d’une dette potentielle, puisque l’employeur cherche à obtenir de son ex-salarié des frais extrajudiciaires pour se défendre à l’action intentée par la CNT, ainsi que des dommages-intérêts punitifs pour recours abusif en raison de fausses déclarations et stratagèmes malicieux allégués de la part de l’ex-salarié, le tout en vertu des articles 54.1 et suivants C.p.c.

[46]         En conséquence de cette demande de compensation judiciaire plutôt que légale, l’employeur ne peut bénéficier de la peut-être possible exception à l’interdiction pour un employeur de présenter une demande reconventionnelle contre son salarié ou ex-salarié.

[47]         Pour ces motifs, le Tribunal :

[48]         Rejette la demande reconventionnelle présentée par la défenderesse contre le défendeur reconventionnel Reda Saadhomm, frais à suivre.

 

 

 

 

 

__________________________________

CHANTAL SIROIS, J.C.Q.

 

 

 

Me Élise Riberdy St-Pierre

Rivest, Tellier, Paradis

Avocats de la partie demanderesse

 

Me Awatif Lakhdar

Avocate de la partie défenderesse et demanderesse reconventionnelle

 

Date d’audience : Le 10 avril 2013

 

 



[1] Commission des normes du travail c. Corporation de développement Nordic inc ., 2011 QCCA 2313 .

[2] Par exemple : Commission des normes du travail c. Romanova 2012 QCCQ 7844 ; Commission des normes du travail c. Groupe Dubé Entrepreneur général inc ., 2012 QCCQ 6896 ; Commission des normes du travail c . Marcarko ltée , 2012 QCCQ 17118 ; Commission des normes du travail c. Mercures avocats , 2009 QCCQ 3654 ; Commission des normes du travail c. Croisières Charlevoix inc. , 2008 QCCQ 10733 ; Commission des normes du travail c . DTD CAD Consultants inc ., 2007 QCCQ 15183 ; Commission des normes du travail c . Fabrication Dimethaid inc ., [2003] J.Q. no 589 Contra : Commission des normes du travail c. Ventes Morstowe , J.E. 2004-2104 (C.Q.); Commission des normes du travail c. Corporation de développement Nordic inc., 2011 QCCQ 10346 .

 

[3] L.R.Q. c. N-1-1.

[4] Commission des normes du travail c . 9092-5553 Québec inc ., 2004 CanLII 60130 ; Commission des normes du travail c. Romanova , 2012 QCCQ 7844 ; Nathalie-Anne BÉLIVEAU, Les normes du travail , 2 e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 476.

[5] Maltais c. Corporation du parc régional du Mont Grand-Fonds inc., 2002 CanLII 39082 (QC CA).

[6] Liberty Mutual Insurance Co . c. Commission des normes du travail du Québec , [1990] R.D.J. 421 (C.A.).

[7] Voir plus particulièrement les paragraphes 23 à 25.

[8] Voir aussi l’article 93 de la LNT.

[9] Commission des normes du travail c. Fabrication Dimethaid inc., [2003] J.Q. no 589 ; Commission des normes du travail c . DTD CAD Consultants inc ., 2007 QCCQ 15183 ; Commission des normes du travail c. Romanova 2012 QCCQ 7844 .

 

[10] Commission des Normes du travail c. Fabrication Dimethaid inc., [2003] J.Q. no 589.

[11] Commission des normes du travail c. Ventes Morstowe , J.E. 2004-2104 (C.Q.), extraits cités aux par. 10 à 13, puis Commission des normes du travail c. Corporation de développement Nordic inc., 2011 QCCQ 10346 , toutes les deux sous la plume du même juge de la Cour du Québec, le juge Daniel Dortélus. C’est sur cette dernière décision que la CNT a obtenu une permission d’appel dans Commission des normes du travail c. Corporation de développement Nordic inc ., 2011 QCCA 2313 , dont extraits précités au début du présent jugement.

[12] Commission des normes du travail c. Corporation de développement Nordic inc., précitée à la note précédente.

[13] Commission des normes du travail c. Motos Daytona inc. , 2009 QCCA 1833 .

[14] Maltais c. Corporation du parc régional du Mont Grand-Fonds inc., 2002 CanLII 39082 (QC CA).

[15] Comité paritaire de l’industrie des services automobiles de la région de Montréal c. Hewitt équipement limitée, 2012 QCCQ 1485 .

[16] Abitibi-Consolidated inc. c. Doughan , 2008 QCCA 79 ; Canadian Snow Fence Ltd. c. Banque canadienne impériale de commerce , [1974] C.A. 476 .

[17] Abitibi-Consolidated inc. c. Doughan , précitée à la note précédente.

[18] Prometic Sciences de la vie inc. c. Banque de Montréal , 2007 QCCA 1419 .

[19] Commission des normes du travail c. Motos Daytona inc. , 2009 QCCA 1833 .

[20] Commission des normes du travail c. Cayer , 2010 QCCQ 1883 .

[21] Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les obligations , 6 e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, p. 1059-1060, no 1045.

[22] Art. 270 et 271 C.p.c.